Sales, Controverses 2615


CHAPITRE VII

Que les Ministres ont violé l’authorité des Miracles

7e Règle de notre Foi

ARTICLE PREMIER

COMBIEN LES MIRACLES SONT PREGNANS POUR ASSEURER DE LA FOI

271
Affin que Moyse fust creu (Ex 4, 1), Dieu luy donna le pouvoir des miracles ; Nostre Seigneur, dict saint Marc, confirmoit ainsy la praedication Apostolique ; si Nostre Seigneur n’eust faict tant de miracles, on n’eust pas peché de ne le croire pas, dict le mesme Seigneur (Jean 15, 24) ; saint Pol tesmoigne que Dieu confirmoit la foy par miracles (Heb 2, 4) : donques le miracle est une juste rayson de croire, une juste preuve de la foy, et un argument pregnant pour persuader les hommes a creance ; car si ainsy n’estoit, nostre Dieu ne s’en fut pas servi. Et ne sert de rien de respondre que les miracles ne sont pas necessaires apres la foy semëe, car, outre ce que j’ay monstré le contraire cy devant (Pars Ia c 3 art 7), je ne dis pas maintenant quilz soyent necessaires, mays seulement que la ou il plaict a la bonté de Dieu d’en fayre pour confirmation de quelqu’article, nous sommes obligés de le croire. Car, ou le miracle est une juste persuasion et confirmation, ou non : si non, donques Nostre Seigneur ne confirmoit pas justement sa doctrine ; si c’est une juste persuasion, donques, en quel tems quilz se facent ilz nous obligent a les prendre pour une tres ferme rayson, aussy le sont ilz. Tu es Deus qui facis mirabilia, dict David (Ps 76, 14) au Dieu tout puyssant, donques ce qui est confirmé par miracles est confirmé de la part de Dieu ; or Dieu ne peut estre autheur ni confirmateur du mensonge, ce donques qui est confirmé par miracles ne peut estre mensonge, ains pure verité.

Et affin de couper chemin a toutes fantasies, je confesse quil y a des faux miracles et des vrais miracles, et qu’entre les vrays miracles il y en a qui font argument evident que la puyssance de Dieu y est, les autres, non, sinon par leurs circonstances. Les miracles que l’Antichrist fera seront tous faux, tant par ce que son intention sera de decevoir, que par ce que une partie ne seront qu’illusions et vaynes apparences magiques, l’autre partie ne seront pas miracles en nature mays seulement devant les hommes, c’est a dire, ne surpasseront pas les forces de nature, mays pour estre extraordianires sembleront miracles aux simples. Telz seront la descente quil fera faire du feu qui descendra in conspectu hominum (Apoc 13, 13), et ce quil fera parler l’image de la beste (vers 15), et guerira une plaïe mortelle (vers 3) ; desquelz la descente du feu en terre et le parler de l’image semble que ce seront des illusions, dont il adjouste, in conspectu hominum ; ce seront magies. La guerison de la plaÿe mortelle sera un miracle populaire, non philosophique ; car ce que le peuple croit estre impossible, il le tient pour miracle quand il le voit, mays il tient plusieurs choses impossibles en nature qui le sont, telles sont plusieurs guerisons. Or plusieurs playes sont mortelles en presence de quelques medecins, et incurables, qui ne le seront pas en praesence des autres qui sont plus suffisans et ont quelque remede plus exquis ; ainsy la plaïe sera mortelle selon le cours ordinaire de la medecine, mays le diable, qui a plus de suffisance en la connoissance des vertus des herbes, odeurs, minerales et autres drogues, que les hommes, fera ceste cure la par l’application secrette des medicamens inconneuz aux hommes : et semblera miracle a qui ne sçaura discerner entre la science humayne et diabolique, entre la diabolique et divine, en ce que la diabolique devance l’humayne de grande traitte, et la divine surpasse la diabolique d’une infinité ; l’humayne ne sçait qu’une petite partie de la vertu qui est en nature, la diabolique sçait beaucoup davantage mays dans les confins de nature, la divine n’a point d’autre limite que son infinité.

Je disoys qu’entre les vrays miracles il y en a qui font une certaine science et rayson que le bras de Dieu y opere, les autres non, sans la consideration et secours des circonstances. Cela apert par ce que j’ay dict ; et par exemple, les merveilles que firent les magiciens d’Egipte (Ex 7, 11-12) estoyent, quand a l’apparence exterieure, toutes semblables aux miracles que faysoit Moise (Ex 4, 3-8), mays qui considerera les circonstances, connoistra bien ayseement que les uns estoyent vrays magiciens, les autres faux, comme le confesserent les magiciens quand ilz dirent : Digitus Dei est hic (Ex 8, 19). Ainsy pourrois je dire, si Nostre Seigneur n’eust jamays faict autre miracle que de dire a la Samaritayne que l’homme qui habitoit avec elle n’estoit pas son mari (Jean 4, 18), et que de convertir l’eau en vin (ibid 2, 9), on eust peu penser quil y avoit de l’illusion et magie ; mays ces merveilles partant de la mesme main qui faysoit voir les aveugles, parler les muetz, ouir les sourds, vivre les mortz, il ny eschoit plus aucun scrupule. Car, ramener la privation en son habitude, le non estre a l’estre, et donner les operations vitales aux hommes, sont choses impossibles a toutes les puyssances humaynes, ce sont des coups du sauverain Maistre ; lequel quand puys apres il luy plaict faire des cures par sa toute puyssance, ou des mutations es choses, ne laysse pas de les faire reconnoistre pour miraculeuses, quoy que la nature secrette en peut faire pour autant, parce qu’ayant faict ce qui surpasse nature, il nous a ja rendus asseurés de sa qualité et de la valeur de la merveille : ainsy que quand un homme a faict un chef d’œuvre, quo quil face puys apres plusieurs ouvrages communs, on ne laisse pas pour maistre.

En somme, le miracle est une tres asseurëe preuve et confirmation en la creance quand c’est un vray miracle, et en quel tems quil soit faict ; autrement il faudroit renverser toute la praedication Apostolique. Il estoit raisonnable qu’estant la foy de choses qui surmontent nature, elle fust averëe par œuvres qui surpassent nature, et qui montrent que la praedication ou parole annoncëe part de la bouche et authorité du Maistre de nature, le pouvoir duquel n’est point limité, lequel se rend par le miracle comme tesmoin de la verité, soussigne et met son sceau a la parole portëe par le praedicateur. Or, semble il que les miracles soyent tesmoignanges generaux pour les simples et plus rudes : car chacun ne peut pas sonder l’admirable convenance quil y a entre les propheties et l’Evangile, la grande sapience de l’Escriture, et semblables marques illustres qui sont en la Religion Chrestienne, c’est un examen a faire aux doctes ; mays il ny a celuy qui n’apprehende le tesmoignage d’un vray miracle, chacun entend ce langage entre les Chrestiens. Il semble que les miracles ne soyent pas necessaires, mays ilz le sont a la verité ; et n’est pas en cause que la suavité de la divine providence en fournit a son Eglise en toutes les saysons , car entoutes saysons il y a des heresies, lesquelles bien qu’elles soyent suffisamment rabattues, voire a la capacité des moindres, par l’antiquité, majesté, unité, catholicisme, sainteté de l’Eglise, si est ce que chacun ne sçait pas priser ces " doüaires ", comme parle Optatus, a leur vraye valeur, chacun n’entend pas et ne penetre pas ce langage : mays quand Dieu parle par œuvres, chacun l’entend, c’est une parole commune a toutes nations ; comme l’escriture d’une sauvegarde n’est conneüe d’un chacun, mays si on y voit la croix blanche, les armes du Prince, chacun connoit que le tesmoignage et l’authorité sauveraine y court.


ARTICLE II

COMBIEN LES MINISTRES ONT VIOLE LA FOY DEUE AU TESMOIGNAGE DES MIRACLES

272
Il ni a presqu’article de nostre Religion qui n’ait esté approuvé de Dieu par miracle. Les miracles qui se font en l’Eglise, monstrans ou est la vraye Eglise, font suffisante preuve de toute la creance de l’Eglise ; car Dieu ne porteroit jamays tesmoignage a une eglise qui n’eust la vraÿe foy et fust errante, idolatre, trompeuse : mays ceste bonté supreme ne s’arreste pas la ; elle a confirmé presque tous les pointz de la foy Catholique par tres illustres miracles, et, par une speciale providence de Dieu, nous trouvons que quasi sur tous les articles esquelz nous sommes en different avec les ministres, Nostre Seigneur a rendu tres illustre tesmoignage de la verité que nous prechons, par miracles irreprochables. Je mettray, sil vous plaict, quelques exemples.

Dum Agapitus, sanctae Romanae Ecclesiae pontifex, dict saint gregoire (Lib. III Dial. c 3), ad Justinianum principem proficisceretur in Graeciarum partibus, propinqui cujusdam muti et claudi obtulerunt eum Agapito curandum, dicentes se, in virtute Dei, ex auctoritate Petri, fixam salutis illius spem habere. Voilà la creance de ces bonnes gens ; ilz tenoyent le Pape pour successeur en l’authorité de saint Pierre, et partant quil avoyt quelque eminente authorité : un de vos ministres les eust tenuz pour superstitieux, l’Eglise Catholique eust tousjours dict, comm’elle faict maintenant, que leur creance estoit juste. Voyes ce qu’en tesmoigna Nostre Seigneur : Protinus venerandus vir, poursuit saint Gregoire, orationi incubuit, et Missarum solemnia exorsus, sacrificium in conspectu Dei omnipotentis immolavit ; quo peracto, ab altari exiens claudi manum tenuit, atque assistente et aspiciente populo eum mox a terra in propiis gressibus errexit ; cumque ei Dominicum Corpus in os mitteret , illa diu muta ad loquendum lingua soluta est. Mirati omnes, flere prae gaudio coeperunt, eorumque gentes illico metus et reverentia invasit, cum voidelicet cernerent quid Agapitus facere in virtue Domini ex adjutorio Petri potuisset : ce sont les paroles de saint gregoire. Que dites vous ? si vous me demandes qui a faict ce miracle, je vous repondray par les propres paroles de nostre Seigneur (matt 11, 5) : Caeci vident, claudi ambulant, leprosi mundantur, surdi audiunt, mortui resurgunt, pauperes evangelizatur. Quelle foy l’a demandé ? la foy que le Pape est successeur de saint Pierre, et en a l’eminente authorité. Par quelles actions a il esté obtenu ? par le tressaint Sacrifice de la Messe, et par la realité de l’exhibition du Cors de nostre Seigneur en la bouche du patient. En quoy s’est faict le miracle ? en ce que ce patient a esté remis de la privation a l’habitude, et une operation vitale luy a esté rendue, qui est l’ouÿe , car encor quil n’est pas dit quil fut sourd, si l’estoit il neanmoins, car le muet naturel est tousjours sourd. Que peut donques conclure sinon que, Digitus Dei est (Exod 8, 19), que Dieu a signé et scellé la creance en laquelle nous sommes pour l’article de la succession du Pape en l’authorité de saint Pierre, et pour l’article de la tressainte Messe ? qu’opposera on ? En quel tems s’est faict ce miralce ? en la plus pure et sainte Eglise, car, et Calvin et les Lutheriens confessent que la pureté de l’Eglise a duré jusqu’apres saint Gregoire. Qui raconte ceste histoire ? un tressaint et docte personnage, par l’aveu mesme des adversaires qui le font le dernier bon Pape. Ou a esté faict le miracle ? en praesence de tout un peuple, Grec et non passionné pour le Saint Siege.

Ainsy nous preschons la realité du Cors de Nostre Seigneur et de son Sang au Sacrement de l’autel ; Nostre Seigneur l’a authorisé par la miraculeuse experience quil en fit voir a un Juif et une Juifve qui assistoyent a la messe de saint basile, tesmoin saint Amphilochius (In vita Basilii) qui vivoit en l’an 380. Une femme aussy qui avoit petri le pain qu’on devoit consacrer, venant a la sainte Communion, comm’elle vit saint Gregoire, tenant non plus le pain mais le tressaint Sacrement, venir a elle pour la communier, et dire, Corpus Domini Nostri Jesu Christi custodiat animam etc. , elle se prit a rire ; saint gregoire l’interroge pourquoy elle rioyt, elle respond que c’estoit parce qu’elle avoit petri le pain duquel saint Gregoire avoit dict que c’estoit le Cors de Nostre Seigneur ; saint Gregoire impetra par prieres que la sainte Eucharistie apparut au dehors ce qu’elle estoit au dedans, dont ceste pauvre femme fut reduite a la foy, et tout le peuple confirmé : c’est une histoire racontëe par le bon paulus Diaconus (In vita S. Greg. § 23).

Nous prechons quil faut adorer Nostre Seigneur qui est realement au tressaint Sacrement : Gorgonia, seur de saint Gregoire Nazianzene, le fit, et incontinent elle guerit d’une maladie incurable, au rapport de son frere mesme (oratione in Gorgoniam § 8) . Saint Chrysostome en raconte deux belles apparitions, ou une multitude d’Anges furent veus au tour du saint Sacrifice de l’autel, sic capite inclinatorum ut si quis milites, praesente rege, stantes videat ; id quod facile mihi ipse persuadeo, dict ceste bouche d’or (L 6 de Sacerdotio § 4).

Nous prechons que c’est non seulement Sacrement, mais Sacrifice : et saint Augustin, parlant d’un lieu inhabitable par la violence des espritz malins, qui estoit a Hesperius, au territoire Fussalense, Perrexit unus, dict il , ex presbiteris, obtulit ibi Sacrificium Corporis Christi, orans quantum potuit ut cessaret illa vexatio, Deoque protinus miserante cessavit. Ce que j’ay rapporté de Agapitus vient joindre icy.

Nous prechons la sainte communion des Saintz, en la priere quilz font pour nous et en l’honneur que nous leur deferons : mays quand aurois je faict a vous produire les miracles qui se sont faict sur ceste creance ? Theodoret, De curandis Graec. Aff. (L 8), en raconte un tres certain miracle, en la conversion de saint Cyprien par l’intercession de Nostre Dame.

Nous honnorons leurs reliques : voyes comme saint Augustin (l 22 de Civ Dei, c 8 § 10 seq ) faict un long discours de tres certains miracles faictz aux reliques de saint Estienne ; et la mesme (§2) encores en raconte il un, faict aux reliques de saint Gervais a Milan, d’un aveugle gueri, dequoy luy mesme faict le recit encores en ses Confessions (L 9 c 7), et sainct Ambroise (Amb. Serm 91 de inventione corporum Srum Gervasii et Protasii hodie ep 22).

Nous produisons le signe de la Croix contre le diable : et saint Gregoire Nazianzene (Or I Contra Jul. §§ 55, 56) tesmoigne que Julien l’Apostat, en un sacrifice faict aux idoles, voyant le diable, s’y signa de ce signe ; le diable s’en fuit, le sorcier et magicien dict a l’apostat que le diable s’en fuyoit non par crainte mais par abomination Abominationi, dict il, illis fuimus, non terrori. Vincit quod pejus est. Eusebe (In vita Constant. L 2 cc 6-15) faict foy des merveilles que Dieu a faict par ce saint signe au tems de Constantin le Grand.

En nos eglises nous avons des vases sacrés : et saint Chrysostome (l de Sto Babila, contra Gentiles § 17) raconte que Julien, oncle de Julien empereur, avec un certain tresorier, les desroba et prophana, mays julien mourut incontinent, rongé par les vers, le tresorier creva sur place.

Nous faysons contre du saint Chresme dont on oint les baptisés pour la sainte Confirmation : et saint Optatus Milevitain (l 2 contra Donat. § 19) raconte que la phiole ou ampoule du saint Chresme estant jettëe par les Donatistes sur des pierres, non defuit manus angelica quae ampullam spiritali subventione deduceret ; projecta casum sentire non potuit.

Nous confessons humblement nos pechés aux superieurs ecclesiastiques : et saint Jan Climacus raconte (L Scalae grad. 4 liber etiam dicitur Climax) que comme une personne tres vicieuse confessoit ses fautes, on vit un grand et terrible, qui rayoit d’un livre de contes les pechés, a mesure que cestuy ci les confessoit ; par ce, dict le mesme Climacus, que la confession bien delivre de l’eternelle confusion.

Nous avons des images en nos eglises : mays qui ne sçait les grans miracles qui furent faitz au crucifiement d’une image de Nostre Seigneur, que les juifz firent en Syrie en la ville de Berite ? non seulement le sang en sortit, mays ce sang guerit quicomque en fut touché, de toutes sortes de maladies ; c’est le grand saint Athanase qui le raconte (libello de Passione imaginis D. N. c 4).

Nous y avons de l’eau beniste et du pain benit : mays saint Hierosme raconte (in vita Hilar. § 30) que plusieurs pour guerir les malades prenoyent du pain benit par saint Hilarion ; et saint Gregoire dict (L 1 Dial. c 10) que saint Fortunat guerit un homme qui en une cheute de cheval s’estoit rompu la jambe, par la seule aspersion de l’eau benite. C’est asses.

Or quel mespris est ce de tant de miracles, de se mocquer et de se gauser de toute ceste doctrine, et de l’Eglise qui la praeche ? Si vous ne voules priser le tesmoignage de l’antiquité, Testimonium Dei majus est (1 Jean 5, 9). Qu’est ce que vous respondres ? Quand a moy, j’ay escrit icy les premiers miracles qui me sont venus en main ; que j’ay pris neanmoins des autheurs qui ont estés en la pure Eglise, car si je vous eusse apporté les miracles faictz au tems de saint bernard, de saint Malachie, de Bede, de saint François, vos ministres eussent incontinent crié que c’estoit des prodiges de l’Antichrist, mays puysque tous tant quilz sont confessent que l’Antichrist n’a point comparu sinon quelque tems apres saint Gregoire, et que ce je produis a tout esté faict auparavant, ou au tems de saint Gregoire, il n’y estoit point de difficulté. Les Aryens niyoent le miracle sur l’aveugle qui fut gueri par l’atouchement du bord du drap des reliques de saint Gervais et Protais, et disoyent quil n’avoyt pas esté gueri ; saint Ambroise respond (Ep 22, § 17) : Negant caecum illuminatum, sed ille non negat se sanatum. Sed quaero, dict il peu apres (§§ 19, 20), quid non credant ? utrum a Martiribus possint aliqui visitari ? hoc est Christo non credere, ipse enim dixit : Et majora horum facietis (Jo 14, 12) . Et plus bas (§ 22) il dict : Neque aliter Martirum operibus inviderent, nisi fidem in iis fuisse eam quam isti non habent judicarent, fidem illam majorum traditione firmatam, quam daemones ipsi negare non possunt, sed Arriani negant : non accipio a diabolo testimonium sed confessionem. Quelles circonstances ne rendent ces miracles irreprochables ? une partie sont restitutions des operations vitales, qui ne se peut faire par autre puyssance que la divine ; le tems auquel ilz se sont faitz estoit tout voysin a celuy de Nostre Seigneur, l’Eglise toute pure et sainte ; il ni avoit point d’Antichrist au monde, comme dient les ministres ; les personnes par la priere desquelles ilz se faysoyent, tres saintes ; la foy qui en estoit confirmëe estoit general e et tres Catholique ; les autheurs qui les recitent, tres asseurés.

Je veux icy mettre une piece empruntëe (Montaigne, Essais l 1 c 26) : " Quand nous lisons dans Bouchet (In opusc Miracula S. Hilarii) les miracles des reliques de saint Hilaire, passe ; son credit n’est pas asses grand pour nous oster la licence d’y contredire : mais de condamner d’un train toutes pareilles histoires semble singuliere impudence. Ce grand saint Augustin tesmoigne avoir veu, sur les reliques saint gervais et Protais a Milan, un homme aveugle recouvrer la veüe ; une femme a Carthage avoir esté guerie d’un cancer par le signe de la Croix qu’une femme nouvellement baptizëe luy fit ; Hesperius, un sien familier, avoir chassé les espritz qui infestoyent sa mayson, avec un peu de terre du Sepulchre de Nostre Seigneur, et ceste terre despuys transportëe a l’eglise, un paralitique y estant apporté avoir esté soudain gueri ; une femme en une procession ayant touché a la chasse saint Estienne d’un bouquet, et de ce bouquet s’estant frottëe les yeux , avoir recouvrëe la veüe qu’elle avoit pieça perdue ; et plusieurs autres miracles ou il dict luy mesme avoir assisté. De quoy accuserons nous et luy et deux Evesques, Aurelius et Maximinus, quil apelle pour ses recors ? sera ce d’ignorance, simplesse, facilité ? ou de malice et imposture ? est il homme, en nostre siecle, si impudent qui pense leur estre comparable, soit en vertu, soit en sçavoir, jugement et suffisance ? "

Autant en diray je des deux saints Gregoire que j’ay produit , de saint Amphiloche, de saint Hierosme, saint Chrysostome, Athanase, Climacus, Optatus, Ambroise, Eusebe. Dites, pour Dieu, ce quilz racontent est il pas tres possible a Dieu ? et sil est possible, come oserons nous nier quil n’ait esté faict, puysque tant de grans personnages en tesmoignent ? On m’a dict plus d’une fois, est ce article de foy de croire ces contes ? Ce n’est voirment pas article de foy, mays article de sagesse et de discretion ; car c’est une bestise trop notoire et une tres sotte arrogance de donner des dementies a ces anciens et graves personnages, sans autre fondement que parce que ce quilz disent n’est pas sortable a nos conceptions : sera il donq dict que notre petite cervelle bornera la verité et mensonge, et fera loy a l’estre et au non estre ?



CHAPITRE VIII

Que les ministres ont violé la Raison naturelle

8ème Règle de notre Foi

ARTICLE PREMIER

EN QUELLE FAÇON LA RAYSON NATURELLE EST UNE REGLE DE BIEN CROIRE, ET L’EXPERIENCE

281 Dieu est autheur en nous de la rayson naturelle, et ne hait rien de ce quil a faict (Sap 11, 25), si que, ayant marqué nostre entendement de ceste sienne lumiere (Ps 4, 7), il ne faut pas penser que l’autre lumiere surnaturelle quil depart aux fidelles, combatte et soit contraire a la naturelle ; elles sont filles d’un mesme Pere, l’une par l’entremise de la nature, l’autre par l’entremise de moyens plus hautz et eslevés, elles donques peuvent et doivent demeurer ensemble comme seurs tres affectionnëes. Soit en nature soit sur nature, la rayson est tousjours rayson, et la verité, verité ; aussy n’est ce que le mesme oeïl qui voit es obscurités d’une nuict bien sombre a deux pas devant luy, et celuy qui voit au beau jour de mydi tout le cercle de son horison, mays ce sont diverses lumieres qui luy esclairent : ainsy est il certain que la verité, et sur nature et en nature est tousjours la mesme, ce sont seulement diverses lumieres qui la montrent a nos entendemens ; la foy nous la monstre sur nature, et l’entendement en nature, mays la verité n’est jamais contraire a soymesme.

Item, Dieu, qui a donné a nos sens leurs propres sentimens et connoissances, pour seconder nature ne permet que jamais ilz soyent trompés quand ilz sont en une droitte application, et nostre experience prise a part, simple et nüe, ne bronche point. Item, nos sens ne se trompent pas sur leur propre object quand l’application est bien faitte, et nostre experience prise a part, simple et nüe, ne peut estre deceüe : ce sont propositions de la philosophie, qui ont ceste rayson bien asseurëe, c’est que Dieu est autheur de nos sens, et les dresse, comme saint ouvrier et infallible, a leur propre fin et but ; ce sont certes premiers principes, que ceux qui les leveroyent nous leveroyent tout discours et rayson. L’exemple nous fera bien entendre ces propositions. Mon œil se peut tromper, jugeant une chose plus grande qu’elle n’est ; mays la grandeur n’est pas le propre object de mon œil, car il est commun au toucher et a la main : et se peut tromper, estimant le mouvement estre ou il n’est point, comme ceux qui navigent le long de la rive voient, ce leur semble, les arbres et tours se remuer ; mays le mouvement n’est pas propre object de la veüe, le toucher y a part encores : il se peut encores tromper si l’application n’est pas pure ; car, sil y a du verre vert ou rouge en l’entredeux, il pensera vert ou rouge ce qui ne le sera pas.

Au reste, si au jugement du sens et a l’experience vous y adjoustes le discours et de la consequence, si vous vous y trompes ne vous en prenes plus au sentiment ni a l’experience, car elle n’est plus pure ni simple, qui est une des conditions que j’ay mises en mes propositions ; c’est le discours et la consequence que vous y aves attachëe qui vous a trompé. Ainsy les yeux ni l’experience ne trompoyent pas ceux qui voyoient et experimentoyent en Nostre Seigneur la forme et maniere humayne, car tout cela y estoit, mays quand ilz tiroient de la, consequence qu’il n’estoit pas Dieu, ilz se trompoyent. Le sens qui juge qu’a l’autel il y a la rondeur, la blancheur, le goust et saveur du pain, juge bien, mays le discours qui deduit de la que la substance du pain y est encores, tire une tres mauvaise et fause conclusion ; delaquelle le sens ne peut mais, qui ne prend point de connoissance sur la substance des choses, mais sur les accidens. De mesme, l’experience qui nous monstre que nous ne sçavons pas comme ces acidens sont sans leur substance naturelle, est tres veritable, mays si nostre jugement tire conclusion de la quil n’en soit rien, il se trompe et nous trompe encores ; et nostre experience n’en peut mais, qui n’a point touché a ceste consequence.

L’experience donques et la connoissance des sens est tres veritable, mays les discours que nous en tirons nous trahissent : hors de la, qui combat la connoissance des sens et la propre experience, combat la rayson et la renverse, car le fondement de tout discours depend de la connoissance des sens et de l’experience. Or, combien vos ministres ayent combattu l’experience, la connoisance des sens et la rayson naturelle, je vous le feray paroistre tout maintenant, pourveu que vous mesmes ne veuilles combattre vostre propre jugement.



ARTICLE II

COMBIEN LES MINISTRES ONT COMBATTU LA RAYSON ET L’EXPERIENCE

282 Quand Luther, en la preface de l’Assertion des articles condamnés par Leon, dict que " l’Escriture est tres aysëe, intelligible et claire a chacun ", et que chacun y peut connoistre la verité, et discerner entre les sectes et opinions quelle est la vraye, quelle est la fausse, dites, je vous prie, combat il pas la propre experience de tout le monde ? et quand vous aves creu ceste sottise, connoisses vous pas tout ouvertement le contraire ? Je ne sache homme si versé qui osast jurer, sil a point de conscience, quil sçait le vray sens, je ne dis pas de toute l’Escriture, mays de quelque partie d’icelle ; et si, n’ay je jamais veu homme entre vous qui entende le sens d’un chapitre tout entier.

Quand Calvin et Bucer nient que nous ayons aucune liberté en nostre volonté, non seulement pour les actions surnaturelles, mays encores pour les naturelles et es commerces purement humains, n’attaque il pas la rayson naturelle et toute la philosophie, comme luy mesme confesse, et tout d’un train l’experience, et de vous, si vous parles franchement, et de tout le reste des hommes ?

Et quand Luther dict que le croire, esperer, aymer ne sont pas operations et actions de nostre volonté, ne perd il pas tout en un coup le croire, l’esperer, l’aymer, et les change en estre creu, esperé et aymé, et combat le cœur de l’homme, qui connoist bien que c’est luy qui croit, ayme, espere, par la grace de Dieu ?

Item, quand Luther dict (L. contra Coclaeum an. 1523.) que les enfans au Baptesme ont l’usage de l’entendement et rayson, et quand le sinode de Wittenberg (Anno 36.) dict (Apud Coclaeum, l. III Misce. Tract. Tr VIII § 2) que les enfans au Baptesme ont des mouvemens et inclinations sembalbles aux mouvemens de la foy et de la charité, et ce sans entendre, n’est ce pas se moquer de Dieu, de nature, et de l’experience ?

Et quand on dict que nous pechons " incités, pousés, necessités, par la volonté, ordonance, decret et praedestination de Dieu ", n’est ce pas blasphemer contre toute rayson et contre la majesté de la supreme bonté ? Ah, voyla la belle theologie de Zuingle (Serm. De providentia, c V et VI), Calvin (l . I Inst c XVII et XVIII ; L. De aeter. Dei praedest. In Instruct. contra Libertinos) et Beze (Contra Castalionem, De aeterna Dei praed, in refut° 2. calumniae) : At enim, dict Beze, dices, non potuerunt resistere Dei voluntati, id est, decreto : fateor ; sed sicut non potuerunt, ita etiam noluerunt. Verum non poterant aliter velle : fateor quoad eventum et energiam, sed voluntas tamen Adami coacta non fuit. Bonté de Dieu, je vous appelle a garant : vous m’aves poussé a mal faire, vous l’aves ainsy decreté, ordonné, voulu, je ne pouvois faire autrement, je ne pouvois vouloir autrement, qu’y a il de ma faute ? O Dieu de mon cœur, chastiés mon vouloir sil peut ne pas vouloir le mal et quil le veüille, mays sil luy est impossible de ne le vouloir pas, et vous luy soÿes cause de ceste impossibilité, qu’y peut il avoir de sa faute ? Si cecy n’est contre rayson, je confesse quil ny a point de rayson au monde.

" la loi de Dieu est impossible ", selon Calvin et les autres (Ant. Sess. VI Conc Trident.(ad cap XII) ; Luth. Lib. De Libertate Christiana) : que s’ensuit il de la, que Nostre Seigneur soit tiran, qui commande chose impossible ? si ell’est impossible, pourquoy la commande on ?

" A considerer exactement, les œuvres pour bonnes qu’elles soyent meritent plus l’enfer que le Paradis (ibidem) " : la justice donques de Dieu, qui donnera a chacun selon ses œuvres (Rom 2, 6), donnera a chacun l’enfer ?

C’est asses. Mays l’absurdité des absurdités, et la plus horrible deraison de toutes, c’est celle la, que, tenans que l’Eglise tout’entiere aÿe erré mill’ans durant en l’intelligence de la parole de Dieu, Luther, Zuingle, Calvin puyssent s’asseurer de la bien entendre ; bien plus, qu’un simple ministrot, prechant comme parole de Dieu que toute l’Eglise visible a erré, que Calvin et tous les hommes peuvent errer, ose trier et choysir entre les interpretations de l’Escriture celle qui luy plaict, et l’asseurer et maintenir comme parole de Dieu ; encores plus, que vous autres qui oyans dire que chacun peut errer au faict de la religion, et toute l’Eglise mesme, sans vouloir vous en chercher d’autre parmi mille sectes qui toutes se vantent de bien entendre la Parole de Dieu et la bien precher, croÿes si opiniastrément a un ministre qui vous preche, que vous ne voules rien ouir autre. Si chacun peut errer en l’intelligence de l’Escriture, pourquoy non vous et vostre ministre ? j’admire que vous n’alles tousjours tremblantz et branslantz ; j’admire comme vous pouves vivre avec autant d’asseurance en la doctrine que vous suives, comme si vous ne pouvies tous errer, et que neanmoins vous tenes pour asseuré que chacun a erré et peut errer.

L’Evangile vole bien haut sur toutes les plus eslevees raysons de nature ; jamais il ne les combat, jamais ne les gaste ni défaict : mays ces fantasies de vos evangelistes ruynent et obscurcissent la lumiere naturelle.


ARTICLE III - QUE L’ANALOGIE DE LA FOY NE PEUT SERVIR DE REGLE AUX MINISTRES POUR ESTABLIR LEUR DOCTRINE

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C’est une voix pleyne de fast et d’ambition entre vos ministres, et qui leur est ordianire, quil faut interpreter l’Escriture et esprouver les expositions par l’analogie de la foy. Le simple peuple, quand il entend parler de l’analogie de la foy, pense que ce soit certain mot de secrette vigueur et force, et cabalistique, et admire tout’interpretation qui se faict, pourveu qu’on mette ce mot icy en campaigne . Ilz ont rayson, pour vray, quand ilz disent quil faut interpreter l’Escriture et esprouver les expositions d’icelle par l’analogie de la foy, mays ilz ont tort quand ilz ne font point ce quilz disent. Le pauvre peuple n’entend autre ventance que de ceste analogie de la foi, et les ministres n’ont faict autre que la corrompre, violer, forcer et mettre en pieces. Disons, je vous prie : vous dites que l’Escriture est aysëe d’entendre, pourveu qu’on l’adjuste a la regle et proportion ou analogie de la foy ; mays quelle regle de la foy peuvent avoir ceux qui n’ont point d’Escriture que toute glossee, toute estirëe et contournee d’interpretations, metaphores, metonimies ? si la regle est sujette au desreglement, qui la reglera ? et quelle analogie ou proportion de foy y peut il avoir, si on proportionne les articles de foy aux conceptions les plus esloignëes de leur naïfveté ? Voules vous que la proportion des articles de foy en leur naturelle taille, ne leur bailles point d’autre forme que celle quilz ont receüe des Apostres. Je vous laysse penser a quoy me servira le Simbole des Apostres pour interpreter l’Escriture, puysque vous le glosses en telle façon, que vous me mettes en autant de difficulté de son sens que je fus jamais de l’Escriture mesme. Si on demande comm’il se peut faire que le mesme cors de Nostre Seigneur soit en deux lieux, je diray que cela est aysé a Dieu, suyvant le dire de l’Ange (Luc 1, 37), Non est impossibile apud Deum omne verbum, et le confirmeray par la rayson de la foy, Credo in Deum Patrem omnipotentem ; mays si vous glosses, et l’Escriture et l’article de foy mesme, comme confirmeres vous vostre glosse ? a ce conte la il ny aura point de premier principe sinon vostre cervelle. Si l’analogie de la foy est sujette a vos glosses et opinions, il le faut dire franchement, affin qu’on sache vostre intention ; ainsy ce sera interpreter Escriture par l’Escriture et par l’analogie, le tout adjusté a vos interpretations et conceptions.

J’applique le tout a l’analogie de la foy. Ceste explication joint fort bien a la premiere praole du Simbole, la ou Credo nous oste toute la difficulté du discours humain. L’Omnipotentem me confirme, la creation m’y recrëe ; car, qui ex nihilo fecit omnia, quare ex pane non faciet Corpus Christi ? Le nom de Jesus m’y conforte, car sa misericorde et magnifique volonté y est exprimëe ; ce quilz est Filz consubstantiel au Pere monstre son pouvoir illimité. Sa conception d’une Vierge hors le cours naturel, ce quil n’a point dedaigné de s’y loger pour nous , ce quil est né avec penetration de dimension, action qui surmonte et outrepasse la nature d’un cors, m’asseure et de la volnté et du pouvoir. Sa mort m’affermit, car, qui est mort pour nous, que ne fera il pas pour nous ? Son sepulchre me console, et sa descente aux enfers, car je ne douteray point quil ne descente en l’obscurité de mon cors, etc. Sa ressurection me ravive, car la nouvele pentration de la pierre, l’agilité, subtilité, clarté, impassibilité de son cors n’est plus sujette aux loix trop grossieres de nos cervelles. Son ascension me faict monter a ceste foy ; car si son cors penetre, s’esleve par sa seule volonté, et sa place sans place a la dextre du pere, pourquoy ne sera il encor ça bas ou bon luy semble, sans y occuper autre place qu’a sa volonté ? Ce qu’il sied a la dextre du Pere, me monstre que tout luy est soumis, le ciel, la terre, les distances, leslieux et les dimensions : ce que de la il viendra juger les vivans et les morts, me pousse a la creance de l’ilimitation de sa gloire, et que partant sa gloire n’est pas attachëe au lieu, mays ou quil soit il la porte avec soy ; dont au Tressaint Sacrement il y est sans laysser sa gloire ni ses perfections. Le Saint Esprit, par l’operation duquel il a esté conceu et est né d’une Vierge, pourra bien encores avec son operation fayre ceste admirable besoigne de la Transsubstantiation. L’Eglise, qui estant sainte ne peut induire a l’erreur,estant catholique n’est pas astreinte a ce miserable siecle, mays doit avoir son estendue en long des les Apostres, en large par tout le monde, en profondité jusqu’au Purgatoire, en hauteur jusqu’au ciel, a sçavoir, toutes nations, tous les siecles passés, les Saintz canonisés et nos ayeulz desquelz nous avons esperance, les prelatz, les Conciles recens et anciens, tout par tout chantent Amen, amen, a ceste sainte creance. C’est icy la parfaite Communion des Saintz, car c’est de la viande commune des Anges et saintes ames du Paradis et de nous autres, c’est le vray pain duquel tous les Chrestiens participent. La Remission des pechés, l’autheur de la remission y estant, est confirmëe, la semence de nostre Resurrection jettëe, la Vie aeternelle conferëe.

Ou trouves vous de la contrarieté a ceste sainte analogie de la foy ? tant s’en faut, que vrayement ceste creance du tressaint Sacrement, qui contient en verité, réalité et substance le vray et naturel Cors de Nostre Seigneur, est vrayement l’abbregé de nostre foy, suyvant le dire du Psalmiste (Ps 110, 4), Memoraim fecit. O saint et parfaict memorial de l’Evangile, o admirable recueil de nostre foy : qui croit o Seigneur, vostre praesence en ce tressaint Sacrement, comme preche vostre sainte Eglise, a recueilly et suce le doux miel de toutes les fleurs de vostre sainte Religion, a grand peyne quil puysse jamais mescroire.

Mays je reviens a vous, messieurs, et demande que c’est qu’on m’opposera plus a ces passages si clairs (
Mt 26,26 Mc 14,22 Lc 22,19 1Co 11,24), Cecy est mon cors. Que la chair ne prouffite de rien (Jean 6, 64) ? non pas la vostre ou lamienne qui ne sont que charoignes, ni nos sentimens charnelz ; nom pas une chair simple, morte, sans esprit ni vie : mays celle du Sauveur, qui est tousjours garnie de l’Esprit vivifiant (ibidem) et de son Verbe (Jean 1, 14), je dis qu’elle prouffite a tous ceux qui la reçoivent dignement pour la vie aeternelle. Que dires vous ? que les paroles de Nostre Seigneur sont esprit et vie, donques elles ne se doivent pas entendre de son cors ? Et quand il dict, Filius hominis tradetur ad illudendum et flagellandum, etc. (car je metz pour exemple les premieres venues) (Matt 20, 18-19) , ses paroles n’estoyent ce pas esprit et vie ? dites donques qu’il a esté crucifié en figure. Quand il dict, Si ergo videritis Filium hominis ascendetem ubi erat prius (Jean 6, 63), s’ensuit il quil ny soit monté qu’en figure ? et toutes elles sont comprises avec les autres, dont il dict, spiritus et vita sunt.En fin, au Saint Sacrement, aussi bien qu’es saintes paroles de Nostre Seigneur, l’esprit y est, qui vivifie la chair, autrement elle ne proufitteroit de rien, mays la chair ne laisse pas d’y estre avec sa vie et son esprit. Que dires vous plus ? que ce Sacrement est appellé pain ? aussy est il, mays comme Nostre Seigneur l’explique : Ego sum panisvivus (vers. 51). C’est bien asses pour cest exemple.

Quand à vous, que produires vous de semblable ? je vous monstre un est, monstres moy le non est que vous pretendes, ou le significat ; je vous ay monstré le corpus, monstres moy le signe effectueux. Cherches, vires, revires, mettes vous sur vostre esprit de tournoyement (Is 19, 14) a grand randon, et vous ne le trouveres jamais. A tout rompre vous monstreres que qui voudroit un peu estirer ces paroles, il trouveroit quelques semblables phrases en l’Escriture que celle que vous pretendes estre icu, mays ad esse a posse c’est une lourde consequence ; je nie que vous le puyssies faire joindre, je dis que si chacun les manie a sa main, la pluspart les prendront a gauche. Mays bien, layssons voir un peu faire. Vous produises pour vostre creance : Verba quae ego loquor spiritus et vita sunt (Jean 6, 64), et y joignes, Quotiescumque manducabitis panem hunc (1 Cor 11, 26) ; vous y adjoustes, Hoc facite in meam comemorationem (Ibid 24, 26) ; vous y apportes, Mortem Domini annunciabitis donec veniat (Ibid 26) ; Me autem semper non habebitis (Jean 13, 6) ; mays consideres un peu quel rapport ont ces paroles les unes aux autres. Vous adjustes tout cecy a l’anormalogie de vostre foy, et comment ? Nostre Seigneur est assis a la dextre, donq il n’est pas icy. Monstres moy le fil avec lequel vous couses ceste negative avec ceste affirmative : par ce qu’un cors ne peut estre en deux lieux. Ah, vous disies que vous joindries ceste negative avec l’analogie par le fil de l’Escriture ; ou est cest’Escriture, qu’un cors ne puysse estre en deux lieux ? voyes un peu comme vous mesles la prophane apprehension d’une rayson purement humaine avec la sacree Parole. Ah, ce dites vous, Nostre Seigneur viendra juger les vivans et les morts des la dextre.Quoy pour cela ? sil estoit besoin quil vint pour se trouver present au Saint Sacrement, vostre analogie auroit de l’apparence ; mays non encores de la relaité, car alhors quil viendra juger, personne ne dict quil soit en terre, le feu precedera (Ps 96, 3).

Voyla vostre analogie ; a sçavoir mon, qui a mieux travaillé, ou vous ou moy ? Si on vous laisse interpreter la descente de Nostre Seigneur aux enfers, du sepulcre, ou de l’apprehension de l’enfer et peyne des damnés, la sainteté de l’Eglise, d’une Eglise invisible et inconneüe, son universalité, d’une Eglise secrette et cachëe, la communion des Saintz, d’une seule bienveuilance generale, la remission des pechés, d’une seulle non imputation, quand vous aures ainsy proportionné le Simbole a vostre jugement, il sera quand et quand bien proportionné au reste de vostre doctrine ; mays qui ne voit l’absurdité ? le Simbole, qui est l’instruction des plus simples, seroit la plus obscure doctrine du monde, et devant estre regle a la foy, il auroit besoin d’estre reglé par une autre regle ; In circuitu impii ambulant (Ps 11, 9). Voicy une regle infallible de nostre foy : Dieu est tout puyssant ; qui dict tout n’exclud rien, et vous voules regler ceste regle, et la limiter a ce qu’elle ne s’estende pas a la puyssance absolüe, ou a la puyssance de placer un cors en deux lieux, ou le placer en un lieu sans quil y occupe l’espace exterieur. Dites moy donques, si la regle a besoin de reglement, qui la reglera ? Ainsy le Simbole dict que Nostre Seigneur est descendu en enfer, et Calvin le veut regler a ce quil s’entende d’une descente imaginaire (inst. L II c 16 § 10-12), l’autre le rapporte au sepulcre (Beza) : n’est ce pas traitter ceste regle a la Lesbienne, et plier le niveau sur la pierre au lieu de tailler la pierre au niveau ? Pour vray, comme saint Clement (ad Frat Domini) et saint Augustin (Serm 38) l’appelle clef, mays sil faut une autre clef pour ouvrir ceste clef, ou la trouverons nous ? monstres la nous ; sera ce le cerveau des ministres, ou quoy ? sera ce le Saint Esprit ? mays chacun se ventera d’en avoir sa part. Bon Dieu, en quelz laberinthes tumbent ceux qui s’escartent de la trace des Anciens.

Je ne voudrois pas que vous pensassies que j’ignorasse que le seul Simbole n’est pas la totale regle et mesure de la foy ; car, et saint Augustin (contra Jul. Pelag, l I § 22) et le grand Lirinensis (Cap II Commonit I) appellent encores regle de nostre foy le sentiment ecclesiastique. Le Simbole seul ne dict rien a descouvert de la Consubstantialité, des Sacremens, et autres articles de la foy, mays comprend toute la foy radicalement et fondamentalement ; principalement quand il nous enseigne de croire l’Eglise estre sainte et cathoique, car par la il nous renvoÿe a ce qu’elle proposera. Mays comme vous mesprisés toute la doctrine ecclesiastique, aussi mesprises vous ceste noble partie et si signalëe qui est le Simbole, luy refusant creance sinon apres que vous l’aures reduit au petit pied de vos conceptions. Ainsy violes vous ceste sainte mesure et proportion, que saint Pol propose (Rom 12, 6) pour estre suivie, voyre aux Prophetes mesme.


Sales, Controverses 2615