F. de Sales, Lettres 402

LETTRE CXXI, A MADAME DE CHANTAL.

402
Pensées sur les exercices de la vie active et contemplative. C'est un grand bonheur, mais peu connu, de parler à Dieu seul à seul.


Annecy, 16 août 1607.

1. Voici la septième fois que je vous écris depuis votre retour. Je n'en laisse écouler aucune occasion ; encore mon affection n'est pas satisfaite, car elle est insatiable au désir de rendre à mon Dieu le devoir que j'ai envers vous. Je dis à Dieu, ma fille, parce que je me confirme tous les jours plus en la créance que j'ai que c'est Dieu qui m'impose ce devoir: c'est pourquoi je le chéris si incomparablement.

Avant-hier (1) et hier j'eus une extraordinaire consolation au logis de Ste Marthe, laquelle je voyais si naïvement embesognée à traiter notre Seigneur, et, à mon avis, un peu jalouse des contentements que sa soeur prenait aux pieds d'icelui (cf.
Lc 10,38-42). De vrai, ma chère fille, elle avait raison de désirer qu'on l'aidât à servir son cher hôte ; mais elle n'avait pas raison de vouloir que sa soeur quittât son exercice pour cela, et laissa là le doux Jésus tout seul : car ses mamelles abondantes en lait de suavité, lui donnaient des élancements de douleur, pour le remède desquelles il fallait au moins un enfant à sucer et prendre cette céleste liqueur (cf. Ct 8,1).

Savez-vous comme je voulais accommoder le différend ? Je voulais que Ste Marthe, notre chère maîtresse, vint aux pieds de notre Seigneur eu la place de sa soeur, et que sa soeur allât apprêter le reste du souper ; et ainsi elles eussent partagé et le travail et le repos, comme bonnes soeurs. Je pense que notre Seigneur eût trouvé cela bon. Mais de vouloir laisser notre Sauveur tout fin seul, elle avait, ce me semble, tort; car il n'est pas venu en ce monde vivre en solitude, mais pour être avec les enfants des hommes (Pr 8,31).

2. Ne voilà pas des pensées étranges, de vouloir corriger notre bonne Ste Marthe ? Oh ! c'est pour l'affection que je lui porte ; et si, je crois que ce qu'elle ne fit pas alors, elle sera bien aise de le faire maintenant en la personne de ses filles (1) ; en sorte qu'elles partagent leurs heures, donnant une bonne partie aux oeuvres extérieures de charité et la meilleure partie à l'intérieur de la contemplation. Or cette conséquence, je la tire maintenant en vous écrivant ; car alors je n'y pensai pas, d'autant que je n'avais nulle sorte d'attention qu'à ce qui se passait au mystère.

Et puisque mon coeur me presse de vous dire ce qui lui arrive de consolation (ce qu'aussi bien ne sais-je faire à beaucoup près à nulle autre créature), je vous dirai que ces trois jours passés j'ai eu un plaisir non pareil à penser au grand honneur qu'un coeur a déparier seul à seul à son Dieu, à cet Être souverain, immense et infini. Oui; car ce que le coeur dit à Dieu, nul ne le sait que Dieu même de premier abord, et, par après, ceux à qui Dieu le fait savoir. Ne voilà pas un merveilleux secret ? Je pense que c'est cela que les docteurs disent que pour faire l'oraison il est bon de penser qu'il n'y a que Dieu au monde; car sans doute cela retire fort les puissances de l'âme, et l'application d'icelles s'en fait bien plus forte.

Il m'a été force de vous dire cela. "Voyez-vous, ma fille, il faut que je vous parle souvent ; c'est pourquoi je suis contraint de vous dire ces choses selon qu'elles se présentent à moi, hors de propos et à propos. Ainsi ce ne sont pas ici des réponses ; car je n'ai encore eu que deux lettres de vous, auxquelles j'ai rendu réponse il y a longtemps.

3. Adieu, ma chère fille, je suis fort pressé d'affaires. M. de Nemours m'a tellement conjuré de lui envoyer l'Oraison funèbre de madame sa mère (2), que je suis contraint d'en écrire une presque tout autre ; car je ne me ressouviens pas de celle que je dis, sinon grosso modo. J'ai peine, sans doute, à faire ces choses, où il faut mêler de la mondanité, à laquelle je n'ai point d'inclination, Dieu merci.

4. Je commence fort à me réserver la matinée, et à manger à certaines heures. Tous les vôtres de deçà se portent bien.

Mon Dieu ! que ma pauvre mère eut grand peur le jour que tant d'éclairs et de tonnerres se firent, dont je vous écrivis dernièrement (3 cf. 401 ); car la foudre tomba en plusieurs endroits tout autour de Sales, sans intérêt néanmoins d'aucunes créatures, mais avec tant d'eau et de tintamarre, que jamais on n'avait rien vu de tel. Tout était fourré et coigné dans la petite chapelle. Or bien, ma fille, que notre âme soit quelquefois comme cela, que la tempête et les foudres fondent tout autour, si faut-il avoir courage, et se tenir dans notre petit tabernacle, les colonnes duquel, pendant qu'elles sont entières, il n'y a que la peur, mais point de mal.

Je ne sais où madame de Charmoisy est (1) ; toutefois on dit qu'elle sera ici dans huit jours, et je le désire bien ; car, voyez-vous, je suis toujours un peu en peine du noviciat. Je dis en peine sans peine ; car je suis plein de toute bonne espérance, à cause de notre Seigneur, qui est si bon et si doux, et si amoureux des âmes qui désirent l'aimer.

A Dieu, ma fille ; je m'en vais dire la sainte messe, après laquelle j'écrirai un petit mot à M. le comte, si je puis. A Dieu donc, ma fille ; à Dieu, dis-je,- infiniment, sans réserve, sans mesure ; a tout le reste, sous son bon plaisir. Tenons-nous bien à Dieu, ma fille, et à sa sainte Mère. Amen.

Je suis par sa volonté uniquement et inviolablement tout vôtre.


(1) Dans l'octave de l'Assomption, dont l'évangile parle de la réception que firent Magdeleine et Marthe à notre Seigneur.
(1) Madame de Chantal et quelques âmes dévotes de ses amies.
(2) Cette oraison funèbre fut prononcée le 8 juin 1607.)
(3) Cette lettre est du 9 août 1607, et la tempête était arrivée le 8 au soir.
(1) Cette dame est celle à qui notre Saint écrivit un grand nombre de lettres, qui depuis ont servi à composer l'Introduction à la vie dévote.




LETTRE CXXII, AU SEIGNEUR ANASTASE GERMONIO, RÉFÉRENDAIRE DES DEUX SIGNATURES EN COUR DE ROME (2).

(2) Il fut fait archevêque de Taréntaise.

 (Tirée de la vie du Saint, par Ch.-Aug. de Sales.)

Il déplore les disputes qui s'étaient élevées entre les dominicains et les jésuites au sujet des secours de la grâce. Il faut rapprocher de cette lettre l'opinion de notre Saint à cet égard dans son traité de l'amour de Dieu.


Fin d'août 1607.

Periculosissima est quoestionis illius disceptatio, et suis in extremitatibus haereses habet subjectas et proximas : quamobrem qui irt iis ôpinionibus stat, Videat ne càdàt. Porro alia sunt qui-bus gémit Ecclesia, et quibus potius incumbendum esset, quàm elucidendae quaestioni illi, cujus elucidatio nihil boni reipublicoe christianaé alla-tura est, mali verô niais ; quandoquidem ad malum prona sunt tempora. Subtilissima atitem illa ingénia dominicanorum et jesuitarum ad concordiam brevi sint vehtura.



La dispute qui s'est élevée sur cette-question est très-dangereuse, et a dans ses extrémités des hérésies ; c'est pourquoi celui qui s'y enfonce trop doit bien prendre garde de ne pas tomber. Il y a beaucoup d'autres choses dont l'Église gémit, auxquelles il faut veiller plus particulièrement qu'à l'éclaircissement de cette question, qui n'apportera aucun avantage à la religion chrétienne, et qui lui causera beaucoup de mal. En effet, les temps sont plutôt disposés au mal qu'au bien. Au reste, les dominicains et les jésuites ont un trop bon esprit pour ne pas venir bientôt à la concorde (1).


(I) Il écrivit encore plus amplement à l'évêque de Savone, nonce de Savoie, et fit tant qu'enfin le pape, auquel il appartenait d'y mettre ordre, après avoir bien pesé et mûrement considéré ses raisons, imposa silence aux uns et aux autres, rendant par là un admirable témoignage de l'estime qu'il faisait de sa sagesse et de la profondeur de son jugement.





LETTRE CXXIII, A MADAME DE CHANTAL.

406
Les croix intérieures sont l'école où l'on apprend à se connaître soi-même ; la résignation en est le remède.


Annecy, Le premier jeudi, 6 septembre 1607.

1. Que de choses, ma fille, j'aurais à vous dire, si j'en avais le loisir ! car j'ai reçu votre lettre du jour de Ste Anne, écrite d'un style particulier, et qui ressent au coeur, et requiert une ample réponse.

Vous voilà bien, ma fille ; continuez seulement : ayez patience sur votre croix intérieure. Hélas ! notre Sauveur vous la permet, afin qu'un jour vous connaissiez mieux ce que c'est que vous êtes de vous-même. Ne voyez-vous pas, ma fille, que le trouble du jour est éclairci par le repos de la nuit ? signe évident que notre âme n'a besoin d'autres choses que de se résigner fort en son Dieu, et se rendre indifférente à le servir, soit parmi les épines, soit parmi les roses. Croiriez-vous bien, ma très-bonne fille, que ce soir propre j'ai eu une petite inquiétude pour une affaire qui ne méritait certes pas que j'y fisse pensée ? Or cela néanmoins m'a fait perdre deux bonnes heures de mon sommeil, chose qui m'arrive rarement. Mais il y a plus, c'est que je me moquais en moi-même de ma faiblesse; et mon esprit voyait clair comme le jour que tout cela était une inquiétude d'un vrai petit enfant ; mais de trouver le chemin d'en sortir, nulle nouvelle : et je connaissais bien que Dieu me voulait faire entendre que si les assauts et grandes attaques ne me troublent point, comme à la vérité elles ne le font, ce n'est pas moi qui fais cela, c'est la grâce de mon Sauveur (cf.
1Co 15,10): et sans mentir, après cela je me sens consolé de cette connaissance expérimentale que Dieu me donne de moi-même.

2. Je vous assure que je suis fort ferme en nos résolutions, et qu'elles me plaisent beaucoup. Je ne puis vous dire beaucoup de choses, car ce bon père part dans une heure, et il faut que je dise la messe : je laisserai donc tout le reste. Vous me fîtes un grand plaisir en l'une de vos lettres de me demander voir si je faisais pas l'oraison. O ma fille! si faites : demandez-moi toujours l'état de mon âme ; car je sais bien que votre curiosité en cela sort de l'ardeur de la charité que vous me portez. Oui, ma fille, par la grâce de Dieu je puis dire maintenant mieux que ci-devant, que je fais l'oraison mentale, parce que je ne manque pas un seul jour à cela ; si ce n'est quelquefois le dimanche, pour satisfaire aux confessions ; et si Dieu me donne la force de me lever quelquefois devant le jour-pour cet effet, quand je prévois la multitude des embarrassements du jour, et tout cela gaiement :et me semble que je m'y affectionne, et voudrais bien pouvoir en faire deux fois le jour ; mais il ne m'est pas possible.

Vive Jésus ! vive Marie ! Adieu, ma chère fille ; je suis celui qu'il a rendu, sans fin, sans réserve et sans comparaison, vôtre.




LETTRE CXXIV.

S. FRANÇOIS DE SALES, A UN CURÉ.

Il l'encourage à continuer les fonctions de son ministère dans la place qu'il occupait, et à demeurer constant dans sa vocation.

A Sales, le 15 septembre 1607.

Monsieur mon très-cher confrère, pardonnez-moi, je vous prie, si j'ai tant tardé à répondre sur la première lettre que vous m'avez jamais écrite : il n'en sera pas ainsi des autres, si j'ai la consolation d'en recevoir;- mais je fus si occupé à mon départ', que je n'eus nulle sorte de loisir pour vous rendre ce devoir ; et avec cela je me promis bien de votre dilection que vous interpréteriez ce retardement en bonne, part.

Je persiste toujours à vous dire que vous devez servir Dieu où vous êtes et facere quod facis (1). Non pas, mon cher confrère, que je veuille forclore l'accroissement de vos bons exercices, ni la purification continuelle de votre coeur : mais fac quod facis, et melius quam facis (2); car je sais bien que Dieu commande en la personne d'Abraham, à tous les fidèles : Ambula coram me, et esto perfectus (Gn 17,1) ; et que Beati qui ambulant in viis Domini (Ps 128,51) ; et que nos pères euntes ibant, et in corde suo ascensionem disponebant, ut irenl de virtute in virtutem (Ps 83,6).

Ayez donc bon courage de cultiver cette vigne, contribuant votre petit travail au bien spirituel des âmes, quas servavit sibi Dominus, ne jleclerent genua ante Baal (), in medio populi polluta labia habentis (Is 6,5). Ne vous étonnez pas si les fruits ne paraissent pas encore : Quia si patienter opus Domini feceris, labor tuus non erit inanis in Domino ().

Hélas ! monsieur, Dieu nous a nourris du doux lait de plusieurs consolations, afin que, devenus grands, nous tâchions d'aider à la réédification des murs de Jérusalem, ou en portant des pierres, ou en brassant le mortier, ou en martelant. Croyez-moi, demeurez là ; faites fidèlement tout à la bonne foi ce que moralement vous pourrez faire ; et vous verrez que si credideris, videbis gloriam Dei (Jn 11,40).

Et si vous voulez bien faire, tenez pour tentation tout ce qui vous sera suggéré pour changer de place ; car, tandis que votre esprit regardera ailleurs que là où vous êtes, jamais il ne s'appliquera bien à profiter où vous êtes.

Or sus, tout ceci soit dit en la confiance que vous me donnez par votre lettre, et en la sincère amitié que je vous porte in visceribus ejus cujus viscera pro amore nostro transfixa sunt (8). Je le supplie qu'il affermisse de plus en plus le zèle de son honneur en vous, et suis d'un coeur tout entier, etc.


(1) Et de faire ce que vous faites.
(2) Faites ce que vous faites, et mieux encore que vous ne le faites actuellement.
(8) Dans les entrailles de celui dont les entrailles ont été transpercées pour notre amour.




LETTRE CXXV, A UN AMI, ANTOINE DES HAYES.

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(Communiquée par M. Lemarduel, curé de St.-Roch.)

Témoignages d'amitié. Il est occupé à la visite de son diocèse. Il aimait sa petite ville d'Annecy. Il se plaint de certaines altercations entre les officiers de M. de Nemours, et de la peine qu'en recevait un d'entre eux. Il parle de la nomination de M. Fenoillet à l'évêché de Montpellier, et de l'Oraison funèbre de madame la duchesse de Nemours, que M. le duc l'avait prié de faire imprimer.


Les Clets, 12 octobre 1607.

Monsieur,

1. J'ai fort prié ce porteur, qui est des vieux serviteurs de la maison de Monsieur (1), et de mes bons amis et voisins, de vous saluer de ma part avec le plus d'efficace qu'il pourra. J'ajoute seulement sur ce papier que nul signe, nulle démonstration ne pourrait jamais égaler ni le devoir que j'ai à vos bienveillances, ni l'affection inviolable de laquelle je suis voué et dédié à votre service. C'est la vérité, monsieur; je ne me puis assouvir du plaisir que je reçois de l'assurance de votre amitié. Mon frère de Crolsy et moi en faisons fête à nos esprits, toutes les fois que nous nous voyons : mon coeur est tout plein de ce bonheur. Permettez-moi, monsieur, que sans nécessité, par la seule abondance de mes désirs, je vous supplie de me continuer ce bien que j'estime tant, et qui m'honore et console si fort.

2. Je suis en visite bien avant parmi nos montagnes, en espérance de me retirer pour l'hiver dans mon petit Annecy, où j'ai appris à me plaire, puisque c'est la barque dans laquelle il faut que je vogue pour passer de cette vie à l'autre ; et je m'y plairais bien davantage, si ce n'était ces petites riottes(2) qui pullulent tous les jours entre les officiers de Monsieur, desquels quelques-uns se rendent plus aigres qu'ils ne devraient contre le bon monsieur Favre, duquel ils épuisent les belles humeurs et l'âge. La faute vient de ce que Monsieur leur permet indifféremment d'accuser ce bon personnage ; et il faudrait leur faire connaitre qu'on est bien assuré de lui, de sa suffisance et fidélité, comme à la vérité on le doit être : cela arrêterait toutes ces brouilleries, qui ne servent qu'à divertir ces esprits des meilleures pensées qu'ils pourraient faire au service de J.-C. et du public. On m'a dit que notre monsieur Fenoillet avait été élu pour Montpellier, présentement privé d'évêque ; mais je n'en croirai rien que vous, monsieur, ou lui, ne m'en écriviez.

3. Je voudrais avoir envoyé l'Oraison funèbre de Madame (1). Mais j'attends des mémoires de la grandeur de la maison d'Est, qui me doivent venir d'Italie, n'ayant jamais rien pu apprendre qui fût éclatant comme je désire, par les livres que j'ai pu avoir en ce pays, ni aucun récit qu'on m'ait fait. J'appréhende bien qu'elle se voie ; car, à la vérité, je n'ai rien su des actions particulières de cette princesse, qui sont néanmoins celles qui pourraient relever ma petite besogne. Je la vous veux adresser premièrement, afin que vous la voyiez et revoyiez pour y corriger, avant que Monsieur la voie; car j'ai crainte qu'il ne m'échappe quelques accents de notre ra-magede deçà. Nous sommes ici hors de nouvelles, et moi particulièrement parmi ces replis de nos montagnes ; mais je ne passe point de jour que je n'invoque la bénédiction de Dieu sur vous et sur toute votre maison. Qu'à jamais vous soit-il propice et favorable, monsieur, selon que le désire votre serviteur, etc.


(I) Le duc de Nemours.
(â) Petites querelles, difficultés, altercations, railleries piquantes.
(1) Madame la duchesse de Nemours, qui était de la maison d'Est.




LETTRE CXXVI.

S. FRANÇOIS DE SALES, A UNE DAME RELIGIEUSE.

L'indifférence en toutes sortes d'événements est louable lorsqu'elle a en vue la volonté de Dieu. Avis touchant les distractions dans l'oraison.



25 octobre 1607.

Madame ma très-chère fille, vous verrez la lettre que j'écris à M. de Citeaux et à madame votre bonne soeur. Il me reste à vous dire, selon le peu de loisir que j'ai, que j'approuve infiniment l'indifférence que vous avez, tant en l'affaire de Bons qu'en toutes autres, puisque c'est en contemplation de la volonté de Dieu. Je n'aime nullement certaines âmes qui n'affectionnent rien, et à tous événements demeurent immobiles; mais cela, elles le font faute de vigueur et de coeur, ou par mépris du bien et du mal : mais celles qui, par une entière résignation à la volonté de Dieu, demeurent indifférentes, ô mon Dieu! elles en doivent remercier sa divine majesté ; car c'est un grand don que celui-là. Je vous dirais mieux ceci débouche ; mais vous l'entendrez, je pense, assez, ainsi que je le dis.

C'est une tentation, de vrai, de vous amuser eh l'oraison à penser ce que vous avez à me découvrir de votre âme; car ce n'en est pas le temps : n'escrimez néanmoins point contre ces pensées; ains détournez-en tout bellement votre esprit, par un simple retour à l'objet de votre oraison.

Je vous écrirai avec plus de loisir à la première rencontré ; car maintenant il faut que je parte pour aller faire la visite d'une paroisse; et j'ai beaucoup de gens autour. Dieu soit au milieu de votre coeur, ma chère Bile, et lé veuille enflammer de son saint amour ! C'est lui qui m'a rendu pour jamais votre j etc.



LETTRE CXXVII, A MADAME BRULART.

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Marque de la bonne oraison : avis sur cet exercice et sur le choix des livres de piété, sur la confession et la communion pascale.

Sales, vers le 2 novembre 1607.

Madame ma très-chère soeur,

1. je m'étonne comme vous recevez si peu de mes lettres. Il m'est avis que je n'en laisse point des vôtres sans quelques réponses. Oh bien, Dieu soit loué.

J'ai regretté toutes les pertes qui se sont faites en votre maison, de laquelle je suis l'un des enfants, au moins en affection. Hélas! la pauvre mademoiselle Jacob doit avoir été bien affligée de fils, de père, de mari. Je lui ai une grande compassion, et prie Dieu qu'il lui soit pour tout cela.

J'ai déjà écrit à madame votre mère : maintenant j'écrirai à cette soeur, mais je ne sais si ce sera avec consolation j car je ne sais point de belles paroles, et, ne lui ayant jamais écrit ni parlé de dévotion, elle trouvera peut-être bien étrange mon style, mais étant du lieu où elle est, elle prendra tout en bonne part.

Je n'irai pas à Salins ; mais je veux pourtant bien faire en sorte que cette année suivante ne se passe pas sans que nous nous revoyions tous, de quoi pourtant je ne désire point que le bruit coure;

2. Ne vous tourmentez point pour votre oraison', que vous me dites se passer sans paroles ; car elle est bonne, pourvu qu'elle vous laisse de bons effets au coeur. Ne vous violentez point pour parler en cet amour divin : c'est assez parler, qui regarde et se fait voir. Suivez donc le chemin auquel le Saint-Esprit vous tire, sans toutefois que je désire que vous laissiez de vous préparer à la méditation,- comme vous faisiez au commencement; car c'est cela que vous devez de votre côté,

et ne devez point entreprendre d'autre chemin de vous-même : mais quand vous vous y voudrez mettre, si Dieu vous tire en un autre, allez-y avec lui. Il faut faire de notre côté une préparation proportionnée à notre portée, et quand Dieu nous portera plus haut, à lui seul en soit la gloire.

3. Vous pourrez utilement lire les livres de la mère Thérèse et de Ste Catherine de Sienne, la Méthode de servir Dieu (cf.
328 ), l’Abrégé de la perfection chrétienne, la Perle évangélique: mais ne vous empressez point à la pratique de tout ce que vous y verrez de beau ; mais allez tout doucement, aspirant après ces beaux enseignements, et les admirant tout bellement ; et vous ressouvenez qu'il n'est pas question qu'un seul mange tout un festin préparé pour plusieurs. As-tu trouvé du miel, manges-en ce qui suffit, dit le Sage (cf. Pr 25,16). La Méthode, la Perfection, la Perle, sont des livres fort obscurs, et qui cheminent par la cime des montagnes : il ne s'y faut guère amuser. Lisez et relisez lé Combat spirituel; ce doit être votre cher livre, il est clair et tout praticable.

4. Non, ma chère fille, vous confessant à de bons confesseurs, ne doutez nullement; car s'ils n'avaient le pouvoir de vous ouïr, ils vous renverraient. Et si, il n'est nullement besoin de faire ces revues générales en la paroisse, desquelles vous m'écrivez ; il suffit d'y rendre son devoir à Pâques, en s'y confessant, ou au moins communiant. Etant aux champs, les prêtres que vous trouverez es paroisses vous pourront aussi confesser. Ne vous laissez point presser de scrupules, ni de trop de désirs : cheminez doucement et courageusement. Dieu soit à jamais votre coeur, ma chère soeur ; et je suis en lui votre,. etc.



LETTRE CXXVIII, AU PRINCE CARDINAL MAURICE DE SAVOIE (minute).

419
Il le félicite sur sa promotion.



Annecy, novembre 1607 (éd. Annecy: fin décembre).

Monseigneur,

Les heureuses promesses que le ciel fait à la terre, par la promotion de votre altesse au cardinalat, donnent sujet à toute l'Église de bénir la providence divine,- laquelle par ce moyen fournit au grand siège apostolique une colonne de haut prix, d'excellente dignité.

Mais ce diocèse de Genève doit en ressentir une joie toute particulière : carie voilà, monseigneur, doublement assuré de la protection de votre altesse, par le sang duquel elle est extraite, et par celui qui tient son sacré chapeau, puisque la couleur de pourpre n'y tient nulle place que pour représenter le sang du Sauveur, dans lequel les grands de l'Église doivent toujours tremper leur zèle.

Que si votre altesse l'a agréable, j'ajouterai que je n'ai encore su rencontrer en l'histoire un seul des cardinaux de sa sérénissime maison, qui n'ait eu en sa main cet évêché de Genève, pas même le grand Félix. Bon augure, ce me semble, et bonne espérance pour nous, que votre altesse héritant les honneurs de tons ses braves et dignes prédécesseurs, elle succédera même en leurs affections.

Dieu nous fasse voir, monseigneur, les jours de votre altesse fleurir en toutes sortes de bénédictions, et l'Église fleurissante en la piété, de laquelle, comme d'un beau printemps, le chapeau de votre altesse, à guise d'une rose vermeille, nous vient donner un doux et gracieux présage. Ce sont les voeux continuels, monseigneur, de votre très-humble, etc.



LETTRE CXXIX, A SA SAINTETÉ LE PAPE CLÉMENT VIII (PAUL V).

422
Vers la fin de l'année 1607, ou au commencement de 1608.


Petrum Fenoillietum, ad Mohtispessulanenses infulas attolendum, miris sed veris laudibus extollit.


Beatissime Pater,

Cum de moribus et origine Petri Fenoillieti, ad Montispessulanensem ecclesiam a rege christianissimo nominati, locupletissima collegissem testimonia, quae de more ad sedem apostolicam deferrentur, non potui cohibere animum quin ad sanctitatis vestrae pedes, tanquam ad omnium ecclesiarum patrem amantissimum, pariter et amatissimum gratulationis exhiberem. Soient enim servi ac significationem domestici patris familias merite gratulari, cum fauste ac recte filiam nuptui collocavit.

At ecclesia illa Montispessulànensis eo meliore sponso iridigebat, quo détériora ab hoereticis jam pridem patitur incommoda ;cui propterea non abs re dici possit : Magna est velut mare contritio tua, quis medebitur tui? Quare consentaneum est, ut ecclesis illi primum, de quâ tam rectè collocandâ agitur, tum etiam ecclesioe romanae quasi matri optimae, domestici Dei gratulentur. At ego libentit'is ac opportunius, qui omnium optime virum de cujus promotione sermo est cognovi.

Est enim civis meus, beatissime pater ; ab ineunte aîtate litteris in hàc ipsà civitate nostrà ab optimo pâtre eruditus, quibus posteà alibi tantà studiorum contentione, tantâ ingenii felicitate, animum addixit, ut, doctor theologus creatus, brevi in concionatorem omninô celeberrimum evaserit : cumque proptereà parochialis ecclesiae ciir ram à me suscepisset, mox ad canonicatum majoris ecclesioe nostrae evocatus.

Non potuit diutius tantus splendor tam an-gustis finibus contineri ; sed Lutetiam Parisiorum, quadragesimalium concionum causa accersitns, ubi primum ejus dicendi vis christianissimi régis aures.pervasit, non fuit ei deinceps liberum quin conckmatoris régis honore affleeretur et onere.

Cui sustinendo cum in dies majorem animi firmitatem ac doctrinae robur ostenderet, quod plerique proeclari alioquin viri, vix multis annis, ac maximis intercessoribus, obtinere possunt, hic tribus annis consecutus est, ut scilicet à rege ad episcopatum Montispessulanensem sedi apostolicae promovendus exhibeatur.

Quod ubi catholici Montispessulanenses rescivêre, mira coheeptâ loetitià, ad regem ex primoribus destinaverunt, qui omnium nomine gratias agerent de tanto pastore sibi destinato.

Haec porro cum ita sint, beatissime pater, facile conjici potest quàm féliciter accidat, ecclesiam illam huic viro committi, qui per omnes ecclesiasticorum munerum gradus exercitatus ascendat super muros illius tanquam custos fidelis, qui non tacebit die ac nocte inclamare nomen Domini.

Quod alacrius praestabit, si eum beatissima vestra clementia paternis amplexibus erigat, foveat, protegat ac confirmet; Ita ego, qui hactenus ejus pastor extiti, pro illius erga hanc ecclesiam Gebennensem merito, beatitudinem vestram, utriusque patrem optimum maximum, per viscera Christi obtestor ad humillima pedum oscula.




Il lui rend témoignage de la piété et de la suffisance de M. Pierre Fenouillet, nommé à l'évêché de Montpellier, par le roi de France, afin qu'il plaise à sa sainteté lui accorder ses bulles.


Très-saint Père,

1. La nomination qui vient d'être faite par, le roi très-chrétien, de M. Fenouillet (1) à l'évêché de Montpellier, m'ayant obligé de recueillir les témoignages qui regardent ses moeurs et son origine, pour en informer le Saint-Siège, selon la coutume, je n'ai pu m'empêcher de marquer à votre sainteté la joie que je ressens de tous les biens que j'en ai entendu dire, et d'en féliciter le père commun de toutes les Églises, ce père autant aimé de ses enfants, que son amour pour eux est fort et universel. N'est-il pas juste en effet que les serviteurs et les domestiques du père de famille se réjouissent avec lui, et le congratulent d'avoir trouvé un mariage avantageux pour sa fille ?

On ne peut douter du besoin qu'a l'Église de Montpellier d'un époux qui soit au-dessus du commun, après ce qu'elle a souffert depuis si longtemps de la part des hérétiques ; en sorte qu'on peut lui adresser avec raison ce passage de l'Écriture : Notre douleur est grande comme la mer, qui pourra y apporter du remède (
Lm 2,2 Lm 2,13)? Il est donc juste que tous les gens de bien prennent part d'abord à la joie de cette Église désolée, qui se voit sur le point d'être si bien pourvue, et qu'ensuite ils témoignent leurs sentiments à l'Église romaine, qui en est la mère, et la très-bonne mère.

2. Pour moi, je m'y porterai d'autant plus volontiers que mon témoignage ne peut pas être indifférent, eu égard à la connaissance parfaite que j'ai du sujet dont il est question.

Je dirai donc à votre sainteté qu'ayant pris naissance dans notre ville, il y a fait ses premières études sous la conduite de M. son père, qui, étant un fort honnête homme, n'a point voulu confier à d'antres sa première éducation. Il quitta depuis la maison paternelle pour aller ailleurs achever, ses études ; et il y fit un tel progrès, tant par l'application et la diligence qu'il y apportait que par la vivacité de son jugement, qu'il parvint bientôt à être docteur en théologie, et qu'il est devenu un très-célèbre prédicateur : c'est pourquoi je n'ai pas cru pouvoir mieux faire que de lui confier le soin d'une paroisse pour y exercer, ses talents; et, peu de temps après, il fut pourvu d'un canonicat de notre cathédrale.

Mais comme une si grande lumière ne pouvait être resserrée plus longtemps dans ces bornes si étroites, il fut appelé à Paris, pour y prêcher le carême. On n'eût pas plus tôt goûté son éloquence pleine d'un feu tout divin, et sa manière d'enseigner insinuante et persuasive, que le bruit de sa réputation se répandit jusqu'à la cour, et parvint jusqu'aux oreilles du roi très-chrétien. Sa majesté ne manqua pas de le demander pour prêcher devant elle; et ses instances furent si grandes qu'il ne put se défendre d'accepter cet honneur, quelque peine qui y soit attachée.

Il montra de jour en jour dans cette fonction une plus grande fermeté d'âme ; et la force de sa doctrine croissait à mesure que sa carrière s'avançait. Enfin il prêcha avec tarit de succès et tant, de gloire, qu'il obtint en trois ans une faveur que beaucoup d'autres personnes de mérite, avec de puissants patrons, auraient à peine obtenue en bien des années ; c'était d'être présenté à votre sainteté pour être évêque de Montpellier.

Sur la nouvelle de cette nomination, les catholiques de la province triomphèrent de joie, et députèrent quelques-uns des premiers d'entre eux pour rendre grâces à sa majesté, au nom de tous, de ce qu'elle leur avait destiné un pasteur si accompli.

Les choses étant ainsi, très-saint père, il est facile de juger combien il est important à cette Église d'avoir pour la gouverner un tel homme, qui a passé par tous les degrés des fonctions ecclésiastiques, et qui va (pour parler le langage des livres saints) monter sur ses murailles, comme une fidèle sentinelle, ne cessant ni jour ni nuit d'invoquer le nom du Seigneur (Is 52,6), et de réclamer son secours.

Mais il ne peut s'acquitter avec succès et avec facilité d'une si grande charge, s'il ne plaît à votre sainteté de l'encourager par son amour paternel, de favoriser ses travaux, de le protéger, de le défendre, et d'affermir solidement son autorité. C'est la grâce que je demande à votre béatitude, soit parce que j'ai été son évêque, soit à cause des obligations que lui a l'Église de Genève ; et comme je la demande par les entrailles de Jésus-Christ, à vous qui êtes le père de l'une et de l'autre, et que je le fais avec toute l'humilité possible, étant prosterné à vos pieds pour les baiser, je suis persuadé que ma prière aura son effet. J'ai l'honneur d'être avec le plus profond respect, très-saint père, de votre béatitude, etc.


(1) Fenouillet (Pierre de) naquit à Annecy, où il fit ses études, et où il devint un très célèbre prédicateur. Le bruit de sa réputation étant parvenu en France, le roi Henri IV désira da l'entendre, et le nomma son prédicateur ordinaire. En 1607 il fut pourvu de l'évêché de Montpellier, par le roi, qui lui dit, en lui annonçant cette grâce, qu'il la lui faisait à condition qu'il n'en aurait obligation qu'à lui seul. Depuis cette époque il fut employé à diverses affaires et négociations relatives aux intérêts de l'Église, et pour lesquelles il déploya le plus grand talent. Il prononça en 1610 l'oraison funèbre de Henri IV, et en 1645 celle de Louis XIII. M. de Fenouillet mourut à Paris le 23 novembre 16îJ2.





F. de Sales, Lettres 402