Augustin, de la correction et de la grâce.


DE LA CORRECTION ET DE LA GRÂCE



Le moine Florus, chargé de la lettre de Valentin, apporta à l'évêque d'Hippone de bonnes nouvelles d'Adrumet. Mais il crut devoir lui soumettre une objection d'un de ses frères contre le livre de la Grâce et du Libre Arbitre. S'il est vrai, disait ce cénobite, que Dieu opère en nous le vouloir et le parfaire, il faut que nos supérieurs se bornent à nous instruire de nos devoirs et à demander à Dieu de nous aider à les remplir, au lieu de nous corriger quand nous y manquons; ce n'est pas notre faute si nous sommes privés d'un secours que Dieu seul peut nous donner. Une telle conséquence, contraire à la doctrine catholique, eût été féconde en désordres: la rébellion, l'inertie morale et aussi le désespoir religieux étaient au bout. Le livre de la Correction et de la Grâce fut la réponse d'Augustin. Le docteur agrandit même l'objection de manière à prévenir les objections nouvelles qui pourraient naître, et rien ne resta debout. Cet ouvrage est comme la clef de la doctrine de saint Augustin sur la Grâce, et renverse particulièrement et victorieusement toutes les bases du jansénisme. Les idées du docteur d'Hippone sur la prédestination, s'y trouvent développées pour la première fois.



CHAPITRE PREMIER. DE LA LIBERTÉ POUR LE BIEN ET POUR LE MAL.


1. Après avoir lu la lettre que vous, Valentin et vos religieux, m'avez adressée par notre frère Florus et par ceux qui l'accompagnaient, j'ai offert au Seigneur les plus vives actions de grâces, tant j'étais heureux d'apprendre que vous possédez la paix du ciel, que vous marchez tous à la lumière de la vérité, et que vous êtes embrasés de toutes les flammes de la charité. Les embûches que vous avait dressées l'ennemi du salut, Dieu, dans sa miséricorde, a bien voulu les faire tourner à l'avantage de ses serviteurs qui, au lieu d'y trouver une occasion de ruine, y ont trouvé, au contraire, l'occasion de s'instruire et de se perfectionner. Il n'est donc pas nécessaire de reprendre le sujet qui me paraît avoir été suffisamment traité dans le livre que je vous ai adressé (2), et que vous avez accueilli avec un si vif empressement. Toutefois, ne pensez pas l'avoir suffisamment compris après une seule lecture. Si donc vous voulez en retirer un véritable profit, ne craignez pas de l'étudier de nouveau, afin que vous sachiez que de semblables questions ne peuvent être résolues que par l'autorité divine, à laquelle nous devons rester


1. Voir la lettre CCXV1,tom. 3,pag. 35 et suiv. - 2. Livre de la Grâce et du Libre Arbitre.

étroitement unis, si nous voulons parvenir au terme que nous désirons.


2. Or, le Seigneur ne s'est point contenté de nous apprendre quel mal nous devons éviter et quel bien nous devons faire; il suffirait pour cela de la lettre même de la loi; mais il nous donne encore sa grâce pour nous aider à éviter le mal et à faire le bien (1); ce qui ne peut se faire sans l'esprit de grâce. Si cette grâce nous fait défaut, la loi ne peut plus que nous rendre coupables et nous tuer. De là cette parole de l'Apôtre: «La lettre tue, mais l'esprit vivifie (2)». Celui donc qui fait de la loi un usage légitime, apprend par elle ce qui est bien et ce qui est mal puis, se défiant de sa propre force, il a recours à la grâce à l'aide de laquelle il peut éviter le mal et faire le bien. Or, si l'homme a recours à la grâce, n'est-ce point lorsque le Seigneur dirige les pas de l'homme, et daigne lui tracer la voie (3)? Voilà pourquoi le désir même du secours de la grâce est déjà le commencement de la grâce; de là cette parole du Psalmiste: «Et j'ai dit: Je commence; ce changement est l'oeuvre de la droite du Très-Haut (4)». Nous devons donc reconnaître en nous la présente du libre arbitre pour faire le bien et le mal; mais pour faire le mal, tous, justes ou pécheurs, sont parfaitement libres, tandis


1. Ps 36,27 - 2. 2Co 3,6 - 3. Ps 36,23 - 4. Ps 76,11

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qu'on n'est libre de faire le bien qu'autant que l'on a été délivré par Celui qui a dit: «Si le Fils de l'homme vous délivre, vous a serez vraiment libres (1)». Ce n'est pas qu'une fois délivré de la tyrannie du péché on n'ait plus besoin du secours de son Libérateur; au contraire, en lui entendant dire: «Sans moi a vous ne pouvez rien faire (2)», on doit crier vers lui: «Ah! soyez mon soutien, ne m'abandonnez pas (3)». Cette foi qui est véritablement la foi réelle, prophétique, apostolique et catholique, je suis heureux de l'avoir rencontrée dans notre frère Florus. Il n'y a donc plus de correction nécessaire que pour ceux qui ne comprenaient pas ma doctrine, et j'ai tout lieu de croire que dans sa miséricorde Dieu les a déjà convertis.



CHAPITRE II. NOUS NE POUVONS AVOIR QUE CE QUI NOUS A ÉTÉ DONNÉ.


3. Telle est donc cette grâce de Dieu par Jésus-Christ Notre-Seigneur; c'est par elle seule que les hommes sont délivrés du mal, et sans elle les hommes ne peuvent ni penser, ni vouloir, ni aimer, ni faire le bien. Non-seulement cette grâce nous apprend ce que nous devons faire, mais elle nous aide à faire avec amour le bien que nous connaissons. Cette inspiration d'une bonne volonté et des bonnes oeuvres, l'Apôtre l'implorait devant Dieu pour ceux auxquels il écrivait: «Nous demandons que vous ne commettiez aucun mal, et non pas que nous vous paraissions ce que nous sommes, mais que vous accomplissiez le bien (4)». En présence de ces paroles, comment ne pas ouvrir les yeux, comment ne pas avouer que c'est à Dieu seul que nous devons d'éviter le mal et de faire le bien? En effet, l'Apôtre ne dit pas: Nous vous avertissons, nous vous enseignons, nous vous exhortons, nous vous reprochons; mais: «Nous demandons à Dieu que vous ne commettiez aucun mal, et que vous fassiez le bien». Et cependant c'est à ces mêmes hommes qu'il prêchait, c'est pour eux qu'il faisait ce que je viens de rappeler: il avertissait, il enseignait, il exhortait, il réprimandait; mais il savait que tout cela serait inutile; que le zèle qu'il déployait publiquement pour planter et pour arroser ne porterait de fruit qu'autant que ses prières en faveur


1. Jn 8,36 - 2. Jn 15,5 - 3. Ps 26,9 - 3. 2Co 13,7

des fidèles seraient exaucées par Celui qui dans le secret des coeurs peut seul donner l'accroissement. Voilà pourquoi ce même docteur des nations s'écriait: «Celui qui est quelque chose, ce n'est ni celui qui plante, ni celui qui arrose, mais Dieu seul qui donne l'accroissement (1)».


4. Qu'ils déposent donc leur funeste illusion, ceux qui disent: «Pourquoi nous prêcher, nous commander d'éviter le mal et de faire le bien, si ce n'est pas nous qui le faisons, et si c'est Dieu qui opère en nous le vouloir et le parfaire (2)?» Bien plutôt qu'ils comprennent, s'ils sont les enfants de Dieu, qu'ils sont conduits par l'Esprit de Dieu (3), afin qu'ils fassent ce qu'ils ont à faire; et quand ils l'auront fait, qu'ils rendent grâces à Dieu qui leur a donné le pouvoir de le faire. Si Dieu agit en eux, c'est afin qu'ils agissent en eux-mêmes, et non pas pour qu'ils refassent rien; si donc Dieu leur montre ce qu'ils doivent faire, c'est afin qu'en faisant ce qu'ils doivent faire et en le faisant par amour pour la justice, ils se trouvent heureux d'avoir reçu cette suavité que Dieu leur a donnée, afin que la terre de leur coeur portât son fruit (4). Au contraire, quand ils ne font pas ce qui leur est connu, soit qu'ils s'en abstiennent absolument, soit qu'ils ne l'accomplissent point par charité, ils doivent recourir à la prière, afin que par elle ils obtiennent ce qu'ils n'ont pas encore. En effet, que peuvent-ils avoir qu'ils ne l'aient reçu? et qu'auront-ils jamais, s'ils ne l'ont pas reçu (5)?



CHAPITRE 3. LE PRÉCEPTE, LE REPROCHE ET LA PRIÈRE.


5. «Donc», ajoutent-ils, «que nos supérieurs se contentent de nous apprendre nos devoirs, et qu'ils demandent pour nous à Dieu le secours dont nous avons besoin pour les accomplir; mais qu'ils ne nous réprimandent et ne nous corrigent point, si nous n'accomplissons pas ces devoirs». Je dis au contraire que les supérieurs doivent remplir à la fois toutes ces obligations; car c'est là ce que faisaient les Apôtres docteurs de l'Eglise: ils prescrivaient ce qu'il y avait à faire, ils réprimandaient ceux qui ne le faisaient pas, et ils priaient pour qu'ils pussent le faire.


1. 1Co 3,7 - 2. Ph 2,13 - 3. Rm 8,14 - 4. Ps 124,13 - 5. 1Co 4,7

Voici un ordre de l'Apôtre: «Que toutes nos oeuvres se fassent avec charité (1)»; une réprimande et un reproche: «C'est déjà certainement un péché parmi vous, d'avoir des procès les uns contre les autres. Pourquoi ne souffrez-vous pas plutôt qu'on vous fasse tort? Pourquoi ne souffrez-vous pas plutôt qu'on vous trompe? Mais c'est vous-mêmes qui commettez l'injustice, c'est vous qui trompez; et cela à l'égard de vos propres frères. Ne savez-vous pas que ceux qui commettent l'injustice ne possèderont point le royaume de Dieu (2)?» Enfin, voici sa prière: «Que le Seigneur vous multiplie et vous fasse abonder dans la charité à l'égard les uns des autres et à l'égard de tous (3)». Il commande la charité; il réprimande, parce qu'on n'a pas la charité; il prie pour que la charité abonde. O homme, dans le précepte reconnaissez ce que vous devez posséder; dans le reproche qui vous est fait reconnaissez que c'est par votre faute que vous ne le possédez pas; et dans la prière reconnaissez de quelle source vous pouvez recevoir ce que vous voulez posséder.



CHAPITRE IV. OBJECTION.


6. «Comment donc», dit-on, «se peut-il que je sois coupable de ne point posséder ce que je n'ai pas reçu de Celui qui, seul à l'exclusion de tout autre, peut me donner ce dont j'ai besoin?» Souffrez un instant, mes frères, que je défende la vérité de la grâce céleste et divine, non point contre vous qui portez un coeur droit devant Dieu, mais contre ceux qui n'ont qu'une sagesse tout humaine, ou des pensées toutes terrestres. Ceux qui dans leurs oeuvres mauvaises ne veulent pas se laisser corriger par les prédicateurs de cette grâce, ne cessent de répéter: «Instruisez-moi de mes devoirs, et si je les accomplis rendez à Dieu pour moi de continuelles actions de grâces; mais si je ne les accomplis pas, je ne dois pas être réprimandé, mais il faut demander à Dieu pour moi qu'il me donne ce qu'il ne m'a pas donné, c'est-à-dire cette ardente charité pour Dieu et pour le prochain, avec laquelle j'accomplirai les préceptes. Demandez donc pour moi cette charité, et par elle je ferai généreusement et avec bonne


1. 1Co 16,14 - 2. 1Co 6,7-9 - 3. 1Th 3,12

volonté ce qui m'est commandé. Je mériterais des reproches, si c'était par ma faute que fusse privé de cette charité, c'est-à-dire si, pouvant me la donner ou la prendre moi-même, je ne le faisais pas, ou si je refusais de l'accepter lorsque Dieu me la donne. Mais puisque c'est Dieu lui-même qui préparé la volonté (1), pourquoi m'adressez-vous des reproches, lorsque vous me voyez refuser d'accomplir ses préceptes? bien plutôt ne devriez-vous pas le prier d'opérer en moi le vouloir et le parfaire?»



CHAPITRE V. UTILITÉ DE LA CORRECTION.

7. Nous répondons: Vous qui, n'accomplissant point les devoirs que vous connaissez, ne voulez pas que l'on vous adresse de reproches, vous méritez ces reproches précisément parce que vous ne voulez pas en recevoir. En effet, vous ne voulez pas qu'on vous montre vos défauts; vous ne voulez pas que ces défauts soient punis, et que vous en ressentiez une douleur salutaire qui vous inspirerait de recourir au médecin. Vous ne voulez pas que Von vous montre à vos propres yeux, tel que vous êtes, et pourtant c'est en vous voyant difforme que vous désireriez un réformateur, et que vous le supplieriez de ne point vous abandonner à votre difformité. C'est par votre faute que vous êtes mauvais, et c'est par une faute bien plus grande encore que vous ne voulez pas que l'on corrige votre malice. En seriez-vous arrivé à croire que les vices sont dignes d'éloge, ou du moins ne méritent que l'indifférence, de telle socle qu'on ne puisse ni les louer ni les blâmer? Seriez-vous faussement persuadé que la crainte, la honte ou la douleur, causées par la correction, ne sont d'aucune utilité pour le coupable? Enfin, cette correction ne produit-elle pas un véritable et salutaire aiguillon qui nous porte à implorer l'infinie bonté de Dieu, dont la miséricorde sait convertir les méchants et les rendre bons et dignes de louanges? Tout homme qui, ne voulant pas être réprimandé, se contente de dire: Priez pour moi et ne me corrigez pas, mérite au contraire qu'on le réprimande, et qu'on l'oblige à prier pour lui-même. La douleur qu'il éprouve lorsqu'il sent l'aiguillon du reproche, lui


1. Pr 8 selon les Sept.

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inspire plus de zèle et d'affection pour la prière; il a plus facilement recours à la miséricorde divine, afin que, aidé du secours de la charité, il renonce à ses oeuvres honteuses et criminelles, et se porte avec ardeur au bien et à la vertu.

Telle est l'utilité de la correction, variant toutefois selon la diversité des péchés; elle obtient toute son efficacité quand le suprême médecin daigne lui accorder un regard de complaisance. En effet, pour être utile, la correction doit avant tout inspirer au coupable le repentir de sa faute. Or, ce repentir n'est accordé que par Celui qui, aux négations de Pierre, répondit par un regard affectueux, et lui fit verser des larmes abondantes (1). Voilà pourquoi l'apôtre saint Paul, après avoir dit que l'on doit reprendre avec douceur ceux qui résistent à la vérité, ajoute aussitôt: «Dans l'espérance que Dieu pourra leur donner un jour l'esprit de pénitence, pour leur faire connaître cette vérité et les arracher aux a piéges du démon (2)».


8. Pourquoi dès lors ceux qui repoussent toute correction osent-ils dire: «Contentez-vous de m'instruire de mes devoirs, et demandez pour moi la grâce de les accomplir?» Pourquoi ne pas tirer la conséquence de leur principe erroné? pourquoi ne pas dire aussi bien: Je veux que vous vous absteniez absolument de me commander quoi que ce soit, et de prier pour moi? En effet, voyons-nous que quelqu'un ait prié pour Pierre, et demandé pour lui cette pénitence qui lui a arraché tant de larmes sur son apostasie? Voyons-nous que quelqu'un ait enseigné à l'apôtre saint Paul les divins préceptes relatifs à la foi chrétienne? On l'entendait souvent répéter: «Je vous déclare, mes frères, que l'Evangile que je vous ai prêché n'a rien de l'homme, parce que je ne l'ai reçu ni appris d'aucun homme, mais par la révélation de Jésus-Christ (3)». Mais ne pouvait-on pas lui répondre: Pourquoi donc nous contraindre à recevoir et à apprendre de vous ce que vous n'avez ni reçu ni appris de l'homme? Celui qui vous a tout donné peut également tout nous donner à nous-mêmes. Je dis donc que si nos adversaires n'osent tenir ce langage, et permettent que l'Evangile soit prêché par un homme, quoiqu'il puisse être donné par


1. Lc 22,61-62 - 2. 2Tm 2,25-26 - 3. Ga 1,11-12

Dieu lui-même, qu'ils avouent donc qu'ils sont tenus de se laisser réprimander par leurs supérieurs, chargés de leur prêcher la grâce chrétienne, quoique Dieu puisse fort bien, personne n'en doute, faire lui-même la correction sans le secours d'aucun intermédiaire, et, par des moyens aussi mystérieux qu'efficaces, produire dans la conscience des coupables une douleur salutaire. De même donc que nous ne devons pas cesser de prier pour ceux dont nous voulons la conversion, quoique Pierre, sans la prière de personne, ait été converti par un regard du Sauveur, et amené à pleurer son péché; de même on ne doit point épargner les reproches aux coupables, quoique Dieu, quand il le veut, convertisse lui-même des hommes qui n'ont été l'objet d'aucune correction. Or, la correction ne profite au pécheur qu'autant qu'il reçoit en même temps la grâce et le secours de Celui qui parfois convertit lui-même sans le secours d'aucune correction antérieure. Demandera-t-on pourquoi ces modes si différents par lesquels les pécheurs sont appelés au repentir? Avant de répondre, qu'on n'oublie pas que ce n'est point à l'argile, mais au potier à juger.



CHAPITRE VI. LA PERSÉVÉRANCE EST UN DON DE DIEU.


9. Nos adversaires ajoutent: «Voici ce que dit l'Apôtre: Qui donc met de la différence entre vous? Qu'avez-vous que vous ne l'ayez reçu? Mais si vous l'avez reçu, pourquoi vous en glorifier, comme si vous ne l'aviez pas reçu (1)? Pourquoi donc nous corriger, nous reprendre, nous réprimander, nous accuser? Que faisons-nous, nous qui n'avons rien reçu?» Ceux qui tiennent ce langage voudraient se croire innocents de toutes les désobéissances dont ils se rendent coupables envers Dieu, sous prétexte que l'obéissance est elle-même un don de Dieu. Or, cette obéissance doit se trouver nécessairement dans celui qui possède cette charité, qui vient assurément de Dieu (2), et que le Père donne à ses enfants. «Pourtant», disent. ils, «nous n'avons pas reçu cette obéissance; pourquoi donc nous corriger comme si nous pouvions nous la donner à nous-mêmes, et que nous refusions de nous faire ce présent?» Ils ne remarquent pas que, s'ils ne


1. 1Co 4,7 - 2. 1Jn 4,7

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sont point encore régénérés, il existe une cause première qui les rend désobéissants envers Dieu, et coupables à leurs propres regards, puisque Dieu a fait l'homme droit dès le commencement (1), et qu'en Dieu il ne saurait y avoir d'iniquité (2). Par conséquent, c'est de l'homme que vient la première culpabilité qui le rend désobéissant envers Dieu; car en perdant, par l'effet de sa volonté mauvaise, la droiture dont le Seigneur l'avait originairement doué, il s'est dépravé et rendu coupable. Dira-t-on que cette dépravation ne doit pas être corrigée dans l'homme, parce qu'elle ne lui est pas personnelle, et qu'elle est commune à tous? Je dis au contraire que l'on doit corriger en chacun ce qui est commun à tous. Parce que cette dépravation est le triste apanage de tous, dira-t-on qu'elle ne l'est de personne en particulier? Le péché originel est pour nous personnellement un péché étranger, parce qu'il nous est transmis par nos parents; mais il nous devient personnel à chacun, dans ce sens que «tous ont péché dans un seul», comme parle l'Apôtre (3). On doit donc nous reprocher notre origine condamnable, afin que la douleur produite par ce reproche engendre le désir de la régénération, pourvu cependant que celui à qui s'adresse ce reproche soit l'enfant de la promesse, car pour celui-là, Dieu se sert du frémissement extérieur de la correction, afin de faire naître en lui, par une inspiration mystérieuse, le vouloir et le parfaire. Mais si le fidèle, après sa régénération et sa justification, retombe dans le péché par le fait de sa propre volonté, il ne lui est plus possible de dire: Je n'ai pas reçu la grâce, car cette grâce il l'a perdue par la dépravation de son libre arbitre. Enfin, si les reproches qui lui sont adressés soulèvent dans son coeur les gémissements du repentir, et le replacent dans la voie dés bonnes oeuvres, et peut-être d'une véritable perfection, ne sera-t-il pas évident que la correction lui a été très-utile? Du reste, toute correction humaine, qu'elle se fasse oui ou non par charité, ne peut profiter au coupable, qu'autant que Dieu même l'appuie et la féconde.


10. Celui donc qui se refuse à la correction peut-il dire encore: «Qu'ai-je fait, moi qui n'ai pas reçu la grâce?» puisqu'il est certain qu'il a reçu la grâce et qu'il ne l'a perdue


1. Si 7,30 - 2. Rm 9,14 - 3. Rm 5,12

que par sa propre faute? Il réplique: «Quand a vous me reprochez d'avoir par ma propre volonté quitté la voie droite pour me jeter dans le mal, je puis encore vous dire: Qu'ai-je donc fait, moi qui n'ai pas reçu la grâce? J'ai reçu la foi qui opère par la charité, mais je n'ai pas reçu la grâce de la persévérance finale. Oserait-on dire que cette persévérance n'est point un don de Dieu, et a que ce bien si précieux soit tellement notre oeuvre propre, que celui qui le possède n'ait a pas à s'appliquer ces paroles de l'Apôtre: Qu'avez-vous donc que vous ne l'ayez reçu?» Nous sommes loin de nier de la persévérance finale qu'elle soit le plus précieux de tous les bienfaits de Dieu; nous ne nions pas qu'elle soit un don de celui dont il est écrit: «Toute e grâce excellente et tout don parfait nous vient du ciel et descend du Père des lumières (1)».

Mais il ne suit pas de là qu'à celui qui ne persévère point on doive épargner la correction, car ne peut-on pas espérer que Dieu lui accorde la grâce de faire pénitence et de s'arracher aux piéges du démon? A l'utilité inhérente à toute correction l'Apôtre n'a-t-il pas ajouté cet avantage que j'ai rappelé plus haut: «Reprenant avec douceur ceux qui résistent à la vérité, dans l'espérance que Dieu pourra leur donner un jour l'esprit de pénitence (2)?» Si nous disions de cette persévérance si louable et si précieuse, qu'elle est tellement le fait de l'homme, que Dieu y reste entièrement étranger, nous ôterions toute valeur à cette parole du Sauveur à saint Pierre: «J'ai prié pour toi, afin que ta foi ne défaille point (3)». Que demandait le Sauveur, si ce n'est la persévérance finale? Si donc cette grâce était dans l'homme l'oeuvre de l'homme, quel besoin y aurait-il de la demander à Dieu? De son côté, l'Apôtre s'écriait: «Nous demandons à Dieu que vous ne commettiez aucun mal (4)»; n'était-ce point demander la persévérance? Car celui-là commet le mal, qui renonce au bien pour se laisser aller au mal qu'il devrait éviter; et par conséquent il ne persévère pas dans le bien. Ailleurs le même Apôtre disait: «Je rends grâces à mon Dieu toutes les fois que je me souviens de vous, et je ne fais jamais de prière que je ne prie aussi pour vous tous, ressentant


1. Jc 1,17 - 2. 2Tm 2,25-26 - 3. Lc 22,32 - 4. 2Co 13,7

300

une grande joie de ce que vous avez reçu l'Évangile, et y avez persévéré depuis cale premier jour jusqu'à cette heure. Car «j'ai une ferme confiance que celui qui a commencé le bien en vous, te perfectionnera jusqu'au jour de Jésus-Christ (1)», Ne promet-il pas aux fidèles, par la miséricorde de Dieu, la persévérance finale dans le bien? Il écrivait aux Colossiens: «Epaptiras, qui est de notre ville, vous salue; c'est un serviteur de Jésus-Christ, qui combat sans cesse a pour vous dans ses prières, afin que vous demeuriez fermes et parfaits, et que vous accomplissiez pleinement tout ce que Dieu demande de vous (2)». «Afin que vous demeuriez», n'est-ce pas comme s'il eût dit: Afin que vous persévériez? Voilà pourquoi il est dit du démon qu'il ne demeura pas dans la vérité (3)»; et en effet il fut créé dans la vérité, mais il n'y persévéra point.

L'apôtre saint Jude écrivait: «A celui qui peut vous conserver sans péché et vous placer immaculés en présence de sa gloire et dans la joie (4)», n'est-ce point dire clairement que la persévérance finale dans le bien est un don de Dieu? Celui qui nous conserve sans péché, afin de nous placer immaculés en présence de sa gloire et dans la joie, ne donne-t-il pas la grâce de la persévérance? Nous lisons dans les Actes dés Apôtres: «A cette nouvelle les nations se réjouirent, elles reçurent la parole du Seigneur, et tous ceux qui avaient été prédestinés à la vie éternelle embrassèrent la foi (5)». Qui donc a pu être prédestiné à la vie éternelle, si ce n'est par le don de la persévérance? Car «celui qui persévérera jusqu'à la fin sera sauvé (6)». De quel salut, si ce n'est du salut éternel? Lorsque, dans l'oraison dominicale, nous disons à Dieu le Père: «Que votre nom soit sanctifié (7)», ne demandons-nous pas que son nom soit sanctifié en nous? Or, cette sanctification s'est opérée par le bain de la régénération; pourquoi donc est-elle encore chaque jour demandée par les fidèles, si ce n'est afin que cette grâce déjà obtenue persévère en nous jusqu'à la fin?

Écoutons le bienheureux Cyprien commentant cette prière: «Nous disons: Que votre nom soit sanctifié, non pas que nous demandions à Dieu qu'il soit sanctifié dans nos prières, nous


1. Ph 1,3-6 - 2 Col 4,12 - 3. Jn 8,44 - 4. Jud 24 - 5. Ac 13,48 - 6. Mt 10,22 - 7. Mt 6,9

désirons que son nom soit sanctifié en nous. «D'ailleurs, par qui donc le Seigneur pourrait-il être sanctifié, lui qui est le principe de toute sanctification? Mais le Seigneur a dit lui-même: Soyez saints, parce que je suis saint (1); voilà pourquoi nous demandons que nous, qui avons été sanctifiés dans le baptême, nous puissions persévérer dans la grâce qui nous a été donnée». Ainsi donc, d'après ce glorieux martyr, ce que les fidèles demandent chaque jour par ces paroles, c'est la persévérance dans la grâce qu'ils ont reçue. Or, demander à Dieu de persévérer dans le bien, n'est-ce pas confesser hautement que la persévérance est un don de Dieu?



CHAPITRE VII. LES APPELÉS ET LES ÉLUS.

3l. Voilà pourquoi nous adressons les plus justes reproches à ceux qui, après avoir mené une vie chrétienne, n'ont pas persévéré dans cet heureux état. En effet, c'est de leur propre volonté qu'ils ont quitté le sentier de la justice pour se jeter dans la voie de l'iniquité. Ils méritent donc de sérieux reproches; et s'ils refusent d'en profiter, s'ils persévèrent jusqu'à la mort dans leur dérèglement, ils n'ont plus à attendre que la damnation éternelle. Maintenant ils s'excusent en s'écriant: «Pourquoi cette correction qui nous est infligée?» Diront-ils alors: Pourquoi cette condamnation qui nous frappe, puisque, si nous avons quitté le bien pour nous livrer au mal, c'est parce que nous n'avons pas reçu la grâce de persévérer dans le bien? De semblables excuses ne les arracheront point à la rigueur d'une trop juste condamnation. L'éternelle vérité nous déclare que nul homme ne pourra se soustraire à la condamnation portée contre nous dans la personne d'Adam, que par la foi de Jésus-Christ; d'un autre côté, cette même condamnation frappera ceux-là mêmes qui pourront alléguer qu'ils n'ont pas entendu l'Évangile de Jésus-Christ, et que la foi vient de ce que l'on entend (2); combien moins encore pourra-t-on s'excuser en disant: Nous»'avons pas reçu la persévérance! Ceux qui pourront dire: Nous n'avons pas entendu la prédication, ne sont-ils pas plus dignes d'indulgence que ceux qui diront: Nous n'avons pas reçu la persévérance? Car à ces


1. Lv 19,2 - 2. Rm 10,17

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derniers on pourrait répondre: Vous auriez persévéré, si vous l'aviez voulu, dans la foi que vous avez entendue et possédée; tandis qu'on ne saurait dire aux autres: Vous auriez cru, si vous l'aviez voulu, à ce que vous n'avez point entendu.


12. Ainsi donc, qu'il s'agisse de ceux qui n'ont point entendu la prédication de l'Evangile, ou de ceux qui; après l'avoir entendue et l'avoir observée, n'ont pas reçu la persévérance, ou de ceux qui, résistant à la prédication, se sont refusé de venir à Jésus-Christ, c'est-à-dire de croire en lui, réalisant ainsi cette parole: «Personne ne vient à moi s'il n'en a reçu la grâce de mon Père (1)», ou enfin de ceux qui ont été moissonnés dans leur enfance, et sans avoir été purifiés de la tache originelle dans le bain de la régénération; nous disons que tous subiront infailliblement, et dans une juste mesure, les effets de la condamnation portée contre le- premier homme. Quant aux élus, leur séparation de la foule des réprouvés a pour premier principe, non point leurs propres mérites, mais la grâce du Médiateur; c'est-à-dire qu'ils sont justifiés gratuitement dans le sang du second Adam. L'Apôtre s'écrie: «Quel est donc celui qui met de la différence entre vous? Qu'avez-vous que vous ne l'ayez reçu? Et si vous a l'avez reçu, pourquoi vous en glorifier comme si vous ne l'aviez point reçu (2)?» Ces paroles ne prouvent-elles pas que, pour être séparé de cette masse de perdition qui remonte au premier Adam, il faut avoir reçu ce don par excellence et purement gratuit que nous appelons la grâce du Sauveur? D'ailleurs, ce passage de la lettre de saint Paul est d'une telle importance que le bienheureux Cyprien, écrivant à Quirinus, le pose comme thème d'un chapitre dans lequel il prouve que nous ne devons nous glorifier de rien, puisque de nous mêmes nous n'avons rien (3).


13. Bienheureux donc tous ceux qui ont été arrachés à cette condamnation originelle par la puissante efficacité de la grâce divine, car on ne saurait douter qu'en conséquence de cette grâce la Providence leur fournît l'occasion d'entendre l'Évangile; en l'entendant ils croient, et ils persévèrent jusqu'à la fin dans cette foi qui agit par la charité (4). Si plus tard il leur arrive de tomber, Dieu leur ménage


1. Jn 6,66 - 2. 1Co 4,7 - 3. Livre 3 des Témoignages, tit. ou chap. IV. - 5. Ga 5,6

la correction pour les convertir; quelques-uns, même en dehors de toute correction de la part des hommes, reviennent à la bonne voie qu'ils avaient abandonnée; d'autres, après avoir reçu la grâce, n'importe à quel âge, se voient soustraits aux périls de cette vie par une mort plus ou moins prématurée. Toutes ces merveilles sont opérées dans ces élus par Celui quia fait d'eux autant de vases de miséricorde; par Celui qui les a choisis pour les appeler à la grâce dans la personne de son Fils; avant la constitution du monde. «Si c'est par grâce, ce n'est donc point par les oeuvres; autrement la grâce ne serait plus une grâce (1)». En effet, ils n'ont pas été appelés pour ne pas être élus; de là cette parole: «Beaucoup sont appelés, mais peu sont élus (2)»; comme ils ont été appelés selon le décret de Dieu, ils sont également élus par l'élection de la grâce, et non point en conséquence de leurs mérites antérieurs; ils n'ont pour cela d'autres mérites que la grâce elle-même.


14. C'est à ces élus que s'applique cette parole de l'Apôtre: «Nous savons que tout contribue au bien de ceux qui aiment Dieu, de ceux qu'il a appelés selon son décret pour être saints; car ceux qu'il a connus par sa prescience, il les a aussi prédestinés à être conformes à l'image de son Fils, afin qu'il fût l'aîné entre plusieurs frères. Et ceux qu'il a prédestinés, il les a aussi appelés; et ceux qu'il a appelés, il les a aussi justifiés; et ceux qu'il a justifiés, il les a aussi glorifiés (3)». De ceux-là, aucun ne périt, parce qu'ils sont tous élus. Or, ils sont élus parce qu'ils ont été appelés selon le décret, non pas leur propre décret, mais le décret de Dieu, comme nous le prouvent ces autres paroles: «Afin que le décret de Dieu demeurât ferme selon son élection, non à cause des oeuvres, mais par la volonté de celui qui appelle, et au nom duquel il fut dit à la mère: L'aîné sera assujéti au plus jeune (4)»; et ailleurs: «Ce n'est point selon nos oeuvres, mais selon son décret et la grâce (5)». Par conséquent, cette proposition: «Ceux que Dieu a prédestinés, il les a aussi appelés», doit s'entendre en ce sens que Dieu les a appelés selon son décret; c'est ce que prouve clairement le contexte lui-même;


1. Rm 11,6 - 2. Mt 20,16 - 3. Rm 8,28-30 - 4. Rm 3,11-13 - 5. 2Tm 1,9

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et d'abord: «Tout contribue au bien de ceux qui sont appelés selon le décret»; puis il ajoute: «Car ceux qu'il a connus par sa prescience, il les a aussi prédestinés à être conformes à l'image de son Fils, afin qu'il fût l'aîné entre plusieurs frères» enfin, après ces prémisses, il continue: «Ceux qu'il a prédestinés, il les a aussi appelés». Il s'agit évidemment de ceux qu'il a appelés selon son décret; de telle sorte que parmi ces appelés il ne saurait y en avoir aucun qui ne fût pas élu, dans le sens de cette maxime du Sauveur: «Beaucoup sont appelés, mais peu sont élus». En effet, tous ceux qui sont élus sont par jà même appelés, tandis que l'on peut être appelé sans que l'on soit élu. Nous parlons donc uniquement de ces élus qui ont été appelés selon le décret, et par conséquent prédestinés et connus par la prescience infinie. Parmi ces élus, s'il en est un seul pour périr, Dieu s'est trompé; et comme il ne saurait se tromper, j'en conclus que tous ces élus seront sauvés. Si l'un d'eux périssait, Dieu serait vaincu par la dépravation de l'homme; et comme Dieu ne peut être vaincu par quoi que ce soit, j'en conclus encore que tous ces élus seront sauvés. Or, ils sont élus pour régner avec Jésus-Christ, et non pas comme Judas pour accomplir l'oeuvre qui lui était assignée. En effet, Judas a été choisi par Celui qui sait tirer le bien du mal, de telle sorte que le crime de ce malheureux apôtre a été l'occasion pour le Sauveur d'accomplir l'importante mission pour laquelle il était venu sur la terre. Nous entendons Jésus-Christ s'écrier: «Ne vous ai-je pas choisis au nombre de douze, et l'un d'entre vous est un démon (1)?» Ces paroles ne signifient-elles pas que les onze ont été choisis dans des vues de miséricorde, et Judas dans des vues de justice? les onze pour les amener à la possession du royaume éternel, et Judas pour amener l'effusion du sang divin?


15. De. là ce cri lancé par l'Apôtre en vue du royaume des élus: «Si Dieu est pour nous, qui sera contre nous? Si Dieu n'a pas épargné son propre Fils et s'il l'a livré pour nous tous, comment avec lui ne nous aurait-il pas aussi donné toutes choses? Qui accusera les élus de Dieu? C'est Dieu même qui les justifie. Qui osera les condamner après que Jésus-Christ, non-seulement est


1. Jn 6,71

mort, mais est ressuscité et assis à la droite de Dieu, où il intercède pour nous?» Ce qui suit nous apprend quelle grâce puissante a été conférée à ces élus pour assurer leur persévérance: «Qui donc nous séparera de l'amour de Jésus-Christ? Sera-ce l'affliction, ou les déplaisirs, ou la faim, ou la nudité, ou les périls, ou la persécution, ou le fer?, selon qu'il est écrit: On nous fait mourir a tous les jours pour l'amour de vous, Seigneur; on nous regarde comme des brebis destinées à être égorgées. Mais parmi tous ces maux nous demeurons victorieux par Celui qui nous a aimés. Car je suis assuré que ni la mort, ni la vie, ni les anges, ni les principautés, ni les puissances, ni les choses présentes, ni les choses futures, ni la violence, ni tout ce qu'il y a de plus haut ou de plus profond, ni aucune autre créature, ne pourra nous séparer de l'amour de Dieu en Jésus-Christ Notre-Seigneur (1)».


16. Dans sa lettre à Timothée, après avoir dit d'Hyménée et de Philète qu'ils ruinaient la foi dans l'âme d'un grand nombre de fidèles, l'Apôtre signale en ces termes le glorieux privilège des élus: «Mais le fondement de Dieu demeure inébranlable, ayant comme sceau cette parole: Le Seigneur connaît ceux qui sont à lui (2)». Leur foi, agissant par la charité, ou bien ne déchoit jamais, ou bien, si parfois elle tombe, elle se relève avant la fin de cette vie, l'iniquité disparaît bientôt, et ils sont alors regardés comme ayant persévéré jusqu'à la fin. Quant à ceux qui ne doivent pas persévérer, et renonceront à la foi et à la conduite chrétiennes, de telle sorte que la mort les surprendra dans ce triste état, il est évident qu'on ne saurait les ranger au nombre des élus, même alors qu'ils mènent une vie sainte et pieuse. En effet, la prescience et la prédestination divines ne les ont pas séparés de la masse de perdition, et par conséquent ils n'ont été ni appelés, ni élus selon le décret éternel. Comme appelés, ils sont du nombre de ceux dont il a été dit: «Beaucoup sont appelés», mais ils ne sont pas de ceux dont il a été dit: «Peu sont élus». Et cependant, lorsqu'ils croient, qu'ils reçoivent le baptême et qu'ils vivent selon Dieu, peut-on nier qu'ils soient élus? Pour nous, ils sont élus, parce que nous ignorons ce qu'ils deviendront plus tard; mais ils ne le sont pas


1. Rm 8,31-39 - 2. 2Tm 2,19

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aux yeux de Celui qui sait qu'ils n'ont pas la persévérance finale, par laquelle seule nous pouvons parvenir à la vie bienheureuse; Dieu sait qu'ils sont maintenant debout, mais il prévoit également qu'ils feront une chute profonde et éternelle.




Augustin, de la correction et de la grâce.