Sales, Controverses 283


ARTICLE IV

CONCLUSION DE TOUTE CESTE 2E PARTIE

PAR UN BRIEF RECUEIL DE PLUSIEURS EXCELLENCES QUI SONT EN LA DOCTRINE CATHOLIQUE, AU PRIS DE L’OPINION DES HAERETIQUES DE NOSTRE AAGE

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Vous vogues ainsy donques, sans aiguille, bussole et timon, en l’ocean des opinions humaynes ; vous ne pouves attendre autre qu’un miserable naufrage. Ah de grace, pendant que ce jourdhuy dure, pendant que Dieu vous praesente l’occasion, jettes vous en l’esquif d’une serieuse poenitence, et venes vous rendre en l’heureuse navire, laquelle a plein voyle va surgir au port de gloire. Quand il ny auroit autre, ne connoisses vous pas quelz advantages et combien d’excellences la doctrine Catholique a sur vos opinions ?

La doctrine Catholique se fonde immediatement sur la parole de Deiu, ou escritte ou layssëe de main en main ; vos opinions ne sont fondëes que dessus vos interpretations.

La doctrine Catholique rend plus glorieuse et magnifie la bonté et misericorde de Dieu ; vos opinions la ravalent. Par exemple, ny a il plus de misericorde d’exhiber la relaité de son Cors pour nostre viande, que de n’en donner que la figure, commemoration et manducation fiduciaire ? n’est ce pas plus de justifier l’homme embellissant son ame par la grace, que sans l’embellir le justifier par une simple connivence ou non imputation ? n’est ce pas une plus grande faveur de rendre l’homme et ses œuvres aggreables et bonnes, que de tenir seulement l’homme pour bon sans quil le soit en relaité ? n’est ce pas plus d’avoir layssé sept Sacremens pour la justification et sanctification du pecheur, que de n’en avoir laissé que deux, dont l’un ne serve de rien et l’autre de peu ? n’est ce pas plus d’avoir laissé la puyssance d’absouvre en l’Eglise, que de n’en avoir point laissé ? n’est ce pas plus d’avoir laissé une Eglise visible, universelle, signalëe, remarquable et perpetuelle, que de l’avoir layssé petite, secrette, dissipëe, sujette a corruption ? n’est ce pas plus priser les travaux de Nostre Seigneur, de dire qu’une seule goutte de son sang suffisoit a racheter le monde, que de dire que s’il n’eut enduré les peynes des damnés il ni avoit rien de faict ? la misericorde de Dieu n’est elle pas plus magnifiëe, de donner a ses Saintz la connoissance de ce qui se faict dy bas, le credit de prier pour nous, se rendre exorable a leurs intercessions, les avoir rendu glorieux dans leur mort, que de les faire attendre et tenir " en suspens ", comme parle Calvin (instit l III c 25 §6), jusqu’au jugement, les rendre sourds a nos prieres et se rendre inexorable aux leurs ? Cecy se verra plus clair en nos essais (in tertia Parte).

Nostre doctrine rend plus admirable le pouvoir de Dieu, au Sacrement de l’Eucharistie, en la justification et justice inhaerente, es miracles, en la conservation infallible de l’Eglise, en la gloire des Saintz.

La doctrine Catholique ne peut partir d’aucune passion, puysque personne ne s’y range sinon avec ceste condition, de captiver son intelligence sous l’authorité des pasteurs (1 Cor 10, 5) ; elle n’est point superbe, puysqu’elle apprend a ne se croire pas soymesme mays l’Eglise.

Que diray je plus ? connoisses la voix de la colombe au pres de celle du corbeau. Voyes vous pas ceste Espouse qui n’a autre que miel et laict sous sa langue (Cant 4, 11), qui ne respire que la plus grande gloire de son Espoux, son honneur et son obeissance ? Sus donques, Messieurs, voules vous estre mis come pierres vivantes es murailles de la celeste Hierusalem ? leves vous des mains de ces bastisseurs desreglés, qui n’adjustent pas leurs conceptions a la foy, mais la foy a leurs conceptions : venes et vous presentes a l’Eglise, qui vous posera, si a vous ne tient, en ce celeste bastiment, a la vraye regle et proportion de la foy : car, jamais personne n’aura place la haut, qui n’aura esté poli et mis en œuvre sous la regle et l’esquierre cy bas.


TROISIEME PARTIE

AVANT-PROPOS

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Ces deux fautes fondamentales auxquelles vos ministres vous ont conduit d’avoir abandonné l’Église et d’avoir violé toutes les vrayes Regles de la Religion Chrétienne, ne vous rendent pas excusables le moins du monde Messieurs; car elles sont si enormes que vous ne pouviez les meconnoistre, et sont si importantes que l’une des deux suffit pour vous faire perdre le vray Christianisme. Puisque la foy hors de l’Église, ni l’Église sans la Foi, ne sçauroit vous sauver, nomplus que l’oeil hors la teste, ni la teste sans l’oeil, ne sçauroit voir la lumiere. Quiconque vous vouloit separer de l’Église vous devoit estre suspect, et qui mesprisoit si fort les saintes Regles de la foy devoit estre fuy et mesprisé, quelle contenance qu’il tint, quoy quil allegast. Mays, ce me dires vous, ilz protestoyent de ne rien dire qui ne fut expres en la pure, simple et naifve Parole de Dieu. Ah mon Dieu, comme creutes vous si legerement ? Il ny eut donques heresie qui alleguast plus hors de propos la Parole de Dieu que celle cy, et qui en tirast des conclusions moins sortables, particulierement es principales disputes. Vous l’aures desja peu remarquer cy devant es deux premieres Parties de ce Memorial, mays je desire que vous le touchies au doigt, affin quil ne vous demeure aucune excuse de reste. Vous ne devies pas croire si legerement ; si vous eussies bien advisé a vos affaires, vous eussies veu que ce n’estoit pas la Parole de Dieu quilz avançoyent, mais leurs propres conceptions voylëes des motz de l’Escritture, et eussies bien connu que jamais un si riche habit ne fut faict pour couvrir un si vilain cors comme est ceste heresie.

Car, par supposition, faysons que jamais il n’y eust Eglise, ni Concile, ni Pasteurs, ni Docteurs, des les Apostres, et que l’Escriture Sainte ne contient que les Livres qu’il plaict a Calvin, Beze et Martyr d’avouer, qu’il ny a point de Regle infallible pour la bien entendre, mays qu’elle est a la merci des conceptions de quicomque voudra maintenir quil interprete l’Escriture par l’Escriture et par l’analogie de la foy, comme on veut entendre Aristote par l’Aristote et par l’analogie de la philosophie ; confessons seulement que ceste Escriture est divine, et je maintiens devant tous juges equitables que, si non tous, au moins ceux d’entre vous qui avoyent quelque connoissance et suffisance sont inexcusables, et ne sçauroyent garentir leur religion de legereté et temerité. Et voicy ou je me reduis. Les ministres ne veulent combattre qu’avec l’Escriture, je le veux ; ilz ne veulent de l’Escriture que les parties qu’il leur plaict, je m’y accorde : au bout de tout cela, je dis que la creance de l’Eglise Catholique l’emporte de tous pris, qu’elle a plus de passages pour soy que l’opinion contraire, et ceux qu’elle a, plus clairs, purs et simples, plus raysonnablement interpretés, mieux concluans et sortables. Ce que je crois estre si certain, que chacun le peut sçavoir et connoistre, mays de monstrer cecy par le menu, ce ne seroit jamais faict ; il suffira bien, ce me semble, de le monstrer en quelques principaux articles.

C’est donques ce que je pretens faire en ceste troysiesme Partie, ou j’attaqueray vos ministres sur les Sacremens en general, et en particulier sur celuy de l’Eucharistie, de la Confession et Mariage, sur l’honneur et invocation des Saintz, sur la convenance des ceremonies en general, puys en particulier, sur la puyssance de l’Eglise, sur le merite de bonnes œuvres et la justification, et sur les indulgences ; ou je n’employeray que la pure et simple Parole de Dieu, avec laquelle seule je vous feray voir, comme par essay, vostre faute si a descouvert, que vous aures occasion de vous en repentir. Et toutefois, je vous supplie que si vous me voyes combattre, abattre et en fin surmonter l’ennemy avec la seule Escriture, vous vous representies alhors ceste grande et honorable suite de Martyrs, Pasteurs et Docteurs, qui ont tesmoigné par leur doctrine et au prix de leur sang que la doctrine pour laquelle nous combattons maintenant estoit la sainte, la pure, l’Apostolique, qui sera comme une surcharge de victoire : car, quand nous nous trouverions en pareille fortune avec nos ennemis, par la seule Escriture, l’ancienneté, le consentement, la sainteté de nos autheurs nous feroit tousjours triompher. Et a ceste occasion j’adjusteray tousjours le sens et la consequence que je produiray des Escritures, aux Regles que j’ay produites en la seconde Partie ; quoy que mon dessein principal ne soit que de vous faire essayer la vanité de vos ministres, qui ne faysans que crier, la Sainte Escriture, ne font rien plus que d’en violer les plus asseurëes sentences. En l’assemblëe des princes que se fit Spire l’an 1526, les ministres protestans portoyent ces lettres en la manche droitte de leurs vestements :V.D.M.I.AE; par lesquelles ilz vouloyent protester :Verbum Domini Manet in Aeternum(I Petri 1, 25). Ne diries vous pas que c’est bien eux qui seulz et sans compaignon, manient l’Escriture Sainte ? Ilz en citent a la verité des morceaux et a tous propos " en public, en privé ", en leurs discours, en leurs livres, es rues, es banquetz. Lises les opuscules de Paulus Samosatenus, de Priscillien, d’Eunomius, Jovinien et de ces autres pestes ; vous verres un grand amas d’exemples, et presque pas une pagëe qui ne soit fardëe et colorëe de quelques sentences du Viel et Nouveau Testament. Ilz font comme ceux qui veulent faire prendre quelque breuvage amer aux petitz enfans : ilz frottent et couvrent de miel le bord du gobelet , affin que ce simple aage, sentant premierement le doux, n’apprehende point l’amer. Mays qui sondera au fons de leur doctrine, verra clair comme le jour que ce n’est qu’une happelourde saffranëe, telle que celle le Diable produisoit quand il tentoit Nostre Seigneur, car il avançoit l’Escriture pour son intention. " o Dieu ", dit le mesme Lirinensis (Eodem Commonit. , cap 26), que fera il a l’endroit des miserables hommes, puisqu’il ose attaquer avec l’Escriture le Seigneur mesme de majesté ? Pensons de pres a la doctrine de ce passage, car comm’alors le chef d’un parti parla au chef de l’autre, ainsy maintenant les membres parlent aux membres, a sçavoir les membres du diable aux membres de Jesus-Christ, les perfides aux fideles, les sacrileges aux religieux, enfin les haeretiques aux catholiques. Mays comme le chef respondit au chef, ainsi pouvons nous faire, nous autres membres, aux membres : notre chef repoussa avec les passages mesme de l’Escriture repousons-les en mesme façon, et par des consequences solides et naifves, deduites de la Sainte Ecriture, monstrons la vanité et piperie avec laquelle ilz veulent couvrir leurs conceptions des paroles de l’Escriture.

C’est ce que je pretens ici, mays briefvement; et proteste que je produyray tres fidelement tout ce que je cuyderay estre de plus apparent de leur costé, puys par l’Escriture mesme les convaincray, affin que vous voyes que quoyque et eux et nous manions et nous armons de l’Escriture, nous en avons neanmoins la realité et droit usage, eux n’en ayant qu’une vaine apparence par maniere d’illusion; ainsy que non seulement Moise et Aaron, mays encores les magiciens animerent leurs verges et les convertirent en coloeuvres, mays la verge d’Aaron devora les verges des autres.









CHAPITRE PREMIER

DES SACREMENTS

ARTICLE PREMIER

DU NOM DE SACREMENT

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Ce mot de sacrement est bien expres en l’Escriture en la signification qu’il a en l’Église Catholique, puysque Saint Pol, parlant du Mariage, l’apelle clair et net, sacrement (Ephes 5, 32). Mays nous allons voir cecy cy apres; il suffit maintenant contre l’insolence de Zuingle (Anno 25, L. De vera et falsa Rel.) et des autres qui ont voulu rejetter ce nom, que toute l’Église ancienne en aÿe usé : car ce n’est pas avec une plus grand’authorité que le mot de Trinité, Consubstantiel, Personne, et cent autres sont demeurés en l’Église comme saints et legitimes; et c’est une tres inutile et sotte temerité de vouloir changer les motz ecclesiastiques que l’antiquité nous a laissés, outre le danger quil y auroit, qu’apres le changement des motz, on n’alla au change de l’intelligence et creance, comme on voit ordinayrement que c’est l’intention de ces novateurs de paroles. Or, puysque les praetendus reformateurs, pour la plus part, quoy que ce ne soit sans gronder, layssent ce mot en usage par mi leurs livres, amusons nous aux difficultés que nous avons avec eux sur les causes et les effets des Sacremens, et voyons comm’ilz mesprisent l’Escriture et les autre Regles de la foy.


ARTICLE II

DE LA FORME DES SACREMENS

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Commençons par Ici : l’Eglise Catholique tient pour forme des sacremens, des paroles consecratoires; les ministres pretendus ont voulu reformer ceste forme, disant que les paroles consecratoires sont charmes et que la vraie forme des sacremens est la predication. Qu’apportent les ministres de la Sainte Ecriture pour l’établissement de cette reforme ? Deux passages seulement, que je sache , l’un de saint Pol, l’autre de saint Mathieu. Saint Pol parlant de l’Eglise, dit que Nostre Seigneur l’a sanctifiée, mundas lavacro aquae in verbe (Ephes 5, 26); et Nostre Seigneur mesme, en saint Mathieu, fit ce commandement a ses disciples : docete hommes gentes, baptizantes eos in nomine Patris, et Filii, et Spiritus Sancti(Mat ult 19). Voyla donc des passages bien clairs pour monstrer que la praedication est la vraÿe forme des sacremens ? May s qui leur a dict quil ni a point d’autre verbum vitae que la praedication? Je soustiens, au contraire, que ceste sainte invocation, Je te baptise au nom du Pere, et du Filz, et du Saint Esprit, est encores un verbum vitae comme l’ont dict saint Chrysostome et Theodoret; aussi sont bien les autres saintes prieres et invocations du nom de Dieu, qui ne sont pourtant pas praedications. Que si saint Hieros me, suyvant le sens mistique, veut que la praedication soit une sorte d’eau purifiante, il ne s’oppose pourtant pas aux autres Peres, qui ont s’oppose pourtant pas aux autres Peres, qui ont entendu le lavage d’eau estre le Baptesme précisément, et la parole de vie, l’invocation de la Tressainte Trinité, affin d’interpreter le passage de saint Pol par l’autre de saint Mathieu : enseignes les gens les baptisans au nom du Pere, du Filz et du Saint Esprit. Et quand a ce dernier, personne ne nia jamays que l’instruction ne doive praeceder le Baptesme, a l’endroit de ceux qui en sont capables, suivant la parole de Nostre Seigneur qui place l’instruction avant le Baptesme. Mays nous arrestans a la mesme parole, nous mettons l’instruction devant, a part, comme disposition requise en celuy qui a l’usage de rayson, et le Baptesme a part encores; dont l’un ne peut estre la forme de l’autre, ni le Baptesme de la praedication, ni la praedication, du Baptesme. Que si neanmoins, l’un devaÿe estre la forme de l’autre, le Baptesme seraÿe plutost forme de la praedication que l’inverse; puysque la forme ne peut praeceder, ains doit survenir a la matiere et que la praedication praecede le Baptesme, et le Baptesme survient par apres la praedication : saint Augustin n’auroit pas bien dict quand il disoit : accedict verbum ad elementum (Tract LXXX in Joan § 3), et fit sacramentum. Il eut plutost deu dire : accedict elementum ad verbum. Ces deux passages ne sont donques pas advenans ni a propos pour votre reforme.

Or toutefoys vos pretensions seroient en certaine façon plus tolerables, si nous n’avions en l’Escriture des raysons contraires, plus expresses que les vostres ne sont, hors de toute comparayson. Les voyci : qui crediderit et baptizatus fuerit (Marc c ult v 16); voyes vous la croyance qui naÿe en nous par la praedication, separëe du Baptesme ? Ce sont donques deux choses bien distinctes, la praedication et le Baptesme. Qui doute que saint Pol n’aÿe catechisé et instruict de la foy plusieurs Corinthiens qui ont estés baptisés ? Que si l’instruction et la praedication estoit la forme du Baptesme, saint Pol n’avoit pas de rayson de dire, gratias ego Deo quod neminem baptizavi nisi Crispum et Caium, etc. (1 Co 1, 14) car donner forme a une chose, n’est ce pas la faire ? Bien plus, que saint Pol met a part l’acte de baptizer du prescher : non me misit Chrsitus baptizare sed evangelizare (vers 17). Et pour monstrer que le Baptesme est de Notre Seigneur et non de celuy qui l’administre, il ne dict pas nunquid in predicationae Poli baptizati estis ? (vers 13) montrant que quoyque la praedication praecede, si elle n’est pas de l’essence du Baptesme, pour attribuer au praedicateur et catechiste le Baptesme comme il est attribué au nom de celuy qui est invoqué. Pour vray, a qui regardera de plus pres le premier Baptesme faict apres la Pentecoste, verra clair comme le jour que la praedication est une chose et le Baptesme une autre. His audictis, voyla la praedication d’un costé, compuncti sunt corde, et dixerunt ad Petrum et ade reliquos Apostolos: quid faciemus viri fratres ? Petrus vero ad illos : paenitentiam, inquit, agite et baptizetur unusquisque vestrum in nomine Jesu Christi, in remissionem peccatorum vestrorum (Act 2, 37-38). Voyla le Baptesme d’un autre costé mis a part. Autant on peut remarquer au Baptesme de ce devost eunuque d’Ethiopie (Act 8, 35-38), en celuy de saint Pol, quil n’y eut point de praedication, et en celuy du bon et religieux Cornélius. Et quant a la Tressainte Eucharistie, qui est l’autre sacrement que les ministres font semblant de recevoir, ou trouveront ilz jamays que Nostre Seigneur y aÿe usé de praedication ? Saint Pol enseigne aux Corinthiens comment il faut celebrer la Cene, mays on n’y trouve point quil y soit commandé de precher. Et affin que personne ne doutast que le rite quil proposoit fut legitime, il dict quil l’avoit appris ainsi de Nostre Seigneur: ego enim accepi a Domino, quod et tradibi vobis (1 Co 11, 23). Nostre Seigneur fit bien un admirable sermon apres la Cene, recité par saint Jan, mays ce ne fut pas pour le mistere de la Cene qui estoit ja complet. On ne dict pas quil ne soitvconvenable d’instruire le peuple des Sacremens qu’on lui confere, mays seulement que ceste instruction n’est pas la forme des Sacremens. Que si en l’institution de ces divins misteres, et en la prattique mesme des Apostres, nous trouvons de la distinction entre la praedication et les Sacremens, a quelles enseignements les confondrons nous ? Ce que Dieu a separé, pourquoy le conjoindrons nous ? En ce point donques, selon l’Escriture, nous l’emportons, et les ministres sont convaincus de violation de l’Escriture, qui veulent changer l’essence des Sacremens contre leur institution.

Ilz violent encores la Tradiction, l’authorité de l’Eglise, des conciles, des Papes et des Peres, qui tous ont cru et croient que le Baptesme des petitz enfans est vray et legitime: mays comment veut on que la praedication y soit employée ? Les enfans n’entendent pas ce que l’on dict, ilz ne sont pas capables de l’usage de rayson, a quoy bon les instruire ? On peut bien prescher devant eux mays ce sera pour rien, car leur entendement n’est pas encor ouvert pour recevoir l’instruction, comme instruction ; elle ne les touche point, ni ne peut leur estre appliquëe, quel effet donq peut elle faire en eux ? Leur Baptesme donq seroit vain puysqu’il seroit sans forme et signification ; la forme donq du Baptesme n’est pas la praedication. Luther repond que les enfans ressentent des mouvemens actuelz de la foy par la praedication : c’est violer et dementir l’expérience et le sentiment mesme. Item, la pluspart des Baptesmes catholiques se font sans praedication. Ilz ne sont donq pas vrays baptesmes puysque la forme y manque. Que ne rebaptises vous donques ceux qui vont de nostre Eglise a la vostre ? Ce seroit un anabaptisme.

Or sus, voyla, selon les Regles de la Foy, et principalement selon l’Escriture Sainte, comment vos ministres errent quand ilz vous enseignent que la praedication est forme des Sacremens; mays voyons si ce que nous en croyons est plus conforme a la sainte Parole. Nous disons que la forme des Sacremens est une parole consecratoire, et de benediction ou invocation. y a il rien si clair en l’Escriture : docete omnes gentes, baptizantes eos in nomine Patris et Filii et Spiritus Sancti(Matt 28, 19); ceste forme, au nom du Pere, etc. est elle pas invocatoire ? Certes le mesme saint Pierre qui dict aux juifs, poenitentiam agite et baptizetur unusquique vestrum in nomine Jesu Christi, in remissionem peccatorum vespetro (Act 2, 38), dict peu apres au boiteux devant la belle porte, in nomine Jesu Christi Nazareni, surge et ambula(Act 3, 6)". Qui ne voit que ceste derniere parole est invocatoire ? Et pourquoy pas la premiere, qui est de mesme substance ? Ainsi saint Pol ne dict pas calix praedicationis de quo praedicamus, nonne communicatio Sanguinis Christi est ?(1 Co 10, 16)"; mays au contraire calix benedictionis cui benedimus . On le consacroit donques et on le benissoit : ainsy au Concile de Laodicëe, c. 25, Non oportet Diaconum calicem benedicere.. Saint Denis, disciple de saint Pol les appelle " consecratoires " (De Eccl Hier c ult § 3, 10) , et en sa description de la liturgie ou Messe, il ny met point la praedication, tant s’en faut quil la tint pour forme de l’Eucharistie. Au concile de Laodicée, où il est parlé de l’ordre de la messe, il ne se dict rien de la praedication, comme estant chose de decence mais non de l’essence de ce mistere. Justin le martyr decrivant l’office ancien que les Chretiens faysoyent le Dimanche, entr’autres choses, il dict ( Apol II al I § 67) qu’apres les prieres generales, on offroit pain, vin et eaüe, et alors le prelat faisoit de tout son effort prieres et actions de graces a Dieu, le peuple benissoit, disant Amen. His cum Eucharistia consecratis, unusquisque participat, eademque absentibus dantur diaconis perferrenda . Plusieurs choses sont icy remarquables, l’eau se mesloit au vin, on offroit, on consacroit, on en portoit aux malades : mays si nos reformateurs eussent esté la, il eust fallu lever l’eau, l’offrande, la consecration, et il eust fallu porter la praedication aux malades, ou alors c’eust esté pour neant; car comme dict Calvin misterii explicatio ad populum sola facit ut mortuum elementum incipiat esse sacramentum.. Saint Gregoire Nyssene dict : Recte nunc etiam Dei verbo sanctificatum panem in Verbi Corpus credimus immutari (Serm Catechetico c 37 De Sacramentis)et apres dict que ce changement se faict virtute benedictionis. Quo modo dict le grand saint Ambroise (De Sacram l 4 , c 4 §§ 14, 16), potest qui panis est Corpus esse Christi ? Consecratione ; et plus bas non erat Corpus Christi ante consecrationem, sed post consecrationem dico tibi quod jam est Corpus Christi, et voyes le bien au long, mays je me reserve sur ce sujet quand nous traitterons de la sainte Messe.

Mays je veux finir par ceste sentence de saint Augustin (L 3 de S. Trinit c 4) potuit Polussignificando praedicare Dominum Jesum Christum, aliter per sacramentum Corporis et Sanguinis ejus; nec linguam quippe ejus, nec membranas, nec atramentum, nec significantes , sonos linguas edictos, nec signa litterarum conscripta pelliculis, Corpus Christi et Sanguinem dicimus, sed illum tantum quod ex fructibus terrae acceptum, et prece mistica consecratum, rite sumimus.. Que si saint Augustin dict unde tanta vis aquae ut corpus tangat et cor abluat, nisi faciente verbe? Non quia dicitur, sed quia credictur, nous ne disons rien au contraire : car a la verité, les paroles de benediction et de sanctification avec lesquelles on forme et parfaict les Sacremens, n’ont poinct de vertu, sinon proferées sous la generale intention et creance de l’Eglise; car si quelqu’un les disoit sans ceste intention, elles seroient dictes visiblement pour rien, parce que non quia dicitur sed quia credictur.



ARTICLE III

DE L’INTENTION REQUISE EN L’ADMINISTRATION DES SACREMENS

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Je n’ay jamais trouvé aucune preuve puysëe en l’Escriture, de l’opinion que vos predicans ont en cest endroit. Ilz disent que quoyque le ministre n’aÿe aucune intention de faire la Cene ou baptizer, ains seulement de se moquer et badiner, neanmoins, pourvu quil face l’exterieure action du sacrement, le sacrement y est complet. Tout ceci se dict a crédict, sans produire autre que certaines conséquences sans Parole de Dieu, par forme de chicanerie. Au contraire, le concile de Florence et celuy de Trente déclarent que si quelqu’un dict que l’intention au moins de faire ce que faict l’Eglise n’est pas requise pour les ministres quand ilz confèrent les Sacremens, il est anathème. "; ce sont les termes du Concile. Le Concile ne dict pas quil soit requis d’avoir l’intention particulière de l’Eglise, car autrement les Calvinistes, qui n’ont pas l’intention de laver le péché originel, ne baptizeroient pas bien, puysque l’Eglise a ceste intention la, mays seulement de faire en général ce que l’Eglise faict quand elle baptise, sans particulariser ni déterminer quoy ni comment. Item, le concile ne dict pas quil soit nécessaire de vouloir faire ce que l’Eglise romaine faict, mays seulement en général ce que l’Eglise faict sans particulariser qu’elle est la vraye Église : ainsi qui, pensant que l’église prétendue de Genève fut la véritable, limiteraÿe son intention a l’église de Genève, se tromperaÿe si jamays homme se trompa en la connaissance de la vraye Eglise, mays son intention suffiraÿe en cet endroit, puysque encore qu’elle se terminât a l’intention d’une église faussaire, si tant est qu’elle ne s’y termineraÿe que sous la forme et conception de la vraye Eglise, et l’erreur ne seraÿe que matérielle, non formelle, comme disent nos docteurs. Item, n’est pas requis que nous ayons ceste intention actuellement quand nous conférons le sacrement, mays il suffit qu’on puisse dire avec vérité que nous faisons telle et telle cérémonie, et disons telle et telle parole, comme verser l’eau disant " je te baptise au nom du Pere, etc. " en l’intention de faire ce que les vrays chrétiens font et que Nostre Seigneur a commandé, quoyque pour l’heure, nous ne soyons pas attentifs, et n’y pensions pas précisément. Comme il suffit pour dire que je prêche pour servir Dieu et pour le salut des âmes, si lorsque je veux me préparer, j’ai ceste intention, bien que quand je suis en chaire je pense a ce que j’ai a dire et a m’en tenir en mémoire, et ne pense plus en ceste première intention: ou comme celuy qui a résolu de donner cent écus pour l’amour de Dieu, puis, sortant de sa mayson pour ce faire, pense a d’autres choses, et neanmoins distribue la somme; car encore quil n’aÿe pas la pensée dressée actuellement en Dieu, si ne peut-on pas dire quil aÿe son intention en Dieu en vertu de sa première délibération, et quil ne fasse ceste œuvre de charité délibérément et a son escient. Telle intention est du moins requise et suffit aussi pour la collation des Sacremens.

Or, que la proposition du concile soit éclairée, voyons voir si elle est comme celle des adversaires, sans fondement de l’écriture. On ne peut raysonnablement douter que pour faire la Cene de Nostre Seigneur, ou le Baptesme, il ne faille faire ce que Nostre Seigneur a commandé pour cet effet, et non seulement quil faille le faire, mays quil le faut en vertu de ce commandement et institution; car on peut bien faire ces actions en vertu d’autre que commandement du Seigneur, comme feraÿe un homme, qui dormant, songeraÿe et baptizeraÿe, ou bien étant ivre; pour vray, les paroles y seroient et l’élément, mays elles n’auraient point de force, ne procédant pas du commandement de qui peut les rendre vigoureuses et efficaces; ainsi que tout ce qu’un juge dict et écrit ne sont pas sentences judiciaires, mays seulement ce quil dict en qualité de juge. Or, comment pourraÿe-on mettre une différence entre les actions sacramentelles étant faictes en vertu du commandement qui les rend prenantes, et des mesmes cations faictes a d’autres fins ? Certes, le différence n’y peut estre que par l’intention avec laquelle, on les emploie; il faut donques que non seulement les paroles soient proférées, mays proférées avec intention de faire le commandement de Nostre Seigneur en la Cene " hoc facite, (au Baptesme), baptizantes eos in nomine Patris, etc. "

Mays a le dire franchement, ce commandement " hoc facite ", ne s’adresse-t-il pas au ministre de ce sacrement ? Sans doute! Or, n’est-il pas dict simplement, " hoc facite ", mays " facite in meam commemorationem "; et comment peut-on faire ceste action sacrée en commémoration de Nostre Seigneur, sans avoir l’intention d’y faire ce que celuy-ci nous a commandés, ou du moins ce que les Chrétiens, disciples de Nostre Seigneur font ? Affin que, sinon immédiatement, au moins par l’entremise de l’intention des Chrétiens ou de l’Eglise, on fasse ceste action en commémoration de Nostre Seigneur. Je crois quil est impossible d’imaginer un homme face a la Cene en commémoration de Nostre Seigneur, s’il n’a l’intention de faire ce que Nostre Seigneur a commandé, ou au moins de faire ce que font ceux qui le font en commémoration de Nostre Seigneur. Il ne suffit donques pas de faire ce que Nostre Seigneur a commandé quand il dict " hoc facite ", encoresfaut-il le faire avec l’intention que Nostre Seigneur l’a commandé, c’est a dire " in sui commemorationem "; sinon avec ceste intention particulière, au moins générale, sinon immédiatement, au moins médiatement, voulant faire ce que l’Eglise faict, laquelle a l’intention de faire ce que Nostre Seigneur a faict et commandé, si on s’en rapporte a l’intention de l’Epouse qui est ajustée au commandement de l’Epoux.

Pareillement, Nostre Seigneur ne dict pas qu’on dise ces paroles " ego te baptizo ", simplement, mays commanda que toute l’action du Baptesme se fit in nomine Patris, et que ceste authorité anime et revigore non seulement la Parole, mays toute l’action du sacrement, laquelle de soi n’auroit point de surnaturelle vertu. Or, comment peut-estre faicte une action au nom de Dieu, qui se faict pour se moquer de Dieu ? Pour vray, l’action du Baptesme ne dépend pas tellement des paroles, qu’elle ne se puisse faire en vertu et en authorité toute contraire aux paroles, si le cœur, qui est le moteur, des paroles et de l’action, les dresse a une fin contraire et intention. Bien plus, car ces paroles, au nom du Pere., peuvent estre dictes au nom de l’ennemi du Pere, comme ces paroles en vérité, peuvent et sont parfoys dictes en mensonge. Si donques Nostre Seigneur ne commande pas que l’on fasse l’action du Baptesme ni qu’on dise les paroles, mays que l’action se fasse et que les paroles se disent au nom du Pere, etc. Il faut avoir au moins l’intention générale de faire le Baptesme en vertu du commandement deNostre Seigneur, en son nom et de sa part; et quant a l’absolution, que l’intention y soit requise, il est plus qu’expresse : quorum remiseritis peccata, remittuntur eis, il laisse cela a leur délibération. Et c’est a ce propos que saint-Augustin : " unde tanta vis aquae, ut corpus tangat et cor abluat, nisi faciente verbe ? Non quia dicitur, sed quia credictur! " C’est a dire, les paroles de soi, étant proférées sans aucune intention ou créance, n’ont point de vertu, mays étant dictes en créance et vertu, et selon l’intention générale de l’Eglise, elles ont cet effet salutaire. Que s’il se trouve des histoires que certains Baptesmes faicts par jeu ont été approuvés, il ne le faut trouver étrange, parce qu’on peut faire en jeu plusieurs choses et neanmoins avoir l’intention de faire véritablement ce que l’on a voulu faire; mays on appelle jeu tout ce qui se faict hors de saison et de discrétion, quand il ne se faict pas par malice ou sans volonté.



CHAPITRE II

DU PURGATOIRE

AVANT-PROPOS

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L’Eglise Catholique a été accusée en notre temps de superstition en la prière qu’elle faict pour les fidèles trépassés, d’autant qu’en cela, elle suppose deux vérités que l’on prétend ne pas estre, a savoir, que les trépassés soient en peine et indigence, et qu’on les puisse secourir. Or les trépassés, ou ilz sont damnés ou ilz sont sauvés; les damnés sont en peine, mays irrémédiable, et les sauvés sont comblés de tout plaisir; de sorte qu ‘aux uns manque l’indigence, et aux autres le moyen de recevoir secours, et par ce n’y a lieu de prier Dieu pour les trépassés.

Voyla le sommaire de l’accusation. Mays certes, il doit suffire a tout le monde pour faire juste jugement sur ceste accusation, que les accusateurs étaient des personnes particulières et l’accusé estoit le corde l’Eglise universelle: et neanmoins, parce que l’humeur de notre siècle a porté de soumettre au contrôle et censure de chacun toute chose, tant sacrées, religieuses et authentiques puissent-elles estre, plusieurs personnes d’honneur et de marque ont pris le droit de l’Eglise en main pour la défendre; estimant ne pouvoir mieux employer leur piété et savoir, qu’a la défense de celle-la par les mains de laquelle ilz avaient reçu leur bien spirituel, le Baptesme, la doctrine chrétienne et les Escritures mesmes. Leurs raysons sont si prenantes que si elles étaient bien balancées et contrepesées a celle des accusateurs, on connaîtraÿe incontinent leur bon calibre, mays quoy ? On a porté sentence sans ouïr partie. N’avons-nous pas rayson , tous tant que nous sommes de domestiques et bons enfans de l’Eglise, de nous porter pour appelants et nous plaindre de la partialité des juges, laissant de costé pour le moment, leur incompétence ? Donques nous appelons des juges non instruits a eux-mesmes instruits, et des jugements faicts partie non ouïe, a des jugements partie ouïe, suppliant tous ceux qui voudront juger sur ce différent, de considérer nos allégations et probations d’autant plus attentivement, quil s’agit non de la condamnation de la partie accusée, qui ne peut estre condamnée par ses inférieurs, mays de la damnation ou du salut de ceux mesmes qui en jugeront.



Sales, Controverses 283