Sales, Controverses 121


ARTICLE II

QU’EN L’EGLISE IL Y A DES BONS ET DES MAUVAIS

DES PRAEDESTINES ET DES REPROUVES

122 Pour rendre l’invisibilité de l’Eglise probable chacun produyt sa rayson, mays la plus triviale que je voÿe c’est de s’en rapporter a l’eternelle praedestination. De vray, ceste ruse n’est pas petite, de destourner les yeux spirituelz des gens de l’Eglise militante a la praedestination eternelle, affin qu’esblouÿs a l’esclair de ce mistere inscrutable nous ne voyons pas ce qui est devant nous. Ilz disent donques quil y a deux eglises, une visible et imparfaite, l’autr’invisible et parfaitte, et que la visible peut errer et s’esvanouir au vent des erreurs et idolatries, l’invisible, non. Que si on demande quell’est l’eglise visible, ilz respondent, que c’est l’assemblëe des personnes qui font profession de mesme foy et Sacremens, qui contient les bons et les mauvais, et n’est eglise que de nom ; et l’eglise invisible est celle qui contient les esleuz seulement, qui, n’estans en la connoissance des hommes, sont seulement reconneuz et veuz de Dieu.


Mays nous monstrerons clairement que la vraÿe Eglise contient les bons et les mauvais, les reprouvés et les esleuz, et voicy dequoy :

1. N’estoit ce pas la vraÿe Eglise celle que saint Pol apelloit, Colomne et fermeté de la verité, et mayson du Dieu vivant (1 Tim 3, 15) ? sans doute, car estre colomne de verité ne peut appartenir a une eglise errante et vagabonde. Or l’Apostre atteste de ceste vraÿe Eglise, mayson de Dieu, quil y a en icelle des vaisseaux d’honneur, et de contumelie (2 Tim 2, 20), c’est a dire des bons et des mauvais.
2. N’est ce pas la vraÿe Eglise contre laquelle les portes d’enfer ne praevaudront point ? et neantmoins en icelle il y a des hommes qui ont besoin qu’on deslie leurs pechés, et d’autres ausquelz il les faut retenir, comme Nostre Seigneur faict voir en la promesse et puyssance qu’il en donne a saint Pierre (Mat 16, 18-19). Ceux ausquelz on les retient ne sont ilz pas mauvais et repruvés ? ains cela est propre aux reprouvés que leurs pechés soyent retenus, et l’ordinaire des esleuz quilz leur soyent pardonnés : or, ceux, ausquelz saint Pierre avoit pouvoir de les retenir ou pardonner fussent en l’Eglise, il appert ; car de ceux qui ne sont en l’Eglise il n’appartient qu’a Dieu seul d’en juger (1 Cor 5, 13) ; ceux, donques, desquelz saint Pierre devoit juger n’estoyent pas hors de l’Eglise mays dedans, quoy quil en deut avoir de reprouvés.
3. Et Nostre Seigneur nous enseigne il pas, qu’estans offensés par quelqu’un de nos freres, apres l’avoir repris et corrigé par deux fois en diverses façons, nous le deferions a l’Eglise ? Dis le a l’Eglise ; que s’il n’entend l’Eglise, quil te soit comme ethnique et publicain (Mat 18, 17). On ne peut icy s’eschapper, l’argument est inevitable ; il s’agit d’un nostre frere qui ne soit ni payen ni publicain, mais sous la discipline et correction de l’Eglise, et par consequent membre de l’Eglise, et neantmoins n’est pas inconveniens quil soit reprouvé, acariastre et obstiné. Les bons, donques, ne sont pas seulement de la vraÿe Eglise, mays les mauvais encores jusques a tant quilz en soyent chassés : sinon qu’on veuille dire que l’Eglise a laquelle Nostre Seigneur nous renvoÿe soit l’eglise errante, peccante et antichrestienne ; ce seroit trop blasphemer a la descouverte.
4. Quand Nostre Seigneur dict : Le serviteur ne demeure pas en la mayson a jamais, le fils u demeure tousjours (jean 8, 35), n’est ce pas autant que s’il disoit qu’en la mayson de l’Eglise y est l’esleu et le reprouvé pour un tems ? car, qui peut estre ce serviteur qui ne demeure pas tousjours en la mayson, que celuy la qui sera jetté une fois es tenebres exterieures ? et de faict, il montre bien que c’est aussy ce quil entend, quand il dict immediatement devant : Qui faict peché est serviteur de peché (34). Or cestuyci, encor quil ni demeure pas a jamais, il y demeure neantmoins pour un tems, pendant quil y est retenu pour quelque service.
5. Saint Pol escrit a l’Eglise de Dieu qui estoit a Corinthe, 1Cor 1, 2, et neantmoins il veut qu’on en chasse un certain incestueux, 5, 2 : si on l’en chasse il y estoit, et sil y estoit, et que l’Eglise fut la compaignie des esleuz, comme l’en eut on peu lever ? les esleuz ne peuvent estre reprouvés.
6. mays pourquoy me niera-on que les reprouvés et mauvais soyent de la vraÿe Eglise, puysque mesmes ilz y peuvent estre pasteurs et evesques ? la chose est certayne. Judas est il pas reprouvé ? et toutefois il fut Apostre et Evesque, selon le Psalmiste (Ps 108, 8), et saint Pierre, qui dict qu’il eut part au ministere de l’apostolat (Act 1, 17), et tout l’Evangile, qui le met tousjours en conte au college des Apostres. Nicolas Antiochien fut il pas diacre comme saint Estienne (Act 6, 5) ? et neantmoins plusieurs anciens Peres ne font point de difficulté pour tout cela de le tenir pour haeresiarque, comm’entr’autres Epiphane, Philastre, Hierosme ; et de faict, les Nicolaites prirent occasion de luy de mettr’en avant leurs abominations, desquelz saint Jan en l’Apocalypse (2, 6) faict mention comme de vrais haeretiques. Saint Pol atteste aux prestres Ephesiens (Act 20, 28) que le Saint Esprit les avoit faictz evesques pour regir l’Eglise de Dieu, mays il asseur’aussy que quelques uns d’entr’eux s’esleveroyent disans des mechancetés, pour desbaucher et s’attirer des disciples (vers 30) : il parle a tous quand il dict que le Saint esprit les a faict Evesques, et parle de ceux la mesme quand il dict que d’entr’eux s’esleveroyent des schismatiques.
Mays quand auroys je faict, si je voulois entasser icy les noms de tant d’Evesques et praelatz lesquelz, apres avoir estés légitimement collqués en cest office et dignité, sont decheuz de leur premiere grace, et sont mortz haeretiques ? Qui vit jamays rien de si saint pour un simple prestre qu’Origene, de si docte, si chaste, si charitable ? Il ni a celuy qui puysse lire ce qu’en escrit Vincent le Lyrinois, l’un des plus polys et doctes escrivains ecclesiastiques, et fayre consideration de sa damnable viellesse apres une si admirable et sainte vie, qui ne soit tout esmeu de compassion, de voir ce grand et valoureux nocher, apres tant de tempestes passëes, apres tant de si riches traffiques quil avoit faict avec les hebreux, Arabes, Chaldeens, Greczs et Latins, revenat plein d’honneur et de richesses spirituelles, fayre naufrage et se perdre au port de sa propre sepulture. Qui oseroit dire qu’il n’eust esté de la vraÿe Eglise, luy qui avoit tousjours combattu pour l’Eglise, et que toute l’Eglise honnoroit et tenoit pour l’un de ses plus grans docteurs ? et quoy ? le voyla ne fin haeretique, excommunié, hors de l’Arche, perir au deluge de sa propr’opinion. Et tout cecy est semblable a la sainte parole de Nostre Seigneur (Mat 23, 2-3), qui tient les scribes et pharisiens estre vrais pasteurs de la vraÿe Eglise de ce tems la, puys quil commande qu’on leur obeisse, et neantmoins ne les tient pas pour esleuz ains plustost pour reprouvés (vers 12-13). Or quell’absurdité seroit ce, je vous prie, si les esleuz estoyent de l’Eglise ? il s’ensuyvroit ce qu’on dict les Donatistes, que nous ne pourrions pas connoistre nos praelatz, et par consequent ne leur pourrions rendre l’obeissance : car, comme connoistrions nous si ceux qui se diroyent praelatz et pasteurs seroyent de l’Eglise ? puysque nous ne pouvons pas connoistre qui est praedestiné et qui non d’entre les vivans, comm’il se dira ailleurs ; et s’ilz ne sont de l’Eglise, comme y peuvent ilz tenir le lieu de chefz ? ce seroit bien un monstre des plus estranges qui se peut voir que le chef de l’Eglise, comme y peuvent ilz tenir le lieu de chefz ? ce seroit bien un monstre des plus estranges qui se peut voir que le chef de l’Eglise ne fut de l’Eglise. Non seulement, donques, un reprouvé peut estre de l’Eglise, mais encores pasteur en l’Eglise ; l’Eglise donques ne peut estr’appellëe invisible pour estre composëe de seulz praedestinés.

Je conclus tout ce discours par les comparaisons Evangeliques qui monstrent clairement toute ceste verité. Saint jan faict semblable l’Eglise a l’aire d’une grange, en laquelle est non seulement le grain pour le grenier, mays encores la paille pour restre bruslëe au feu eternel (Mat 3, 12) ; ne sont ce pas le esleuz et les reprouvés ? Nostre Seigneur l’apparie au filet jetté dans la mer, dans lequel on tire et les bons et les mauvais poissons (Mat 13, 47) ; a la compaignie de dix vierges dont il y en a cinq folles et cinq sages (Mat 25, 1-2) ; a trois valetz dont l’un est faineant et partant jetté es tenebres exterieures (26-30) ; et en fin a un festin de noces (mat 22, 2) dans lequel sont entrés et bons et mauvais, et les mauvais n’ayans la robbe convenante sont jettés es tenebres exterieures. Ne sont ce pas tout autant de suffisantes preuves que non seulement les esleuz mais encores les reprouvés sont en l’Eglise ? Il faut donq fermer la porte de nostre propre jugement a toutes sortes d’opinions, et a ce propos encores, avec ceste non jamais asses considerëe proposition : Il y en a beaucoup d’apellés, mais peu de choisis (vers 14). Tous ceux qui sont en l’Eglise sont apellés, mays tous ceux qui y sont ne sont pas esleuz ; aussy Eglise ne veut pas dire election mais convocation.

Mays ou trouveront ilz en l’escriture aucun lieu qui leur puysse servir de quelqu’excuse en tant d’absurdités, et contre des preuves si claires que celles que nous avons faict ? il ne manque pas de contreraysons en ce point, jamays l’opiniastreté n’en laisse avoir faute a ses serviteurs.

Apporteront ilz donques ce qui est escrit aux Cantiques (4, 7, 12 et 15), de l’Espouse, que c’est un jardin fermé, une fontayne ou source cachetëe, un puys d’eau vivante, qu’elle est toute belle et sans aucune tache, ou, comme dict l’Apostre, glorieuse, sans ride, sainte, immaculëe (Ephes 5, 27) ? Je les prie de bon coeur quilz regardent ce quilz veulent conclure de cecy, car silz veulent conclure quil ni doive point avoir en l’Eglise que de saints immaculés, sans ride, glorieux, je leur feray voir avec ces mesmes passages quil ny a en l’Eglise ni esleu ni reprouvé : car, n’est ce pas " la voix humble mais veritable ", comme dit le grand concile de Trente, " de tous les justes " et esleuz, " remettes nous nos debtes comme nous les remettons a nos debiteurs " ? Je tiens saint Jacques pour esleu, et neantmoins il confesse : Nous offençons tous en plusieurs choses (Jac 3, 2) ; saint Jan nous ferme la bouche et a tous les esleuz, affin que personne ne se vante d’estre sans peché, ains au contraire veut que chacun sache et confesse quil peche (1 Ep Jean 1, 8) ; je crois que David en son ravissement et extase sçavoit que c’estoit des esleuz, et neantmoins il tenoit tout homme pour mensonger (Ps 115, 2).Si, donques, ces saintes qualités donnëes a l’espouse Eglise se doivent prendre risq a risq, quil ni ayt aucune tache ni ride, il faudra sortir hors de ce monde pour trouver la verification de ses beaux tiltres, les esleuz de ce monde n’en seont pas capables. Mettons donques la verité au net.

1. L’Eglise en cors est toute belle, sainte, glorieuse, et quand aux meurs et quand a la doctrine. Les meurs dependent de la volonté, la doctrine, de l’entendement : en l’entendement de l’Eglise jamais ny entra fauseté, ni en la volonté aucune meschanceté : elle peut par la grace de son Espoux dire comme luy : Qui d’entre vous, o conjurés ennemys, me reprendra de peché (jean 8, 46) ? Et ne s’ensuit pour tant pas qu’en l’Eglise il ny ait des meschans ; resouvenes vous de ce que j’ay dict ailleurs(cf art 1). L’Espouse a des cheveux et des ongles qui ne sont pas vivantes, quoy qu’elle soit vivante ; le senat est sauverain, mais on pas chasque senateur ; l’armëe est victorieuse, mays nompas chasque soldat ; ell’emporte la bataglie, mays plusieurs soldatz y demeurent mors. Ainsy l’Eglise militante est tousjours glorieuse et victorieuse sur les portes et puyssances infernales, quoy que plusieurs des siens, ou s’esgarant et mettant en desordre, comme vous aves faict, dmeurent en pieces et perdus, ou par des autres accidens y sont blessés et meurent. Prenes donques l’un’apres l’autre les belles louanges qui sont semëes es Escritures, et luy en faites une couronne, car elles luy sont bien deües, comme plusieurs maledictions a ceux qui estans en un si beau chemin s’y perdent ; c’est un’armëe bien ordonnëe (Cant 6, 9), quoy que plusieurs s’y disbendent.
2. Mays qui ne sçait combien de fois on attribue a tout un cors ce qui n’appartient qu’a l’une des parties ? L’Espouse apelle son Espoux blanc et vermeil, mays incontinent elle dict quil a les cheveux noirs (Cant 5, 10-11) ; saint Mathieu dict que les larrons qui estoyent crucifiés avec Nostre Seigneur blasphemerent (Mat 27, 44), et ce ne fut que l’un d’eux au rapport de saint Luc (Luc 23, 39) ; on dict que le lis est blanc, mais il y a du jaune et du verd. Or, a qui parle en terme d’amour use volontier de ceste façon de langage, et les Cantiques sont des repraesentations chastes et amoureuses. Toutes ces qualités donques sont justement attribuees a l’Eglise, a cause de tant de saintes ames qui y sont qui observent tres etroittement les saintz commandemens de Dieu, et sont parfaictes de la perfection qu’on peut avoir en ce pelerinage, non de cellle que nous esperons en la bienheureuse Patrie.
3. Et quand au surplus, quoy quil ni eust point d’autre rayson d’ainsy qualifier l’Eglise que pour l’esperance qu’ell’a de monter la haut toute pure, toute belle , en contemplation du seul port auquel ell’aspire et va aucourant, cela suffiroit pour la faire apeller glorieuse et parfaitte, principalement ayant tant de belles arres de ceste saint’esperance.
Il ne seroit jamais faict qui voudroit s’amuser sur tous les pieds de mouches qu’on va considerant icy, et pour lesquelz on baille mille fauses alarmes au pauvre peuple. On produict le passage de saint Jan : je connois mes brebis, et personne ne me les levera de mes mains (jean 10, 28) ; et que ces brebis la sont les praedestinés qui sont seulz du bercail du Seigneur, on produit ce que saint Pol dict a Timothee : Le Seigneur connoit ceux qui sont a luy (2 Tim 2, 19), et ce que saint Jan a dict des apostatz : Ilz sont sortis d’entre nous, mais ilz n’estoyent pas d’entre nous (1 jean 2, 19.

Mays quelle difficulté trouve l’on en tout cela ? nous confessons que les brebis praedestinëes entendent la voix de leur pasteur, et ont otues les proprietés qui sont descrittes en saint Jan (ch 10), ou tost ou tard, mays nous confessons aussy qu’en l’Eglise, qui est la bergerie de Nostre Seigneur, il ni a pas seulement des brebis ains encores des boucz ; autrement, pourqouoy seroit il dict qu’a la fin du monde, au jugement, les brebis seront separëes, sinon par ce que jusques au jugement, pendant que l’Eglise est en ce monde, ell’a en soy des boucz avec les brebis ? certes, si jamais ilz n’avoyent estés ensemble, jamais on ne les separeroit : et puys en fin de conte, si les praedestinés sont apellés brebis aussy le sont bien les reprouvés, tesmoin David : Vostre fureur est courroucëe sur les brebis de vostre parc (Ps 73, 1) ; J’ay erré comme la brebis qui est perdüe (Ps 118) ; et ailleurs quand il dict : O vous qui regentes sur Israel, escoutes, vous qui conduyses Joseph comm’une oüaille (Ps 90, 1) : quand il dict Joseph, il entend les Josephois et le peuple israelitique, parce qu’a Joseph fut donné la primogeniture (1 Par 5, 1), et l’aisné baille nom a la race. Isaie , 53, 6, acompare tous les hommes, tant reprouvés que esleuz a des brebis : Omnes nos quasi oves erravimus, et vers 7 il accompare Nostre Seigneur : Quasi ovis ad occisionem ductus est ; et tout au long du chap 34 d’Ezechiel, ou sans doute tout le peuple d’Israel est apellé brebis, sur lequel David devoit regner. Mays qui ne sçait qu’au peuple d’Israel tout n’estoit pas praedestiné ou esleü ? et neantmoins ilz sont apellés brebis, et sont tous ensemble sous un mesme pasteur. Nous confessons, donques, quil y a des brebis sauvëes et praedestinëes, desquelles il est parlé en saint Jan, il y en a d’autres damnëes, desquelles il est parlé ailleurs, et toutes sont dans un mesme parc.

Semblablement, qui nie que Nostre Seigneur connoisse ceux qui sont a luy ? Il sçeut sans doute ce que Judas ne layssa pas d’estre de ses Apostres ; il sceut ce que devoient devenir les disciples qui s’en retournerent en arriere (Jean 6, 67) pour la doctrine de la realité de manducation de sa chair, et neantmoins il les receut pour ses disciples ; C’est bien autre chose estre a dieu selon l’eternelle praescience, pour l’Eglise triomphante, et d’estre a Dieu selon la praesente Communion des saintz, pour l’Eglise militante. Les premiers sont seulement conneuz a Dieu et aux hommes. " Selon l’eternelle praescience ", dit saint Augustin, " o combien de loupz sont dedans, combien de brebis dehors. " Nostre Seigneur donques connoist ceux qui sont a luy pour l’Eglise triomphante, mays outre ceux la il y en a plusieurs autres en l’Eglise militante desquelz la fin sera en perdition, comme le mesme Apostre montre quand il dict, qu’en une grande mayson (2 Tim 2, 20) il y a toutes sortes de vases, et mesme quelques uns pour l’honneur, autres pour l’ignominie.

De mesme ce que saint Jan dict, Ilz sont sortis d’entre nous, mays ilz n’estoyent pas d’entre nous, ne faict rien a propos, car je diray, comme dict sainct Augustin : ilz estoyent des nostres ou d’entre nous numero, et ne l’estoyent pas merito, c’est a dire, comme le mesme Docteur : " Ilz estoyent entre nous et des nostres par la communion des Sacremens, mays selon la particuliere proprieté de leurs vices ilz ne l’estoyent pas " ; ile estoyent ja heretiques en leur ame et de volonté, quoy que selon l’apparence exterieure ilz ne le fussent pas. Et n’est pas a dire que les bons ne soyent pas avec les mauvais en l’Eglise, ains, au contraire, comme pouvoient ilz sortir de la compaignie de l’Eglise silz ny estoient ? ilz estoyent sans doute de faict, mais de volonté ilz estoyent deja dehors.

En fin, voicy un argument qui sembl’estre assort de forme et de figure : " Celuy n’a Dieu pour pere qui n’a l’Eglise pour mere " (St Cyprien, De Unit Eccl), chose certayne ; de mesme, qui n’a Dieu pour pere n’aura point l’Eglise pour mere, tres certain : or est il que les reprouvés n’ont point Dieu pour pere ; donques ilz n’ont point l’Eglise pour mere, et par consequent les reprouvés ne sont en l’Eglise. Mays la response est belle. On reçoit le premier fondement de ceste rayson, mays le second, que les reprouvés ne soyent enfans de Dieu, a besoin d’estre espluché. Tous les fideles baptizés peuvent estre apellés filz de Dieu pendant quilz sont fideles, sinon qu’on voulut oster au Baptesme le nom de regeneration ou nativité spirituelle que Nostre Seigneur lui a baillé (jean 3, 5) ; que si on l’entend ainsy, il y a plusieurs reprouvés enfans de Dieu, car combien y a il de gens fideles et baptizés qui seront damnés, lesquelz, comme dict la Verité (Luc 8, 13), croyent pour un tems, et au tems de la tentation se retirent en arriere : de façon qu’on niera tout court ceste seconde proposition, que les reprouvés ne soyent enfans de Dieu ; car estans en l’Eglise ilz peuvent estr’appellés enfans de Dieu par la creation, redemption, regeneration, doctrine, profession de foy ( Gal 3,1 et 1, 6) quoy que Nostre Seigneur se lamente d’eux en ceste sorte par Isaie, j’ay nourry et eslevé des enfans et ilz m’ont mesprisé (Is 1, 2). Que si on veut dire que les reprouvés n’ont point Dieu pour pere par ce quilz ne seront point heritiers, selon la parole de l’Apostre, S’il est filz, il est haeritier (Gal 4, 7), nous nierons la consequence ; car non seulement les enfans sont en l’Eglise, mays encores les serviteurs, avec ceste difference, que les enfans y demeureront a jamais comm’heritiers, les serviteurs non, mays seront chassés quand bon semblera au Maistre. Tesmoin le Maistre mesme, en saint Jan (8, 35), et le filz penitent , qui sçavoit bien reconnoistre que plusieurs mercenaires avoient des pains en abondance chez son pere, quoy que luy, vray et legitime filz, mourut de faim avec les pourceaux (luc 15, 17) : qui rend preuve de la foy Catholique pour ce sujet. O combien de serviteurs, puys dire avec l’Ecclesiaste (10, 7), ont estés veuz a cheval, et combien de princes a pied comme valetz ; combien d’animaux immondes et de corbeaux en cest’Arche ecclesiastique ; o combien de pommes belles et odoriferantes sont sur le opmmier vermoulües au par dedans, qui neantmoins sont attachëes a l’arbre et tirent le bon suc de tige. Qui auroyt les yeux asses clair voyans pour voir l’issue de la course des hommes, verroit bien dans l’Eglise de quoy s’escrier : plusieurs sont apellés et peu sont esleuz ; c’est a dire, plusieurs sont en la militante qui ne seront jamais en la triomphante. Combien sont dedans qui seront dehors, comme saint Anthoyne previt d’Arrius, et saint Fulbert de Berengaire. C’est donq chose certayne, que non seulement les esleuz mays les reprouvés encores peuvent estre et sont de l’Eglise, et qui, pour la rendre invisible, ny met que les esleuz, faict comme le mauvais disciple qui, pour ne secourir point son maistre, s’excuse de n’avoir rien apris de son cors mais de son ame.


ARTICLE III

L’EGLISE NE PEUT PERIR

123 Je seray d’autant plus brief icy, que ce que je deduyray au chapitre suivant sert d’une forte preuve a ceste creance de l’immortalité de l’Eglise et de la perpetuité d’icelle. On dict donques, pour detraquer le joug de la sainte soumission qu’on doit a l’Eglise, qu’ell’estoit perie il y a quatre vingt et tant d’annëes, morte, ensevelie, et la sainte lumiere de la vraÿe foy estainte : c’est un blaspheme pur que tout cecy contre la Passion de Nostre Seigneur, contre sa providence, contre sa bonté, contre sa verité.

Ne sçait on pas la parole de Nostre Seigneur mesme : Si je suys une fois eslevé de terre j’attireray a moy toutes choses ? (Jean 12, 32) a il pas esté eslevé en la Croix ? a il pas souffert ? et comme donques auroyt il layssé aller l’Eglise quil avoit attirëe, a vau de route ? comm’auroit il lasché ceste prise qui luy avoit costé si cher ? Le prince du monde, le diable, avoit il esté chassé (vers 31) avec le saint baston de la Croix pour un tems de trois ou quatre cens ans pour revenir maistriser mill’ans ? voules vous evacuer en ceste sorte la force de la Croix ? estes vous arbitres de si bonne foy que de vouloir si iniquement partager Nostre Seigneur, et mettre desormays un’alternative entre sa divine bonté et la malice diabolique ? Non, non, quand un fort et puyssant guerrier garde sa forteresse tout y est paix, que si un plus fort survient et le surmonte, il luy leve les armes et le despoüille (Luc 11, 21-22). Ignores vous que Nostre Seigneur se soyt acquis l’Eglis’en son sang (Act 20, 28) ? et qui pourra la luy lever ? penses vous quil soit plus foible que son adversaire ? ah, je vous prie, parlons honorablement de ce cappitaine ; et qui donques ostera d’entre ses mains son Eglise ? peut estre dires vous quil peut la garder mais quil ne veut ; c’est donq sa providence, sa bonté, sa verité que vous attaques.

La bonté de Dieu a donné des dons aux hommes, montant au ciel, des apostres, prophetes, evangelistes, pasteurs, docteurs, pour la consommation des saintz, en l’oeuvre du ministere pour l’edification du cors de Jesus Christ (Eph 4, 8 et 11-12). La consommation des saintz estoyt elle ja faicte il y a onze cens ou douze cens ans ? l’edification du cors mistique de Nostre Seigneur, qui est l’Eglise, avoit elle esté parachevee ? Ou cesses de vous apeller aedificateur, ou dites que non ; et si elle n’avoit esté achevëe, comme de faict elle ne l’est pas mesme maintenant, pour quoy faites vous ce tort a la bonté de Dieu que de dire quil ayt osté et levé aux hommes ce quil leur avoit donné ? C’est une des qualités de la bonté de Dieu que, comme dict saint Pol, ses dons et ses graces sont sans paenitence (Rom 11, 29), c’est a dire , il ne donne pas pour oster. Sa divne providence, des qu’ell’eust creë l’homme, le ciel, la terre, et ce qui est au ciel et a la terre, les conserva et conserve perpetuellement, en façon que la generation du moindre oysillion n’est pas encore estainte ; que dirons nous donques de l’Eglise ? Tout ce monde ne luy costa de premier marché qu’une simple parole : Il le dict et tout fut faict (Ps 148, 5), et il le conserve avec une perpetuelle et infallible providence ; comment, je vous prie, eust il abandonné l’Eglise qui luy coste tout son sang, tant de peynes et de travaux ? Il a tiré l’Israel de l’Egipte, des desers, de la mer Rouge, de tant de calamités et captivités, et nous croirons quil ayt layssé engolfé le Christianisme en l’incredulité ? Il a tant eu de soin de son vante qui devoit estre chassëe hors de la mayson (Genes 21, 10-12), et n’aura tenu conte l’Espouse legitime ? il aura tant honnoré l’ombre, et il abandonnera le cors ? O que ce seroit bien pour neant que tant et tant de promesses auroyent estees faites de la perpetuité de cest’Eglise.

C’est de l’Eglise que le Psalmiste chante : Dieu l’a fondëe en eternité(Ps 43, 8) ; Son trosne (il parle de l’Eglise, trone du Messie filz de David, en la personne du Pere eternel) sera comme le soleil devant moy, et comme la lune parfaitte en eternité, et le tesmoin fidele au ciel (Ps 88,37) ; Je mettray sa race es siecles des siecles et son trosne comme les jours du ciel, c’est a dire, autant que le ciel durera, c’est a dire, autant que le ciel durera (Ps 88, 30) ; Daniel l’apelle Royaume qui ne se dissipera point eternellement (Dan 2, 44), l’Ange dict a Nostre Dame que ce royaume n’auroit point de fin (Luc 1, 33), et parle de l’Eglise comme nous le prouvons ailleurs (de la visibilité de l’Eglise art 1) ; Isaïe avoit il pas predict (53, 10) en ceste façon de Nostre Seigneur : S’il met et expose sa vie pour le peché il verra une longue race, c’est a dire, de longue durëe ? et ailleurs (61, 8) : Je feray un’alliance perpetuelle avec eux ; apres (vers 9) : Tous ceux qui les verront (il parle de l’Eglise visible) les connoistront ? Mays, je vous prie, qui a baillé charge a Luther et Calvin de revoquer tant de saintes et solennelles promesses que Nostre Seigneur a faites a son Eglise, de perpetuité ? n’est ce pas Nostre Seigneur qui, parlant de l’Eglise, dict que les portes d’enfer ne praevaudront point contr’elle (Mat 16, 18) ? et comme verifiera-on ceste promesse si l’Eglise a esté abolie mill’ans ou plus ? et ce doux adieu que Nostre Seigneur dict a ses Apostres, Ecce ego vobiscum sum usque ad consummationem seculi, comme l’entendrons nous si nous voulons dire que l’Eglise puisse perir ?

Mays voudrions nous bien casser la belle regle de Gamaliel qui, parlant de l’Eglise naissante, usa de ce discours : Si ce conseil ou cest’oeuvre est des hommes elle se dissipera, mays si ell’est de Dieu vous ne sçauries la dissoudre ? L’Eglise est ce pas l’oeuvre de Dieu ? et comment donques dirons nous qu’elle soit dissipëe ? Si ce bel arbre ecclesiastique avoit esté planté de main d’homme, j’avoueroys aysement quil pourroit estre arraché, mays ayant esté planté de si bonne main qu’est celle de Nostre Seigneur, je ne sçauroisconseiller a ceux qui entendent crier a tous propos que l’Eglise estoit perie sinon ce que dict Nostre Seigneur : Laisses la ces aveugles, car toute plante que le Pere celeste n’a pas plantëe sera arrachëe (Mat 15, 13-14), mays celle que Dieu a plantëe ne sera point arrachëe.

Saint Pol dict que tous doivent estre vivifiés chacun en son ordre ; les premices ce sera Christ, puys ceux qui sont de Christ, puys la fin ; entre Christ et les siens, c’est a sçavoir, l’Eglise, il ni a rien d’entredeux, car montant au cile il les a layssés en terre, entre l’Eglise et la fin il ni a point d’entredeux, d’autant qu’elle devoit durer jusques a la fin. Quoy ? ne falloit il pas que Nostre Seigneur regnat au milieu de ses ennemis jusqu’a ce qu’il eut mis sous ses pieds et assujetty tous ses adversaires (Ps 109, 1, 2 et 3 ; 1 Cor 15, 25) ? et comme s’accompliront ces authorités si l’Eglise, royaume de Nostre Seigneur, avoit esté perdu et destruict ? comme regneroit il sans royaume, et comme regneroit il parmi ses ennemys sil ne regnoit ça bas au monde ?

Mays, je vous prie, si cest’Espouse fut morte apres que du costé de son Espoux endormy sur la Croix ell’eust premierement la vie, si elle fut morte, dis je, qui l’eust resuscitëe ? Ne sçait on pas que la resurrection des mors n’est pas moindre miracle que la creation, et beaucoup plus grand que la continuation et conservation ? Ne sçait on pas que la reformation de l’homme est un bien plus profond mistere que la formation, et qu’en la formation Dieudict, et il fut fait (Ps 148, 5) ? il inspira l’ame vivante (Gen 2, 7), et il ne l’eust pas si tost inspirëe que ce celest’homme commença a respirer ; mays en la reformation Dieu employa trente trois ans, sua le sang et l’eau, mourut mesme sur ceste reformation. Et qui donques sera si osé de dire que cest’Eglise est morte, il accuse la bonté, la diligence et le sçavoir de ce grand reformateur, et qui se croit estre le reformateur ou resuscitateur d’icelle, il s’attribue l’honneur deu a un seul Jesuchrist, et se faict plus qu’Apostre. Les Apostres n’ont pas remis l’Eglise a vie, mays la luy ont conservëe par leur ministere apres que Nostre Seigneur l’eust establie ; qui donques dict que l’ayant trouvé morte il l’a resuscitëe, a vostr’avis merite il pas d’estr’assis au trosne de temerité ? Nostre Seigneur avoit mis le saint feu de sa charité au monde (Luc 12, 49), les Apostres avec le souffle de leur praedication l’avoyent accreu et faict courir par tout le monde : on dict quil estoit estaint par mi les eaux d’ignorance et d’iniquité ; qui le pourra rallumer ? le souffler ni sert de rien, et quoy donques ? il faudroit peut estre rebattre de nouveau avec les clouz et la lance sur Jesuchrist, pierre vivante, pour en faire sortir un nouveau feu, ou sil suffira que Calvin ou Luther soient au monde pour le rallumer ? Ce seroit bien de vray estre des troysiesmes Helies, car ni Helie ni saint Jan Baptiste n’en firent onques tant ; ce seroit bien laysser tous les Apostres en arriere, qui porterent bien ce feu par le monde, mayz ilz ne l’allumerent pas. " O voix impudente ", dit saint Augustin contre les Donatistes, " l’Eglise ne sera pas par ce que tu ni es point ? ". Non, non, dict saint Bernard, " les torrens sont venus, les vens ont soufflé (Mat 7, 25) et l’ont combattue, elle n’est point tumbëe par ce qu’ell’estoit fondëe sur la pierre, et la pierre estoit Jesus Christ (1 Cor 10, 4).

Et qu’est ce autre chose dire que l’Eglis’a manqué sinon dire que tous nos devanciers sont damnés ? ouy, pour vray, car hors la vraÿe Eglise il ni a point de salut, hors de cest’Arche tout le monde se perd. O quel contrechange on faict a ces bons peres qui ont tant souffert pour nous praeserver l’heritage de l’Evangile, et maintenant, outrecuydés que sont les enfans, on se moque d’eux, on les tient pour folz et insensés.

Je veux conclure ceste preuve avec saint Augustin, et parler a vos ministres : " Que nous apportes vous de nouveau ? faudra il encor une foys semer la bonne semence, puysque des qu’ell’est semëe elle croit jusqu’a la moysson (Mat 13, 30) ? Si vous dites estre par tout perdue celle que les Apostres avoyent semëe, nous vous respondons : lises nous cecy es Saintes Escritures, ce que pour vray vous ne lires jamais que premierement vous ne nous monstries estre faux ce qui est escrit, que la semence qui fut semëe au commencement croistroit jusqu’au tems de moyssons. La bonne semence ce sont les enfans du Royaume, la zizanie sont les mauvais, la moysson c’est la fin du monde (vers 38 et seq). Ne dites pas donques que la bonne semence est abolie ou estouffëe, car elle croit jusques a la consommation du siecle.


Sales, Controverses 121