F. de Sales, Lettres 167

LETTRE XXXIX, AU ROI HENRI IV.

(Tirée de la vie du Saint, par le P. la Rivière.)

Il le remercie de l'offre d'une pension, que sa majesté lui avait faite en attendant qu'il vaquât un bénéfice digne de lui.

Sire,

Je remercie de tout mon coeur votre majesté, du souvenir qu'elle a daigné avoir de ma petitesse. J'accepte, oui j'accepte avec un très-grand plaisir votre royale libéralité ; mais vous me permettrez, sire, de vous parler franchement ; grâces à notre Seigneur, je suis maintenant dans une telle situation, que je n'ai point besoin de cette pension : c'est pourquoi je supplie très-humblement votre majesté d'avoir pour agréable qu'elle me soit conservée entre les mains de votre trésorier des épargnes, pour m'en servir quand j'en aurai besoin, etc. (1).

(1) Le roi répondit à cette lettre, qu'il n'avait jamais été refusé de si bonne grâce, et ne laissa point cependant de solliciter le Saint d'accepter un bénéfice-Mais il répliqua qu'appelé à l'évêché de Genève, il devait à sa patrie de ne la point abandonner.



LETTRE XL, A LA COMMUNAUTÉ DES FILLES-DIEU DE PARIS, ORDRE DE FONTEVRAULT (1).

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(1) L'ordre de Fontevrault fut fondé par le bienheureux Robert d'Arbrisselles, archidiacre de Rennes, vers l'an 1100; il lui donna la règle de S. Benoît, avec quelques constitutions particulières que le pape Siste IV réforma et rétablit en partie. Cet ordre a compté parmi ses abbesses jusques à quatorze princesses, dont cinq de la branche des Bourbons. Le couvent de cet ordre qui existait à Paris, et auquel s'adresse cette lettre, ayant été fondé en 1488, dans un monastère précédemment occupé par les filles-Dieu, il conserva ce dernier nom. Voyez les notes qui sont à la fin de cette lettre.

(Tirée de la vie du Saint, par Ch.-Aug. de Sales.)

Il les engage à réformer certaines pratiques qui s'étaient introduites dans leur communauté, et dont il voyait avec regret l'établissement.


De Sales, le 22 novembre 1602.

Mes très-révérendes dames et chères soeurs,

J'ai pris une telle confiance en votre charité, qu'il ne me semble plus avoir besoin de préface ou avant-propos pour vous parler, soit en absence, comme je suis contraint de faire maintenant, soit en présence, si jamais Dieu dispose de moi en sorte que j'aie le bien de vous revoir. J'aime en tout la simplicité et la candeur : je crois que vous l'aimez aussi; ce que je vous supplie de continuer, parce que cela est fort séant à votre profession : je pense que les tuniques blanches que vous portez en sont le signe. Je vous dirai donc simplement ce qui m'a ému à vous écrire à toutes ensemble.

Croyez-moi, je vous supplie, je suis fort importuné de l'affection extrême que je porte au bien de votre maison ; car ici, où je ne puis vous rendre que fort peu de services, elle ne laisse pas que de me suggérer une infinité de désirs, qui vous sont inutiles et à moi. Je n'ose pas pourtant rejeter les inclinations, parce qu'elles sont bonnes et sincères, mais surtout parce que je crois fermement que c'est Dieu qui me les a données. Que si elles me mettent en danger de quelques inquiétudes, ce n'est pas leurs qualités, mais par la faiblesse de mon esprit qui est encore sujet au mouvement des vents et de la marée. Or c'est un vent qui agite maintenant mon esprit en l'affection qu'il vous porte, et ne saurais m'empêcher de vous le nommer ; car c'est le seul sujet qui m'a fait dérober ce loisir pour vous écrire à la presse d'un monde d'affaires qui m'environnent en ce commencement de ma charge (1).

(1) S. François de Sales était alors évêque de Genève, par la mort de M. de Granicr son prédécesseur, arrivée le 17 septembre précédent; mais il n'était pas encore sacré, et ne le fut que le S de décembre suivant.


Je partis de Paris avec ce contentement de vous avoir en quelque sorte témoigné l'estime que je faisois de la vertu de votre maison, de laquelle l'opinion me donnait beaucoup de consolation et me profitait intérieurement, m'animant au désir de ma perfection. La sainte parole dit que Jonas se consola à l'ombre du lierre et de l’arbre (
Jon 4,6-8). Mais un vent chaud et cuisant dessécha presque tout en un moment cet arbrisseau (Jon 4,8). Un vent fit presque le même effet en la consolation que j'avais en vous ; mais pensez, je vous supplie, que ce fut un vent du midi (Ct 4,16), d'une entière charité.

Ce fut un rapport auquel je fus obligé de donner créance par la considération de toutes les circonstances. Seigneur Dieu ! que je fus marri, et de ce que l'on me disait, et de l'avoir su seulement en un temps auquel je n'avais pas loisir d'en traiter avec vous! car je ne sais si mon affection me trompe, mais je me persuade que vous m'eussiez donné une favorable audience, et n'eussiez su trouver mauvaise aucune remontrance que je vous eusse faite, puisque vous n'eussiez jamais découvert en mon âme ni en tous ses mouvements sinon une entière et pure affection à votre avancement spirituel et au bien de votre maison.

Mais n'ayant pas dû arrêter pour cela, étant appelé ici pour un bien plus grand, je me suis mis à vous écrire sur ce sujet, bien que j'aie quelque temps débattu en moi-même si cela serait à propos ou non : car il me semblait presque que cela serait inutile, d'autant que ma lettre serait sujette à recevoir des répliques, et m'en ferait donner ; qu'elle arriverait peut-être hors de saison ; qu'elle ne vous représenterait pas naïvement ni mon attention ni mon affection ; que vous êtes en lieu où vous serez conseillées de vive voix par un monde de personnes qui vous doivent être en plus grand respect que moi ; et que si vous ne croyez à Moïse et aux prophètes (Lc 16,30) qui vous parleront, malaisément croirez-vous à ce pauvre pécheur qui ne peut que vous écrire ; et, outre cela, qu'à ce qu'on m'a dit, quelques autres prédicateurs meilleurs et plus expérimentés à la conduite des âmes que je ne suis, vous en ont parlé sans effet.

Néanmoins il a fallu que toutes ces raisons aient cédé à mon affection et au devoir que l'extrême désir de votre bien m'impose. Dieu emploie bien souvent les plus faibles pour les plus grands effets (Cf 1Co 1,25-27). Que puis-je savoir s'il veut porter son inspiration dans vos coeurs sur les paroles qu'il me donnera pour vous écrire ? J'ai prié ; je dirais bien plus, et je ne dirais que la vérité, mais ceci suffira; j'ai arrosé ma bouche du sang de Jésus-Christ à la messe, pour vous pouvoir envoyer des paroles convenables et prégnantes. Je les porterai donc ici sur ce papier : Dieu les veuille conduire et adresser en vos esprits pour y servir à sa gloire !

Mes chères soeurs, on m'a dit qu'il y a en votre maison des pensionnettes particulières et des propriétés dont les malades ne sont pas également secourues; que les saines ont des particularités aux viandes et habits sans nécessité, et que les entretiens et récréations n'y sont pas fort dévotes. On m'a dit tout cela et beaucoup d'autres choses qui s'ensuivent. J'aurais aussi beaucoup de choses à vous dire sur ce sujet; mais ayez la patience, je vous supplie, faites-moi cet honneur de lire attentivement et doucement ce que je vous en représente. Gratifiez en cela mon zèle à vous servir.

3. Mes bonnes dames, vous devez corriger votre maison de tous ces défauts, qui sont sans doute contraires à la perfection de la vie religieuse. L'agneau pascal doit être sans macule (Ex 12,5); vous êtes des agneaux de la pâque, c'est-à-dire du passage (Ex 12,11); car vous avez passé de l'Egypte du monde au désert de la religion, pour vous acheminer en la terre de promission. Certes, il faut que vous soyez sans tache ou macule apparente. Mais ne sont-ce pas des macules bien noires et manifestes, que ces défauts et grands manquements que j'ai marqués ci-devant, et principalement en une telle maison? Il les faut donc corriger. Vous les devez corriger à mon avis, parce qu'ils sont petits, ce semble, et partant il les faut combattre pendant qu'ils le sont; car, si vous attendez qu'ils croissent, vous ne les pourrez pas aisément guérir. Il est aisé de détourner les fleuves en leur origine, où ils sont encore faibles; mais plus avant ils se rendent indomptables. i,/,cn«-/wf',dit le cantique ces petits renardeaux qui ruinent les vignes (Ct 2,15). Ils sont petits, n'attendez pas qu'ils soient grands; car, si vous attendez, non-seulement il ne sera pas aisé de les prendre, mais quand vous les voudrez prendre, ce sera lorsqu'ils auront déjà tout gâté. Les enfants d'Israël disent en un psaume : Filia Babylonis misera;.... beatus qui leriebit et allidet parvulos iuos ad petram (Ps 136,8-9) ! La Fille de Babylone est misérable;....', ô que bienheureux est celui qui écrase et brise ses petits contre la pierre ! Le désordre, le dérèglement des religions est vraiment une fille de Babylone et de confusion. Ah ! que bienheureux sont les esprits qui n'en souffrent que les commencements, ou plutôt les terrassent ou fracassent à la pierre de la réformation !

L'aspic de dissolution et de dérèglement n'est pas encore enclos en votre maison; mais prenez bien garde à vous, ces défauts en sont les oeufs ; si vous les couvez en votre sein, ils écloront un jour à votre ruine et perdition, et vous n'y penserez pas. Mais si ces défauts sont petits, comme il peut sembler à quelques-unes, n'êtes-vous pas beaucoup moins excusables de ne les pas corriger ? Quelle misère, disait aujourd'hui S. Chrysostome, dans l'homélie de l'Évangile de sainte Cécile, de laquelle nous faisons la fête ; quelle misère de voir une troupe de filles avoir combattu, battu et vaincu le plus fort ennemi de tous, qui est le feu de la chair, et néanmoins se laisser vaincre à ce chétif ennemi, Mammon, dieu des richesses ! Et certes toutes propriétés et particularités de moyens en religion se réduisent à Mammon de l'iniquité (Lc 16,9). C'est pourquoi, disait-il, ces pauvres vierges sont toutes appelées folles, parce qu'après avoir dompté le plus fort, elles se rendent au plus faible (5).

 (3) Non est corporum et pecuniau par cupiditas ; sed acrior multo atque vehementior illa corporum est. Quantô igitur cum imbecilliorc luctantur, tantô minus veniîi dignaî simt. Idcirco etiam fatuas appellavil, quoniam, majori certamine supera.tn, in faciliore to-lum percliderunt. S. Chrysost. Homil. i.xxix, in Malt., posi hiitium.


Votre maison excelle en beaucoup d'autres perfections, et est incomparable en icellcs à toutes autres : ne sera-ce pas un grand reproche d'en laisser ternir la gloire par ces chétives imperfections ! On vous appelle, par une ancienne estime et prérogative de votre maison, Filles de Dieu; voulez-vous perdre cet honneur par le défaut d'une réformation en ces petites défectuosités; pour un potage de lentilles perdre la primogéniture (Gn 25,29-34) que votre nom semble vous avoir donnée par le consentement de toute la France ?

C'est à la vérité une marque de très-grande imperfection au lion et à l'éléphant, qu'après avoir vaincu les tigres, les boeufs, les rhinocéros, ils s'effraient, s'épouvantent et trémoussent, le premier devant un petit poulet, et l'autre devant un rat, dont la seule vue leur fait perdre courage: cela est un grand déchet de leur générosité ; et est aussi une grande tare (1) ( qui signifie défaut ) à la bonté de votre maison, d'y avoir des pensions particulières et semblables défauts, après que l'on y a vu tant d'autres qualités louables. Soyez donc fidèles en la réformation de ces menues imperfections ; afin que votre époux vous constitue sur beaucoup de perfections, et qu'il vous appelle un jour à sa gloire (Mt 25,21).

4. Mais après tout cela, permettez-moi, je vous supplie, de vous dire mon opinion touchant ces défauts. Ils sont à la vérité petits, si on les met en comparaison des plus grands : car ce ne sont que commencements; et tout commencement, soit en mal, soit en bien, est toujours petit. Mais si vous les considérez en comparaison de la vraie et entière perfection religieuse, à laquelle vous devez aspirer, ils sont sans doute très-grands et très-dangereux. Est-ce, je vous supplie, un petit mal que celui qui attaque et gâte une partie noble de votre corps, à savoir le voeu de pauvreté ? On peut être bonne religieuse sans chanter au choeur, sans porter tel ou tel habit, sans telle ou telle abstinence ; mais sans la pauvreté et communauté, nulle ne le peut être.

Le vermisseau qui rongea la courge de Jonas semblait être petit ; mais sa malice était si grande que l'arbrisseau en périt (Jon 4,6-7). Les défauts de votre maison semblent bien minces ; mais, leur malice est si grande qu'elle gâte votre voeu de pauvreté.



(1) Tare est une défectuosité qui se trouve en quelque chose, soit au poids, au compte ou à la substance. Quand on fond les métaux, il y a toujours de la tare, de la diminution, par ce qui s'évapore ou se tourne on scorie:



Ismaël était petit garçon, mais incontinent qu'il commença à piquer et agacer Isaac, la sage Sara le fit échapper, avec Agar sa mère, hors de la maison d'Abraham (Gn 21,9-14 Ga 4,29), c'est-à-dire, du grand père céleste. Il y a eu une Sara et une Agar; cette partie supérieure et en certaine façon surhumaine; et l'autre plus basse et humaine ; l'esprit et l'intérieur, et le corps avec son extérieur. L'esprit a engendré le bon Isaac.: c'est le voeu que vous avez fait comme un sacrifice volontaire sur la montagne de la religion (Gn 22,9-12), ainsi qu'Isaac sur la montagne de vision, s'offrit de volonté en sacrifice. La chair et partie corporelle n'engendre qu'Ismaël : c'est le soin et le désir des choses extérieures et temporelles. Pendant que cet Ismaël, ce soin et désir, n'attaque point votre Isaac, c'est-à-dire votre voeu et profession, bien qu'il demeure chez vous et en votre maison, j'en suis content, et, ce qui est le principal, Dieu n'en est point offensé; mais quand il agace votre voeu, votre pauvreté, votre profession, je vous supplie,, mais je vous conjure, chassez-le et le bannissez. Qu'il soit tant petit qu'il voudra, qu'il soit tant enfant qu'il vous plaira, qu'il ne soit pas plus grand qu'une fourmi; mais il est mauvais, il ne vaut rien, il vous ruinera, il gâtera votre maison.

Encore trouvé-je ce mal en votre maison bien grand, parce qu'il y est maintenu, parce qu'il y est en repos, et qu'il y séjourne comme habitant ordinaire. C'est le grand mal que j'y vois, que ces particularités sont meshui bourgeoises. Les mouches mourantes, dit le Sage (Qo 10,1), perdent la suavité du baume et onguent. Si elles ne faisaient que passer sur l'onguent, et le sucer en passant, elles ne le gâteraient pas ; mais y demeurant mortes et comme ensevelies, elles le corrompent. Je veux que les manquements et défauts de votre maison ne soient pas que mouches; mais le mal est qu'elles s'arrêtent sur votre onguent ; elles y arrêtent, et y sont ensevelies avec faveur. Pour petit que soit le mal, il croit aisément quand on le flatte et qu'on le maintient. Nul ennemi, disent les soldats, n'est petit quand il est méprisé. Ce sont les raisons que Dieu m'a données pour vous prier de vouloir réformer votre maison touchant ces petites ou grandes fautes que l'on m'a dit y être ; mais je ne puis assouvir le désir que j'en ai.

J'ai encore voulu considérer quels empêchements vous pourraient rendre ce saint oeuvre malaisé, et vous en dire mon avis. Je me doute que vous n'estimez pas qu'en ces pensions et autres particularités il y ait aucune propriété contraire à votre voeu, parce qu'à l'aventure tout s'y fait sous la permission et licence de la supérieure. C'est déjà un mauvais mot que celui de permission et licence parmi l'esprit de perfection. Il serait mieux de vivre sous les lois et ordonnances, que d'avoir exemptions, licences et permissions. Vous voyez déjà un sujet de information.

Moïse avait donné une permission et licence touchant l'intégrité du mariage (Dt 24,1). Notre Seigneur, réformant ce saint sacrement, et le remettant en sa pureté, protesta que Moïse ne l'avait permis qu'à force et contrainte, pour la dureté de leurs coeurs (Mt 19,7-9). Bien souvent les supérieures plient ce qu'elles ne peuvent rompre, et permettent ce qu'elles ne peuvent empêcher ; et la permission par après a été ruse et malice, qu'ayant duré quelque temps elle s'en fait accroire; et au contraire des choses qui vieillissent, elle se renforce et semble perdre petit à petit sa laideur et sa difformité. Les permissions n’entrent jamais que par grâce dans les monastères ; mais y ayant pris pied, elles y vont demeurer par force, et n'en sortent jamais par rigueur.

Mais, outre cela, je dis qu'il n'est rien de si semblable que deux gouttes d'eau : néanmoins l'une peut être de roses, et l'autre de ciguë ; l'une guérit, et l'autre tue. Il y a des permissions qui peuvent être aucunement bonnes ; mais celle-ci ne l'est pas : car c'est enfin une propriété, quoique voilée et cachée ; c'est l'idole que Rachel tenait cachée sous sa robe (Gn 31,34).
On dit que la supérieure le permet, et que c'est sous son bon plaisir ; voilà Rachel qui parle. Mais ce sont les pensions d'une telle soeur, et non pas d'une autre ; voilà l'idole de la propriété. Si ce n'est pas propriété que l'une a plus de commodité sans nécessité, et l'autre plus de nécessité sans commodité, que veut dire qu'étant toutes soeurs, vos pensions ne sont pas soeurs ? L'une souffre, et l'autre ne souffre point; l'une a faim, dirai-je presque comme S. Paul (1Co 11,21 Ph 4,12), l'autre abonde. Ce n'est pas là une communauté de notre Seigneur. Appelez-la comme vous voudrez ; mais c'est une pure propriété ; car là où il n'y a point de propriété, il n'y a point de mien et de tien, qui sont les deux mots qui ont produit le malheur du monde. Le religieux qui a un liard ne vaut pas un liard, disaient les anciens.

L'amour et tendre affection que vous portez à votre maison peut aussi être un grand empêchement à la réformation d'icelle ; parce que cette passion ne peut permettre que vous pensiez mal d'elle, ni que vous oyiez de bon coeur les repréhensions qu'on vous en fait. Mais prenez garde, je vous supplie; car l'amour-propre est rusé, il se fourre et glisse partout, et nous fait accroire que ce n'est pas lui. Le vrai amour de nos maisons nous rend jaloux de leurs perfections réelles, et non de leur réputation seulement. La femme du bon Tobie prit à point d'honneur un avertissement de son mari, parce qu'il semblait révoquer eu doute l'estime de sa famille (Tb 2,19-23). Elle était trop pointilleuse : si ce mal n'y était pas, elle en devait louer Dieu ; s'il y était, elle le devait corriger. Il nous faut manger le beurre et le miel avec notre Seigneur, adoucir nos esprits, et nous humilier, choisissant le bien et rejetant le mal (Is 7,15). Les abeilles aiment leurs ruches, qui sont comme leurs maisons; je vous dis un jour que c'étaient comme des religieuses naturelles entre les animaux; mais elles ne laissent pas d'éplucher par le menu ce qui y est, et de les purger à certains temps.

Rien n'est si constant sous le ciel qu'il ne périsse ; rien de si pur qu'il ne recueille quelque poussière (5). C'est bien fait de ne point dire inutilement les défauts que l'on voit dans les maisons, et de ne les point manifester ; mais de nu lés vouloir pas reconnoître, ni confesser à ceux qui peuvent être utiles pour y donner remède, c'est un amour désordonné. L'épouse, au cantique, confesse son imperfection. Je suis noire, dit-elle (Ct 1,4-5), encore que belle... Me prenez pas garde à ce que je suis brune, c'est le soleil qui m'a hâlée. Je pense que vous en pouvez bien dire autant de votre maison : elle est belle et vertueuse, c'est la vérité ; mais la longueur du temps et des années a un petit altéré son teint. Pourquoi ne lui redonnerez-vous pas ses couleurs par une sainte réformation? Quand il y a quelque défaut passager dans une maison, on le peut dissimuler ; mais quand il est permanent et par manière de coutume, il le faut chasser alors. Il suffit d'y appeler ceux qui y peuvent servir. Ce fut un amour démesuré en David (2S 18,5-53), de ne vouloir pas qu'on défit Absalom, tout mauvais et rebelle qu'il était. Quiconque aime sa maison, en procure la santé, la pureté et réformation.

 (5) Necesse est de mundano pulvere etiam religiosa corda scordescere. S. Léo, Serm. iv, de quadragesimâ.



Je pense qu'il y a un autre empêchement à la réformation de votre maison ; c'est qu'à l'aventure vous estimez qu'elle ne pourrait se maintenir sans ces pensions, parce qu'elle est pauvre: Au contraire, je pense que ce monastère est pauvre parce que ces pensions y sont. Il y a en Italie deux nobles républiques, Venise et Gènes. A Venise, les particuliers ne sont pas si riches qu'à Gènes. La richesse des particuliers empêche celle du public. Si une fois vous étiez à bon escient pauvres en particulier, vous seriez par après riches en commun.

Dieu veut que l'on se fie en lui, chacun selon sa vocation. Il n'est pas requis en un homme laïque et mondain de s'appuyer en la providence de Dieu en la sorte que nous autres ecclésiastiques devons faire ; car il nous est défendu de thésauriser et faire marchandises, mais il n'est pas défendu aux mondains : ni les ecclésiastiques séculiers ne sont pas obligés d'espérer en cette même providence comme les religieux ; car les religieux y doivent espérer si fort, qu'ils n'aient aucun soin de leur particulier pour avoir des moyens. Or, entre les religieux, ceux de S. François excellent en cet endroit, qui est la confiance et résignation qu'ils ont en la providence divine, n'ont nul moyen ni en particulier ni en général, pratiquant pleinement la parole du Psalmiste : Jacta cogitatum tuum in Domino, et ipse te enutriet (2). Jette tout ton soin en notre Seigneur, et il le nourrira Chacun doit jeter tout son soin en Dieu, et aussi il nourrit tout le monde; mais chacun ne le jette pas en même degré de résignation : les uns l'y jettent sous le travail et industrie que Dieu leur a donnée, et par laquelle Dieu les nourrit; les autres, plus purement, sans l'entremise d'aucune industrie, tendent à cela. Ils ne sèment ni ne recueillent, et le Père céleste les nourrit (Mt 6,26). Or votre condition religieuse vous oblige à vous résigner en la providence de Dieu, sans l'aide ni faveur d'aucunes pensions ni propriétés particulières ; c'est pourquoi vous devez les rejeter.

(2) S. François cite le psaume selon les anciens psautiers. Dans la Vulgale on lit : Jacta super Dominum curam tuam, et ipse te enutriet. (Ps 54,23-25).



David admire comme Dieu nourrit les petits poussins des corbeaux (Ps 146,7-9) : aussi est-ce chose admirable. Mais ne nourrit-il pas les autres animaux? Si fait; mais non pas de la sorte, ni immédiatement, d'autant que les autres sont aidés de leurs pères et mères, et n'ont d'ailleurs moyen de travailler. Notre Seigneur les nourrit presque miraculeusement ; aussi nourrit-il toujours ses dévotes servantes et créatures, lesquelles, par la condition de leur état et profession, se sont dévouées à la communauté et pauvreté particulière, sans l'entremise d'aucun moyen contraire à leur condition.

Les cordeliers ont estimé qu'ils ne pouvaient vivre en cette étroite pauvreté que leur règle primitive requérait : les capucins leur ont fait voir clairement que si, pendant que S. Pierre (Mt 14,27-30) se fia en celui qui l'appelait, il fut assuré ; quand il commença à douter et perdre la confiance, il enfonça dans les eaux. Faisons ce que nous devons, chacun selon sa condition et profession, et Dieu ne nous manquera point. Pendant que les enfants d'Israël étaient en Egypte, il les nourrissait de la viande que les Égyptiens donnaient ; lorsqu'ils furent au désert où il n'y en avait aucune, il leur donna la manne (Ex 16), viande commune à tous et particulière à nul ; et laquelle, si je ne me trompe, représente une certaine communauté. Vous êtes sorties de l'Egypte mondaine, vous êtes au désert de la religion : ne recherchez, plus les moyens mondains ; espérez fermement en Dieu ; il vous nourrira sans doute, quand il devrait faire pleuvoir la manne.

Je me doute encore qu'il y ait un autre empêchement à votre réformations c'est qu'à l'aventure ceux qui vous l'ont proposée ont manié la plaie un peu âprement : mais voudriez-vous pour cela rejeter votre guérison? Les chirurgiens sont quelquefois contraints d'agrandir la plaie pour amoindrir le mal, lorsque, sous une petite plaie, il y a beaucoup de meurtrissures et concassures : c'a été peut-être cela qui leur a fait porter le rasoir un petit bien avant dans le vif. Je loue leur méthode, bien que ce n'est pas la mienne, surtout à l'endroit des esprits nobles et bien nourris, comme sont les vôtres. Je crois qu'il est mieux de leur montrer simplement le mal, et leur mettre le fer en main, afin qu'ils fassent eux-mêmes l'incision. Néanmoins, ne laissez pas pour cela de vous réformer. J'ai accoutumé de dire que nous devons recevoir le pain de correction avec beaucoup d’estime, encore que celui qui le porte soit désagréable et fâcheux, puisque Elie mangeait le pain porté par les corbeaux (1R 17,5-6). Ainsi celui nous doit agréer qui procure notre bien, soit qu'il en soit de tout autre point désagréable et fâcheux. Job râclait l'ordure et suppuration de ses ulcères avec une pièce de pot cassé (Jb 2,7-8) ; c'était une dure abjection, mais elle était utile. Le bon conseil doit être reçu, soit qu'il soit trempé au fiel, ou qu'il soit confit au miel.

Que tous ces empêchements ne soient point assez forts, je vous prie, pour vous retarder de faire le voyage de cette votre et nécessaire réformation. Je prie Dieu qu'Il envoie ses anges pour vous porter entre leurs mains, afin que vous ne heurtiez point aux pierres d'achoppement (Ps 90,5 Ps 90,11-12 Mt 4,6). Il me reste à vous dire mon avis touchant l'ordre que vous devez tenir.

Priez Dieu, par des oraisons communes et distinctes, à cet effet qu'il vous fasse voir les défauts de votre maison, et les moyens pour y remédier et pour recevoir la grâce. Puisqu'il est le Dieu de paix, apaisez vos esprits, mettez-les en repos ; ne permettez pas que la contention que vos esprits auront peut-être faite contre ceux qui vous auront ci-devant voulu corriger, fasse aucun préjuge contre la lumière céleste; ne tenez plus votre parti, ni celui de votre maison ; faites tout ainsi que si vous vouliez instituer une nouvelle congrégation. Selon votre ordre et votre règle, traitez-en les unes avec les autres en esprit de douceur et de charité. Lors votre époux vous regardera avec ses anges, comme nous faisons les abeilles quand elles sont doucement empressées à la confection de leur miel, et je ne doute point que ce saint époux ne parle à votre coeur, pour vous dire ce qu'il dit à son serviteur Abraham : Cheminez devant moi, et soyez parfait (Gn 17,1). Entrez plus avant au désert de la perfection : vous avez déjà fait la première journée par l'exacte chasteté, et la seconde par l'obéissance, et une partie de la troisième par quelque sorte de pauvreté et communauté ; mais pourquoi, vous arrêtez-vous en si beau chemin, et pour si peu de chose, comme sont les pensions particulières? Marchez plus avant, achevez la journée, mettez tout en commun, renoncez à la particularité, afin que, selon la sainte parole, vous fassiez une sainte immolation et entier sacrifice en esprit et en bien.

Après que vous aurez traité de votre affaire avec votre époux et par ensemble, appelez à votre secours et pour votre conduite quelques-uns des plus spirituels qui sont à l'entour de vous; ils ne vous manqueront pas. J'en nommerais quelques-uns ; mais vous les nommerez mieux que moi, et ceux-là même à l'aventure que je voudrais nommer ; ce sont gens extrêmement bons à cela, des esprits doux et gracieux, condescendants quand ce vient à l'effet, bien que leurs répréhensions semblent un petit âpres et mordicantes. A ceux-là vous devez confier votre affaire, afin qu'ils jugent de ce qui sera plus convenable ; car votre sexe est sujet dès la création à la condition de l'obéissance (Gn 3,16), et ne réussit jamais devant Dieu qu'en se soumettant à la conduite et instruction. Voyez toutes les excellentes dames (1) de la Mère de miséricorde jusqu'à présent, et vous trouverez que je dis vrai. Mais en tout je présuppose que l'autorité de madame de Fontevrault tienne son rang.

 (1) On doit entendre par ces dames les religieuses de Fontevrault, qui regardent la Mère de miséricorde comme leur mère et première abbesse.


C'est peut-être trop parler et trop écrire d'un sujet duquel vous avez à l'aventure des oreilles, déjà trop battues ; mais Dieu, devant lequel je vous excite, sait que j'ai beaucoup plus d'affection que de parole en cet endroit. Je suis indigne d'être écouté ; mais j'estime votre charité si grande, que vous ne mépriserez point mon avis, et crois que le bon Jésus ne m'a pas donné tant d'amour et de confiance en votre endroit, qu'il ne vous ait donné une affection réciproque de prendre en bonne part ce que je vous propose pour le service de votre maison, laquelle je prise et honore à l'égard de toute autre, et l'estime une des bonnes que j'ai vues. C'est cela qui m'a fait désirer qu'elle soit meilleure et parfaite. Il me fâche de voir de si grandes qualités, comme sont celles de votre maison, esclaves sous les menues imperfections, et, comme parle l'Écriture, de voir votre vertu réduite en captivité, et votre beauté spirituelle entre les mains des ennemis (Ps 77,61). C'est pitié de voir une précieuse liqueur perdre son prix par le mélange d'une petite souillure, et un vin exquis par le mélange de l'eau. Ton vin (Is 1,22), dit un prophète, est mêlé d'eau.

Je vous dirai comme votre saint patron S. Jean, qui reçut commandement d'écrire aux prélats d'Orient : Je sais vos oeuvres, qui sont presque toutes bonnes.- vous êtes presque telles, bonnes religieuses ; mais j'ai quelque petite chose à dire contre vous (Ap 1,11 Ap 2,2 Ap 4,14 Ap 19,20), il vous manque quelque chose. Je vous loue en toutes choses, dit S. Paul à ses Corinthiens (1Co 11,22) ; mais en cela je ne vous loue pas. Je vous supplie et conjure par la charité qui est entre nous, ôtez de votre maison ce qui est de trop, et ajoutez ce qui y défaut. Donnez-moi, je vous prie très-humblement, cette consolation de lire cette lettre en repos et tranquillité d'esprit, et de la priser, non au poids du vulgaire, mais au poids du sanctuaire et de la charité ; et je prie Dieu qu'il vous donne les résolutions nécessaires à votre bien, pour la plus grande sanctification de son saint nom en vous, afin que vous soyez de nom et d'effet ses vraies filles. Je me promets l'assistance de vos oraisons pour toute ma vie, et plus particulièrement pour cette entrée que je fais en la laborieuse et dangereuse charge d'évêque, afin que, prêchant le salut aux autres, je ne sois réprouve à damnation (1Co 9,27).

Dieu soit notre paix et consolation.

Je suis et serai toute ma vie, mes révérendes dames et très-chères soeurs en Jésus-Christ, votre, etc.


LETTRE XLI, AUX CHANOINES DE SAINT-PIERRE DE GENEVE.

Il leur écrit au sujet de sa nouvelle promotion à l'évêché de Genève.

Au château de Sales, fin de novembre 1602.

Messieurs,

Je voudrais voir en moi autant de sujet de la joie que vous avez de ma promotion comme j'en vois en l'amitié que vous me portez ; j'aurais beaucoup moins d'appréhension de la pesanteur du devoir auquel je me vois porté. Je me confie néanmoins en la bonté de Dieu (laquelle ne nous défaut jamais es choses nécessaires) qu'il me donnera la grâce de sa sainte instance, pour vous, rendre le service que je désire, et auquel mon éducation et ma naissance m'invitent. Si vous me faites ce bien de l'en supplier avec moi, vous aurez toujours plus de raisons de vous le promettre, et moi de l'espérer, comme l'un des plus grands contentements que jamais j'aie souhaités. Permettez-moi cependant que je vous salue dès ici, attendant que bientôt, j'aie le bonheur de vous voir en votre ville, à laquelle je désire la paix et la consolation du Saint-Esprit, et de laquelle je suis entièrement, comme de vous, messieurs, le serviteur, etc.



LETTRE XLII, A UNE PERSONNE DE CONFIANCE.

(Tirée de la vie du Saint, par Maupas.)

Il rend compte des résolutions qu'il prend pour la suite de sa vie, et des bons sentiments qu'il a dans sa retraite. Avantage de cet exercice.

Fin de novembre 1602.

Je fais la revue de mon âme (1), et sens au fond de mon coeur une nouvelle confiance de mieux servir Dieu (Lc 1,74-75) en sainteté et en justice, tous les jours de ma vie. J'ai eu de grands sentiments des infinies obligations que je lui ai ; j'ai résolu de m'y sacrifier avec toute la fidélité qu'il me sera possible, tenant incessamment mon âme en sa divine présence, avec une allégresse non point impétueuse, mais, ce me semble, efficace pour le bien aimer : car-rien du monde n'est digne de notre amour ; il le faut tout à ce Sauveur, qui nous a tout donné le sien. Je vois tous les contentements terrestres un vrai rien auprès de ce régnant amour, pour lequel je voudrais volontiers mourir, ou tout au moins vivre pour loi seul. Qu'il me -tarde que ce coeur que Dieu m'a donné lui soit inséparablement et éternellement lié ! C'est pourquoi je finis mon occupation avec un grand désir de m'avancer en cette précieuse dilection. Et pour m'y disposer :

Le matin, après que j'aurai invoqué le nom de Dieu, et m'y serai dédié, je ferai une heure de méditation selon que je l'aurai prémédité. Je produirai force oraisons jaculatoires pendant la journée, selon que le Saint-Esprit m'inspirera ; comme aussi, pour célébrer plus dévotement la sainte messe, je m'occuperai, jusqu'à ce que je sois à l'autel, dans toutes les considérations et affections par lesquelles la piété peut être excitée envers ce grand mystère.

Je ferai tous les ans huit ou dix jours de retraite, pour examiner les progrès de mon âme, ses inclinations, ses difficultés, ses défauts. C'est en cette retraite où on regarde le ciel de bien près, et où on trouve la terre bien éloignée de ses yeux et de son goût ; et lorsque les saintes aines qui sont engagées pour le public ne peuvent jouir de cette félicité, elles font un cabinet en leur coeur, où elles vont étudier la loi de leur maître, et la reçoivent de sa propre main. De plus, en celle montagne, qui est si élevée qu'on n'y entend point le bruit des créatures, on goûte (Ps 33,8), comme dit le prophète, que Dieu est doux et suave. C'est par la pratique de cet exercice, que nous apprenons si nous avançons à la vertu, où l'on prend les saintes et solides résolutions de vivre selon les lois de la véritable et éternelle sagesse.

(1) Notre saint était alors en retraite au château, de Sales, pour se préparer à son sacre.




LETTRE XLIII.

S. FRANÇOIS DE SALES, A SA SAINTETÉ LE PAPE CLÉMENT VIII.

**:

Au commencement de 1605.

Ostendit consilium à Catharina Aurelianensi de fundandis ordinis carmelitarum virginibus susceptum dignum esse quod autoritate apostolica fulciatur..


Beatissime Pater,

Cum essem Lutetia? Parisiorum, ejus rei gerendoe gradé, de cujus exitu non ità pridem ad beatitudinem vestram litteras dedi, facere non potui quin plures conciones haberem, cum ad populuni, tum ad regem ipsum et principes. EA autem occasione, Catharina Aurelianensis, prin-ceps à Longavillâ, virgo non tantum magnorum principum sanguine, sed etiam, quod caput est, Christi charitate perillustris, quoe per id tempus monasterium foeminarum ordinis carmelitarum reformatarum in ipsà Parisiensi civitate fundare animo moliebatur, me aliquot excellente pietate et doctrinà theologis adjungendum duxit, quorum sententiis animi sui consilium et sensum expen-deret et probaret.

Itaque convenimus omnes aliquot diebus ; eâque re exacte perpensâ, vidimus perspicuè consilium hoc à Deo originem duxisse, et ad ejus gloriain multorumque salutem quàm maxime spectàre. Angebat tamen quôd fieri posse non videbatur, ut fratres ejusdem ordinis, qui monasterii hujus-modi gubernacula susciperent, in Galliam facile inducérentur : verum huic difficultati obviàm ituin est, ex recenti exemplo ejus monasterii illius ejus-demqu.e ordinis, quod inUrbe unius exp'atribus congregalionis oràtorii curoe commissum est.

Quare sclecti sunt viri très, doctrinà, morum integritateacrerumgerendarumpéritià conspirai, qui, maximo monasterii bono, operi prafici pos-sent, atque ità deinceps omnibus difficultatibus qua3 ex locorum et temporum injuria orirentur sigillatim (occurrere).

Ità factum est satis, ut aliud superesse non viderctur,.quàm ut sacrum hoc ncgotium sancta; sedis apostolicoe judicio fulciretur, et régis vo-luntati permitteretur : ac.régis quidem, proeter multorum spem, statim consensus accessit. Quare nunc ad beatitudinis vestrae pedes mittitur hic nuntius, qui suppliciter ab eâ petat apostolica mandata, quibus res constet et pevficiatur.

Ego verô, beatissime pater, qui omnibus pro-pemodum hâc de re consiliis interfui, etsi dignus non sum cujus testimonium audiatur, non possum mih'i temperare quin, qucmadmodum facturum me recepi, tëstatum faciam, quoad pcr me flcri po-test', è re christianâ fore, ut hi coelestes motus, hoc tempore, et eo proesertim loco, vestrae beatitudinis apostolicis bencdictionibus promovean-tur. Id princeps hoee virgo, id permultae alias, -id ego cum eis, humillimis petimus precibus. Deus autem optimus maximus beatitudinem vestram nobis et bonis omnibus quàm diutissimè servet incohimcm !

Il lui fait part du dessein de madame la duchesse de Longueville, de fonder à Paris un monastère de carmélites, et d'établir cet ordre en France. Il pense que cette entreprise est digne d'être appuyée par l'autorité apostolique.'



Très-saint Père.

Étant à Paris pour l'affaire au sujet de laquelle j'ai eu l'honneur d'écrire il n'y a pas longtemps à votre sainteté, je ne pus éviter de prêcher devant le roi, les princes et le peuple. A cette occasion, madame Catherine d'Orléans, duchesse de Lon-gueville, princesse très-illustre, non-seulement par la noblesse de son sang et des princes de sa maison, mais encore par la charité de Jésus-Christ qui règne dans son coeur, ayant dessein de fonder dans Paris un monastère de carmélites, me fit appeler avec d'autres théologiens d'une piété éminente et d'un profond savoir, pour délibérer ensemble sur cette fondation.

Nous nous assemblâmes pour cet effet pendant quelques jours ; et la chose étant mûrement examinée, les raisons de part et d'autres bien pesées et considérées, nous trouvâmes que ce dessein était inspiré de Dieu', et qu'il tournerait à sa plus grande gloire et au salut d'un grand nombre de personnes. Une seule chose nous fit de la peine, et semblait devoir tout arrêter ; c'était la difficulté de faire venir en France des pères (carmes) de la réforme de Ste Thérèse, pour gouverner ces religieuses. Mais ayant fait réflexion qu'il s'est établi tout récemment à Rome un monastère de carmélites déchaussées, qui est dirigé par un père de la congrégation de l'oratoire (1), la difficulté s'anéantit aussitôt.

On a donc jeté les yeux sur trois hommes distingués parleur sainteté et par l'intégrité de leurs moeurs, et très-versés dans la conduite des affaires, pour prendre soin des biens de cette communauté, et pour présider à cette bonne oeuvre. Par ce moyen on a obvié aux inconvénients qui pourraient arriver dans la suite par l'injure des temps et la caducité des lieux.

Il ne reste rien maintenant à désirer, sinon que le Saint-Siège apostolique donne les mains à cette entreprise, et l'abandonne à la volonté du roi, qui a déjà donné son consentement, contre l'attente de presque tout le monde. C'est pourquoi, très-saint père, ce courrier va se jeter aux pieds de votre sainteté, pour la supplier d'accorder ses bulles apostoliques, afin d'achever heureusement et cimenter à perpétuité cet établissement.

Pour moi, quoique très-indigne que mon témoignage soit entendu, cependant, parce que j'ai été présent à toutes les délibérations que l'on a faites sur cette affaire, et que je me suis engagé à déclarer ce que j'en pense à votre sainteté, je ne puis m'empêcher, très-saint père, de vous assurer, autant qu'il est en moi, que cette fondation, qui vient d'un mouvement de l'esprit de Dieu, étant -accompagnée de votre bénédiction et appuyée de votre autorité, ne peut être que très-utile à la chrétienté, eu égard au temps où nous vivons, et au lieu où elle se fera. C'est la grâce que vous demande très-humblement cette vertueuse princesse, aux supplications de laquelle grand nombre de personnes du même mérite et du même rang joignent les leurs, et moi principalement, qui supplie aussi la divine Majesté de vous conserver longtemps en santé pour ma consolation particulière et celle de tous les gens de bien. J'ai l'honneur d’être, avec un très-profond respect (2), très-saint père, etc.


(1) La congrégation de l'oratoire dont il est parlé dans cette lettre, est celle de Rome, qui a pour auteurs. Philippe de Néri; et il ne faut pas la confondre avec celle de France, fondée par M. de Bérulle.
(2) M. de Bérulle, depuis cardinal, et fondateur des prêtres de l'oratoire en France, joignit ses sollicitations à celles de notre Saint, et le succès répondit à l'attente de ces deux grands hommes ; car ils obtinrent un bref du pape Clément VIII, et ensuite les lettres patentes de Henri IV. L'installation du monastère se fit en 1604?






LETTRE XLIV, A UNE DAME RELIGIEUSE, NOVICE.

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F. de Sales, Lettres 167