F de Sales, Entretiens 26

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RECUEIL DE CE QUE NOTRE BIENHEUREUX PÈRE DIT A NOTRE SOEUR CLAUDE-SIMPLICIENNE, RELIGIEUSE EN NOTRE MONASTÈRE D’ANNECY (1)

Vous dites que vous feriez ce que je ferais si j’étais là-dedans, ma chère fille. Et que c’est que 2 je ferais? Je n’en sais rien : qu’en peux-je savoir? Je ne ferais pas si bien que vous, car je suis un poltron, je ne vaux rien moi ; mais il m’est avis qu’avec la grâce de Dieu, je me rendrais si attentif à la pratique des vertus et menues observances qui sont introduites là-dedans, que par ce moyen je tâcherais de gagner le coeur de Notre-Seigneur. Je ferais bien le silence, et parlerais aussi quelquefois au silence, je veux dire toujours quand la charité le requerrait, mais non pas autrement. Je parlerais bien doucement et bas toujours; j’y ferais attention particulière parce que les Constitutions l’ordonnent. Oh! de cela 3 il m’est avis que je le ferais. J’ouvrirais et fermerais les portes bien doucement, parce que notre Mère l’a ainsi ordonné, car nous voulons bien

1. Cette Religieuse, qui avait reçu le voile en qualité de Soeur converse à la Visitation d’Annecy, le 2 juillet 1614, mérita par son innocence et sa candide simplicité la spéciale bienveillance de saint François de Sales. (Voir sa biographie dans Les Vies de VII Religieuses de l’Ordre de la Visitation Sainte Marie, par la Mère de Chaugy ; Annecy, Jacques Clerc, 1659.)

2. qu’est-ce que — 3. cela

faire tout ce que nous savons qu’elle veut que l’on fasse. Je porterais la vue si basse parmi 4 la maison, et marcherais bien doucement. Ma chère fille, Dieu et ses Anges nous regardent toujours et aiment extrêmement ceux qui font bien.

Il m’est avis que si je m’étais donné une bonne fois à Notre-Seigneur en cette sorte, comme on fait lorsqu’on fait Profession, que je lui laisserais bien tout le soin de moi-même et de tout ce qui me regarde; je le laisserais faire de moi tout ce que l’on voudrait, au moins ce me semble. Si on m’employait à quelque chose, ou que l’on me donnât une charge, je l’aimerais bien et tâcherais de bien faire tout ce à quoi je serais employé, et si on ne m’en donnait point, qu’on me laissât là, à cette heure je ne me mêlerais de rien que de bien faire l’obéissance et bien aimer Notre-Seigneur; il m’est avis que je l’aimerais bien de tout mon coeur. Partout là où je me trouverais j’y appliquerais bien mon esprit le plus qu’il me serait possible, et à bien observer les Règles et Constitutions. Oh ! cela il nous le faut bien faire le mieux que nous pourrons, car à cette heure, nous deux nous nous faisons Religieux pour cela : n’est-il pas bien vrai? Je suis bien aise qu’il y ait une Soeur Claude-Simplicienne, car je l’aime de tout mon coeur ma Soeur Claude-Simplicienne. Elle veut tenir ma place et toujours mieux faire. Voulons-nous pas bien faire nous deux ? Tâchons de faire du mieux 5 que nous pourrons.

Pour bien faire, entreprenons de bien mortifier

4. dans —5. le mieux

nos humeurs et inclinations un peu bien à la bonne foi et tout de bon, car nous n’avons rien autre qui nous puisse empêcher de bien faire que cela. Rien ne nous doit empêcher de bien faire tout ce qui est marqué en nos Constitutions; avec la grâce de Dieu, nous le pouvons et devons faire. Jamais nous ne nous devons étonner ni décourager pour être sujettes à faire des fautes; nous en ferons toujours, Dieu le permettant ainsi pour nous faire pratiquer l’humilité: de nous-mêmes nous ne pouvons rien autre chose.

Il m’est avis que si j’étais là-dedans je serais bien joyeux; je serais si content d’avoir tous mes exercices marqués! Mais je ne m’empresserais jamais, oh! non; cela je le ferais encore bien, ce me semble, car dès à cette heure 6 je ne m’empresse jamais, je fais déjà cela.

Je m’humilierais en faisant les pratiques de vertu et d’humilité même, selon les rencontres; et si je ne savais pas m’humilier, je m’humilierais encore de ce que je ne saurais pas m’humilier. Et toujours je tâcherais, le mieux que je pourrais, de faire toutes mes actions en la présence de Dieu, avec le plus d’humilité et d’amour qu’il me serait possible, car on apprend céans à faire ainsi, n’est-il pas vrai? Et qu’avons-nous à faire nous autres que cela? Rien du tout. Il m’est avis que je me tiendrais bien bas et petit au prix 7 des autres. Si nous avons bien eu le courage de quitter ce que nous avions au 8 monde, il en faut bien plus avoir pour nous quitter nous-mêmes. C’est bien peu ce que nous laissons au monde, mais

6. dès maintenant — 7. en comparaison — 8. dans le

puisque c’est tout ce que nous pouvions avoir, c’est tout quitter. A cette heure 9 nous n’avons rien à faire que ce qui est écrit pour nous. Commençons tous les jours à mieux faire.

Je lirais bien souvent le chapitre De l’Humilité et De la Modestie : et vous, ne les lisez-vous pas bien souvent? Quelquefois ? Nous ferons prou, je le sais bien moi, et Dieu nous aidera. Faisons bien, nous avons bon courage.

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DIEU SOIT BÉNI !

9. maintenant



EXTRAITS DE L’HISTOIRE DE LA GALERIE 1

Quand Notre-Seigneur me fit l’incomparable grâce d’entrer dans notre Institut, il n’y avait encore que six Religieuses, qui vivaient comme des Anges en pureté et en amour, et qui étaient gratifiées de plusieurs grâces extraordinaires en l’oraison, en sorte que l’on aurait oublié de prendre les nécessités du corps, si notre saint Fondateur ne nous eût fait comprendre qu’il désirait que nous fussions aussi promptes à obéir au premier coup de cloche pour aller au réfectoire, aux récréations et au coucher, comme au réveil et à l’Office, nous disant: « Mes chères Filles, le même Dieu qui vous appelle à l’Office et à l’oraison, vous appelle à la réfection et au repos; et comme je désire que vous soyez des filles mortifiées à toutes propres volontés, je souhaite qu’à tout moment du jour et de la nuit vous viviez en esprit de sacrifice intérieur, ce qui vous tiendra place de disciplines, jeûnes, cilices, etc. Et je vous assure, mes [Filles] très aimées de notre commun Maître, que vous ravirez son coeur étant fidèles

1. On donne ce nom au récit que fit la Mère MarieAdrienne Fichet des commencements de la Visitation, alors que la petite Communauté habitait au faubourg d’Annecy, une humble demeure désignée sous le nom de Maison de la Galerie.

à toutes les pratiques de vos Règles, car elles ne sont point ouvrage d’homme mais du Saint- Esprit. Je vous assure que je n’y ai rien écrit que par son inspiration. La première qu’il m’a donnée a été de bâtir une sainte retraite pour des filles infirmes de corps et saines d’esprit; c’est pourquoi je ne veux pas qu’on introduise d’autres austérités que celles qui sont marquées. »

Il arriva un fort petit dissentiment entre nos Soeurs Favre et de Chastel, pour une pratique de vertu. Notre saint Fondateur, à qui l’on ne cachait rien, en fut averti. Il vint faire un Entretien à la Communauté, et entr’autres choses il parla de l’union qui devait être parmi nous; puis s’adressant à notre digne Mère, il dit : « Mes chères Filles sont-elles bien unies et en amitié les unes parmi les autres? Il pourrait bien arriver quelquefois qu’elles pourraient avoir prononcé quelques paroles moins douces et moins respectueuses. Si ce mal arrivait, de quoi il ne se faudrait point étonner, voici le remède. La Soeur grondeuse se mettra à genoux et dira à celle qu’elle aura fâchée: Ma Soeur, je vous demande pardon, je supplie Votre Charité de prier pour ma conversion.» Il ajouta : « Commençons ici cette pratique; ma Soeur Péronne-Marie et ma Soeur Marie-Jacqueline, approchez-vous, mettez-vous à genoux, et que ma Soeur Péronne-Marie demande le pardon. » Ce qu’elles firent sans peine, elles s’embrassèrent très cordialement, et notre saint Fondateur dit: « Voilà qui va bien, je suis bien content. Or sus, mes chères Filles, dans nos difficultés, allons trouver notre Mère, sans nous amuser à nous vouloir résoudre nous-mêmes, qui ne sommes pas bons juges dans nos propres causes; et nous pratiquerons les deux chères vertus de notre divin Maître, qui nous bénira éternellement. »

Une fois nous vîmes notre Soeur de Chaste! qui mangeait une pomme pourrie au réfectoire; nous lui en fîmes la guerre à la récréation. Notre saint Fondateur le sut; il nous dit dans un Entretien de tenir les yeux baissés au réfectoire, pour ne pas gêner celles qui voudraient faire de semblables mortifications. « Il faut, mes chères Filles, » nous dit-il, « s’édifier des vertus de nos Soeurs, sans en rire ni leur en parler, crainte que la vanité leur en fasse perdre le mérite. Je désire fort qu’on ne parle point de la mangeaille parmi nous; mangeons à la bonne foi ce qui nous sera présenté, qu’il soit à notre goût ou non; pourvu que notre sac à vers se soutienne, c’est assez. »

« Mes chères Filles, il se faut porter un grand respect les unes aux autres. Je sais que les Pères Jésuites, s’ils se rencontrent cent fois le jour, ils tirent toujours le bonnet; et pour vous, vous vous ferez l’enclin de la tête seulement lorsque vous vous rencontrerez; et pour observer plus d’éloignement des manières du monde, aux séculières vous ferez des enclins. Cela sera-t-il bien, mes Filles ? » Toutes répondirent : « Oui, Monseigneur. »

« Il a passé ici un Père Feuillant, » reprit le Saint, « qui m’a dit qu’il y avait des Religieuses en Italie tellement attachées à leurs chapelets, images et étuis ou choses semblables, qu’il s’en est trouvé qui auraient mieux aimé sortir de leur couvent que de les quitter. C’est pourquoi j’ai pensé qu’il faudrait changer toutes ces choses entre vous, à fin de ne s’attacher qu’à Dieu; et pour cela il faut choisir le dernier jour de l’an, quand on tire les Saints. Les Pères Jésuites les tirent tous les mois, mais nous, nous nous contenterons que ce soit tous les ans. » — « Comme faut-il faire ?» dit notre Mère de Bréchard. « Vous prendrez tous vos chapelets, » dit-il, « vos croix et ce qu’il faut changer; vous en ferez des petits monceaux, vous mettrez le [nom du] Saint dessus, puis vous tirerez au sort. Mais voici le meilleur, mes chères Filles: j’ai grande aversion à ces façons de faire de quelques Religions, où l’on appelle madame l’Ancienne, madame l’Elue, madame ceci, madame cela.

« C’est pourquoi, afin qu’il n’y ait point de ces prééminences parmi nous qui sommes petites, on tirera les rangs, mettant dans les billets des Saints, 1 à l’un, à l’autre 2, ainsi de suite, selon le nombre que vous serez. Chacune tirera au sort, et gardera pour l’année suivante le rang qui lui écherra; ainsi faisant, nous vivrons parfaitement dépouillées. » Ayant dit cela, il nous donna sa bénédiction et se retira.

Le jour de saint Laurent, de l’année 1612, notre bienheureux Père fit un Entretien à la Communauté. Notre vénérable Fondatrice lui demanda Monseigneur, qu’est-ce qu’affabilité et sobriété ?»

« L’affabilité,» dit-il, « mes chères Filles, se pratique, comme dit saint Paul, se rendant tout à tous pour les gagner tous, s’accommodant à la façon et humeur des autres, compatissant aux affligés; car il ne serait pas à propos d’aller rire près d’une personne affligée, ni de même, paraître triste devant une autre qui serait dans la joie.

« La sobriété est de manger selon sa nécessité, « rien de plus, chacune selon sa portée; les mélancoliques pour l’ordinaire mangent plus que « les autres. Voilà, par exemple, deux personnes: l’une est fort altérée et boira deux verres de vin; l’autre qui l’est moins, si elle en boit autant elle manque à la sobriété et tempérance. Il en est de même du manger. »


DEO GRATIAS !

Fin des Entretiens de saint François de Sales, docteur de l’église catholique,

Source : l’abbaye Saint Benoit, Port Valais Suisse, Europe

http://www.abbaye-saint-benoit.ch/bibliotheque.htm





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