Augustin contre Fauste - CHAPITRE II. RÉFUTATION DE L'OPINION DE FAUSTE. L'HOMME TOUT ENTIER VIENT DE DIEU.



LIVRE VINGT-CINQUIÈME.

Objection de Fauste sur le Dieu d'Abraham. - Courte réponse d'Augustin.



CHAPITRE PREMIER. FAUSTE OBJECTE QUE LE DIEU D'ABRAHAM N'EST PAS INFINI. SELON LUI,LE BIEN ET LE MAL SE LIMITANT, DIEU A DES BORNES.

Fauste. Dieu est-il fini ou infini? Si l'on peut s'en rapporter à votre prière, ainsi conçue: Dieu d'Abraham, Dieu d'Isaac et Dieu de Jacob (1), Dieu est fini, à moins qu'il n'y ait un Dieu pour qui tu pries, et un autre que vous priiez; sinon le cercle de la circoncision, qui sépare Abraham, Isaac et Jacob de la société des autres nations (2), formera aussi la limite de la puissance de Dieu à leur égard. Or, celui dont le pouvoir est limité, a lui-même des bornes. D'autre part, dans cette prière, vous ne faites aucune mention des anciens qui ont précédé Abraham: Enoch, Noé, Sem (3), et autres de ce genre, qui cependant, de votre aveu, ont été justes dans l'incirconcision. Mais comme ils ne portaient point le signe spécial de la circoncision, vous ne voulez pas que Dieu soit leur Dieu; il ne l'est que d'Abraham et de sa postérité. Si donc il existe un Dieu unique et infini, pourquoi ce soin, cette précaution dans votre prière? pourquoi, non contents d'avoir nommé Dieu, ajoutez-vous de qui il est le Dieu, c'est-à-dire d'Abraham, d'Isaac et de Jacob, comme si votre oraison devait se perdre à travers une foule de dieux et faire naufrage, à moins qu'elle ne porte le pavillon d'Abraham? Assurément, cela se comprend de la part des Juifs qui sont circoncis car, par là, ils indiquent qu'ils s'adressent au Dieu de la circoncision, à l'exclusion des dieux des incirconcis; mais que vous le fussiez, vous, voilà ce que je ne comprends guère, puisque vous ne portez point le signe de la circoncision comme Abraham, dont vous invoquez le Dieu. En effet, il paraît vraiment que les Juifs et le Dieu des Juifs s'étaient mutuellement donné des signes pour se reconnaître, pour ne pas se perdre de vue entre eux: il les avait, lui, marqués du cachet impur de la circoncision, afin que, par là, on

1. Ex 3,15 - 2. Gn 17,9-14 - 3. Gn 5

sût qu'ils lui appartenaient, chez quelque nation, en quelque pays qu'ils se trouvassent; et eux, à leur tour, le surnommaient Dieu de leurs pères, afin que, en quelque lieu qu'il fût, même parmi une multitude d'autres dieux, dès qu'il entendrait dire: Dieu d'Abraham, Dieu d'Isaac et Dieu de Jacob, il reconnût que c'était lui qu'on invoquait. Il arrive, en effet, que quand beaucoup de personnes portent le même nom, aucune ne répond à l'appel, si on n'y ajoute un surnom. Ainsi encore, les bergers font des marques à leurs troupeaux, de peur qu'un étranger ne s'en empare comme de son bien propre. Et comme vous en faites autant, que vous parlez aussi du Dieu d'Abraham, du Dieu d'Isaac et du Dieu de Jacob, vous indiquez par là non-seulement que votre Dieu est fini, mais encore que vous lui êtes étrangers, que vous n'avez point son signe ni son sacrement, qui est la mutilation des parties viriles, à quoi Dieu reconnaît les siens. Par conséquent, si c'est là le Dieu que vous adorez, il est parfaitement clair qu'il a des bornes. Mais si vous prétendez que Dieu est infini, il vous faut d'abord renoncer à celui-là, changer votre prière et déplorer votre erreur passée. Si nous tenons ce langage, c'est pour vous battre avec vos propres armes; car, sur cette question: Le Dieu souverain, le vrai Dieu est-il infini ou non? L'opposition du bien et du mal nous apprendra vite la vérité. En effet, si le mal n'existe pas, Dieu est certainement infini; mais il a des bornes, si le mal existe. Or, il est certain que le mal existe, Dieu n'est pas infini; car c'est chose reçue que le mal commence là où le bien finit.


CHAPITRE II. RÉPONSE DU SAINT. L'ERREUR DES MANICHÉENS LES REND INCAPABLES DE TRAITER LES QUESTIONS QUI ONT DÉJÀ ÉTÉ DISCUTÉES PLUS HAUT.

Augustin. A Dieu ne plaise que quiconque vous connaît, vous interroge là-dessus et entre en discussion sur ce point avec des gens tels que vous. Car vous avez besoin (376) d'être d'abord dégagés des fictions d'un esprit charnel et matériel et purifiés par une foi pieuse et un rayon de vérité, si faible qu'il puisse être, avant d'être capables de concevoir des idées spirituelles de quelque manière et à quelque degré que ce soit. Tant que vous ne le pourrez pas (car votre hérésie ne sait faire autre chose que d'étendre le corps, l'âme et Dieu à travers les espaces locaux, finis ou infinis, quoique la matière seule occupe ces espaces ou est occupée par eux), tant que vous ne le pourrez pas; dis-je, vous ferez bien mieux de ne pas vous mêler de cette question, dans laquelle vous ne savez pas enseigner un mot de vrai, pas plus qu'ailleurs du reste, et où vous n'êtes pas même capables d'apprendre, comme vous le seriez peut-être dans d'autres sujets, sans votre orgueil et votre esprit de contention. En effet, dès qu'on pose seulement ces questions: comment Dieu serait fini, lui qu'aucun lieu ne renferme; comment est-il infini, lui que le Fils connaît tout entier; comment serait fini, celui qui est immense; comment est infini, celui qui est parfait; comment serait fini, celui qui n'a pas de mesure; comment est infini, celui qui est la mesure de toutes choses; dès qu'on pose, dis-je, ces questions, toute pensée charnelle disparaît; et si le manichéen veut devenir ce qu'il n'est pas encore, il faut d'abord qu'il rougisse de ce qu'il est. Ainsi au lieu de nous demander si Dieu est fini ou infini, vous feriez mieux de terminer la question en gardant le silence, jusqu'à ce que vous cessiez d'être à une si grande distance de la fin de la loi qui est le Christ. Pourquoi le vrai Dieu, le Dieu de toute créature, a-t-il voulu s'insinuer dans l'esprit de son peuple, en se faisant appeler Dieu d'Abraham, d'Isaac et de Jacob, c'est ce que nous avons déjà suffisamment expliqué. Nous avons aussi parlé plus d'une fois de la circoncision dans les premières parties de cet ouvrage, en réponse à d'ineptes calomnies. Et nos adversaires ne se railleraient point de ce signe imprimé dans la partie du corps désignée de la manière la plus convenable par Dieu lui-même, comme marque figurative du dépouillement de la chair, s'ils réfléchissaient, non en hérétiques, mais en chrétiens, au sens de ces paroles: «Tout est pur pour ceux qui sont purs». Mais comme l'Apôtre ajoute avec beaucoup de vérité: «Mais pour les impurs et les infidèles, rien n'est pur: leur esprit et leur conscience sont souillés (1)»; nous faisons humblement observer à ces railleurs, à ces insulteurs impudents, que si, selon eux, la circoncision est honteuse, il n'y a pas pour eux sujet de rire, mais de pleurer, puisque leur dieu est enchaîné, souillé et mêlé à la particule de chair qui est retranchée et au sang qui en découle.

1. Tt 1,15




LIVRE VINGT-SIXIÈME. TOUT EST VRAI DANS LE CHRIST.

Fauste veut prouver que le Christ a pu mourir sans être né et cite l'exemple d'Elie qui est né et n'est point mort. - Augustin rétablit les vraies notions sur le cours de la nature, sur la volonté et la puissance de Dieu. - Ce qu'il faut croire d'Élie. - Tout a été vrai dans le Christ.



CHAPITRE PREMIER. ARGUMENTS DE FAUSTE POUR PROUVER QUE JÉSUS A PU MOURIR SANS ÉTRE NÉ. PREUVE TIRÉE DE L'ENLÈVEMENT D'ÉLIE.

Fauste. Si Jésus n'est pas né, comment est-il mort? - Evidemment ce n'est là qu'une conjecture. Or, on ne recourt aux conjectures qu'à défaut de preuves. Cependant nous répondrons encore à cela, et nous ne produirons que des exemples pris chez vous, dans les objets de votre croyance. Si ces exemples sont vrais, ils seront en notre faveur; s'ils sont faux, ils tourneront contre vous. Tu dis donc: Comment Jésus est-il mort, s'il n'était pas homme? Et moi je te demande: Comment Elie, qui était homme, a-t-il pu ne pas mourir? Quoi 1 un mortel aura pu, contre les lois de sa nature, usurper le droit à l'immortalité, et le Christ immortel n'aura pu, au besoin, empiéter quelque peu sur la mort? Si Elie, malgré la nature, vit éternellement, pourquoi refuses-tu à Jésus le pouvoir de mourir, malgré la nature, seulement pour trois jours surtout quand vous n'accordez pas seulement l'immortalité à Elie, mais encore à Moïse et à Enoch, qui auraient été enlevés au ciel avec leurs corps? Donc si de ce que Jésus est mort, on a droit de conclure qu'il était homme, on pourra également, de ce qu'Elie n'est pas mort, conclure qu'il n'était pas homme. Or, il est faux qu'Elie n'ait pas été homme, bien qu'on le croie immortel; il est donc aussi faux que Jésus ait été homme, quoiqu'on pense qu'il soit mort. Et si tu veux me croire, à moi qui dis la vérité: les Hébreux se trompent sur l'un et sur l'autre point, sur la mort de Jésus et sur l'immortalité d'Elie; car le premier n'est pas mort, et le second est mort; mais vous croyez ce qu'il vous plaît de croire, et vous mettez le reste sur le compte de la nature. Or, si on s'enquiert des lois de la nature, elle exige que ce qui est immortel ne meure pas et que ce qui est mortel meure.

Que si nous comparons, dans Dieu et dans l'homme, le pouvoir de faire sa volonté, il me semble que Jésus a plutôt pu mourir, qu'Elie ne pas mourir: car Jésus était plus puissant qu'Elie. Et si, contre toutes les lois de la nature, tu élèves le plus faible jusqu'au ciel, et le consacre à l'immortalité, sans égard pour sa nature et pour sa condition: pourquoi n'accorderais-je pas, moi, que Jésus a pu mourir s'il l'a voulu, quand même je serais obligé de voir, là, une mort réelle, et non fictive? En effet, comme il avait dès le commencement la ressemblance de l'homme et simulé toutes les affections propres à la condition humaine, il n'était pas hors de propos qu'il achevât son rôle, en subissant une mort apparente.


CHAPITRE II. AUTRE PREUVE TIRÉE DES MIRACLES DE JÉSUS.

De plus il faut noter que s'il s'agit de chercher ce que chacun peut, d'après les lois de la nature, il ne faut pas borner cette question à la mort de Jésus, mais l'étendre à toutes ses actions. Par exemple, la nature ne permet pas à un aveugle de naissance de voir la lumière, et cependant Jésus a opéré ce prodige sur des aveugles de cette espèce, à tel point que les Juifs eux-mêmes s'écriaient qu'on n'avait jamais vu, depuis le commencement du monde, quelqu'un ouvrir les yeux d'un aveugle-né (1). Et qui ne sera frappé d'étonnement en entendant dire qu'il a guéri une main desséchée, rendu la voix et la parole à ceux qui en étaient privés, rétabli l'esprit vital dans des corps déjà entrés en décomposition? qui ne sera forcé, en quelque sorte, d'être incrédule et de se rappeler ce que la nature permet ou ne permet pas? Cependant, nous tous chrétiens, nous croyons que le même Jésus a opéré tous ces prodiges, non par les forces de la nature, mais par la puissance et la vertu de Dieu. On lit encore que les Juifs l'ayant un jour précipité

1. Jn 9

378

du haut d'une montagne, il n'en éprouva pas le moindre mal. Or, un homme qu'on jette en bas d'une montagne et qui ne meurt pas, parce qu'il ne veut pas mourir, ne peut-il pas mourir quand il veut? Tout ceci soit dit parce qu'il vous plaît d'argumenter, et d'employer la dialectique, arme qui n'est point faite pour vous: car du reste, pour nous, Jésus n'est pas mort et Elie n'est point immortel.


CHAPITRE 3. NOTIONS PRÉCISES SUR LE COURS DE LA NATURE.

Augustin. Tout ce que l'Ecriture sainte, l'autorité la plus haute, la plus certaine, la mieux établie sur les solides fondements de la foi, nous dit d'Enoch, d'Elie et de Moïse, nous le croyons, mais non point ce que Fauste nous soupçonne de croire. Or, les hommes qui se trompent comme vous, ne peuvent savoir ce qui est selon ou contre la nature. Nous ne contestons pas que, dans le langage humain, ce qui sort du cours ordinaire de la nature est dit contre nature. Tel est le sens de ces paroles de l'Apôtre: «Si tu as été coupé de l'olivier sauvage, ta tige naturelle, et enté contre nature sur l'olivier franc (1)», où il appelle «contre nature» ce qui n'entre pas dans le cours de la nature, tel qu'il est connu des hommes, à savoir que l'olivier sauvage enté sur l'olivier franc, ne donne point de fruits sauvages, mais produise de grasses olives. Mais Dieu, créateur et auteur de toutes les natures, ne fait rien contre nature: car tout ce qu'il fait entre dans la nature de chaque chose, lui de qui vient toute mesure, tout nombre, tout ordre dans la nature. Ni l'homme non plus ne fait rien contre nature, sinon quand il pèche; et encore la punition le ramène-t-elle à la nature. Car l'ordre naturel de la justice exige ou que le péché ne se commette pas, ou qu'il ne reste pas impuni. Mais, dans les deux hypothèses, l'ordre naturel est sauf, sinon de la part de l'homme, au moins de la part de Dieu. En effet, le péché nuit à la conscience, et nuit à l'âme elle-même, en la privant de la lumière de justice, bien qu'il ne soit pas immédiatement suivi de douleurs, réservées comme remède à ceux qui doivent se corriger, ou comme dernier supplice à ceux qui seront restés incorrigibles. Mais il n'y a rien de messéant à dire que Dieu fait contre

1. Rm 11,24

nature ce qu'il fait contre ce que nous savons de la nature. Car nous donnons aussi le nom de nature au cours connu et ordinaire de la nature; et quand Dieu agit contre ce cours, nous appelons ses actions merveilles ou prodiges. Mais la loi souveraine de la nature, si élevée au-dessus de l'intelligence des impies ou des faibles, Dieu ne peut pas plus agir contre elle que contre lui-même. Plus une créature spirituelle et raisonnable, comme l'âme humaine, par exemple, participe à cette loi immuable et à cette lumière, mieux elle connaît ce qui est possible et ce qui ne l'est pas; plus elle en est éloignée, plus elle s'étonne de ce qui sort du cours ordinaire des choses, parce qu'elle prévoit moins l'avenir.


CHAPITRE IV. LA VOLONTÉ DE DIEU, SOUVERAINE RAISON DES CHOSES.

Voilà pourquoi nous ne savons pas ce qui s'est passé dans Elie; nous croyons pourtant ce que nous en dit la véridique Ecriture. Il est pour nous une chose certaine, c'est que Dieu a fait de lui ce qu'il a voulu, et que ce que Dieu ne veut pas, n'est possible chez personne. Par conséquent, si l'on me dit qu'il est possible, par exemple, que la chair de tel ou tel homme soit transformée en corps céleste, je l'accorderai; mais cela arrivera-t-il? je n'en sais rien, et je n'en sais rien parce que j'ignore quelle est, là-dessus, la volonté de Dieu; mais ce que je n'ignore pas, c'est que cela arrivera certainement, si telle est la volonté de Dieu. Or, si j'entends dire qu'une chose devait arriver, mais que Dieu a fait en sorte qu'elle n'arrivât pas, je répondrai en toute confiance: La chose qui devait arriver, c'est celle que Dieu a faite, et non celle qu'il eût faite si elle eût dû arriver. Car Dieu savait certainement ce qu'il devait faire, et par là et en même temps, que ce qu'il empêcherait d'arriver, n'arriverait pas. Ainsi il est hors de doute que ce que Dieu sait est plutôt vrai que ce que l'homme pense. Par conséquent, ce qui doit arriver ne peut pas plus ne pas arriver, que les faits passés ne peuvent n'être pas des faits, parce qu'il n'est pas dans la volonté de Dieu qu'une chose soit fausse par ce qui la rend vraie. C'est pourquoi tout ce qui est vraiment futur, arrivera sans aucun doute; et si les choses n'ont-pas lieu, c'est qu'elles (379) n'étaient pas futures; comme tout ce qui est vraiment passé, est indubitablement passé.


CHAPITRE V. DIEU NE PEUT PAS FAIRE QUE CE QUI A ÉTÉ, N'AIT PAS ÉTÉ. IL EST NÉANMOINS TOUT-PUISSANT.

Ainsi donc, quiconque dit: Si Dieu est tout-puissant, qu'il fasse que ce qui a été fait n'ait pas été fait, ne s'aperçoit pas que cela revient à dire: Si Dieu est tout-puissant, qu'il fasse que ce qui est vrai soit faux, par cela même qu'il est vrai. En effet, Dieu peut faire que quelque chose qui était, ne soit plus: car alors il trouve une chose existante, sur laquelle exercer le pouvoir de détruire: comme par exemple, quand il fait cesser d'être, parla mort, ce qui a commencé à être en naissant: là il trouve un fait sur lequel agir. Mais qui peut demander qu'il fasse cesser d'être ce qui n'existe pas? Or, tout ce qui est passé, n'est plus; s'il y avait encore quelque chose à en faire, c'est que cela serait encore, et si cela était encore, comment cela serait-il passé? Donc, ce que nous pouvons véritablement dire avoir été, n'est plus; et s'il est vrai que cela a été, c'est une vérité qui ne subsiste que dans notre esprit, et non dans la réalité qui a cessé d'être. Quand nous disons que quelque chose a été, nous ne disons la vérité que parce que la chose dont nous parlons n'est plus. Dieu ne peut pas rendre fausse notre pensée, parce qu'il ne peut être contraire à la vérité. Si vous me demandez où est cette pensée, je vous répondrai qu'elle se trouve d'abord dans notre esprit, quand nous savons que la chose est vraie et que nous le disons. Mais si, en vertu de l'oubli, cette pensée est sortie de notre esprit, elle subsiste néanmoins dans la vérité même. Car il sera toujours vrai que ce qui était et n'est plus, a été; et il sera vrai que ce qui était a été, là même où il était vrai que la chose future serait, avant qu'elle fût. Dieu ne peut être contraire à cette vérité, lui en qui est la souveraine et immuable vérité, lui de qui vient toute la lumière du vrai qui éclaire les âmes et les esprits. Mais quand nous disons que Dieu est tout-puissant, nous ne l'entendons pas en ce sens qu'il puisse aussi mourir, jet que, parce qu'il ne peut pas mourir, il ne faut pas l'appeler tout-puissant. Car celui-là seul peut-être nommé vraiment tout-puissant, qui existe réellement, et de qui seul tout ce qui est, d'une façon ou de l'autre, spirituel ou corporel, tient l'existence. Or, il use de toutes ses créatures comme il lui plaît; et, suivant la vraie et immuable justice, qui n'est autre chose que lui-même, il lui plaît, tout en restant immuable, de régler les changements des êtres changeants selon leurs natures ou leurs actions. Oserons-nous dire qu'Elie, étant une créature, n'a pu subir un changement en bien ou en mal, ou n'a pu en subir un qui fût extraordinaire pour le genre humain, mais conforme à la volonté du Dieu tout-puissant? Quel est l'homme assez fou pour le soutenir? Pourquoi donc ne croirions-nous pas d'Elie ce que la très-véridique Ecriture nous en raconte? A moins que nous ne pensions que Dieu ne peut faire que ce que nous avons l'habitude de voir.


CHAPITRE VI. SUR ÉLIE ET SUR LE CHRIST, IL FAUT S'EN RAPPORTER A L'ÉCRITURE. LA MORT DU CHRIST N'A PU ÊTRE FAUSSE.

Mais, dit-on, si Elie, étant homme, a pu ne pas mourir, pourquoi le Christ, n'étant pas homme, n'aurait-il pas pu mourir? - C'est comme si l'on disait: Si la nature de l'homme a pu subir un changement en bien, pourquoi celle de Dieu n'en pourrait-elle subir un en mal? Insensé! c'est parce que la nature de l'homme est changeante, et celle de Dieu immuable. Un autre fou pourrait aussi bien nous dire: Si Dieu peut faire régner l'homme éternellement, pourquoi ne pourrait-il pas lui-même se damner éternellement? - Ce n'est point là ce que je veux dire, réplique-t-on; je compare seulement la vie éternelle pour l'homme à une mort de trois jours pour Dieu. - Evidemment, tu serais dans le vrai si, par une mort de trois jours en Dieu, tu entendais la mort de la chair qu'il a empruntée de notre nature: car la vérité évangélique proclame que le Christ a subi une mort de trois jours pour procurer la vie éternelle aux hommes. Mais quand tu prétends qu'il n'est pas absurde d'admettre une mort de trois jours, dans la nature divine elle-même, et en dehors de notre chair mortelle, par la raison que la nature humaine peut être dotée de l'immortalité: tu déraisonnes complètement, comme un homme qui ne connaît ni Dieu, ni les dons de Dieu. Ensuite, est-ce que tu ne dis pas, est-ce que tu ne penses pas ce que je disais tout à (380) l'heure, que Dieu s'est condamné lui-même à une damnation éternelle, puisqu'une partie de votre dieu est clouée à ce globe pour l'éternité? Diras-tu à cela qu'une partie de la lumière est lumière, et qu'une partie de Dieu n'est pas Dieu? En résumé, pour vous dire sans raisonnement et sur la simple autorité de la vraie foi, pourquoi nous croyons qu'Elie, né mortel, a été enlevé de terre par la puissance de Dieu, et, d'autre part, que le Christ est réellement né d'une vierge et réellement mort sur la croix: nous le croyons, parce que cela nous est attesté et d'Elie et du Christ par la sainte Ecriture (1), qu'il faut croire pour être pieux et qu'on ne peut rejeter sans être impie. Mais vous niez, vous, ce qui concerne Elie, parce que tout est simulation chez vous; quant au Christ, vous ne dites pas qu'il n'a pas pu naître et qu'il a pu mourir, mais vous prétendez qu'il n'est pas né d'une vierge et que sa mort sur la croix a été fausse, c'est-à-dire non-réelle, mais simulée pour faire illusion aux regards des hommes: et cela dans l'unique but de vous faire pardonner vos mensonges perpétuels par ceux qui croient à vos assertions sur ces deux points.


CHAPITRE VII. NOUS CROYONS DU CHRIST TOUT CE QU'EN DIT L'ÉVANGILE.

Mais cette question que Fauste se pose à lui-même: «Si Jésus n'est pas né, comment est-il mort?» qui donc vous la fera, sinon celui qui oublie qu'Adam lui-même n'est pas né et qu'il est cependant mort? Si donc le Fils de Dieu eût jugé à propos de se former de terre une véritable chair d'homme, comme il l'a formée pour notre premier père, puisque tout a été fait par lui (2); qui oserait soutenir qu'il ne l'aurait pas pu? Et encore, s'il eût voulu prendre quelque matière, ou céleste, ou aérienne, ou humide, et la transformer très-réellement en chair humaine; qui oserait lui en contester le pouvoir, à lui Fils tout-puissant du Tout-Puissant? Enfin si, laissant de côté tous les éléments matériels créés par lui, il eût voulu se tirer à lui-même du néant une véritable chair, comme il a créé tout ce qui n'était pas; qui de nous oserait contredire, et affirmer qu'il ne l'aurait pas pu? Si donc nous croyons qu'il est né de

1. 2R 2,11 Mt 1,25 Mt 17,50 - 2. Jn 1,3

la vierge Marie, ce n'est pas parce que nous regardons comme impossible qu'il prît une vraie chair d'une autre manière, pour apparaître aux yeux des hommes; mais parce que cela est écrit dans cette Ecriture à laquelle il faut croire sous peine de n'être ni chrétien ni sauvé. Nous croyons donc que le Christ est né de la vierge Marie, parce que cela est écrit dans l'Evangile; nous croyons qu'il a été crucifié et qu'il est mort, parce que cela est écrit dans l'Evangile; qu'il est vraiment né et vraiment mort, parce que l'Evangile est la vérité. Mais pourquoi a-t-il voulu souffrir tout cela dans une chair prise du sein d'une femme, c'est là son secret, à lui: soit qu'il ait voulu par là relever et honorer les deux sexes qu'il avait créés, en prenant la forme d'un homme et en naissant d'une femme; soit qu'il ait eu une autre raison, et laquelle? je n'aurai point la témérité de le dire. Mais j'affirme, en toute sécurité, que tout s'est passé comme l'enseigne la vérité évangélique, et que cela n'a point dû se faire autrement que, la sagesse de Dieu l'avait décidé. Nous mettons la foi à l'Evangile au-dessus de tous les raisonnements des hérétiques, et nous reconnaissons que le plan de la sagesse divine l'emporte sur tous les plans d'une créature quelconque.


CHAPITRE VIII. TOUT A ÉTÉ VRAI DANS LE CHRIST; IL N'A RIEN SIMULÉ.

Cependant Fauste nous invite à le croire sur parole: «Et si tu veux me croire, à moi qui dis la vérité: les Hébreux se trompent sur l'un et sur l'autre point, sur la mort de Jésus et sur l'immortalité d'Elie»; bien qu'il nous dise un peu plus bas . «En effet, comme il avait pris, dès le commencement, la ressemblance de l'homme, et simulé toutes les affections propres à la condition humaine, il n'était pas hors de propos qu'il achevât son rôle en subissant une mort apparente». Homme détestable et monstre d'imposture, comment te croirai-je comme si tu disais la vérité, quand tu prétends que le Christ a menti en feignant de mourir? Le Christ mentait donc, quand il disait: «Il faut que le Fils de l'homme soit mis à mort et qu'il ressuscite le troisième jour (1)»; et toi tu ne mens pas, et tu prétends que nous ajoutions

1. Lc 24,7

381

foi à ta parole, comme si tu disais la vérité? Pierre était donc plus sincère que toi, quand il disait au Sauveur: «A Dieu ne plaise, Seigneur! cela ne vous arrivera point», ce qui lui attira cette apostrophe: «Arrière, Satan (1)!» paroles qui ne furent point stériles pour lui: car plus tard, corrigé et parvenu à la perfection, il prêcha jusqu'à sa mort la vérité de la mort du Christ. Mais si, pour avoir seulement pensé que le Christ ne mourrait pas, il a mérité de s'entendre appeler Satan: que mérites-tu, comment t'appellera-t-on, toi qui prétends que le Christ a simulé la mort? Il faut, nous dis-tu, supposer qu'il a aussi simulé la mort, puisqu'il a simulé toutes les affections propres à la condition humaine. Mais qui donc, en face de l'Evangile, t'accordera que le Christ a simulé toutes les affections propres à la condition humaine? Très certainement, si l'Evangéliste nous dit: Jésus a dormi (2); s'il nous dit: Il a eu faim a, il a

1. Mt 16,22-23 - 2. Mt 7,24 - 3. Mt 4,2

eu soif (1), il a été triste (2), il s'est réjoui et autres choses de ce genre: très-certainement tout cela est vrai, tout cela est raconté d'une manière qui ne permet pas de supposer qu'il y ait eu feinte, mais qui prouve que le Sauveur a réellement éprouvé et manifesté ces affections, non certes, par la nécessité de sa condition, mais par l'empire de sa volonté et aussi en vertu de son pouvoir divin. Car souvent l'homme se fâche sans le vouloir, est triste malgré lui, dort malgré lui, a faim et soif malgré lui; mais le Christ a souffert tout cela, parce qu'il l'a voulu. De même, les hommes naissent et souffrent, non parce qu'ils le veulent ni comme ils le veulent; mais lui est né et a souffert parce qu'il l'a voulu. Néanmoins, toutes ces choses sont vraies et ont été écrites de lui avec fidélité et véracité, afin que quiconque croira à son Evangile, possède la vérité et ne soit point le jouet du mensonge.

1. Jn 19 - 2. Mt 26,37




LIVRE VINGT-SEPTIÈME.

Jésus est né et mort comme il l'a voulu. - L'Evangile est plus croyable là-dessus que Manés.



CHAPITRE PREMIER. SI JÉSUS A PU NAÎTRE D'UNE VIERGE, IL A AUSSI BIEN PU MOURIR SANS AVOIR ÉTÉ ENFANTÉ.

Fauste. Si Jésus n'est pas né, il n'a pas souffert; mais s'il a souffert, donc il est né. - Il ne vous sert à rien, croyez-moi, de raisonner ici d'après les lois de la nature: autrement, votre foi tout entière croule par la base. Car vous croyez que Jésus est né d'une Vierge, sans la participation de l'homme; or, si les prémices doivent se prouver par la conséquence, cela deviendra faux. En effet, on pourra vous répondre: Si Jésus est né d'une femme, donc il a un homme pour père, et s'il n'a pas un homme pour père, donc il n'est pas né d'une femme. Or, il a pu, selon vous, naître sans la participation d'un homme pourquoi donc n'aurait-il pas pu mourir sans avoir été enfanté?


CHAPITRE II. LE CHRIST L'AURAIT PU, MAIS NE L'A PAS VOULU.

Augustin. Personne ne te pose la question que tu te poses toi-même, si ce n'est l'ignorant que tu trompes, mais non l'homme instruis qui te confond. En effet, Jésus pouvait naître sans la participation d'un homme et souffrir sans avoir été enfanté; mais il a voulu l'un et n'a pas voulu l'autre. Il a voulu naître sans la participation d'un homme; il n'a pas voulu souffrir sans avoir été enfanté, car il a été enfanté et il a souffert. Tu me dis. Comment le sais-tu? Parce que je le lis dans l'Evangile de la vérité. Et moi si je te demande: Où as-tu appris ce que tu dis là? tu t'appuies sur l'autorité de Manès, et tu prétends qu'il y a erreur dans l'Evangile. Pour moi je ne croirais point à Manès disant cela, quand même il ne louerait pas le Christ de m'avoir menti. Il ne nous dit pas ce qu'il a trouvé dans le Christ; il nous donne simplement sa propre pensée,




LIVRE VINGT-HUITIÈME. L'ÉVANGILE ET MANÈS.

Fauste nie qu'un Dieu ait pu naître. - Le Christ a pu mourir sans être né. - Augustin prouve que saint Matthieu est plus digne de foi que Manès. - Les deux pères de Joseph. - Sur Jésus il faut croire à ses disciples. - Il n'y a pas de raison de rejeter l'Ecriture.



CHAPITRE PREMIER. LE CHRIST A PU ÊTRE DIEU ET NAÎTRE, IL A DONC PU MOURIR SANS ÊTRE NÉ.

Fauste. Mais il ne pouvait pas mourir, à moins d'être né. - Et moi je réponds: Il ne pouvait pas naître, à moins de ne pas être Dieu. Que s'il a pu être Dieu et naître, pourquoi n'a-t-il pas pu ne pas naître et mourir? Tu vois donc que, quand il s'agit de Jésus, il n'y a pas de profit à être logique ou à s'appuyer sur des arguments. Il faut plutôt s'en référer à ce qu'il a dit de lui-même et à ce qu'en ont dit ses Apôtres. Par conséquent il faut étudier sa généalogie, et voir si elle est d'accord avec elle-même, et non chercher dans sa passion une preuve de sa naissance: car il a pu souffrir sans être né, et être né et ne pas souffrir, surtout quand, de votre aveu, rien n'est impossible à Dieu: ce qui deviendrait faux, s'il était démontré qu'il n'a pas pu mourir sans être né.


CHAPITRE II. A QUI CROIRE, DE SAINT MATTHIEU OU DE MANÈS?

Augustin. Tu ne cesses de te poser des questions que ne t'adressent point ceux qui te réfutent. Personne ne te dit que le Christ ne pouvait mourir sans être né, puisqu'Adam est mort quoiqu'il ne fût point né. On te dit simplement: Le Christ est né puisque cela est dit, non par un hérétique quelconque, mais par le saint Evangile; il est mort, puisqu'on le lit, non dans un livre hérétique quelconque, mais dans le saint Evangile; mais toi qui défends d'argumenter quand il s'agit de Jésus, qui veux qu'on s'en rapporte à ce qu'il a dit de lui-même, à ce qu'en ont prêché les Apôtres: si je cite les premières lignes de sols apôtre Matthieu, où sa naissance est racontée, tu t'écries aussitôt que ce récit n'est pas de Matthieu, bien que l'Eglise universelle, perpétuée des Apôtres jusqu'aux évêques d'aujourd'hui par une succession certaine, affirme qu'il est de Matthieu. Et, à ce livre, quel livre m'opposeras-tu? Peut-être un livre de Manès, où l'on nie que Jésus soit né d'une vierge. De même donc que je crois que ce livre est de Manès, parce qu'il a été conservé et transmis, depuis le temps où Manès vivait, jusqu'au moment présent, par ses disciples et la succession certaine de vos chefs; crois donc aussi que cet autre livre est de Matthieu, puisque l'Eglise l'a maintenu jusqu'à nos jours, depuis le temps où Matthieu vivait en personne, et cela à travers la suite des siècles et par une succession non interrompue. Et dis-moi un peu auquel nous devons plutôt ajouter foi: ou au livre d'un Apôtre qui a suivi le Christ pendant qu'il était encore sur la terre, ou à celui de je ne sais quel Persan qui est né si longtemps après? Mais, peut-être, nous montreras-tu un autre livre, qui porte le nom de quelque apôtre certainement choisi par le Christ et où tu liras que le Christ n'est pas né de Marie. Mais comme il faudrait nécessairement que l'un de ces deux livres fût menteur, auquel penses-tu que nous devions donner la préférence? Est-ce à celui que l'Eglise, fondée par le Christ lui-même, propagée par les Apôtres et par leurs successeurs, jusqu'aujourd'hui, répandue dans le monde entier, approuve et reconnaît comme donné dès le commencement et conservé; ou à celui que cette même Eglise ne connaît point et réprouve, quand il lui est présenté par des hommes tellement amis de la vérité, qu'ils louent le Christ d'avoir menti?


CHAPITRE 3. LES DEUX PÈRES DE JOSEPH.

Ici tu vas nous dire: Examinons la généalogie dans deux livres de l'Evangile, et voyons si elle est d'accord avec elle-même. Nous avons déjà exposé dans une autre partie de cet ouvrage (1) ce qu'il y a à dire là-dessus. Tout ce qui vous intrigue, c'est que Joseph a eu

1. Voir liv. 3,ch. 3.

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deux pères. Quand même la pensée d'un père selon la nature et d'un père par adoption ne se serait pas présentée à votre esprit, vous n'auriez pas dû vous prononcer si facilement et si mal à propos contre une si grande autorité. Mais puisqu'on vous a fait sentir qu'il n'y a là aucune difficulté, croyez simplement à l'Evangile, et cessez plutôt vous-mêmes d'argumenter avec tant de malice et de perversité.


CHAPITRE IV. POUR CE QUI REGARDE JÉSUS, IL FAUT CROIRE A SES DISCIPLES PLUTÔT QU'A MANÈS.

Quant à ce que dit Fauste qu'il faut chercher ce que Jésus a dit de lui-même, qui ne le trouvera juste? Mais peut-on le savoir autrement que par le récit même de ses disciples? Et si on ne les croit pas quand ils proclament que Jésus est né d'une vierge, comment les croira-t-on quand ils exposeront ce qu'il a dit de lui? Car si on nous produit quelques écrits comme étant du Christ même, sans aucun témoignage à l'appui, je demanderai comment il a pu se faire, si cela est, que ces écrits n'aient point été lus, point acceptés, point regardés comme la plus haute des autorités dans l'Eglise même du Christ, laquelle, à partir de lui, par les Apôtres et la succession des évêques, s'est propagée et étendue jusqu'à ces temps; quand elle-«-vu s'accomplir en elle bien des choses prédites autrefois et quelle doit voir sans aucun doute la réalisation de ce qui est encore annoncé pour l'avenir? C'est que si de tels écrits étaient produits, il faudrait examiner par qui S'ils provenaient du Christ lui-même, ils auraient sans doute pu tout d'abord être communiqués à ceux qui étaient attachés à sa personne, et, par leur moyen, parvenir à d'autres. Or, si cela était arrivé, ils auraient joui d'une incontestable autorité à travers toute la succession de chefs et de peuples dont je viens de parler. Quel est donc l'homme assez insensé pour croire à une lettre du Christ produite par Manès, et ne pas croire aux actions et aux paroles du Christ écrites par Matthieu? Ou, s'il doute que Matthieu lui-même les ait écrites, pour ne pas croire de Matthieu ce qu'il en trouve admis dans l'Eglise qui s'est manifestée, dès le temps de Matthieu jusqu'à nos jours, par une série de successions non interrompues; et croire à je ne sais quel personnage venu de Perse, par un chemin oblique, plus de deux cents ans après, et cherchant à persuader que c'est lui qu'il faut croire de préférence sur les paroles et les; actions du Christ: quand l'apôtre Paul lui-même, appelé par une voix du ciel après l'ascension du Seigneur (1), n'eût obtenu aucune créance dans l'Eglise, s'il n'avait pas trouvé les Apôtres en personne, pour comma., niquer avec eux, conférer sur l'Evangile, el prendre rang dans leur société? Mais assurée qu'il prêchait ce que prêchaient les Apôtres, qu'il vivait dans leur communion et dans leur société, qu'il faisait les mêmes miracles qu'eux, qu'il était d'ailleurs recommandé par le Seigneur, elle lui accorda une autorité telle qu'elle écoute aujourd'hui ses paroles, comme si le Christ parlait par sa voix, ainsi que Paul le dit lui-même avec beaucoup de vérité (2). Et Manès s'imagine que l'Eglise du Christ doit le croire quand il parle contre les Ecritures établies sur une autorité si grande, si régulière, surtout après la recommandation qui y est si formellement faite, de regarder comme anathème quiconque lui prêche un autre Evangile que celui qu'elle a reçu (3)!


CHAPITRE V. A QUOI SE RÉDUIT L'ARGUMENTATION DE FAUSTE, IL N'Y A AUCUNE RAISON DE REJETER LES ÉCRITURES.

Mais je donne, dit notre adversaire, une raison qui prouve qu'il ne faut point croire à ces Ecritures. Et tu n'argumentes pas? Néanmoins tu es battu, même dans ton argumentation. Car elle se réduit toute à dire qu'en dernier résumé l'âme doit croire qu'elle est misérable en ce monde, parce que sa misère vient en aide à son Dieu, et l'empêche de perdre son royaume; que la substance de ce Dieu est tellement sujette au changement, à la corruption, au dommage et à la souillure, qu'une, partie d'elle-même né saurait être purifiée,et que, bien que ce Dieu la sache sortie innocente de ses propres entrailles, exempte de tout péché, il la mêle à une fange horrible et la punit du supplice éternel du globe. Voilà Où aboutissent tous vos arguments et toutes vos fables. Et plût à Dieu que leur dernier terme fût là, et non dans votre coeur et sur vos lèvres, et que vous cessassiez enfin de penser.

1. Ac 9 - 2. 2Co 13,3 - 3. Ga 1,8-9

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et de proférer de si exécrables blasphèmes! Mais, dit Fauste, c'est par ces Écritures mêmes que je prouve qu'il ne faut point les croire, parce qu'elles se contredisent elles-mêmes. Pourquoi ne pas plutôt dire qu'il ne faut y croire nulle part, pas plus qu'à des témoins qui varient et se combattent eux-mêmes? Mais, reprend-il, j'y choisis ce que j'y vois de conforme à la vérité. A quelle vérité? Dis donc à ton chimérique système, dont le commencement est la guerre contre Dieu; le milieu, la souillure de Dieu; la fin, la condamnation de Dieu. - Nulle part, dis-tu, on ne croit à des écrits qui se contredisent eux-mêmes. - Voilà ce que tu te figures, parce que tu ne comprends pas; on te l'a démontré pour tout ce que tu as dit jusqu'ici; on te le démontrera pour tout ce que tu pourras dire encore. Nous n'avons donc aucune raison de ne pas croire à ces Ecritures, revêtues d'une si grande autorité; et c'est évidemment la principale raison pour laquelle nous anathématisons ceux qui nous prêchent autre chose.



Augustin contre Fauste - CHAPITRE II. RÉFUTATION DE L'OPINION DE FAUSTE. L'HOMME TOUT ENTIER VIENT DE DIEU.