F. de Sales, Lettres 1102

LETTRE DCCLXXXIII, A MADAME DE CHANTAL. A LYON

1102
Le Saint rend compte de l'assistance qu'il donna à madame de Trevernay dans sa dernière maladie, et de sa résignation.

Annecy, 14 juillet 1615;

1. Par cette première commodité, je vous rends compte de notre voyage, ma très-chère mère. Certes, quand monsieur l'archevêque me laissa, il me témoigna beaucoup d'amitié. Or, je cultiverai la faveur que ce grand prélat me fait, le plus soigneusement qu'il me sera possible.

Nous vînmes donc ce jour-là à Saint-Prix, et toujours avec la bonne dame la présidente N., qui m'ouvrit son coeur autant que l'occasion le lui permit, fort franchement. C'est un bon coeur en vérité, et auquel je souhaite beaucoup de vraie prospérité : elle a grand besoin d'être assistée et appuyée bien doucement, pour la multitude des travaux que la vivacité de son esprit lui donne, qui ne cesse guère de lui fournir des motifs pour lui agrandir son mal.

Elle demanda congé à monseigneur l'archevêque d'entrer vers vous, lequel le lui accorda, et lui donna même espérance de lui permettre d'y coucher. Quand cela arrivera, aidez-la bien, ma très-chère mère ; car elle le mérite, et en a besoin. Si elle vient ici Tannée prochaine, comme elle en a fait dessein, alors nous, aurons plus de moyens de la bien consoler. Je vous écrirai un petit billet à part, afin qu'elle le voie, ayant bien du désir qu'elle sache que je la chéris et estime pour la plus grande gloire de Dieu.

2. J'arrivai samedi à Seissel, où je prêchai le dimanche matin, et vins coucher en cette ville, et trouvai à mon arrivée pour nouvelles, que madame de Trevernay était en l'article de la mort ; je partis hier de grand matin pour lui rendre mon dernier devoir, puisqu'elle était de mes filles. A mon arrivée, elle s'élança à mon cou avec une joie extraordinaire à son humeur mélancolique, elle qui jamais ne me fit aucune caresse. En somme, elle se remit tellement, qu'encore que je ne pense pas qu'elle la fasse longue, si est-ce que je pense qu'elle vivra encore plusieurs jours.

Elle se confessa derechef à moi pour sa consolation, et non par sa nécessité : car elle avait reçu le jour précédent tous ses sacrements, et même l'Extréme-Onction, et fit la plus absolue indifférence que j'aie jamais vue : car ses domestiques et ses voisins la pressant de faire des voeux pour guérir, jamais elle ne le voulut, mais dit que ce que Dieu ferait lui serait plus agréable, et qu'elle ne voudrait pas, par le moindre désir du monde, demander à Dieu ni la vie ni la mort, lui laissant sans réserve sa vie entre les mains, pour en faire à son gré ; et ce qu'il lui plairait serait aussi ce qu'elle voulait.

Mais elle disait cela si fermement, que je voyais clairement que c'était tout de bon, que ce lui était tout un : et bien qu'elle dit que sa Fran-çon, ma filleule, lui touchait un peu le coeur parce qu'elle était encore petite, néanmoins clic ajoutait, non-seulement avec force, mais avec tendreté, que si Dieu la retirait, il saurait bien ce qu'il ferait de cette fille, et que pour elle, elle ne voulait nullement désirer de vivre, sinon tout ainsi que Dieu le voudrait.

En somme, je lui dis tout ce que je sus, et tout à son gré. Je la laissai en paix sans apparence de mal, sans plainte, sans témoigner aucune sorte de passion, sinon de revoir son mari, qui était la seconde chose qu'elle avait désiré avant son trépas.

Ces petites histoires villageoises me plaisent et m'édifient, et c'est pourquoi je vous les raconte. J'écris à monseigneur l'archevêque par honneur. Ma très-chère mère, je suis, comme vous savez vous-même, tout vôtre, sans réserve ni différence quelconque. Vivez tout généreusement et noblement joyeuse en celui qui est notre unique joie. Je salue du fond de mon coeur ma très-chère fille ma mère, et mes chères filles, avec nos chères novices, entre lesquelles je chéris particulièrement ma soeur F. A., ma cousine, parce qu'elle est la cadette.

Adieu, adieu, ma très-chère mère. Le doux Jésus soit à jamais notre vie. Amen. Votre, etc.




LETTRE DCCLXXXIV.

S. FRANÇOIS DE SALES, A UNE DAME.

Il faut pratiquer la mortification avec joie ; l'amour de Dieu doit l'emporter sur la crainte.



18 décembre 1615.

Il est certes vrai, ma chère fille, vos consolations me consolent grandement, mais surtout quand elles sont fondées sur une si ferme pierre, comme est celle de l'exercice de la présence de Dieu. Cheminez donc toujours ainsi auprès de Dieu : car son ombre est plus salutaire que le soleil.

Ce n'est pas mal de trembler quelquefois devant celui en la présence duquel les anges mêmes trémoussent, quand ils regardent en sa majesté ; à la charge toutefois que le saint amour qui prédomine en toutes ses oeuvres, tienne aussi toujours le dessus, le commencement et la fin île vos considérations.

Voilà donc qui va fort bien, puisque ces petits éclairs de votre esprit ne font plus leurs saillies si soudaines, et que votre coeur est un peu plus doux. Soyez toujours fidèle à Dieu et à votre âme. Corrigez-vous toujours de quelque chose, mais ne faites pas ce bon office par force, ains tachez d'y prendre plaisir comme font les amateurs des exercices champêtres à émonder les arbres de leurs vergers.

Notre Seigneur suppléera sans doute à tout ce qui vous défaudra d'ailleurs, afin que vous puissiez faire une plus parfaite retraite auprès de lui, pourvu que ce soit Inique vous aimiez, que vous cherchiez, que vous suiviez. Ainsi faites-vous, je le sais, ma fille ; mais faites-le donc bien toujours et me recommandez à sa miséricorde, puisque de tout mon coeur je suis votre, etc.


LETTRE DCCLXXXVI, A UNE DE SES NIÈCES.

1179
Le Saint lui prescrit la manière dont elle doit vivre.


5 mars 1616.

1. Ne pensez pas, je vous prie, ma très-chère nièce ma fille, que c'ait été faute de souvenance ou d'affection, si j'ai tant tardé à vous écrire. Car à la vérité le bon désir que j'ai vu en votre âme, de vouloir servir fort fidèlement Dieu, en a fait naître un extrême dans la mienne de vous assister et aider de tout mon pouvoir, laissant à part le devoir que je vous ai d'ailleurs, et l'inclination que j'ai toujours eue pour votre coeur, à cause de la bonne opinion que j'en aidés votre plus tendre jeunesse.

Or sus donc, ma très-chère nièce, il faut donc bien soigneusement cultiver ce coeur bien-aimé, et ne rien épargner de ce qui peut être utile à son bonheur : et quoique en toute saison cela se puisse faire, si est-ce que celle-ci, en laquelle vous êtes, est la plus propre. Ah. que c'est une rare grâce, ma chère fille, de commencer à servir ce grand Dieu, tandis que la jeunesse de l'âge nous rend susceptibles de toutes sortes d'impressions ! et que l'offrande est agréable, et laquelle on donne les fleurs avec les premiers fruits de l'arbre !

2. Tenez toujours ferme au milieu de votre coeur les résolutions que pieu vous donna quand vous étiez devant lui auprès de moi : car si vous les conservez en toute cette vie mortelle, elles vous conserveront en l'éternelle. Et pour non-seulement les conserver, mais les faire heureusement croître, vous n'avez pas besoin d'autre avis que ceux que j'ai donnés à Philothée dans le livre de l’Introduction que vous avez : mais toutefois, pour vous agréer, je "ous veux bien spécifier en peu de paroles ce que je désire principalement de vous.

3. 1° Confessez-vous de quinze en quinze jours, pour recevoir le divin sacrement de communion : et n'allez jamais ni à l'un, ni à l'autre de ces célestes mystères, qu'avec une nouvelle et très-profonde résolution de vous amender de plus en plus de vos imperfections, et de vivre avec une pureté et perfection de coeur toujours plus grandes. Or je ne dis pis que si vous vous trouvez en dévotion pour communier tous les huit jours, vous ne le puissiez faire; et surtout si vous remarquez que par ce sacré mystère vos inclinations fâcheuses et les imperfections de votre vie s'aillent, diminuant ; mais je vous ai marqué de quinze en quinze jours, afin que Vous ne différiez pas davantage.

2° Faites vos exercices spirituels courtement et fervemment, afin que votre naturel ne soit point difficile de vous y rendre par l'appréhension de la longueur, et que petit à petit il s'apprivoise avec ces actes de piété. Par exemple, vous devez inviolablement faire tous les matins l'exercice du matin, qui est marqué en l’Introduction: or, pour le faire courtement, vous pourrez, en vous habillant, remercier Dieu, par manière d'oraison jaculatoire, de quoi il vous a conservée cette nuit-là, et faire encore le deuxième et troisième point, non-seulement en vous habillant, mais au lit ou ailleurs, sans différence de lieu, ou d'actions quelconques : puis tout aussitôt que vous pourrez, vous vous mettrez à genoux, et ferez le quatrième point, commençant à faire cet élan de coeur qui est marqué : O Seigneur! voilà ce pauvre et misérable coeur. J'en dis de même de l'examen de conscience, que vous pouvez faire le soir en vous retirant, partout où vous vous trouverez, pourvu qu'on fasse le troisième et quatrième point à genoux, tandis qu'aucune maladie ne vous en empêche.

Ainsi en l'Église oyez la messe avec une contenance d'une vraie fille de Dieu : et plutôt que de relâcher de cette révérence, sortez de l'Église, et vous en retirez.

3° Apprenez à faire souvent des oraisons jaculatoires, et des élancements de votre coeur en Dieu.

4° Ayez soin d'être douce et affable à tout le monde, mais surtout dans le logis.

5° Les aumônes qui se font chez vous, soient aussi faites par vous, toujours quand vous le pourrez ; car c'est un grand accroissement de vertu que de faire l'aumône de sa propre main, quand elle se peut bonnement faire.

6° Visitez les malades de votre bourgade fort volontiers : car c'est une des oeuvres que notre Seigneur regardera au jour du jugement.

7° Tous les jours lisez une page ou deux de quelque livre spirituel, pour vous tenir en goût et dévotion ; et les fêtes un peu davantage, ce qui vous tiendra lieu de sermon.

8° Continuez à beaucoup honorer votre beau-père, parce que Dieu le veut, le vous ayant donne pour second père en ce monde ; et aimez cordialement le mari, lui rendant avec une douce et simple bienveillance tout le contentement que vous pourrez ; et soyez sage à supporter les imperfections de qui que ce soit, mais surtout de ceux du logis:

Je ne vois pas pour le présent que j'aie à vous dire autre chose, sinon que lorsque nous vous reverrons, vous me direz comme vous vous serez conduite en ce chemin de dévotion : et s'il y a quelque chose à ajouter, je le ferai. Vivez donc toute joyeuse en Dieu et pour Dieu, ma très-chère fille ma nièce ; et croyez que je vous chéris très-parfaitement, et suis infiniment votre, etc.




LETTRE DCCLXXXVI, A UNE DE SES PARENTES, MME GUILLET DE MONTHOUX.

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Conseils sur sa conduite envers son beau-père et sa belle-mère.

Annecy, 10 novembre 1616.

1. Encore ne vous écris-je pas à loisir, ma très-chère fille, bien que je réponde tard à votre lettre.

Or sus, vous voilà donc dans le ménage, et il n'y a remède : il faut que vous soyez ce que vous êtes, mère de famille, puisque vous avez un mari et des enfants, et il faut l'être de bon coeur et avec l'amour de Dieu, ains pour l'amour de Dieu, ainsi que je le dis assez clairement à Philothée sans s'inquiéter ni empresser que le moins qu'il sera possible.

2. Mais je vois bien, chère fille, qu'il est un peu malaisé d'avoir soin du ménage en une maison où il y a mère et père : car je n'ai jamais vu que les pères, et surtout les mères, laissent le gouvernement entier aux filles, encore que quelquefois il serait expédient. Pour moi, je vous conseille de faire le plus doucement et sagement que vous pourrez ce qui est recommandé, sans jamais rompre la paix avec ce père et cette mère : car il vaut mieux que les affaires n'aillent pas si bien, et que ceux à qui on a tant de devoirs soient contents.

Et puis, si je ne me trompe, votre humeur n'est pas faite pour la conteste. La paix vaut mieux qu'une chevance. Ce que vous, verrez pouvoir être fait avec amour, il le faut procurer : ce qui ne se peut faire que par débat, doit être laissé, quand on a affaire avec des personnes de si grand respect. Je ne doute point qu'il ne se passe des aversions et répugnances en votre esprit ; mais, ma très-chère fille, ce sont autant d'occasions d'exercer la vraie vertu de douceur ; car il faut faire bien, et saintement, et amoureusement ce que nous devons à un chacun, quoique ce soit à contrecoeur, et sans goût.

3. Voilà, ma très-chère fille, ce que je vous puis dire pour le présent, ajoutant seulement (pie je vous conjure de croire fermement «pie je vous chéris d'une dilection parfaite (ft vraiment paternelle, puisqu'il a plu à Dieu de vous donner envers moi une confiance si entière et filiale; mais continuez donc bien, ma très chère fille, à m'aimer cordialement.

Faites bien la sainte oraison : jetez souvent votre coeur entre les mains de Dieu, reposez votre âme en sa bonté, et mettez votre soin sous sa protection, soit pour le voyage du cher mari, soit pour le reste de vos affaires ; faites bien ce que vous pourrez, et le reste laissez-le à Dieu, qui le fera ou tôt ou tard, selon la disposition de sa divine providence.

Je voudrais bien savoir qui sont ces curés desquels on murmure contre moi et mon frère; car tant qu'il nous sera possible, nous tâcherons de remédier aux désordres, s'ils se trouvent. Je suis cependant bien aise que le vôtre soit honnête homme et sage.

En somme, soyez à jamais toute à Dieu, ma très-chère fille, et je suis tout en lui, votre, etc.



LETTRE DCCLXXXVII, A MADAME DE VEYSSILIEU.

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Remèdes contre la trop grande crainte de la mort.

Annecy, 7 avril 1617.

Madame, à cette première commodité que j'ai de vous écrire, je tiens ma promesse, et vous présente quelques moyens par lesquels vous pourrez adoucir la crainte de la mort, qui vous donne de si grands effrois en vos maladies et enfantements: en quoi, bien qu'il n'y ait aucun péché, si est-ce qu'il y a dommage pour votre coeur, lequel troublé de cette passion ne peut pas si bien se joindre par amour avec son Dieu, comme il le ferait s'il n'était pas si fort tourmenté.

Premièrement donc, je vous assure que si vous persévérez à l'exercice de dévotion, comme je vois (pie vous faites, vous vous trouverez petit à petit grandement allégée de ce tourment ; d'autant que votre âme se tenant ainsi exempte de mauvaises affections,-et s'unissant de plus en plus à Dieu, elle se trouvera moins attachée à cette vie mortelle, et aux vaines complaisances que l'on y prend.

Continuez donc en la vie dévote, selon que vous avez commencé, et allez toujours de bien en mieux au chemin dans lequel vous êtes; et vous verrez que dans quelque temps ces erreurs s'affaibliront, et ne vous inquiéteront plus si fort.

2° Exercez-vous souvent es pensées de la grande douceur et miséricorde avec laquelle Dieu notre Sauveur reçoit les âmes en leur trépas, quand elles se sont confiées en lui pendant leur vie, et qu'elles se sont essayées de le servir et aimer chacune en sa vocation. O que vous êtes bon, Seigneur, à ceux qui ont le coeur droit ! (
Ps 73,1)

3° Relevez souvent votre coeur par une sainte confiance, mêlée d'une profonde humilité envers notre Rédempteur ; comme disant : Je suis misérable, Seigneur, et vous recevrez ma misère dans le sein de votre miséricorde, et vous me tirerez de votre main paternelle à la jouissance de votre héritage. Je suis chétive, et vile et abjecte ; mais vous m'aimerez en ce jour, parce que j'ai espéré en vous, et ai désiré d'être vôtre.

4° Excitez en vous, le plus que vous pourrez, l'amour du paradis et de la vie céleste, et faites plusieurs considérations sur ce sujet, lesquelles vous trouverez suffisamment marquées au livre de Y Introduction à la vie dévote, en la méditation de la gloire du ciel; et au choix du paradis ; car à mesure que vous estimerez et aimerez la félicité éternelle, vous aurez moins d'appréhension de quitter la vie mortelle et périssable.

5° Ne lisez point les livres, ou les endroits des livres èsquels il est parlé de la mort, du jugement, et de l'enfer : car, grâces à Dieu, vous avez bien résolu de vivre chrétiennement, et n'avez pas besoin d'y être poussée par les motifs de la frayeur et de répouvantement.

6° Faites souvent des actes d'amour envers Notre-Dame, les Saints et Anges célestes: apprivoisez-vous avec eux, leur adressant souvent des paroles de louange et de dilection ; car ayant beaucoup d'accès avec les citoyens de la divine Jérusalem céleste, il vous fâchera moins de quitter ceux de la terrestre, ou basse cité du monde.

7° Adorez souvent, louez et bénissez la très-sainte mort de notre Seigneur crucifié, et mettez toute votre confiance en son mérite, par lequel votre mort sera rendue heureuse ; et dites souvent : O divine mort de mon doux Jésus, vous bénirez la mienne, et elle sera bénite ; je vous bénis, et vous me bénirez. O mort plus aimable que la vie! Ainsi S. Charles, en la maladie de laquelle il mourut, fit mettre à sa vue l'image de la sépulture de notre Seigneur, et celle de l'oraison qu'il fit au mont des Olives, pour se consoler en cet article, sur la mort et passion de son Rédempteur.

8° Faites quelquefois réflexion sur ce que vous êtes fille de l'Église catholique, et vous réjouissez de cela : car les enfant.': de cette mère qui désirent de vivre selon ses lois, meurent toujours bienheureux ; et, comme dit la bienheureuse mère Thérèse, c'est une grande consolation à l'heure de la mort d'être fille de la sainte Église.

9° Finissez toutes vos oraisons en confiance, comme disant: Seigneur, vous êtes mon espérance; en vous j'ai jeté ma fiance (Ps 57,2). Dieu, qui espéra jamais en vous lequel a été confondu (Si 2,11-12)? J'espère en vous, ô Seigneur, et je ne serai point confondu éternellement (Ps 31,1 Ps 71,1). En vos oraisons jaculatoires parmi la journée, et en la réception du très-saint Sacrement, usez toujours de paroles d'amour et d'espérance envers notre Seigneur ; comme : Vous êtes mon père, ô Seigneur! ô Dieu ! vous l'époux de mon âme, vous êtes le roi de mon amour, et le bien-aimé de mon âme. O doux Jésus ! vous êtes mon cher maître, mon secours, mon refuge.

10° Considérez souvent les personnes que vous aimez le plus, et desquelles il vous fâcherait d'être séparée, comme des personnes avec lesquelles vous serez éternellement au ciel ; par exemple, votre mari, votre petit lean, monsieur votre père : ô ce petit garçon qui siéra, Dieu aidant, un jour bienheureux en cette ne éternelle, en laquelle il jouira, de ma félicité ci: s'en réjouira; et je jouirai delà sienne, et m'en réjouirai, sans jamais plus nous séparer! Ainsi du mari, ainsi du père, et des autres ; vous aurez d'autant plus de facilité, que tous vos plus chers servent Dieu et le craignent; et parce que vous êtes un peu mélancolique, voyez au livre de l'Introduction à la vie dévote, ce que je dis de la tristesse, et des remèdes contre icelle.

Voilà, ma chère dame, ce que pour le présent je vous puis dire sur ce sujet, que je vous dis avec un coeur grandement affectionné au vôtre, lequel je conjure de m'aimer et recommander souvent à la miséricorde divine, comme réciproquement je ne cesserai jamais de la supplier qu'elle vous bénisse.

Vivez heureuse et joyeuse en la dilection céleste, et je suis, votre, etc.




LETTRE DCCLXXXVIII, A MADAME DE LA VALBONNE (1) SA NIÈCE.

 (1) Épouse de M. René Favre de la Valbdnnc, sénateur de Chambéry ; fils du président Antoine Favre, ami intime de saint François de Sales.

Exhortation à la persévérance dans la pratique des vertus.


Annecy, 15 mai 1617.

Dieu vous bénisse, ma très-chère nièce ma-fille, de quoi vous persévérez toujours au soin de lui garder les plus précieuses affections de votre coeur. Que vous serez heureuse, si cette persévérance dure jusqu'à la fin de cette misérable vie ! Car ainsi cette fin sera le sacré commencement d'une belle et très-sainte éternité.

Il faut bien toujours tenir ferme en vos deux chères vertus, la douceur envers le prochain, et la très-aimable humilité envers Dieu : et j'espère qu'il sera ainsi ; car ce grand Dieu, qui vous a pris par la main pour vous tirer à soi, ne vous abandonnera point, qu'il ne vous ait logée en son tabernacle éternel. Il faut arracher iput-à-fait le soin des préséances, puisque même on ne possède jamais tant l'honneur qu'en le méprisant, et que cela trouble le coeur, et nous fait faire des échappées contre la douceur et l'humilité.

Ne vous étonnez nullement de vos distractions, froideurs et sécheresses; car tout cela se passe en vous du côté des sens, et en la partie de votre coeur qui n'est pas entièrement en votre disposition : mais, à ce que je vois, votre courage est immobile et invariable es résolutions que Dieu vous a données. Vraiment, ma chère fille, il ne faut pas laisser la sainte communion pour cette sorte de mal ; car rien ne ramassera mieux votre esprit que son Roi, rien ne réchauffera tant que son soleil, rien ne le détrempera si souëvement que son baume.

1312
Il n'y a remède, ma très-chère fille, nous avons renoncé aux consolations mondaines; et, non contents de cela, encore nous faut-il renoncer aux spirituelles, puisque telle est la volonté de celui pour lequel nous devons vivre et mourir.

Pensez si notre mère (de Chantal) eût fait une grande fête de vous voir à la Visitation, et si votre consolation m'en eût donné une excellente. Mais puisque le mari ni le confesseur ne l'ont pas trouvé bon, il faut demeurer en paix.

Comme aussi aux retranchements des communions, je ne sais pas leurs motifs en cela, et ne les sachant pas, il ne faut pas que j'en dise autre chose : ils ne savent peut-être pas aussi lés miens ^ et c'est pourquoi ils ne les jugent pas dignes d'être suivis. En cela, chacun a son goût particulier : mais pour vous, je vous assure bien que vous ne perdrez rien ; car ce que vous ne gagnerez pas en la suavité de la communion, vous le trouverez en l'humilité de votre soumission, si vous acquiescez simplement à leurs volontés.

Mais de cette crainte qu'on vous donne que vos fréquentes communions vous pourraient tourner à mal, je pense que vous ne vous en devez point mettre en peine, et qu'on ne vous a pas dit cela par discernement de l'état de votre coeur ; mais pour vous mortifier, ou peut-être simplement par manière de défaite, comme quelquefois il arrive aux personnes même fort sages de ne peser pas bien même toutes choses.



[ (1) Quand madame la présidente viendra, au moins alors nous verrons-nous; et cependant] vivez toute humble, toute douce, toute passionnée de l'amour sacré de l'époux céleste. Je suis en lui, ma très-chère fille, tout parfaitement vôtre.

Et ne vous troublez point de quoi vous ne remarquez pas toutes vos menues chutes pour vous en confesser : non, ma fille ; car comme vous tombez souvent sans vous en apercevoir, aussi n'est-il pas dit au passage que vous m'avez allégué, que le juste se voit, ou sent tomber sept fois le jour, mais qu'il tombe sept fois; aussi il se relève (
Pr 24,13) sans attention à ses relevées. Ne vous mettez donc pas en peine pour cela : mais allez humblement et franchement dire ce que vous aurez remarqué : et ce que vous n'aurez pas remarqué, remettez-le à la douce miséricorde de celui-là qui met la main au-dessous de ceux qui tombent sans malice, afin qu'ils ne se froissent (Ps 37,21) point, et les relève si vilement et doucement, qu'ils ne s'aperçoivent pas d'être tombés, parce que la main de Dieu les a recueillis en leurs chutes, ni d'être relevés, parce qu'elle les a retirés si soudain, qu'ils n'y ont point pensé.

Adieu, ma très-chère fille ma nièce, conservez toujours bien votre âme bien-aimée, et ne tenez pas grand compte de ces années qui passent, sinon pour gagner la très-sainte éternité.


(1) Ce qui est entre deux crochets n'est point dans les livres imprimés.




LETTRE DCCLXXXIX, A MERE DE BRECHARD, SUPERIEURE DE LA VISITATION DE MOULINS.

1318
Sur la mort du père de cette religieuse, et sur celle de M. de Torens.


29 mai 1617.

Ma très-chère fille,

1. hier notre mère me fit voir votre dernière lettre et la nouvelle du trépas de monsieur votre père. Ne doutez point que je ne prie pour lui : car c'était le père de ma très-chère fille, qui m'est, je vous assure, infiniment chère, et aux déplaisirs et plaisirs de laquelle mon coeur participe très-affectionnément. Mais ici, hors le sentiment naturel, il y a occasion de sainte consolation, puisque ce bon gentilhomme s'en est allô en une bonne vieillesse, et, ce qui importe, en une bonne disposition spirituelle.

2. Donc, ma très-chère fille, demeurez consolée.

Et nous rendez la pareille par vos prières pour mon pauvre cher frère de Torens, lequel étant allé en Piémont avec un régiment de mille hommes, y fut enseveli mardi passé, comme on vient de m'écrive, et comme je m'attendais il y a trois jours, sachant la qualité de la maladie. Or, pensez, ma très-chère fille, où cette affliction me touche, et voyez si la mienne n'est pas surchargée de celle de sa pauvre petite (madame de Torens) (1), et de notre mère (madame de Chantal) (2), à qui il faut que ce matin j'aille ôter le peu d'espérance qui leur était restée après les premières nouvelles de cet accident, sur lesquelles nous avons mille et mille fois adoré le décret de la Providence divine, et avons jeté nos coeurs entre les mains de Dieu avec esprit de soumission, répétant : Oui, Seigneur ; car ainsi il a été agréable devant vous (
Mt 11,26). Et nous n'avons aussi à dire autre chose en tout ce que Dieu fait, sinon Amen.

3. Ce pauvre garçon est mort le premier jour de son arrivée en ce pays-là, d’une fièvre pestilentielle, dans le sein de l'Église, muni des sacrements reçus avec de grands sentiments de religion, sous la direction du bon père dom Juste (3). Hélas ! qu'il est heureux, ce me semble ! mais il est pourtant impossible que je ne pleure sur lui. Vous ne sauriez croire combien il était accompli ! combien il s'était rendu aimable à chacun ! combien il s'était signalé aux yeux du prince, en l'occasion de l'année passée ! et sur cela le voilà emporté. Mais Dieu est bon, et fait toutes choses en sa bonté. A lui soir, honneur, gloire et bénédiction (Ap 4,9 Ap 5,12-13).

Le pauvre chevalier Jànus de Sales (autre frère du Saint) est encore là, qui aura été spectateur de ce triste trépas ; et peut-être en sera-t-il l'expectateur.

(1) Agée seulement de dix-neuf ans.
(2) Mère de la jeune veuve..
(4) Barnabite qui a été depuis évêque de Genève, et deuxième successeur du Saint, dont il était parent.




LETTRE DCCXC, A M. (DE CHIVRON) AMEDEE DE VILLETTE, SON ONCLE.

1320
Réponse à une lettre de condoléance sur la mort de M. de Torens, frère du Saint.


Annecy, 30 mai 1617.

Monsieur mon oncle, hélas ! il n'est que trop vrai que vous avez perdu un très-humble neveu et fidèle serviteur, et moi mon très-cher frère que j'aimais incroyablement pour plusieurs bonnes raisons, outre celles du sang.- C'est quasi un songe de gens qui veillent, de savoir ce pauvre garçon mort aussitôt qu'arrivé en ce pays-là, et sans avoir eu le loisir d'avoir vu le prince auquel il allait consacrer sa vie et son courage.

Or, après toutes les idées que le déplaisir me donne, je conclus que Dieu l'ayant voulu, c'a été le mieux. Que son nom soit béni (
Jb 1,21), et les décrets de sa volonté adorés es siècles des siècles. Amen.

Certes, je crois bien que monsieur de Giez, mon cousin, monsieur le baron de Bouvilaret, et mon neveu du Vuaz (1), auront ressenti grandement cette perte, comme sachant que ce pauvre trépassé les chérissait et honorait très particulièrement, selon que la nature et plusieurs considérations l'y obligeaient ; mais s'il leur manque, ce n'est pas par son élection ni par sa faute. Dieu par sa bonté les veuille protéger et conduire parmi les hasards où cette guerre les porte.

Ma pauvre chère soeur (madame de Torens) témoigne entre ses pleurs et regrets la plus aimable, constante et religieuse piété qu'il est possible de dire : en quoi elle nous contente extrêmement, pour le désir que nous avons qu'elle conserve l'enfant que nous croyons par bonnes conjectures avoir été laissé en ses flancs par le défunt, comme pour quelque sorte d'allégement à ses frères.

Que vous dirai-je plus, monsieur mon cher oncle ! Ce pauvre garçon décédé s'était destiné à la vie-militaire, et pouvait mourir de cent façons plus lamentables que celle de laquelle il est mort. Béni soit Dieu qui l'a ravi devant les duels, les mutineries, les désespoirs, et en somme devant ces innombrables occasions d'offenser Dieu que cette espèce de vocation donne en ce misérable âge.

Et pour tout, je ne puis dire autre chose, sinon, Oui, mon Père, je le veux, puisque c'est votre volonté (Mt 11,26). J'acquiesce et dis Amen, non-seulement sur les paroles, mais aussi sur les oeuvres de Dieu, le suppliant qu'il vous conserve, demeurant pour jamais; monsieur, votre, etc.


(1) Fils de M. Louis de Sales, frère d'Auguste de Sales, qui fut depuis évêque de Genève, auteur de la Vie du Saint.



LETTRE DCGXCI, A MADAME DE MONTFORT, SA PARENTE.

1353
Sur la mort de madame de Torens.

10 septembre 1617.

Madame ma très-chère cousine, nous n'avions pas encore achevé nos plaintes pour la perte que nous avions faite en Piémont, que voici la seconde arrivée (1), laquelle, je vous assure, nous est infiniment sensible ; cette chère âme ayant tellement vécu parmi nous, qu'elle nous avait rendus tous parfaitement siens, mais moi plus particulièrement, qu'elle regardait avec un amour et honneur filial ; et puis le contrecoup reçu par sa digne mère donne surcroît à notre déplaisir.

Mais pourtant, à l'imitation de cette défunte, nous embrassons, aimons, et adorons la volonté de Dieu, avec toute soumission de notre coeur ; car c'étaient presque ses dernières paroles : vous assurant que jamais je n'ai vu un trépas, si saint que celui de cette fille. (1), quoiqu'elle n'eût que cinq heures pour le faire. Je vous remercie cependant humblement, et monsieur de Montfort mon cousin
909 , de l'honneur de votre souvenance, et suis à jamais, madame ma cousine, votre, etc.


(1) Quelque effort que fit madame de Torens pour vaincre sa douleur, elle en fut enfin accablée ; au bout de cinq mois de la mort de son mari, elle fut surprise d'un accouchement avant terme. Son mal ne dura que vingt-quatre heures. Les cinq dernières, malgré les plus violentes douleurs, elle se confessa, communia, prit l'habit de novice de religieuse de la Visitation, état qu'elle avait résolu d'embrasser dès la mort de M. de Torens, reçut l'extrême-onction, fit profession, et avec tant de piété, avec des actes si vifs et si touchants de foi, d'amour de Dieu, de résignation, de patience, que le saint évêque, qui ne la quitta point, ne put s'empêcher d'être pénétré de douleur et d'admiration. Enfin, prête à mourir, elle eut la satisfaction de voir baptiser son enfant ; et comme si elle n'eût eu rien à souhaiter, elle rendit l'esprit entre les bras de sa sainte mère, à l'âge de dix neuf ans. Le saint prélat eut la force de lui fermer les yeux. «Mais après lui avoir rendu les derniers devoirs, dit M. Camus, évêque de Belley, l'ami du Saint, il commanda qu'on lui tînt des chevaux prêts pour aller aux champs. Ses gens estimaient qu'il voulût aller au château de Sales, qui n'était qu'à trois lieues de la ville de sa résidence, pour y prendre l'air et s'y distraire; mais ils surent, continue l'évêque de Belley, que c'était pour me venir voir. «. On lui remontra que la bonne mère de la défunte était en une affliction extrême sur cette perte, et qu'elle avait grand besoin de consolation. Vous faites tort à mon affliction, repartit-il, de l'estimer plus affligée que moi : je connais sa force d'esprit, et la faiblesse du mien ; comme lui apporterai-je de la consolation, moi qui en ai plus de besoin qu'elle? Ne trouvez pas mauvais que je l'aille chercher où je pense la rencontrer.

« Il me vint donc voir, et me raconta l'histoire de cette sainte mort, précédée d'une si pieuse vie, avec tant de larmes que je pensai avec lui fondre en pleurs. Il estimait beaucoup ; et selon Dieu, les vertus insignes de sa mère ; mais il faisait un si haut état de la perfection surnaturelle que Dieu avait répandue par sa grâce dans l'esprit de la fille, sa chère soeur, qu'il en parlait comme d'un ange, plutôt que d'une créature mortelle.

« Ne vous imaginez rien de lâche et de faible en cette piété, ajoute l'évêque de Belley ; la dévotion n'est pas une vertu farouche, stupide, insensible, dénaturée. L'apathie stoïque, que quelques errants ont voulu introduire dans la religion chrétienne, a été rejetée par l'Église, laquelle, animée du même esprit qui faisait dire à saint Paul : Pleurez un peu sur les morts, mais non pas comme ceux qui n'espèrent pas en la résurrection, nous permet d'avoir de tendres sentiments sur la perte des personnes qui nous sont chères. » (Esprit de S. François de Sales, 2* part., sect. 50.),

(1) Il l'appelait ainsi, parce qu'elle était sa fille spirituelle.





F. de Sales, Lettres 1102