Dernières Paroles 1


D.P. par mère Agnes de Jésus



Introduction générale aux "Derniers Entretiens".

DERNIÈRES PAROLES


DE SOEUR THÉRÈSE DE L'ENFANT JÉSUS


recueillies par


MÈRE AGNES DE JÉSUS


Mai

1.

Un jour qu'elle vint à la Messe et communia, bien qu'on lui eut levé depuis peu un vésictoire, je me mis à pleurer et ne pus aller aux Heures.
Je la suivis dans sa cellule et je la verrai toujours, assise sur son petit banc et le dos appuyé sur la pauvre cloison de planches.
Elle était exténuée et me regardait d'un air triste et si doux !
Mes larmes redoublèrent et devinant combien je la faisais souffrir, je lui en demandai pardon à genoux. Elle me répondit simplement :

« Ce n'est pas trop souffrir pour gagner une Communion... »

Mais répéter la phrase, ce n'est rien, il faut avoir entendu l'accent ! 1

*** 2.


Elle toussait beaucoup à cette époque, surtout la nuit. Elle était obligée alors de s'asseoir sur sa paillasse pour diminuer l'oppression et pouvoir reprendre haleine. J'aurais bien désiré qu'elle descendit à l'infirmerie pour qu'on puisse lui donner un matelas mais elle disait tant qu'elle se plaisait mieux dans sa cellule qu'on l'y laissa jusqu'à la dernière extrémité :

« Ici on ne m'entend pas tousser, je ne dérange personne, disait-elle, et puis quand je suis trop bien soignée, je ne jouis plus. »

*** 3.


Pour un autre vésicatoire, son infirmière, vénérable ancienne, très bonne, très dévouée, l'avait installée cette fois à l'infirmerie, dans un fauteuil. Mais à force de mettre des oreillers les uns devant les autres sur le dos de ce siège, pour qu'elle y soit plus mollement appuyée, la pauvre petite malade ne se trouva bientôt plus assise que sur le bord du fauteuil, risquant de tomber à chaque instant. Au lieu de se plaindre, elle remercia vivement la bonne soeur et se laissa complimenter ainsi toute la journée dans les visites charitables qu'elle reçut : «Eh bien, j'espère que vous êtes bien installée ! Combien donc avez-vous d'oreillers ? On voit que vous êtes soignée par une Maman, etc. »
J'y fus prise moi-même, quand un sourire que je connaissais bien me fit tout comprendre... mais il était trop tard pour y remédier.

Juin

1.

Le 9 Juin 1897, soeur Marie du Sacré-Coeur lui disait que nous aurions beaucoup de peine après sa mort. Elle répondit:

« Oh ! non vous verrez... ce sera comme une pluie de roses... »

Elle ajouta :

« Après ma mort, vous irez du côté dé la boîte aux lettres, vous y trouverez des consolations. » 2

*** 2.


(Mère Agnès de Jésus a consigné ce souvenir, datant de juin 1897, relatif aux bouteilles de lait :)
Ce dessin (décrit ci-dessous) coupé dans une feuille de journal trouvée par hasard m'a été apporté avec un sourire malicieux par Sr Thérèse de l'Enfant-Jésus au temps où je me désolais parce qu'étant trop malade elle ne prenait que du lait.

C'était une façon de me faire rire moi même. Elle me dit :

« Ma bouteille de lait me suit aussi fidèlement que la bouteille de cet ivrogne dont on ne voit plus que le bout de la canne, regardez ! »

Elle était si gaie, notre petite sainte chérie !

(Feuille volante manuscrite, enveloppant le dessin en question ; celui-ci représente un chien, stimulé par la baguette d'un maître, et arrivant au galop, une bouteille dans la gueule.) 2 (bis)

Juillet

1.

Le Ciel, pour elle, c'était Dieu vu et possédé pleinement. A l'exemple de plusieurs saints, de St Thomas d'Aquin en particulier, elle n'aspirait pas à d'autre récompense que Dieu même.

Elle se souvenait de la parole de Notre Seigneur: « La vie éternelle consiste à vous connaître... » et, comme, pour elle, connaître Dieu c'était l'aimer, elle pouvait dire :

« Une seule attente fait battre mon coeur c'est l'amour que je recevrai et celui que je pourrai donner. » 3

*** 2.


Je lui demandais des explications sur la voie qu'elle disait vouloir enseigner aux âmes, après sa mort.

« Ma Mère, c'est la voie de l'enfance spirituelle, c'est le chemin de la confiance et du total abandon. Je veux leur enseigner les petits moyens qui m'ont si parfaitement réussi, leur dire qu'il n'y a qu'une seule chose à faire ici-bas : jeter à Jésus les fleurs des petits sacrifices, le prendre par des caresses, c'est comme cela que je l'ai pris, et c'est pour cela que je serai si bien reçue. » 4

Août

1.

Un soir, à l'infirmerie, elle se trouva entraînée à me confier ses peines plus que de coutume. Elle ne s'était pas encore épanchée de la sorte sur ce sujet. Jusque-là je n'avais su que vaguement son épreuve.

« Si vous saviez, me dit-elle, quelles affreuses pensées m'obsèdent ! Priez bien pour moi afin que je n'écoute pas le démon qui veut me persuader tant de mensonges. C'est le raisonnement des pires matérialistes qui s'impose à mon esprit : Plus tard, en faisant sans cesse des progrès nouveaux, la science expliquera tout naturellement, on aura la raison absolue de tout ce qui existe et qui reste encore un problème, parce qu'il reste beaucoup de choses à découvrir..., etc. etc.

« Je veux faire du bien après ma mort, mais je ne pourrai pas ! Ce sera comme pour Mère Geneviève: on s'attendait à lui voir faire des miracles et le silence complet s'est fait sur son tombeau...

« O ma petite Mère, faut-il avoir des pensées comme cela quand on aime tant le bon Dieu »

« Enfin j'offre ces peines bien grandes pour obtenir la lumière de la foi aux pauvres incrédules, pour tous ceux qui s'éloignent des croyances de l'Eglise. »

Elle ajouta que jamais elle ne raisonnait avec ces pensées ténébreuses :

« Je les subis forcément, dit-elle, mais tout en les subissant, je ne cesse de faire des actes de foi. » 5

*** 2.


« J'ai souffert du froid au Carmel jusqu'à en mourir. »

Je fus étonnée de l'entendre parler ainsi parce qu'en hiver sa tenue ne révélait rien de sa souffrance. Jamais, dans les plus grands froids, je ne l'ai vue se frotter les mains ou marcher plus vite, plus courbée que de coutume, comme on le fait si naturellement quand on a froid. 6

*** 3.


Pendant cette période de sa maladie, combien de fois par sa patience dut-elle faire sourire le bon Dieu ! Quelles souffrances elle eut à supporter ! Elle gémissait parfois comme un pauvre petit agneau qu'on immole :

« Veillez bien ma Mère, me dit-elle un jour, lorsque vous aurez des malades en proie à d'aussi violentes douleurs, à ne point laisser auprès d'elles des médicaments qui soient poison. Je vous assure qu'il ne faut qu'un moment lorsqu'on souffre à ce point pour perdre la raison. Et alors on s'empoisonnerait très bien. » 7

Septembre

1.

Un jour la Mère prieure parla au docteur en sa présence de l'achat qu'on venait de faire d'un nouveau terrain au cimetière de la ville, parce qu'il n'y avait plus de place dans l'ancien. Elle ajouta qu'on creuserait désormais les fosses assez profondément pour qu'il soit possible d'y déposer trois cercueils. Sr Thérèse de l'Enfant-Jésus dit en riant :

« Alors c'est moi qui étrennerai ce nouveau cimetière ? »

Le docteur étonné lui dit de ne pas encore penser à son inhumation.

« C'est pourtant une pensée bien gaie, reprit elle. Mais si le trou est si profond, cela m'inquiète, parce qu'il pourrait bien arriver malheur à ceux qui m'y descendront. »

Et continuant sur le ton de la plaisanterie:

« J'entends déjà un croque-mort qui crie: Ne tirez pas tant la corde par ici ! et un autre qui lui répond: Tirez par là ! Holà ! attention ! Enfin ça y est ! On jette de la terre sur mon cercueil et tout le monde s'en va. »

Quand M. de Cornière fut parti, je lui demandai si réellement, elle n'éprouvait rien à la pensée d'être mise aussi profondément dans la terre.
Elle me répondit d'un air étonné :

« Je ne vous comprends pas ! Qu'est-ce que cela peut me faire ? Je n'éprouverais même pas la moindre répulsion à savoir que je serai jetée dans la fosse commune , » 8


D.P. par soeur Geneviève

DERNIÈRES PAROLES


DE SOEUR THÉRÈSE DE L'ENFANT-JÉSUS


recueillies par


SOEUR GENEVIÈVE


Juin

1.

Pendant sa maladie, elle avait accompagné péniblement la communauté à l'ermitage du Sacré-Coeur et s'était assise pendant le chant du cantique. Une soeur lui fit signe de se joindre au choeur. Elle était épuisée et ne pouvait se tenir debout. Elle se leva néanmoins aussitôt , et comme je lui en faisais le reproche après la réunion, elle me répondit simplement :

« J'ai pris l'habitude d'obéir à chacune comme si c'était le bon Dieu qui me manifestait sa volonté. » 9

*** 2.


Au courant de l'année 1897, soeur Thérèse de l'Enfant Jésus me dit, bien avant d'être malade, qu'elle s'attendait bien à mourir cette année ; en voici la raison qu'elle me donna au mois de Juin : quand elle se vit prise d'une tuberculose pulmonaire :

« Voyez-vous, me dit-elle, le bon Dieu va me rendre à un âge où je n'aurais pas eu le temps d'être prêtre... si j'avais pu être prêtre, ce serait à ce mois de Juin, à cette ordination que j'aurais reçu les saints Ordres. Eh bien ! afin que je ne regrette rien, le bon Dieu permet que je sois malade, je n'aurais donc pas pu m'y rendre et je mourrais avant d'avoir exercé mon ministère. » 10

***


Juillet

1.

Une soeur lui disait qu'elle pourrait avoir une heure de crainte avant de mourir pour expier ses péchés.

« La crainte de la mort pour expier mes péchés... ? cela n'aurait pas plus de force que de l'eau bourbeuse ! Aussi, si je les ai ces craintes je les offrirai au bon Dieu pour les pécheurs et comme ce sera un acte de charité, cette souffrance deviendra pour les autres beaucoup plus forte que de l'eau. - Pour moi la seule chose qui me purifie c'est le feu de l'Amour Divin. » 11

*** 2.


( Un jour après sa communion )

« C'était comme si on avait mis deux petits enfants ensemble et les petits enfants ne se disent rien; pourtant moi je Lui ai dit quelques petites choses, mais Il ne m'a pas répondu, sans doute qu'Il dormait. »

*** 3.


« Quand je serai morte je ne dirai rien, je ne donnerai aucun conseil. Si on me met à droite ou à gauche je n'aiderai pas. On dira : elle est mieux de ce côté-ci ; on pourra même mettre le feu à côté de moi , je ne dirai rien. »

*** 4.


( Un jour qu'elle se trouvait en face d'une bibliothèque )

Oh ! que je serais marrie d'avoir lu tous ces livres là !

- Pourquoi donc puisqu'ils seraient lus ce serait un bien acquis,
je comprendrais regretter de les lire mais pas de les avoir lus.

Si je les avais lus je me serais cassé la tête, j'aurais perdu un temps précieux que j'aurais pu employer tout simplement à aimer le bon Dieu...

*** 5.


Je suis dans une disposition d' esprit où il me semble que je ne pense

« - Ça ne fait rien, le bon Dieu connaît vos intentions, tant que vous serez humble tant que vous serez heureuse.

*** 6.


Une fois que l'heure sonnait et que je ne me dérangeais pas assez vite elle me dit:

« Allez à votre petit devoir »

et se reprenant :

« non, à votre petit amour ! »

Et une autre fois je disais: Il faut que je travaille parce que Jésus serait triste, elle reprit :

« Mais non, c'est vous qui seriez triste, il ne peut pas être triste avec nos arrangements, mais quel chagrin pour nous de ne pas lui donner autant que nous le pouvons ! »

*** 7.


Lorsque survenaient des hémorragies, elle se réjouissait, pensant qu'elle versait son sang pour le bon Dieu :

« Il ne pouvait en être autrement, disait-elle, et je savais bien que j'aurais cette consolation de voir mon sang répandu puisque je meurs martyre d'amour. »

*** 8.


Une autre fois je lui disais: Puisque vous vouliez aller à Saigon, peut-être que lorsque vous serez au Ciel j'irai à votre place pour compléter votre oeuvre, à nous deux nous aurons accompli une oeuvre parfaite.

« Ah ! si vous allez jamais là-bas, ne pensez pas que c'est pour compléter quelque chose. Il n'en est pas besoin. Tout est bien, tout est parfait, accompli, c'est l'amour seul qui compte... Si vous y allez ce sera un caprice de Jésus, rien de plus. Ne pensez pas que ce serait une oeuvre utile, ce serait un caprice de Jésus... » 12


D.P. par soeur Marie du Sacre-Coeur

DERNIÈRES PAROLES


DE SOEUR THÉRÈSE DE L'ENFANT-JÉSUS


recueillies par


SOEUR MARIE DU SACRE-COEUR


Mai

1.

L'infirmière lui avait conseillé de faire tous les jours unc petite promenade d'un quart d'heure dans le jardin. Je la rencontrai marchant péniblement et pour ainsi dire à bout de forces. « Vous feriez bien mieux, lui dis-je, de vous reposer, cette promenade ne peut vous faire aucun bien dans de pareilles conditions; vous vous épuisez et c'est tout. »

« C'est vrai ne répondit-elle, mais savez-vous ce qui me donne des forces ? Eh bien, je marche pour un missionnaire. Je pense que là-bas, bien loin, l'un d'eux est peut-être épuisé dans ses courses apostoliques, et, pour diminuer ses fatigues, j'offre les miennes au bon Dieu. » 13

Juillet

1.

Au Carmel sa grande souffrance fut de ne pas communier tous les jours.
Elle disait, quelque temps avant sa mort, à Mère Marie de Gonzague, qui avait peur de la Communion quotidienne :

« Ma Mère, quand je serai au Ciel, je vous ferai changer d'avis. »

C'est ce qui arriva. Après la mort de la Servante de Dieu, Monsieur l'aumônier nous donna la Ste Communion tous les jours, et Mère Marie de Gonzague au lieu de se révolter comme autrefois, en fut très heureuse, 14

*** 2.


Un jour je lui disais : Ah! si j'étais seule à souffrir de votre départ, mais comment pourrais-je consoler Mère Agnès de Jésus qui vous aime tant ?

« Soyez tranquille, me dit-elle, elle n'aura pas le temps de penser à sa peine ; car jusqu'à la fin de sa vie elle sera occupée de moi, elle ne pourra pas suffire à tout. » 15

*** 3.


Vers le mois d'Août 1897, six semaines environ avant sa mort, j'étais auprès de son lit avec Mère Agnès de Jésus et Soeur Geneviève.
Tout à coup, sans qu'aucune conversation ait amené cette parole, elle nous regarda avec un air céleste et nous dit très distinctement :

« Vous savez bien que vous soignez une petite sainte. »

Interrogata a R.D. Judice Vicario Generali an Serva Dei aliquam hujusce sermonis explicationem vel correctionem addiderit ? - Respondit:

Je fus très-émue de cette parole comme si j'avais entendu un saint prédire ce qui arriverait après sa mort. Sous l'empire de cette émotion, je m'éloignai un peu de l'infirmerie, et je ne me souviens pas d'avoir entendu autre chose. 16


D.P. par soeur Marie de l'Eucharistie.

DERNIÈRES PAROLES


DE SOEUR THÉRÈSE DE L'ENFANT-JÉSUS


recueillies par


SOEUR MARIE DE L'EUCHARISTIE.


11 juillet 1.


« Je vous conseille, quand vous aurez des combats contre la Charité, de lire ce chapitre de l'Imitation: "Qu'il faut supporter les défauts d'autrui". Vous verrez que vos combats tomberont; il m'a toujours fait beaucoup de bien; il est très bon et très vrai. » 17

18 juillet 2.


Je lui demandais de m'obtenir de grandes grâces quand elle serait au ciel, et elle me répondit :

« Oh ! Quand je serai au Ciel je ferai beaucoup de choses, de grandes choses... Il est impossible que ce ne soit pas le bon Dieu qui me donne lui-même ce désir, je suis sûre qu'll m'exaucera ! - Et puis encore, quand je serai là-haut, c'est moi qui vous filerai de près !...».

Et comme je lui disais qu'elle me ferait peut-être peur :

« Votre Ange gardien vous fait-il peur ?... Il vous file cependant, tout le temps ; eh ! bien, je vous filerai de même, et de près encore ! je ne vous laisserai rien passer... »

Juillet

3.

« Ça fait toujours un tout petit peu de peine au bon Dieu quand on raisonne un tout petit peu sur ce que dit la Mère Prieure ; et ça lui en fait beaucoup quand on raisonne beaucoup, même en son cceur. »

2 août 1.


« Je ne trouve aucun plaisir naturel à être aimée, choyée, mais j'en trouve un très grand à être humiliée. Quand j'ai fait une bêtise qui m'humilie et me fait voir ce que je suis, oh ! alors, c'est là que j'éprouve un plaisir naturel ; j'éprouve une véritable joie comme vous en éprouveriez à être aimée. »

11 septembre 1.


« Il faudrait que vous deveniez bien douce; jamais de paroles dures, de ton dur; ne prenez jamais un air dur, soyez toujours douce. « Ainsi, hier, vous avez fait de la peine à Sr XX ; quelques instants après, une soeur lui en a fait aussi. Qu'est-il arrivé ?... Elle a pleuré !... Eh ! bien, si vous ne l'aviez pas traitée durement, elle aurait mieux accepté la seconde peine, laquelle aurait passé inaperçue. Mais deux peines si rapprochées l'ont mise dans un état de tristesse bien grande ; tandis que si vous aviez été douce, rien ne serait arrivé. »

*** 2.


Un jour, elle me faisait promettre d'être une sainte ; elle me demandait si je faisais des progrès ; alors je lui répondis :
« Je vous promets d'être sainte quand vous serez partie au Ciel ; à ce moment-là, je m'y mettrai de tout mon coeur.

- Oh ! n'attendez pas cela, me répondit-elle. Commencez dès mantenant. Le mois qui précéda mon entrée au Carmel est resté pour moi comme un doux souvenir. Au commencement, je me disais comme vous : « Je serai sainte serai au Carmel ; en attendant je ne vais pas me gêner... » Mais le bon Dieu m'a montré le prix du temps ; j'ai fait tout le contraire de ce que je pensais; j'ai voulu me préparer à mon entrée en étant très fidèle; et c'est un des plus beaux mois de ma vie. « Croyez-moi, n'attendez jamais au lendemain pour commencer à devenir sainte. »



D.P. par soeur Marie de la Trinité.

DERNIÈRES PAROLES


DE SOEUR THÉRÈSE DE L'ENFANT-JÉSUS


recueilles par


SOEUR MARIE DE LA TRINITÉ.


Avril

1.

Elle me raconta le trait suivant, arrivé cinq mois avant sa mort :

« Un soir, l'infirmière vint me mettre aux pieds une bouteille d'eau chaude et de la teinture d'iode sur la poitrine. J'étais consumée par la fièvre, une soif ardente me dévorait. En subissant ces remèdes, je ne pus m'empêcher de me plaindre à Notre-Seigneur: « Mon Jésus, lui dis-je, vous en êtes témoin, je brûle et l'on m'apporte encore de la chaleur et du feu ! Ah ! si j'avais au lieu de tout cela, un demi-verre d'eau !... Mon Jésus ! votre petite fille a bien soif ! Mais elle est heureuse pourtant de trouver l'occasion de manquer du nécessaire afin de mieux vous ressembler et pour sauver des âmes. » « Bientôt l'infirmière me quitta, et je ne comptais plus la revoir que le lendemain matin, lorsqu'à ma grande surprise elle revint quelques minutes après, apportant une boisson rafraîchissante... Oh ! que notre Jésus est bon ! Qu'il est doux de se confier à Lui ! » 18

Mai

1.

Hier, le chant de la « Rose effeuillée » m'a remis en mémoire un cher souvenir. C'est la Mère Marie-Henriette du Carmel de Paris, avenue de Messine, qui m'avait demandé de prier Ste (sic, dans Oeuvres Complètes ) Thérèse de l'Enfant-Jésus de lui composer une poésie sur ce sujet. Comme il répondait aux sentiments de notre chère Sainte, elle y mit tout son coeur. Mère Henriette en fut très contente, seulement elle m'écrivit qu'il manquait un dernier couplet expliquant qu'à la mort, le bon Dieu recueillerait ces pétales effeuillés pour en reformer une belle rose qui brillerait toute l'éternité. Alors, Sr Thérèse de l'Enfant Jésus me dit :

« Que la bonne Mère fasse elle-même ce couplet comme elle l'entend, pour moi je ne suis pas du tout inspirée de le faire. Mon désir est d'être effeuillée à tout jamais, pour réjouir le bon Dieu. Un point, c'est tout !... » 19

Juin

1.

J'ai toujours présents les trois longs mois d'agonie de notre Ange (...) j'avais la défense de lui parler, sous prétexte qu'étant jeune je pouvais contracter sa maladie ! (J'étais pourtant sûre du contraire car Sr Th. de l'E.J. m'avait affirmé que personne n'attraperait sa maladie, qu'elle l'avait demandé au bon Dieu.) Les nouvelles de sa santé étaient chaque jour de plus en plus tristes ; j'étouffais de peine... Un jour j'allai prendre l'air au jardin, je l'aperçus dans sa voiture de malade, sous les marronniers ; elle était seule, elle me fit signe d'approcher : « Oh ! non, lui dis-je, on nous verrait et je n'ai pas permission. » J'entrai dans l'ermitage de la Ste Face où je me mis à pleurer. En relevant la tête, je vis avec surprise ma petite soeur Thérèse de l'Enfant-Jésus assise sur un tronc d'arbre, à côté de moi. Elle me dit :

« Moi, je n'ai pas défense de venir à vous, dussé-je en mourir, je veux vous consoler. »

Elle essuya mes larmes en appuyant ma tête sur son coeur. Je la suppliai de retourner dans sa voiture, car elle tremblait de fièvre :

« Oui, mais pas avant que vous m'ayez ri ! »

ce que je fis aussitôt, de crainte qu'elle attrape du mal, et je l'aidai à regagner sa voiture. 20

*** 2.


J'avais beaucoup de peine de la voir malade et je lui répétais souvent :
« Oh ! que la vie est triste ! » Mais elle me reprenait aussitôt, disant :

« La vie n'est pas triste ! elle est au contraire très gaie. Si vous disiez : « L'exil est triste », je vous comprendrais. On fait une erreur en donnant le nom de vie à ce qui doit finir. Ce n'est qu'aux choses du ciel, à ce qui ne doit jamais mourir qu'on doit donner ce vrai nom ; et, à ce titre , la vie n'est pas triste, mais gaie, très gaie. 21

Juillet-août

1.

Un jour de fête au réfectoire, on avait oublié de me donner du dessert.
Après le dîner, j'allai voir Sr Th. de l'Enft Jésus à l'infirmerie et, trouvant là ma voisine de table, je lui fis comprendre assez adroitement que j'avais été oubliée. Sr Th. de l'Enf J. m'ayant entendue, m'obligea d'aller en avertir la Soeur chargée du service, et comme je la suppliais de ne pas me l'imposer :

« Non, me dit-elle, ce sera votre pénitence, vous n'êtes pas digne des sacrifices que le bon Dieu vous demande, Il vous demandait la privation de votre dessert, car c'est Lui qui a permis qu'on vous oublie, Il vous croyait assez généreuse pour ce sacrifice, et vous trompez son attente en allant le réclamer ! »

Je puis dire que sa leçon porta des fruits et me guérit pour toujours de l'envie de recommencer. 22

Août

1.

Cela me rappelle un souvenir d'intimité avec ma petite soeur Th. de l'Enf.-J. C'était, à peu près, un mois avant sa mort : toute la Communauté était très triste, et moi je ne le cédais certainement à personne en chagrin. En allant la voir à l'infirmerie, j'aperçus au pied de son lit un gros ballon rouge qu'on lui avait donné pour la distraire. Ce ballon excita mon envie et je ne pus m'empêcher de lui dire : « Que je voudrais jouer avec ! » Elle sourit, mais comme sa faiblesse était si grande qu'elle ne pouvait supporter aucun bruit, elle me dit:

« Mettez-vous derrière moi pendant qu'il n'y a personne, et puis jouez avec, je vais fermer les yeux pour ne pas que cela m'étourdisse. »

Ravie, je prends le ballon et je prenais tant de plaisir à ma partie que petite Thérèse clignotait des yeux pour me regarder sans en avoir l'air et ne pouvait pas s'empêcher de rire. Alors, je lui dis : « C'est trop longtemps être triste pour moi ! Je n'en peux plus ! J'ai comme des tentations de me distraire, des envies de jouer à la toupie que vous m'avez donnée à Noël ; mais si on me voit, on est capable de se scandaliser et de dire que je n'ai pas de coeur.

Non, non, me répondit-elle, je vous oblige moi, à prendre votre toupie et à aller jouer une heure au grenier du Noviciat, là, personne ne vous entendra et si on s'en aperçoit vous direz que c'est moi qui vous l'ai dit. Allez vite, cela me fait bien plaisir de penser que vous allez vous amuser. » 23

***


2.

« Quand je serai au Ciel, me dit-elle il faudra souvent remplir mes petites mains de prières et de sacrifices pour me donner le plaisir de les jeter en pluie de grâces sur les âmes. » 24

Septembre

1.

Huit jours avant sa mort, j'avais pleuré toute une soirée en pensant à son prochain départ. Elle s'en aperçut et me dit :

« Vous avez pleuré. - Est-ce dans la coquille ? » 25

Je ne pouvais mentir... et mon aveu l'attrista. Elle reprit :

« Je vais mourir, et je ne serai pas tranquille sur votre compte, si vous ne me promettez de suivre fidèlement ma recommandation. J'y attache une importance capitale pour votre âme. »

Je n'avais qu'à me rendre et je donnai ma parole, demandant toutefois, comme une grâce, la permission de pleurer librement sa mort. 26

*** 2.


Le jour de sa mort, après les Vêpres, je me rendis à l'infirmerie où je trouvai la Servante de Dieu soutenant avec un courage invincible, les dernières luttes de l'agonie la plus terrible. Ses mains étaient toutes violettes, elle les joignait avec angoisse et s'écriait d'une voix que la surexcitation d'une violente souffrance rendait claire et forte :

« O mon Dieu !... ayez pitié de moi !... O Marie, venez à mon aide !... Mon Dieu, que je souffre !... Le calice est plein... Plein jusqu'au bord !... jamais je ne vais savoir mourir !... »

« Courage, lui dit notre Mère, vous touchez au terme, encore un peu et tout va être fini. »

« Non, ma Mère, ce n'est pas encore fini !... Je le sens bien je vais encore souffrir ainsi pendant des mois. »

- «Et si c'était la volonté du Bon Dieu de vous laisser ainsi longtemps sur la croix, l'accepteriez-vous ? » Avec un accent d'héroïsme extraordinaire, elle dit :

« Je le veux bien ! »

Et sa tête retomba sur l'oreiller avec un air si calme, si résigné que nous ne pouvions plus contenir nos larmes. Elle était absolument comme une martyre attendant de nouveaux supplices. Je quittai l'infirmerie n'ayant pas le courage de supporter plus longtemps un spectacle si douloureux. Je n'y revins qu'avec la Communauté pour les derniers moments et je fus témoin de son beau et long regard extatique au moment où elle mourut, le jeudi 30 septembre 1897, à 7 heures du soir. 27



D.P. par soeur Thérèse de Saint-Augustin

DERNIÈRES PAROLES


DE SOEUR THÉRÈSE DE L'ENFANT-JÉSUS


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SOEUR THÉRÈSE DE SAINT-AUGUSTIN


Juillet

1.

« Dites-moi si vous avez eu des combats.

Oh ! si j'en ai eu. J'avais une nature pas commode, cela ne paraissait pas mais moi je le sentais bien, je puis vous assurer que je n'ai pas été un seul jour sans souffrir, pas un seul.

- Mais on prétend que vous n'en avez pas eu.

Ah ! les jugements des créatures. Parce qu'elles ne voient pas, elles ne croient pas , » 28

*** 2.


Il y a des soeurs qui croient que vous aurez les frayeurs de la mort .

« Elles ne sont pas encore arrivées. Si elles viennent je les supporterai, mais si je les ai elles ne seront pas suffisantes pour me purifier, ce ne sera que de l'eau de Javel... c'est le feu de l'amour Qu'il me faut. » 29



D.P. par soeur Marie des Anges

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DE SOEUR THÉRÈSE DE L'ENFANT-JÉSUS


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SOEUR MARIE DES ANGES

1.

Mère Agnès de Jésus lui disait, un jour que la Communauté était réunie auprès de son lit : « Si vous jetiez des fleurs à la Communauté ! »

Oh ! non, ma petite mère, répondit-elle, ne me demandez pas cela, je vous en prie ; je ne veux pas jeter de fleurs aux créatures. Je le veux bien encore pour la Ste Vierge et St Joseph, mais pas pour d'autres créatures. » 30

*** 2.


Quelques jours avant la mort de la Servante de Dieu on avait roulé son lit sous le cloître. Sr Marie du Sacré-Coeur, jardinière du Préau étant près d'elle lui dit :
Voici un rejeton de rododendhrum (sic) qui se meurt, je vais l'arracher. »

« - O ma soeur Marie du Sacré-Coeur,

lui répondit-elle d'un petit ton de voix plaintif et suppliant,

je ne vous comprends pas... eh bien ! pour moi qui vais mourir, je vous en supplie. laissez-lui la vie, à ce pauvre rododendhrum. »

Il lui fallut insister encore, mais son désir fut respecté. 31




D.P. par soeur Aimée de Jésus

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DE SOEUR THÉRÈSE DE L'ENFANT-JÉSUS


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SOEUR AIMÉE DE JÉSUS

1.

Dans les derniers jours de septembre 1897, alors que la faiblesse de notre chère Sainte l'empêchait de se mouvoir, il devint nécessaire de la déposer quelques instants sur un lit provisoire, pour refaire son lit de malade. Voyant l'embarras des infirmières qui craignaient de la blesser, elle dit :

« Je crois que ma Soeur Aimée de Jésus me prendrait facilement dans ses bras; elle est grande et forte, et très douce autour des malades. »

On appela donc notre bonne Soeur, qui enleva comme un léger fardeau la sainte petite malade, sans lui donner la moindre secousse. A ce moment, les bras passés autour de son cou, cet ange la remercia avec un tel sourire de gratitude affectueuse, que jamais elle n'oublia cet idéal sourire. Il lui devint même comme un dédommagement à ses regrets d'avoir été la seule à ne pas entendre la cloche de l'infirmerie, qui convoquant les Soeurs, au moment suprême de la plus belle mort qu'on ait jamais vue au Carmel de Lisieux. 32



D.P. par Soeur ?? Anonyme


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DE SOEUR THÉRÈSE DE L'ENFANT-JÉSUS


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Soeur ?? ANONYME

1.

On lui demandait sous quel nom on devrait la prier quand elle serait au ciel.

« Vous m'appellerez petite Thérèse », répondit-elle humblement » .33



Notes des autres paroles de Thérèse

n. 1 Ce texte et les deux suivants figurent dans les Cahiers verts, aux 21/26 mai; cf. DE II (DP), pp. 38 et 40.

n. 2 PA, p. 199 (DE, p. 438). note 2 bis. DE, p. 451.

n. 3 NPPA, Espérance du Ciel (DE II (DP), p. 448).

n. 4 Novissima Verba, au 17 juillet (DE II (DP), p. 169).

n. 5 NPPA, Son épreuve contre la Foi (DE, p. 525).

n. 6 NPPA, Tempérance (DE, p. 537).

n. 7 Cahiers verts, au 30 août (DE II (DP), p. 348).

n. 8 NPPA, Humilité, Un exemple de son mépris d'elle-même (DE, p. 661).

n. 9 PA, p. 306.

n. 10 PO, p. 305 (DE, p. 619, varia 4).

n. 11 Pour la source de ce texte et des six suivants, cf. DE, p. 588, Varia 3 et 5 (texte, pp. 616s.).

n. 12 CMG II, p. 73 (DE II (DP), p. 482).

n. 13 Cf. DE p 628, varia 29 (texte p. 649)

n. 14 PO, p. 249 (DE, p. 440).

n. 15 NPPO 1908, p. 14 (DE, p. 659).

n. 16 PA, p. 245 (DE, p. 651, Varia 3).

n. 17 Cf. DE, pp. 777s.

n. 18 NPPA (Carnet rouge, pp. 21-22; cf. DE, p. 785).

n. 19 Billet de soeur Marie de la Trinité à Mère Agnès de Jésus, le 17 janvier 1935.

n. 20 Lettre à Mère Agnès de Jésus du 27 novembre 1934 (DE, p. 780).

n. 21 Histoire d'une Ame, 1907, p. 296 (DE, p. 781).

n. 22 NPPA (Carnet rouge, p. 48); DE, p. 781.

n. 23 Lettre à Mère Agnès de Jésus, Vendredi Saint 1906 (DE, p. 782).

n. 24 NPPA (Carnet rouge, p. 102); DE, p. 582.

n. 25 Une coquille de moule, dont Thérèse se servait pour ses travaux de peinture. Elle avait donné ordre à sa novice, soeur Marie de la Trinité, d'y recueillir ses larmes chaque fois qu'elle aurait envie de pleurer.

n. 26 « Conseils et souvenirs », de l'Histoire d'une Ame. 1899, pp. 280-281 (DE, p. 783).


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