Sales, Controverses 127


CHAPITRE III

Les Marques de l’Eglise

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ARTICLE PREMIER

1311
1.


Combien de fois et en combien de lieux, l’Eglise, tant militante que triomphante, et au Viel et au Nouveau Testament, soit appelëe mayson et famille, il me sembleroit tems perdu d’en vouloir faire recherche, puisque cela est tant commun es Escritures que ceux qui les ont leües n’en douteront jamais, et qui ne les a leües, incontinent quil les lira, il trouvera quasi par tout ceste façon de parler. C’est de l’Eglise que saint Pol dict a son cher Thimotee (1 Tim 3, 15) : Ut scias quomodo oporteat te conversari in domo Dei, quae est Ecclesia, columna et firmamentum veritatis ; c’est d’icelle que David dict : (Ps 88, 5) Beati qui habitant in domo tua Domine ; c’est d’elle que l’Ange dict : Reganbit in domo jacob in aeternum ; c’est d’elle que Nostre Seigneur : In domo patris mei mansiones multae sunt (Jean 14, 2), Simile est regnum caelorum homini patrifamilias, Mat 20 ; et en cent mill’autres lieux.

Ores, l’Eglise estant une mayson et une famille, le maistre d’icelle il ne faut pas douter quil ni en a qu’un seul, Jesu christ, ainsy est elle appellëe mayson de Dieu. Mays ce Maistre et Pere de famille, s’en allant a la dextre de Dieu son Pere, ayant laissé plusieurs serviteurs en sa mayson, il voulut en laisser un qui fust serviteur en chef, et auquel les autres se raportassent ; ainsy dict Nostre Seigneur : Quis putas est servus fidelis et prudens, quem constituit Dominus super familiam suam ? Et de vray, sil ni avoit un maistre valet en une boutique, penses comme le trafiq iroit, sil ni avoit un roy en un roiaume, un paron en un navire, et un pere de famille en une famille, et de vray ce ne seroit plus une famille ; mays escoutes Nostre Seigneur : Omnis civitas vel domus divisa contra se non stabit (Mat 12, 25). Jamais une provinve ne peut estre bien gouvernëe d’elle mesme, principalement si ell’est grande. Je vous demande, Messieurs les clair voians, qui ne voules pas qu’en l’Eglise il y ait un chef, me sçauries vous donner exemple de quelque gouvernement d’apparence auquel tous les gouvernemens particuliers ne se soyent rapportés a un ? Il faut laisser a part les Macedoniens, Babiloniens, Juifz, Medes, Perses, Arabes, Siriens, François, Espagnols, Anglois, et un’infinité des plus remarquables, esquelles la chose est claire. Mays venons aux republiques : dites moy, ou aves vous veu quelque grande province qui se soit gouvernëe d’elle mesme ? jamais. La plus belle partie du monde fut une fois de la republique des Romains, mais une seule Romme gouvernoit, une seule Athenes, Cartage, et aisny des autres anciennes, une seule Venise, une seule Gennes, une seule Lucerne, Fribourg et autres. Jamais vous ne trouveres que toutes les parties de quelque notable et grande province se soient employëes a se gouverner soy mesme, mays falloit, faut et faudra que ou un homme seul, ou un seul cors d’hommes residens en quelque lieu, ou une seule ville, ou quelque petite portion d’une province, aye gouverné le reste de la province, si la province estoit grande. Messieurs qui vous playses es histoires, je suys asseuré de vostre voix, vous ne permettres pas qu’on m’en demente. Mays supposé, ce qui est tres faux, que quelque province particuliere se fust gouvernee d’elle mesme, comment est ce qu’on le pourroit dire de l’Eglise Chrestienne, laquelle est si universelle qu’elle comprend tout le monde ? autrement, il faudroit tousjours avoir un concile debout de toutes les eveschés, et qui l’advoera ? il faudroit que tous les Evesques fussent tousjours absens, et comme se pourroit faire cela ? Et si tous les Evesques estoient pareilz, qui les assembleroit ? Mays quelle peyne seroit ce, quand on auroit quelque doute en la foy, de fayre assembler un concile ? Il ne se peut nullement donques fayre, que toute l’Eglise, et chasque partie d’icelle, se gouverne elle mesme sans se rapporter l’une a l’autre.

Or, puysque j’ay suffisamment prouvé quil faut qu’une partie se rapporte a l’autre, je vous demande la partie a laquelle on se doit rapporter. Ou c’est une province : si c’est une province, ou est elle ? ce n’est pas l’Angleterre, car quand ell’estoit catholique, ou lui trouvez-vous ce droit ? si vous proposez une autre province, ou sera elle ? et pourquoy plustost celle la qu’un’autre ? outre ce que pas une province n’a jamais demandé ce privilege. Si c’est une ville, il faut que ce soit l’une des patriarchales : ores, des patriarchales il ni en a que cinq, Rome, Antioche, Alexandrie, Costantinople et Hierusalem ; laquelle des cinq ? toutes sont payennes fors Romme. Si donques ce doit estre une ville, c’est Romme, si un’assemblëe, c’est celle de Romme. Mais non ; ce n’est ni une province, ni une ville, ni une simple et perpetuelle assemblee, c’est un seul homme chef, constitué sur toute l’Eglise : Fidelis servus et prudens, quem constituit Dominus.

Concluons donques que Nostre Seigneur, partant de ce monde, affin de laisser unie toute son Eglise, il laissa un seul gouverneur et lieutenant general, auquel on doit avoir recours en toutes necessités.


1312
2.


Ce qu’estant ainsy, je vous dis que ce serviteur general, ce dispensateur et gouverneur, ce maistre valet de la maison de Nostre Seigneur, c’est saint Pierre, lequel a rayson de cela peut bien dire : O Domine, quia ego servus (Ps 115, 6) ; et non pas seulement servus, mais doublement, quia qui bene praesunt duplici honore digni sunt (1 Tim 5, 17) ; et non seulement servus tuus, mais encores filius ancillae tuae.Quand on a quelque serviteur de race, a celluyla on se fie davantage, et luy baille on volontier les clefz de la mayson ; donques non sans cause j’introduis saint Pierre, disant O domine, etc., car il est serviteur bon et fidelle (Mat 25, 21-23) auquel, comme a serviteur de race, le Maistre a baillé les clefz : Tibi dabo claves regni caelorum (Mat 16, 19).Saint luc nous monstre bien que saint pierre est ce serviteur, car, apres avoir raconté (ch 12, 37) que Nostre Seigneur avoit dict par advertissement a ses disciples : Beati servi quos cum venerit Dominus invenerit vigilantes ; amen, dico vobis, quod praecinget se, et faciet illos discumbere, et transiens ministrabit illis, saint Pierre seul interrogea Nostre Seigneur (vers 41) : Ad nos dicis hanc parabolam an et ad omnes ? Nostre Seigneur, respondant a saint Pierre, ne dict pas : Qui putas erunt fideles, comm’il avoit dit beati servi, mais, Quis putas est dispensator fidelis et prudens, quem constituit Dominus super familiam suam ut det illis in tempore tritici mensuram ? Et de faict, Theophylacte dict que saint Pierre fit ceste demande comme ayant la supresme charge de l’Eglise, et saint Ambroise, l. 7 § 131 sur saint Luc, dict que les premieres paroles, beati, s’entendent de tous, mais les secondes, quis putas, s’entendent des Evesques, et beaucoup plus proprement du sauverain. Nostre Seigneur, donques, respond a saint Pierre comme voulant dire : ce que j’ay dict en general appartient a tous, mais a toi particulierement, car, qui penses tu estre le serviteur prudent et fidele ?

Et de vray, si nous voulons un peu espelucher ceste parabole, qui peut estre le serviteur qui doit donner le froment sinon saint Pierre, auquel la charge de nourrir les autres a estëe donnëe : Pasce oves meas (Jean 21, 17) ? Quand le maistre de la mayson va dehors, il donne les clefz au maistre valet et oeconome, et n’est ce pas a saint Pierre auquel Nostre Seigneur a dict : Tibi dabo claves regni caelorum ? (Mat 16, 19) Tout se rapporte au gouverneur, et le reste des officiers s’appuyent sur iceluy, quand a l’authorité, comme tout l’edifice sur le fondement. Ainsy saint Pierre est appelé pierre sur laquelle l’Eglise est fondëe : Tu es Cephas, et super hanc petram (vers 18) : or est il que Cephas veut dire en siriac une pierre, aussi bien que sela en hebreu, mais l’interprete latin a dict Petrus, pour ce qu’en grec il y a Petros, qui veut aussi bien dire pierre comme petra ; et Nostre Seigneur, en saint mathieu, 7, dict que l’homme sage faict sa mayson et la fonde sur le rocher, supra petram : en quoy le diable, pere de mensonge, singe de Nostre Seigneur, a voulu faire certaine imitation, fondant sa malheureuse heresie principalement en un diocese de saint pierre, et en une Rochelle. De plus, Nostre Seigneur demande que ce serviteur soit prudent et fidele, et saint Pierre a bien ces deux conditions : car, la prudence comme luy peut elle manquer, puysque ni la chair ni le sang ne le gouverne poinct, mais le Pere celeste (vers 17) ? et la fidelité comme luy pourroit elle fallir, puysque Nostre Seigneur dit : Rogavi pro te ut non deficeret fides tua (Luc 22, 33) ? lequel il faut croire que exauditus est pro sua reverentia (Heb 5, 7), de quoy il donne bien bon tesmoignage quand il adjouste (Luc ubi supra), Et tu conversus confirma fratres tuos, comme s’il vouloit dire : j’ay prié pour toy, et partant sois confirmateur des autres, car pour les autres je n’ay pas prié sinon quilz eussent un refuge asseuré en toy.

1313
3.


Concluons quil falloit donques, que Nostre Seigneur abandonnant son Eglise quand a son estre corporel et visible, il laissast un lieutenat et vicaire general visible, et cestuy ci c’est saint Pierre, dont il pouvoit bien dire : O Domine, quia ego servus tuus. Vous me dires, ouy, mais Nostre Seigneur n’est pas mort, et d’abondant il est tousjours avec son Eglise, pourquoy donques luy bailles vous un vicaire ? Je vous respons que n’estant pas mort il n’a poinct de successeur, mais seulement un vicaire, et d’abondant, quil assite vrayement a son eglise en tout et par tout de sa faveur invisible, mais, affin de ne faire pas un cors visible sans un chef visible, il luy a encores voulu assister en la personne d’un lieutenant visible, par le moyen duquel, outre les faveurs invisibles, il administre perpetuellement son Eglise en maniere et forme convenable a la suavité de sa disposition.

Vous me dires encores, quil ni a poinct d’autre fondement que Nostre Seigneur en l’Eglise : Fundamentum aliud nemo potest ponere praeter id quod positum est, quod est Christus Jesus (1 Cor 3, 11). Je vous accorde que tant la militante que la triomphante Eglise sont fondëes sur nostre Seigneur comme sur le fondement principal, mays Isaïe nous praedict qu’en l’Eglise on devoit avoir deux fondements, au chap 28, 16 : Ecce ego ponam in fundamentis Sion lapidem, lapidem probatum, angularem, praetiosum, in fundamento fundatum. Je sçay bien comm’un grand personnage l’explique, mays il me semble que ce passage la d’Isaïe se doit du tout interpreter sans sortir du chap 16 de saint Mathieu, Evangile du jourdhuy (28, 13). La donques Isaïe, se plaignant des Juifz et de leurs prestres en la personne de Nostre Seigneur, de ce que ils ne voudroyent pas croyre, Manda, remanda, expecta, reexpecta, et ce qui s’ensuit, il adjouste : Idcirco haec dict Dominus, et partant le Seigneur a dict, Ecce ego mittam in fundamentis Sion lapidem.

Il dict in fund amentis, a cause qu’encores les autres Apostres estoyent fondements de l’Eglise : Et murus civitatis, dict l’Apocalipse (21, 14), habens fundamenta duodecim, et in ipsis duodecim, nomina duodecim Apostolorum Agni, et ailleurs (Ephes 2, 30), Fundati super fundamenta Prophetarum et Apostolorum, ipso summo lapide angulari Christo Jesu, et le Psalmiste (ps 86, 1)Fundamenta ejus in montibus sanctis ; mais entre tous il y en a un lequel par excellence et superiorité est apellé pierre et fondement, et c’est celuy auquel Nostre Seigneur a dict : Tu es Cephas, id est, Lapis.

Lapidem probatum. Escoutes saint mathieu (16, 13 seq) ; il dict que Nostre Seigneur y jettera une pierre esprouvëe : quelle preuve voules vous autre que cellela, Quem dicunt homines esse Filium hominis ? question difficile, a laquelle saint Pierre, expliquant le secret et ardu mistere de la communication des idiomes, respond si pertinement que rien plus, et faict preuve quil est vrayement pierre, disant, Tu es Christus, Filius Dei vivi.

Isaïe poursuit et dict : lapidem praetiosum. Escoutes l’estime que Nostre Seigneur faict de saint Pierre : Beatus es, Simon Bar Jona.

Angularem. Nostre Seigneur ne dict pas quil fondera une seule muraille de l’Eglise, mais toute, Ecclesiam meam. Il est donq angulaire in fundamento fundatum, fondé sur le fondement ; il sera fondement mais non pas premier, car il i aura ja un autre fondement, Ipso summo lapide angulari Christo (Ephes supra). Voila comme Esaïe explique saint Mathieu, et saint Mathieu, Isaïe. Je n’auroys jamais faict si je voulois dire tout ce qui me vient au devant de ce sujet.


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ARTICLE II

L'EGLISE CATHOLIQUE EST UNIE EN UN CHEF VISIBLE

CELLE DES PROTESTANTS NE L'EST POINT ET CE QUI S'ENSUIT

Je ne m'amuseray pas beaucoup en ce point. Vous saves que tous, tant que nous sommes catholiques, reconnoissons le Pape comme Vicaire de Notre Seigneur : l'Eglise universelle le reconneut dernierement a Trente, quand elle s'adressa a luy pour confirmation de ce qu'elle avoit resolu, et quand elle receut ses deputés comme presidens ordinaires et legitimes du Concile.

Je perdrois tems aussi de vous prouver que vous n'aves poinct de chef visible ; vous ne le nies pas. Vous aves un supresme Consistoire, comme ceux de Berne, Genève, Zurich et les autres, qui ne depend d’aucun autre. Vous estes si esloignés de vouloir reconnoistre un chef universel, que mesme vous n'aves poinct de chef provincial ; les ministres sont autant parmi vous l'un que l'autre, et n'ont aucune prerogative au Consistoire, ains sont inferieurs, et en science et en voix, au président qui n'est pas ministre. Quant à vos evesques ou surveillans, vous ne vous estes pas contentés de les ravaler jusqu'aux rangs de ministres, mais les aves rendus inferieurs, afin de ne rien laisser en sa place. Les Anglois tiennent leur Reyne pour chef de leur Eglise, contre la pure parole de Dieu : si ne sont ilz pas desesperés, que je sçache, qu'ilz veuillent qu'elle soit chef de l'Eglise Catholique, mais seulement de ces miserables pays.


Bref, il n'y a aucun chef parmi vous autres es choses spirituelles, ni parmi tout le reste de ceux qui font profession de contredire au Pape.
Voicy maintenant la suite de tout cecy : la vraye Eglise doit avoir un chef visible en son gouvernement et son administration ; la vostre n'en a point, donques la vostre n'est pas la vraye Eglise. Au contraire, il y a une Eglise au monde, vraye et legitime, qui a un chef visible, il n’yen a point qui en aye un que la nostre, la nostre donques seule est la vraye Eglise. Passons outre

ARTICLE III

DE L'UNITE DE L'EGLISE EN LA FOI ET CREANCE

LA VRAIE EGLISE DOIT ETRE UNIE EN SA DOCTRINE

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Jesus Christ est-il divisé ? (1 Cor 1, 13) Non, en vrai, car Il est Dieu de paix non de dissention , comme Saint Pol enseignoit par toutes les Eglises(1 Cor 14, 33). Il ne se peut donques faire que la vraye Eglise soit en dissention ou division de creance et de doctrine, car Dieu n'en seroit plus autheur ni espoux, et , comme royaume divisé en soy mesme (Mat 12, 25), elle periroit. Tout aussi tost que Dieu prend un peuple a soy, comme il a faict l'Eglise, il luy donne l'unité de cœur et de chemin. L'Eglise n'est qu'un cors, duquel tous les fidelles sont membres, jointz et liés ensemble par toutes les jointures (Ep 4, 16) ; il n'y a qu'une foy et un esprit qui anime ce cors . Dieu est en son saint lieu, il rend sa maison peuplée de personnes de même sorte et intelligence (Ps 67, 6,7) ; donc la vraie Eglise de Dieu doit estre unie, liee, jointe et serree ensemble dans une mesme doctrine et creance.


ARTICLE IV

L'EGLISE CATHOLIQUE EST UNIE EN CREANCE, LA PRETENDUE REFORMEE NE L'EST POINT

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" Il faut " , ce dict Saint Irenee (Contra Haeresiae, 1. III, c.iii), " que tous les fidelles s'assemblent et viennent se joindre a l'Eglise Romaine, pour sa plus puissante principauté ". " C'est la mere de la dignité sacerdotale " ce disoit Jules 1er. C'est " le commencement de l'unité de prestrise " (Epistolae I ad Orient., Vide Concil, an. 336), " c'est le lien d'unité ", se dit Saint Cyprien ; " Nous n'ignorons pas qu'il y a un Dieu, qu’un Christ et Seigneur, lequel nous avons confessé, un Saint-Esprit, un Evesque dans l'Eglise catholique ". Le bon Optatus disoit ainsy aux Donatistes : " Tu ne peux nier que tu ne sçaches qu'en la ville de Rome la principale chaire a esté premièrement conferee a saint Pierre, en laquelle a esté assis le chef de tous les Apostres, saint Pierre, dont il fut appellé Céphas, chaire en laquelle l'unité fut de tous gardee, affin que les autres Apostres ne voulussent pas se pretendre et defendre chacun la sienne, et que des ores celuy la fut schismatique et pecheur, qui voudroit se bastir une autre chaire contre ceste unique chaire. Donques en ceste unique chaire, qui est la premiere des prerogatives, fut assis premierement saint Pierre " (De Scism Donat , 1. II). Ce sont presque les paroles de cet ancien et saint Docteur.
Tous tant qu’il y a de Catholiques en cest aage sont en mesme resolution ; nous tenons l'Eglise Romaine pour nostre rendes vous en toutes nos difficultés, nous sommes tous ses humbles enfants et prenons nourriture du lait de ses mammelles, nous sommes branches de ceste tige si féconde et ne tirons aucun suc de doctrine que de ceste racine. C'est ce qui nous tient tous parés d'une mesme livrée de creance, car, sçachant qu'il y a un chef et lieutenant general en l'Eglise, ce qu'i l resoult et determine avec l'advis des autres Prelatz, lhors qu'il est assis sur la chaire de saint Pierre pour enseigner le christianisme, sert de loy et de niveau a nostre creance. Qu'on coure tout le monde et par tout on verra la mesme foy es Catholiques ; que s'il y a quelque diversité d'opinion, ou ce ne seroit pas en chose appartenant a la foy, ou ou tout incontinent que le Concile general ou le Siege Romain en aura determiné, vous verres chacun se ranger a leur definition. Nos entendemens ne s'esgarent point les uns des autres en leurs creances, ains se maintiennent tres estroittement unis et serrés ensemble par le lien de l'authorité superieure de l'Eglise, a laquelle chacun se rapporte en toute humilité, et y appuie sa foy comme sur la colomne et fermeté de la vérité (1 Timothée 3, 15) ; notre Eglise Catholique n'a qu'un langage et un mesme parler sur toute la terre.


Au contraire, Messieurs, vos premiers maistres n'eurent pas plus tost esté sur pied, ils n'eurent pas plus tost pensé de se bastir une tour de doctrine et de science qui allast toucher a descouvert dans le ciel, et leur acquist la grande et magnifique reputation de reformateurs, que Dieu, voulant empescher cest ambitieux dessein, permit entre eux une telle diversité de langage et de créance, qu'ilz commencerent a se cantonner qui ça qui là, que toute leur besoigne ne fut qu'une miserable Babel et confusion. Quelles contrarietés a produit la reformation de Luther : je n’aurois jamais faict si je les voulois tous mettre sur ce papier ; qui les voudra voir lira le petit livre de Frederic Staphyl, De Concordia Discordi, Sander, livre 7, de sa Visible monarchie, et Gabriel de Préau, en la Vie des hérétiques.Je diray seulement ce que vous ne pouves pas ignorer et que je vois maintenant de mes yeux.


Vous n'avez pas un mesme canon des Ecritures ; Luther n'y veut pas l'épître de Saint Jacques, que vous receves. Calvin tient estre contraire a l'Escriture qu'il y aye un chef en l'Eglise ; les Anglois tiennent le contraire. Les huguenotz françois tiennent que selon la Parole de Dieu les prestres ne sont pas moindres que les Esvesques ; les Anglois ont des Esvesques qui commandent aux prestres , et entre eux, deux Archevesques, dont l'un est appellé Primat , nom auquel Calvin veut si grand mal. Les Puritains en Angleterre tiennent comme article de foy qu'il n'est pas loysible de precher, baptizer, prier es eglises qui ont esté autrefois aux Catholiques, mais on n’est pas si despiteux de deça : mais notes que j'ay dict qu'ilz le tiennent pour article de foy, car ilz souffrent et les bannissements et les prisons plustost que de s’en desdire. Ne sçaves pas qu'a Geneve l’on tient pour superstition de celebrer aucune feste des Saintz ? et en Suisse on les fait, et vous en faistes une de Nostre Dame. Il ne s'agit pas icy que les uns le fassent , les autres non, car ce ne seroit pas contrarieté de religion, mays ce que vous et quelques Suisses observes, les autres le condamnent comme contraire a la pureté de la religion. Ne sçaves pas que l'un de vos plus grans ministres dict a Poissy que le " Cors de Nostre Seigneur estoit aussi loin de la cene que la terre du ciel " (Théodore de Bèze) ? et ne sçaves pas encores que cela est tenu pour faux par plusieurs des autres ? L'un de vos maistres n'a il pas confessé dernierement la realité du Cors de Notre Seigneur en la cene, et les autres la nient ilz pas ? Me pourres vous nier, qu’au fait de la justification vous soyes autant divisés entre vous que vous l'estes d'avec nous ? tesmoin l'Anonyme disputateur. Bref, chacun parle son langage a part , et de tant d’huguenotz auxquelz j'ay parlé, je n'en ay jamais trouvé deux de la mesme creance.


Mais le pire est que vous ne vous sçauries accorder ; car ou prendres vous un arbitre asseuré? Vous n'aves point de chef en terre pour vous addresser a luy en vos difficultés ; vous croyes que l'Eglise mesme peut s'abuser et abuser les autres ; vous ne voudries mettre votre ame en main si peu asseurée, ou vous n'en tenes pas grand conte.


L'Escriture ne peust estre vostre arbitre, car c'est de l'Escriture mesme dequoy vous estes en proces, voulans les uns l'entendre d'une façon, les autres de l'autre. Vos discordes et disputes sont immortelles si vous ne vous ranges a l'authorité de l’Eglise: tesmoin les colloques de Lunebourg, de Mulbrun, de Montbeliard et celui de Berne recemment, tesmoin aussi Tilmann Heshusius et Eraste, tesmoin Brence et Bulinger. Certes, la division qui est entre vous au nombre des Sacremens est ramarquable: maintenant, communement, parmi vous on ne met que deux sacremens ; Calvin en a mis trois, adjoustant au baptesme et cene, l'ordre ; Luther y met la penitence pour troisiesme puys dit qu 'il n'y en a qu'un. ; en fin les protestans au colloque de Ratisbonne, auquel se trouva Calvin, tesmoin Beze en sa Vie, confesserent qu'il y avoyt sept sacrements. En l'article de la toute puissance de Dieu, comment est ce que vous y estes divisé ? pendant que les uns nient qu'un cors puisse estre, voire par la vertu divine, en deux lieux, les autres nient toute puissance absolue, les autres ne nient rien de tout cela. Que si je voulois vous monstrer les grandes contrarietés qui sont en la doctrine de ceux que de Beze reconnoit tous pour glorieux reformateurs de l'Eglise, a savoir Hierosme de Prague, Jean Hus, Wiclef, Luther, Bucer,Oecolampade, Zuingle, Pomeran et les autres, je n'aurois jamais faict : Luther seul vous instruira asses de la bonne concorde qui est entre eux, en la lamentation qu'il faict contre les Zuingliens et Sacramentaires, qu'il appelle Absalons, Judas et espritz svermeriques (fanatiques), l'an 1527. Feu son Altesse de tres heureuse memoire, Emmanuel Philibert, raconta au docte Anthoyne Possevin qu'au colloque de Wormace, quand on demanda aux protestans leur confession de foy, tous, les uns apres les autres, sortirent hors de l'assemblee, poue ne se pouvoir accorder ensemble. Ce grand prince est digne de foy et il raconte cecy pour y avoir esté present. Toute ceste division a son fondement au mespris que vous faites d’un chef visible en terre, car, n'estans point lié pour l'interpretation de la Parole de Dieu a aucune superieure authorité, chacun prend le parti que bon luy semble : c'est ce que dit le Sage, les superbes sont toujours en dissension (Prov 13, 10) , qui est une marque de vraye heresie. Ceux qui sont divisés en plusieurs partis ne peuvent estre appellés du nom d'Eglise, parce que, comme dict saint Jean Chrysostome, " le nom d'Eglise est un nom de consentement et de concorde ".

Mays quant a nous autres, nous avons tous un mesme canon des Escritures, et un mesme chef, et pareille regle pour les entendre ; vous aves diversité de canon, et en l’intelligence vous aves autant de testes et de regles que vous estes de personnes. Nous sonnons tous au ton de la trompette d’un seul Gedeon, et avons tous un mesme esprit de foy au Seigneur et a son lieutenant, l’espee des decisions (Jud 7, 20) de Dieu et de l’Eglise, selon la parole des Apostres (Act 15, 28), Visum est Spiritui Sancto et nobis. Ceste unité de langage est en nous un vray signe que nous sommes l’armee du Seigneur, et vous ne pouves estes reconneus que pour Madianites, qui ne faites en vos opinions que criailler et hurler chacun a sa mode, chamailler les uns sur les autres, vous entr’esgorgeans et massacrans vous mesmes par vos dissentions, ainsy que dict Dieu par Isaïe : Les Egyptiens choqueront contre les Egyptiens, et l’esprit d’Egypte se rompra (ch 19,2-3) : et saint Augustin dict que " comme Donatus avoit tasché de diviser Christ, ainsy luy mesme par une journelle separation des siens estoit divisé en luy mesme. Ceste seule marque vous doit faire quitter vostre pretendue eglise, car, qui n’est avec Dieu est contre Dieu (Mat 12, 30) ; Dieu n’est point en vostre eglise, car il n’habite point qu’en lieu de paix, et en vostre eglise il n’y a ni paix ni concorde.



ARTICLE V

DE LA SAINTETE DE L’EGLISE : MARQUE SECONDE

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L’Eglise de Nostre Seigneur est sainte : c’est un article de foy. Nostre Seigneur s’est donné pour elle, affin de la sanctifier (Ephes 5, 26) ; c’est un peuple saint, dict saint Pierre ( 1 Pierre 2, 9) ; l’Espoux est saint, et l’Espouse sainte ; elle est sainte estant dediee a Dieu, ainsy que les aisnés en l’ancienne sinagogue furent appellés saintz, pour ce seul respect (Exod 13, 2 ; Luc 2, 23). Elle est sainte encores parce que l’Esprit qui la vivifie est saint (Jean 6, 64 ; Rom 8, 11), et parce qu’elle est le cors mistique d’un chef qui est tres saint (Ephes 1, 22-23). Elle l’est encores parce que toutes ses actions interieures et exterieures sont saintes ; elle ne croit, ni espere, ni ayme que saintement ; en ses prieres, praedications, Sacremens, Sacrifice, elle est sainte. Mais ceste Eglise a sa sainteté interieure, selon la parole de David (Ps 44, 14-15) , Toute la gloire de ceste fille royale est au dedans ; elle a encores sa sainteté exterieure, en franges d’or environnee de belles varietés. La sainteté interieure ne peut se voir ; l’exterieure ne peut servir de Marque, parce que toutes les sectes s’en vantent, et qu’il est mal aysé de reconnoistre la vraye priere, predication et administration des Sacremens. Mais, outre tout cela, il y a des signes avec lesquelz Dieu faict connoistre son Eglise, qui sont comme parfums et odeurs, comme dict l’Espoux es Cantiques (ch 4, 11) : L’odeur de tes vestemens comme l’odeur de l’encens ; ainsy pouvons nous, a la piste de ses odeurs et parfums (1, 3), quester et trouver la vraye Eglise, et le giste du filz de la licorne (Ps 28, 6).

ARTICLE VI

LA VRAYE EGLISE DOIT RELUIRE EN MIRACLES

136 L’Eglise, donques, a le lait et le miel sous sa langue (Cant 4, 11), en son coeur, qui est la sainteté interieure laquelle nous ne pouvons voir ; elle est richement paree d’une belle robbe bien recamee et brodee a varietés (Ps 44, 10), qui est la sainteté exterieure laquelle peut se voir. Mays, parce que les sectes et heresies desguisent leurs vestemens en mesme façon sous une fause estoffe, outre cela elle a des parfums et odeurs qui luy sont propres, et ce sont certains signes et lustres de sa sainteté, qui luy sont tellement propres qu’aucune autre assemblee ne s’en peut vanter, particulierement en nostre aage : car, premierement, elle reluit en miracles, qui sont tres souëfves odeurs et parfums, signes expres de la presence de Dieu immortel ; ainsy les appelle saint Augustin (Confes, 1 9, 7)

Et de faict, quand Nostre Seigneur partit de ce monde, il promit que l’Eglise seroit suivie de miracles : Ces marques, dict il, suivront les croyans : en mon nom ilz chasseront les diables, ilz parleront nouveaux langages, ilz osteront les serpens, le venin ne leur nuira point, et par l’imposition des mains ilz gueriront les malades (Marc 17, 18). Considerons, je vous prie, de pres ses paroles. 1. Il ne dict pas que les seulz Apostres feroient ces miracles, mais simplement ceux qui croiront. 2. Il ne dict pas que tous les croyans en particulier feroient des miracles, mais que ceux qui croiront seront suivis de ces signes. 3. Il ne dict pas que ce fust seulement pour dix ans, ou vingt ans, mais simplement que ces miracles accompagneront les croyans. Nostre Seigneur donques parle aux Apostres seulement, mais non pour les Apostres seulement ; il parle des croyans en cors et en general, a sçavoir de l’Eglise ; il parle absolument, san distinction de tems . Laissons ces saintes paroles en l’estendue que Nostre Seigneur leur a donnee : les croyans sont en l’Eglise, les croyans sont suivis de miracles, donques en tous tems il y a des miracles.

Mais voyons un peu pourquoy le pouvoir des miracles fut laissé en l’Eglise : ce fut sans doute pour confirmer la predication evangelique ; car saint Marc le tesmoigne, et saint Pol, qui dict (Heb 2, 4) que Dieu donnoit tesmoignage a la foy qu’il annonçoit , par miracles. Dieu mit en mains de Moyes ces instrumens affin qu’il fust creu (Exod 4), dont Nostre Seigneur dict que s’il n’eust faict des miracles les Juifz n’eussent pas esté obligés de le croire (Jean 15, 24). Or sus, l’Eglise doit elle pas tousjours combattre l’infidelité ? et pourquoy donques luy voudries vous oster ce bon baston que Dieu luy a mis en main ? Je sçay bien qu’elle n’en a pas tant de necessité qu’au commencement ; apres que la sainte plante de la foy a prins bonne racine on ne la doit pas si souvent arrouser ; mais aussi, vouloir lever en tout l’effect, la necessité et cause demeurant en bonne partie, c’est tres mal philosopher.

Outre cela, je vous prie, monstres moy quelque saison en laquelle l’Eglise visible aye esté sans miracles, des qu’elle commença jusqu’a present. Au tems des Apostres se firent infinis miracles, vous le sçaves bien ; apres ce tems la, qui ne sçait le miralce recité par Marc Aurele Anthonin, faict par les prieres de la legion des soldatz Chrestiens qui estoyent en son armee, laquelle pour cela fut appellee Fulminante ? Qui ne sçait les miracles de saint Gregoire Thaumaturge, saint Martin, saint Anthoyne, saint Nicolas, saint Hilarion, et les merveilles qui arrivèrent aux theodose et Constantin ? dequoy les autheurs sont irreprochables, Eusebe, Rufin, saint Hierosme, Basile, Sulpice, Athanase. Qui ne sçait encores ce qui advint en l’invention de la sainte Croix, et au tems de julien l’Apostat ? Au tems de saint Chrysostome, Ambroise, Augustin, on a veu plusieurs miracles qu’eux mesmes recitent. Pourquoy voules vous , donques, que la mesme Eglise cesse maintenant d’avoir des miracles ? quelle rayson y auroit il ? Pour vray, ce que nous avons tousjours veu, en toutes sortes de saisons, accompagner l’Eglise, nous ne pouvons que nous ne l’appellions proprieté de l’Eglise : la vraye Eglise donques faict paroistre sa sainteté par miracles. Que si Dieu rendoit si admirable et le Propitiatoire, et son Sinaï, et son buisson ardent, parce qu’il y vouloit parler avec les hommes, pourqouoy n’a il rendu miraculeuse son Eglise, en laquelle il veut a jamais demeurer ?

ARTICLE VII

L’EGLISE CATHOLIQUE EST ACCOMPAGNEE DE MIRACLES ET LA PRETENDUE NE L’EST POINT

137 Icy maintenant je desire que vous vous monstries raysonnables, sans chicaneries et opiniastreté. Informations prinses deüement et authentiquement, on trouve que, sous le commencement de ce siecle, saint François de Paule a fleuri en miracles indubitables, comme est la ressuscitation des mortz ; on en trouve tout autant de saint Diegue d’Alcala : ce ne sont pas bruits incertains, mais preuves assignees, informations prinses.

Oseries vous nier l’apparition de la Croix faicte au vaillant et catholique capitaine Albuquerque et a toutes siennes gens en Camarane, que tant d’historiens escrivent (Vide Maffaeum, Hist Ind l 5), et a laquelle tant de gens avoyent eu part ?

Le devot Gaspard Berzee, es Indes, guerissoit les malades priant seulement Dieu pour eux a la Messe, et si soudainement qu’autre que la main de Dieu ne l’eust peu faire. Le bienheureux François Xavier a gueri des paralitiques, sourds, muetz, aveugles, a ressuscité un mort, son cors n’a peu estre consumé quoy qu’il eust esté enterré avec de la chaux, comme ont tesmoigné ceux qui l’ont veu entier quinze mois apres sa mort (Maff l 15) ; et ces deux derniers sont mortz des 45 ans en ça.

En Meliapor on a trouvé une croix, incise sur une pierre, laquelle on estime avoir esté enterree par les Chrestiens du tems de saint Thomas : chose admirable neantmoins veritable, presque toutes les annes, environ la feste de ce glorieux Apostre, ceste croix-la sue abondance de sang, ou liqueur semblable au sang, et change de couleur, se rendant blanche pasle, puys noire, et tantost de couleur bleue resplendissante et tres aggreable, en fin elle revient a sa couleur naturelle ; ce que tout le peuple voit, et l’Evesque de Cocine en a envoyé une publique attestation, avec l’image de la croix, au saint Concile de Trente (Maff l 2). Ainsy se font les miracles es Indes ou la foy n’est encores du tout affermie ; desquelz je laisse un monde, pour me tenir en la briefveté que je dois.

Le bon pere Louys de Grenade, en son Introduction sur le Symbole, recite plusieurs miracles recens et irreprochables. Entre autres, il produit la guerison que les Roys de Frnace catholiques ont faict, de nostre ange mesme, de l’incurable maladie des escrouelles, ne disant autre que ces paroles : " Dieu te guerit, le Roy te touche ", n’y employant autre disposition que de se confesser et communier ce jour la.

J’ay leu l’histoire de la miraculeuse guerison de Jaques, filz de Claude André, de Belmont, au balliage de Baulme, en Bourgogne : il avoit esté huit annees durant muet et impotent ; apres avoir faict sa devotion en l’eglise de saint Claude le jour mesme de la feste, huitiesme Juin 1588, il se trouva tout soudainement sain et gueri. Cela l’appelles vous pas miracle ? Je parle de chose voisine, j’ay leu l’acte public, j’ay parlé au notaire qui l’a receu et expedié, bien et deüement signé, Vion ; il n’y manqua pas de tesmoins, car il y avoit du peuple a milliades. Mays que m’arreste je faire a vous produire les miracles de nostre aage ? saint Malachie, saint Bernard et saint François estoyent ilz pas de nostre Eglise ? Vous ne le sçauries nier ; ceux qui ont escrit leurs vies sont tres saintz et doctes, car mesme saint Bernard a escrit celle de saint Malachie, et saint Bonaventure celle de saint François, auxquelz ni la suffisance ni la conscience ne manquoyent point, et neantmoins ilz y racontent plusieurs grans miracles : mays sur tout les merveilles qui se font maintenant, a nos portes, a la veüe de nos Princes et de toute nostre Savoye, pres de Mondevis, devroyent fermer la porte a toutes opiniastretés.

Or sus, que dires vous a cecy ? dires vous que l’Antichrist fera des miracles ? Saint Pol atteste qu’ilz seront faux (2 Thess 2, 9), et pour le plus grand que saint Jan produit (Apoc 13, 13), c’est qu’il fera descendre le feu du ciel. Satan peut faire telz miracles, ains en a faict sans doute ; mais Dieu laissera un prompt remede a son Eglise, car a ces miracles la les serviteurs de Dieu, Helie, Enoch, comme tesmoignent l’Apocalipse (11, 5-6) et les interpretes, opposeront des autres miracles de bien autre estoffe, car, non seulement ilz se serviront du feu pour chastier miraculeusement leurs ennemis, mais auront pouvoir de fermer le ciel a fin qu’il ne pleuve point, de changer et convertir les eaux en sang, et de frapper la terre du chastiment que bon leur semblera ; trois jours et demy apres leur mort ilz ressusciteront et monteront au ciel, la terre tremblera a leur montee. Alhors donq, par l’opposition de vrays miracles, les illusions de l’Antichrist seront descouvertes, et comme Moïse fit en fin confesser aux magiciens de Pharaon, Digitus Dei est hic (Exod 8, 19), ainsy Helie et Enoch feront en fin que leurs ennemis dent gloriam Deo caeli (Apoc 11, 13). Helie fera en ce tems la de ses saintz tours de prophete, qu’il faisoit jadis pour dompter l’impieté des Baalites et autres religionnaires (3 Rois 18).

Je veux donq dire, 1. que les miracles de l’Antichrist ne sont pas telz que ceux que nous produisons pour l’Eglise, et partant ne s’ensuit pas que, si ceux la ne sont pas Marque d’Eglise ceux cy ne le soyent aussi, ; ceux la seront monstrés faux et combattus par des plus grans et solides, ceux cy sont solides, et personne n’en peut plus opposer de plus asseurés. 2. Les merveilles de l’Antichrist ne seront qu’une bouttade de trois ans et demy, mais les miracles de l’Eglise luy sont tellement propres que des qu’elle est fondee elle a tousjours esté reluisante en miracles ; en l’Antichrist les miracles seront forcement, et ne dureront pas, mais en l’Eglise ilz y seront naturellement en sa surnaturelle nature, et partant ilz sont tousjours, et tousjours l’accompagnent, pour verifier la parole, ces signes suivront ceux qui croiront (Marc, ult 17).

Vous diries volontiers que les Donatistes ont faict miracles, au rapport de saint Augustin (De Unit Eccles c 19) ; mais ce n’estoyent que certaines visions et revelations, desquelles ilz se vantoyent sans aucun tesmoignage : certes, l’Eglise ne peut estre prouvee vraye par ces visions particulieres ; au contraire, ces visions ne peuvent estre prouvees ou tenues pour vrayes sinon par le tesmoignage de l’Eglise, dict le mesme saint Augustin. Que si Vespasien a gueri un aveugle et un boiteux, les medecins mesmes, au recit de Tacitus (Hist l 4 §81), trouverent que c’estoit un aveuglement et une perclusion qui n’estoyent pas incurables ; ce n’est donques pas merveille si le diable les sceut guerir. Un juif estant baptizé se vint presenter a Paulus, evesque novatien, pour estre rebaptizé, dict Socrates (Lib 7 c 17) ; l’eau des fons tout incontinent s’esvanouit : ceste merveille ne se fit pas pour la confirmation du Novatianisme, mays du saint Baptesme, qui ne devoit pas estre reiteré. Ainsy " quelques merveilles se sont faictes ", dict saint Augustin (De civ Dei l 10, c 15), " chez les payens " : non pas pour preuve du paganisme, mays de l’innocence, de la virginité et fidelité, laquelle, ou qu’elle soit, est aymee et prisee de son autheur ; Or ces merveilles ne se sont faites que rarement ; donques on n’en peut rien conclure : les nuees jettent quelques fois des esclairs, mays ce n’est que le soleil qui a pour marque et proprieté d’esclairer.

Fermons donques ce propos. L’Eglise a tousjours esté accompagnee de miracles solides et bien asseurés, comme ceux de son Espoux, donques c’est la vraye Eglise ; car, me servant en cas pareil de la rayson du bon Nicodeme (Jean 3, 2), je diray : Nulla societas potest haec signa facere quae haec facit, tam illustria aut tam constanter, nisi Dominus fuerit cum illa (Jean 3, 2) ; et comme disoit Nostre Seigneur aux disciples de saint Jan, Dicite, caeci vident, claudi ambulant, surdi audiunt (Matt 11, 4-5 ; Luc 7, 22), pour monstrer qu’il estoit le Messie, ainsy, oyant qu’en l’Eglise se font de si solemnelz miracles, il faut conclure que vere Dominus est in loco isto (Gen 28, 16).

Mais quant a vostre pretendue Eglise, je ne luy sçaurois dire autre sinon, Si potest credere, omnia possibilia sunt credenti (Marc 9, 22) ; si elle estoit la vraye Eglise elle seroit suivie de miracles. Vous me confesseres que ce n’est pas de vostre mestier de faire des miracles, ni de chasser les diables ; une fois il reussit mal a l’un de vos grans maistres qui s’en vouloit mesler, ce dict Bolsec (In vita Calvini, c 13) : Illi de mortuis vivos suscitabant, ce dict Tertullien (De Praes c 30), istis de vivis mortuos faciunt. On faict courir un bruit que l’un des vostres a gueri une fois un demoniaque ; on ne ndict toutefois poinct, ou, quand, comment, la personne guerie, ni quelque certain tesmoin. Il est aysé aux apprentifz d’un mestier de s’equivoquer en leur premier essay ; on faict souvent courir certains bruitz parmi vous pour entretenir le simple peuple en haleyne, mays n’ayans point d’autheur ne doivent avoir point d’authorité : outre ce que, au chassement du diable, il ne faut tant regarder ce qui se faict, comme il faut considerer la façon et la forme comme on le faict ; si c’est par oraisons legitimes et invocations du nom de Jesus Christ. Puys, une hirondelle ne faict pas le printems ; c’est la suite perpetuelle et ordinaire des miracles qui est Marque de la vraye Eglise, non accident : mais ce seroit se battre avec l’ombre et le vent, de refuter ce bruit, si lasche et si debile que personne n’ose dire de quel costé il est venu.

Toute la responce que j’ay veüe chez vous, en ceste extreme necessité, c’est qu’on vous faict tort de vous demander des miracles : aussi faict on, je vous promets ; c’est se mocquer de vous, comme qui demanderoit a un mareschal qu’il mist en oeuvre une emeraude ou diamant. Aussi ne vous en demande je point ; seulement je vous prie que vous confessies franchement que vous n’aves pas faict vostre apprentissage avec les Apostres, Disciples, Martyrs et Confesseurs, qui ont esté maistres du mestier.

Mays quand vous dites que vous n’aves besoin de miracles parce que vous ne voules establir une foy nouvelle, dites moy donq encores si saint Augustin, saint Hierosme, saint Gregoire, saint Ambroise et les autres preschoyent une nouvelle doctrine, et pourquoy donq se faisoit il tant de miracles et si signalés comme ilz produisent ? Certes, l’Evangile estoit mieux receu au monde qu’il n’est maintenant, il y avoit de plus excellens pasteurs, plusieurs martyres et miracles avoyent precedé, mays l’Eglise ne laissoit pas d’avoir encores ce don des miracles, pour un plus grand lustre de la tres sainte Religion. Que si les miracles doivent cesser en l’Eglise, c’eust esté au tems de Constantin le Grand, apres que l’Empire fut faict Chrestien, que les persecutions cesserent, et que le Christianisme estoit bien asseuré, mais tant s’en faut qu’ilz cessassent alhors, qu’ilz multiplierent de tous costés. Au bout de la, la doctrine que vous presches n’a jamais esté annoncee, en gros, en detail ; vos predecesseurs heretiques l’ont preschee, auxquelz vous vous accordes avec chacun en quelque point et avec nul en tous, ce que je feray voit cy apres. Vostre eglise ou estoit elle, l y a 80 ans ? elle ne faict que d’esclore, et vous l’appelles vielle.

Ha, ce dites vous, nous n’avons point faict nouvelle eglise, nous avons frotté et espuré cette vielle monnoye, laquelle, ayant long tems demeuré couverte es masures, s’estoit toute noircie, et souïlle de crasse et moisi. Ne dites plus cela, je vous prie, que vous aves le metail et calibre ; la foy, les Sacremens, sont ce pas des ingrediens necessaires pour la composition de l’Eglise ? et vous aves tout changé, et de l’un et de l’autre ; vous estes donques faux monnoyeurs, si vous ne monstres le pouvoir que vous pretendes de battre sur le coin du Roy telz calibres. Mais ne nous arrestons pas icy : aves vous espuré ceste Eglise ? aves vous nettoyé ceste monnoye ? monstres nous, donques, les caracteres qu’elle avoit quand vous dites qu’elle cheut en terrre, et qu’elle commença a se rouiller. Elle tomba, ce dites vous, au tems de saint Gregoire ou peu apres. Dites ce que bon vous semblera, mais en ce tems la elle avoit le caractere des miracles ; monstres le nous maintenant, car, si vous ne vous monstres bien particulierement l’inscription et l’image du Roy en vostre monnoye, et nous la vous monstrons en la nostre, la nostre passera comme loyale et franche, la vostre, comme courte et rognee, sera revoyee au billon. Si vous nous voules representer l’Eglise en la forme qu’elle avoit au tems de saint Augustin, monstres la nous non seulement bien disnate mais bien faisante en miracles et saintes operations, comme elle estoit alhors. Que si vous voulies dire qu’alhors elle estoit plus nouvelle que maintenant, je vous respondrois, qu’une si notable interruption comme est celle que vous pretendes, de 900 ou mille ans, rend ceste monnoye si estrange que si on n’y voit en grosses lettres les caracteres ordianires, l’inscription et l’image, nous ne la recevrons jamais. Non, non, l’Eglise ancienne estoit puissante en toute saison, en adversité et prosperité, en oeuvres et en paroles, comme son Espoux, la vostre n’a que le babil, soit en prosperité ou adversité ; au moins qu’elle monstre maintenant quelques vestiges de l’ancienne marque, autrement jamais elle ne sera receue comme vraye Eglise, ni fille de ceste ancienne Mere. Que si elle s’en veut vanter davantage, on luy imposera silence avec ces saintes paroles : Si filii Abrahae estis, opera Abrahae facite (Jean 8, 39) : la vraye Eglise des croyans doit tousjours estre suivie de miracles, il n’y a point d’Eglise en nostre aage qui en soit suivie que la nostre, la nostre donques seule est la vraye Eglise.


Sales, Controverses 127