François S.: avis, sermons 210

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FRAGMENTS SUR L'OBÉISSANCE (Inédit) (XXVI, 369).

L'obéissance religieuse est un holocauste. - Devoir du Supérieur et de l'inférieur. - Qu'est-ce que le propre jugement ? - L'indifférence du parfait obéissant.
Saint Pierre dit (1P 2,13) : Sousmettes vous a toutes créatures humaines pour I'amour de Dieu. L'obeissance religieuse est un holocauste qu'on offre a Dieu, sans se rien reserver de sa propre volonté. L'obeissance est la supresme et unique vertu. Saint Bernard dit: : " Que le Prelat ne commande a sa poste, ains selon la Regle ;... qu'il n'accroisse les voeux sans la volonté du sujet, qu'il ne les diminue aussi que par nécessité ; " mais " que le sujet sçache que l'obéissance est imparfaite qui se renferme dans les bornes des voeux, car la parfaite s'estend a toutes choses auxquelles la charité se treuve. " Saint Bernard dit : " Celuy que nous avons pour Superieur au lieu de Dieu, nous le devons ouyr comme Dieu mesme, es choses qui ne sont apertement contre Dieu. "
Il faut obeir par la sousmission du jugement. L'on appelle jugement propre celuy qui se separe du sens de l'Église, des Prelatz et Superieurs ; celuy qui se despart du sens de l'Église, des Prelatz, des Superieurs est en erreur.
L'indifference consiste a n'incliner pas plus d'un costé que d'autre ; de sorte que le parfait obéissant, encor qu'il soit resolu d'accomplir tout ce qui sera de precepte, de Regle, d'ordonnance, il est indifférent a tout le reste, ayant tous- jours au coeur et en la bouche : Seigneur, que voules vous que je lace (Ac 9,6).
Revu sur un ancien Manuscrit conservéà la Visitation de Nancy.

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VOCATION A VIE RELIGIEUSE (XXVI,371) Jean Marc de Monthoux, de Duingt ? Cf XIX,377

Bonté de Dieu qui se contente de nous obliger à garder ses Commandements. - Ce qu'il nous conseille. - Toujours nous aurons à combattre. - Consolations de la vie religieuse et de la " vie commune ". - Examiner ses dispositions et attendre.
0 que Dieu est bon a son Israël ! Qu'il est bon a ceux qui sont droitz de coeur (Ps 72,1)! Consideres premièrement, que Nostre Seigneur ayant peu obliger ses créatures a toutes sortes de services et obeissances envers luy, il ne l'a pas néanmoins voulu faire, ains s'est contenté de nous obliger a l'observation de ses Commandemens ; de maniere que s'il luy eust pleu d'ordonner que nous jeusnassions toute nostre vie, que nous fissions tous vie d'hermites, de Chartreux, de Capucins, encor ne seroit ce rien au respect du grand devoir que nous luy avons : et néanmoins, il s'est contenté que nous gardassions simplement ses Commandemens.
Consideres secondement, qu'encor qu'il ne nous aye point obligé a plus grand service qu'a celuy que nous luy rendons en gardant ses Commandemens, si est ce qu'il nous a invités et conseillés a faire une vie tres parfaite, et observer l'entier renoncement des vanités et convoytises du monde.
Consideres troysiesmement, que, soit que nous embrassions les conseilz de Nostre Seigneur nous rangeant a une vie plus estroitte, soit que nous demeurions en la vie commune et en l'observance seule des Commandemens, nous aurons en tout de la difficulté : car si nous nous retirons du monde, nous aurons de la peyne de tenir perpétuellement bridés et sujetz nos appetitz, renoncer a nous mesmes, re- signer nostre propre volonté et vivre en une tres absolue sujettion sous les loix de l'obéissance, chasteté et pauvreté ; si nous demeurons au chemin commun, nous aurons une peyne perpétuelle a combattre le monde qui nous environnera, a resister aux fréquentes occasions de pecher qui nous arrivent, et a tenir nostre barque sauve parmi tant de tempestes.
Consideres quatriesmement, qu'en l'une et en l'autre vie, servant bien Nostre Seigneur nous aurons mille consolations. Hors du monde, le seul contentement d'avoir tout quitté pour Dieu vaut mieux que mille mondes ; la douceur d'estre conduit par l'obeyssance, d'estre conservé par les loix, et d'estre comme a couvert des plus grandes embusches, sont de grandes suavités : layssant a part la paix et tranquillité qu'on y treuve, le playsir d'estre occupé nuit et jour a l'orayson et choses divines, et mille telles delices. Et quant a la vie commune, la liberté, la varieté du service qu'on peut rendre a Nostre Seigneur, l'aysance de n'avoir a observer que les Commandemens de Dieu, et cent autres telles considérations la rendent fort délectable.
Sur tout cela : Helas ! dires vous a Dieu, Seigneur, en quelle condition vous serviray-je ? Ah ! mon ame, ou que ton Dieu t'appelle, tu luy seras fidele : mais de quel costé t'est il advis que tu ferois mieux ? Examinés un peu vostre esprit pour sçavoir s'il sent point aucune inclination plustost d'un costé que d'autre, et l'ayant descouvert, ne faites encor point de résolution, ains attendes jusques a ce qu'on vous le dise.
L'arrivée de Marie et Joseph à Bethléem; ils reçoivent le mépris avec une douceur incomparable. - Le moindre oubli excite notre arrogance. - L' " establerie " pour le Sauveur, et " les superbes edifices " pour les pécheurs. - Tout est pauvre dans cette naissance et nous ne cherchons qu'à nous satisfaire.
Imagines vous de voir saint Joseph avec la sainte Vierge, sur le point de son accouchement, arriver en Bethleem et chercher par tout a loger, sans treuver aucun qui les veuille recevoir (Lc 2,7 Lc 2,12). O Dieu, quel mespris et rejet le monde fait des gens celestes et saintz, et comme ces deux saintes ames embrassent volontier cette abjection ! Ilz ne s'eslevent point, ilz ne font point de remonstrances de leur qualité, mais tout simplement reçoivent ces refus et aspretés avec une douceur nompareille. Ah ! misérable que je suis ! le moindre oubli que l'on fait de l'honneur pointilleux qui m'est deu, ou que je m'imagine m'estre deu, me trouble, m'inquiete, excite mon arrogance et ma fierté ; par tout je me pousse a vive force es premiers rangs. Helas ! quand auray je cette vertu, le mespris de rnoy mesme et des vanités?
Consideres comme saint Joseph et Nostre Dame entrent dans l'entree et porche qui servoit par fois d'establerie aux estrangers, pour y faire le glorieux enfantement du Sauveur. Ou sont les superbes edifices que l'ambition du monde esleve pour l'habitation des vilz et détestables pecheurs ? Ah ! quel mespris des grandeurs du monde nous a enseigné ce divin Sauveur ! Que bienheureux sont ceux qui sçavent aymer la sainte simplicité et rnoderation ! Miserable que je suis, il me faut des palais, encor n'est ce pas asses ; et voyla mon Sauveur sous un toit tout percé, et sur du foin, pauvrement et piteusement logé.
Consideres ce divin petit Enfançon né nud, frileux, dans une cresche, enveloppé de bandelettes. Helas ! que tout est pauvre, que tout est vil et abject en cet accouchement, et que nous sommes doüilletz et sujetz a nos commodités, amoureux des sensualités ! Il faut grandement exciter en nous le mespris du monde et le desir de souffrir pour Nostre Seigneur les abjections, mesayses, pauvretés et manquemens.

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TRISTESSE, INQUIÉTUDE : Rose Bourgeois mai 1605 (XXVI, 224) cf XIII,25 et IVD part.IV, ch.11

La tristesse et l'inquiétude s'engendrent l'une l'autre, et pourquoi. - L'âme peut chercher à être délivrée d'un mal ou pour l'amour de Dieu ou pour l'amour propre : effets contraires de ces deux amours. - Grand mal de l'inquiétude ; d'où elle vient. - Quand on tombe en quelque imperfection, rasseoir d'abord l'esprit et puis y mettre ordre. - La sentinelle de l'âme. - Notre " edification spirituelle " doit se faire dans une grande paix. - La tristesse peut être bonne ou mauvaise, mais elle est plus souvent mauvaise. - Ses productions. - Marques de la mauvaise tristesse et de la bonne. - D'où vient la différence qui existe entre elles : le Saint-Esprit est " l'unique Consolateur "; le malin esprit, " un vray desolateur ". - Remèdes contre la mauvaise tristesse : avoir patience; contrarier ses inclinations ; chanter des cantiques spirituels ; s'employer aux oeuvres extérieures ; faire souvent des actes extérieurs de ferveur ; la discipline modérée ; la prière et s'adresser à Dieu avec des mots de confiance ; la sainte Communion ; l'ouverture de coeur.
La tristesse engendre l'inquiétude, et l'inquiétude engendre aussi la tristesse. C'est pourquoy il faut traitter de l'une et de l'autre ensemble, et les remedes de l'une sont prouffitables pour l'autre. Et affin que vous entendies comme la tristesse et l'inquietude s'engendrent l'une l'autre, sçaches que la tristesse n'est autre chose que la douleur d'esprit que nous avons du mal qui est en nous contre nostre gré, soit que le mal soit intérieur ou qu'il soit extérieur, comme pauvreté, maladie, infamie, mespris ; intérieur, comme ignorance, sécheresse, mauvaise inclination, peché, imperfection, répugnance au bien.
Quand donq l'ame sent quelque mal en soy, elle se desplaist premièrement de l'avoir, et voyla la tristesse. Secondement, elle voudroit et desire en estre quitte, cherchant les moyens de s'en desfaire ; et jusques la il n'y a point de mal, et ces deux actes sont louables. Mais, troisiesmernent, l'ame cherchant les moyens d'estre delivree du mal qu'elle sent, peut les chercher pour l'amour de Dieu ou pour l'amour propre : si c'est pour l'amour de Dieu, elle les cherchera avec patience, humilité et douceur, attendant le bien non tant de soy mesme et de sa propre diligence, comme de la miséricorde de Dieu ; mays si elle les cherche pour l'amour propre, elle s'empressera a la queste des moyens de sa délivrance, comme si ce bonheur dependoit d'elle plus que de Dieu. Je ne dis pas qu'elle pense cela, mais je dis qu'elle s'empresse comme si elle le pensoit, et cela provient de ce que, ne rencontrant pas de premier abord la delivrance de son mal, elle entre en de grandes inquiétudes et impatiences. Voyla donques l'inquiétude arrivee, et peu apres arrive, quatriesmement, une extreme tristesse, parce que l'inquiétude n'ostant pas le mal, ains au contraire l'empirant, l'on tumbe en une angoisse desmesuree, avec une défaillance de force et troublement d'esprit si grand, qu'il luy semble ne pouvoir jamais en estre quitte ; et de la elle passe a un abisme de tristesse qui luy fait abandonner l'espérance et le soin de mieux faire. Vous voyes donques que la tristesse, qui de soy n'est pas mauvaise en son commencement, engendre l'inquiétude, et que, réciproquement, l'inquiétude engendre une autre tristesse, qui de soy est tres dangereuse.


De l'inquiétude
Je ne diray que peu de chose de cette inquiétude, pour ce que ses remedes sont presque pareilz a ceux que je donne pour la tristesse, et aussi parce que je vous renvoye aux 14, 15, 16 chapitres du Combat spirituel. Je diray seulement ces deux ou trois motz.
L'inquietude, mere de la mauvaise tristesse, est le plus grand mal qui puisse arriver a l'ame, excepté le peché ; car il n'y a aucun defaut qui empesche plus le progres en la vertu et l'expulsion du vice que l'inquietiide. Et comme les seditions en une république la ruynent entièrement et empeschent qu'on ne puisse combattre l'ennemy, ainsy nostre coeur estant.troublé en soy mesme, perd la force d'acquérir les vertus et de se servir des moyens qu'il devroit employer contre ses ennemis, lesquelz ont, comme l'on dit, la commodité de pescher en eau trouble.
2. L'inquietude provient d'un ardent et desreglé desir d'estre delivré du mal que l'on sent ou en l'esprit ou au cors ; et néanmoins, tant s'en faut que cette inquiétude serve a la délivrance, qu'au contraire elle ne sert qu'a la retarder. Qu'est ce qui fait que les oyseaux ou autres animaux demeurent pris dans les filetz, sinon qu'y estans entrés, ilz se desbattent et remuent dereglement pour en vistement sortir, et ce faysant ilz s'embarrassent et empeschent tant plus. Ceux qui sont parmi les halliers et buissons, s'ilz veulent courir et s'empresser a cheminer, ilz se piquent et deschirent ; mais s'ilz vont tout bellement, destournant les espines de part et d'autre, ilz passent plus vistement et sans piqueure.
3. Quand nous cherchons trop ardemrnent une chose, nous la passons souvent sans la voir, et jamais besoigne que l'on fait a la haste ne fut bien faite. C'est pourquoy, estans turnbés dans les filetz de quelques imperfections, nous n'en sortirons pas par l'inquiétude, au contraire nous nous embarrasserons tous-jours davantage. Il faut donq rasseoir nostre esprit et jugement, et puis tout bellement y mettre ordre; je ne veux pas dire négligemment, mais sans empressement, trouble, ni inquiétude. Et pour parvenir a cela, il faut lire et relire les 14, 15 et 16 chapitres du Combat spirituel. Il faut surtout tenir la sentinelle de laquelle parle le Combat spirituel, laquelle nous advertira de tout ce qui voudra esmouvoir aucun trouble ou empressement en nostre coeur, sous quelque pretexte que ce soit . Cette sentinelle qui doit estre entree en l'ame, peut estre signifiee en ce que le mont de Sion estoit enclos ën Hierusalem, qui veut dire Vision de paix ; et Sion, selon plusieurs, veut dire sentinelle et eschauguette. Or, cette sentinelle ne doit estre autre chose qu'un soin tres particulier de la conservation du repos intérieur, lequel nous devons spécialement renouveller au commencement de tous nos exercices, au soir, au matin, au midi.
4- Nostre Seigneur ne voulut point que son Temple fust edifié par David (1R 5,3), roy tressaint, mais belliqueux, ni qu'en l'édification fust ouy aucun marteau, ni aucun fer (1R 6,7) ; mais par Salomon, roy pacifique (2S 5,3 2S 6,7 2S 7,13) : signe qu'il ne veut pas que nostre édification spirituelle se fasse sinon en tres grande paix et tranquillité, laquelle il faut tous-jours demander a Dieu, comme enseigne le roy David (Ps 121,6) : Demandes, dit il, ce qu'il faut pour la paix de Hierusalem. Aussi Nostre Seigneur renvoyait tous-jours les penitens en paix Allez en paix, disoit il (Lc 7,50).

De la tristesse
La tristesse peut estre bonne ou mauvaise (IVD part IV, ch 12), selon le dire de saint Paul (2Co 7,10) - La tristesse qui est selon Dieu opere la penitence pour le salut, la tristesse du monde, la mort.
2. L'ennemy se sert de la tristesse pour exercer ses tentations a l'endroit des bons ; car, comme il tasche de faire res-jouir les mauvais au mal, aussi tasche il de faire attrister les bons au bien. Et comme il ne peut procurer le mal qu'en le faysant treuver aggreable, aussi ne peut il destourner du bien qu'en le faysant treuver desaggreable. Mays outre cela, le malin se plaist en la tristesse et melancholie, parce qu'il est luy mesme triste et melancholique, et le sera éternellement, dont il voudroit qu'un chacun fust comme luy.
3. La tristesse est presque ordinairement mauvaise et rarement bonne ; car, selon les Docteurs, l'arbre de tristesse produit huit branches, sçavoir: miséricorde, penitence, angoisse, paresse, indignation, jalousie, envie et impatience ; entre lesquelles, comme vous voyes, il n'y a que les deux premières qui soyent purement bonnes. Ce qui a fait dire au Sage, en l'Ecclesiast. (Si 30,25), que la tristesse en tue beaucoup, et qu'il n'y a point de prouffit en elle ; parce que pour deux bons ruisseaux qui en proviennent, il y en a six tres mauvais.

Signes de la mauvaise tristesse
La mauvaise tristesse trouble l'esprit, agite l'ame et la met en inquiétude. Dont le roy David ne se plaint pas seulement de la tristesse, disant : Pourquoy es tu triste, o mon ame ? mais encores du troublement et inquiétude, adjoustant: Et pourquoy me troubles-tu ? (Ps 42,5) Mais la bonne tristesse laysse une grande paix et tranquillité en l'esprit ; c'est pourquoy Nostre Seigneur, apres avoir predit a ses Apostres : Vous seres tristes (Jn 16,20 Jn 14,27), il adjouste : Et que vostre coeur ne soit point troublé, et n'ayes Point de crainte, etc. Voicy que ma tres amere amertume est en paix (Is 38,17).
La mauvaise tristesse vient comme une gresle, avec un changement inopiné et des terreurs et impétuosités bien grandes, et tout a coup, sans que l'on puisse dire d'où elle vient, car elle n'a point de fondement ni de rayson ; ains, apres qu'elle est arrivee, elle en cherche de tous costés pour se parer. Mays la bonne tristesse vient doucement en l'ame, comme une pluye douce qui attrempe les chaleurs des consolations, et avec quelque rayson precedente.
La mauvaise tristesse perd coeur, s'endort, s'assoupit et rend inutile, faysant abandonner le soin et I'oeuvre, comme dit le Psalmiste (Pr 15,13 Gn 21,15), et comme Agar, qui laissa son filz sous l'arbre pour pleurer. La bonne tristesse donne force et courage, et ne laisse point, ni n'abandonne un bon dessein ; comme fit la tristesse de Nostre Seigneur, laquelle, quoy que si grande qu'il n'en fust jamais de telle, ne l'empescha pas de prier et d'avoir soin de ses Apostres (Mt 26,38 Jn 18,8). Et Nostre Dame ayant perdu son Filz fut bien triste, mais elle ne laissa pas de le chercher diligemment (Lc 2,41 Mc 16,1 Jn 20,1) ; comme fit aussi la Magdeleyne, sans s'arrester a lamenter et pleurer inutilement.
La mauvaise tristesse obscurcit l'entendement, prive l'ame de conseil, de résolution et de jugement, comme elle fit ceux desquelz parlant le Psalmiste (Ps 106,27), il dit qu'ilz lurent troublés et esbranslés comme un homme qui est ivre, et toute leur sagesse fut devoree ; on cherche les remedes ça et la confusément, sans dessein et comme a tastons. La bonne ouvre l'esprit, le rend clair et lumineux, et, comme dit le Psalmiste (Is 28,19), sa vexation donne l'entendement.
La mauvaise empesche la priere, degouste de l'orayson, et donne desfiance de la bonté de Dieu ; la bonne, au contraire, est de Dieu, asseure la personne, accroist la confiance en Dieu, fait prier et invoquer sa miséricorde : La tribulation et l'angoisse m'ont troublé, mais vos commandemens ont esté ma meditation (Ps 118,143), disoit David.
Bref, ceux qui sont occupés de la mauvaise tristesse ont une infinité d'horreurs, d'erreurs et de craintes inutiles, de peynes et de peurs d'estre abandonnés de Dieu, d'estre en sa disgrace, de ne devoir plus se présenter a luy pour luy demander pardon, que tout leur est contraire et a leur salut, et sont comme Caïn, qui pensoit que tous ceux qui le rencontreroyent le voudroyent tuer (Gn 4,14). Ilz pensent que Dieu soit inéquitable en leur endroit, et severe jusqu'a l'éternité, et le tout pour leur particulier seulement, estimant tous les autres asses heureux au pris d'eux : ce qui provient d'une secrette superbe qui leur persuade qu'ilz devroyent estre plus fervens et meilleurs que les autres, plus parfaitz que nul autre. Bref, s'ilz y pensent bien, ilz trouveront que ce qu'ilz pensent leur faute plus considerable, c'est parce qu'ilz se pensent eux mesmes plus considerables.
Mais la bonne tristesse fait ce discours : Je suis misérable, vile et abjecte creature, et partant, Dieu exercera en moy sa miséricorde ; car la vertu se parfait dans l'infirmité (2Co 12,9), et ne s'estonne point d'estre pauvre et misérable.
Or, le fondement de ces différences qui sont entre la bonne et la mauvaise tristesse, c'est que le Saint Esprit est Autheur de la bonne tristesse ; et parce qu'il est l'unique Consolateur (Jn 14,16 Jn 16,7), ses opérations ne peuvent estre separees de consolation ; parce qu'il est la vraye Lumiere, elles ne peuvent estre separees de clairté ; bref, parce qu'il est le vray Bien, ses opérations ne peuvent estre separees du vray bien : si que les fruitz d'iceluy, dit saint Paul (Ga 5,22), sont charité, joye, paix, patience, benignité, longanimité. Au contraire, le malin esprit, autheur de la mauvaise tristesse (car je ne parle point de la tristesse naturelle, qui a plus besoin de medecins que de théologiens), c'est un vray desolateur, tenebreux et embarrasseur ; et ses fruitz ne peuvent estre que hayne, tristesse, inquiétude, chagrin, malice, défaillance. Or, toutes les marques de la mauvaise tristesse sont les mesmes pour la mauvaise timidité.


Quelques remedes

1. Il la faut recevoir avec patience (IVD part IV, ch 12), comme une juste, punition de nos vaynes joyes et allégresses ; car le malin, voyant que nous en ferons nostre prouffit, ne nous en pressera pas tant; bien qu'il ne faille pas avoir cette patience pour en estre delivré, mais pour le bon playsir de Dieu, et la prenant pour le bon playsir de Dieu, elle ne layssera pas de servir de remede.
2. Il faut contrevenir vivement aux inclinations de la tristesse et forcer ses suggestions ; et bien qu'il semble que tout ce qui se fait en ce tems-la se face tristement, il ne faut pas laisser de le faire, car l'ennemy, qui pretend de nous allentir aux bonnes oeuvres par la tristesse, voyant qu'il ne gaigne rien et qu'au contraire nos oeuvres sont meilleures estans faites avec résistance, il cesse de nous plus affliger.
3. Il n'est pas mauvais, quand il se peut, de chanter des cantiques spirituels ; car le malin a souvent cessé son opération par ce moyen, pour quelque cause que ce soit : tesmoin l'esprit qui agitoit Saül, duquel la violence estoit attrempee par la psalmodie (1S 16,23).
4. Il est bon de s'employer a l'oeuvre extérieure et la diversifier le plus que l'on peut, pour divertir la vehemente application de l'esprit de l'objet triste, purifier et eschauffer les espritz ; la tristesse estant une passion de [la] complexion froide et humide.
5. Il est bon de faire souvent des actions extérieures de ferveur, quoy que sans goust: comme d'embrasser le Crucifix, le serrer sur son coeur et sur sa poitrine, luy bayser les pieds et les mains, lever les yeux au Ciel.avec des propos d'espérance, comme : Mon Bienaymé est a moy, et moy a luy (Ct 2,16). Mon Bienaymé m'est un bouquet de mirrhe, il demeurera entre mes mammelles (Ct 1,12). Mes yeux se fondent sur vous, o mon Dieu, disant : Quand me consoleres- vous ? (Ps 118,82). Si Dieu est pour moy, qui sera contre moy (Rm 8,31) ? Jesus, soyes moy Jesus. Vive mon Dieu, et mon ame vivra. Qui me separera de la Croix de mon Dieu et semblables.
6. La discipline moderee y est quelquefois bonne, parce que la volontaire affliction extérieure impetre la consolation intérieure de l'ame, et s'appliquant au cors des douleurs extérieures, on sent moins l'effort des intérieures ; dont le Psalmiste disoit (Ps 34,13 Ps 22,3) : Mais quant a moy, quand ilz me ' molestoyent, je me revestois de haire. Et ailleurs, peut estre tout a propos : Ta verge et ton baston m'ont consolé.
7. La priere y est souveraine, suivant l'advis de saint Jacques (Jc 5,13) : Quelqu'un est il triste, qu'il prie. Je ne veux pas dire qu'il faille faire en ce tems-la de plus longues meditations, mais je veux dire qu'il faut faire de fréquentes demandes et repetitions a Dieu. Il faut tous-jours s'addresser en ce tems-la a sa divine bonté par des invocations pleines de confiance, ce que l'on ne fait pas quand on est dans le tems de la joye et hors de la tristesse, ou l'on peut croire que l'on a plus de besoin d'exciter en son coeur les sentimens de crainte ; par exemple, ceux ci : O Seigneur tres juste et terrible, o que vostre souveraine Majesté me fait trembler ! et semblables. Mais dans le tems de tristesse, il faut employer des paroles de douceur; par exemple : O Dieu de miséricorde, tres bon et tres benin, vous estes mon coeur, ma joye, mon espérance, le cher Espoux de mon ame ; et semblables. Et les faut employer bon gré malgré la tristesse, a laquelle il ne faut point donner d'audience ni de credit, pour vous empescher de proferer et eslancer ces parolles de confiance et d'amour ; et bien qu'il semble que ce soit sans fruit, il ne faut pas laisser de continuer, et attendre le fruit qui ne laissera pas de paroistre apres un peu de contention.
8. La fréquentation de la Communion a cette intention est excellente, car elle nous donne le Maistre des consolations.
9. L'un des plus asseurés remedes est de desployer et ouvrir son coeur, sans y rien cacher, a quelque personne spirituelle et prudente, et luy declairer tous les ressentimens, affections et suggestions qui arrivent de nostre tristesse, et les raysons avec lesquelles nous les nourrissons ; et cela il le faut faire humblement et fidellement.
Et notes que la premiere condition que le malin met en l'ame qu'il veut affliger et seduire c'est le silence, comme font les séditieux dans les conspirations et fascheux evenemens ; car ilz demandent sur tout que leurs entreprinses et résolutions soyent secrettes. Dieu, au contraire, demande pour la premiere condition, la discrétion ; ne voulant pas a la verité que l'on descouvre indiscrettement ses graces et faveurs, mais bien que l'on les descouvre avec prudence et selon les regles d'une humble discrétion aux personnes de qualités requises.
Ces regles sont grossières, et seulement bonnes a combattre la tristesse et inquiétude desmesuree, Ceux qui ont plus de discernement aux choses spirituelles se pourront guider par d'autres voyes que Nostre Seigneur leur suggerera ; ce pendant, si celles cy peuvent servir, employes-les soigneusement, et pries pour celuy qui vous les a marquees.

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POUR AVOIR LA PAIX INTÉRIEURE ET EXTÉRIEURE 1609-1610 (XXVI, 242)

Voules vous que rien ne traverse vostre vie ? Ne souhaites point de réputation ni de gloire du monde.
Ne vous attaches point trop aux consolations et amitiés humaines.
N'aymes point vostre vie, et mesprises tout ce qui sera sensible a vos inclinations naturelles. Supportes genereusement les douleurs du cors et les plus violentes maladies, avec acquiescement a la volonté de Dieu.
Ne vous soucies point des jugemens humains.
Taises vous de toutes choses, et vous aures la paix interieure ; car, pour vous et pour moy, il n'y a point d'autre secret pour acquerir cette paix que de souffrir a la rigueur les jugemens des hommes.
Ne vous inquietes point de ce que le monde dira de vous ; attendes le jugement de Dieu, et vostre patience jugera alhors ceux qui vous auront jugé. Ceux qui courent la bague ne pensent pas a la compaignie qui les regarde, mais a bien courre pour l'emporter. Considerés pour qui vous travailles, et ceux qui vous voudront donner de la peyne ne vous travailleront gueres.

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AMOUR PROPRE - TENTATIONS novembre 1619-1622 (XXVI,348)

Les satisfactions de l'amour-propre et l'exercice de l'amour de Dieu. - Craindre la tentation, c'est ouvrir la porte à l'ennemi ; la confiance en Dieu lui fait peur. - Mépriser les tentations et recourir à la prière. - Pourquoi le démon donne quelqu'apparence de vertu à ceux qui le servent. - " Celuy qui nous a donné la fleur du desir nous donnera aussi le fruit de l'accomplissement. " - Le Sauveur est père par sa providence et mère par son amour. - Un effet de la dévotion qui est selon Dieu. - Exemple du bienheureux Amédée de Savoie et de sainte Paule. - L'amour de Dieu ne trouve jamais qu'on fait trop pour lui.
C'est es choses difficiles, malaysees et desaggreables que nous devons prattiquer la fidelité envers Dieu, laquelle sera d'autant plus excellente que nous aurons moins de choix a ce qui nous sert d'exercice. L'amour propre se contente aucunement entre les souffrances, quand elles sont de son eslection ; l'amour de Dieu s'exerce plus heureusement es sujetz que la Providence divine permet ou ordonne sans nous, mais sur nous et pour nous.
La divine Escriture dit : Celuy qui n'est point esprouvé que sçait il (Si 34,9) ? Bienheureux est l'homme qui endure l'essay de la tentation, car apres avoir esté esprouvé par l'Esprit, il recevra la couronne de gloire que Dieu a promise a ceux qui l'aiment (Jc 1,12). Si vostre coeur craint plus la tentation qu'il ne faut, il donne l'ouverture a son ennemy ; comme au contraire, si nous avons une confiance filiale en Dieu et que nous nous retournions de son costé prenant asseurance en sa bonté, l'ennemy craindra de nous tenter, voyant que sa tentation nous donne sujet de nous jetter entre les bras de Nostre Seigneur. Et pour l'ordinaire, la meilleure methode de resister a la tentation, c'est de ne point disputer avec elle, ni mesme s'amuser a regarder les sujetz ; ains il faut, aussi tost qu'on la sent, parler d'autre chose avec Nostre Seigneur ou avec sa sainte Mere, ou avec les Anges et les Saintz, ou avec son ame mesme. Bref, si la tentation est d'une rose, il faut parler d'une violette, et ne point s'estonner de la varieté des pensees, puisqu'il n'est pas requis de les combattre l'une apres [l'autre], ains seulement de les maistriser et desdaigner toutes par un simple retour du coeur a Dieu, a la Majesté duquel on recourt par prieres ; par exemple, de luy dire, en se retournant vers luy : je suis vostre (Ps 118,94), mon Dieu; hé, que vous estes aymable ! Jesus est bon ; VIVE JESUS ! et semblables paroles. En somme, c'est un bon moyen de vaincre que de ne point regarder l'ennemy, mais tous-jours se retourner devers le bienaymé Amy celeste ; et quoy que nostre ennemy crie et tempeste, il suffit pour le rejetter de ne point respondre, ne point s'amuser a luy et ne point faire semblant de luy. Tandis que l'on dit : Non, on n'est jamais vaincu. N'estimer rien de soy mesme, sinon seulement parce que nous appartenons a Dieu et sommes a luy, et s'aneantir soy mesme. Helas ! tandis que les ames servent au peché, l'ennemy leur donne quelque apparence de vertu pour quelque particulier sujet, affin de nourrir en elles quelque sorte de presomption et une vayne complaysance en elles mesmes, sans laquelle on ne pourroit gueres demeurer en peché ; car, comme l'on ne peut gueres ressentir de perfection sans humilité, aussi ne peut on long tems demeurer en peché sans la vanité, c'est a dire sans presomption..., nous confions en ce grand Salutaire, esperans qu'en sa sayson elle le rendra multiplié. Confions nos bons desirs a Dieu et ne soyons point en anxieté s'ilz fructifieront, car Celuy qui nous a donné la fleur du desir nous donnera aussi le fruit de l'accomplissement pour sa gloire, si nous avons une fidelle et amoureuse confiance en luy.
Soyes toute a Dieu, ma tres chere Fille, penses en luy et il pensera en vous. Il vous a tiree a soy affin que vous fussies sienne, et il aura soin de vous. Ne craignes rien, car si les petitz poussins se tiennent asseurés quand ilz sont sous les aisles de leur mere, combien doivent estre asseiirés les enfans de Dieu sous sa paternelle protection ! Derneures donq en paix, ma Fille, puisque vous estes de ces enfans ; et reposes vostre coeur et toutes les lassitudes et langueurs qui vous arriveront, sur la sacree et tres aymable poitrine de ce Sauveur, qui sert a ses enfans de pere par sa providence et de rnere par son doux et tendre et cordial amour. .
La devotion nous aydera beaucoup et nous servira grandement a la vraye perfection. Tout ainsy comme nous aydons aux malades, quand nous les allons visiter, a supporter leur mal en le regrettant et lamentant, de mesme aussi la devotion nous ayde, quand elle est simple et selon Dieu, a supporter plus patiemment les afflictions et tribulations quand elles nous arrivent.
Nous.lisons en la Vie du bienheureux Amedee, que ceux qui le voyoyent en devotion [disaient qu'il] falloit qu n'eussent point de coeur ou bien [qu'] ilz l'avoyent de roche s'ilz ne l'amollissoyent, a l'heure particulièrement que l'on le voyoit a la Messe ou aux Offices divins, " ou jamais il ne parloit a personne [qu'] a Dieu. La douceur de ses yeux, et ses larmes coulant si doucement sur sa face angelique, les ardens souspirs qui entrecoupoyent ses innocentes prieres, sa modestie en toute sa personne donnoyent de la devotion a tous ceux qui avoyent l'honneur de le voir en ce saint exercice. " Le monde disoit qu' " il pleuroit trop. Ouy certes, mais je vous diray de luy ce que disoit saint Hierosme de sainte Paule : elle pleuroit trop pour une grande dame," il est " vray, mais les pechés de sainte Paule eussent esté de bien grandes vertus " a d'aucune. " Ainsy le bienheureux Amedee pleuroit trop, donnoit trop aux pauvres, s'humilioit trop, aymoit la solitude trop : soit ainsy, puisque vous le voulés ; mais trois fois et trois fois heureux trop ! et O sacrés excès.! ces pechés mortelz eussent esté de grandes vertus aux autres princes.
L' " homme qui ayme Dieu et qui a le coeur vivement frappé " de l'amour de Dieu " ne treuve rien de trop, hormis " le peché, et " Iuy semble de faire tous-jours trop peu pour Dieu qui a fait tant d'exces d'amour et de souffrance pour nous ; " mais nous autres, pour peu que nous fassions, nous pensons encor " avoir fait trop et que Dieu " nous en " doit de reste. " Miserables que nous sommes ! Oh, a Dieu ne playse que cette presomption si vayne nous entre dans la cervelle. Il faut tous-jours bien faire de mieux en mieux, car quand [nous] vivrions les siecles entiers en souffrance et peyne, nous ne pourrions trop faire pour un si bon Dieu qui nous a fait tant de graces et tant de biens. Servons le donq de bon coeur, avec amour ; courons a luy, affin qu'il nous donne sa gloire et la consolation de son Saint Esprit (Ac 9,31), laquelle soit a jamais au milieu de nos coeurs. Amen.

Revu sur un ancien Manuscrit conservé à la Bibliothèque publique de Bourges, A, no 113


François S.: avis, sermons 210