François S.: avis, sermons 204

204

Soeur Anne Marie Rosset 15.10.1618 (XXVI,329) lors de son départ pour fonder le monastère de Bourges

(cf XVIII,295,296 ; XIX, 33)
Etre couverte d'humilité. - Moins on sent de capacité en soi, plus il faut s'appuyer avec confiance sur Notre-Seigneur. - La Mère Rosset doit être " Depenciere " des dons de Dieu. - Vertus qu'elle devra pratiquer envers les âmes appelées à la Visitation.

Monseigneur m'a dit que les armes quil faut emporté pour aler en quelque fondation ne sont autre que la saincte humilité, de laquelle vertu il m'a dit quil me faloit estre toute couverte ; car l'humilité est toute genereuse, et nous fait entreprendre avec un courage invincible tous ce qui regarde le service de Dieu et l'agrandissement de sa gloire. Et moins nous sentons de capacité en nous pour ce faire, dautant plus nous nous devons serrés et ataché a Nostre Seigneur, nous confiant et apuyant toutalement en luy seul, en son assistance et en sa grace, laquelle sa Bonté ne manquera de nous donné pour nous acquiter de nostre devoir selon sa sainte volonté, si nous sommes remplie d'humilité et deflance de nous mesme ; car il est tout assurer que nous ne pouvons chose quelconque de nous mesme, mais c'est la verité qu'en Dieu toutes choses nous seront possible.
Nous ne sommes pas Econnome ni Superieure des talans et dons que Dieu a mis en nous, mais seulement Depenciere, pour les distribuer aux autres, pourtant l'esprit de la Visitation par tout afin de le repandre au prochain ; tachant de polir, purifier et formé les esprits de celles que Nostre Seigneur nous commettra, qui se trouveront fort divers, esquels il faudra que nous exercions une grande douceur, simplicité, suport et patience pour les voir cheminer le petit pas et tousjours commettre des imperfections ; inculquant en ces ames là la vraye humilité, generosité, douceur et charité, qui est le vray esprit de nos Regles, afin que par ce moyen elles parviennent a la perfection de l'amour sacré et a l'union de leurs ames avec sa divine Majesté, qui est la fin pour laquelle elle les a apellé a la Religion.
Revu sur une copie faite par la Soeur Rosset, conservée à la Visitation d'Annecy

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Avis à des Visitandines

1612 -1618 (XXVI,318) Sr Rosset ? Cf XIX,33)
Aux peines d'esprit et de cors que vous endures, consoles vous en considerant cinq choses :
Premierement, que cela arrive par la volonté de Dieu, ou permission, qui la juge estre a sa plus grande gloire et vostre plus grand bien que cela se fist ainsy.
La seconde, que vos pechés meritent bien cela et davantage.
La troisiesme, que Dieu est la present qui contemple si en l'occasion qu'il vous donne de prattiquer la vertu, vous prattiqueres la bonne résolution qu'aves prise de ne le jamais quitter ni offenser.
La quatriesme, que la sainte humanité du Filz de Dieu a bien plus enduré, plus innocemment et plus injustement que vous ; encourages vous donq par son exemple a patir, et vous res-jouisses d'avoir ce moyen de l'imiter en cela.
La cinquiesme, que tous les maux que l'on vous fait sont autant de couronnes au Ciel, si vous les supportes ; si bien que ceux qui sont vos malfaicteurs soyent vos bienfacteurs.

PRATTIQUE DE L'HUMILITÉ

Faire toute chose, tant extérieure qu'interieure, avec desir de s'humilier et rendre abjecte.
Se tenir pour la moindre de toutes et vous res-jouir quand l'on vous tient pour telle. Rabaisser souvent vostre coeur devant Dieu ; aymer que l'on connaisse vos fautes et lourdises, ou infirmités, et ne rien faire pour les couvrir. Aymer çherement vostre abjection et la tirer de toute chose.
Ne nous troublons point pour nos fautes, ni pour nostre peu d'advancement, ni pour rien qui soit en nous, ni que nous puissions faire.
Ne se point excuser, ni intérieurement, ni par paroles et actions.
Parfumer son coeur des pensees d'abjection qui viennent.
Se rendre grandement sousmise en toute chose, pour petite qu'elle soit ; estre facile a condescendre a toutes ; en toutes choses ne rien faire pour estre loüee ni estimee.
Ne point desirer ni aymer que l'on appreuve ou estime ce que nous disons ou faisons.
Nous res-jouir de voir et entendre parler de la vertu

PRATTIQUE DE LA MODESTIE

N'estre point legere en ses paroles et actions.
Avoir le visage et les yeux sereins, sans fronce ni mine froide et melancholique ; porter la veuë basse et marcher avec un maintien humblement rabaissé ; estre cordiale et franche entre les Seurs.
Se porter et parler avec un grand respect.
Ne point trop familiariser, principalement avec celles a qui nous avons de l'inclination.
Se saluer par l'inclination de la teste, avec application d'esprit et un grand respect.
Ne point contester, ni parler avec empressement ; ne pas rire ni parler trop haut, ni faire des gestes en parlant, des mains ni de la teste, ni des autres membres du cors.
Respondre ou dire ce que l'on dit posernent, sans [faire] la honteuse ni la craintifve.
Faire ses [actions] avec tranquillité et sans empressement ni intérieur, ni extérieur.
Retrancher la curiosité es choses esquelles on sent de se contenter.
Avoir la volonté de plaire en toutes choses a Dieu.
Ne point tant chercher de moyens pour bien aymer et servir Dieu, mais se tenir aux pieds de Nostre Seigneur, demandant sa grace et son amour, sans rechercher autres moyens pour y parvenir que ceux qui nous sont marqués dans nos Constitutions.
Se contenter de marcher en simplicité en l'observance de nos Regles, sans desirer de sçavoir autres choses.

PRATTIQUE DE LA CHARITÉ FRATERNELLE

Ne murmurer ni dire aucune faute d'autruy, quoy qu'elle soit legere. Dire du bien de tous et ne se plaindre de personne.
Ne jamais rapporter aux autres ce que nous aurons ouy dire d'elles, [si c'est] chose qui puisse mortifier ou mescontenter ; ne jamais dire aucune chose qui puisse tant soit peu mortifier les Seurs.
Ne rien dire qui rabbatte ou desappreuve ce que les autres disent.
Ne tesmoigner aucune singularité a aucune, qui puisse tant soit peu donner du soupçon aux autres.
Traitter avec tous, avec amour et charité ; ne juger personne, ains les excuser, tant a part soy qu'a l'endroit des autres.
Ne reprendre personne sans en avoir charge.
Fuir toute aversion, mais sur tout de les faire paroistre.
Ne laisser de parler, regarder et se mettre aupres de celles qui nous auront donné quelque mescontentement.

PRATTIQUE DE LA MORTIFICATION

Se mortifier en toutes les choses et occasions qui se presentent.
Bien faire son prouffit de toutes les mortifications qui nous arrivent de la part de Dieu, de la Superieure et des Seurs.
Se mortifier et vaincre en tout ce qui empesche d'observer la Regle.
Bien faire les choses ordinaires que nous faisons tous les jours, tant intérieures qu'exterieures.
Se mortifier de ne point sortir de la celle quand on en a bien envie.
Ne regarder chose aucune qui soit curieuse.
Ne point desirer sçavoir ni demander ce qui ne nous touche point.
Ne point dire ce que l'on sent grande envie de dire.
Se mortifier es choses que l'on doit faire par obligation, comme de manger, se recreer et tel autre exercice auquel on prend playsir, disant avant que de les faire : je ne veux pas faire cela pour mon playsir, ains parce que mon Dieu le veut.

PRATTIQUE DE LA PATIENCE

Ne donner aucun signe d'impatience quand il (le prochain) ne prend pas bien ce que nous faisons ou avons en charge.
Ne permettre qu'aucune tristesse ni ressentiment s'empare de nostre coeur.
Ne se point ennuyer des advertissemens ni que l'on nous reprenne de nos defautz.
Souffrir avec patience la peyne que nous avons que l'on nous monstre et redise souvent une mesme chose.
Ne point s'impatienter quand on a de la peyne de retenir et comprendre ce que l'on nous monstre. Recevoir tout ce qui repugne a nostre goust, volonté et affection, avec allégresse et promptitude, parce que tel est le bon playsir de Dieu.

PRATTIQUE DE L'OBEYSSANCE

Obeyr soigneusement, sans rien oublier ; promptement, sans delay ni remise ; simplement, sans discours ni raysons ; fidellement, rien prendre pour vous en vos obeyssances ; franchement, sans contrainte ni chagrin ; amoureusement et non point pesamment, maussadement et a contre coeur.
Obeyr de coeur et de volonté, ayant mesme vouloir et non vouloir avec nos Superieurs.
Obeyr d'entendement et jugement, sans recevoir aucun advis ni opinion contraire a celuy de nos Superieurs.
Obeyr a toutes Superieures, quelles qu'elles soyent, comme a Nostre Seigneur Jesus Christ.
Obeyr a l'aveugle, sans s'enquerir, examiner ou demander pourquoy, comment, ains n'avoir autre rayson pour se contenter que celle de sçavoir que c'est l'obeyssance, et dire en soy mesme : je fais ceci parce que telle est la volonté de Dieu, et en icelle est tout mon contentement.

PRATTIQUE DE LA PAUVRETÉ

Ne prester ni recevoir aucune chose, pour petite qu'elle soit, sans congé ; aymer et nous res-jouir quand quelque chose qui nous est nécessaire nous manque. Aymer et nous res-jouir quand le moindre de la Mayson nous est donné.
Avoir souvent la pauvreté de Nostre Seigneur, de la Sainte Vierge et des Apostres devant les yeux.
Une abnégation des choses dont on se sert tesmoigne un grand contentement.
Bayser et caresser tendrement ce qui repugne a nostre goust et sensualité.
Ne point manger avidement, ni desirer d'avoir autre viande que celle que l'on nous donne.
Quand on est sec et aride, et sans goust ni consolation, aymer cette pauvreté devant Dieu.
Estre bien ayse que l'on ayrne plus les autres que nous et que l'on se playse plus a leur conversation qu'a la nostre.
Se res-jouir quand on ne tient conte de nos raysons et que l'on tesmoigne que l'on ne prend gueres de playsir de nous entendre.

PRATTIQUIE DE LA CHASTETÉ

Faire toutes ses actions avec une grande honnesteté et bienséance.
Estre bien soigneuse de se bien occuper en Dieu, nous divertissant promptement et soigneusement de toute sorte de pensees et souvenir des choses que nous avons autrefois veuës et ouyes.
Aspirer et respirer souvent en Dieu comme nostre unique Espoux.
N'aymer rien que pour luy, en luy et pour l'amour de luy.
Parler pour l'ordinaire des choses bonnes et utiles. .
Avoir grand soin de porter la veuë basse et de mortifier tous ses sens.

PRATTIQUE DE LA GENEROSITÉ

Ne se jamais estonner pour les difficultés, répugnances et aversions.
Ne faire non plus d'estat de tous nos sentimens, pour grans qu'ilz soyent, que nous ferions des abbayemens des chiens.
Aggrandir son coeur et son courage parmi les peynes et difficultés, car c'est pour cela que Dieu les envoye et permet.
Pretendre au plus haut point de la perfection parmi la veuë et sentiment de nos miseres, faiblesses et infirmités, appuyees sur la misericorde de Dieu ; ne se point estonner, encor que nous nous voyions comme engluees dans nos imperfections, attendant avec une douce et tranquille Patience nostre délivrance de Nostre Seigneur, et quand nous l'avons, la tenir bien chere comme un don pretieux de sa bonté.
Ne cesser "jamais de crier a Dieu : Tires moy (Ct 1,3) a vous ! ni "d'esperer et de se promettre de courir " apres luy, nonobstant les sentimens de nos imbecülités (voir 1er Entretien).
Ne laisser point a nos coeurs aucune pensee de descouragement.
Ne se point fascher si d'abord nous ne marchons pas si fermement et fidellement comme nous voudrions, ains nous contenter de marcher le petit pas a nos commencemens, pour puis apres courir et marcher a grande course.
Ne point vous inquiéter ni troubler pour voir l'advancement des autres.
Ne point vouloir attirer les autres a nostre train, ni les mésestimer si elles ne font pas ce que les autres font, ains estimer tout ce qu'elles font.
Regarder les mieux faisantes avec une douce cordialité et sainte reverence. Tirer de l'humilité de nos imbécillités, particulièrement quand nous voyons l'advancement des autres.

PRATTIQUE DE LA DEVOTION FORTE ET INTIME

Avoir la volonté conforme aux bonnes actions, petites et grandes.
Ne rien faire " par coustume, mais avec application de volonté. "
Que l'action extérieure soit prevenue de l'affection interieure, ou " qu'au moins l'affection la suive de pres."
Faire " naistre l'extérieur de l'intérieur. "
Il faut estre " forte a supporter les tentations ; forte a supporter la varieté des espritz ; forte a supporter ses propres inclinations et imperfections, pour ne se point inquiéter de s'y voir sujette ; forte pour combattre ses imperfections et entreprendre la correction et amendement parfait. "
" Se tenir independante des consolations des créatures. " (Ier Entretien)

PRATTIQUE DE LA CONFORMITÉ A LA VOLONTÉ DE DIEU

Prendre toutes les occasions qui nous arrivent, grandes et petites, comme venant de la main de Dieu.
Se resigner en tout a la volonté de Dieu ; se conformer a la volonté de Dieu, soit en maladie, sécheresse, aridités, distractions, tentations et fréquentes cheutes.
Revu sur le texte inséré dans un ancien Manuscrit conservé à la Bibliothèque publique de Bourges, A, no 113.

Avis Spirituels 2

206

AUTRES AVIS A UNE RELIGIEUSE DE LA VISITATION SUR L'OBÉISSANCE ET L'EXAMEN QUI DOIT SUIVRE L'ORAISON (INÉDIT) 1612-1618 (XXVI,327)

DE L'OBEYSSANCE-

1er Point de l'obeyssance est que nous devons croire et tenir pour asseuré que Dieu a establi toute sorte de Superieures et que ce ne sont pas les hommes qui les eslisent, c'est Dieu mesme.
2. C'est que Dieu a establi les Superieures comme ses lieutenantes en terre, affin que nous leur obeyssions comme a luy mesme, et tient estre fait a luy ce qui est fait aux Superieures, comme il le tesrnoigne par ces parolles : Celuy qui vous obeit m'obeit, et celuy qui vous mesprise me mesprise (Lc 10,16).
3. C'est que Dieu ne permettra jamais que vous perissies tandis que vous obeyres fidellement vous confiant en luy ; car si Dieu vous a mise sous une Superieure affin que vous luy obeyssies, croyes qu'il vous protegera de sa providence divine pour parvenir a vostre derniere fin, qui est vostre perfection.
4. C'est qu'il ne faut jamais regarder au visage des Superieurs ni dire : Sont ilz propres pour nous ? commanderont ilz bien ? ains obeyr a l'aveugle en tout ce qu'ilz nous commandent, car ce ne seront pas les Superieures qui nous rendront parfaittes, mais la sonsmission et obeyssance quenous leur rendrons. Et l'on voit beaucoup d'inférieurs qui sont saintz sous des supérieurs fort imparfaits, et des inferieurs imparfaitz sous des Superieurs qui sont saintz, tellement qu'il n'y a point d'excuse en l'obeyssance sinon la grande, qui est d'offenser Dieu. Toutes les autres sont suspectes et ne viennent que d'une vayne recherche de nous mesmes. Nostre Seigneur priant au jardin des Olives dit a son Pere : Que vostre volonté soit taire et non la mienne Qu'il soit fait ce que vous voules et non ce que je veux ; comme [vous] voules et non comme je veux. Amen. (Mt 26,42 Lc 22,42 Mc 14,36)
Examen sur l'orayson qui se doit taire apres icelle, se pourmenant ou faisant son ouvrage
Si vous aves esté bien preparee ; si vous aves donné entree a quelque pensee impertinente ou infructueuse.
Si vous vous estes laissé aller au sommeil ou a la pesanteur de cors et d'esprit.
Si vous vous estes trop laissé aller aux spéculations de l'entendement et considérations.
Si vous aves esté lasche ; si vous n'aves tasché de mouvoir l'affection et la volonté.
Si vous aves eu autre intention que de chercher le bon playsir de Dieu.
Si vous aves eu de la curiosité en l'intelligence ; si vous aves eu de la propre volonté en l'affection ; si vous aves eu de la propre complaysance en la considération.
Si vous aves eu de la négligence a correspondre a la grace.
De plus, rernarques les illustrations que Dieu donne en l'orayson, nous faisant voir . . . . . . . . . . . . .
Revu sur le texte inséré dans un ancien Manuscrit conservé à la Bibliothèque publique de Bourges, A, nd 113.

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AUTRES AVIS A UNE VISITANDINE(XXVI,360)

Marcher dans la vertu sinon toujours avec joie, du moins avec courage. - La statue dans sa niche. - Ne soyons pas des anges, mais de petits poussins. - Nous n'avons pas à craindre le jugement du monde. - Nos misères ne nous doivent pas accabler ni étonner.- Quel est, parmi les pauvres, " le plus advantagé"? - Parlons à Dieu de nos misères. - Ne pas insulter notre coeur et ne pas trop le presser. - Dieu seul doit y régner. - Le réjouir et le consoler. - La couche de l'Epoux, et l'agneau de l'holocauste. - Recevoir Jésus- Christ : le plus grand moyen d'arriver à la perfection. - Ne pas quitter la sainte Communion pour les distractions et aridités. - Le divin Maître est Roi, soleil, fournaise, baume, trésor, gage de la gloire. - Aspirer à l'éternité qui approche.

Ma Fille, demeures en paix devant Nostre Seigneur, ne vous embarrasses pas. Pourveu que vous marchies dans le chemin de la vertu, quoy que lentement, vous ne laissées pas d'arriver a vostre but. Alles donq avec joye ; mais si vous ne pouves marcher dans la carriere tous-jours avec joye, faites le au moins avec courage, et confies vous en Dieu. Faites comme ces enfans qui veulent marcher; mais des aussi tost qu'ilz font quelque faux pas, ilz courent a leurs meres, ilz se jettent entre leurs bras et sur leur sein et s'y tiennent attachés.
Travailles a l'acquisition des vertus de bonne foy, sans vous embarrasser; laisses vous gouverner a Dieu, serves le selon son goust et non selon le vostre, regardes que c'est luy qui vous a placee ou vous estes. Tenes vous donq comme une statue dans sa niche ; vous estes la pour luy plaire, cela vous doit suffire ( TAD liv 6 ch 11). Nostre divin Maistre, de tems en tems, vous regardera et jettera les yeux sur vous. Ne desires point estre autre que vous estes, car si vostre soleil semble s'ecclipser, il reviendra bien tost et vous esclairera de nouveau.
Tasches d'acquérir la perfection qui est propre a cette vie. Ne veuillons pas estre trop tost des anges ; soyons de petitz poussins sous l'aisle de nostre mere, car nous ne sçaurions pas encores voler. Prattiquons les petites vertus qui nous sont propres et qui n'ont pas tant d'esclat ; resjouissons nous de nostre propre abjection. Il faut treuver bon que nostre parfum sente mauvais au nez du monde ; ne craignons point le jugement qu'il fait de nous, ne nous abbattons point, car tant que Dieu nous voudra bien faire la grace de nous tenir de sa main en nous conservant le desir que nous avons de l'aymer, nous n'avons rien a craindre.
Il ne faut pas aymer nos imperfections, ouy bien l'humiliation qu'elles nous causent. Il ne faut pas se laisser troubler et accabler dans nos miseres, il faut tascher d'en sortir avec paix. Cher mespris, que mes imperfections et defautz m'apportent, je vous ayme; je deteste le mal, et me resjouis de la honte. Il faut, en cette vie, se porter, et avec tranquillité. Mais qu'est ce que nous portons quand nous nous portons nous mesme ? C'est rien qui vaille ; il ne faut pas que cela nous estonne.
Dieu ayme les misérables, il regarde ceux qui ne sont rien ; les chetifz et personnes abjectes deviennent le throsne de Dieu (Ps 112,6) ; il establit son siege sur une ame qui est vile. Confessons donq nostre pauvreté. Res-jouisses vous, ma Fille, de n'estre rien, monstres luy vos playes, exposes luy vostre indigence. Parmi les pauvres du monde, celuy qui n'a que des haillons a faire paroistre et des playes a monstrer s'estime le plus advantagé, esperant que, par la descouverte de sa pauvreté, il recevra de plus grandes aumosnes. Tenons nous dans cette disposition devant Dieu ; ne luy parlons que de nos miseres, allons a son temple sacré luy exposer ce que nous sommes (Ac 3,2), mais ne nous abbattons pas.
Releves vostre pauvre coeur quand il tombe, gardes vous d'insulter en son endroit ; prenes nouveau courage, car si vous tombes souvent, vous vous releves aussi souvent sans vous en appercevoir. Ne presses pas vostre coeur, tenes le au large, puisqu'il aymeroit mieux mourir que d'offenser son Dieu. Il faut aussi plustost perdre toutes choses que la paix. Marches donq simplement, et vous marcheres avec joye et confiance (Pr 10,9); tenes vostre coeur au large, et ne le presses pas trop. Soyes juste envers vostre ame, pour ne la pas accuser ni excuser trop legerement : l'un pourroit la rendre orgueilleuse, et l'autre la faire devenir pusillanime.
Tant que nous serons ferme dans nostre résolution que Dieu regne dans nostre coeur, ne craignons point. Ouv, ma Fille, ou la mort ou l'amour ; il faut aymer ou mourir : que Dieu seul y vive, ou rien du tout. Et tant que ce sentiment sera bien gravé dans nostre coeur, pourquoy nous tourmenter ? Ne voyes vous pas que c'est l'amour propre qui se mesle subtilement de nous donner la torture ? Je vous exhorte encor une fois de tenir vostre coeur au large ; Dieu mercy, il se porte bien, puisque l'amour l'anime et quil veut tous-jours aymer.
Res-jouisses donq, ma Fille, vostre pauvre coeur ; consoles le dans ses tristesses, fortifies le dans ses travaux, recrees le dans ses ennuis, consoles le dans ses angoisses, affin que n'estant point abbattu, il ressente un nouveau courage pour servir Dieu. C'est en cette considération que je vous prie de le tenir le plus joyeux que vous pourres ; mesnages le, affin quil fasse de grans progres. Songes que l'Espoux a choysi ce coeur pour en faire son lit de repos; il faut qu'il soit fleuri (Ct 1,15). Ce doit estre aussi l'aigneau que vous deves offrir en holocauste et que vous deves aussi immoler a Nostre Seigneur ; il faut qu'il soit gras et en bon point. Vous sçaves que Dieu reçoit avec playsir l'offrande qu'on luy fait d'une franche volonté (Si 35,11 2Co 9,7).
Alles librement, ma chere Fille, vous consacrer a nostre divin Sauveur ; donnes luy le sacré bayser de la charité (Ct 1,1), et continues tous-jours a vous humilier profondément, affin que vous l'approchies sans crainte ; car je croy que le plus grand moyen pour arriver a la perfection est de recevoir Jesuschrist, pourveu qu'on ayt soin de destruire tout ce qui peut luy desplaire. Croyes moy, ma Fille, rien ne me fortifie plus l'estomac que de ne manger que d'une viande qui soit excellente ; nourrisses vous donq de la viande des Anges. Il vous fera faire une bonne digestion de luy mesme, il.se communiquera a toutes vos puissances, il agira en vous, il y operera ; ce sera luy quiesclairera vostre esprit, qui eschauffera vostre volonté, et ne sera plus vous qui vivres, ce sera Jesuschrist en vous (Ga 2,20). Et pour recevoir cette grace, il faut nous repaistre de Jesuschrist crucifié ; c'est luy qui eschauffera et fortifiera l'estomac de nostre ame, et qui nous preparera et rendra dignes de le recevoir souvent.
Ne quitteg donq pas vos Communions pour les peynes et faiblesses que vous sentes, quoy que vous soyes distraitte et que vous soyes en sécheresse. Tout cela n'est que dans la partie inférieure, car je sçai que la supérieure est unie a Dieu et ne souspire que pour luy. Et puisque vous cherches nostre divin Maistre, ou le pouves vous mieux treuver que dans le throsne de son amour ? Il veut estre nostre Roy : et ainsy il nous donnera la paix, il fera cesser la guerre, il mettra le calme dans nos puissances et nous fera recueillir.
Ne vous esloignes pas de vostre Soleil si vous voules estre esclairee. C'est une fournaise d'amour ou nos tiedeurs seront consumées, c'est un bausme pretieux qui guerira nos blesseures, c'est en fin un thresor de toutes les graces qui vous enrichira. Si vous estes dure, vous seres amollie ; si vous estes seche, vous seres arrousee ; si vous estes en tristesse, il sera vostre joye. Bref, Jesuschrist, dans ce divin Sacrement, vous veut estre toutes choses : c'est cette tablette cordiale que vous deves prendre, affin de vous conforter et de vous préserver de la corruption. En fin, ce divin Sauveur veut bien estre le gage de la gloire qu'il nous a promise.
Hastons nous d'aspirer a cette bienheureuse eternité ; elle s'approche, le tems passe. Hé, quil importe peu, ma Fille, que les momens de cette vie soyent fascheux, pourveu qu'a jamais nous louions et bénissions Nostre Seigneur.
Tasches ma chere Fille, de faire une bonne provision de sousrnission a la sainte volonté de Dieu. Amen
Revu sur une copie conservée à la Visitation d'Annecy.

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AUTRES AVIS SPIRITUELS A UNE VISITANDINE (INÉDIT) (XXVI,364)

Trésor de l'abandon total à Dieu. - Bonheur d'une âme petite et humble. - Les emplois dans la maison du Seigneur. - Tout est indifférent au coeur qui ne veut que Dieu. - Dans les choses qui ne sont pas clairement manifestées, interroger nos Supérieurs et suivre leurs avis. - Suavité des inspirations divines ; trouble et inquiétude en celles qui viennent du démon. - L'humilité change en or le plomb de nos infirmités. - " Mesnager les petites rencontres ". - Bienheureuse est l'âme dépouillée de toutes choses. - Ce qui nous empêche de nous jeter à corps perdu entre les bras de la providence. - Dieu n'est pas comme les hommes. - " Ayrner sans mesure l'Amour eternel."
Ma chere Fille, si vous connoissies le thresor qui est enfermé dans l'abandon total que I'ame fait de tout elle mesme entre les mains de Dieu pour ne plus vouloir que ce qui luy plaist, vous souspireries apres cet estat, et vous ne souhaitteries rien que d'estre ce que Dieu veut que vous soyes. Que les autres soyent eslevés comme des Seraphins ; mon partage est de me tenir petite et humble aux pieds de mon Sauveur ; hé bien, je veux m'y tenir contente. Laissés la tous les raysonnemens et tous les desirs que vostre pauvre coeur voudroit vous suggerer pour sortir de cet estat. Croyes moy, que dans la mayson du Seigneur les emplois les plus vilz ne sont pas les moins advantageux ; mais le coeur qui est indifférent dit mesme qu'il ne peut pas envi- sager les advantages qui s'y treuvent. Je sçay que c'est mon Dieu, qui m'ayme, qui m'a choysi cest employ et cette maniere de vie ; je ne veux plus envier l'excellence des autres, mais je veux me perfectionner sans empressement et sans inquiétude. Si je tombe, je ne m'abattray pas, car le Tout Puyssant me peut relever ; si je suis dans l'obscurité, le Seigneur est ma lumiere, que craindray- ie ?(Ps 26,1) En fin, ni le ciel, ni la terre, ni mesme l'enfer ne me peuvent oster mon Dieu (Rm 8,38). Je ne souhaitte que luy : tout m'est indifférent ; je veux aymer toutes choses en Dieu et pour Dieu ; j'iray avec luy a la bonne foy, sans trop critiquer. Je veux luy obeir dans ce qu'il me demande, mais pour connoistre sa volonté dans une infinité de choses qui ne me sont pas clairement manifestées, je ne veux point donner la torture a mon pauvre coeur, ni les examiner avec scrupulosité ; je m'en tiendray a ce que me diront ceux que Dieu a establis pour me conduire et, en paix, je tascheray a suyvre ses inspirations.
Remarqués que lhors qu'elles viennent du Seigneur, c'est avec douceur et suavité qu'elles nous portent au bien, et nous sommes indifferens du succes, parce que, pourveu que nous ayons fait de nostre costé ce qu'il demande de nous, nous demeurons en paix. Au contraire, le malin esprit nous suggere des desirs des vertus avec aspreté, inquiétude, chagrin et empressement ; si nous treuvons quelqu'obstacle, tout a l'heure nous sommes troublés, nous nous empressons. Ne sçaves vous pas, ma Fille, que nostre Dieu est le véritable Salomon qui veut se reposer dans nostre coeur ? Il est bon ; si nous pouvons le placer dans le Ciel, nous ne nous troublerons pas des accidens de cette vie.
Ne nous affligeons pas si nous sommes appesantis par le poids de nos mauvaises inclinations; aymons l'abjection qui nous en revient. Vous ne sçaves pas la force de l'humilité qui change en or tres pur le plomb de nos infirmités, laquelle sainte métamorphose opere dans l'ame cette vertu. Faites que ce bausme salutaire nage tous-jours dans vostre ame.
Ayes tous-jours une grande douceur et affabilité ; vous sçaves que l'affabilité est la cresme de la charité. Ayes soin de mesnager les petites rencontres que Dieu vous presente, mettes en cela vostre vertu, et non pas a desirer de grans travaux ; car souvent on se laisse abbattre par un mouscheron quand on combat des monstres par imagination.
Ne vous inquietes point dans la veuë des maux et des peynes qui vous peuvent arriver ; car le Seigneur ne permettra pas qu'ilz vous arrivent, ou il vous donnera la force de les porter, s'il vous les envoye. Laisses vostre ame et vostre cors entre ses benites mains, abandonnes vous a luy, perdes vous en luy, n'aymes que luy, ne veuilles que luy, et que toutes choses hors de luy vous soyent indifférentes ; et vous connoistres dans le Ciel que bienheureuse est l'ame qui a vescu dans ce monde despouillee de toutes choses, et qui a rendu hommage au grand despouillement et a la nudité de son Espoux attaché a la croix, et mourant, affin d'enrichir et de revestir ses espouses bienaymees.
Pour affermir nostre amour pour nostre souverain Bien, resveillons nostre foy ; car la prudence de la chair et les raysonnemens de nostre esprit nous nuysent souvent et nous empeschent de nous jetter a cors perdu entre les bras de la divine Providence. Nous croyons, parce que nous ne valons rien, que le Seigneur n'aura point soin de nous : ne voyes vous pas la finesse de la prudence humaine qui nous trompe en nous faysant sortir de l'estat, d'une parfaitte confiance ? Ne faysons point ce [ tort ] a sa divine Majesté de raysonner si bassement ; Dieu n'est pas comme les hommes, qui ne font cas que de ce qui peut leur estre utile. Je sçay, dira une ame fidele, que la foy m'enseigne que le Seigneur supporte et reçoit les foibles et les misérables qui se confient en luy : je veux donq m'y confier et abandonner.
C'est dans la sainte dilection, ma chere Fille, quil faut bastir nostre demeure ou tabernacle, car il n'y a rien de bon pour nous que d'aymer sans mesure l'Amour eternel. Presses fort, mùa chère Fille, cedivin Sauveur sur votre coeur : c'est luy qui l'a scellé et cachetté (Ct 8,6), affin qu'il soit tout sien. Amen

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FRAGMENTS SUR LA PAUVRETE (INEDIT) (XXVI,367)

En quoi consiste la parfaite pauvreté intérieure. - Comment regarder les biens de la Communauté. - Accepter avec amour les disettes. - Trois degrés de la pauvreté spirituelle. - La grande et sainte pauvreté-. Quel en est le dernier degré. - Celui qui n'a aucune confiance en soi-même est vraiment fidèle.
La parfaitte pauvreté intérieure consiste a avoir le coeur destaché et disjoint de toutes les choses dont il se sert, ne les tenant que par emprunt, estant prest de les quitter sans fascherie, toutes fois et quantes que les Superieurs l'ordonneront. Ainsy, ceux qui ont le vray amour divin sont contens des choses nécessaires ; et encor en sont ilz destachés non seulement d'affection, mais aussi en la façon d'en parler, n'usant point du mot de mien, mais nostre. [C'est] avec la mesme modération qu'il faut aymer les biens de la Communauté, les regardant non avec une affectionpropriétaire qui nous oste la paix du coeur ou nous desregle en la prétention, conservation ou distribution d'iceux, ains avec un esprit religieux, comme choses consacrées a Dieu, lesquelles il ne faut aymer que selon le goust du Seigneur a qui elles sont consacrées.
La pauvreté religieuse engendre pauvre table, pauvre lict, pauvres habitz et pauvre cellule. Cela doit sembler nécessaire, dont nous ne sçaurions nous passer commodement; tout le reste doit estre retranché, autant que nous pourrons. Il se faut mesme retrancher quelquefois des choses mesme nécessaires ; mays sur tout accepter avec amour tous les manquemens des choses nécessaires qui nous arriveront, de quelque part qu'ilz viennent, recevant aussi de bon coeur les choses pauvres qui nous arriveront, en quoy que ce soit.
Par dessus toute pauvreté, il nous faut avoir celle du coeur, qui nous rend humbles et petitz a nos yeux. La pauvreté spirituelle, c'est l'abandonnement de toutes choses, le mespris de soy mesme et la renonciation de toutes choses et de la propre volonté en toutes choses :. ces trois degrés sont les enseignemens de la vraye Religion. Ne se vanter jamais de ce que l'on a esté au monde, n'en vouloir estre loüé ni estimé ; fuir cela tant qu'il se peut, craignant que nostre pauvreté n'en soit plus prisee, c'est imiter la souveraine humilité de Nostre Seigneur. Il faut fuir tout ce qui est d'honnorable.
La grande et sainte pauvreté est de reconnoistre que nous n'avons rien [et] ne pouvons rien de nous mesme que misere. Je suis mendiant et pauvre : mon Dieu, aydes moy (Ps 39,18 Ps 69,6). Il est bon de regarder nostre bassesse en comparayson de la sainteté des Saintz, qui se tenoyent pour rien.
Le dernier degré de la pauvreté c'est l'absolu renoncement de sa propre volonté, se conformant en toutes choses a celle du prochain, et ne vouloir chose quelconque sinon Dieu et l'accomplissement de son bon playsir.
Bienheureux le pauvre, car il se reposera au sein de Dieu. Ayes fiance en Dieu (Si 11,22), mettes vous en sa garde, dresses vers luy vostre pensee, et il vous nourrira (Ps 54,23 1P 5,7). Affin qu'en fidelité vous puissies dire : Le Seigneur a soin de moy (Ps 39,18), mettes tout vostre soin vers luy, car il a soin de vous.
Se fier en soy mesme n'est point le propre de la foy, mays de la perfidie. Celuy la est vrayement fidele qui ne se fie ni a aucune confiance en soy, qui s'est rendu comme un vaysseau corrompu et qui perd tellement son ame, qu'il la veut conserver pour la vie éternelle (Mt 10,39 Lc 9,24 Lc 17,33). La seule humilité de coeur est cause que l'ame ne se fie pas en elle mesme ; mais la tenant en abandon, se retire au desert, se reposant toute sur son Bienaymé (Ct 8,5).
Revu sur un ancien Manuscrit conservé à la Visitation de Nancy.



François S.: avis, sermons 204