Sales, Controverses



Lettre ouverte aux Protestants

Les Controverses

PREMIERE PARTIE

DEFENSE DE L’AUTORITE DE L’EGLISE

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CHAPITRE PREMIER

RAYSON I : DE LA MISSION

Les Ministres, n’ayant pas la Mission, n’ont pas l’autorité

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ARTICLE PREMIER

Les Ministres n’ont Mission ni du peuple ni des princes séculiers

111 Premierement, Messieurs, vos devanciers et vous aussy aves faict une faute inexcusable, quand vous prestates l’oreille a ceux qui s’estoyent separés de l’Eglise, car ce n’estoyent des personnes qualifiëes comm’il falloit pour praecher. Ilz portoyent parole, a ce qu’ilz disoyent, de la part de Dieu, contre l’Eglise ; ilz se vantoyent de porter le libelle de divorce de la part du Filz de Dieu a l’Eglise son Espouse ancienne, pour se marier a cette jeune assemblee refaitte et reformée. Mays comme pouvies vous croire ces nouvelles si tost, que sans leur faire monstrer leur charge et commission bien authentiquëe, vous commençates de premier abord a ne reconnoistre plus ceste Reyne pour vostre princesse, et a crier par tout que c’estoit un’adultere ? Ilz couroyent ça et la semer ces nouvelles, mays qui les en avoit chargés ? On ne se peut enrooler sous aucun capitaine sans l’adveü du prince chez lequel on demeure : et comment fustes vous si promps a vous enrooler sous ces premiers ministres, sans sçavoir si vos pasteurs qui estoyent en estre l’advoüeroient ? mesme que vous sçavies bien qu’il vous sortoit hors de l’estat dans lequel vous esties nés et nourry. Eux, donques, sont inexcusables de ce que sans l’authorité du magistrat spirituel ilz ont faicte ceste levëe de bouclier, et vous, de les avoir suyvis.

Vous voyes bien ou jvays battre ; c’est sur la faute de mission et de vocation que Luther, Zuingle, Calvin et les autres avoyeny : car c’est une chose certayne que quicomque veut enseigner et tenir rang de pasteur en l’Eglise, il doit estr’envoÿé. Saint Pol : Quomodo praedicabunt, nisi mittanbur ? Comme praecheront ilz, s’ilz ne sont envoyés ? Et Hieremie : Les prophetes prophetisent a faux, je ne les ay pas envoÿé ; et ailleurs : Non mitebam prophetas et ipsi currebant :Je ne les envoyois point, et ils couroyent. La mission est donques necessaire ; vous ne le nieres pas, si vous ne sçaves quelque chose plus que vos maistres.

Mays je vous vois venir en trois esquadrons : car, les uns d’entre vous diront quilz ont eü vocation et mission du peuple et magistrat seculier et temporel ; les autres de l’Eglise ; comment cela ? parce, disent ilz, que Luther, OEcolampade, Bucer, Zuingle et autres estoyent prestres de l’Eglise comme les autres ; les autres, enfin, qui sont les plus habiles, disent quilz ont estés envoyés de Dieu mays extraordinayrement.

Voyons que c’est du premier. Comme croyrons nous que le peuple, et les princes seculiers, aÿe appellés Calvin, Brence, Luther, pour enseigner la doctrine que jamais il n’avoyt ouÿe ? et devant, quand ilz commencerent a prescher et semer ceste doctrine, qui les avoist chargés de ce faire ? Vous dites que le peuple devot vous a appellés, mays quel peuple ? Car, ou il estoit Catholique, ou il ne l’estoit pas : s’il estoit catholique, comme vous eut il appelé et envoÿé praecher ce quil ne croyoit pas ? et ceste vocation de quelque bien petite partie du peuple lhors Catholique, comme pouvoit elle contrevenir a tout le reste qui sy opposa ? et comme vous pouvoit une partie du peuple donner authorité sur l’autre partie, affin que vous pouvies les ames de l’ancienne obeissance ? car un peuple ne peut donner l’authorité que sur soymesme. Il eut donc fallu ne point prescher sinon la ou vous esties appellés du peuple, ce que si vous eussies faict, vous n’eussies pas eu tant de suite. Mays disons voir, quand Luther commença, qui l’appela ? il n’y avoit encor point de peuple qui pensast aux opinions quil a soustenües, comment donques l’eut il appelé pour les prescher ? Sil n’estoit pas Catholique, qu’estoit il donq ? Lutherien ? nompas, car je parle de la premiere fois ; quoy donq ? Qu’on responde donq, si l’on peut. Qui a donné l’authorité aux premiers d’assembler les peuples, dresser des compagnies et bandes a part ? Ce n’est pas le peuple, car ilz n’estoyent pas encor assemblés.

Mays, ne seroit ce pas tout brouiller, de permettr’a chacun de dire ce que bon luy sembleroit ? a ce conte chacun seroit envoÿé ; car il ni a si fol qui ne trouve des compaignons, tesmoins les Tritheites, Anabaptistes, Libertins, Adamites. Il se faut renger a l’Escriture, en laquelle on ne trouvera jamais que les peuples ayent pouvoir de se donner des pasteurs et praedicateurs.


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ARTICLE II

Les Ministres n’ont pas reçu Mission des Evêques Catholiques




Plusieurs, donques de nostre aage, voyans leur chemin couppé de costé la, ilz se sont jettés d’autre de l’autre, et disnet que les premiers maistres reformateurs, Luther, bucer, OEcolampade, ont estés envoyés par les Evesques qui les firent prestres, puys ceux cy ont envoyéspar les Evesques qui les firent prestres, puys ceux cy ont envoyés las autres suyvans, et vont ainsy enchainant leur mission a celle des Apostres.

Veritablement c’est parler françois et realement, que de confesser que leur mission ne peut estre coulëe des Apostres a leurs ministres, que par la succession de nos Evesques et par l’imposition de leurs mains : la chose est telle sans doute. On ne peut pas faire sauter ceste mission si haut, que des Apostres elle soit tumbëe entre les mains des praedicateurs de ce tems, sans avoir touché par un des Anciens et de nos devanciers : il eut fallu une bien longue sarbacane en la bouche des premiers fondateurs de l’Eglise, pour avoir appellé Luther et les autres sans que ceux qui estoyent entre deux s’en fussent apperceu, ou bien (comme dict Calvin a un’autre occasion et malapropos), que ceux cy eussent eu les oreilles bien grandes : il failloit bien qu’elle fut conservëe entiere, si ceux cy la devoient trouver. Nous avoüons, donques, que la mission estoit riere nos Evesques, et principalement es mains de leur chef, l’Evesque Romain. Mays nous nions formellement que vos ministres en ayent eu aucune communication, pour praecher ce quilz ont preché, parce que :

1. Ilz prechent choses contraires a l’Eglise en laquelle ilz ont estés ordonnés prestres : ou, donq, ilz errent, ou l’Eglise qui les a envoyés, et, par consequent, ou leur eglise est fausse ou celle de laquelle ilz ont pris la mission. Car dun’eglise fause ne peut sortir une vraÿe mission : si c’est leur eglise qui est fause, moins ilz ont mission ; car en un’eglise fause ne peut estre vraÿe mission. Comme que ce soit donques, ilz n’ont point eu demission pour precher ce quilz ont preché : puysque si l’Eglise en laquelle ilz ont esté ordonnés estoit vraÿe, ilz sont haeretiques d’en estre sortis et d’avoir praeché contre sacreance ; et si elle n’estoit vraÿe, elle ne leur pouvoit donner mission.
2. Outre cela, quoy quilz eussent eu mission en l’Eglise Romaine, ilz ne l’ont pas eu pour en sortir et distraire de son obeissance ses enfans : certes, le commissaire ne doit pas exceder les bornes de sa commission, ou c’est pour neant.
3. Luther, OEcolampade ou Calvin n’estoyent pas evesques ; comme donques pourvoyent ilz communiquer aucune mission a leurs successeurs de la part de l’Eglise Romaine, qui proteste en tout et par tout quil ni a que les Evesques qui puyssent envoyer, et que cela n’appartient aucunement aux simples prestres ? en quoy saint Hierosme mesme a mis la difference qui est entre le simple prestre et l’Evesque, en l’epistre ad Evagrium et saint Augustin et Epiphane mettent Aerius en conte avec les haeretiques par ce quil tenoit le contraire.


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ARTICLE III

Les Ministres n’ont pas la Mission extraordinaire


Ces raysons sont si vives, que les plus asseurés des vostres ont pris party ailleurs qu’en la mission ordinayre, et ont dict quilz estyent envoyés extraordinairement de Dieu, par ce que la mission ordinaire avoit esté gastëe et abolie, quand et quand la vraÿe Eglise, sous la tirannie de l’Antichrist. Voicy leur plus assurëe retraitte, laquelle, par ce quell’est commune a toutes sortes d’heretiques, merite d’estre attaquëe a bon escient, et ruynee sans dessus dessous. Mettons donques nostre dire par ordre, pour voir si nous pourrons forcer ceste leur derniere baricade.

Je dis, donques, 1. que personne ne doit alleguer une mission extraordinayre qui ne la prouve par miracles. 1. Car, je vous prie, a quoy en serions nous , si ce praetexte de mission extraordinayre estoit recevable sans preuve ? ne seroit ce pas un voile a toutes sortes de resveries ? Arrius, Marcion , Montanus, Massalius, ne pourroyent ilz pas estre receuz a ce grade de reformateurs en prestant le mesme serment ? 2. Jamais personne ne fut envoyé extraordinairement qui ne prit ceste lettre de creance de la divine Majesté. Moyse fut envoÿé immédiatement de Dieu pour gouverner le peuple d’Israel ; il voulut sçavoir le nom de qui l’envoyoit, et quand il eut appris ce nom admirable de Dieu, il demanda des marques et patentes de sa commission : ce que nostre Dieu trouva si bon, quil luy donna la grace de trois sortes de prodiges et de merveilles, qui furent comme troys attestations, en trois divers langages, de la charge quil luy donnoit, affin que qui n’entendroit l’une entendit l’autre. Si donques ilz alleguent la mission extraordinaire, quilz nous monstrent quelques oeuvres extraordinaires, autrement nous ne sommes pas obligés de les croire. Vrayement Moyse monstre extraordinairement bien la necessité de ceste preuve a qui veut parler extraordinairement ; car, ayant a demander le don d’eloquence a Dieu, il ne le demande qu’apres avoir le pouvoir des miracles, monstrant quil est plus necessaire d’avoir l’authorité de parler que d’en avoir la promptitude. La mission de saint Jan Baptiste, quoiqu’elle ne fut du tout extraordinaire, ne fut elle pas authentiquëe par sa conception, sa nativité, et mesme par sa vie tant miraculeuse, a laquelle Nostre Seigneur donna si bon tesmoignage ? Mays quand aux Apostres , qui ne sçait les miracles quilz faysoyent et le grand nombre d’iceux ? leurs mouchoirs, leur ombre servoit a la prompte guerison des malades et a chasser le diable : Par les mains des Apostres estoyent faitz beaucoup de signes et merveilles parmi le peuple (Act 5,12) et que ce fut en confirmation de leur praedication, saint Marc le dict tout ouvertement, es dernieres paroles de son Evangile, et saint Pol, aux Hebreux. Comment donques se voudront excuser et relever de ceste preuve pour leur mission ceux qui en nostr’aage en veulent avancer un’extraordinaire ? quel privilege ont ilz plus qu’Apostolique et Mosaique ? Que diray je plus ? Si nostre sauverain Maistre, consubstantiel au Pere, duquel la mission est si authentique qu’elle presuppose la communication de mesm’essence, luy mesme, dis je, qui est la source vive de toute mission ecclesiastique, n’a pas voulu s’exempter de ceste preuve de miracles, quelle rayson y a il que ces nouveaux ministres soyent crus a leur seule parole ? Nostre Seigneur allegue fort souvent sa mission pour mettre sa parole en credit : Comme mon Pere m’a envoyé, je vous envoÿe. (Jean XX, 21) Ma doctrine n’est point mienne, mays de Celuy qui m’a envoÿé (Jean VII, 16) Et vous me connoisses, et sçaves d’ou je suys, et ne suys point venu de par moy mesme. (28) Mays aussy, pour donner authorité a sa mission, il met en avant ses miracles, ains atteste que, s’il n’eust faict des oeuvres que nul autre n’a faict parmi les Juifz, ilz n’eussent point eu de péché de ne croire point en luy ; et ailleurs il leur dict : Ne croyes vous pas que mon Pere est en moy et moy en mon Pere ? au moins croyes le par les oeuvres. (Jean XIV, 11-12) Qui sera donc si osé que de se vanter de lission extraordinayre, sans produire quand et quand des miracles, il merite d’estre tenu pour imposteur : or est il que ni vos premiers ni derniers ministres n’ont faict aucun miracle : ilz n’ont donq point de mission extraordinaire. Passons outre.

Je dis, secondement, que jamais aucune mission extraordinaire ne doit estre receüe, estant desadvouëe de l’authorité ordinaire qui est en l’Eglise de Nostre Seigneur. Car, 1. ,nous sommes obligés d’obeir a nos pasteurs ordinaires sous peyne d’estre publicains et payens (Mat XVIII, 17) ; comment donques nous pourrions nous ranger sous autre discipline que la leur ? les extraordinaires viendroyent pou neant, puysque nous serions obligés de ne les ouïr pas, en cas, comme j’ay dict, quilz fussent desavoüés des ordinaires. 2. Dieu n’est point autheur de division, mais d’union et de concorde (I Cor 14 , 33), principalement entre ses disciples et ministres ecclesiastiques, comme Nostre Seigneur monstre clairementen la sainte priere quil fit a son Pere es derniers jours de sa vie mortelle (Jean XVII,11 et 21) . Comment donques authorizeroit il deux sortes de pasteurs, l’une extraordinaire, l’autre ordinaire ? Quand a l’ordinaire qu’elle soit authorisëe, cela est certain ; quand a l’extraordinaire, nous le praesupposons : ce seroyent donques deux eglises differentes, qui est contre la plus pure parole de Nostre Seigneur, qui n’a qu’une seul’espouse, qu’une seule colombe, qu’une seule parfaitte (Cant VI, 8) . Et comme pourroit estre le trouppeau uny, conduict par deux pasteurs, incogneuz l’un a l’autre, a divers repaires, a divers huchemens et redans, et dont l’un et l’autre voudroit tout avoir ? Ainsy seroit l’Eglise, sous diversité de pasteurs ordinayres et extraordinaires, tirassëe ça et la en diverses sectes. Et quoy ? Nostre Seigneur est il divisé (1 Cor 1, 13) , ou en luy mesme ou en son cors qui est l’Eglise ? Non, pour vray, mays, au contraire, il ni a qu’un Seigneur (Eph IV, 5) lequel a bati son cors mistique (12) avec une belle variété de membres tres bien agencés (11), assemblés et serrés comtement, par toutes les joinctures de la sousministration mutuelle (16) ; de façon que de vouloir mettr’en l’Eglise ceste division de troupes ordinairyres et extraordinaires, c’est la ruyner et perdre. Il faut donques revenir a ce que nous disions, que jamais la vocation extraordinaire n’est legitime quand ell’est desavouëe de l’ordinaire. 3. Et de faict, ou me monstrera on jamais une vocation legitime extraordinaire qui n’aÿe esté receüe par l’authorité ordinayre ? Saint Pol fut appellé extraordinairement (Act IX, 6), mays ne fut il pas approuvé et authorisé par l’ordinaire, une (Act IX, 7) et deux (Act XIII, 3) fois ? et la mission receüe par l’authorité ordinaire est appellëe mission du Saint Esprit (Act XIII, 4). La mission de saint Jan Baptiste ne se peut pas bien dire extraordinaire, parce quil n’enseignoit rien contre l’eglise Mosaique, et par ce quil estoit de la race sacerdotale (Luc 1, 8) : si est ce neanmoins que la rareté de sa doctrine fut avouëe par l’ordinayre magistrat de l’eglise judaique, en la belle legation qui luy fut faicte par les prestres et les levites (Jean 1, 19 et suiv), la teneur de laquelle praesuppose une grande estime et reputation en laquelle il estoit vers eux ; et les Phariseens mesmes, qui estoyent assis sur la chaire de Moise, ne venoyent ilz pas communiquer a son baptesme (Mat 3, 5-7) tout ouvertement, sans scrupule ? c’estoit bien recevoir sa mission a bon escient. Nostre Seigneur mesme, qui estoit le Maistre, ne voulut il pas estre receu de Simeon(Luc 2, 28 et 34) qui estoit prestre, comm’il appert en ce quil benit Nostre Dame et mesmes pour sa Passion, qui estoit l’execution principale de sa mission, ne voulut il pas avoir le tesmoignage prophetique du grand Prestre qui estoit pour lhors(Jean 11, 51) ? 4. Et c’est ce que saint Pol enseigne , quand il ne veut que personne s’attribue l’honneur pastoral sinon celuy qui est appelé de Dieu, comm’Aaron (Heb 5, 4) : car la vocation d’Aaron fut faite par l’ordinaire, moyse, si que Dieu ne mit sa sainte parole en la bouche de’Aaron immediatement, mays Moyse, auquel Dieu fit ce commandement (Exode 4, 15) : Parle a luy, et luy metz mes paroles en sa bouche ; et je seray en ta bouche et en la sienne. Que si nous considerons les paroles de saint Pol, nous apprendrons mesme , 5. que la vocation des pasteurs et magistratz ecclesiastiques doit estre faite visiblement ou perceptiblement, non par maniere d’enthousiasme et motion secrette : car voyla deux exemples qui propose ; d’Aaron, qui fut oint et appelé visiblement (levitique 8, 12 Exode 28, 1), et puys de Nostre Seigneur et Maistre, qui, estant sauverain Pontife et Pasteur de tous les siecles, ne s’est point clarifié soy mesme (Heb 5, 5-6), c’est a dire, ne s’est point attribué l’honneur de sa sainte prestrise, comme avoit dict saint Pol au paravant, mays a esté illustré par Celuy qui luy a dict : Tu es mon Filz, je t’ay engendré au jourdhuy, et, Tu es prestr’eternellement, selon l’ordre de Melchisedech. Je vous prie, pense a ce trait. Jesus Christ est sauverain Pontife selon l’ordre de Melchisedech : s’est il ingéré et poussé de luy mesme a cest honneur ? non, mays y a esté appelé (Heb 5, 10) . Qui l’a appelé ? son Pere eternel (5, 5). Et comment ? immediatement et mediatement tout ensemble : immediatement, en son Baptesme (Mat 3, 17) et en sa Transfiguration (Mat 17, 5) , avec ceste voix : Cestuyci est mon Filz bien aymé auquel j’ay pris mon bon plaisir, escoutes le ; mediatement, par les Prophetes, et sur tout par David es lieux que saint Pol cite a propos des Psalmes : Tu es mon Filz, je l’ay engendré aujourdhuy (Ps 2, 7), Tu es prestr’eternellement, selon l’ordre de Melchisedec (Ps 109, 4).Et par tout la vocation est perceptible : la parole en la nuëe fut ouÿe, et en David ouÿe et leüe ; mais saint Pol, voulant monstrer la vocation de Nostre Seigneur, apporte les passages seulz de david, par lesquelz il dit Nostre Seigneur avoir esté clarifié de son Pere, se contentant ainsy de produyre le tesmoignage perceptible, et faict par l’entremise des Escritures ordinaires et des Prophetes receuz.

Je dis 3., que l’authorité de la mission extraordinaire ne destruict jamais l’ordinaire, et n’est donnee jamais pour la renverser : tesmoins tous les Prophetes, qui jamais ne firent autel contr’autel, jamais ne renverserent la prestrise d’Aaron, jamais n’abolirent les constitutions sinagogiques ; tesmoin Nostre seigneur, qui asseure que tout royaume divisé en soymesme sera desolé, et l’une mayson tombera sur l’autre (Luc 11, 17) ;tesmoin le respect quil portoit a la chaire de Moyse, la doctrine de laquelle il vouloit estre gardëe (Mat 23, 2,3) . Et de vray, si l’extraordinaire devoit abolir l’ordinaire, comment sçaurions nous quand, a qui, et comment, nous nous y devrions ranger ? Non, non, l’ordinaire est immortelle pendant que l’eglise sera ça bas au monde : Les pasteurs et docteurs quil a donnés une fois a l’eglise doivent avoir perpetuelle succession, pour la consummation des Saintz, jusques a ce que nous nous rencontrions tous en l’unité de la foy, et de la connoissance du Filz de Dieu, en homme parfaict, a la mesure de l’aage entiere de Christ ; affin que nous soyons plus enfans, flotans et demenés ça et la a tous vens de doctrin, par la piperie des hommes et par leur rusëe seduction (Ephes 4, 11-14). Voyla le beau discours que faict saint Pol, pour monstrer que si les docteurs et pasteurs ordinaires n’avoient perpetuelle succession, ains fussent sujetz a l’abrogation des extraordinaires, nous n’aurions aussi qu’une foy et discipline desordonnee et entrerompue a tous coupz, nous serions sujetz a estre seduitz par les hommes qui a tous propos se vanteroyent de l’extraordinaire vocation, ains, comme les Gentilz, nous cheminerions en la vanité de nos entendemens, un chacun se faysant accroire de sentir la motion extraordinaire du Saint esprit : dequoy nostre aage fournit tant d’exemples, que c’est une des plus fortes raysons qu’on puisse praesenter en cett’occasion ; car, si l’extraordinaire peut lever l’ordinair’administration, a qui en laisserons nous la charge ? a calvin, ou a Luther ? a Luther, ou a u Pacimontain ? au Pacimontain, ou a Blandrate, ou a Brence ? a Brence, ou a la Reyne d’Angleterre ? car chacun tirera de son costé ceste couverte de la mission extraordinaire. Or la parole de Nostre Seigneur nous oste de toutes ces difficultés, qui a édifié son Eglise sur un si bon fondement, et avec une proportion si bien entendue, que les portes d’enfer ne praevaudront jamais contre elle (Mat 16, 18). Que si jamais elles n’ont praevalu ni praevaudront, la vocation extraordinaire n y est pas necessaire pour l’abolir : car Dieu ne hait rien de ce quil a faict, comment donq il aboliroit l’Eglis’ordinaire pour en faire d’extraordinaires ? veu que c’est luy qui a edifié l’ordinaire sur soymesme, et l’a cimentee de son sang propre.


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ARTICLE IV

Réponse aux arguments des Ministres


Je n’ay encor sceu rencontrer parmy vos maistres que deux objections a ce discours que je viens de faire ; dont l’une est tirëe de l’exemple de nostre seigneur et des Apostres, l’autre, de l’exemple des Prophetes.

Mays, quand a la premiere, dites moy, je vous prie, trouves vous bon qu’on mette en comparaison la vocation de ces nouveuax ministres avec celle de Nostre Seigneur ? Nostre Seigneur avoit il pas esté prophetisé en qualité de Messie ? son tems n’avoit il pas esté déterminé par Daniel (9, 24 et 26) ? a-il faict action qui presque ne soit particulierement cottëe es Livres des Prophetes et figurëe es Patriarches ? Il a faict changement de bien en mieux de la loy Mosaique, mays ce changement la n’avoit il pas esté praedit (Agg 2, 10) ? Il a changé par consequent le sacerdoce Aaronique en celuy de Melchisedech, beaucoup meilleur ; tout cela n’est ce pas selon les tesmoignages anciens (Heb 5, 6) ? Vos ministres n’ont point esté prophetisés en qualité de praedicateurs de la Parole de Dieu, ni le tems de leur venue, ni pas une de leurs actions ; ils ont taict un remuement sur l’Eglise beaucoup plus grand et plus aspre que nostre Seigneur le fit sur la Sinagogue, car ilz ont tout osté sans y remettre que certaines ombres, mays de tesmoignages ilz n’en ont point a cest effect. Au moins ne se devroyent ilz pas exempter de prodyre des miracles sur une telle mutation, quoyque vous tiries praetexte de l’Escriture ; puysque Nostre seigneur ne s’en exempta pas, comme j’ay monstré cy dessus, encores que le changement quil faysoit fut puysé de la plus pure source des Escritures (Luc 1, 70). Mays ou me monstreront ilz que l’Eglise doive jamais plus recevoir un’autre forme, ou semblable reformation, que celle qu’y fit Nostre Seigneur ?

Et quand aux Prophetes, j’envoys abusé plusieurs. 1. On pense que toutes les vocations des Prophetes ayent esté extraordinayres et immediates : chose fause ; car il y avoit des colleges et des congregations de Prophetes reconneuz et advouêes par la Sinagogue, comme on peut recueillir de plusieurs passages de l’Escriture. Il y en avoyt en Ramatha, en Bethel, en Hiericho ou Elisëe habita, en la montagne d’Ephraim, en Samarie ; Elisëe mesme fut oint par Helie ; la vocation de samuel fut recogneûe et advouëe par le grand Prestre, et en Samuel recommença le Seigneur a s’apparoistre en Silo (voir les livres des Rois ), comme dict l’Escriture, qui faict que les Juifz tiennent samuel comme fondateur des congregations prophetiques. 2. On pense que tous ceux qui prophetisoyent exerceassent la charge de la praedication : ce qui n’estoit pas , comm’il appert des sergens de Paul et de Saul mesme(1 Rois 19, 20 et suiv). De façon que la vocation des Prohetes ne sert de rien a celle des haeretiques ou schismatiques, car :

1. Ou ell’estoit ordinaire, comme nous avons monstré cy devant, ou approuvëe du reste de la Sinagogue, comm’il est aysé a voir en ce qu’on les reconnoissoit incontinent, et en faysoit on conte en tous lieux parmi les Juifz, les appelans hommes de Dieu (3 Rois 17, 18) : et a qui regardera de pres l’histoire de cest’ancienne sinagogue, verra que l’office des Prophetes estoit aussy commun entr’eux qu’entre nous des praedicateurs.
2. Jamais on ne monstrera prophete qui voulut renverser la puissance ordinaire, ains l’ont tousjours suyvie, et n’ont rien dict contraire a la doctrine de ceux qui estoyent assis sur la chaire Mosaique et Aaronique ; ains il s’en est trouvé qui estoyent de la race sacerdotale, comme Jeremie, filz d’helcias, et Ezechiel, filz de Buzi ; ilz ont tousjours parlé avec honneur des Pontifes et succession sacerdotale, quoy quilz ayent repris leurs vices. Isaïe, voulant escrire dans un grand livre qui luy fut monstré, prit Urie prestre, quoy qu’a venir, et zacharie prophete a tesmoins, comme s’il prenoyt le tesmoignage de tous les prestres et prophetes ; et Malachie atteste il pas que les levres du prestre gardent la science, et demanderont la loy de sa bouche ; car l’ange du seigneur des armëes ? (Ezech 2, 7) tant s’en faut que jamais ilz ayent retiré les Juifz de la communion de l’ordinaire.
3. Les Prophetes, combien de miracles ont ilz faictz en confirmation de la vocation prophetique ? ce ne seroit jamais faict si j’entrois en ce denombrement. Mays si quelquefois ilz ont faict quelquechose qui eut quelque visage d’extraordinaire pouvoir, incontinent les miracles se sont ensuyvis : tesmoin Elie, qui dressant un autel en Carmel selon l’instinct quil avoit eu du saint Esprit, et sacrifiant, monstrant par miracle quil le faisoit a l’honneur de Dieu et de la religion Juifve (3 Rois 18, 32 et 38).
4. En fin, vos ministres auroyent bonne grace silz vouloient s’usurper le pouvoir de prophetes, eux qui n’en ont jamais eu le don ni la lumiere : ce seroit plustost a nous, qui pourrions produire infinité des propheties des nostres ; comme de saint Gregoire Taumaturge, au rapport de saint Basile, de saint Anthoine, tesmoin Athanase, de l’abbé Jan, tesmoin saint Augustin, saint benoist, saint Bernard, saint françois et mill’autres ; Si donques il est question entre nous de l’authorité prophetique, elle nous demeurera, soit elle ordinaire ou extraordinaire, puysque nous en avons l’effect, non pas a vos ministres qui n’en ont jamais faict un brin de preuve : sinon quilz voulussent appeller propheties de la vision de Zuingle, au livre inscrit, Subsidium de eucharistia, et le livre intitulé, Querela Lutheri, ou la praediction quil fit, l’an 25 de ce siecle, que sil praechoit encor deux ans il ne demeureroit ni pape, ni prestres, ni moynes, ni clochers, ni Messe. Et de vray, il ny a qu’un mal en ceste prophetie, c’est seulement faute de verité ; car il praecha encor pres de vingt deux, et neantmoins encor se trouve il des prestres et des clochers, et en la chaire de saint pierre est assis un Pape legitime.
Vos premiers ministres donques, Messieurs, sont de ces prophetes que Dieu defendooit d’est’ouÿs parler, en Hieremie : ne veuïlles ouyr les paroles des prophetes qui prophetisent et vous deçoivent ; ilz parlent la vision de leur coeur, et non point par la bouche du seigneur. Je n’envoÿoys pas les prophetes et ilz couroyent ; je ne parloys pas a eux et ilz prophetisoyent. J’ay ouÿ ce que les prophetes ont dict, prophetisans en mon nom le mensonge, et disans, j’ay songé, j’ay songé . (hier 22, 16,21 et 25). Vous sembl’il pas que ce soyent luther et AZuingle avec leurs propheties et visions ? ou Carolostade avec sa revelation quil disoit avoir eüe pour sa cene, qui donna occasion a Luther d’escrire son livre, Contra coelestes prophetas ?, C’est bien eux, au moins, qui ont ceste proprieté de n’avoir pas esté envoyés ; c’est eux qui prennent leurs langues, et disent, le Seigneur a dict (31) : car ilz ne sçauroyent jamais monstrer aucune preuve de la charge quilz usurpent, ilz ne sçauroyent produyre aucune legitime vocation, et, donques, comme veulent ilz precher ? On ne peut s’enrooler sans aucun capitayne sans l’aveû du prince, et comment fustes vous si promtz a vous engager sous la charge de ces premiers ministres, sans le congé de vos pasteurs ordinaires, sortir de l’estat auquel vous esties nay et nourry qui est l’Eglise Catholique ? Ilz sont coupables d’avoir faict de leur propr’authorité ceste levëe de bouclier, et vous de les avoir suyvis ; dont vous estes inexcusables. Le bon enfant Samuel, humble, doux et saint, ayant esté apellé par trois fois de Dieu, pensa tousjours que ce fut Heli qui l’eut appellé : 1. par les peuples et magistratz, 2. par nos Evesques, 3. par sa voix extraordinaire. Non, non, qu’ilz... Samuel fut appellé troys fois de Dieu, et selon son humilité il pensoyt que ce fut une vocation d’homme, jusques a tant qu’enseigné par Heli il conneust que c’estoit la vois divine (1 Rois 3, 4-10) . Vos ministres, Messieurs, produysent trois vocations de Dieu : par les magistratz seculiers, par les Evesques, et par la voix extraordinaire ; ilz pensent que ce soyt Dieu qui les aÿe appelé en ces troys façons la. Mays non, ilz reconnoyssent que c’est une vocation de l’homme, et que les oreilles ont corné a leur viel Adam, et s’en remettent a celuy qui, comm’Heli, praeside maintenant a l’Eglise.

Et voyla la premiere rayson qui rend vos ministres et vous aussy, quoy qu’inegalement, inexcusables devant Dieu et les hommes d’avoir laissé l’Eglise.




CHAPITRE II

Erreurs des ministres sur la Nature de l’Eglise

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ARTICLE PREMIER

QUE L’EGLISE CHRETIENNE EST VISIBLE

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Au contraire, Messieurs, l’Eglise, qui contredisoit et s’opposoit a vos premiers ministres, et s’oppose encores a ceux de ce tems, est si bien marquëe de tous costés, que personne, tant aveuglé soit il, ne peut praetendre cause d’ignorance du devoir que tous les bons Chrestiens luy ont, et que ce ne soit la vraÿe, unique, inseparable et tres chere Espouse du Roy celeste ; qui rend vostre separation d’autant plus inexcusable. Car, sortir de l’Eglise, et contredire a ses decretz, c’est tousjours se rendre ethnique et publicain (mat 18, 17), quand ce seroit a la persuasion d’un ange ou seraphim (Gal 1, 8) ; mays, a la persuasion d’hommes pecheurs a la grande forme, comme les autres, personnes particulieres, sans authorité, sans adveu, sans aucune qualité requise a des precheurs ou profetes que la simple connoissance de quelques sciences, rompre tous les liens et la plus religieuse obligation d’obeissance qu’on eust en ce monde, qui est celle qu’on doit a l’Eglise comm’Espouse de Nostre Seigneur, c’est une faute qui ne se peut couvrir que d’une grande repentance et poenitence, a laquelle je vous invite de la part du Dieu vivant.

Les adversaires, voyans bien qu’a ceste touche leur doctrine seroit reconneüe de bas or, ont tasché par tous moyens de nous divertir de ceste preuve invincible que nous prenons es marques de la vraÿe Eglise, et partant ont voulu maintenir que l’Eglise est invisible et imperceptible, et par consequent irremarquable. Je crois que cestecy est l’extrem’absurdité, et qu’au pardela immediatement se loge la frenesie et la rage.

Mays ilz vont par deux chemins a ceste leur opinion de l’invisibilité de l’eglise ; car les uns disent qu’ell’est invisible par ce qu’elle consiste seulement es personnes esleües et praedestinëes, les autres attribuent cest’invisibilité a la rareté et dissipation des croyans et fidelles : dont les premiers tiennent l’Eglis’estre en tous tems invisible, les autres disent que cest’invisibilité a duré environ mill’ans, ou plus ou moins, c’est a dire, des saint Gregoire jusqu’a Luther, quand la papauté estoit paysible parmi le Christianisme ; car ilz disent que durant ce tems la il y avoit plusieurs vrais Chrestiens secretz, qui ne descouvroyent pas leurs intentions, et se contentoyent de servir ainsy Dieu a couvert. Ceste theologie est tant imaginaire et damnatoire, que les autres ont mieux aymé dire que durant ces mill’ans l’Eglise n’estoit ni visible ni invisible, mays du tout abolie et estoufëe par l’impieté et l’idolatrie.

Permettes moy, je vous prie, que je die librement la verité. Tous ces discours ressentent le mal de chaud ; ce sont des songes qu’on faict en veilllant, qui ne valent pas celuy que Nabuchodonosor fit en dormant ; aussy luy sont ilz du tout contraires, si nous croyons a l’interpretation de Daniel (Daniel 2, 34) : car Nabuchodonosor vit une pierre taillëe d’un mont sans oeuvre de mains, qui vint roulant et renversa la grande statue, et s’accreut tellement que devenue montagne elle remplit toute la terre ; et Daniel l’entendit du royaume de Nostre Seigneur qui demeurera aeternellement (vers 44). S’il est comm’une montaigne, et si grande qu’elle remplit la terre, comme sera elle invisible ou secrette ? et s’il dure aeternellement, comm’aura il manqué 1000 ans ? Et c’est bien du royaume de l’Eglise que s’entend ce passage : car 1. celuy de la triomphante remplira le ciel, non la terre seulement, et ne s’eslevera pas au tems des autres royaumes, comme porte l’interpretation de Daniel, mais apres la consommation du siecle ; joint que d’estre taillé de la montaigne sans oeuvre manuelle appartient a lgenration temporelle de Nostre Seigneur, selon laquelle il a esté conceu au ventre de la Vierge, engendré de sa propre substance sans oeuvre humayne, par la seule benediction du Saint Esprit. Ou donques Daniel a mal deviné, ou les adversaires de l’Eglise Catholique, quand ilz disoyent l’Eglis’estre invisible, cachêe et abolie. Ayes patience, au nom de Dieu ; nous irons par ordre et briefvement, monstrant la vanité de ces opinions.

Mays il faut avant tout dire que c’est qu’Eglise. Eglise vient du mot grec qui veut dire, appeler ; Eglise donques signifie un’assemblëe ou compaignie de gens appellés : Sinagogue veut dire un troupeau, a proprement parler. L’assemblëe des juifz s’appellloyt Sinagogue, celle des Chrestiens s’appelle Eglise : par ce que les Juifz estoyent comm’un troupeau de bestail, asemblé et entroupelé par crainte, les Chrestiens sont assemblés par la Parole de Dieu, appellés ensembleen union de charité par la praedication des Apostres et leurs successeurs ; dont saint Augustin a dict : " L’Eglise est nommee de la convocation, la Sinagogue, du troupeau ; par ce qu’estre convoqué appartient plus aux hommes, estr’entroupelé appartient plus au bétail. " or c’est a bonne rayson que l’on a apelé le peuple Chrestien Eglise ou convocation, par ce que le premier benefice que Dieu faict a l’homme pour le mettr’en grace, c’est de l’appeller a l’eglise ; c’est le premier effect de sa praedestination : Ceux quil a praedestinés il les a appellés,disoit saint Pol aux Romains (Rom 8, 30) ; et aux Collossiens : Et la paix de Christ tressaute en vos coeurs, en laquelle vous estes appellés en un cors. Estr’appellés en un cors c’est estr’appellés en l’Eglise ; et en ces similitudes que faict Nostre Seigneur en saint Mathieu (Chap 20, 1 et 16 ; 22, 2 et 14), de la vigne et du banquet avec l’Eglise, les ouvriers de la vigne et les conviés aux noces il les nomme apellés et convoqués : Plusieurs, dict il, sont apellés, mays peu sont esleuz. Les Atheniens appelloyent eglise la convocation des cytoyens, la convocation des estrangers s’apelloyt autrement ????????? ; dont le mot d’Eglise vient proprement aux Chrestiens, qui ne sont plus advenaires et passans, mais concitoyens des Saintz et domestiques de Dieu (Eph 2, 19).

Voyla d’ou est pris le mot d’eglise, et voicy la definition d’icelle. L’Eglise est une sainte (Eph 5, 27) université ou generale compaignie d’hommes, unis (Jean 11, 52 ; Eph 4, 4 ; saint Cyprien : De unitate Ecclesiae) et recueillis en la profession d’une mesme foi Chrestienne, en la participation de mesmes Sacremens et Sacrifice (1 Cor 10, 16-21 ; Heb 7, 21), et en l’obeissance (jean 10, 16 et 21, 17) d’un mesme vicaire et lieutenant general en terre de Nostre seigneur jesuchrist et successeur de saint Pierre, sous la charge des legitimes Evesques (Eph 4, 11-12). J’ay dict avant tout que c’estoit une sainte compaignie ou asemblëe, par ce que la sainteté interieure.

J’entens parler de l’Eglise militante de laquelle l’Escriture nous a laissé tesmoignage, non de celle que proposent les hommes. Or, en toute l’escriture, il ne se trouvera jamais que l’Eglise soit prise pour un’assemblee invisible. Voicy nos raysons, simplement estalëes :



1. Nostre Seigneur et Maistre nous renvoye a l’Eglise en nos difficultés et dissensions (Mat 18, 16-17) ; saint Pol enseigne son Timothee comm’il faut converser en icelle (1 Tim 3, 15) ; il fit apeller les Anciens de l’eglise Myletayne (Act 20, 17), illeur remonstre quilz sont constitués du Saint esprit pour regir l’Eglise (vers 28), il est envoÿé par l’Eglise avec saint Barnabas, il fut receu par l’Eglise (Act 15, 3-4 et 22), il confirmoit les Eglises (vers 41), il constitue des prestres par les eglises, il assemble l’Eglise (Act 14, 22 et 26), il salue l’Eglise en Caesaree (Act 18, 22), il a persecuté l’Eglise (Gal 1, 13). Comme se peut entendre tout cecy d’une Eglise invisible ? ou la chercheroit on pour luy faire les plaintes, pour converser en icelle, pour la regir ? Quand ell’envoyoit saint Pol, elle le recevoit, quand il la confirmoit, il y constituoit des prestres, il l’assembloit, il la saluoit, il la persecutoit, estoit par figure ou par foy seulement et par esprit ? Je ne crois pas que chacun ne voÿe clerement que c’estoit effectz visibles et perceptibles de part et d’autre. Et quand il luy escrivoit (gal 1, 2 et 2 Cor 1, 2), s’adressoyt il a quelque chimere invisible ?
2. Que dira l’on aux propheties, qui nous repraesentent l’Eglise non seulement visible mays toute claire, illustre, manifeste, magnifique ? Ilz la depeignent comm’une reyne parêe de drap d’or recamé, avec une belle varieté d’enrichissemens (Ps 54, 10 et 14),comm’une montaigne, comm’un soleil, comm’une pleyne lune, comme l’arc en ciel, tesmoin fidele (Is 2, 2 et Mich 4, 1-2) et certain de la faveur de Dieu vers les hommes qui sont tous la posterité de Noë, qui est ce que le Psalme porte en nostre version : Et thronus ejus sicut in sol in conspectu meo, et sicut luna perfecta in aeternum, et testis in caelo fidelis (Ps 88, 37 ; Cant 6, 9 ; Gen 9, 13).
3. L’Escriture atteste par tout qu’elle se peut voir et connoistre, ains qu’ell’est conneue. Salomon, es Cantiques, parlant de l’Eglise, ne dict il pas : Les filles l’ont veüe et l’ont praechëe pour tresheureuse ? Et puys, introduysant ses filles pleynes d’admiration, il leur faict dire : Qui est cellecy qui comparoist et se produit comm’une aurore en son lever, belle comme la lune, esleûe comme le soleil, terrible comm’un esquadron de gendarmerie bien ordonné ? (Cant 8 et 9) N’est ce pas la declarer visible ? Et quand il faict qu’on l’apelle ainsy : Reviens, reviens Sullamienne, reviens, reviens, affin qu’on te voÿe, (Cant 7, 12) et qu’elle responde : Qu’est ce que vous verres en ceste Sullamitesse sinon les troupes des armees ?(7, 1) n’est ce pas encores la declairer visible ? Qu’on regarde ces admirables cantiques repraesentationspastorales des amours du celest’Espoux avec l’Eglise, on verra que par tout ell’est tres visible et remarquable. Esaïe parl’ainsy d’elle : Ce vous sera une voÿe droite, si que les folz ne s’egareront point par icelle ; (Is 35, 8) faut il pas bien qu’elle soit descouverte et aysee a remarquer, puysque les plus grossiers mesmes s’y sçauront conduyre sans se faillir ?
4. Les pasteurs et docteurs de l’Eglise sont visibles, donques l’Eglise est visible : car, je vous prie, les pasteurs de l’Eglise sont ilz pas une partie de l’Eglise, et faut il pas que les pasteurs et les brebis s’entrereconnoissent les uns et les autres ? faut il pas que les brebis entendent la voix du pasteur et le suyvent (Jean 10, 4) ? faut il pas que le bon pasteur aille rechercher la brebis esgarëe, quil reconnoisse son parc et son bercail ? Ce seroit de vray une belle sorte de pasteurs qui ne sceut connoitre son troupeau ni le voir. Je ne sçay s’il me faudra prouver que les pasteurs de l’Eglise soyent visibles : on nie bien des choses aussy claires. Saint Pierre estoit pasteur, ce crois je, puysque Nostre Seigneur luy disoit : Repais mes brebis (Jean 10, 17) ; aussy estoyent les Apostres, et neanmoins on les a veu (Marc 1, 16). Je crois que ceux ausquelz saint Pol disoit : Prenes grad’a vous et a tout le troupeau, auquel le Saint Esprit vous a constitués pour regir l’Eglise de Dieu (Act 20, 28), je crois , dis je , quil les voyoit ; et quand ilz se jettoyent comme bons enfans au col de ce bon pere, le baysans et baignans sa face de leurs larmes (vers 37), je crois quil les touchoit, sentoyt et voÿoit : et ce qui me le faict plus croire, c’est quilz regrettoyent principalement son départ par ce quil avoit dict quilz ne verroyent plus sa face (vers 38) ; ils voyoyent donques saint Pol, et saint Pol les voyoit. En fin, Zuingle, OEcolampade, Luther, Calvin, Beze, Muscule, sont visibles, et quand aux derniers il y en a plusieurs qui les ont veu, et neantmoins ilz sont appellés pasteurs par leurs sectateurs. On voyt donq les pasteurs, et par consequent les brebis.
5. C’est le propre de l’Eglise de faire la vraÿe praedication de la Parole de Dieu, la vraÿe administration des Sacremens ; et tout cela est il pas visible ? comme donques veut on que le sujet soit invisible ?
6. Ne sçait on pas que les douze Patriarches, enfans du bon Jacob , furent la source vive de l’Eglise d’Israel ; et quand leur pere les eut assemblé devant soy pour les benir (Gen 40, 1 et 2), on les voyoit, on s’entrevoyoit entr’eux. Que m’amuse je faire en cela ? toute l’histoire sacrëe faict foy que l’ancienne Sinagogue estoit visible, et pourquoy non l’Eglise Catholique ?
7. Comme les patriarches, peres de la Sinagogue Israelitique, et desquelz Nostre Seigneur est né selon la chair (Rom 9, 5), faysoyent l’Eglise (Judaïque) visible, ainsy les Apostres avec leurs disciples, enfans de la Sinagogue selon la chair, et, selon l’esprit, de Nostre Seigneur, donnerent le commencement a l’Eglise Catholique visiblement selon le Psalmiste : pour tes peres te sont nais des enfans, tu les constitueras princes sur toute la terre (Ps 44, 17) : pour douze Patriarches te sont nais douze Apostres, dit Arnobe. Ces Apostres assemblés en Hierusalem, avec la petite troupe des disciples et la tresglorieuse mere du Sauveur, faysoyent la vraÿe Eglise ; et comment ? visible, sans doute, ains tellement visible que le Sainct Esprit vint arrouser visiblement ces saintes plantes et pepinieres du Christianisme (Act 2, 3).
8. les anciens Juifz comm’estroyent ilz sur le roole du peuple de Dieu ? par la circoncision, signe visible ; nous autres, par le Baptesme, signe visible. Les anciens par qui gouvernés ? par les prestres Aaroniques, gens visibles ; nous autres, par les Evesques, personnes visibles. Les anciens par qui prechés ? par les Prophetes et docteurs, visiblement ; nous autres, par nos pasteurs et praedicateurs, visiblement encores. Les anciens quelle manducation religieuse et sacrêe avoyent ilz ? de l’aigneau Paschal, de la manne, tout est visible ; nous autres, du tressaint Sacrement de l’Eucharistie, signe visible quoy que de chose invisible. La Sinagogue par qui persecutëe ? par les Egiptiens, babiloniens, Madianites, Philistins, tous peuples visibles ; l’Eglise, par les payens, Turcs, Mores, Sarrasins, haeretiques, tout est visible. Bonté de Dieu, et nous demanderons encores si l’Eglise est visible ? mays qu’est ce que l’Eglise ? une assemblëe d’hommes qui ont la chair et les os ; et nous dirons encores que ce n’est qu’un esprit ou fantosme, qui sembl’estre visible et ne l’est que par illusion ? Non, non, qu’est ce qui vous troubl’en cecy, et d’ou vous peuvent venir ces pensers ? Voyes ses mains, regardes ses ministres, officiers et gouverneurs ; voyes ses pieds, regarde ses praedicateurs comm’ilz la portent en levant, couchant, midy et septentrion : tous sont de chair et d’os. Touches la, venes comm’humbles enfans vous jetter au giron de ceste douce mere ; voyes la, consideres la bien tout’en son cors comm’elle est toute belle, et vous verres qu’ell’est visible, car une chose spirituelle et invisible n’a ni chair ni os comme voyes qu’elle a (Luc )
Voyla nos raysons, qui sont bonnes a tout’espreuve ; mays ilz ont quelques contreraysons, quilz tirent ce leur semble de l’Escriture, bien aysëes a rabbatre a qui considerera ce qui s’ensuit :

Premierement, Nostre Seigneur avoit en son humanité deux parties, le cors et l’ame : ainsy l’Eglise son Espouse a deux parties ; l’une interieure, invisible, qui est comme son ame, la foy, l’esperance, la charité, la grace ; l’autre exterieure et visible comme le cors, la confession de foy, les louanges et cantiques, la praedication, les Sacremens, le Sacrifice : ains tout ce qui se faict en l’Eglise a son interieur et son exterieur ; la priere interieure et exterieure (1Cor 14, 15), la foy remplit le coeur d’asseurance et la bouche de confession (Rom 10, 9), la praedication se faict exterieurement par les hommes, mays la secrette lumiere du Pere caeleste y est requise, car il faut tousjours l’ouyr et apprendre de luy avant que de venir au Fils (Jean 6, 44-45) ; et quand aux Sacremens, le signe y est exterieur mays la grace est interieure, et qui ne le sçait ? Voyla donq l’interieur de l’Eglise et l’exterieur . Son plus beau est dedans, le dehors n’est pas si excellent : comme disoit l’Espoux es Cantiques : Tes yeux sont des yeux de colombe, sans ce qui est caché au dedans (Cant 4, 11); le miel et le laict sont sous ta langue, c’est a dire en ton coeur, voyla le dedans, et l’odeur de tes vestemens comme l’odeur de l’encens, voyla le service exterieur ; et le Psalmiste : Toute la gloire de ceste fille royale est au par dedans, c’est l’interieur, Revestue de belles varietés en franges d’or, voyla l’exterieur. (Ps 44, 14-15)

Deuxiemement, il faut considerer que tant l’interieur que l’exterieur de l’Eglise peut estre dict spirituel, mays diversement ; car l’interieur est spirituel purement et de sa propre nature, l’exterieur de sa propre nature est corporel, mays par ce quil tend et vise a l’interieur spirituel on l’apelle spirituel, comme faict saint Pol les hommes qui rendoyent le cors sujet a l’esprit, quoy quilz fussent corporelz ; et quoy qu’une personne soit particuliere de sa nature, si est ce que servant au public , comme les juges, on l’apelle publique.

Maintenat, si on dict que la loy Evangelique a esté donnée dans les coeurs interieurement, non sur les tables de pierre exterieurement, comme dict Hieremie (Chap 31, 33), on doit respondre, qu’en l’interieur de l’Eglise et dans son coeur est tout le principal de sa gloire, qui ne laysse pas de rayonner jusques a l’exterieur qui la faict voir et reconnoistre ; ainsy quand il est dict en l’Evangile, que l’heure est venüe quand les vrays adorateurs adoreront le Pere en esprit et verité (jean 4, 23), nous sommes enseignés que l’interieur est le principal, et que l’exterieur est vain s’il ne tend et ne se va rendre dans l’interieur pour s’y spiritualizer.

De mesme, quand saint Pierre appelle l’Eglise mayson spirituelle (1 pierre 2, 5), c’est par ce que tout ce qui part de l’Eglise tend a la vie spirituelle, et que sa plus grande gloire est interieure, ou bien par ce que ce n’est pas une mayson faitte de chaux et de sable, mays une mayson mistique de pierres vivantes, ou la charité sert de ciment.

La sainte Parole porte que le royaume de Dieu ne vient pas avec observation (Luc 17, 30) : le royaume de Dieu c’est l’Eglise ; donq l’Eglise n’est pas visible. Responce : Le royaume de Dieu, en ce lieu la, c’est Nostre Seigneur avec sa grace, ou si vous voules, la compaignie de nostre seigneur pendant quil fut au monde, dont il s’ensuit : Car voicy le royaume de Dieu est parmi vous (vers 21) ; et ce royaume icy ne comparut pas avec l’apparat et le fast d’une magnificence mondayne, comme les Juifz croyoyeny ; et puys, comm’on a dict, le plus beau joyau de ceste fille royale est caché au dedans, et ne peut se voir .

Quand a ce que saint Pol a dict aux Hebrieux (chap 12, 18-22), que nous ne sommes pas venus vers une montaigne maniable, comme celle de Sina, mays vers une Hierusalem caeleste, il ne faict pas apropos pour faire invisible l’Eglise ; car saint Pol monstre en cet endroit que l’Eglise est plus magnifique et enrichie que la Sinagogue, et qu’elle n’est pas une montaigne naturelle comme celle de Sina, mays mystique, dont il ne s’ensuit aucune invisibilité : outre ce qu’on peut dire avec rayson quil parle vrayement de la hierusalem caeleste, c’est a dire de l’Eglise triomphante, dont il y adjouste, la frequence des Anges, comme sil vouloit dire qu’en la vieille loy Dieu fut veu en la montaigne en une façon espouvantable, et que la nouvelle nous conduit a le voir en sa gloire la haut en Paradis.

En fin, voyci l’argument que chacun crie estre le plus fort : je crois la sainte Eglise Catholique ; si je la crois ne la vois pas ; donques ell’est invisible. I a il rien de plus foible au monde que ce fantosme de rayson ? Les Apostres n’ont ilz pas creu Nostre Seigneur estre ressuscité, et l’ont ilz pas veu ? Par ce que tu m’as veu, dict il luymesme a saint Thomas, tu as creu (jean 20, 29) ; et pour le rendre croyant il luy dict : Voys mes mains, et apporte ta main et la metz dans mon costé, et ne soys plus incrédule mays fidele (vers 47) : voyes comme la veüe n’empesche pas la foy, mays la produict. Or, autre chose vit saint thomas et autre chose il creut ; il vit le cors, il creut l’esprit et la divinité, car sa veüe ne luy avoit pas appris de dire, Mon Seigneur et mon Dieu (vers 28), mays la foy . Ainsy croit on un baptesme pour la remission des pechés ; on voit le baptesme, mais non la remission des pechés. Aussy voit on l’Eglise, mays non sa sainteté interieure, on voit ses yeux de colombe, mays on croit ce qui est caché au dedans, on voit sa robbe richement recamëe en belle diversité avec ses houppes d’or, mays la plus claire splendeur de sa gloire est au dedans, que nous croyons ; il y a en ceste royale Espouse de quoy repaistre l’oeil interieur et exterieur, la foy et le sens, et c’est tout pour la plus grande gloire de son Espoux.


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