Sales, Controverses 242


ARTICLE III

COMBIEN LES MINISTRES ONT MESPRISE ET VIOLE L’AUTHORITE DES CONCILES

243 Maintenant, demeureres vous endormis a ceste secousse que vos maistres ont donné a l’Eglise ? penses a vous, je vous prie. Luther, au livre quil a faict Des Conciles (Pars Ia, sub finem), ne se contente pas d’esbranler les pierres descouvertes, mays va mettre la sappe jusques aux pierres fondamentales de l’Eglise. Qui croiroit cecy de Luther, tant grand et glorieux reformateur ? au dire de Beze (In lib., Icones, etc.). comme traitte il le grand Concile de Nicee ? par ce que le Concile (Act 15) defend estre receuz au ministere clerical ceux qui se sont taillés eux mesmes, et defend quand et quand aux Ecclesiastiques de tenir en leurs maysons autres femmes que leurs meres et leurs sœurs, hic prorsus, dict Luther, non intelligo Spiritum Sanctum in hoc Concilio. Et pourquoy ? An debebit episcopus aut concionator illum intolerabilem ardorem et aestum amoris illiciti sustinere, et neque conjugio neque castratione se ab his periculis liberare ? An vero nihil aliud est negotii Spiritui Sancto in Conciliis, quam ut impossibilibus, periculosis, non necessariis legibus suos ministros obstringat et oneret ? Il n’excepte point de Concile, ains tient asseurement qu’un curé seul peut autant qu’un Concile : voyla l’opinion de ce grand reformateur.

Mays qu’ay je besoin de courir loin ? de Beze dict, en l’Epistre au Roy de France (vide supra, c 3 art 1), que vostre reformëe ne refusera l’authorité d’aucun Concile ; voyla qui est bon, mauys ce qui s’ensuit gaste tout : " pourveü ", dict il, " que la Parole de Dieu en face l’espreuve ". Mays, mon Dieu,quand cessera on de brouiller ? les Conciles, pares toute consultation, espreuve faite a la sainte pierre de touche de la Parole de Dieu, jugent et determinent d’un article ; si apres tout cela il faut un’autre espreuve avant qu’on reçoive ceste determination, n’en faudra il encores une autre ? qui ne voudra espreuver ? et quand finira on jamais ? apres l’espreuve faite par le Concile, de Beze et ses disciples veulent encores espreuver ; et qui gardera a un autre d’en demander autant ? pour sçavoir si l’espreuve du Concile a esté bien faite, pourquoy n’en faudra il une troysiesme pour sçavoir si la seconde est fidelle ? et puys une quatriesme pour la troysiesme ? tout sera refaire, et la posterité ne se fiera jamais a l’antiquité, mays ira roulant et mettant ores dessus ores dessous les plus saintz articles de la foy en la roüe de l’entendement. Nous ne sommes pas en doute sil faut recevoir une doctrine a la volëe, ou sil en fait faire l’espreuve a la touche de la Parole de Dieu ; mays nous disons que quand un Concile general en a faict l’espreuve, nos cerveaux n’y ont plus rien a revoir, mays seulement a croire : que si une fois on remet les canons des Conciles a l’espreuve des particuliers, autant de particuliers autant d’espreuves, autant d’espreuves que d’opinions. L’article de la realité du Cors de nostre Seigneur au tressaint sacrement avoit esté receu avec l’espreuve de plusieurs Conciles ; Luther a voulu faire un’autre espreuve, Zuingle un’autre sur celles cy, Calvin un’autre, autant d’espreuves ; autant d’espreuves autant d’opinions.

Mays, je vous prie, si l’espreuve faite par un Concile general n’est asses authentique pour arrester le cerveau des hommes, comme l’authorité d’un quidam le pourra faire ? Voyci une grand’ambition. Des plus doctes ministres de Losanne, ces annëes passëes, l’Escriture et l’analogie de la foy en main, s’opposent a la doctrine de Calvin touchant la justification ; de soustenir l’effort de leurs raysons point de nouvelles, quoy qu’on face trotter certains petitz livretz morfonduz, sans goust ni pointe de doctrine : comme les traitte l’on ? on les persecute, on les faict absenter, on les faict menasser ; a quel propos cela ? par ce quilz enseignent une doctrine contrayre a la profession de foy de nostr’eglise. Bonté de Dieu ; on sousmet a l’epreuve de Luther, Calvin et Beze la doctrine du Concile de Nicee, pares treze cens ans d’approbation, et on ne veut pas qu’on face l’espreuve de la doctrine calvinesque, toute nouvelle, toute douteuse, rappetassee et bigarrëe. Que ne laissoit on a chacun faire son espreuve ? si celle de Nicee n’a pas peu arrester vos cerveaux, pourquoy voules vous par vos discours mettre un arrest aux cerveaux de vos compaignons, aussi gens de bien que vous, aussi doctes et pertinentz ? Connoisses l’iniquité de ces juges : pour donner liberté a leurs opinions ilz avilissent les anciens Conciles, et veulent par les leurs brider celles des autres ; ilz cherchent leur gloire, connoisses-le bien, et tout autant quilz en levent aux Anciens, ilz s’en attribuent.

Mays revenons au mespris quilz font aux Conciles, et combien ilz violent ceste sainte Regle de bien croire. De Beze , en l’Epistre au Roy de France et au Traitté mesme, dict que " le Concile de Nicëe a esté un vray et legitime Concile sil y en eut onques " ; il dict vray, jamays bon Chrestien n’en douta, ni des autres troys premiers : mays sil est tel, pourquoy est ce que Calvin apelle dure la sentence du Concile en son Simbole, Deum de Deo, lumen de lumine (In lib advers Gentilem) ? et que veut dire que ceste parole, ?????????, deplaict tant a Luther (in lib Confutat. Rationis latom.), Anima mea odit hoc verbum, homoousion? Parole laquelle est si recommandable en ce grand Concile. Que veut dire que vous ne tenes conte de la realité du Cors de Nostre Seigneur au Saint Sacrement, que vous appelles superstition le tres saint Sacrifice qui se faict par les prestres, du mesme precieux Cors du Sauveur, et que vous ne voules point mettre difference entre l’Evesque et le prestre ? puysqu’en ce grand Concile (can 14 al 18) tout y est si expressement non ja defini mays praesupposé comme chose toute notoire en l’Eglise. Jamais Luther ni Pierre Martir ou Ochin n’eussent estés de vos ministres silz eussent eu en memoyre les actions du grand Concile de Calcedoyne (Can 4, 7, 14, 15, 17) ; car il y est defendu tres expres que les religieux et religieuses ne se marient point. O quil feroit bon voir le tour de ce vostre lac si on eust eu en reverence ce Concile de Calcedoyne (Can 17, 20, 21, 22, 23), o que vos ministres se fussent bien souvent teuz, et bien a propos, car il y a expres comandement aux laicz de ne toucher aucunement aux biens ecclesiastiques, a un chacun de ne faire aucune conjuration contre les Evesques, et de ne calomnier en faitz ni en paroles les gens d’Eglise. Le Concile Constantinopolitain defere la primauté au Pape de Rome, et la presuppose comme notoire (Can 5 al 3) ; aussy faict bien celuy de Calcedoine (Act 4 et 16). Mais i a il article auquel nous ayons different avec vous qui n’ait esté plusieurs fois condamné es saintz Conciles generaux ou particuliers generalement receus ? et neantmoins vos ministres les ont reveillés sans honte, sans scrupule, nom plus que si c’eussent estés quelques saintz depostz et tresors cachés a l’antiquité, ou que l’antiquité eust serrés bien curieusement affin que nous en eussions la jouissance en cest aage.

Je sçai qu’es Conciles il y a des articles pour l’ordre et police ecclesiastique, qui peuvent estre changés et ne sont que temporelz, mays ce n’est pas aux particuliers d’y mettre la main : la mesm’authorité qui les a dressés les doit abroger, si quelqu’autre s’en mesle c’est pour neant ; et ce n’est pas la mesm’authorité si ce n’est un Concile, ou le chef general, ou la coustume de toute l’Eglise. Quant aux decretz de la doctrine de la foi, ilz sont invariables ; ce qui est une fois vray, l’est en eternité ; aussi les Conciles appellent Canons ce quilz en determinent, par ce que sont Regles inviolables a nostre creance. Mays tout cecy s’entend des vrays Conciles, ou generaux, ou provinciaux advoüés par les generaux ou par le Siege Apostolique : tel que ce ne fut pas le cas des 400 prophetes assemblés par Achab (3 Rois 22, 6) ; car il ne fut ni general, car ceux de Judas n’y furent point apellés, ni bien congregé, car il n’y eut point d’authorité sacerdotale, et ces prophetes n’estoyent pas legitimes et pour telz reconneuz par le roy de Juda, Josaphat, quand il dict : Non est hic propheta Domini, ut interogemus per eum (vers 7) ? comme sil eust voulu dire que les autres ne s’estoyent pas prophetes du Seigneur. Tel ne fut pas nomplus l’assemblëe des prestres contre Nostre Seigneur (Jean 11, 47), qui ne tint aucune forme de Concile, mays fut une conspiration tumultuaire et sans aucune procedure requise, et laquelle tant s’en faut qu’elle eust asseurance en l’Escriture de l’assistence du Saint Esprit, qu’au contrayre elle en avoit esté declairëe privëe par les Prophetes ; et de vray, la rayson vouloit que le Roy estant praesent les lieutenans perdissent l’authorité, et le grand Prestre praesent, la majesté du vicayre fut ravalëe a la condition des autres. Sans authorité du supresme chef de l’Eglise, qui estoit Notre Seigneur , lhors present d’une praesence visible, et lequel ilz estoyent obligés de reconnoistre : a la verité, quand le grand Sacrificateur est praesent visiblement, le vicayre ne se peut appeler chef, quand le gouverneur d’une forteressse est praesent, c’est a luy de donner le mot, non a son lieutenant. Outre tout cela, la Sinagogue devoit estre changëe et transferëe en ce tems la, et ceste sienne faute avoit esté predicte (Jean 12, 31.37.38 ;15, 25), mays l’Eglise Catholique ne doit jamays estre transferëe pendant que le monde sera monde, nous n’attendons point de troysiesme legislateur ni aucun autre sacerdoce, mays doit estre aeternelle. Et neantmoins, Nostre Seigneur fit cest honneur a la sacrificature d’Aaaron, que non obstant toute la mauvaise intention de ceux qui la posssdoyent, le grand Prestre prophetisa et prononça une sentence tres certayne, Quia expedit ut unus moriatur homo pro populo, ut non tota gens pereat (Jean 11, 50-51) ; ce quil ne dict pas de luy mesme et a cas, mays prophetiquement, dict l’Evangile, par ce quil estoit Pontife de ceste annëe la. Ainsy voulut Nostre Seigneur conduire ceste Sinagogue et l’authorité sacerdotale avec un remarquable honneur a la sepulture, pour luy faire succeder l’Eglise Catholique et le sacerdoce Evangelique ; et la, ou la Sinagogue prit fin , qui fut en la resolution de faire mourir Nostre Seigneur, l’Eglise fut fondëe par ceste mort mesme : Opus consummavi quod dedisti mihi ut faciam (Jean 17, 4), dict Nostre Seigneur apres la cene, et en la cene nostre Seigneur avoit institué le nouveau testament, si que le viel, avec ses ceremonies et son sacerdoce, perdit ses forces et ses privileges, quoy que la confirmation du nouveau ne se fit que par la mort du testateur, comme parle saint Pol (Heb 9, 15). Il ne faut donq plus mettre en conte les privileges de la Sinagogue, qui estoient fondés sur un testament viel, et abrogé quand ilz disoyent ces cruelles paroles, Crucifige (Marc 15, 13-14), ou ces autres, Blsphemavit, quid adhuc egemus testibus? car ce n’estoyt autre qu’heurter a la pierre de choppement, selon les anciennes praedictions (Is 8, 14).

J’ay voulu lever ocasion a ces deux objections qu’on faict contre l’infallible authorité des Conciles et de l’Eglise ; les autres s’iront resoulvant cy apres, es essays particuliers que nous ferons de la doctrine Catholique : il n’y a chose si certayne qui n’ait des oppositions, mays la verité demeure ferme et glorieuse par les assautz de ses contraires.


CHAPITRE V

LES MINISTRES ONT VIOLE L’AUTHORITE DES ANCIENS PERES DE L’EGLISE

5E REGLE DE NOSTRE FOY

ARTICLE PREMIER

ET 1. COMBIEN L’AUTHORITE DES ANCIENS PERES EST VENERABLE

251 Theodose le Viel ne trouva poinct de meilleur moyen de reprimer les contentions survenües de son tems au faict de la religion que, suyvant le conseil de Sisinnius, de faire venir les chefz des sectes, et leur demander silz tenoyent les anciens Peres, qui avoyent eu charge en l’Eglise avant toutes ces disputes, pour gens de bien, saintz, bons Catholiques et apostoliques ; a quoy les sectaires respondans qu’ouy, il leur repliqua : examinons donques vostre doctrine a la leur, et si elle se trouve conforme, retenons la , si moins, qu’on l’abolisse (Sozom l 7 Hist c 12). Il ny a point de meilleur expedient au monde : ja que Calvin et Beze confessent que l’Eglise demeura pure les six premieres centeynes d’annees, que nous regardions si vostre eglise est en mesme foy et doctrine que cellela ; et qui nous pourra mieux tesmoigner la foy que l’Eglise suyvoit en ces anciens tems, que ceux qui vivoyent alhors avec elle et en sa table ? qui pourra mieux desduire le deportemens de ceste celest’Epouse, en la fleur de son aage, que ceux qui ont eu cest honneur d’avoir les principaux offices chez elle ? Et de ce costé, les Peres meritent qu’on leur adjouste foy non pour l’exquise doctrine dont ilz estoyent pourveuz, mays pour la realité de leurs consciences, et la fidelité avec laquelle ilz ont marché en besoigne.

On ne requiert pas tant au tesmoin le sçavoir, que la preudhommie et bonne foy. Nous ne les voulons pas icy pour autheurs de nostre foy, mays seulement pour tesmoins de la creance en laquelle vivoyt l’Eglise de ce tems la ; personne n’en peut deposer plus pertinemment qu’eux qui y commandoyent, ilz sont irreprochables de tous costés ; qui veut sçavoir le chemin que l’Eglise a tenu en ce tems la, qui le demande a ceux qui l’ont tres fidelement accompagnee : Sapientiam omnium antiquorum exquiret sapiens, et in prophetis vacabit ; narrationem virorum nominatorum conservabit (Eccles 39, 1-2). Oyes ce que dict Hieremie : Haec dicit Dominus : state super vias, et videte et interrogate de semitis antiquis quae sit via bona, et ambulate in ea, et invenietis refrigerium animabus vestris (Jer 6, 16) ; et le Sage : Non te praeterat narratio seniorum, ipsi enim didicerunt a patribus suis (Eccles 8, 11). Mays nous ne devons pas seulement honorer leurs tesmoignages comme tres asseurés et irreprochables, ains encores bailler grand credit a leur doctrine sur toutes nos inventions et curiosités. Nous ne sommes pas en doute si les Peres anciens doivent estre tenuz pour autheurs de nostre foy, nous sçavons mieux que tous vos ministres que non ; ni ne sommes pas en dispute s’il faut recevoir pour certain ce qu’un ou deux Peres auront eu en opinion. Voicy nostre different : vous dites que vous aves reformé vostre eglise sur le patron de l’Eglise ancienne ; nous le nions, et prenons a tesmoins ceux qui l’ont veüe, qui l’ont conservëe, qui l’ont gouvernëe ; n’est ce pas une preuve franche et nette de toute supercherie ? icy nous ne produysons que la preudhommie et bonne foy des tesmoins. Outre cela, vous dites que vostre eglise a estëe taillëe a la regle et compas de l’Escriture ; nous le nions, et disons que vous aves accourcy, estressy et plié ceste regle, comme faysoyent ceux de Lesbos, pour l’accomoder a vostre cerveau, et … et reformëe selon la vraye inteligence de l’Escriture ; nous le nions, et disons que les anciens Peres ont eu plus de suffisance et d’erudition que vous , et neantmoins ont jugé que l’inteligence des Escritures n’estoit pas telle que vous dittes ; n’est ce pas une preuve tres certaine ? Vous dites que selon les Escrittures il faut abolir la Messe ; tous les anciens Peres le nient : a qui croirons nous, ou a ceste troupe d’Evesques et martirs anciens, ou a ceste bande de nouveaux venuz ? voyla ou nous en sommes. Or, qui ne voit qu’au premier cas c’est une impudence intolerable de refuser creance a ceste milliade de Martirs, Confeseurs, Docteurs qui nous ont praecedé ? et si la foy de ceste ancienne Eglise nous doit servir de Regle pour bien croire, nous ne sçaurions mieux trouver ceste Regle qu’es escritz et depositions de ces tressaintz et signalés ayeulz.

CHAPITRE VI

Que les Ministres ont violé l’Autorité du Pape

6e Règle de notre Foi

ARTICLE PREMIER

PREMIERE PROMESSE (FAITE A SAINT PIERRE)

261 Quand Nostre Seigneur impose un nom aux hommes, il leur faict tousjours quelque grace particuliere selon le nom quil leur baille : sil change le nom de ce grnad pere des croyans, et d’Abram le faict Abraham, aussi de Pere eslevé il le faict Pere de multitude, apportant la rayson tout incontinent : Appellaberis Abraham, quia patrem multarum gentium constitui te (Gen 17, 5) ; et changeant celuy de Sarai en Sara, de Madame particuliere qu’elle estoit chez Abraham, il la rend Dame generale des nations et peuples qui devoyent naistre d’elle (vers 15-16). Sil change Jacob en Israel, la rayson est en realité sur le champ: Par ce que si tu as esté puyssant contre Dieu, combien plus surmonteras tu les hommes ? (Gen 32, 28) Si que Dieu, par les noms quil impose, ne marque pas seulement les choses nommëes, mays nous instruit de leurs qualités et conditions : tesmoins les Anges, qui ne portent point de noms que selon leurs charges, et saint Jan Baptiste, qui porte la grace en son nom qui annonça en sa praedication ; ce qui est ordinaire a ceste sainte langue des israelites. Ainsy l’imposition de nom en saint Pierre (Jean 1, 42) n’est pas un petit argument de l’excellence particuliere de sa charge, selon la rayson mesme que Nostre Seigneur y attacha, Tu es Petrus, etc.

Mays quel nom luy donne il ? nom plein de majesté, non vulgaire ni trivial, mays qui ressent sa superiorité et authorité, semblable a celuy d’Abraham mesme : car, si Abraham fut ainsy appelé par ce quil devoit estre pere de plusieurs peuples, saint Pierre a receu ce nom par ce que sur luy, comme sur une pierre ferme, devoit estre fondëe la multitude des Chrestiens ; et c’est a ceste ressemblance que saint Bernard appelle la dignité de saint Pierre, " Patriarchat d’Abraham " (l 2 de Cons c 8). Quand Isaïe veult exhorter les juifz par l’exemple d’Abraham leur tige, il apelle Abraham, pierre : Attendite ad petram unde excisi estis, attendite ad Abraham patrem vestrum (51, 1-2) ; ou il faict voir que ce nom de Pierre rapporte fort bien a l’authorité paternelle.

Ce nom est l’un de ceux de Nostre Seigneur ; car, quel autre nom trouvons nous attribué plus frquemment au Messie que celuy de pierre (Eph 2, 20 ; Ps 117, 21 ; 1 Cor 10, 4) ? ce changement donques, et ceste imposition de nom, est tres considerable, car les noms que Dieu donne sont moelleux et massifz : il communique son nom a saint Pierre, il luy a donques communisqué quelque qualité sortable au nom. Nostre Seigneur est apellé principalement pierre, parce quil est fondement de l’ Eglise (1 Cor 3, 10) et pierre angulaire (Eph 2, 20 ; 1 Pierre 2, 6-7), l’appuy et la fermeté de cest edifice spirituel ; ainsy a il declairé que sur saint Pierre seroit edifiëe son Eglise (Matt 16, 18), et quil l’affermiroit en la foy : Confirma fratres tuos (Luc 22, 32). Je sçai bien quil imposa nom aux deux freres Jan et Jaques, Boanerges, enfans de tonnerres (Marc 3, 17), mays ni ce nom n’est point nom de superieurité ou commandement, ains d’obeissance, ni propre ou particulier, mays commun a deux ; ni ne semble pas quil leur fut permanent, puysque jamais ilz n’en sont appellés despuys, mays que ce fut plus tost un tiltre de louange, a cause de l’excellence de leur praedication. Mays en saint Pierre il donne un nom permanent, plein d’authorité, et qui luy est si particulier que nous pouvons bien dire auquel des autres a il dict, tu es pierre (heb 1, 5) ? pour monstrer que saint Pierre a esté superieur aux autres.

Mays je vous adviseray que nostre Seigneur n’a pas changé le nom de saint Pierre, mays a seulement joint un nouveau nom a l’ancien quil avoit ; peut estre affin quil se resouvint en son authorité de ce quil estoit de son estoc, et que la majesté du second nom fust attrempëe par l’humilité du premier, et que si le nom de Pierre le nous faisoit reconnoistre pour chef, le nom de Simon nous avisast qu’il n’estoit pas chef absolu, mays chef obeissant, subalterne et maistre valet. Il me semble que saint basile donne atteinte a ce que je dis, quand il dict : Petrus ter abnegavit, et colocatus est in fundamento. Petrus jam antea dixerat, et beatus pronunciatus fuerat ; dixerat, Tu es Filius Dei excelsi, et vicissim audierat se esse Petram, ita laudatus a Domino. Licet enim petra esset, non tamen Petra erat ut Christus ; ut Petrus, Petra erat. Nam Chrisuts vere est immobilis Petra, petrus vero propter Petram ; axiomata namque sua Chrsitus largitur autem ea non evacuatus, sed nihilo minus habens : petra est et Petram fecit, quae sua sunt largitur servis suis ; argumentum hoc est opulenti, habere videlicet et aliis dare. (Homil de Poenit § 4 )

Ainsy parle saint Basile.

Qu’est ce qu’il (Nostre Seigneur) dict ? Trois choses ; mays il les faut considerer l’une apres l’autre : Tu es Petrus, et super hanc petram adificabo Ecclesiam meam, et portae inferi non praevalebunt adversus eam ; Et tibi dabo claves regni caelorum ; quodcumque, etc. (Matt 16, 18-19) que il estoit pierre ou rocher, et sur ce rocher ou ceste pierre il edifieroit son Eglise. Mays nous voicy en difficulté : car on accorde bien que Nostre Seigneur ait parlé a saint Pierre et de saint Pierre jusques icy, et super hanc petram, mays que par ces paroles il ne parle plus de saint Pierre. Or, je vous prie, quelle apparence y a il que Nostre Seigneur eust faict ceste grande praeface, Beatus es Simon Bar Jona, quia caro et sanguis non revelavit tibi, sed Pater meus qui in caelis est ; et ego dico tibi (vers 17), pour ne dire autre sinon, quia tu es Petrus, puys, changeant tout a coup de propos, il allast parler d’autre chose ? Et puys, quand il dict, et sur ceste pierre j’edifieray mon Eglise, ne voyes vous pas quil parle notoirement de la pierre delaquelle il avoit parlé praecedemment ? et de quell’autre pierre avoit il parlé que de Simon, auquel il avoit dict, Tu es Pierre ? Mays voicy tout l’equivoque qui peut faire scrupule a vos imaginations ; c’es que peut estre penses vous que comme Pierre est maintenant un nom propre d’homme, il le fut aussy alhors, et que Petrus ne soit pas la mesme chose que petra, et que, partant, nous passions la signification de Pierre a la pierre, par equivocque du masculin au feminin. Mays nous n’equivoquons point icy ; car ce n’est qu’un mesme mot, et pris sous la mesme signification , quand Nostre Seigneur a dict a Simon, Tu es Pierre, et quand il a dict, et sur ceste pierre j’edifieray mon Eglise : et ce mot de pierre n’estoit pas un nom propre d’homme, mays seulement il fut approprié a Simon Bar Jona ; ce que vous entendes bien mieux si on le prend au langage auquel Nostre Seigneur le dict. Il ne parloit pas Latin, mays Syriac ; il l’appela donques, nompas Pierre mays Cepha, en ceste façon, Tu es Cepha, et super hoc cepha aedificabo ; comme qui diroit en Latin, Tu es Saxum, et super hoc saxum, ou en François, Tu es Roche, et sur ceste roche j’edifieray mon Eglise. Maintenant, quel doute reste il que ce n’est qu’un mesme duquel il a dict, Tu es Roche, et duquel il dict, et sur ceste roche ? certes, il ne s’estoit point parlé d’autre Cepha en tout ce chapitre la que de Simon ; a quel propos donques allons nous rapporter ce relatif, hanc, a un autre Cepha que celuy qui est immediatement praecedent ?

Vous me dires : ouy, mais le Latin dict, Tu es Petrus, et non Tu es Petra ; or, ce relatif hanc, a un autre Cepha que celuy qui est immediatement praecedent ?

Vous me dires : ouy, mais le Latin dict, Tu es Petrus, et non Tu es Petra ; or, ce relatif hanc, qui est feminin, ne se sçauroit rapporter a Petrus, qui est masculin. Certes, la version latine a asses d’autres argumentz pour faire connoistre que ceste pierre n’est autre que saint Pierre, et partant, pour accomoder le mot a la personne a qui on le bailloit pour nom, qui estoit masculine, il luy a baillé une terminayson de mesme, a l’imitation du grec qui avoit mis, Tu es ?????? , et super hanc ?????? ; mays il ne reussit pas si heureusement en Latin qu’en grec, par ce qu’en Latin, Petrus ne veut pas dire petra, mays en Grec ?????? et petra n’est qu’un mesme chose ; comme en François rocher et roche (est le mesme) toutefois, s’il me failloit approprier ou l’un ou l’autre a un homme, je luy appliqueroys plus tost le nom de rocher que de roche, pour la correspondance du mot masculin a la personne masculine. Il reste que je vous die sur ceste interpretation quil ni a personne qui doute que Nostre Seigneur n’ait appellé saint Pierre Cepha, car saint Jan le monstre tres expressement (c 1, 42), et saint Pol, aux Galates (2, 9 et alibi), ni que Cepha veuille dire une pierre ou un roch, ainsy que dict saint Hierosme (c 2 ad Gal).

En fin, pour vous monstrer que c’est bien de saint Pierre duquel il dict, et super hanc petram, je produis les paroles suivantes ; car c’est tout un de luy promettre les clefz du royaume des cieux, et de luy dire, super hanc petram ; et neantmoins nous ne pouvons pas douter que ce ne soit saint Pierre auquel il promet les clefz du royaume des cieux, puys quil dict clairement, et tibi dabo claves regni caelorum : si donques nous ne voulons descoudre ceste piece de l’Evangile d’avec les paroles praecedentes et les suivantes, pour la joindre ailleurs a nostre poste, nous ne pouvons croire que tout cecy ne soit dict a saint Pierre et de saint Pierre, Tu es Petrus, et super hancpetram aedificabo Ecclesiam meam ; ce que la vrÿe et pure Eglise Catholique, mesme selon la confession des ministres, a avoüé haut et cler en l’assemblëe de 630 Evesques au Concile de Calcedoyne (Act 3).

Voyons maintenant combien valent ces paroles et ce qu’elles importent. 1nt On sçait que ce que le chef est au cors d’un vivant, la racine en un arbre, le fondement l’est en un bastiment. Nostre Seigneur, donques, qui compare son Eglise a un aedifice, quand il dict quil l’edifiera sur saint Pierre il monstre que saint Pierre en sera la pierre fondamentale, la racine de ce precieux arbre, le chef de ce beau cors. La pierre sur laquelle on releve l’edifice c’est la premiere, les autres s’affermissent sur elle, celles qu’elle ne soustient ne sont pas de l’edifice ; on peut bien remuer les autres pierres sans que bastiment tumbe, mays qui leve la fondamentale, renverse la mayson. Les François appellent, mayson, l’edifice et la famille encores ; par ceste proportion que, comme une mayson n’est autre qu’un assemblage de pierres et autres materieux faict avec ordre, dependance et mesure, ainsy une famille n’est autre qu’un assemblage de gens, avec ordre et dependance les uns des autres. C’est a ceste similitude que Nostre Seigneur appelle son Eglise aedifice, duquel faysant saint Pierre le fondement, il le faict chef et superieur de ceste famille.

2nt Par ces paroles, Nostre Seigneur monstre la perpetuité et immobilité de ce fondement. La pierre sur laquelle on releve l’edifice c’est la premiere, les autres s’affermissent sur elle ; on peut bien remuer les autres pierres sans ruyner l’edifice, mays qui leve la fondamentale, renverse la mayson : si donques les portes d’enfer ne peuvent rien contre l’Eglise, elles ne peuvent rien contre son fondement et chef, lequel elles ne sçauroyent lever et renverser qu’elles ne mettent sans dessus dessous tout le bastiment. Il monstre une des differences quil y a entre saint Pierre et luy : car Nostre Seigneur est fondement et fondateur, fondement et aedificateur de l’Eglise, mays saint Pierre n’en est que fondement ; Nostre Seigneur en est le Maistre et Seigneur(Jean 13, 13) en proprieté, saint Pierre en a seulement l’oeconomie ; dequoy nous dirons cy apres.

3nt Par ces parolles, Nostre Seigneur monstre que les pierres qui ne sont posëes et arrestëes sur ce fondement ne sont point de l’Eglise, ni (n’appartiennent) a cest edifice.

ARTICLE II

RESOLUTION SUR UNE DIFFICULTE

262
Mays une grande preuve au contraire, ce semble aux adversaires, c’est que selon saint Pol, Fundamentum aliud nemo potest ponere praeter id quod positum est, quod est Christus Jesus (1 Cor 3, 11) ; et selon le mesme, nous sommes domestiques de Dieu, superaedificati supra fundamentum Apostolorum et Prophetarum, ipso summo angulari lapide, Christo Jesu (Ephes 2, 19-20) ; et en l’Apocalipse, la muraille de la sainte cité avoit douze fondemens, et en ces douze fondemens le nom des douze Apostres (21, 14). Si dnques, disent ilz, tous les douze Apostres sont fondemens de l’Eglise, comment attribues vous ce tiltre a saint Pierre en particulier ? et si saint Pol dict que personne ne peut mettre autre fondement que Nostre Seigneur, comme oses vous dire que par ces paroles, Tu es Pierre, et sur ceste pierre j’aedifieray mon Eglise, saint Pierre ayt esté estably pour fondement de l’Eglise ? que ne dites vous plutost, dict Calvin (l 4 Inst. 6 § 6), que ceste pierre sur laquelle l’Eglise est fondëe n’est autre que Nostre Seigneur ? que ne dites vous plustost, dict Luther (L de Potest Papae), que c’est la confession de foy que saint Pierre avoit faict ? Mays a la verité, cen ‘est pas une bonne façon d’interpreter l’Escriture, que de renverser l’un des passages par l’autre, ou l’etirer par une intelligence forcëe a un sens estrange et mal advenant ; il faut y laisser tant qu’on peut la naifveté et suavité du sens qui s’y presente. En ce cas donques, puysque nous voyons que l’Escriture nous enseigne qu’il ni a point d’autre fondement que Nostre Seigneur, et que la mesme nous enseigne clairement que saint Pierre l’est encores, et plus outre encores que tous les Apostres le sont, il ne faut pas refuser le premier enseignement pour le second, ni le second pour le troysiesme, ains les laysser tous troys en leur entier ; ce qui se fera aysement si nous considerons ces passages a la bonne foy et franchement.

Et pour vray, Nostre Seigneur est l’unique fondement de l’Eglise : c’est le fondement de nostre foy, de nostr’esperance et charité ; c’est le fondement de la valeur des Sacremens et de nostre foelicité ; et c’est encores le fondement de toute l’authorité et l’ordre ecclésiastique, et de toute la doctrine et administration qui s’y faict ; qui douta jamays de cela ? Mays, me dict on, sil est unique fondement, comment est ce que vous mettes encores saint Pierre pour fondement ? 1. Vous nous faictes tort ; nous ne le mettons pas pour fondement, Celuy la outre lequel on n’en peut point mettre d’autre, l’a mis luy mesme ; si que, si Nostre Seigneur est vray fondement de l’Eglise, comm’il l’est, il faut croire que saint Pierre l’est encores, puysque Nostre Seigneur l’a mis en ce rang : que si quelqu’autre que Nostre Seigneur mesme luy eust donné ce grade, nous crierions tous avec vous : Nemo potest aliud fundamentum ponere praeter id quod positum. 2. Et puys, aves vous bien consideré les paroles de saint Pol ? Il ne veut pas qu’on reconnoisse aucun fondement outre Nostre Seigneur, mays ni saint Pierre ni les autres Apostres ne sont pas fondemens outre Nostre Seigneur, ains sous Nostre Seigneur ; leur doctrine n’est pas outre celle de leur Maistre, mays celle la mesme de leur Maistre. Ainsy la supremse charge qu’eut saint Pierre en l’Eglise militante, a raison de laquelle il est apellé fondement de l’Eglise, comme chef et gouverneur, n’est pas outre l’authorité de son Miastre, ains n’est qu’une participation d’icelle ; si que luy mesme n’est pas fondement de ceste hierarchie outre Nostre Seigneur, mays plus tost en Nostre Seigneur, comme nous l’apellons tressaint Pere en Nostre Seigneur, hors duquel il ne seroit rien. Certes, nous ne reconnoissons point d’authorité seculiere outre celle de son Altesse ; mays nous en reconnoisssons bien plusieurs sous icelle, lesquelles ne sont pas proprement autres que celle de son Altesse, puysqu’elles en sont seulement certaynes portions et participations. 3. En fin, interpretons passage par passage. Saint Pol vous semble il pas se fayre asses entendre quand il dict : Vous estes suredifiés sur les fondemens des prophetes et Apostres ? mays affin qu’on sceut que ces fondemens n’estoient pas outre celuy qu’il praechoit, il adjouste : Ipso summo angulari lapide, Christo Jesu.

Nostre Seigneur donques est fondement, et saint Pierre aussi, mays avec une si notable difference, qu’au pris de l’un , l’autre peut estre dict ne l’estre point. Car Nostre Seigneur est fondement et fondateur, fondement sans autre fondement, fondement de l’Eglise Naturelle, Mosaique et Evangelique, fondement perpetuel et immortel, fondement de la militante et triomphante, fondement de soymesme, fondement de nostre foy, esperance et charité, et de la valeur des Sacremens. Saint Pierre est fondement non fondateur de toute l’Eglise, fondement, mays fondé sur un autre fondement qui est Nostre Seigneur, fondement de la seule Eglise Evangelique, fondement sujet a succession, fondement de la militante non de la triomphante, fondement par participation, fondement ministerial, non absolu, enfin administrateur et non seigneur, et nullement fondement de nostre foy, esperance et charité, ni de la valeur des Sacremens. Ceste si grande difference faict qu’en comparayson, l’un ne soit pas apellé fondement au pris de l’autre, qui neanmoins pris a part peut estre appellé fondement, affin de laisser lieu a la proprieté des Parolles saintes : ainsy qu’encores quil soit le bon Pasteur (Eph 4, 11) il ne laysse de nous en donner sous luy, entre lesquelz et sa majesté il y a si grnade difference, que luy mesme monstre (Jean 10, 11-16 ; Ez 34, 23) quil est le seul Pasteur.

Tout de mesme, ce n’est pas bien philosopher de dire, tous les Apostres en general sont appellés fondemens de l’Eglise, donques saint Pierre ne l’est que comme les autres. Au contraire, puys que Nostre Seigneur a dict en particulier et en termes particuliers a saint Pierre ce qui est dict par apres en general des autres, il faut conclure qu’il y a en saint Pierre quelque particuliere proprité de fondement, et quil a esté luy en particulier ce que tout le college a esté ensemble. Toute l’Eglise a esté fondëe sur tous les Apostres, et toute sur saint Pierre en particulier ; c’est donq saint Pierre qui en est le fondement, pris a part, ce que les autres ne sont pas, car a qui a il jamays esté dict en particulier, Tu es Pierre, etc. ? Ce seroit violer l’Escriture, qui diroit que tous les Apostres en general n’ont pas esté fondement de l’Eglise ; ce seroit aussy la violer , qui nieroit que saint Pierre ne l’eust esté particulierment : il faut que la parole generale sortisse son efect general, et la particuliere, le particulier, affin que rien ne demeure inutile et sans mistere en des si misterieuses Escritures.

Voyons seulement a quelle rayson generale tous les Apostres sont apellés fondemens de l’Eglise : et c’est par ce que ce sont eux qui par leur praedication ont planté la foy et doctrine Chrestienne ; en quoy sil faut donner praerogative a quelqu’un des Apostres, ce sera a celuy la qui disoit : Abundantius illis omnibus laboravi ( 1Cor 15, 10). Et c’est ainsy que s’entend le lieu de l’Apocalipse ; car les douze Apostres sont apellés fondemens de la celeste Hierusalem, par ce que ce ont esté les premiers qui ont converty le monde a la religion Chrestienne, qui a esté comme jetter les fondemens de la gloire des hommes et la semence de leur bienheureuse immortalité. Mays le lieu de saint Pol semble ne s’entendre pas tant de la personne des Apostres que de leur doctrine ; car il n’est pas dict que nous soyons suredifiés sur les Apostres, mays, sur le fondement des Apostres, c’est-a-dire, sur la doctrine quilz ont annoncëe : ce qui est aysé a reconnoistre, puysqu’il ne dict pas seulement que nous sommes sur le fondement des Apostres, mays encores des Prophetes, et nous sçavons bien que les Prophetes n’ont pas autrement esté fondemens de l’Eglise Evangelique que par leur doctrine. Et en cest endroit, tous les Apostres semblent aller a pair, si saint jan et saint Pol ne precedent pour l’excellence de leur theologie ; c’est donq de ce costé que tous les Apostres sont fondemens de l’Eglise. Mays en l’authorité et gouvernement saint Pierre a devancé tous les autres, d’autant que le chef surpasse les membres ; car il a esté constitué Pasteur ordinaire et supreme Chef de l’Eglise, les autres ont esté pasteurs delegués et commis, avec autant pleyn pouvoir et authorité sur tout le reste de l’Eglise que saint Pierre, sauf que saint Pierre estoit leur chef de tous, et leur pasteur comme de tout le Christianisme. Ainsy furent ilz fondemens de l’Eglise avec luy egalement, quand a la conversion des ames et par doctrine, mays quand a l’authorité et gouvernement ilz le furent inegalement, puysque saint Pierre estoit le chef ordinaire non seulement du reste de toute l’Eglise mays des Apostres encores ; car Nostre Seigneur avoit edifié sur luy toute son Eglise, de laquelle ilz estoyent non seulement parties, mays les principales et nobles parties. Licet super omnes Apostolos ex aequo Ecclesiae fortitudo solidetur, dict saint Hierosme (L I in Jov § 26), tamen inter duodecim unus eligitur, ut capite constituto schismatis tolatur occasio. Sunt quidem, dict saint Bernard parlant a son Eugene (De Consid l II c 8), et nous en pouvons autant dire de saint Pierre par mesme rayson, sunt alii caeli janitores et gregum pastores, sed tu tanto gloriosus quanto differentius nomen haereditasti.

Sales, Controverses 242