Augustin, unions adultères 1016

CHAPITRE XV OEUVRES PERMISES MAIS DÉSAVANTAGEUSES.


1016 16. En parlant des oeuvres permises, mais qui sont désavantageuses, on ne peut pas toujours dire: Ceci est bien, mais cela est meilleur, comme dans ce passage de l'Apôtre:


1.
1Co 6,12-13 - 2.1Co 10,22-25 - 3. 1Co 8,13 - 4. Rm 14,20 - 5. Lc 10,33-35

174

«Celui qui marie, fait bien; mais celui qui ne marie pas, fait encore mieux (1)». En effet, marier et ne pas marier sont deux choses permises, et tantôt c'est l'une qui est utile, tantôt l'autre. Pour ceux qui ne peuvent observer la continence, le mariage est utile, dès lors le mariage leur est à la fois utile et permis; quant aux personnes qui ont voué la continence, le mariage est à la fois défendu et désavantageux. Or il est permis de se séparer d'un époux infidèle, mais cette séparation est nuisible, tandis qu'il est à la fois et permis et avantageux de cohabiter avec lui, s'il y consent; si cette cohabitation n'était pas permise, elle ne serait point avantageuse. Une chose peut donc être permise et ne pas être utile; mais ce qui n'est pas permis n'est jamais avantageux. Ainsi, pour être racheté par le sang de Jésus-Christ, il faut être homme, et cependant il n'est plus vrai de dire que tous les hommes sont sauvés par le sang de Jésus-Christ. De même ce qui n'est pas permis n'est jamais avantageux; mais il ne suffit pas qu'une chose soit désavantageuse pour en conclure qu'elle n'est point permise. Car il y a réellement des choses permises qui ne sont point pour cela avantageuses, comme l'Apôtre vient de nous l'apprendre.

CHAPITRE XVI. CE QUI EST PERMIS ET CE QUI EST DÉSAVANTAGEUX


1017 17. Il est très-difficile de préciser rigoureusement, dans une proportion générale, la différence qui existe entre ce qui, étant défendu, ne peut être avantageux, et ce qui, étant permis, n'est pas avantageux. Il est facile de faire, comme plusieurs le font, le raisonnement suivant: Ce qu'il n'est pas avantageux de faire est un péché, or tout péché est défendu, donc ce qui n'est pas avantageux est défendu. Mais s'il en est ainsi, comment l'Apôtre parle-t-il de certaines choses qu'il n'est pas expédient de faire, quoiqu'elles ne soient pas défendues? D'un côté cependant nous n'oserions taxer saint Paul de mensonge, et de l'autre nous rougirions de dire qu'il y a des péchés permis. Il faut donc avouer qu'il y a des choses que l'on peut faire sans péché, quoiqu'il ne soit pas expédient de les faire, et que dés lors on doit éviter. Verra-t-on une absurdité à dire qu'il y a des choses qu'il n'est pas expédient de faire


1.
2Co 7,38

et que cependant l'on peut faire sans péché? Avec un peu de réflexion, on comprendra que l'absurdité ne se trouve que dans la forme du langage. C'est ainsi qu'en parlant des animaux sans raison nous disons qu'ils méritent d'être frappés quand ils pèchent; cependant le pouvoir de pécher n'appartient qu'à l'être qui possède le libre arbitre, et parmi les animaux mortels il n'y a que l'homme qui jouisse de cette prérogative. Dans le langage ordinaire il faut donc distinguer le sens propre et le sens figuré.

CHAPITRE XVII. CE QUI EST PERMIS SANS ÊTRE EXPÉDIENT, ET CE QUI N'EST PAS EXPÉDIENT POUR N'ÊTRE PAS PERMIS:


1018 18. Si je veux préciser cette différence, voici ce que ma raison me dicte. Je regarde comme étant permis, mais devant être évité, ce qu'autorise en soi la justice à l'égard de Dieu, mais ce qui doit être évité dans la crainte de scandaliser le prochain et de nuire au salut d'autrui. D'un autre côté, je regarde comme n'étant pas permis, et par conséquent comme devant être absolument évité, ce que la justice même défend, d'une manière si rigoureuse, que dans aucun cas cela ne soit ni bon, ni digne d'éloge. D'où il suit que le Seigneur ne défend rien qui ne soit véritablement illicite; quant à ce qui est licite sans être expédient, il doit être évité, non pas en vertu d'une loi, mais par l'inspiration libre d'une charité bienveillante.


1019 19. Si donc il n'était pas permis de répudier un époux infidèle, c'est que le Seigneur aurait défendu cette répudiation, et alors l'Apôtre, la défendant à son tour, ne serait pas admis à dire: «Je dis, moi, mais non pas le Seigneur (1)». S'il est permis à l'homme de se séparer de son épouse à cause de la fornication de la chair, combien plus ne doit-on pas détester dans son épouse la fornication de l'esprit, c'est-à-dire l'infidélité ou l'idolâtrie dont il est dit: «Voici que ceux qui s'éloignent de nous périront; vous perdez celui qui se rend coupable de fornication envers vous (2)».


1.
1Co 7,12 - 2. Ps 72,27

175

CHAPITRE XVIII. POURQUOI LES ISRAÉLITES NE POUVAIENT-ILS SE MARIER AVEC LES INFIDÈLES, TANDIS QUE LES CHRÉTIENS LE PEUVENT.

Toutefois cette répudiation, quoique permise, n'est point expédiente, car les hommes blessés de cette séparation des époux pouvaient prendre de là occasion de haïr la doctrine du salut, dans laquelle ce qui est illicite est défendu; ce qui les aurait exposés à s'aveugler toujours davantage et à mourir dans leur infidélité. Voilà pourquoi l'Apôtre intervient, et en avouant que cette séparation est permise, il la défend comme dangereuse. De cette manière, il est vrai de dire qu'il n'y a point de loi divine qui interdise aux maris ou aux femmes chrétiennes de se séparer de leurs époux infidèles, comme il n'y a point de loi qui leur ordonne cette séparation. Car si elle était ordonnée par une loi, le conseil de l'Apôtre serait inutile et coupable, puisque un bon serviteur ne peut jamais défendre ce que le Maître ordonne.


1020 20. Autrefois, par l'organe du prophète Esdras, le Seigneur commanda cette séparation, et elle se réalisa. Les Israélites qui avaient épousé des femmes étrangères durent les renvoyer (1), car elles étaient pour eux une tentation séduisante vers l'idolâtrie, tandis qu'eux ne pouvaient rien pour gagner leurs femmes au vrai Dieu. Car, à cette époque, la grâce du Sauveur ne brillait pas encore dans tout son éclat; d'un autre côté la multitude judaïque ne soupirait qu'après les promesses temporelles contenues dans l'Ancien Testament; or ces Juifs, voyant que les idolâtres étaient comblés de ces biens temporels qu'ils regardaient comme la plus grande récompense qu'ils pussent attendre du Seigneur, conservaient d'abord, grâce aux caresses de leurs femmes, une grande crainte d'offenser les dieux étrangers, puis ils se laissaient amener insensiblement à les adorer. Voilà pourquoi le Seigneur avait défendu à son peuple, par l'organe de Moïse, d'épouser des femmes étrangères (2). Le Seigneur n'était donc que juste en leur ordonnant de quitter ces femmes qu'ils avaient épousées malgré sa défense. Mais quand l'Evangile commença à se répandre parmi les nations, il trouva naturellement des mariages où les deux époux étaient idolâtres.

1
Esd 10,11-12 - 2. Dt 7,3

Si l'un d'eux seulement embrassait la foi, et que la partie infidèle consentit à cohabiter, la partie fidèle ne trouvait aucune loi divine qui lui défendit ou lui ordonnât de se séparer. Aucune défense d'abord; car la justice permet de se séparer en cas de fornication; or le coeur de l'homme infidèle est coupable de la plus grande fornication; et de plus on ne peut pas dire que ses relations avec son épouse sont vraiment pures, puisque «tout ce qui ne se «fait point selon la foi est péché (1)». Au contraire la partie fidèle trouve dans le mariage une sainteté qui n'appartient pas à la partie infidèle. Il suit de là qu'aucune loi ne pouvait ordonner non plus aux époux chrétiens de se séparer des époux infidèles, puisque, dans le principe, leur mariage n'avait pas été contracté contre les ordres de Dieu.


1021 21. C'est donc parce que le Seigneur n'a ni ordonné ni défendu à l'époux chrétien de se séparer de la partie infidèle, que l'Apôtre déclare que c'est lui et non le Seigneur qui leur défend de se séparer; et en cela il était animé de l'Esprit-Saint, par qui dès lors il pouvait donner un conseil sage et salutaire. Après avoir dit de la femme dont le mari est mort

«Elle sera plus heureuse si, selon mon conseil, elle persévère dans la continence», il ajoute aussitôt: «C'est là ma pensée, et en cela je possède l'Esprit de Dieu», comme s'il eût craint que le conseil qu'il donnait ne parût venir de l'homme et non pas de Dieu, et par là même ne fût digne de mépris. Comprenons dès lors que quand, en dehors d'un précepte formel de Dieu, son fidèle serviteur nous donne un conseil, il le donne d'après une inspiration réelle du Seigneur. Un catholique dira-t-il que quand l'Esprit-Saint conseille, ce n'est pas Dieu qui conseille? Le Saint-Esprit cesse-t-il d'être Dieu, ou les oeuvres de la Trinité ne sont-elles pas inséparables? Or l'Apôtre nous dit: «Quant aux vierges, je n'ai point reçu de précepte du Seigneur; je donne seulement un conseil». Et aussitôt, polir nous faire entendre que ce conseil lui est inspiré par Dieu, il ajoute «Comme ayant obtenu moi-même miséricorde, afin que je fusse fidèle (2)». C'est donc selon Dieu qu'il donne ce conseil fidèle dans le Saint-Esprit dont il dit: «Or je pense que je possède l'Esprit de Dieu.»


1022 22. Cependant autre chose est un commandement


1.
Rm 14,23 - 2. 1Co 7,25-40

176

formel de Dieu, autre chose nu conseil donné par un de ses serviteurs, quand il suit en cela l'inspiration de la charité, qui lui a été donnée par le Seigneur dans sa miséricorde. On ne peut aller contre un précepte, mais on peut résister à un-conseil, en observant toutefois que ce qui est permis est tantôt expédient et tantôt ne l'est pas. Ce qui est licite est aussi expédient, quand non-seulement il est permis par les règles de la justice divine, mais encore quand il n'apporte aucun obstacle au salut de nos frères. Tel est par exemple le conseil donné par l'Apôtre à une vierge de ne pas s'engager dans le mariage; ce n'est qu'un conseil, car il avoue lui-même qu'il- n'y a aucun précepte à ce sujet; le: mariage est donc permis, c'est même. un bien en. soi, quoique la virginité soit préférable; et ce mariage permis en soi est même expédient; car il est permis de chercher dans un mariage honnête à retenir l'inclination maladive de la chair vers des actes coupables et défendus, sans nuire au salut de personne; bien que d'un autre côté cependant il serait plus méritoire à une vierge d'embrasser le conseil, là où le précepte ne l'oblige pas. Au contraire, ce qui est licite n'est pas expédient, quand, quoique permis en soi, il devient par l'usage qu'on en fait un obstacle au salut de nos frères. Telle est dans le sujet qui nous occupe la séparation d'un époux chrétien d'avec, son conjoint infidèle. Le Seigneur ne défend- pas cette séparation, parce que devant lui elle n'est pas une injustice; mais l'Apôtre la défend au nom de la charité, parce qu'elle est un obstacle au salut des infidèles. Ceux-ci effectivement en sont scandalisés et offensés; ensuite ceux qui sont ainsi répudiés contractent ordinairement un nouveau mariage du vivant de leur première épouse, et ces unions adultères ne se rompent ensuite que très-difficilement;

CHAPITRE XIX. RESTER VIERGE ET CONSERVER UNE ÉPOUSE INFIDÈLE.


1023 23. S'il est dit dans l'Ecriture: «Celui qui marie, fait bien, mais celui qui ne marie pas, fait mieux»; on ne peut pas dire de même: celui qui renvoie une partie infidèle, fait bien, mais celui qui ne la renvoie -sas, fait mieux; la raison en est qu'ici ce qui est permis n'est pas expédient. Au contraire, quand il s'agit du mariage et de la virginité, ces deux états étant permis, aucun précepte du Seigneur n'oblige à l'un, à l'exclusion de l'autre; bien plus, chacun de ces deux états est expédient, l'un moins, l'autre plus, et c'est à celui des deux qui l'emporte sur l'autre que l'Apôtre nous invite par un conseil qu'il n'est pas donné à tous de comprendre. Mais quand il s'agit de, renvoyer ou de conserver une épouse infidèle, si les deux alternatives sont permises devant Dieu, qui n'a interdit ni l'une ni l'autre, elles sont loin d'être avantageuses, à raison de l'infirmité humaine; voilà pourquoi l'Apôtre défend ce qui, à ses yeux, n'est pas expédient. De plus, en portant cette défense, l'Apôtre ne faisait qu'user de la liberté qu'il tenait du .Seigneur, puisque Dieu ne défend pas ce que l'Apôtre conseille, et l'Apôtre ne défend pas ce que Dieu ordonne: Autrement l'Apôtre se fût abstenu de conseiller quoique ce soit contre, la défense divine, et de prohiber, quoique ce soit contre l'ordre divin.

Enfin, dans le rapprochement de ces deux propositions, l'une regardant le mariage et la virginité, et l'autre regardant le renvoi ou la conservation d'un époux infidèle, nous trouvons des similitudes et des différences. «Je n'ai pas reçu de précepte de la part du Seigneur, c'est seulement un conseil que je donne;» ces paroles ont pour pendant celles-ci: «C'est moi qui le déclare, et non le Seigneur». Un effet, c'est la même chose de dire: «Je n'ai pas reçu de précepte du Seigneur, c'est un conseil que je donne»; et de dire: «ce n'est pas le Seigneur qui le déclare, c'est moi-même». Maintenant, voici des différences: en parlant du mariage ou de la virginité, on peut dire: le premier est bon, la seconde est meilleure, puisque ces deux états sont expédients, l'un plus, l'autre moins; mais quand il s'agit de renvoyer ou de conserver un époux infidèle, comme le second parti seul est expédient; on ne peut pas dire: celui qui renvoie fait bien, mais celui qui ne renvoie pas fait mieux. On ne peut que lui défendre de renvoyer, en raison même des inconvénients qu'il y aurait à renvoyer l'époux infidèle; quoiqu'en soi ce renvoi soit permis. Nous pouvons donc dire qu'il est mieux de ne pas renvoyer la partie infidèle, quoiqu'à la rigueur on` ait le droit de le faire. Le mieux, (177) c'est donc aussi ce qui est tout à la fois permis et expédient, et nonce qui, étant permis, n'est pas expédient.

CHAPITRE XX. QUAND LES PAROLES DE L'APÔTRE NE RENFERMENT-ELLES QU'UN CONSEIL.


1024 24. Voilà pourquoi, en expliquant le grand sermon sur la montagne, lorsque je fus arrivé à la question du divorce et que j'eus invoqué le témoignage de l'Apôtre, je déclarai que saint Paul ne formulait qu'un conseil et non pas un précepte quand il s'écriait: «C'est moi qui déclare et non pas le Seigneur», que ceux qui ont des époux infidèles ne doivent pas les renvoyer s'ils consentent à la cohabitation. Je dis que c'était là un conseil, non pas un précepte, parce que les choses permises, quoiqu'elles ne soient pas avantageuses, ne peuvent pas être prohibées aussi absolument que les choses illicites. Si dans d'autres passages l'Apôtre semble n'exprimer qu'un conseil, là où il faudrait un ordre, c'est qu'il a voulu user d'indulgence à l'égard de la faiblesse humaine, plutôt que de préjuger par un commandement formel. Nous l'entendons s'écrier: «Ce n'est pas pour vous ton«fondre que je vous écris ces choses, mais je vous avertis comme des enfants bien-aimés (1)». Est-ce dire: «C'est moi qui décrète et non le Seigneur?» De même quand il écrit aux Galates: «Voici que moi, Paul, je vous enseigne que si vous vous croyez encore «tenus à la circoncision, le Christ ne sera plus pour vous d'aucune utilité (2)»; est-ce comme s'il disait: «C'est moi qui vous le déclare et non le Seigneur?» Si donc l'Apôtre ne formule qu'un avertissement là où le Seigneur a formulé un ordre, pourquoi y chercher une contradiction? Eh! ne pouvons-nous avertir ceux qui nous sont chers d'observer les préceptes ou les ordres de Dieu? Mais quand nous lisons: «C'est moi qui vous le dis, et non le Seigneur», nous voyons clairement que l'Apôtre défend ce que le Seigneur n'avait pas défendu; or, le Seigneur l'aurait défendu si t'eût été illicite. De là je conclus, comme je l'ai déjà fait plus longuement, que la séparation est licite au point de vue de la justice, mais qu'elle ne l'est pas au point de vue d'une libre bienveillance.


1.
1Co 4,14 - 2. Ga 5,2

CHAPITRE XXI. MARIAGES CONTRACTÉS ET MARIAGES A CONTRACTER AVEC DES INFIDÈLES.


1025 25. Mais vous êtes d'un avis différent, car vous soutenez que l'on doit s'interdire et regarder comme aussi défendu ce que l'Apôtre défend, que si Dieu lui-même l'eût défendu. Aussi, lorsque vous avez voulu expliquer le sens de ces paroles de l'Apôtre, s'adressant aux fidèles mariés à des infidèles: «C'est moi qui vous le dis, et non le Seigneur»; vous avez dit expressément: «C'est que le Seigneur a interdit le mariage entre religions différentes»; vous citez ensuite ce témoignage de l'Apôtre: «Tu ne prendras point pour ton fils une femme parmi les filles étrangères, de crainte qu'elle ne l'entraîne au culte de ses dieux et que son âme ne périsse (1)». Vous ajoutez encore ces paroles du même Apôtre: «La femme est liée pendant toute la vie de son époux. Si ce dernier vient à mourir, la femme est libre de se marier de nouveau, mais dans le Seigneur (2)», ce que vous expliquez en disant que ces mots

«Dans le Seigneur», signifient à un chrétien. Vous concluez ainsi: «Tel est donc le précepte du Seigneur, soit dans l'Ancien, soit dans le Nouveau Testament: tes époux doivent avoir la même religion et la même foi». Mais si dans l'Ancien comme dans le Nouveau Testament, c'est un précepte formel du Seigneur, clairement enseigné par l'Apôtre, de fonder l'union du mariage sur l'unité de foi et de religion, comment donc, contrairement au précepte du Seigneur, contrairement à sa doctrine, contrairement à l'Ancien et au Nouveau Testament, l'Apôtre ordonne-t-il que les époux qui ont une foi différente, restent cependant unis? «C'est parce que, dites-vous, saint Paul, prédicateur et apôtre des nations, s'adressant à ceux qui sont déjà dans le mariage, non-seulement conseille, mais ordonne que, si l'un des deux époux devient chrétien et que l'autre reste païen, l'époux chrétien ne doit pas user du divorce quand l'autre partie consent à la cohabitation». Ces paroles montrent évidemment que vous voyez ici une différence importante. En effet, il s'agit d'abord des mariages à contracter; or, ils sont soumis à la loi qui défend à chacune des deux parties


1.
Dt 7,3-4 - 2. 1Co 7,39

178

de s'unir à un époux de culte différent; «car, dites-vous, il y a sur ce sujet un précepte formel porté par Dieu, par l'Apôtre et par les deux Testaments». Mais comment ne pas convenir que ce qui s'applique aux mariages à contracter ne peut pas s'appliquer aux mariages déjà contractés? Quand les deux époux se sont unis, ils étaient tous deux infidèles; puis est venue la prédication de l'Evangile, l'un des deux s'est converti, l'autre est resté dans l'infidélité. Pourquoi donc le Seigneur n'a-t-il pas ordonné, comme l'a fait saint Paul, que l'époux fidèle demeurât avec la partie infidèle? Ne serait-ce pas le lieu d'appliquer ces paroles de l'Apôtre: «Voulez-vous faire l'épreuve de celui qui parle en moi, c'est-à-dire du Christ (1)?» Or, le Christ n'est-il pas le Seigneur? Comprenez-vous la portée de mes paroles? Dois-je m'expliquer plus longuement?


1026 26. Eh bien! rendons cette vérité aussi sensible et évidente que possible. Voici deux époux, tous deux victimes d'une même infidélité; ils en étaient là quand ils se sont unis. Sur ce point, aucune difficulté, car il n'y avait pas lieu de leur appliquer la défense portée par le Seigneur, la doctrine formulée par l'Apôtre, ni le précepte de l'Ancien et du Nouveau Testament qui interdit à un époux fidèle de s'unir à une épouse infidèle. Les voilà mariés et tous deux sont encore infidèles comme ils l'étaient avant leur mariage. Survient la prédication de l'Evangile; l'un des deux embrasse la religion chrétienne, et la partie restée infidèle consent à la cohabitation. Le Seigneur défend-il à l'époux chrétien de quitter l'autre époux, ou n'y a-t-il aucune défense? Si vous dites que le Seigneur le défend, l'Apôtre réclame: «C'est moi, dit-il, qui le «déclare et non pas le Seigneur». Si vous dites que le Seigneur ne le défend pas, j'en demande la raison. Vous ne donnerez pas celle que vous avez écrite dans vos lettres, à savoir que le Seigneur défend aux chrétiens d'épouser des infidèles. Cette raison est ici sans valeur, puisqu'il ne s'agit pas de mariages à contracter, mais de mariages déjà contractés. Il est possible que vous n'ayez pas trouvé la raison pour laquelle le Seigneur s'abstient de défendre ce que défend l'Apôtre, mais toujours est-il que vous comprenez fort bien que cette raison ne peut être celle que vous aviez


1.
2Co 13,3

d'abord alléguée. Voyez donc si ce motif n'est pas celui-là même que je vous ai signalé, et que je maintiens, quand j'affirme que le Seigneur parle lui-même, lorsqu'il énonce ce que prescrit à ses yeux l'inviolable justice, quand il ordonne ou qu'il défend sans permettre d'agir jamais d'une manière différente; lorsque, au contraire, il laisse libre de faire ou de ne pas faire sans qu'il y ait prévarication, il permet à ses serviteurs de conseiller ce qui leur paraîtra le plus expédient.

CHAPITRE XXII. DIVORCER, ET ÉPOUSER UNE AUTRE FEMME, POUR LA RENDRE CHRÉTIENNE, C'EST SE RENDRE COUPABLE D'ADULTÈRE.


1027 27. Le grand principe à suivre, c'est donc d'éviter ce qui est illicite. Mais quand deux choses opposées sont l'une et l'autre permises, la règle à observer c'est de faire ce qui est expédient on le plus expédient. Lorsque le Seigneur parle comme maître souverain, en d'autres termes, lorsqu'il prescrit quelque chose, non pas sous la forme de conseil, mais avec l'empire de son autorité, il n'est pas permis de ne pas obéir; ne pas obéir ne serait jamais avantageux. Or voici ce que le Seigneur prescrit: «Que la femme ne se sépare pas de son mari; si elle s'en sépare», même pour le motif qui rend la séparation licite, «qu'elle «reste dans la continence, ou qu'elle se réconcilie avec son époux (1)». En effet «la femme est sous le joug de la loi à l'égard de son mari jusqu'à la mort de celui-ci, et pendant la vie de son mari elle sera adultère si elle connaît un autre homme (2)»; parce que «la femme est liée tant que vit son mari (3). - Si», donc «une femme abandonne son mari et en épouse un autre, elle est adultère (4); et celui «qui épouse une femme abandonnée par son mari est coupable aussi d'adultère (5)». En vertu de ce même précepte du Seigneur: «Que l'homme n'abandonne point sa femme (6)», car «celui qui, en dehors du motif de fornication, abandonne sa femme, la rend adultère (7)». Et s'il l'abandonne pour cause de fornication, il doit lui-même vivre dans la continence, car «quiconque abandonne sa femme et en épouse une autre commet l'adultère (8)».


1.
1Co 7,10-11 - 2. Rm 7,2-3 - 3. 1Co 7,39 - 4. Mc 10,1-2 - 5. Mt 19,9 - 6. 1Co 7,11 - 7. Mt 5,32 - 8. Lc 16,18

179

Ce sont là tout autant de commandements formulés par le Seigneur, on doit les observer sans aucune restriction. Que les hommes approuvent, que les hommes désapprouvent, peu importe: il suffit que la souveraine justice se soit prononcée, pour qu'on soit obligé de les accomplir, dût-on alléguer que les hommes en sont scandalisés, qu'ils y trouvent un prétexte pour refuser le salut que Jésus-Christ leur apporte. Quel chrétien d'ailleurs oserait dire: Pour ne pas offenser les hommes, ou pour les gagner à Jésus-Christ, je rendrai ma femme adultère, ou je le deviendrai moi-même?


1028 28. Il peut arriver qu'après avoir renvoyé sa femme pour cause d'adultère, un chrétien se trouve épris du désir d'épouser une autre femme encore païenne, mais qui, désireuse de contracter ce mariage, lui promet sincèrement de se faire chrétienne si cette union se réalise. L'époux hésite peut-être, mais voici le tentateur qui lui dit: Le Seigneur a formulé cette sentence: «Quiconque, ayant renvoyé sa femme sans le motif d'adultère, en épouse une autre, la rend coupable d'adultère» pour vous qui avez renvoyé la vôtre pour cause d'adultère, vous ne serez pas coupable en contractant alliance avec une autre. A cette suggestion, il doit répondre avec une conviction inébranlable, que celui qui ayant renvoyé sa femme, sans l'avoir convaincue d'adultère, en épouse une autre, se rend coupable d'un crime plus grand, mais que celui qui renvoie sa femme adultère et en épouse une autre, n'en est pas moins coupable d'adultère. De même celui qui épouse une femme renvoyée sans aucun motif d'adultère, se rend certainement coupable d'adultère, ce qui n'empêche pas que celui qui épouse une femme renvoyée pour cause d'adultère ne soit coupable encore. Car si le passage de saint Matthieu est enveloppé d'une certaine obscurité, parce que la partie y est prise pour le tout, les autres évangélistes, en traitant cette question d'une manière générale, n'ont laissé place à aucun doute. Ainsi nous lisons dans saint Marc: «Quiconque renvoie sa femme et en épouse une autre commet un adultère»; et en saint Luc: «Tout homme qui renvoie sa femme et en épouse une autre, est adultère». Il n'y a pas ici à distinguer entre ceux qui sont adultères et ceux qui ne le sont pas; la sentence est absolue: «quiconque renvoie sa femme»; donc tout homme, sans exception, qui renvoie sa femme et en épouse une autre, est adultère.

CHAPITRE XXIII. ON NE SAURAIT, EN VUE DU RIEN, FAIRE LE MAL.


1029 29. Admettons que le mari dont nous parlons a répondu au tentateur qu'il lui est permis de renvoyer sa femme adultère, mais qu'il lui est défendu d'en épouser une autre. Voici le tentateur qui lui réplique: Commets ce péché; afin de gagner à Jésus-Christ l'âme de cette femme encore ensevelie dans la mort de l'infidélité, mais qui est résolue à se faire chrétienne si tu l'épouses. A cela que répondre, sinon qu'une telle conduite lui attirerait toutes les rigueurs du jugement dont parle ainsi l'Apôtre: «N'en est-il pas qui disent: faisons le mal afin qu'il en résulte du bien; ils s'attirent par là un juste jugement (Rm 3,8)?» Eh! de quoi servira-t-il à une femme d'être chrétienne, si son mariage la rend adultère?

CHAPITRE XXIV. RIEN N'AUTORISE A ROMPRE LE VOEU DE CONTINENCE.


1030 30. Il est donc bien établi que tout homme qui renvoie sa femme et en épouse une autre, se rend coupable d'adultère, lors même qu'il ne l'épouserait que dans l'intention de la rendre chrétienne. Bien plus, celui qui, resté vierge, a voué à Dieu sa continence, doit être persuadé qu'il ne trouvera jamais aucune compensation au péché qu'il commettrait en se mariant, lors même qu'il n'aurait en cela d'autre but que de rendre sa femme chrétienne, et qu'il en aurait déjà obtenu formellement la promesse. Avant son voeu, le mariage lui était permis; il ne l'est plus depuis ce voeu. Nous supposons toutefois que la matière de son voeu est légitime. Mais il est permis de vouer la virginité perpétuelle, ou même la continence, soit après la dissolution du mariage, soit par suite du consentement réciproque des deux époux qui s'engagent à vivre dans la chasteté; car ce voeu serait interdit, si les deux époux ne prenaient les mêmes engagements chacun de son côté. Or toutes les fois qu'un voeu est revêtu de toutes les conditions nécessaires, on ne doit plus le rompre pour quelque motif que ce soit. Le Seigneur n'a-t-il pas dit: «Vouez au Seigneur votre Dieu et accomplissez vos (180) engagements (1)?» L'Apôtre parlant de certaines femmes qui avaient voué la continence et qui après voulaient se marier: «Elles sont», dit-il, «dans un état de damnation, parce qu'elles ont violé leurs premiers engagements (2)».


1031 31. Ce qui est illicite n'est donc jamais avantageux, et tout ce que Dieu défend, est par le fait même illicite.

CHAPITRE XXV. RÉSUMÉ DE CE QUI PRÉCÈDE.

Quant aux actions qui ne sont pas l'objet d'un précepte du Seigneur, et sur lesquelles nous conservons notre liberté, écoutons les avertissements de l'Apôtre qui, inspiré du Saint-Esprit, nous conseille de tendre à ce qui est plus parfait ou d'éviter ce qui n'est pas expédient. Ici il nous dit: «Je n'ai point à formuler un précepte du Seigneur, mais je donne un conseil»; et encore: «C'est moi qui parle et non le Seigneur». Ailleurs invitant à choisir le plus parfait: «Que celui qui n'est pas marié ne cherche point d'épouse; cependant en se mariant il ne pèche pas»; plus loin, il conseille de rester vierge «Celui qui ne marie pas sa fille fait mieux, et celui qui la marie fait bien». En parlant de la femme qui a perdu son mari, il proclame qu'elle sera plus heureuse en restant dans la continence; cependant elle peut se marier, «pourvu que ce soit dans le Seigneur». Cette dernière parole peut avoir ce double sens que la femme susdite demeurera chrétienne, ou se mariera à un chrétien. En effet, je ne sache rien qui indique clairement, ni dans l'Evangile, ni dans les lettres apostoliques, que, depuis la promulgation de l'Evangile, le Seigneur ait défendu le mariage entre fidèle et infidèle, quoique saint Cyprien soutienne ouvertement que cette défense a été portée sous peine de péché grave, et qu'il voie dans ce mariage un acte qui prostitue aux gentils les membres de Jésus-Christ. La question est différente quand il s'agit des mariages déjà contractés; à ce sujet, écoutons encore ces paroles de l'Apôtre: «Si un de nos frères a une épouse païenne qui consent à habiter avec lui, qu'il ne la renvoie pas; et si une femme chrétienne a un mari infidèle qui consent à habiter avec elle, qu'elle ne s'en sépare pas (3)».


1. Ps 75,12 - 2. 1Tm 5,12 - 3. 1Co 7,12-13 1Co 7,25-27 1Co 7,38-39

Cependant comme cette séparation n'est l'objet d'aucune défense de la part du Seigneur, elle est licite, mais on ne doit pas se la permettre, puisqu'elle n'est pas avantageuse. En effet, comme nous l'avons prononcé plus haut, l'Apôtre enseigne clairement que tout ce qui est permis n'est pas pour cela avantageux. Quel que soit donc le genre de fornication, que ce soit la fornication de la chair par l'adultère, ou celle de l'esprit par l'infidélité, après avoir renvoyé son mari, il n'est pas permis d'en épouser un autre, et après avoir renvoyé sa femme, il n'est pas permis d'en épouser une autre non plus, car le Seigneur a dit sans restriction possible: «Si «une femme renvoie son mari et en épouse «un autre elle, est adultère;» et: «quiconque renvoie sa femme et en épouse une autre, «est adultère».

CHAPITRE 26. BAPTÊME A CONFÉRER AUX CATÉCHUMÈNES EN DANGER DE MORT.


1032 32. Outre ces questions que j'ai traitées selon mon faible pouvoir, je n'ignore pas que la matière des mariages est très-obscure et-très compliquée. Loin de prétendre avoir éclairci toutes les difficultés qui l'entourent, soit dans cet ouvrage, soit dans tout autre, je n'oserais même affirmer que je pourrais les résoudre. Mais il est une autre question que vous m'avez proposée dans un autre billet; je la résoudrais dans un ouvrage spécial si j'étais d'un autre sentiment que vous; mais comme nous sommes parfaitement d'accord, je m'exprimerai en peu de mots.


1033 33. Si donc des catéchumènes se trouvent en danger de mort et incapables, à raison de la maladie ou d'un accident quelconque, de demander le baptême ou de répondre aux questions qui leur sont faites à ce sujet; comme pendant leur catéchuménat ils ont donné des preuves de leur foi et de leur volonté chrétienne, je dis qu'on peut les baptiser puisqu'on baptise les enfants qui n'ont pu encore donner aucun signe;de volonté. Cependant nous ne devons pas condamner ceux qui agissent avec plus de réserve et de timidité que nous; autrement on pourrait nous accuser de juger avec plus de sévérité que de prudence la conduite de nos frères à l'égard du dépôt qui leur est confié. C'est le lieu de nous rappeler cette (181) parole de l'Apôtre: «Chacun de nous rendra a compte à Dieu de lui-même (1)». Ne nous jugeons donc pas les uns les autres.

Il y a effectivement des hommes qui croient devoir observer dans ces circonstances et dans d'autres, cette défense du Sauveur: «Gardez-vous de donner ce qui est saint aux chiens, et de jeter vos perles aux pourceaux (2)». Appuyés sur ces paroles, ils n'osent baptiser ceux qui ne peuvent répondre pour eux-mêmes, dans la crainte de faire violence à leur libre arbitre. Ceci ne peut assurément s'appliquer aux enfants qui n'ont pas encore l'usage de la raison. Mais refuser de baptiser un catéchumène qui est en danger de mort, n'est-ce pas une chose incroyable? Admettons même que nous ne sachions pas quelle est sa volonté, est-ce qu'il n'est pas plus sage de donner le baptême à un homme qui le refuse, que de le refuser à un homme qui le désire, quand on ne peut connaître ni le refus de l'un ni la volonté de l'autre, et que l'on a toutes les raisons possibles de croire qu'il veut recevoir ces sacrements, dont il a appris à croire qu'on doit les recevoir pour mourir?


Augustin, unions adultères 1016