Augustin, la sainte virginité. - CHAPITRE XXI. RÉSUMÉ DE CE QUI PRÉCÈDE.

CHAPITRE XXI. RÉSUMÉ DE CE QUI PRÉCÈDE.


21. Mais, direz-vous, qu'impode cette discussion à la sainte virginité ou à la continence perpétuelle que nous avons à traiter ici? Je réponds d'abord, ce que j'ai déjà répondu, que la gloire de la virginité est d'autant plus belle que, pour l'acquérir, on s'est élevé au-dessus de l'honneur conjugal, ou, en d'autres termes, que l'on a renoncé au mariage qui pourtant n'est pas un péché. Autrement on ne devrait plus louer la continence perpétuelle, il suffirait de ne pas la condamner, car alors elle deviendrait le moyen nécessaire d'échapper au crime du mariage. Je réponds ensuite que ce n'est point sur. des raisons humaines, mais sur l'autorité de l'Ecriture divine, que l'on doit inviter les hommes à cet état de perfection; comment, dès lors, ne pas insister fortement pour justifier la sainte Ecriture, et empêcher qu'elle paraisse mensongère en quelque point que ce soit? Forcer à la virginité en condamnant le mariage, ce n'est pas plaider sa cause, c'est la compromettre. Comment, en effet, faire croire à la vérité de cette parole: «Celui qui ne marie pas sa fille fait mieux», si l'on ne voit que mensonge dans cette autre qui précède immédiatement: «Celui qui marie sa fille fait bien?» Admettez au contraire que les vierges croient, d'une foi certaine, à l'Ecriture, quand elle affirme que le mariage est bon; vous les verrez aussitôt, s'appuyant sur l'infaillible autorité de cette même Ecriture, s'animer d'une ardeur nouvelle et s'élancer vers le bien supérieur qu'elles ont préféré.

Mais je crois en avoir dit assez sur ce sujet; je crois aussi n'avoir rien négligé pour prouver que cette parole de l'Apôtre: «Je pense que cela est bon pour la nécessité présente», ne peut s'interpréter dans ce sens que la virginité soit pour ce monde préférable au mariage, tandis que pour l'éternité et le siècle futur, virginité et mariage seraient dans un rang de parfaite égalité. Quant à ces autres paroles, relatives aux personnes mariées: «Elles éprouvèrent la tribulation de la chair, mais «je vous épargne (1)», je crois avoir démontré qu'elles ne peuvent être interprétées en ce sens que l'Apôtre ait mieux aimé taire qu'affirmer du mariage qu'il est un péché et une cause de


1. 1Co 7,38 1Co 26,28

damnation. Pour ceux qui ne les comprennent pas, ces deux maximes semblent être deux erreurs diamétralement opposées. Ceux qui prétendent égaler les époux aux vierges interprètent en leur faveur la nécessité présente dont parle l'apôtre; et ceux qui condamnent le mariage s'appuient sur ces autres paroles «Pour moi, je vous épargne». Nous appuyant donc sur la foi et sur la saine doctrine des Ecritures, nous disons que le mariage n'est point un péché, et cependant qu'il est un état moins parfait, non-seulement que celui de la virginité, mais même que celui de la viduité. Nous disons que la nécessité présenté pour les époux,,sans leur ôter le droit à la vie éternelle, les prive, par le fait même, de cette gloire par excellence réservée à la chasteté perpétuelle. Nous disons que dans cette vie le mariage n'est utile que pour ceux à qui la continence est impossible; nous ajoutons que sans vouloir passer sous silence la tribulation de la chair qui résulté de l'affection charnelle, sans laquelle le mariage n'est pas possible pour les incontinents, l'Apôtre n'en a pas parlé plus longuement, pour épargner ces détails à la faiblesse humaine.

CHAPITRE XXII. ON DOIT AIMER LA VIRGINITÉ SURTOUT PAR RAPPORT A LA VIE FUTURE. - TÉMOIGNAGE DE SAINT PAUL.


22. Citons à ce sujet, autant que nous le permettra notre faible mémoire, les témoignages les plus évidents de la sainte Ecriture. Il en résulte clairement que ce n'est pas pour la vie présente, mais surtout pour la vie future, que l'on doit aimer la continence perpétuelle. Cette conclusion découle naturellement de ces paroles du même apôtre: «Celui qui est sans épouse s'occupe de ce qui est de Dieu et de ce qui peut lui plaire; tandis que celui qui est marié s'occupe des choses du monde et cherche à plaire à sa femme. Le coeur de l'épouse est partagé, tandis que celle qui n'est pas mariée recherche avec sollicitude ce qui peut glorifier le Seigneur et la rendre sainte de corps et d'esprit. Celle qui est mariée s'occupe des choses du monde et cherche à plaire à son époux (1)». L'Apôtre ne dit pas qu'elle s'occupe de ce qui peut lui procurer la sécurité dans le monde et la soustraire aux

1. 1Co 7,32-34

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tourments plus graves du temps. La différence qu'il établit entre la vierge et l'épouse, il ne la fonde pas sur la liberté dont la vierge jouit à l'égard des peines temporelles auxquelles l'épouse est soumise, mais, dit-il, ses pensées ne sont que pour le Seigneur; elle cherche ce qui peut le glorifier et la rendre sainte de corps et d'esprit. Quelque partisan insensé de la chicane dira-t-il: Ce n'est pas pour le royaume des cieux, mais pour le siècle présent que nous voulons plaire à Dieu; c'est pour la vie présente et non pour la vie future que nous voulons être saints de corps et d'esprit? Une telle assertion soulève la pitié la plus profonde. L'Apôtre n'a-t-il pas dit: «Si c'est uniquement pour cette vie que nous espérons dans le Christ, nous sommes les plus malheureux de tous les hommes (1)?» Si donc c'est folie de rompre son pain en faveur de l'indigent quand on ne le fait que pour cette vie, sera-ce faire preuve de prudence d'astreindre son corps à la continence perpétuelle, si cette sévérité n'a droit à aucune récompense dans l'autre monde?

CHAPITRE XXIII. TÉMOIGNAGE DE JÉSUS-CHRIST.


23. Ecoutons Notre-Seigneur nous formulant lui-même cette maxime évidente. Il venait, d'un accent majestueux et divin, de défendre aux époux de se séparer, excepté pour cause de fornication; ses disciples lui répondent: «Si telle est la condition de l'homme avec sa femme, il est préférable de ne pas se marier. Tous, réplique le Sauveur, ne comprennent pas cette parole. Il en est qui naissent eunuques; d'autres le deviennent par le crime des hommes; il en est enfin qui se le rendent en vue du royaume des cieux. Que celui qui peut comprendre, comprenne (2)». Quoi de plus vrai? quoi de plus clair? Jésus-Christ, c'est-à-dire la Vérité, la Force et la Sagesse de Dieu, nous dit que ceux qui, dans un motif religieux, s'abstiennent du mariage, c'est pour le royaume des cieux qu'ils le font; et la vanité humaine ose soutenir follement que ceux qui se vouent à la virginité, ne se proposent que d'échapper à la nécessité présente des peines conjugales, et qu'ils n'ont pas d'autre récompense que les autres à attendre dans le royaume des cieux!

1. 1Co 15,19 - 2. Mt 19,10-12

CHAPITRE XXIV. TÉMOIGNAGE D'ISAÏE.

24. De quels eunuques le Seigneur parle-t-il par le prophète Isaïe, quand il promet de leur donner dans sa demeure une place privilégiée, plus belle que celle des fils et des filles? N'est-ce pas de ceux qui le sont devenus pour le royaume de Dieu? Quant à ceux qui, comme les eunuques des riches et des rois, le deviennent par le crime des maîtres, il leur suffit d'être chrétiens et d'observer les commandements de Dieu: et s'ils sont dans une disposition telle qu'ils embrasseraient le mariage s'ils en avaient le pouvoir, ils tombent, aux yeux de Dieu, dans une égalité complète avec les fidèles mariés qui apprennent à leurs enfants à placer leur espérance en Dieu seul. Leur récompense ne peut donc pas être supérieure à celle des fils et des filles. En effet, s'ils ne se marient pas, c'est uniquement parce qu'ils ne le peuvent, ce n'est point par l'effort de leur volonté. Libre à qui le voudra de soutenir que le prophète s'adressait aux eunuques charnels et véritables; cette erreur même ne peut que servir la cause que je défends. Car ce n'est pas seulement à ceux qui n'ont aucune place dans sa demeure céleste que Dieu préfère ces eunuques, mais à ceux mêmes qui, dans les devoirs du mariage, ne portent aucune atteinte à la vertu conjugale. En disant qu'il leur donnera une place de beaucoup plus belle, il affirme que les époux en auront une, mais de beaucoup inférieure.

Admettrons-nous que c'est dans la maison de Dieu simplement que sont appelés ces eunuques selon la chair, qui n'étaient pas admis dans les rangs du peuple juif, et qui au lieu de se faire juifs, se convertissent sous nos yeux au christianisme; et que le prophète ne parle pas de ceux qui pour se donner à la continence et pour éviter le mariage embrassent la chasteté parfaite dans le but unique de parvenir plus sûrement au royaume des cieux? Quelle folie, dès lors et quelle erreur de croire que les eunuques selon la chair obtiendront au ciel une gloire plus brillante que les personnes mariées; tandis que ceux qui embrassent la continence volontaire dates un motif religieux, ceux qui châtient leur corps jusqu'à mépriser le mariage, ceux qui portent le fer de la mortification non pas dans le corps seulement, mais jusqu'à la racine même de la (134) concupiscence, ceux enfin qui, dans une chair mortelle, mènent une vie céleste et angélique, ceux-là n'auraient ni plus de mérite ni plus de gloire que les personnes mariées! Et quand Jésus-Christ loué ostensiblement ceux qui se condamnent? à la continence, non pas. pour échapper aux soucis de ce siècle, mais pour le royaume des cieux, un: chrétien oserait le contredire et affirmer que si la continence est utile polir la vie présente, elle ne l'est point pour le siècle futur! Qu'ils fassent un pas de plus, qu'ils prétendent que le royaume des cieux se confond avec la vie présente! Pourquoi leur aveugle présomption n'irait-elle pas jusqu'à cette absurdité? Et quelle absurdité plus révoltante! Si quelquefois c'est l'Eglise de la terre qui est désignée par ces paroles le royaume des cieux, n'est-ce point parce qu'elle se prépare à la vie future et éternelle? Cette Eglise, il est vrai, possède la: promesse de la vie future et éternelle (1); mais dans toutes ses bonnes oeuvres ce «ne sont pas les choses visibles qu'elle envisage mais les choses invisibles. Car les choses visibles sont temporelles, taudis que les choses invisibles sont éternelles (2)».

1. 1Tm 4,8 - 2. 2Co 4,18

CHAPITRE XXV. LA RÉCOMPENSE ÉTERNELLE PRÉDITE PAR ISAIE.

25. L'Esprit-Saint a daigné lui-même confondre l'impudence et la folie de ces obstinés; il a victorieusement triomphé de leurs attaques furibondes, en entourant la vérité d'un mur infranchissable. En parlant des eunuques il avait dit: «Je leur donnerai dans ma maison la place par excellence, une gloire beaucoup plus belle qu'aux fils et aux filles». Puis craignant qu'un oeil trop charnel ne voie dans ces paroles une promesse temporelle, il ajoute aussitôt: «Je leur donnerai un nom éternel qui ne leur fera jamais défaut (3). C'est comme s'il eût dit: Pourquoi tergiverser, aveuglement impie, pourquoi tergiverser? Pourquoi envelopper des ombres de ta perversité une vérité si pure? Devant cette éclatante lumière dès Ecritures, pourquoi chercher à invoquer des ténèbres accusatrices? Pourquoi ne promettre à la sainte continence qu'une récompense temporelle? «Je leur donnerai un nom éternel!» Pourquoi ne supposer qu'un but purement humain à ceux

- 3. Is 57,4-5

qui ont conservé intègre leur virginité, et qui ne renoncent pas aux jouissances de la chair que pour donner toutes leurs pensées à Dieu, et chercher en tout à lui plaire? «Je leur donnerai un nom éternel!» Sur quoi vous appuyez-vous pour. soutenir qu'il ne s'agit que de la terre, dans ce royaume des cieux pour lequel ils ne reculent devant aucune des exigences de la virginité? «Je leur donnerai un nom éternel!» Ce mot ne signifie-t-il à vos yeux qu'un nom durable? Ecoutez donc cette accumulation, cette insistance: «Et ce nom ne défaillira jamais!» Que cherchez-vous de plus? Que voulez-vous de plus ce nom éternel, quel qu'il soit, avec sa signification évidente d'une gloire propre et excellente, est réservé aux eunuques de Dieu, à l'exclusion du grand nombre, alois mimé,que tous seraient dans le même royaume et dans la même demeure. La propriété essentielle d'un nom, n'est-elle pas de distinguer de tous les autres ceux qui l'ont reçu?


CHAPITRE 26. LE DENIER ACCORDÉ A TOUS LES OUVRIERS DE LA VIGNE.


26. Que signifie alors, nous disent-ils, ce denier accordé indistinctement à tous les ouvriers de la vigne, soit à ceux qui avaient travaillé depuis la première heure, soit à ceux qui n'avaient commencé qu'à la onzième (1)? - Et comment ne pas y voir la preuve que tous posséderont en commun le royaume des cieux ou la vie éternelle; dans ce séjour où seront rassemblés tous deux que Dieu a prédestinés, appelés, justifiés et glorifiés? «Il faut», dit l'Apôtre, «que ce corps corruptible révélé l'incorruptibilité, et que ce corps mortel revête l'immortalité»; tel est le denier ou la récompense commune. «Les étoiles», cependant; «diffèrent l'une de l'autre en splendeur; telle sera aussi la résurrection des morts». Evidemment, il est ici question de la différence des mérites chez les saints. Le denier désigne le ciel, j'y consens; mais n'est-ce pas au ciel que sont aussi suspendus tous les astres? Et cependant «autre est la gloire du soleil, autre celle de la lune, autre celle dés étoiles (2)». Veut-on voir dans ce denier l'image de la santé du corps? La santé, quand elle existe, n'est-elle pas commune à tous les membres?


1. Mt 20,9 - 2. 1Co 15,53 1Co 15,41-42

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et si elle persévère jusqu'à la mort, jusque-là aussi elle est leur partage égal. Et cependant «c'est Dieu qui a déplacé ces membres dans le corps, comme il l'a voulu (1)», afin que le corps tout entier ne fût pas l'oeil, ne fût pas l'ouïe, l'odorat. Chacune de ces parties a sa spécialité, quoique, pour toutes, la santé soit égale et commune. Ainsi la vie éternelle en elle-même sera le partage de tous les saints; voilà ce que ligure le denier accordé à tous les ouvriers. Mais, dans le ciel, les mérites brilleront d'un éclat divers; voilà pourquoi il y a diverses demeures dans la maison de mon Père (2). Le denier est le même pour tous quant à sa nature, parce que la vie, au ciel, n'est pas plus longue pour les uns que pour les autres; mais les demeures y sont nombreuses et diverses, parce que la gloire n'y est pas la même pour tous.

1. 1Co 12,18 - 2. Jn 14,2

CHAPITRE 26I. GLOIRE EXCELLENTE ET SPÉCIALE RÉSERVÉE AUX VIERGES.

27. Courage donc, enfant de Dieu, Jeunes gens et jeunes filles, hommes et femmes vierges; persévérez jusqu'à la fin. Louez le Seigneur avec d'autant plus de suavité que vous pensez à lui plus fréquemment; espérez d'autant plus heureusement en lui que vous le servez avec d'autant plus de constance; aimez-le avec d'autant plus d'ardeur que vous apportez plus de soins à lui plaire. «Les reins ceints et la lampe allumée, attendez le Seigneur à son retour des noces (3)». Aux noces de l'Agneau vous apporterez un cantique nouveau, que vous chanterez sur vos harpes. Ce cantique ne sera pas celui que chante toute la terre, à laquelle il est dit: «Chantez au Seigneur un cantique nouveau; que toute la terre chante le Seigneur (4)». Ce cantique, vous seuls pourrez le chanter. C'est vous qu'a vus dans l'Apocalypse ce disciple bien-aimé qui reposa sa tête sur la poitrine de son Maître, et y aspira à longs traits, pour les célébrer ensuite, les merveilles du Verbe de Dieu. Il vous a vus en nombre incalculable, chantant sur vos harpes la virginité sans tache dans le corps, et la vérité pure dans le coeur. Il a écrit de vous que vous suivez l'Agneau partout où il va (5). Et où donc va l'Agneau, quand nul autre que vous n'ose ou ne peut le suivre?

- 3. Lc 12,35-36 - 4. Ps 95,1 - 5. Ap 14,2-4

Où va-t-il? Dans quelles forêts? Dans quels gras pâturages? Là sans doute où la joie surabonde, non pas cette vaine joie du siècle, ces mensonges insensé; non pas même cette joie que goûteront dans le royaume des cieux, ceux qui ne sont pas vierges; mais une joie différente de toutes les autres joies, la joie des vierges, joie de Jésus-Christ, en Jésus-Christ, avec Jésus-Christ, après Jésus-Christ, par Jésus-Christ,.pour Jésus-Christ. La joie propre aux vierges de Jésus-Christ, n'est pas la même que la joie des époux, qui pourtant appartiennent aussi à Jésus-Christ. Aux autres, d'autres joies, mais à personne une joie aussi grande. Plongez-vous-y, suivez-y l'Agneau, car la chair de l'Agneau est vierge aussi. En croissant, l'Enfant divin a conservé en lui-même ce trésor qu'il n'a ravi à sa mère ni dans sa conception, ni dans sa naissance. Il est donc vrai de dire que vous le suivez parla virginité du coeur et de la chair. En effet, qu'est-ce. que suivre quelqu'un, sinon l'imiter? «Jésus-Christ a souffert pour nous, nous donnant l'exemple, afin, dit saint Pierre, que nous marchions sur ses traces (1)». Chacun le suit dans ce en quoi il l'imite, non pas en tant qu'il est le Fils unique de Dieu, par qui tout a été fait, mais en tant qu'il est le Fils de l'homme, car c'est ainsi qu'il s'est posé comme modèle et a réalisé dans sa personne tout ce .qu'il nous est nécessaire d'imiter. Combien de choses pour tous à reproduire dans sa personne! Quant à la virginité de la chair, elle n'est point donnée à tous, car elle est devenue absolument impossible à ceux qui l'ont une première fois perdue.

1. 1P 2,21

CHAPITRE 28. JUSQU'A QUEL POINT TOUS PEUVENT-ILS SUIVRE L'AGNEAU.

28. Que ceux qui ont perdu la virginité du corps suivent l'Agneau, non point partout où il ira, mais jusqu'où ils pourront. Or ils le peuvent partout, excepté dans la gloire de la virginité. «Bienheureux les pauvres en esprit»: imitez celui qui étant la richesse même, s'est fait pauvre pour nous (2). «Bienheureux ceux qui sont doux»: imitez Celui qui a dit «Apprenez de moi que je suis doux et humble de coeur (3)». Bienheureux ceux qui pleurent»: imitez Celui qui a pleuré sur Jérusalem (4).

- 2. 2Co 8,9 - 3. Mt 11,29 - 4. Lc 19,41

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«Bienheureux ceux qui ont faim et soif de la justice»; imitez Celui qui a dit: «Ma nourriture est de faire la volonté de celui qui m'a envoyé (1)». «Bienheureux ceux qui font miséricorde»: imitez Celui qui a porté secours à l'étranger blessé par les voleurs et gisant demi-mort sur le chemina. «Bienheureux ceux «qui ont le coeur pur»: imitez Celui qui n'a commis aucun péché et dont les lèvres n'ont jamais articulé le mensonge (2). «Bienheureux ceux qui aiment la paix»: imitez Celui qui, parlant de ses persécuteurs, s'est écrié: «Mon Père, pardonnez-leur, car ils ne savent ce qu'ils font (3)». «Bienheureux ceux qui souffrent persécution pour la justice (4)»: imitez «Celui qui a souffert pour vous, vous donnant l'exemple, afin que vous marchiez sur ses traces (5)». Ceux qui suivent cette voie d'imitation, suivent par cela même l'Agneau. Les époux peuvent aussi courir cette carrière leur marche y sera sans doute moins ferme et moins parfaite; toutefois ces sentiers ne leur sont point fermés.

1. Jn 4,34 - 2. Lc 10,30-35 - 3. 1P 2,22 - 4. Lc 23,34 - 5. Mt 5,3-10 - 6. 1P 2,21


CHAPITRE XXIX. GENRE D'IMITATION RÉSERVÉ AUX VIERGES. AU CIEL POINT DE JALOUSIE.

29. Mais voici que l'Agneau s'avance dans la voie de la virginité. Comment pourraient le suivre ceux qui ont perdu ce qu'ils ne peuvent plus recouvrer? Vous, du moins, ses vierges bien-aimées, suivez-le; marchez sur ses traces; la virginité vous donne seule le droit de le suivre partout où il va. Nous pouvons exhorter les époux à le suivre vers tout autre degré de la sainteté; mais celui-ci leur est irrévocablement fermé. Suivez-le donc, et conservez avec constance ce que vous avez voué avec ardeur. Loin de vous tout ce qui pourrait vous ravir la belle virginité; car une fois perdue, tout serait impuissant à vous la rendre.

La foule des fidèles, qui ne peut jusque-là suivre l'Agneau, vous contemplera avec amour; elle vous verra et ne jalousera point votre bonheur; en glorifiant en vous ce qu'elle n'a point, elle le possédera en quelque sorte. Chanter ce cantique nouveau qui vous est propre, la foule ne le peut; mais elle pourra l'entendre et se réjouir de votre glorieux privilège. Pour vous, qui le chanterez et l'entendrez tout ensemble, plus beaux seront vos tressaillements, plus grand sera votre bonheur. Ce bonheur, toutefois, ne soulèvera aucune amertume dans l'âme de ceux qui en seront privés. Car l'Agneau, que vous suivrez partout où il va, n'abandonnera pas ceux qui ne peuvent le suivre avec vous. Il est tout-puissant; il vous précédera sans se séparer des autres, car «Dieu sera tout en tous (1)». Les moins favorisés ne nourriront aucune jalousie contre vous; et là où nulle jalousie ne règne, les différences ne détruisent point l'union. Confiance donc, courage et persévérance, vous qui, pour le Seigneur votre Dieu, formez et accomplissez les veaux de perpétuelle continence, non pour le siècle présent, mais pour le royaume des cieux!

1. 1Co 15,28

CHAPITRE XXX. LA VIRGINITÉ, OEUVRE DE SURÉROGATION ET NON DE PRÉCEPTE.

30. Et vous qui n'avez pas fait ce voeu, emparez-vous-en, si vous le pouvez (2); courez sans relâche, afin d'arriver au but (3). Apportez chacun votre victime et entrez dans le sanctuaire du Seigneur (4). Pourtant aucune nécessité ne vous contraint; vous êtes libres. Il est dit: «Tu ne commettra point d'adultère, tu ne tueras point (5)»; mais il n'est pas dit vous ne vous marierez pas. Là s'impose le précepte, ici s'offre le conseil. Suivez-le et vous serez glorifiés; mais en résistant au précepte vous seriez condamnés. Dans l'un, Dieu nous impose un devoir; dans l'autre, si nous faisons plus que ce qui nous est commandé, le Seigneur nous le rendra au centuple (6). N'oubliez pas que dans la demeure éternelle, il y aura, quelle qu'elle soit, une place plus excellente que celle des fils et des filles. N'oubliez pas qu'il y aura là un nom éternel (7). Qui nous -expliquera ce que doit être ce nom? Quel qu'il soit, il est certain qu'il sera éternel. Cette foi, cette espérance et cet amour vous ont rendus capables non pas seulement d'éviter les unions défendues, mais encore de vous élever au-dessus même de ce qui vous est permis.

- 2. Mt 19,12 - 3. 1Co 9,24 - 4. Ps 95,8 - 5. Ex 20,13-14 - 6. Lc 10,35 - 7. Is 57,5

137

CHAPITRE XXXI. L'HUMILITÉ NÉCESSAIRE AUX VIERGES.


31. Nous n'avons rien négligé pour exalter, comme il le mérite, le privilège de la chasteté. Mais plus il est excellent et divin, plus il nous impose aussi la nécessité de parler de sa plus sûre gardienne, l'humilité. Si, appuyées sur les saintes Ecritures, les vierges se comparent aux personnes mariées, elles se trouveront supérieures par leurs oeuvres et par la récompense, par leur voeu et par la couronne qui l'attend. Mais qu'aussitôt elles se rappellent ces paroles de l'Ecriture: «Plus tu es grand, plus tu dois en tout t'humilier et tu trouveras grâce devant le Seigneur (1)». La mesure de l'humilité pour chacun, est la mesure même de sa grandeur. De là le danger de l'orgueil, dont les insinuations perverses sont toujours en proportion du degré d'élévation. Il est immédiatement suivi de la jalousie, sa compagne et sa fille. En effet, c'est de l'orgueil qu'est issue la jalousie; la mère et la fille sont inséparables. Le grand maître de ces deux vices, c'est le démon. Voilà pourquoi la religion chrétienne s'attaque avant tout à l'orgueil et à sa fille, la jalousie. Son précepte par excellence, c'est l'humilité, principe et sauvegarde de la charité. C'est de la charité que l'Apôtre dit: «Elle ne jalouse pas»; et comme s'il voulait en donner la raison, il ajoute aussitôt: «Elle ne s'enfle pas (2)»; c'est-à-dire, elle repousse l'envie parce que l'orgueil lui est en horreur. La première chose que fit Jésus-Christ, le grand docteur de l'humilité, fut «de s'anéantir lui-même en prenant la forme d'esclave, en se faisant semblable à l'homme et en prenant l'extérieur de l'homme; il s'est humilié lui-même en se faisant obéissant jusqu'à la mort, et à la mort de la croix (3)». Que la doctrine de Jésus-Christ se propose d'une manière spéciale d'insinuer l'humilité; qu'elle en fasse un précepte vivement recommandé, comment recueillir tous les documents qui le prouvent, ou en donner une explication complète? Que celui qui voudra faire un traité spécial de l'humilité, tente cette noble entreprise; mais tel n'est pas le but de cet ouvrage; du reste, la vertu dont il y est traité est si grande, qu'elle doit avant tout se défier de l'orgueil.

1. Si 3,20 - 2. 1Co 13,4 - 3. Ph 2,7-8

CHAPITRE 32. L'HUMILITÉ PRESCRITE PAR JÉSUS-CHRIST.


32. Je vais donc citer quelques passages seulement, ceux que le Seigneur daigne me rappeler à la mémoire et dans lesquels Jésus-Christ expose sa doctrine sur l'humilité. Ces passages suffiront pour le but que je me propose. Dans le premier grand discours qu'il ait adressé à ses disciples, il commence par ces paroles: «Bienheureux les pauvres en esprit, car le royaume des cieux est à eux (1)», paroles qui évidemment ne s'appliquent qu'aux humbles. Si Jésus-Christ loue avec une complaisance si marquée la foi du centurion, s'il déclare qu'il n'en a jamais trouvé d'aussi vive en Israël, c'est parce que l'humilité lui a dicté ces paroles: «Je ne suis pas digne que vous entriez dans ma maison (2)». Saint Luc indique clairement que ce centurion ne se rendit pas en personne auprès du Sauveur, mais qu'il députa vers lui quelques-uns de ses amis (3). Saint Matthieu au contraire nous le montre aux pieds même de Jésus-Christ pourquoi, sinon pour nous faire entendre que son humilité le plaçait plus près de Jésus-Christ que ceux qu'il lui avait envoyés? De là, ce mot du prophète: «Le Seigneur est plus élevé que les cieux, et il jette un regard sur les humbles, tandis qu'il ne voit que de loin les superbes (4)»; car ceux-ci ne s'approchent point de lui. De là aussi cette parole du Sauveur à la chananéenne: «O femme, ta foi est grande; qu'il soit fait comme tu veux». Et cependant il n'y avait qu'un instant qu'il l'avait traitée de chienne et avait affirmé qu'on ne devait pas lui jeter le pain des enfants. Accueillant humblement cette dure parole, elle avait répondu: «C'est vrai, Seigneur, mais les chiens ne mangent-ils pas les miettes qui tombent de la table de leur maître?» Ce qu'elle n'avait pu obtenir par ses clameurs multipliées, elle l'obtint par son humilité (5).

1. Mt 5,3 - 2. Mt 8,5-10 - 3. Lc 7,6-7 - 4. Ps 27,6 - 5. Mt 15,22-28

Deux hommes, l'un, pharisien, l'autre publicain, nous sont proposés priant dans le temple. C'est pour confondre ceux qui se croient justes et qui n'ont que du mépris pour les autres. Ici le Sauveur préfère la confession des péchés à l'énumération des bonnes oeuvras. Le pharisien, en effet, remerciait (138) Dieu des actions dans lesquelles il se complaisait: «Je vous rends grâces, dit-il, de ce que je ne suis pas comme les autres hommes, injustes, voleurs, adultères, et surtout comme ce publicain. Je jeûne deux fois la semaine, je donne la dîme de tout ce que je possède. Quant au publicain, il se tenait loin du sanctuaire, et sans oser lever les yeux au ciel, il se frappait la poitrine en disant «Seigneur, ayez pitié de moi qui ne suis qu'un pécheur». La sentence divine ne se fit point attendre: «En vérité, je vous le déclare, le publicain descendit plus justifié que le pharisien». La raison, la voici: «Celui qui s'élève sera abaissé, et celui qui s'abaisse sera exalté (1)». Il peut donc arriver que quelqu'un évite réellement le mal et trouve en lui un bien réel dont il rend grâces au Père des lumières, de qui vient tout don parfait et excellent (2). Cependant il sera réprouvé pour son orgueil, si seulement clans sa pensée et devant Dieu il méprise les autres pécheurs, surtout ceux qui confessent leurs fautes. Car les pécheurs, loin de mériter d'orgueilleux reproches, doivent exciter, la pitié et la confiance.

Les apôtres demandaient à leur Maître lequel d'entre eux serait le premier; le Sauveur plaça au milieu d'eux un petit enfant en leur disant: «Si vous ne devenez comme cet enfant, vous n'entrerez pas dans le royaume des cieux (3)». N'était-ce pas recommander hautement l'humilité et en faire le principe de toute grandeur réelle? Aux enfants de Zébédée qui ambitionnaient d'être assis à ses côtés dans son royaume, Jésus-Christ répondit qu'ils devaient se préparer à boire son calice (4), les humiliations auxquelles il s'est condamné jusqu'à mourir et mourir sur la croix (5), plutôt que d'aspirer orgueilleusement à être préférés aux autres. C'était leur montrer clairement qu'il ne rendrait grands que ceux qui l'auraient suivi dans le chemin de l'humilité. Immédiatement avant sa passion, il lava les pieds à ses Apôtres, et les avertit de faire les uns à l'égard des autres ce qui venait d'être fait pour eux, par leur Seigneur et Maître (6); quelle puissante exhortation à l'humilité! Or, pour la leur adresser, il choisit le moment où, sur le point de courir à la mort, il attirait sur lui leurs regards étonnés. C'était là le dernier

1. Lc 8,10-14 - 2. Jc 1,17 - 3. Mt 18,1-3 - 4. Mt 20,21-22 - 5. Ph 2,8 - 6. Jn 13,1-17

exemple offert à leur imitation par le divin Maître; c'était celui aussi dont ils devaient garder plus fidèlement le souvenir. Ce qu'il aurait pu faire en toute autre circonstance, pendant qu'il était avec eux, le Sauveur le réserva pour ce moment suprême. En toute autre occasion l'exemple eût été donné, tuais il n'eût pas été également bien reçu.

CHAPITRE XXXIII. L'HUMILITÉ NÉCESSAIRE AUX CHRÉTIENS, MAIS SURTOUT AUX VIERGES.

33. Le chrétien porte le nom même de Jésus-Christ. C'est assez dire qu'il doit pratiquer l'humilité, car ce serait ne pas connaîtra; l'Evangile que de ne pas y voir les plus hautes leçons d'humilité que nous y donne le Sauveur. Mais la pratique de cette vertu est spécialement nécessaire à ceux qui brillent au-dessus des autres par quelque privilège spécial. Ceux-là surtout ne doivent pas oublier cette parole déjà citée: «Plus tu es grand, plus tu dois t'humilier et tu. trouveras grâce devant Dieu (1)». Comme une grande vertu, dans l'Eglise de Dieu. c'est la continence perpétuelle et surtout la sainte virginité, aucun soin n'est à négliger pour soustraire cette vertu à l'injustice de l'orgueil.

CHAPITRE XXXIV. QUELLES VIERGES EXHORTONS-NOUS A L'HUMILITÉ.

34. Saint Paul signale des veuves curieuses et causeuses, et il attribue ce défaut à l'oisiveté. «Celles qui restent dans l'oisiveté, dit-il, mettent leur plaisir à aller de maison en maison; elles ne sont pas seulement oisives, elles sont aussi curieuses et causeuses, et s'entretiennent de ce qu'elles devraient taire». Parlant encore de ces veuves, il avait dit plus haut: «Evitez les jeunes veuves. Comme elles passent leur vie dans tes délices, elles veulent se marier en Jésus-Christ; mais elles sont condamnables parce qu'elles ont violé leurs premiers engagements», c'est-à-dire qu'elles n'ont pas persévéré dans leur première résolution. L'Apôtre ne dit pas que ces jeunes veuves se marient, mais qu'elles veulent se marier. Beaucoup, en effet, renoncent au mariage, non point par fidélité à une belle résolution, mais par crainte d'un (139) déshonneur public. Cette crainte elle-même vient de l'orgueil, qui redoute plutôt de déplaire aux hommes qu'à Dieu. Celles donc qui veulent se marier, mais qui ne le font pas parce qu'elles ne le pourraient impunément, feraient beaucoup mieux de se marier que de, brûler, c'est-à-dire que de sentir la flamme secrète de la concupiscence les dévorer dans leur conscience; d'autant plus qu'elles se repentent de leur engagement et qu'elles ont honte de l'avouer. A moins donc qu'elles ne répriment les élans de leur coeur, à moins qu'à l'aide de la crainte et de la grâce de Dieu elles ne domptent leurs passions, elles doivent être mises au rang des morts. Si elles vivent dans les délices, elles méritent cette dénomination, car on doit alors leur appliquer ce mot de l'Apôtre: «Celle qui vit dans les délices, est réellement morte, toute vivante qu'elle paraisse (1)». Vivent-elles dans le jeûne et les travaux? Alors encore elles doivent être mises au rang des morts, si elles n'usent d'aucune répression à l'égard de leur coeur et si elles s'adonnent à l'ostentation plutôt qu'à la réforme d'elles-mêmes. A de telles vierges c'est en vain que je chercherais à recommander le grand travail de l'humilité; il suffit que leur orgueil soit confondu et tourmenté par les blessures de la conscience.

1. 1Tm 5,11-13

Il en est de même de celles qui se livrent à l'intempérance, à l'avarice ou à quelqu'autre maladie aussi condamnable. Elles professent la continence corporelle, et leurs moeurs perverses sont en elles une contradiction manifeste. A quoi bon, dès lors, chercher à leur recommander encore le soin important de l'humilité chrétienne? N'iraient-elles pas faire ostentation de leur misère, et ne se contenteraient-elles pas du retard apporté au châtiment qu'elles méritent? Que dire de celles que tourmente le désir de plaire, soit par un vêtement dont leur profession condamne l'élégance affectée, soit par les bandelettes capricieuses dont elles ornent leur tête, soit par les renflements exagérés de leur chevelure, soit par la ténuité des voiles qui laissent apercevoir la vanité de leur coiffure? A ces vierges on ne doit point parler d'humilité; qu'on leur rappelle avant tout les devoirs de la chasteté et les délicatesses de la pudeur.

Présentez-moi une vierge professant la continence perpétuelle, étrangère à tous ces vices et à toutes ces faiblesses, je ne crains plus pour elle qu'une seule chose, l'orgueil; je tremble qu'elle ne s'enorgueillisse de l'heureux état dont elle jouit. Plus elle a de motifs de se complaire en elle-même, plus je crains qu'elle ne déplaise à Celui «qui résiste aux superbes et donne sa grâce aux humbles (1)».

1. Jc 4,6


Augustin, la sainte virginité. - CHAPITRE XXI. RÉSUMÉ DE CE QUI PRÉCÈDE.