D.P. à Céline 1

D.P. À CÉLINE



Introduction générale aux "Derniers Entretiens".

DERNIÈRES PAROLES


DE THÉRÈSE A CÉLINE



1.

12 juillet

Au milieu d'une conversation, ma petite Thérèse s'interrompit tout-à-coup en me regardant avec compassion et tendresse.
Elle dit:

« Ah!... c'est ma petite soeur Geneviève qui sentira le plus mon départ, certainement c'est elle que je trouve le plus à plaindre, parce qu'aussitôt qu'elle a de la peine elle vient me trouver et elle n'aura plus personne...

... Oui, mais le bon Dieu lui donnera la force... et puis, je reviendrai! »

et s'adressant à moi:

« Je viendrai vous chercher le plus tôt possible et je mettrai Papa de la partie, vous savez bien qu'il était toujours pressé... » (n)

(n) (elle ne voulait pas dire par là qu'il ait été empressé, mais elle faisait allusion à son caractère qui lui empêchait de remettre au lendemain ce que l'on pouvait faire la veille. Jamais la réalisation d'une décision prise ne traînait entre ses mains.)

2.

Plus tard, tandis que je faisais autour d'elle mon office d'infirmière en parlant comme toujours de la séparation prochaine, elle fredonna, en me substituant à elle, ce couplet qu'elle composait en chantant: (air du Cantique «Il est à moi.»)

« Elle est à moi celle que le Ciel même « Le ciel entier est venu me ravir « Elle est à moi, je l'aime, oui, je l'aime « Rien ne pourra jamais nous désunir.»

3.

Je lui disais - « Le bon Dieu ne pourra me prendre aussitôt après votre mort, car je n'aurais pas eu le temps d'être bonne ».
Elle reprit:

« Cela ne fait rien, rappelez-vous S. Joseph de Cupertino, son intelligence était médiocre, il était ignorant et ne connaissait à fond que cet Evangile: Beatus venter qui te portavit 1 Lc 11,27 Interrogé juste sur ce sujet, il répondit si bien que tous furent dans l'admiration et il fut reçu avec grands honneurs pour la prêtrise, avec ses trois compagnons, sans aucun autre examen. - Car on jugea d'après ses sublimes réponses que ses compagnons devaient en savoir aussi long que lui. « Ainsi, je répondrai pour vous et le bon Dieu vous donnera gratis tout ce qu'il m'aura donné. »

4.

Ce même jour, tandis que j'allais et venais dans l'infirmerie, elle dit en me regardant:

« Mon petit Valérien... »

(Elle comparait quelquefois notre union à celle de Ste Cécile et de Valérien.) 2


1.

14 Juillet (14 approx.)

Des réflexions comme celles-ci jaillissaient spontanément, en me regardant:

« Nous serons comme deux petits canards, vous savez comme ils se suivent de près! »

« Que j'aurais de chagrin si je voyais n'importe qui sur l'autre genou du bon Dieu, je pleurerais toute la journée!... »

Ma petite Thérèse avait été frappée du passage de l'Evangile où Jésus refuse aux fils de Zébédée d'être, au ciel, à sa droite et à sa gauche Mt 20,23 et elle disait:
« Je me figure que le bon Dieu a réservé ces places à de "petits enfants"... » Elle espérait alors que ces deux enfants privilégiés étaient elle et moi... (C'est ce qui explique mes questions réitérées révélant la crainte, fondée hélas! de ne jamais être digne de cette faveur ) - La Grâce de l'Haec facta est mihi, survenue environ 3 semaines après sa mort était la réponse à cette interrogation intime formulée tout à coup pendant l'Office de Tierce: - « Ma Thérèse ne m'a pas dit qu'elle avait la place espérée: être sur les genoux du bon Dieu?... » - A ce moment précis le choeur disait: Haec facta est mihi... Ps 119,56
Je ne comprenais pas ces paroles dont je cherchai la traduction dès l'Office terminé: Haec facta est mihi... Ceci m'a été fait...

2.

J'avais dit qu'en la perdant, je deviendrais folle. Elle reprit:

« Si vous êtes folle, bobonne, le "Bon-Sauveur" 3 viendra vous chercher!... »

(« Bobonne » était un surnom qu'elle me donnait, avec la permission de notre Mère, parce que je la servais et, qu'ayant constamment besoin de m'appeler, ce lui était moins fatigant à prononcer que mon nom.)

3.

Voyant Mère Agnès de Jésus écrivant toutes les belles paroles de notre Ange, moi ne relevant hâtivement que celles m'étant tout-à-fait personnelles, je témoignai ainsi du regret de ne pouvoir tout écrire:

«Moi, je ne fais pas comme les autres, je ne prends point note de
ce que vous dites», elle reprit aussitôt:

- « Vous n'en avez pas besoin, je viendrai vous chercher... »

(Avant d'être descendue à l'infirmerie, c'était au mois de juin, un jour où elle me voyait désolée à la perspective de son départ prochain, elle s'adressa à l'Enfant Jésus et, d'un geste charmant, dressant son doigt, elle lui parla comme en faisant la leçon:


« Mon petit Jésus, si vous m'emmenez, il faudra aussi emmener Mademoiselle Lili (1) C'est là ma condition, ainsi réfléchissez bien à ce que vous allez faire... Pas de milieu, c'est à prendre ou à laisser! »

(n1) Petit surnom familier qui datait de notre enfance et qu'elle me donnait dans l'intimité. Il avait été inspiré par une histoire pour les bébés: «Mr Toto et Mlle Lili » - elle était Mr Toto, moi Mlle Lili.


4.

Le 22 juillet, j'écrivais à ma Tante, Me Guérin:
L'autre jour, je lisais à ma petite malade, un passage sur la béatitude du ciel,. (n2) elle m'a interrompue pour me dire:

« Ce n'est pas cela qui m'attire...

- Quoi donc ai-je repris?

« Oh! c'est l'Amour! Aimer, être aimée et revenir sur la terre ---pour faire aimer l'amour --- 4

(ce n'est pas sur l'autographe)

(n2) j'étais assise près de la fenetre.

5.

Elle avait craché le sang la nuit. Toute joyeuse, avec ses manières enfantines, elle me montrait le plat 5 de temps en temps.
Souvent elle désignait le bord avec un petit air triste qui voulait dire: j'en voudrais jusque là!

Je lui répondis tristement, moi aussi:

- « Oh! cela n'importe pas qu'il y en ait peu ou beaucoup, le fait même est un signe de votre mort...»
Puis, j'ajoutai: - «Hélas! vous êtes plus heureuse que moi, car je n'ai pas de signe pour la mienne!»

Elle reprit aussitôt:

« Oh! si, vous avez un signe! Ma mort est un signe de la vôtre!... »


1.

21 Juillet

Tandis que je remplissais mon office à l'infirmerie, mettant de l'ordre dans la pièce, elle me suivait des yeux et rompit tout-à-coup le silence par une parole que rien n'avait provoquée:

« Au ciel, vous prendrez séance à côté de moi! »

2.

Et plus tard, en citant un passage d'une belle poésie sur Louis XVII
6

« Vous viendrez bientôt avec moi ... « bercer l'enfant qui pleure « Et, dans leur brûlante demeure « D'un souffle lumineux rajeunir les soleils... » puis, je vous mettrai les ailes d'azur d'un chérubin vermeil... je les attacherai moi-même, car vous ne sauriez pas, vous les mettriez ou trop bas, ou trop haut! »


1.

24 Juillet

Elle connaissait une foule d'histoires et avait retenu quantité de traits dont elle se servait à l'occasion, ce qui rendait sa
conversation imagée et piquante.

« Vous êtes une âme de bonne-volonté, me dit-elle, ne craignez rien, vous avez une petite "chienne" qui vous sauvera de tous les périls...»

(allusion à cet aveu que le démon avait fait au P. Surin, dans un exorcisme: « Je viens à bout de tout, II n'y a que cette chienne de bonne-volonté contre laquelle je ne puis rien.»

2.

Je lui disais: « Vous êtes mon idéal, et cet idéal je ne puis pas l'atteindre, oh! que c'est cruel! Il me semble que je n'ai pas ce qu'il faut pour cela, je suis comme un petit enfant qui n'a pas conscience des distances: sur le bras de sa mère, il étend sa petite main pour saisir le rideau, un objet... il ne se rend pas compte qu'il en est très loin! »

« Oui, mais au dernier jour, le bon Jésus approchera sa petite Céline de tout ce qu'elle aura désiré, et alors elle saisira tout. »


1.

3 Août

« Vous êtes toute petite rappelez-vous çà et quand on est tout petit on n'a pas de belles pensées... » 7


1.

4 Août

Mes premières années de vie religieuse me firent assister à une véritable destruction de ma nature, je ne voyais autour de moi que des ruines, aussi je me lamentais bien souvent. - Dans l'une de ces circonstances je l'entendis chanter (air) (n1):

« Bobonne, imparfaite sur la terre « Vous serez parfaite dans les Cieux! » (ter)

(n1) air de ces deux dernières lignes d'un cantique à St Joseph:
« Joseph inconnu sur la terre
« Que vous êtes grand dans les Cieux! » (ter)

(Le 1er couplet de ce cantique commençait ainsi:
Un noble sang circulait dans vos veines... et la première ligne du refrain:
La gloire humaine est passagère.)

2.

Pour soulager une douleur très vive que ma chère petite soeur éprouvait dans l'épaule et le bras droits, j'avais imaginé, attaché au ciel de son lit, un large ruban fait avec du linge plié, dans lequel son bras restait suspendu dans le vide. Ce soulagement ne put servir longtemps, elle en fut néanmoins très reconnaissante et me dit avec tendresse:

« Le bon Dieu fera aussi des pendaisons à bobonne! »

3.

Interrompant une conversation je m'exclamai tristement en songeant à sa mort
- « Moi, je ne saurai pas vivre sans elle!

« Vous avez bien raison, reprit-elle vivement, aussi je vous en apporterai deux... » (ailes)

4.

Quand je fus seule avec ma Thérèse je lui dis: - « Vous voulez que d'un oeuf de moineau éclose un petit oiseau délicieux comme vous, c'est impossible! »

« Oui, mais! je ferai un tour de physique pour amuser tous les saints. Je prendrai le petit oeuf et je dirai aux saints: Regardez bien je vais faire un tour de passe-passe: « Voici un petit oeuf de moineau, eh bien! je vais en faire sortir un joli petit oiseau comme moi! « Alors, le dirai tout bas au bon Dieu en lui présentant mon petit oeuf, mais tout bas, tout bas: "Changez la nature du petit oiseau en soufflant dessus..." Puis, quand il me l'aura rendu je le donnerai à la Ste Vierge et je lui demanderai de le baiser... Ensuite, je le confierai à St Joseph et je le prierai de le caresser... Enfin, je dirai bien haut à tous les Saints: - "Dites tous que vous aimez autant que moi le petit oiseau qui va sortir du petit oeuf!" « Aussitôt tous les Saints s'écrieront: - Nous aimons autant que toi le petit oiseau qui va sortir du petit oeuf! » « Alors, d'un air triomphant, je casserai le petit oeuf et un joli petit oiseau viendra se mettre à côté de moi sur les genoux du bon Dieu, et tous les Saints seront dans une liesse que je ne puis décrire, en entendant chanter les deux petits oiseaux... »


1.

5 Août

Sur ce passage de l'Evangile: Deux femmes moudront ensemble, on prendra l'une et on laissera l'autre... » Mt 24,41

« Nous faisons notre petit commerce ensemble, je verrai bien que vous ne pouvez pas moudre le blé toute seule, alors je viendrai vous chercher... Veillez donc, car vous ne savez pas à quelle heure doit venir votre Seigneur. » Mt 24,42

Elle me rappelait souvent que nous étions comme deux associés.
Qu'importe que l'un soit incapable?
Du moment qu'ils ne se séparent pas ils auront part un jour aux mêmes bénéfices.

Dans sa comparaison du petit oiseau sur le bord du cloître attendant l'Aigle Divin 8 et ne cessant de le regarder en l'aimant, ma chère petite Thérèse me disait toujours qu'elle ne se figurai pas être seule, mais qu'il y avait deux petits oiseaux...

2.

Elle s'efforçait de m'inculquer la pauvreté d'esprit et de coeur par des paroles comme celle-ci:

« Bobonne, il faut qu'elle se tienne dans sa position, qu'elle n'essaie pas d'être grande dame, jamais! »

Et comme il me restait à réciter une Petite Heure de mon Office, elle dit d'un ton enfantin:

« Allez dire None. Et rappelez-vous que vous êtes une toute petite none, la dernière des nones! »

3.

- Vous allez donc me quitter!

« Oh! pas d'une semelle! »

Et, reprenant mon thème favori: - « Croyez-vous que je puis encore espérer être avec vous au Ciel? Cela me semble impossible, c'est comme si on faisait concourir un petit manchot pour attraper ce qui se trouve au haut d'un mât de cocagne... » 9

« Oui, mais! s'il se trouve là un géant qui prend le petit manchot sur son bras, l'élève bien haut et lui donne lui-même l'objet désiré! ... C'est comme cela que le bon Dieu fera avec vous, mais il ne faut pas vous en occuper, il faut dire au bon Dieu: "Je sais bien que je ne serai jamais digne de ce que j'espère, mais Je vous tends la main comme une petite mendiante et je suis sûre que vous m'exaucerez pleinement, car vous êtes si bon!... »


1.

8 août

- Si, quand vous serez partie on écrit votre petite vie, 10
moi je voudrais bien m'en aller avant... Le croyez-vous?

« Oui, je le crois, mais il ne faudra pas perdre patience... regardez, moi, comme je suis mignonne, il faudra que vous fassiez comme cela. »


2.

8 Août (8 approx.)

Ma chère petite soeur s'efforçait en toute rencontre de me détacher de moi-même et comparant notre course à celle des deux petits enfants que représente cette image. Elle, s'en allait dégagée de tout, ne portant qu'une seule tunique, n'ayant rien à ses mains, sinon sa petite soeur qu'elle en traîne. - Celle-ci fait résistance, il lui faut cueillir des fleurs, s'embarrasser d'un gros bouquet sans laisser libre une seule de ses mains.

3.

Un jour elle me conta cette histoire allégorique. 11

« Il y avait une fois une "demoiselle" possédant des richesses qui rendent injuste et auxquelles elle attachait beaucoup de prix. « Elle avait un petit frère qui ne possédait rien, et cependant était dans l'abondance. Ce petit enfant tomba malade et dit à sa soeur: - "Demoiselle", si vous vouliez vous jetteriez au feu toutes vos richesses qui ne servent qu'à vous inquiéter, vous deviendriez ma bobonne, rejetant votre titre de "demoiselle" et moi quand je serai dans le pays enchanteur où je dois bientôt aller, je reviendrai vous chercher parce que vous aurez vécu pauvre comme moi sans vous occuper du lendemain. « La "demoiselle" comprit que son petit frère avait raison, elle devint pauvre comme lui, se fit sa bobonne et plus jamais ne fut tourmentée par le souci des richesses périssables qu'elle avait jetées au feu... « Son petit frère tint parole, il vint la chercher quand il fut dans le pays enchanteur où le bon Dieu est le Roi, la Ste Vierge la Reine et tous les deux vivront éternellement sur les genoux du bon Dieu, c'est la place qu'ils ont choisie, parce qu'étant trop pauvres, ils n'avaient pu mériter de trônes... »

4.

Une autre fois, faisant allusion encore à l'image des deux enfants et, de plus, à une maîtresse de maison à laquelle il ne manque rien dans toutes ses armoires, elle dit:

« Demoiselle trop riche: plusieurs boutons de rose, plusieurs oiseaux à chanter à son oreille (n), un jupon, une batterie de cuisine, de petits paquets... »

(n) reprise d'un passage qu'elle avait lu, où l'auteur louait ainsi son héros Th. Vénard: «Il avait un bouton de rose sur les lèvres et un oiseau à chanter à son oreille. »

5.

Un soir qu'elle me voyait me déshabiller elle fut prise de pitié devant la misère de nos vêtement et, se servant d'une expression comique qu'elle avait entendue, elle s'exclama:

« Pauvre-Pauvre! (n1) comme vous êtes torée! (n2) mais vous ne serez pas toujours comme cela, c'est moi qui vous le dis! »

(n1) surnom qu'elle me donnait souvent.
(n2) tore - latin torus - corde.

6.

« Quand je serai au Ciel, j'irai puiser dans les trésors du bon Dieu et je dirai: « Voilà pour Marie, voilà pour Pauline, voilà pour Léonie, voilà pour la toute petite Céline... Et, faisant signe à Papa: « C'est la plus petite maintenant, il faut se dépêcher d'aller la chercher! »

7.

Elle me raconta ce rêve qu'elle avait eu peu de temps avant sa maladie:

« Vous étiez au bord de la mer avec deux personnes que je ne connaissais pas. Il y en eut une qui proposa de faire une promenade, mais elle et sa compagne étaient très avares, elles dirent qu'il fallait louer un agneau au lieu d'un âne, pour monter toutes les trois dessus, ensemble. Mais quand vous l'avez vu chargé de ces deux personnes, vous avez dit que vous alliez aller à pied. « Le pauvre agneau s'en allait tout le long des haies n'en pouvant plus et bientôt il tomba épuisé sous son fardeau. « Alors, au détour d'une route se présenta devant vous un ravissant petit agneau tout blanc qui s'offrait à vous. Vous avez compris alors qu'il vous soutiendrait pendant le voyage de la vie; puis le petit agneau ajouta: "Tu sais, je veux aussi palpiter en toi..." - « Après, j'ai compris que c'était la récompense de la charité que vous aviez eue pour ces deux personnes, les ayant supportées sans VOUS plaindre. C'est pour cela que Jésus lui-même est venu se donner à vous »


1.

16 août

M'étant levée de grand matin, je trouvai ma chère petite soeur pâle et défigurée par la souffrance et l'angoisse. Elle me dit:

« Le démon est autour de moi, je ne le vois pas, mais je le sens... il me tourmente, il me tient comme avec une main de fer pour m'empêcher de prendre le plus petit soulagement, il augmente mes maux afin que je me désespère... Et je ne puis pas prier! Je puis seulement regarder la Ste Vierge et dire: Jésus!... Combien elle est nécessaire la prière de Complies: "Procul recedant omnia et noctium phantasmata!" Délivrez-nous des fantômes de la nuit 12

« J'éprouve quelque chose de mystérieux... Jusqu'ici, je souffrais surtout dans le côté droit, mais le bon Dieu m'a demandé si je voulais souffrir pour vous, j'ai répondu aussitôt que je le voulais bien... Au même instant, le côté gauche s'est pris avec une intensité incroyable... Je souffre pour vous et le démon ne veut pas! »

Vivement impressionnée j'allumai un cierge bénit et peu après le calme lui était rendu sans toutefois que sa nouvelle souffrance physique lui fût enlevée.
Depuis, elle appelait son côté droit: « le côté de Thérèse » et son côté gauche: « le côté de Céline ».


1.

20 août

« Oh! oui, je viendrai vous chercher parce que vous n'avez pas des yeux à vivre quand vous êtes mignonne. »


1.

21 août

« Quand je dirai: "Je souffre", vous répondrez "tant mieux "! - Je n'ai pas la force, alors c'est vous qui achèverez ce que je voudrais dire. »

L' oppression à ce moment était très forte, et, pour s'aider respirer, elle disait comme en égrenant un chapelet: « Je souffre, je souffre.. » mais bientôt elle se le reprocha comme si c'eût été une plainte et me dit ce que je viens d'écrire.


1.

22 août

« Ma petite Demoiselle? je vous aime beaucoup et cela m'est bien doux d'être soignée par vous. »

Elle m'avait appelée pour me dire cela.


1.

24 août

Nous parlions ensemble une sorte de langage enfantin que les autres ne pouvaient pas saisir. Sr St Stanislas, la 1re infirmière dit d'un ton admiratif: « Qu'elles sont gentilles ces deux petites filles-là avec leur jargon inintelligible! »

Un peu plus tard je dis à ma Thérèse: - « Oui, que nous sommes gentilles toutes les deux! mais vous, vous êtes gentille toute seule, moi je ne suis gentille qu'avec vous! »
Elle reprit vivement:

« C'est pour cela que je viendrai vous " cri " (sic) » 13
( vous chercher )


1.

31 août

« Bobonne, je vous aime beaucoup! »


1.

3 septembre

J'étais devant la cheminée de l'infirmerie allant et venant pour faire le ménage et je me tourmentais d'une chose qui n'allait pas comme je voulais. Elle me dit:

« Bobonne, pas d'inquiétude d'esprit! »

2.

Ce même jour, mais non dans la même circonstance je lui fis cette réflexion: - « Les créatures ne sauront pas que nous nous sommes tant aimées... » Elle reprit:

« Ce n'est pas la peine de désirer que les créatures le croient, le principal c'est que cela soit...

Et, prenant un ton d'assurance:

« Oui, mais! puisque nous serons toutes les deux sur les genoux du bon Dieu! »

(Elle avait une façon délicieuse de dire ce «oui, mais! » locution qui lui était particulière.)


1.

5 septembre

« Je vous protégerai!... »

2.

J'étais très avare de mes dimanches, temps libre où il m'était permis de relever les notes prises à la hâte sur des papiers informes. Je dis: «Aujourd'hui, c'est un Dimanche nul, je n'ai rien écrit dans notre petite écritoire 14

Elle reprit:

« C'est la mesure de Lili, mais pas de Jésus! »


1.

11 septembre

« Ma bobonne, vous n'êtes plus bobonne vous êtes ma nourrice... et vous soignez un BEBE qui est à la mort. »

Se tournant vers l'image représentant son cher petit Théophane, elle dit en lui parlant:

« Bobonne me soigne très bien, aussi dès que je serai là-haut, nous viendrons la chercher tous les deux, spas? » (n'est-ce pas.)

2.

« J'aime beaucoup ma bobonne, mais beaucoup... aussi, quand je serai partie, je viendrai la chercher pour la remercier de m'avoir si bien soignée. »

3.

Me regardant avec tendresse:

«... Mais, je vous reverrai et votre coeur sera dans la joie et personne ne vous ravira votre joie! » Jn 16,22


1.

16 septembre

Je venais de commettre une imperfection quand elle me dit avec des yeux qu'elle fit tout ronds:

« Vous y serez tout de même à côté de moi! » 15

2.

Touchée aux larmes des soins que je lui donnais elle s'exclama:

« Oh! que je vous ai de reconnaissance ma paup'tite bobonne!... Vous verrez tout ce que je vous ferai!

3.

Je craignais qu'elle eût froid et je dis:
- « Je vais aller chercher une petite "consolation" (n) »
Mais elle reprit vivement:

« Non: c'est vous qui êtes ma petite consolation »

(n) (les "consolations" sont de simples morceaux de laine que la robière donne avec les vêtements d'hiver.)


1.

19 septembre

« Ma bobonne, elle est douce, elle me soigne très bien... Je lui revaudrai cela! »


1.

21 septembre

« Pour vous aimer, c'est moi... et pour ne pas vous aimer, ce n'est pas le bon Dieu!... c'est le diable. »

1.

23 septembre

« Vous n'avez pas besoin de comprendre, vous êtes trop petit... »

(comprendre ce que le bon Dieu fait en moi.)


1.

25 septembre

« Je vais mourir, c'est certain... je ne sais pas quand, mais c'est certain! »


1.

26 Septembre (26 approx.)

Je lui dis un jour: « Vous nous regarderez du haut du ciel, n'est-ce pas?» - Elle répondit alors spontanément:

-« Non, je descendrai! » 16

2.

Je me levais plusieurs fois la nuit, malgré ses instances. En l'une de ces visites je trouvai ma chère petite soeur les mains jointes et les yeux levés au ciel:

Que faites-vous donc ainsi? Lui dis-je, il faudrait essayer de dormir. »

« Je ne puis pas, je souffre trop, alors je prie... »

« Et que dites-vous à Jésus? »

« Je ne lui dis rien, je l'aime! » 17

3.

L'un des derniers jours de sa vie, dans un moment de grande souffrance, elle me supplia ainsi:

« Oh! ma petite Soeur Geneviève, priez pour moi la Ste Vierge, je la prierais tant si vous étiez malade! soi-même on n'ose pas demander... »

(« on n'ose pas demander pour soi »... tel est le sens.)
Elle soupirait encore, s'adressant à moi:

« Oh! comme il faut prier pour les Agonisants, si l'on savait! » 18

(Cette parole et la plupart des autres écrites au fur et à mesure par Mère Agnès de Jésus, je les ai entendues et c'est parce que je voyais qu'elles étaient relevées que je ne les écrivais pas. J'ai été témoin de toutes, sauf celles prononcées pendant les Heures d'Office, Mère Agnès de Jésus restant alors seule auprès d'elle.)

Pour plus de détails voir aussi ma Déposition manuscrite. 19


1.

27 septembre

« O ma bobonne! j'ai pour vous une grande tendresse dans le coeur!.. »


1.

30 septembre

dernier jour d'exil de ma chère Petite Thérèse...


Le jour de sa mort, dans l'après-midi, Mère Agnès de Jésus et moi étant seules auprès d'elle, notre chère petite Sainte tremblante et défaite, nous appela à son secours... Elle souffrait extrêmement dans tous les muscles et, posant un de ses bras sur l'épaule de Mère Agnès de Jésus et l'autre bras sur la mienne, elle resta ainsi les bras en Croix.
A ce moment-là, même, 3 heures sonnèrent et la pensée de Jésus en Croix se présenta à notre esprit: notre pauvre petite martyre n'en était elle pas la vivante image?...

Sur notre demande: « Pour qui serait son dernier regard?... » Elle avait répondu quelques jours avant de mourir: - « Si le bon Dieu me laisse libre, ce sera pour notre Mère » (Mère Marie de Gonzague)
Or, pendant son agonie, quelques minutes seulement avant qu'elle expirât, je passais sur ses lèvres brûlantes un petit morceau de glace; quand, à ce moment, elle leva les yeux sur moi et me regarda avec une insistance prophétique

.....................................................................
Son regard était rempli de tendresse, il avait en même temps une expression surhumaine faite d'encouragement et de promesses, comme si elle m'eût dit:

« Va, va! ma Céline, je serai avec toi!... »

( Le bon Dieu lui révéla-t-il alors la longue et laborieuse carrière que je devais, à cause d'elle, suivre ici bas et voulut-il, par là, me consoler de mon exil? Car le souvenir de ce dernier regard, si désiré par toutes, et qui fut pour moi, ce souvenir me soutient toujours et m'est une force indicible. )

La Communauté présente était comme en suspens devant ce spectacle grandiose; mais soudain notre chère petite Sainte baissa les yeux pour chercher notre Mère qui était à genoux à ses côtés, tandis que son regard voilé reprenait l'expression de souffrance qu'il avait auparavant.


DERNIERES PAROLES


DE NOTRE CHERE PETITE THERESE



2.

30 septembre 1897



Oh! c'est bien la souffrance pure parce qu'il n'y a pas de consolation. Non, pas une!

O mon Dieu!!! je l'aime pourtant le bon Dieu... O ma bonne Sainte Vierge venez à mon secours!

Si c'est là l'agonie qu`est-ce que c'est que la mort?...

O ma Mère! je vous assure que le vase est plein jusqu'au bord!

Oui, mon Dieu, tant que vous voudrez... mais ayez pitié de moi! Mes petites soeurs... mes petites soeurs... Mon Dieu, mon Dieu ayez pitié de moi!

Je ne peux plus... je ne peux plus! et pourtant il faut bien que je dure...

Je suis... je suis réduite... Non, je n'aurais jamais cru qu'on pouvait tant souffrir... jamais, jamais!

O ma Mère, je ne crois plus à la mort pour moi... je ne crois plus qu'à la souffrance!

Demain, ce sera encore pire! Enfin, tant mieux!


3.

Le Soir

(Notre Mère venait de renvoyer la Communauté en disant que l'agonie allait encore se prolonger, la Sainte petite malade reprit aussitôt: )

Eh bien, allons! allons! oh! je ne voudrais pas moins souffrir ................................................................. ........

................................................................

........

Oh! je l'aime...

« Mon Dieu... je... vous aime! »














Notes des dernières paroles a Céline

DE/G (Céline=Geneviève)


n. 1 Cf. CJ 9.7.2.

n. 2 Cf. MSA 61,2v; PN 3 LT 149 LT 161.

n. 3 Jeu de mots sur « Bon Sauveur », appellation de la maison de santé de Caen où M. Martin séjourna.

n. 4 « Pour faire aimer l'Amour. » Soeur Geneviève a biffé les quatre mots et ajouté le texte: « (ce n'est pas sur l'autographe) ».
L'autographe désigne sa lettre du 22 juillet à Mme Guérin. Sur cette question, se reporter à l'édition critique des Derniers Entretiens, DE, pp. 721-723.

n. 5 Petit plat en terre qui lui servait de crachoir; cf. CJ 31.7.6.

n. 6 Poésie de Victor Hugo.

n. 7 Sur les « belles pensées », cf. MSC 19,1r /v; LT 89 LT 141 à Céline.

n. 8 Cf. MSB 4,2-5,2v /5v .

n. 9 Cf. CJ 8.7.7.

n. 10 En publiant l'Histoire d'une Ame.

n. 11 Evocation de l'enfance vécue avec Céline et affirmation d'un destin commun qu'on retrouve en comparaisons tout au long des DE/G (-.7.1; 12.7.4; 5.8.1; -.8.1;-.7.3). Cf. «les deux petites poules » du MSA 9,1r .

n. 12 Cf. CJ 25.8.6.

n. 13 Pour « vous quérir ».

n. 14 « Petit carnet » écrit ailleurs soeur Geneviève .

n. 15 Sous-entendu: « Sur les genoux du bon Dieu. »

n. 16 Cf. CJ 13.7.3.

n. 17 Parole rapportée uniquement par soeur Geneviève; publiée dès HA 98 (p. 243).

n. 18 Cf. CJ 25.8.6.

n. 19 Les notes préparatoires au Procès Apostolique (NPPA).

D.P. à Céline 1