F. de Sales, Lettres 288


LETTRE LXXIV. ,

S. FRANÇOIS DE SALES, AUX MINISTRES PROTESTANTS DE GENEVE.

(Tirée de la vie du Saint, par Ch. Aug. de Sales.)

Il consent à une conférence avec eux, pourvu que ce soit à des conditions raisonnables.

Annecy, 16 août 1605.

Sur les propos qui ont été ci-devant tenus pour l'ouverture d'une conférence dans la ville de Genève, pour le sujet de la religion, tant seulement entre moi avec quelques prédicateurs catholiques, d'une part, et les ministres de la même ville, d'autre ; j'ai fait cet écrit, et l'ai signé de ma main, et scellé de mon sceau, pour déclarer et attester que toutes fois et quantes que les ministres voudront y entendre et convenir de conditions raisonnables, sortables et légitimes, pour une telle assemblée ou conférence, je m'y porte-rois avec toute promptitude et sincérité, espérant, en la bonté de Dieu, que son nom en sera glorifié au salut et bien de plusieurs âmes. Ainsi je l'en supplie.



LETTRE LXXV, A MADAME DE CHANTAL.

296
Ne pas raisonner avec les tentations, ni les appréhender, ni même y réfléchir ; elles ne nous font pas de mal lorsqu'on n'y songe point.

Le jour de Saint-Augustin, Annecy, le 28 août 1605.

1. Vous aurez maintenant en main, je m'en assure, ma fille, les trois lettres que je vous ai écrites, et fue vous n'aviez pas encore reçues quand vous m'écrivîtes le deuxième d'août. Il me reste à vous répondre à celle de cette date-là, puisque par les précédentes j'ai répondu à toutes les autres.

Vos tentations de la foi sont revenues ; et encore que vous ne leur répliquiez pas un seul mot, elles vous pressent. Vous ne leur répliquez pas : voilà bon, ma fille ; mais vous y pensez trop, mais vous les craignez trop, mais vous les appréhendez trop ; elles ne vous feraient nul mal sans cela. Vous êtes trop sensible aux tentations. Vous aimez la foi, et ne voudriez pas qu'une seule pensée vous vînt au contraire ; et tout aussitôt qu'une seule vous touche, vous vous en attristez et troublez. Vous êtes trop jalouse de cette pureté de foi ; il vous semble que tout la gâte. Non, non, ma fille, laissez courir le vent, et ne pensez que le frifilis des feuilles soit le cliquetis des armes.

Dernièrement, j'étais auprès des ruches des abeilles, et quelques-unes se mirent sur mon visage : je voulus y porter la main, et les ôter. Non, ce me dit un paysan, n'ayez point peur, et ne les touchez point ; elles ne vous piqueront nullement; si vous les louchez, elles vous mordront. Je le crus; pas une ne me mordit. Croyez-moi, ne i craignez point ces tentations, ne les touchez point, elles ne vous offenseront point; passez outre, et ne vous y amusez point.

2. Je reviens du bout de mon diocèse qui est du côté des Suisses, où j'ai achevé l'établissement de trente-trois paroisses, èsquelles il y a onze ans qu'il n'y avait que des ministres; et y fus en ce temps-là trois ans tout seul prêcher la foi catholique : et Dieu m'a fait voir à ce voyage une consolation entière ; car en lieu que je n'y trouvai que cent catholiques, je n'y ai pas laissé maintenant cent huguenots. J'ai bien eu de la peine à ce voyage, et un terrible embarrassement ; et parce que c'était pour des choses temporelles et provisions des églises, j'y ai été fort empêché; mais Dieu y a mis une très-bonne fin par sa grâce, et encore s'y est-il fait quelque peu de fruit spirituel. Je dis ceci, parce que mon coeur ne saurait rien celer au vôtre, et ne se tient point pour être divers ni autre, ains un seul avec le vôtre.

3. C'est aujourd'hui S. Augustin ; et vous pouvez penser si j'ai prié pour vous le maître, et le serviteur, et la mère du serviteur (d). Dieu soit notre coeur, ma fille ; et je suis, en lui et par sa volonté, tout vôtre. Vivez joyeuse, et soyez généreuse. Dieu, que nous aimons, et à qui nous sommes voués, nous veut en cette sorte là. C'est lui qui m'a donné à vous: il soit à jamais béni et loué!

P. S. Je fermais cette lettre, ainsi mal faite ; et voici qu'on m'en apporte deux autres, l'une du d6, l'autre du 20 août, fermées en un seul paquet. Je n'y vois rien que ce que j'ai dit ; vous appréhendez trop les tentations, il n'y a que ce mal. Soyez toute résolue que toutes les tentations d'enfer ne sauraient souiller un esprit qui ne les aime pas : laissez-les donc courir. L'apôtre S. Paul en souffre de terribles, et Dieu ne les lui veut pas ôter (cf.
2Co 12,7-9); et le tout par amour. Sus, sus, ma fille, courage : que ce coeur soit toujours à son Jésus ; et laissez clabauder ce mutin à la porte tant qu'il voudra. Vivez, ma chère fille, avec le doux Jésus et votre sainte abbesse (2), parmi les ténèbres, les clous, les épines, les lances, les dérélictions, et avec votre maîtresse (3). Vivez longtemps en larmes sans rien obtenir : enfin Dieu vous ressuscitera, et vous réjouira, et vous fera voir le désir de votre coeur (Ps 20,2-3).

Je l'espère ainsi; et, s'il ne le fait pas, encore ne laisserons-nous pas de le servir ; il ne laissera pas pour cela d'être notre Dieu ; car l'affection que nous lui devons est d'une nature immortelle et impérissable.



(1) Le maître c'est Dieu ; le serviteur est S. Augustin, et la mère du serviteur est sainte Monique.
(2) La sainte Vierge.
(3) Sainte Monique.




LETTRE LXXVI.

S. FRANÇOIS DE SALES, A MADAME DE CHANTAL.

Il l'exhorte à préparer son coeur, afin que la sainte Vierge y naisse, et à s'unir fortement à Jésus. Il lui recommande la simplicité et la douceur.



Le 15 septembre 1603.

Mon Dieu ! ma chère fille, quand sera-ce que Notre-Dame naîtra dans notre coeur? Pour moi, je vois bien que je n'en suis nullement digne ; vous en penserez tout autant de vous. Mais son Fils naquit bien dans l'étable ; et courage clone, faisons faire place à cette sainte pouponne : elle n'aime que les lieux approfondis par humilité, avilis par simplicité, et élargis par charité; elle se trouve volontiers auprès de la crèche et au pied de la croix ; elle ne se soucie point si elle va en Egypte, hors de toute récréation, pourvu qu'elle ait son cher enfant avec elle.

Non, que notre Seigneur nous tourne et vire à gauche ou à droite ; que, comme avec des autres Jacob, il nous serre, il nous donne cent entorses; qu'il nous presse tantôt d'un côté tantôt de l'autre; bref, qu'il nous fasse mille maux, nous ne le quitterons point pourtant qu'il ne nous ait donné son éternelle bénédiction. Aussi, ma fille, jamais notre bon Dieu ne nous abandonne que pour nous mieux retenir ; jamais il ne nous laisse que pour nous mieux garder ; jamais il ne lutte avec nous que pour se rendre à nous et nous bénir.

Allons cependant, allons, ma chère fille, cheminons par ces basses vallées des humbles et petites vertus ; nous y verrons des roses entre les épines, la charité qui éclate parmi les affections intérieures et extérieures; les lis de pureté, les violettes de mortification : que sais-je, moi ? Surtout j'aime ces trois petites vertus, la douceur de coeur, la pauvreté d'esprit, et la simplicité de vie ; et ces exercices grossiers, visiter les malades, servir aux pauvres, consoler les affligés, et semblables ; mais le tout sans empressement, avec une vraie liberté. Non, nous n'avons pas encore les bras assez larges pour atteindre aux cèdres du Liban ; contentons-nous de l'hyssope des vallons.


LETTRE LXXVII, A MADAME DE CHANTAL.

Il la confirme dans ses bonnes résolutions de quitter le monde sans s'expliquer davantage sur la nature de sa retraite.

Le 5 octobre 1605.

Ayant été jusqu'ici détenu par un monde de cuisantes affaires, ma chère fille, je m'en vais à cette bénite visite, en laquelle je vois à chaque bout de champ des croix de toutes sortes. Ma chair en frémit, mais mon coeur les adore. Oui, je vous salue, petites et grandes croix, spirituelles ou temporelles, intérieures et extérieures ; je vous salue, et baise votre pied, indigne de l'honneur de votre ombre. A quel propos cela ? Oui, c'est à propos, si ma chère fille; car j'adore de même affection les vôtres, que je tiens pour miennes ; et veux, au moins je vous en prie, que vous aimiez les miennes de même coeur. J'en ai bien eu depuis nos pardons (1), mais courtes et légères. Mon Dieu, supportez la faiblesse de mes épaules, et ! ne les chargez que de peu, pour seulement me ; faire connaître quel pauvre soldat je serais si je voyais les armées en front. Que vos lettres m'ont consolé, ma chère fille ! Je les vois pleines de bons désirs, de courage et de résolutions. O que voilà qui va bien ! Et laissons gronder et frémir l'ennemi à la porte et tout autour de nous ; car Dieu est au milieu de nous et en notre coeur, d'où il ne bougera point, s'il lui plait. Demeurez avec nous, Seigneur, car il se fait nuit (Lc 24,29). Je ne vous dirai plus rien, ni dessus le grand abandonnement de toutes choses et de soi-même pour Dieu, ni dessus la sortie de sa contrée et de la maison de ses parents. Je ne veux point parler. Dieu vous veuille bien éclairer, et faire voir son bon plaisir ! car, au péril de tout ce qui est en nous, nous le suivrons quelque part qu'il nous conduise. O qu'il fait bon avec lui, où que ce soit ! Je pense à l'âme de mon très-bon et très-saint larron : notre Seigneur lui avait dit qu'elle serait ce jour-là avec lui en paradis (Lc 22,43), et elle ne fut pas plus tôt séparée de son corps que voilà qu'il la mena en enfer. Oui, car il devait être avec notre Seigneur, et notre Seigneur était dévalées enfers : elle y alla donc avec lui. Vrai Dieu! que devait-elle penser en descendant, et voyant ces abîmes devant ses yeux intérieurs? Je crois qu'elle disait avec Job : Qui me fera la grâce, 6 mon Dieu, que tu me conserves, et me défendes en enfer (Jb 4,15) ? Et avec David : Non, je ne craindrai nul mal; car, Seigneur, lu es avec moi (Ps 22,4). Non, ma chère fille, pendant que nos résolutions vivent, je ne me trouble point. Que nous mourions, que tout renverse, il ne m'en chaut, pourvu que cela subsiste. Les nuits nous sont des jours quand Dieu est en notre coeur, et les jours sont des nuits quand il n'y est point.

Pour nos filles (5), vous ne sauriez faillir à suivre l'avis de votre confesseur.


(1) C'est-à-dire des indulgences, qui avaient lieu tous les sept ans à la collégiale de Notre-Dame, à Annecy.
(5) Les filles de madame de Chantal.



Il n'est pas besoin de dire en confession ces petites pensées, qui comme mouches passent et viennent devant vos yeux, ni l'affadissement des goûts que vous avez en vos voeux; car tout cela ne sont point péchés, mais ennuis, mais incommodités. Pressé donc, je ferme cette lettre. Je prie notre Seigneur qu'il vous rende de plus en plus sienne; qu'il soit le protecteur de vos résolutions, le défenseur de votre viduité, le directeur de votre obéissance ; qu'il soit votre tout, et tout vôtre. Je prie cette sainte abbesse, notre chère dame et reine, qu'elle nous soit à jamais propice, et nous fasse vivre et mourir en son fils. Je suis incomparablement, ma chère fille, je suis tout vôtre es entrailles du fils et de la mère.




LETTRE LXXVIII.

S. FRANÇOIS DE SALES, A MADAME DE CHANTAL.

L'humilité est la vertu propre aux veuves ; en quoi elle consiste. Application et pratique. Il est très utile de méditer sur la vie et la mort de notre Seigneur. Remèdes aux tentations contre la foi. Avis sur l'exercice des vertus.


Ier novembre 1605.

Mon Dieu ! que j'ai de coeur et de passion au service de votre esprit ! Vous ne le sauriez assez croire, ma chère soeur : je m'en trouve tant que cela seul suffit pour me persuader que c'est de la part de notre Seigneur ; car il n'est pas possible, ce me semble, que tout le monde ensemble m'en pût tant donner ; au moins je n'en ai jamais tant aperçu chez lui.

C'est aujourd'hui la fête de tous les saints ; et faisant l'office à nos matines solennelles, voyant que notre Seigneur commence les béatitudes par la pauvreté d'esprit, que S. Augustin interprète de la sainte et très-désirable vertu d'humilité, je me suis ressouvenu que vous m'aviez demandé que je vous envoyasse quelque chose d'icelle ; et il m'est avis que je ne l'ai pas fait dans ma dernière lettre, quoique bien ample, et peut-être trop longue. Sur cela Dieu m'a donné tant de choses pour vous venir écrire, que, si j'avais assez de loisir, il m'est avis que je dirais merveilles.

Premièrement, ma chère soeur, il m'est venu en mémoire que les docteurs donnent aux veuves pour leur propre vertu la sainte humilité : les vierges ont la leur, après les martyrs, les docteurs et les pasteurs, chacun la sienne, comme l'ordre de leur chevalerie : et tous doivent avoir eu l'humilité, car ils n'auraient pas été exaltés s'ils ne se fussent humiliés (Lc 14,2). Mais aux veuves appartient surtout l'humilité ; car qui peut enfler la veuve d'orgueil ? elle n'a plus son intégrité (laquelle néanmoins peut être contre-échangée par une grande humilité viduale ; cela est bien mieux d'être veuve avec force huile en lampe, en ne désirant rien que l'humilité avec charité, que d'être vierge sans huile, ou avec peu d'huile), ni ce qui donne le plus haut prix à ce sexe selon l'estime du monde ; elle n'a plus son mari, qui était son honneur, et duquel elle a pris le nom. Que lui reste-t-il plus pour se glorifier, sinon Dieu! O bienheureuse gloire ! ô couronne précieuse ! Au jardin de l'Église, les veuves sont comparées aux violettes, petites fleurs et basses, de couleur non guère éclatante, ni d'odeur trop piquante, mais souèves à merveille. O que c'est une belle fleur que la veuve chrétienne, petite et basse par humilité! Elle n'est guère éclatante aux yeux du monde ; car elle les fuit, et ne se pare plus pour les attirer sur soi : et pourquoi désirerait elle les yeux de ceux de qui elle ne désire plus le coeur ?

L'Apôtre commande à son cher disciple qu'il honore les veuves qui sont vraiment veuves (1Tm 5,2). Mais quelles sont ces vraies veuves, sinon celles qui le sont de coeur et d'esprit, c'est-à-dire, qui n'ont leur coeur marié à aucune créature ? Notre Seigneur ne dit pas aujourd'hui, Bienheureux ceux qui sont nets de corps, mais de coeur, et ne loue pas les pauvres, mais les pauvres d'esprit. Les veuves sont honorables quand elles sont veuves de coeur et d'esprit ; qu'est-ce à dire veuve, sinon destituée et privée, c'est-à-dire, misérable, pauvre et chétive ? Celles donc qui sont pauvres, misérables et chétives en leur esprit et en leur coeur, sont louables. Tout cela veut dire, celles qui sont humbles, desquelles notre Seigneur est le protecteur.

Mais qu'est-ce que l'humilité ? Est-ce la connaissance de cette misère et pauvreté? Oui, dit notre S. Bernard-; mais c'est l'humilité morale et humaine. Qu'est-ce donc que l'humilité chrétienne ? c'est l'amour de cette pauvreté et abjection en contemplation de celle de notre Seigneur. Connaissez-vous que vous êtes une pauvre petite chétive veuve? aimez cette chétive condition ; glorifiez-vous de n'être rien ; soyez-en bien aise, puisque votre misère sert d'objet à la bonté de Dieu pour exercer sa miséricorde.

Entre les gueux, ceux qui sont les plus misérables, et desquels les plaies sont plus grandes et effroyables, se tiennent pour les meilleurs gueux, et plus propres à attirer l'aumône : nous ne sommes que des gueux; les plus misérables sont de meilleure condition ; la miséricorde de Dieu les regarde volontiers.

Humilions-nous, je vous supplie, et ne prêchons (iie nos plaies et misères à la porte du temple de la piété divine; mais ressouvenez-vous de les prêcher avec joie, vous consolant d'être toute vide et toute veuve, afin que notre Seigneur vous remplisse de son royaume. Soyez douce et affable avec un chacun, hormis à ceux qui voudront vous ôter votre gloire, qui est votre misère et votre viduité parfaite. Je me glorifie en mes infirmités, dit l'apôtre ; il m'est mieux de mourir que de perdre ma gloire. Voyez-vous, il aimerait mieux mourir que de perdre ses infirmités qui sont sa gloire.

Il faut bien garder votre misère et votre vilité; car Dieu la regarde, comme il fit celle de la Vierge sacrée. Les hommes regardent ce qui est dehors, mais Dieu regarde le coeur (1S 16,7). S'il voit notre bassesse dans notre coeur, il nous fera de grandes grâces. Cette humilité conserve la chasteté ; c'est pourquoi, aux cantiques, cette belle âme est appelée le lis des vallées. Tenez-vous donc joyeusement humble devant Dieu : mais tenez-vous également joyeuse et humble devant le monde. Soyez bien aise que les hommes ne tiennent point compte de vous : s'ils vous estiment, moquez-vous-en joyeusement, et riez de leur jugement et de votre misère qui le reçoit ; s'ils ne vous estiment pas, consolez-vous joyeusement de quoi au moins en cela le monde suit la vérité.

'Pour l'extérieur, n'affectez pas l'humilité visible, mais ne la fuyez pas aussi : embrassez-la, mais toujours joyeusement. J'approuve que l'on s'abaisse quelquefois à des bas services, même à l'endroit des inférieurs et superbes, à l'endroit des malades et pauvres, à l'endroit des siens en la maison, et dehors : mais que ce soit toujours naïvement et joyeusement. Je le répète souvent, parce que c'est la clef de ce mystère pour vous et pour moi. J'aurai plutôt dit charitablement; car la charité, dit S. Bernard, est joyeuse, et c'est après S. Paul. Les offices humbles et d'humilité extérieure ne sont que l'écorce, mais elle conserve le fruit.

Continuez vos communions et exercices, ainsi que je vous ai écrit. Tenez-vous cette année bien ferme en la méditation de la vie et mort de notre Seigneur : c'est la porte du ciel ; si vous vous plaisez à le hanter vous apprendrez ses contenances. Ayez le courage grand et de longue haleine ; ne le perdez pas pour le bruit, et surtout es tentations de la foi. Notre ennemi est un grand clabaudeur, ne vous en mettez nullement en peine ; car il ne vous saurait nuire, je le sais bien.

Moquez.-vous de lui, et le laissez faire. Ne contestez point, faites-lui la nique ; car tout cela n'est rien. Il a bien crié autour des saints, et fait plusieurs tintamarres; mais quoi? pour cela les voilà logés à la place qu'il a perdue, le misérable !

Je désire que vous voyiez le chapitre XLI du Chemin de perfection de la bienheureuse mère Thérèse : car il vous aidera à bien entendre le mot que je vous ai dit si souvent, qu'il ne faut point trop pointiller en l'exercice des vertus ;. qu'il y faut aller rondement, franchement, naïvement, à la vieille française, avec liberté, à la bonne foi, grosso modo. C'est que je crains l'esprit de contrainte et de mélancolie. Non, ma chère fille; je désire que vous ayez un coeur large et grand au chemin de notre Seigneur, mais humble, doux, et sans dissolution.

Je me recommande aux petites mais pénétrantes prières de notre Celse-Benigne ; et si Aimée commence à me donner quelques petits-souhaits je les tiendrai pour très-chers. Je vous donne et votre coeur de veuve, et vos enfants tous les jours à notre Seigneur, en lui offrant son Fils. Priez pour moi, ma chère fille, afin qu'un jour nous puissions nous voir avec tous les saints en paradis : mon désir de vous aimer et d'être aimé de vous n'a point de moindre mesure que d'éternité. Le doux Jésus nous la veuille donner en son amour et dilection ! Amen. Je suis donc et veux être éternellement tout entièrement vôtre en Jésus-Christ.



LETTRE LXXIX, A MADAME BOURGEOIS, ABBESSE DU PUITS-D'ORBE.

309 Consolation sur une infirmité corporelle. 16 novembre 1605.



Ma soeur et ma très-chère fille, opprimé et accablé d'affaires en cette visite de mon diocèse, que je fais, je ne laisse pas de prier notre bon Dieu tous, les jours, et de lui offrir le saint sacrifice, afin que vous ne soyez pas accablée des douleurs que votre jambe vous apporte, ni des difficultés que nos saintes entreprises ont et doivent avoir en ces commencements.

Monsieur notre bon père m'écrit souvent de vos nouvelles : rien ne peut arriver de plus souhaitable que quand elles sont bonnes, comme elles sont toujours selon Dieu, en qui je sais que vous jetez toute votre vue intérieure, au bon plaisir duquel tous vos desseins et tous vos désirs se vont fondre. Courage, ma chère fille; Dieu vous sera I propice sans doute, pourvu que vous lui soyez- fidèle. Quel bonheur que sa divine majesté vous veuille employer à son service, non-seulement en agissant, mais aussi en pâtissant !

Ayez soin de conserver la paix et la tranquillité de votre coeur : laissez bruire et gronder les vagues tout autour de votre barque, et ne craignez point ; car Dieu y est, et par conséquent le salut. Je sais, ma chère soeur, que les petits ennuis sont plus fâcheux, à cause de leur multitude et de leur importunité, que les grands, et les domestiques que les étrangers ; mais aussi je sais que la victoire en est souventes fois plus agréable à Dieu que plusieurs autres, qui aux yeux du monde semblent de plus grand mérite.

Adieu, ma chère soeur : on me ravit les lettres pour les emporter, et n'ai loisir que de me dire votre, etc.




LETTRE LXXX.

S. FRANÇOIS DE SALES, A MADAME DE CHANTAL.

Il faut porter Jésus-Christ dans son âme. 16 novembre 1605.

Ma chère fille, je reçois une particulière consolation à vous parler en ce langage muet, après que tout le jour j'ai tant parlé à tant d'autres en langage parlant. Or sus, si faut-il vous dire ce que je fais ; car je ne sais presque rien autre; et encore ne sais-je guère bien ce que je fais.

Je viens de l'oraison, où, m'enquérant de la cause pour laquelle nous sommes en ce monde, j'ai appris que nous n'y sommes que pour recevoir et porter le doux Jésus, sur la langue en l'annonçant, sur les bras en faisant de bonnes oeuvres, sur nos épaules en supportant son joug, ses sécheresses et stérilités ; et ainsi en nos sens intérieurs et extérieurs. 0 que bienheureux sont ceux qui le portent doucement et constamment !

Je l'ai vraiment porté tous ces jours sur ma langue, et l'ai porté en Egypte, ce me semble, puisqu'au sacrement de confession j'ai ouï grande quantité de pénitents, qui se sont, avec une extrême confiance, adressés à moi, pour le recevoir en leurs âmes pécheresses. Oh! Dieu l'y veuille bien conserver !

J'y ai encore appris une pratique de la présence de Dieu, laquelle, en passant, j'ai resserrée en un coin de ma mémoire, pour vous la-communiquer sitôt que j'aurai lu le traité qu'en a fait le père Arias.

Ayez un grand coeur, ma chère fille, et étendez-le fort sous la volonté de notre Dieu. Savez-vous ce que je dis, étendant votre corporal pour la consécration? Ainsi, dis-je, puisse bien être étendu le coeur de celle qui me l'a envoyé, sous les sacrées influences de la volonté du Sauveur ! Courage, ma fille, tenez-vous bien serrée auprès de votre sainte abbesse, et la suppliez sans fin que nous puissions vivre, mourir et revivre en l'amour de son cher enfant. Vive Jésus, qui m'a rendu tout vôtre, et plus que je ne puis dire ! La paix du doux Jésus règne en votre coeur.



LETTRE LXXXI, A MADAME DE CHANTAL.

315
Pensées sur le renouvellement de l'année.


Annecy, 28 décembre 1605.

Je finis cette année, ma chère fille, avec un désir non-seulement grand, mais cuisant, de m'a-variccr meshui en ce saint amour, que je ne cesse d'aimer, quoique je ne l'aie encore point goûté. Vive Dieu, ma fille, notre coeur (voyez-vous, je dis notre coeur) est fait pour cela. Ah que n'en sommes-nous bien pleins! Vous ne sauriez vous imaginer le sentiment que j'ai présentement de ce désir. O Dieu ! pourquoi vivrons-nous l'année suivante, si ce n'est pour mieux aimer cette bonté souveraine ? Oh ! qu'elle nous ôte de ce monde, ou qu'elle ôte ce monde de nous ; ou qu'elle nous fasse mourir, ou qu'elle nous fasse mieux aimer sa mort que notre propre vie !

Mon Dieu ! ma fille, que je vous souhaite en Bethléem maintenant auprès de votre sainte abbesse ! Eh ! qu'il lui sied bien de faire l'accouchée et de manier ce petit enfançon ! Mais surtout, j'aime sa charité, qui le laisse voir, manier et baiser à qui veut. Demandez-le-lui, elle vous le donnera, et l'ayant, dérobez-lui secrètement une de ces petites gouttelettes qui sont sur ses yeux. Ce n'est pas encore la pluie, ce ne sont que les premières rosées de ses larmes. C'est merveille combien cette liqueur est admirable pour toute sorte de mal de coeur.

Ne vous chargez point d'austérités ce carême, sinon avec le congé de votre confesseur, qui à mon avis ne vous en chargera pas. Dieu veuille couronner votre commencement d'année des roses que son sang a teintes! Adieu, ma chère fille; je suis celui qui vous a dédié tout son service.






LETTRE LXXXII.

S. FRANÇOIS DE SALES, A UNE DEMOISELLE.

Garnier 16e lettre
Ce que c'est que le courage des chrétiens.

Janvier 1606.

C'est avec ma fille, qui est bonne, et de laquelle je sens le coeur inébranlable en la sainte amitié qu'elle me porte, que je me donne tout le loisir de répondre : le temps aussi a été employé parmi des embarrassements que notre jubilé m'a apportés depuis. Vraiment, ma très-chère fille, les résolutions que vous me communiquez étaient toutes telles que je vous les pouvais désirer, et faites bien ainsi. Ne démordez nullement de la sainte humilité et de l'amour de votre propre abjection. Sachez que le coeur qui veut aimer Dieu ne doit être attaché qu'à l'amour de Dieu : si ce même Dieu veut lui en donner d'autre, à la bonne heure, s'il ne lui en veut pas donner d'autre, à la bonne heure encore. Mais je pense bien pourtant que cette bonne fille ne tiendra pas son coeur ; j'en serais grandement marri, pour l'amour d'elle, qui commettrait une grande faute.

Hélas, ma chère fille, que c'est un mauvais langage d'appeler courage la fierté et la vanité ! Les chrétiens appellent cela lâcheté et couardise; comme, au contraire, ils appellent courage la patience, la douceur, la débonnaireté, l'humilité, l'acceptation, et l'amour du mépris et de la propre abjection. Car tel a été le courage de notre capitaine, de sa mère, de ses apôtres, et des plus vaillants soldats de cette milice céleste ; courage avec lequel ils ont surmonté les tyrans, soumis les rois, et gagné tout le monde à l'obéissance du crucifié. Soyez égale, ma très-chère fille, envers toutes ces bonnes filles; saluez-les, honorez-les; ne les fuyez point, ne les suivez non plus qu'à mesure qu'elles témoigneront de le désirer. Ne parlez de tout ceci qu'avec une extrême charité. Tâchez de tirer cette âme que vous devez visiter à quelques sortes d'excellentes, résolutions. Je dis excellentes, parce que ces petites résolutions de ne faire pas mal ne sont pas suffisantes : il en faut encore de faire tout lé bien qu'on pourra, et de retrancher non-seulement le, mal, mais tout ce, qui ne sera pas.de Dieu et pour Dieu.

Or sus, nous nous verrons, s'il plaît à Dieu, avant Pâques. Vivez toute à celui qui est mort, pour nous, et soyez crucifiée avec lui. Qu'il soit béni éternellement par vous, ma très-chère fille, et par moi qui suis sans fin votre, etc.


LETTRE LXXXIJI, A MADAME DE CHANTAL.

318 Pureté que doivent avoir les communications spirituelles ; règles qu'il faut observer, etc.


Annecy, 30 janvier 1606.

1. J'étais à Sales le 22 de ce mois, pour obéir à ma bonne mère, qui désirait me voir avant mon départ, et j'y reçus votre lettre du premier jour de cette année, dont j'ai reçu beaucoup de consolation, laquelle se répandit sur toute la famille, qui vous est infiniment vôtre.

Le 28, voici votre homme qui m'arriva, et me trouva environné d'affaires ; si que je n'ai pu le dépêcher qu'aujourd'hui. - Dites-moi, ma fille, ne m'est-ce pas de l'affliction de ne pouvoir écrire qu'ainsi à la dérobée ? Oh! voilà pourquoi il nous faut acquérir le plus que nous pourrons l'esprit de la sainte liberté et indifférence : il est bon à tout, et même pour demeurer six semaines, et voire sept, sans qu'un père, et un père de telle affection comme je suis, et une fille telle que vous êtes, reçoivent aucunes nouvelles l'un de l'autre.

2. Vous fûtes malade après la Conception, et je le fus aussi sept à huit jours durant; et je craignais fort que ce fût pour bien plus, mais Dieu ne le voulut pas.

Je ne puis m’étendre selon mon coeur ; car voici le jour de mes adieux, devant partir demain devant jour, pour aller à Chambéri, où le père recteur des jésuites m'attend, pour me recevoir ces cinq ou six jours de carême-prenant, que j'ai réservés pour rasseoir mon pauvre esprit tout tempêté.de tant d'affaires. Là, ma.fille, je prétends de me revoir partout, et remettre toutes les pièces de, mon coeur en leur place, à l'aide de ce bon père, qui est éperdument amoureux de moi et de mon bien.

3. Et si ferai, ma fille ; je vous dirai quelque chose de moi, puisque vous le désirez tant, et que vous dites que cela vous sert ; mais, à vous seulement. Ce ne sont pas des eaux, ce sont des torrents que les affaires de ce diocèse. Je vous puis dire avec vérité que j'en ai eu du travail sans mesure, depuis que je me suis mis à la visite ; et, à mon retour, j'ai trouvé une besogne de laquelle il m'a fallu entreprendre ma part, et qui m'a infiniment occupé. Le bon est que c'est tout à la gloire de notre Dieu, laquelle il m'a donné de très grandes inclinations ; je le prie qu'il lui plaise de les convertir en résolutions. Je me sens un peu plus amoureux des âmes (iic l'ordinaire; c'est tout l'avancement que j'ai fait depuis vous; mais, au demeurant, j'ai souffert de grandes sécheresses et dérélictions, non toutefois longues, car mon Dieu m'est si doux qu'il ne se passe jour qu'il ne me flatte pour me gagner à lui. Misérable que je suis! je ne corresponds point à la fidélité de l'amour qu'il me témoigne.

Le coeur de mon peuple est presque tout bien maintenant. Il y a toujours quelque chose à dire; car je fais des fautes par ignorance et imbécillité, parce que je ne sais pas toujours, rencontrer le bon biais. Sauveur du monde, que j'ai de bons désirs! mais je ne sais les parfaire.

Est-ce pas assez dit, ma bonne fille? Je dis ma bonne fille, parce que vous m'êtes fort bonne, et que vous me consolez plus que vous ne sauriez croire. Il y a une certaine bénédiction de Dieu en cette filiation sans doute.

4. Notre soeur a bien fait de restreindre sa conversation spirituelle au confessionnal. Je n'ai reçu nulle de ses nouvelles ; si j'en reçois, à mesure de ce qu'elle me dira, je lui en écrirai. Si les mouches qui ont gâté, ou au moins qui voulaient gâter, la suavité de l'onguent, étaient fort pressantes et en grand nombre, ô Dieu ! en ce cas-là, il faut qu'elle se range aux exacts retranchements de toutes paroles superflues, et de tous gestes, de toutes vues, et que le seul confessionnal pour tout demeure en liberté.

Mon Dieu ! n'est-ce pas dommage que ces baumes des amitiés spirituelles soient exposés aux moucherons ! Cette liqueur si sainte, si sacrée, mérite un soin bien grand pour être conservée toute nette et toute pure ; mais bien dit le Sage, Celui qui n'a point été tenté, que sait-il (
Si 34,9) ? Tout va bien, et tout ira bien, Dieu aidant; et, comme je dis ordinairement, si Dieu nous aide, nous ferons prou.

5. ...

6. Parlons un peu de vous, c'en est bien là raison. Qui sont ces téméraires qui veulent rompre et briser cette blanche colonne de notre sacré tabernacle? Ne craignent-ils point les chérubins, qui se tiennent deçà et delà, et le couvrent sous l'ombre de leurs ailes (cf. Ex 37,7-9)? Hé bien, il s'est passé un peu de vanité, un peu de complaisance, un peu de je ne sais quoi. Or cela n'est rien à un ferme courage. Nos colonnes sont, ce semble, bien fondées; un peu de vent né lés aura pas ébranlées (2).

C'est bien dit, ma fille, il faut couper court et trancher net en ces occasions : il ne faut point amuser les chalands, puisque nous n'avons pas la marchandise qu'ils demandent; il le leur faut dire dextrement, afin qu'ils aillent ailleurs. Vraiment, ce sont de braves gens : ne voient-ils pas que nous avons ôté l'enseigne, et que nous avons rompu le trafic que nous pouvions avoir avec le monde? Il est vrai, notre corps n'est plus nôtre, de même que l'ivoire du trône de Salomon (cf. 1R 10,18) n'était plus aux éléphants qui l'avaient porté dans leur gueule. Le grand roi Jésus l'a choisi pour son siège; qui l'en déplacera? Oh ! donc il faut être toute simple en ces endroits, et ne point ouïr de capitulation. Laissez faire, Dieu gardera bien notre père (1) sans perdre la fille.

Vraiment ce n'est pas mal parler : Ste Agathe, Ste Thècle, Ste Agnès, ont souffert la mort pour ne point perdre le lis de leur chasteté; et on voudrait vous faire peur avec des fantômes! Oui dà, ma fille; lisez, lisez chèrement l'Imitation de votre abbesse, et les épitres de S. Jérôme; vous y trouverez celle qu'il écrit à sa Furia, et quelques autres qui sont bien belles.

7. Vous me demandez si j'irai en Bourgogne cette année ; Dieu seul le sait, je ne le sais pas. Je pense que non; car mille liens me retiennent attaché si court et si serré, que je ne puis remuer ni pieds ni mains, si Dieu de sa sainte main ne m'en délivre. Voilà ce que c'est; je pense vous l'avoir déjà dit par une précédente. Pour ma personne, je ferai tout pour donner satisfaction, je ne dis pas à vous, mais au moindre de tous mes enfants que Dieu m'a donnés. Mais ma pauvre femme me fait compassion ; et puisque je ne la puis laisser qu'elle ne souffre mille incommodités, et que Dieu veut que je lui adhère, me voilà garrotté.

Je ne dis pas que mon absence de quelque peu de jours lui fût nuisible, car pour la privation de ma présence, ce n'est pas cela qui m'empêche : mais c'est que la saison est si sujette aux vents et orages, que je ne suis pas à mon pouvoir d'aller et venir, mais faut que je vogue à leur merci. M'entendez-vous bien ? Je crois que oui : car vous savez ce que je vous dis un jour de mon voyage à Dijon, lequel je fis déjà contre le commun avis de tous mes amis, mais surtout de celui auquel je devais le plus déférer, qui est le même père recteur que je vais voir à ce carême-prenant, lequel, avec un grand zèle de mon bien, me pensa quasi arrêter ; mais ce grand Dieu, en la face duquel je regardais droit, tirait tellement mon âme à ce béni voyage, que rien ne me put arrêter, et aussi il l'a réduit tout à bien et à sa gloire. Mais maintenant d'y retourner jusqu'à ce que tout soit bien éclairci, je tenterais cette boute, laquelle me traite si doucement que je la dois bien révérer.

8. Je vous ai dit ceci au long, parce qu'il m'est venu en l'âme de penser que je le devais faire, à la charge que c'est à vous seulement. Mon Dieu sait bien que si j'étais en liberté, j'irois, je dis, je volerais souvent partout où j'ai du devoir. S. Paul dit à ses chers Romains,, entre lesquels et par lesquels il devait mourir : Tai souvent proposé de venir avec vous, afin que j'eusse quelque fruit entre vous ; mais j'ai été empêché jusqu'à présent (Rm 1,15). Mais qui l'empêchait? L'âme de S. Paul; et S. Chrysostome dit que c'était le Saint-Esprit.

Quoique, parmi les traverses et les tribulations, votre âme va bien, à ce que je vois, il reste de la tenir ferme. Tout ce carême, si vous m'écrivez par Lyon, vous en aurez une très-grande commodité : car de Lyon à Chambéri, ce n'est pas comme dès ici ; car tous les jours les courriers arrivent. Pour moi, je pense bien, Dieu aidant, vous écrire tous les huit jours : alors vous me direz s'il est requis que nous nous voyions cette année ; et s'il l'est, je vous dirai quand, et je le puis dire dès maintenant. La semaine de Pentecôte, à commencer dès l'avant-veille, sera toute mienne, et celle de l'octave du Saint-Sacrement que je serai ici, où ma mère viendra en ce temps-là. Hors de là il faut que je coure trois cents paroisses, que j'ai encore à voir. Mais je dis cela en casque vous et votre confesseur jugiez qu'il soit expédient : car sans mentir, je plains votre peine ; et si elle n'est contre-échangée de quelque grande utilité spirituelle, elle m'afflige.

Je ne sais si les carmélites reçoivent des religieuses des autres ordres ; je crois que henni, mais quand cela serait, croyez moi, c'est une tentation à ces bonnes dames d'y aspirer, sinon qu'elles puissent réduire tous leurs monastères en carmélites. Oui-dà, aux carmélites : nous ne pouvons pas nous accommoder aux petites obédiences, et nous en ferons des extrêmes ? A Dieu, ma chère fille, à Dieu donc soyez-vous à jamais ! je suis en lui plus vôtre que vous ne sauriez estimer : il n'y a rien de semblable. Le doux Jésus repose à jamais sur votre poitrine, et vous fasse reposer sur la sienne, ou du moins sur ses pieds!

 (2) Madame de Chantal était vivement sollicitée de se remarier.
(1) C'est le père de madame de Chantal.



F. de Sales, Lettres 288