Augustin, de la patience. - CHAPITRE XX. LA GRACE PRÉVENANTE.

CHAPITRE XX. LA GRACE PRÉVENANTE.


17. Or nous apprenons de l'Apôtre que ce choix n'est fondé sur aucun mérite de bonnes oeuvres faites auparavant, mais que c'est un choix et une élection de grâce. Ce saint Apôtre a dit formellement que «le petit nombre que Dieu s'est réservé, est sauvé par une élection de grâce: que si c'est par grâce», ajoute-t-il, «ce n'est donc pas par les oeuvres, autrement la grâce ne serait plus grâce (Rm 11,5-6)».

C'est cette élection de grâce, c'est-à-dire ce choix que Dieu fait des hommes par pure grâce, qui prévient dans l'homme tout ce qui lui peut tenir lieu de quelque mérite; car si les hommes étaient choisis en considération de quelque mérite, cette élection serait le paiement d'une dette, et non pas un présent gratuit; et par conséquent elle ne mériterait pas le nom de grâce; «la récompense», comme dit le même Apôtre, «n'étant pas regardée comme une grâce, mais comme une dette (Rm 4,4)». Si au contraire elle est véritablement grâce, c'est-à-dire parfaitement gratuite, on ne peut pas dire qu'elle trouve rien en l'homme en considération de quoi elle lui soit donnée. C'est ce que l'Ecriture nous déclare nettement, - 302 - quand elle dit: «Vous les sauverez pour rien (Ps 55,8)». C'est donc la grâce qui donne tout mérite, bien loin d'être donnée au mérite; c'est elle qui prévient toutes choses en nous, jusqu'à la foi même qui est le principe et le commencement de toute bonne oeuvre, puisque, comme il est écrit, «le juste vit de la foi (Ha 2,4)».

Non-seulement donc la grâce aide et soutient le juste, mais c'est elle qui l'a fait juste, d'impie qu'il était. Ainsi, lors même qu'elle l'aide, et qu'il semble qu'elle soit la récompense de son mérite, elle ne cesse pas pour cela d'être grâce, car ce qu'elle aide en lui n'y est que par elle.

Cette grâce qui prévient tout mérite dans les hommes, est l'effet et le prix de la mort que Jésus-Christ a bien voulu souffrir non-seulement par la main des impies, mais même «pour des impies (Rm 5,6)». Or, quand Jésus-Christ a choisi ses Apôtres, c'a été pour les rendre justes, et non pas pour les avoir trouvés justes; car, après leur avoir dit qu'ils n'étaient pas du monde, il ajouta incontinent, de peur qu'ils ne s'imaginassent qu'ils n'en avaient jamais été, que «c'est, lui qui les a choisis et séparés du monde (Jn 15,19)». C'est donc ce choix qui a fait qu'ils n'ont pas été du monde.

D'ailleurs, si ce choix n'avait pas été fait par pure grâce, mais en considération de quelque justice qui eût été en eux, il ne serait pas vrai de dire qu'ils ont été «choisis et séparés du monde»; car dès avant ce choix même ils n'eussent pas été du monde, puisqu'ils eussent été justes. De plus, s'ils ont été choisis parce qu'ils étaient justes, ils avaient donc déjà choisi Dieu les premiers, car on n'est juste qu'en choisissant la justice; or, l'Ecriture nous apprend que (Rm 10,4) «Jésus-Christ est la fin de la loi pour être la justice de tous ceux qui croient; car il nous a été donné de Dieu pour être notre sagesse, notre justice, notre sanctification et notre rédemption; afin que, comme il est écrit, quiconque se glorifie, ne se glorifie que dans le Seigneur (1Co 1,30-31)»; c'est donc lui qui est notre justice.


CHAPITRE XXI. LA GRÂCE A FAIT LES ANCIENS JUSTES.


18. Aussi les saints qui ont vécu avant l'incarnation du Verbe n'ont-ils été justifiés comme nous, que par la foi en Jésus-Christ et par cette véritable justice que ce même Jésus-Christ est à tous les justes. Ils ont cru les choses avant leur accomplissement, comme nous les croyons, présentement qu'elles sont accomplies; et ils sont sauvés «par grâce, par le «moyen de la foi, non par eux-mêmes, mais» par un don de Dieu qui «ne venait point de leurs bonnes oeuvres, afin qu'ils n'eussent pas sujet de se glorifier (1)» comme si leurs bonnes oeuvres avaient prévenu la miséricorde de Dieu au lieu qu'elles en étaient des suites et des effets aussi bien que les nôtres.

Car non-seulement ils avaient appris, mais ce sont eux-mêmes qui nous ont laissé par écrit, longtemps avant que Jésus-Christ vînt au monde, que «Dieu aura pitié de qui il lui plaira d'avoir pitié, et qu'il fera miséricorde à qui il lui plaira de la faire (2)»; d'où saint Paul a conclu longtemps après que «tout dépend donc, non de celui qui veut, ni de celui qui court, mais de Dieu qui fait miséricorde (3)». Ce sont eux encore qui ont dit, longtemps avant la venue de Jésus-Christ: «Mon Dieu, votre miséricorde me préviendra (4)».

Or, comment n'auraient-ils pas été participants de la foi de Jésus-Christ, eux qui nous ont prophétisé Jésus-Christ, dans la foi duquel personne n'est, ni ne sera, ni n'a jamais été juste? Si donc les Apôtres étaient déjà justes quand Jésus-Christ les a choisis, il faudrait qu'ils l'eussent choisi les premiers, afin qu'étant justes par ce choix, sans lequel il n'y a point de justice, ils puissent mériter d'être choisis par lui. Mais il n'en a pas été ainsi, puisqu'il leur a dit lui-même: «Ce n'est pas vous qui m'avez choisi, mais c'est moi qui vous ai choisis (5)»; et c'est ce qui a fait dire à l'apôtre saint Jean: «Ce n'est pas nous qui avons aimé Dieu les premiers, mais c'est lui qui le premier nous a aimés (6)».

1. Ep 2,8-9 - 2. Ex 33,19 - 3. Rm 9,15-16 - 4. Ps 58,11 - 5. Jn 15,16 - 6. 1Jn 4,10


CHAPITRE XXII. SANS LA GRACE POINT DE JUSTE.


19. Cela étant ainsi, un homme qui a l'usage de sa raison et de sa volonté, qu'est-il autre chose avant que d'aimer Dieu, et de l'avoir pris pour son partage, qu'un pécheur et un impie? Que deviendra cette misérable créature qui a quitté son Créateur, si ce Dieu de bonté - 303 - n'en a pitié, si gratuitement il ne la choisit et ne l'aime gratuitement? Car à moins que Dieu ne guérisse et ne redresse l'homme, en le prévenant par un choix et une bienveillance gratuite, l'homme n'est pas capable de se porter à choisir ni à aimer Dieu; son aveuglement lui ôtant la vue de ce qu'il faut choisir, et sa langueur, le goût de ce qu'il faut aimer. Mais, dira-t-on, comment se peut-il faire que Dieu choisisse, et aime le premier des méchants et des impies pour les rendre justes, puisqu'il est écrit: «Vous haïssez, Seigneur, tous ceux qui commettent l'iniquité (1)?» Il y a là sans doute quelque chose d'inexplicable et d'incompréhensible. Ne concevons-nous pas néanmoins qu'un médecin tendre et charitable hait et aime son malade tout à la fois? Il hait en lui ce qui le fait malade, et il l'aime pour le guérir.



CHAPITRE XXIII. PATIENCE VRAIE; PATIENCE FAUSSE.


20. Voilà ce que j'ai cru devoir dire sur le sujet de la charité, sans laquelle il ne saurait y avoir en nous de véritable patience; car c'est la charité qui supporte les maux dans les bons, comme c'est la cupidité qui les supporte dans les méchants. Or «cette charité n'est dans nous

que par le Saint-Esprit qui nous est donné (2)»; ainsi nous tenons la patience de Celui-là même de qui nous tenons la charité.

Pour la cupidité, lorsqu'elle supporte avec fermeté le poids des misères dont elle se trouve accablée; elle se glorifie des forces de sa volonté propre, c'est-à-dire de l'ardeur de la maladie quelle prend pour la vigueur de sa santé. Il y a de la folie à se glorifier de cette sorte; et ce n'est pas être patient, mais insensé. Cependant cette volonté semble porter les maux avec d'autant plus de patience, qu'étant dépourvue des biens du ciel, elle a plus d'avidité pour ceux de la terre.



CHAPITRE XXIV. VOLONTÉ MAUVAISE SANS L'INSTIGATION DU DÉMON.


21. Mais quoique le malin esprit redouble souvent cette avidité par ses sollicitations impures et parles images trompeuses qu'il forme dans l'esprit, et que, conspirant avec la corruption de l'homme, il porte sa volonté à un point d'erreur, de folie ou d'ardeur, par les plaisirs


1. Ps 5,7 - 2. Rm 5,3

d'ici-bas, qui lui fasse supporter avec une fermeté surprenante les maux les plus insupportables; ce n'est pas à dire pour cela qu'il rie puisse y avoir de volonté mauvaise sans l'instigation du démon, comme il n'y en peut avoir de bonne sans le secours du Saint-Esprit. Car il n'y a point de meilleur exemple que le démon même, pour faire voir que la volonté peut être mauvaise sans qu'on soit séduit, ou sollicité par un esprit étranger; puisque ce n'est pas par l'instigation d'un autre démon, mais par sa volonté propre qu'il est devenu démon.

Ainsi la volonté mauvaise qui étant ou entraînée par le désir, ou retenue par la crainte, ou dilatée par la joie, ou resserrée par la tristesse, méprise et supporte volontiers ce qu'il y aurait de plus dur pour un autre et pour elle, si elle n'était point agitée de ces mouvements, suffit pour se séduire elle-même, sans qu'aucun esprit étranger la pousse. Et à proportion qu'étant vide des choses d'en-haut, et plongée dans celles d'ici-bas, l'objet qu'elle désire posséder, ou qu'elle craint de perdre, ou dont la possession lui donne de la joie, ou dont elle regrette la perte, lui paraîtra doux; elle portera avec d'autant plus de fermeté tous les maux dont la souffrance ne sera pas capable de balancer le plaisir de la jouissance de ce qu'elle aime. Or, ce qu'elle aime, quoi que ce puisse être, est du genre et de la nature des choses créées. Car on sait que le plaisir des créatures ne consiste qu'à suivre la pente que le commerce perpétuel qu'elles ont entre elles leur donne les unes pour les autres, et qui fait que la créature aimante s'attache à la créature aimée pour en goûter la douceur.



CHAPITRE XXV. DIEU SEUL REND LA VOLONTÉ DONNE.


22. Mais ce plaisir du Créateur, dont il est écrit: «Vous les abreuverez au torrent de vos délices (1)», est bien d'un autre genre; car ce n'est point une chose créée comme nous. Si ce plaisir céleste ne produit donc en nous l'amour de Dieu, il n'y a rien qui nous le puisse donner; et ainsi la bonne volonté, celle par laquelle on aime Dieu, ne saurait être que dans ceux «en qui Dieu opère le vouloir même (2)». Il est donc clair que cette bonne volonté, c'est-à-dire celle qui est soumise à Dieu avec fidélité, celle qui brûle de la sainte ardeur qui vient


1. Ps 35,9 - 2. Ph 2,15

304

d'en haut, celle qui aime Dieu et le prochain pour l'amour de Dieu, sous quelque forme que ce soit qu'elle souffre les maux de cette vie, que ce soit sous la forme de cet amour exprimé dans cette parole de saint Pierre à Jésus-Christ: «Vous savez, Seigneur, que je vous aime (1)»; ou de cette crainte dont parle saint Paul, quand il dit: «Opérez votre salut avec crainte et tremblement (2)»; on de cette joie dont il parle ailleurs, quand il dit: «Réjouissez-vous par l'espérance, et soyez patients dans les afflictions (3)»; ou d'une «tristesse» comme celle «dont il avait le coeur si pressé «sur le sujet de ses frères (4)»; il est clair, dis-je, que c'est toujours cette même charité, dont il est dit qu'elle «souffre tout (5)», et qui n' «est» jamais «répandue dans nos coeurs» que «par le Saint-Esprit qui nous est donnée (6)».



CHAPITRE 26. QUE PENSER DE LA PATIENCE DES SCHISMATIQUES?

Ainsi la piété ne nous permet pas de douter, que la patience qui fait qu'on souffre chrétiennement, ne soit un don de Dieu, aussi bien que la charité qui fait qu'on aime saintement. Car l'Ecriture ne se trompe ni ne nous trompe, quand elle dit, et dans l'ancien Testament, que «Dieu est notre patience (7)», que «notre patience vient de Dieu (8)», que «l'Esprit de force nous est donné d'en haut (9)»; et dans le nouveau, qu' «il a été donné à quelques-uns, non-seulement de croire en Jésus-Christ, mais même de souffrir pour lui (11)».

Que ce que nous savons avoir reçu, ne nous soit donc pas un sujet de nous élever, comme si nous l'avions de nous-mêmes.


23. Parmi ceux qui sont dans le schisme, et par conséquent dépourvus de la charité, dont l'unité d'esprit et le lien de la paix qui unissent tous les membres de l'Eglise catholique sont des suites nécessaires, si l'on voit quelqu'un souffrir, par la crainte du feu de l'enfer, les afflictions, les angoisses, la nudité, la persécution, les périls, la prison, les chaînes, les tortures, le fer, le feu, les ongles et les dents des bêtes sauvages, et la croix même, plutôt que de renoncer à Jésus-Christ, bien loin qu'on l'en puisse blâmer, il y a quelque chose de louable, même dans cette sorte de patience.


1. Jn 21,15 - 2. Ph 2,12 - 3. Rm 12,12 - 4. Rm 9,2 - 5. 1Co 13,7 - 6. Rm 5,5 - 7. Ps 60,5 - 8. Ps 61,6 - 9. Is 11,2 - 10. Ph 1,29

Car nous ne pouvons pas dire que cet homme-là eût mieux fait de renoncer à Jésus-Christ pour se garantir des maux qu'il a soufferts en confessant son nom. Mais ce que nous en devons penser, c'est que cela servira peut-être à faire qu'il soit puni d'un moindre supplice, que s'il avait renoncé à Jésus-Christ pour se délivrer de tous ces maux.

Ainsi, lorsque l'Apôtre a dit: «Quand on livrerait mon corps pour être brûlé, si je n'ai la charité, cela ne me sert de rien (1)»; il faut entendre que cela ne sert de rien pour gagner le royaume du ciel, mais non pas pour diminuer quelque chose de la rigueur des supplices éternels.



CHAPITRE 26I. EST-ELLE UN DON DE DIEU?


24. Mais on pourrait demander si c'est un don de Dieu ou une chose qu'il faille attribuer à la force de la volonté humaine, que la patience par laquelle un homme séparé de l'Eglise et craignant les peines éternelles, souffre des maux temporels; non pour l'erreur qui a fait sa séparation, mais pour les vérités et les mystères qui se conservent encore dans sa secte. Car si nous disons que cette sorte de patience soit un don de Dieu, nous faisons participants de son royaume ceux en qui elle se trouve; si au contraire nous disons que ce n'en est pas un, nous avouerons par là que sans le secours de Dieu, il peut y avoir quelque bien dans la volonté de l'homme; puisqu'on ne saurait nier que ce ne soit un bien que de croire qu'on sera puni éternellement si on renonce à Jésus-Christ, et de souffrir, plutôt que d'en venir là, tout ce que les hommes sont capables de faire souffrir. Ne nions donc pas que cela même ne soit un don de Dieu; mais comprenons en même temps que les dons qu'il fait aux citoyens de la Jérusalem céleste, de la femme libre dont nous sommes les enfants, sont bien autres que ceux-là.



CHAPITRE 28. DONS ET DONS.


25. Ce sont ces dons qui composent l'héritage céleste, où nous sommes «héritiers de Dieu et cohéritiers de Jésus-Christ (2)»; pour les autres, ils peuvent être le partage «des


1. 1Co 13,3 - 2. Rm 8,17

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enfants même des concubines», c'est-à-dire des juifs charnels, des hérétiques et des schismatiques. Car si d'un côté nous voyons que Dieu dit à Abraham: «Chasse l'esclave avec son fils, parce que le fils de l'esclave ne sera point héritier avec mon fils Isaac (1)»; et, ailleurs: «Ce sera Isaac qui sera appelé ton fils (2)», c'est-à-dire: «que ceux qui sont sortis d'Abraham selon la chair, ne sont pas pour cela enfants de Dieu, mais que les enfants de la promesse sont réputés être la race d'Abraham (3)», comme l'Apôtre l'explique pour nous faire entendre que «ce sont les enfants issus d'Abraham en la ressemblance d'Isaac qui sont enfants de Dieu par Jésus-Christ (4)», et qui sont ses membres et composent son corps, c'est-à-dire l'Eglise catholique, laquelle est seule la véritable Eglise en qui se trouve la foi qui fait les saints, et qui agit non par la crainte, ni par l'orgueil, mais par l'amour; si, dis-je, nous voyons par là les enfants des concubines exclus de l'héritage, nous voyons aussi que lorsqu'Abraham les sépara d'avec son fils Isaac, «il leur fit quelques gratifications (5)», non qu'il les reconnût pour ses héritiers, mais afin de ne les pas laisser absolument dépourvus de tout. «Abraham», dit l'Ecriture, «donna tous ses biens à son fils Isaac, et séparant de lui les enfants des concubines, il leur fit aussi quelques gratifications (6)».

Si donc nous sommes enfants de la femme libre, de Jérusalem, comprenons qu'autres sont les biens des héritiers, autres les gratifications faites à ceux qui n'ont point de part à l'héritage. Or, les héritiers sont ceux à qui il est dit: «L'esprit que vous avez reçu n'est point un esprit de servitude pour vous faire vivre encore dans la crainte; mais vous avez reçu l'Esprit d'adoption des enfants, qui nous fait crier: mon Père, mon Père (7)».



CHAPITRE XXIX. ÉTERNELLE RÉCOMPENSE DE LA PATIENCE VÉRITABLE.


26. Que l'esprit de charité nous fasse donc


1. Gn 21,10 - 2. Ga 4,30 - 3. Gn 21,12 - 4. Rm 9,7-8 - 5. Gn 25,5-6 - 6. Gn 25,5-6 - 7. Rm 8,10-17

crier de la sorte; et dans l'attente où nous sommes de l'héritage éternel, soyons animés d'un amour libre, et non d'une crainte servile; «crions», mais dans un esprit de patience, pendant que nous sommes pauvres ici-bas, jusques à ce que nous soyons enrichis dés biens de cet héritage céleste. Nous en avons déjà des gages et des assurances bien grandes, puisque «Jésus-Christ s'est fait pauvre pour nous enrichir (1)», et qu'après son exaltation dans le ciel, le Saint-Esprit nous a été envoyé pour former de saints désirs dans nos coeurs.

C'est de ces pauvres qui n'ont encore que la foi, et non pas la claire vue, qui espèrent mais qui ne jouissent pas, qui soupirent et qui désirent, bien loin d'être déjà régnants dans la souveraine félicité, qui ont faim et soif de la justice, mais qui n'en sont pas encore pleinement rassasiés; c'est de ceux-là qu'il est dit: «Leur patience ne périra point (2)»; non qu'ils aient encore besoin de patience lorsqu'il n'y aura plus rien à souffrir, mais parce que leur patience n'aura pas été infructueuse, et que pour dire «qu'elle ne périra point 3», il suffit que la récompensé en soit éternelle. Car, quand on a travaillé en vain, et qu'on se trouve frustré dans son attente, on dit qu'on a perdu sa peine; et au contraire, lorsqu'on est arrivé à ce qu'on prétendait, on dit qu'on ne l'a pas perdue; ce qui ne signifie pas qu'elle demeure toujours, mais qu'elle n'a pas été inutile.

C'est ainsi que «la patience des pauvres (4)» de Jésus-Christ, qui doivent un jour être enrichis de l'héritage du même Jésus-Christ, «ne périra point (5)»; non que nous ayons rien à souffrir dans la béatitude éternelle; mais parce que nous y jouirons à jamais de la récompense dé ce que nous aurons souffert ici-bas avec patience. Car celui qui donne à la volonté, la patience dont nous avons besoin dans le temps, ne mettra point de fin à la félicité que nous posséderons dans l'éternité; couronnant par l'un et l'autre de ces dons, celui qu'il nous a fait de la charité.


1. 2Co 8,9 - 2. Ps 9,19 - 3. Ps 9,19 - 4. Ps 9,19 - 5. Ps 9,19



Augustin, de la patience. - CHAPITRE XX. LA GRACE PRÉVENANTE.