Augustin, réfutation Parménien - Examen des autres passages de l'Ecriture, cités par Parménien.

12. Mais, dira quelqu'un, «comment pourrons-nous accomplir le précepte de l'Apôtre, quand il nous défend même de manger avec le pécheur, tel qu'il nous le dépeint? En effet, s'il n'entendait prescrire que la séparation du coeur, il ne dirait pas: «Je vous ai averti dans ma lettre de n'avoir aucun a commerce avec les fornicateurs, ce que je a n'entends pas des fornicateurs de ce monde», c'est-à-dire de ceux qui ne sont pas chrétiens et dont il dit plus loin: «Pourquoi entreprendrais-je de juger ceux qui sont dehors? Ne jugez-vous pas ceux qui sont dans l'Église? Quant à ceux qui sont dehors, Dieu les jugera». La séparation qu'il prescrit, n'a donc pas pour objet les méchants qui ne sont pas chrétiens, mais ceux qui sont chrétiens, tandis que la séparation du coeur s'applique sans distinction à tous les méchants. Si donc nous devons nous séparer de coeur de ces méchants qui ne sont pas chrétiens, comment ne pas comprendre que l'Apôtre nous défend d'avoir avec les mauvais chrétiens qu'il nous désigne certaines relations que nous pouvons avoir avec les païens dans les usages ordinaires de la société humaine? De là ce conseil qu'il nous donne dans un autre passage: «Si un infidèle vous invite et que vous vouliez accepter, mangez de ce qui vous est présenté, sans faire aucune question (1)». S'agit-il du pécheur dont il vient de parler, il ne permet pas même de manger avec lui. Quand il s'agit des infidèles, c'est-il dire de ceux qui n'ont pas cru en Jésus-Christ, et que «Dieu jugera», parce


1. 1Co 10,27

qu'ils sont dehors, il autorise à manger avec eux ce qui est présenté; s'agit-il, au contraire, de ceux qui sont dans l'Eglise, c'est-à-dire de celui qui, étant du nombre de vos frères, est fornicateur, idolâtre, ou avare, ou médisant, ou ivrogne, ou voleur, l'Apôtre défend même de manger avec lui. Il invite donc à séparer, avant la moisson, la zizanie d'avec le froment. Si nous refusons de le faire, parce que Dieu le défend, alors nous n'avons plus qu'à tolérer la zizanie et à ne nous séparer d'elle que d'une séparation de coeur et de volonté; conséquemment nous mangerons avec eux, malgré la défense que nous en fait l'Apôtre».


13. Sur une question aussi délicate, je ne dirai rien qui sente la nouveauté ou l'excentricité. Me bornant donc à ce que réclame la santé de l'Eglise, je déclare que si l'un de nos frères, c'est-à-dire un membre intérieur de l'Eglise, est surpris en délit assez flagrant de péché pour mériter qu'on le frappe d'anathème, on doit l'en frapper réellement, pourvu qu'il n'y ait aucun danger de schisme et qu'on pratique cette charité, dont le précepte nous est imposé en ces termes: «Ne le traitez pas comme un ennemi, mais corrigez-le comme un frère (1)». Ce n'est pas pour l'arracher qu'on le frappe, mais pour le corriger. S'il ne rentre pas en lui-même, s'il refuse de faire une pénitence salutaire, il sortira lui-même de l'Église, et sera, par sa propre volonté, retranché de la communion de l'Église. A ses serviteurs qui voulaient arracher la zizanie, le Seigneur parle en ces termes: «Laissez croître l'un et l'autre jusqu'à la moisson»; il en donne la raison: «De crainte qu'en voulant arracher la zizanie vous n'arrachiez en même temps le bon grain (2)». Il suit de là que si ce danger n'existe pas, que si la stabilité du froment est telle qu'on n'ait rien à craindre pour sa sécurité, c'est-à-dire, que si le crime est tellement connu, et s'il apparaît tellement exécrable à tous que personne ne soit tenté de le justifier, ni de s'obstiner dans cette justification jusqu'à faire schisme, on ne doit point laisser dormir la sévérité de la discipline, mais se souvenir que la répression est d'autant plus efficace, qu'on respecte avec plus de soin les droits de la charité. Or, sans porter aucune atteinte à la paix et à l'unité, sans compromettre en aucune manière la sécurité du froment, on peut toujours frapper quand la multitude des


1. 2Th 3,15 - 2. Mt 13,30

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fidèles n'éprouve que de l'horreur contre le crime que l'on frappe d'anathème. Car alors la multitude vient en aide au supérieur qui punit, plutôt que de favoriser la résistance du coupable; elle s'abstient salutairement de tout commerce avec lui et refusera même de manger avec lui, non point par sentiment de haine, mais pour aider à la correction fraternelle. Quant au coupable lui-même, il est saisi de crainte et trouve sa guérison dans sa propre honte, lorsque, se voyant anathématisé par l'Eglise universelle, il ne peut trouver autour de lui personne qui se réjouisse de son crime et insulte les bons.


14. N'est-ce pas pour énoncer cette pensée que l'Apôtre s'exprime en ces termes: «Si l'on nomme parmi vous quelque frère?» «Quelque frère», dit l'Apôtre, c'est-à-dire tel ou tel membre isolé, dont la correction est d'autant plus facile qu'il est à peu près seul pour se livrer au péché, au milieu de ses frères qui résistent obstinément à l'entraînement du mal. «Si l'on nomme», dit-il encore; il ne suffit pas que tel ou tel soit réellement coupable; on doit le nommer, le bruit public doit s'en occuper, afin que tous puissent connaître qu'il a réellement mérité la sentence qui le frappe. Dans de telles conditions, le coupable est corrigé sans que la paix en souffre; s'il est frappé, ce n'est point pour lui ôter la vie.; s'il est brûlé spirituellement, c'est pour le guérir. Voilà pourquoi, parlant de celui qu'il voulait guérir par ce remède, il avait dit: «Il lui suffit de la correction qui lui est faite par la multitude». Or, cette correction parla multitude ne peut être salutaire, qu'autant que le coupable n'a pas pour complice la multitude elle-même. Mais quand la même maladie sévit contre le plus grand nombre, il ne reste plus aux bons que la douleur et les gémissements pour échapper intacts à la dévastation générale, portant sur leur front le signe révélé au prophète Ezéchiel (1). S'adressant donc à Celui qui ne peut errer, ils s'écrient: «Seigneur, ne perdez pas mon âme avec les «impies, et ma vie avec les hommes de sang (2)». En voulant arracher la zizanie, ils craignent d'arracher en même temps le bon grain; le zèle les porterait bien à purifier la moisson du Seigneur, mais ils craignent qu'un peu de témérité ne jette au nombre des balayures.


1. Ez 9,4 - 2. Ps 25,9

Revenons à l'Apôtre. Quand il eut appris qu'à Corinthe un grand nombre de chrétiens s'étaient souillés par la luxure et la fornication, il adressa aux Corinthiens une seconde épître, dans laquelle, cette fois, il ne leur défend plus de manger avec ces pécheurs. Parce qu'ils étaient trop nombreux, il ne pouvait plus dire, comme il avait dit du premier: «Si l'on vient à nommer l'un de vos frères, comme fornicateur, ou idolâtre, ou avare, refusez même de manger avec lui»; il dit au contraire: «Quand je retournerai vous voir, je tremble que Dieu ne m'humilie, que je n'aie à pleurer un grand nombre de ceux qui ont péché précédemment et n'ont pas fait pénitence sur leur impureté, leur luxure et leurs fornications». En leur annonçant ses larmes il les menace des châtiments du ciel, comme devant remplacer toute autre correction qui consisterait à se priver de toute relation avec eux. Voilà pourquoi il ajoute

«Voici la troisième fois que je me dispose à aller vous voir, et alors tout se jugera sur le témoignage de deux ou trois témoins. Je vous l'ai dit, quand j'étais au milieu de vous, et je vous le dis encore maintenant, étant absent: si je viens encore une fois, je ne pardonnerai ni à ceux qui avaient péché auparavant, ni à tous les autres, puisque vous voulez éprouver la puissance de Jésus-Christ qui parle par ma bouche (1)». Cette parole sévère: «Je ne pardonnerai pas», n'est que la reproduction, sous une autre forme, de ces autres paroles précédentes: «Que je sois obligé d'en pleurer plusieurs». Par ces larmes il devait demander à Dieu de châtier ceux qui, à raison même de leur grand nombre, ne pouvaient plus être corrigés, lors même que les justes eussent rompu toute relation avec eux, pour les couvrir de honte; cette mesure en elle-même, très-efficace n'était possible que quand le coupable était seul et voyait la foule protester contre lui. Par le fait, quand la contagion du péché a gagné la multitude, il n'y a plus d'autre ressource que la sévère miséricorde de la divine discipline. Tous les projets de séparation sont alors vains, pernicieux et sacrilèges, car ils ne peuvent plus être inspirés que par l'impiété et l'orgueil, et ils troublent plutôt les bons dans leur faiblesse, qu'ils ne corrigent les méchants de leurs mauvaises dispositions.


1. 2Co 12,21 2Co 13,1-3

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Nous en avons une preuve dans le bienheureux Cyprien. Témoin attristé de l'avarice de ses collègues, il voyait dans les maux qui, de son temps, troublaient l'Église, les effets de la censure et de la vengeance divines. Puis déroulant sous ses yeux les moeurs dépravées de ces évêques qui n'aspiraient qu'à accroître leurs richesses et usurpaient le bien d'autrui par la ruse, la fraude et l'usure, pendant que leurs frères subissaient les horreurs de la faim, il s'écriait: «Quels châtiments ne doivent pas attirer sur nous des crimes de cette espèce?» Rappelant donc que ces maux dont souffre l'Église sont l'effet indubitable de la vengeance divine, il cite ce passage du psaume: «Si ses enfants abandonnent ma loi, et ne marchent pas dans mes justices; s'ils profanent mes jugements et n'observent pas mes préceptes, la verge en main je visiterai leurs iniquités, et je lancerai tous les fléaux sur leurs crimes, sans néanmoins les rendre étrangers à ma miséricorde (1)».


15. Que l'homme s'inspire donc de la miséricorde pour corriger ce qu'il peut; ce qu'il ne peut pas corriger, qu'il le tolère patiemment; que sa charité alors lui arrache des gémissements et des larmes, jusqu'à la conversion des coupables, mais qu'il attende la moisson pour arracher la zizanie et vanner la paille. Quant aux bons chrétiens qui peuvent s'appuyer sur l'espérance de leur salut, tandis qu'ils désespèrent de ceux qu'ils ne peuvent corriger, qu'ils resserrent de plus en plus les liens de la plus étroite unité, qu'ils rejettent le mal du milieu d'eux, c'est-à-dire qu'ils ne reproduisent dans leur vie aucune des taches qui leur déplaisent dans la conduite des pécheurs. L'Apôtre avait dit: «M'appartient-il de juger a ceux qui sont dehors? Ne jugez-vous pas ceux qui sont dans l'Église? Quant à ceux qui sont dehors, Dieu les jugera. (2)» Supposant alors que les chrétiens lui répondent: Que faisons-nous quand, accablés par la multitude des pécheurs, toute mesure nous est impossible pour exercer quelque correction? Alors, réplique l'Apôtre, «rejetez le méchant du milieu de vous». En d'autres termes, si vous ne pouvez pas rejeter les méchants de votre société, rejetez le méchant lui-même. Si on entend par là que l'on doit chasser de la


1. Ps 88,31-34 - Cyprien, Discours sur les Tombés. - 2. 1Co 5,12

société des frères celui qui s'obstine dans le péché, pourvu qu'on le fasse dans le seul motif de le guérir, et non par haine et en vue de sa perte, une telle interprétation ne peut être rejetée par personne. Quant aux précautions à prendre, et aux circonstances à observer pour ne pas troubler la paix de l'Église, pour épargner le bon grain et ne pas l'arracher avec la zizanie, nous en avons suffisamment parlé. Celui qui fait de cette oeuvre importante l'objet d'une étude particulière, se garde bien, pour conserver l'unité, de négliger la sévérité de la discipline, et de rompre le lien de l'unité par une répression immodérée.


16. «Ne mangez même pas avec un pécheur de cette sorte». Cette parole de l'Apôtre n'est-elle pas fidèlement accomplie par un grand nombre de bons chrétiens, à l'égard de ceux qu'ils traitent plus familièrement, avec lesquels ils peuvent rompre toute relation dans l'espérance de les corriger par cette mesure, ou s'ils désespèrent de les corriger, dans le but très-louable de les empêcher de semer parmi les autres la contagion du mal? Or, cette conduite, ainsi dictée par une humble charité et par une sévérité bienveillante, ne sied mieux à personne qu'à celui qui est placé pour conduire ses frères, et qui doit s'en regarder comme le très-humble serviteur, comme Jésus-Christ le lui enseigne par ses leçons et par ses exemples (1). Ainsi agit-il sans aucun orgueil contre l'homme, mais avec toutes les larmes d'une fervente prière présentée à Dieu. Un évêque peut facilement user de cette sévérité à l'égard de l'un de ses clercs; un évêque, un clerc, ou un supérieur à l'égard des pauvres que l'Église nourrit; ou à l'égard des laïques; dans ce cas ils peuvent refuser de manger avec tel pécheur, selon le précepte de l'Apôtre. Mais s'il s'agit de la multitude des pécheurs, on ne peut pas la séparer ni la retrancher du milieu des bons. Dans leurs maisons particulières, les chrétiens fidèles, quand il s'agit de leurs enfants ou de leurs serviteurs, établissent toujours leur administration de manière à faire respecter ce précepte: «Ne mangez même pas avec un pécheur de cette sorte»; si donc, dans leur famille, ils voient quelqu'un mériter cette répression, la charité elle-même leur fait un devoir d'en user. Quant à la foule des pécheurs, si l'occasion se présente de parler au peuple, on doit


1. Mt 20,26-28

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lui faire entendre des reproches généraux, surtout quand quelque fléau, s'abattant du ciel, vient fournir l'occasion opportune de leur faire comprendre que ce sont leurs péchés qui sont pour eux la cause de ces malheurs. En face de ces fléaux, les auditeurs prêtent plus sûrement l'oreille à la parole qui vient les guérir, leurs coeurs affligés se ferment à la résistance et au murmure pour se répandre dans les larmes et la confession de leurs fautes. N'est-il pas probable que le bienheureux Cyprien lui-même n'aurait pas tenu un tel langage sur ses collègues, si la sévérité divine ne lui en avait pas fourni l'occasion? L'époque dans laquelle il parlait, était tellement triste, cruelle et déplorable, que non-seulement ses adversaires n'osèrent s'irriter, mais qu'ils comprirent que l'irritation soulevée contre eux était telle qu'ils pourraient à peine implorer leur pardon. En dehors de toute calamité extérieure, quand on le peut, c'est une mesure très-utile de reprendre la multitude devant la multitude même; séparez-la, elle s'irrite; réunissez-la, vos reproches lui arracheront des gémissements et des larmes. Ainsi donc le précepte de l'Apôtre doit être suivi avec soin, quand on le peut sans danger de troubler la paix de l'Église; ce n'est qu'à cette condition, du reste, que le précepte a été formulé, de séparer le méchant de l'assemblée des bons; la condition principale à observer c'est, en nous supportant réciproquement, de nous appliquer à conserver l'unité d'esprit dans le lien de la paix (1). Mettons également en pratique le commandement du Sauveur dans l'Évangile: «S'il n'écoute pas l'Église, qu'il soit pour vous comme un païen et un publicain (2)», sans négliger celui qui nous défend d'arracher la zizanie, dans la crainte d'arracher en même temps le bon grain (3). Ce double précepte, dans son accomplissement, n'a rien d'impossible pour ceux à qui il a été dit: «Bienheureux les pacifiques, parce qu'ils seront appelés les enfants de Dieu (4)».


17. Passons à l'examen des autres passages cités par Parménien. II en est un entre tous, dans la citation duquel se.dévoile pleinement son orgueil sacrilège. Il est tiré du prophète Jérémie, et notre adversaire a osé le citer pour prouver au genre humain tout entier que non-seulement la secte des Donatistes


1. Ep 4,2-3 - 2. Mt 18,17 - 3. Mt 13,29 - 4. Mt 5,9

est la véritable Eglise, mais qu'elle est aujourd'hui même dans une pureté telle que la purification dernière n'aura plus rien à y ajouter. Je ne sais si l'on peut pousser plus loin la présomption sacrilège, et l'orgueil le plus insensé. On sait que la présomption déborde de tous leurs discours; cependant quelquefois la honte les saisit, quand la vérité les pousse de trop près, quand, par exemple, on les presse de dire s'ils ont parmi eux des pécheurs; ou s'ils ne sont pas pécheurs eux-mêmes. Mais quand ils ressaisissent le passage de Jérémie, leur impie vanité et leur perversité ne connaissent plus ni bornes ni mesures. Or, Jérémie, tout en supposant que les bons et les méchants peuvent, pour un temps, ne former qu'une seule société, voulant montrer quelle distance les sépare au point de vue de leurs moeurs et de leurs mérites respectifs, s'écrie: «Qu'y a-t-il de commun entre la paille et le froment (1)?» De son côté, Tichonius, en cela fidèle à la doctrine de l'Église, avait enseigné que, pour le bien de la paix, les bons doivent tolérer les méchants jusqu'à la séparation suprême du jugement dernier. Or, pour le confondre, Parménien lui oppose ce passage de Jérémie, prouvant ainsi que sa perversité et son erreur ne sont satisfaites qu'autant qu'il peut jeter le feu criminel de la discorde et de la sédition dans l'âme de tous ceux qui partagent son erreur et sa perversité; Qu1conque dès lors, dans le gonflement de son orgueil, se croit quelque chose, quoiqu'il ne soit rien (2), se flattant aussitôt que lui et ses semblables sont des grains d'une pureté parfaite, ne se croit plus obligé d'entrer dans l'unité de l'Église, parce que tous les membres de cette Eglise, qui appartiennent à la vie éternelle, se croient obligés de tolérer ceux qui appartiennent au feu éternel, comme le froment doit rester mêlé à la paille jusqu'à la purification dernière. Aucun autre souffle n'a chassé de l'aire du Christ la paille légère avant le temps de la ventilation; aucune autre présomption n'a produit ces schismes sacrilèges, quelque part qu'on les rencontre.

18. Voici donc comment s'exprime Parménien: «Jérémie nous avertit de séparer la foule infructueuse et stérile des pécheurs, de l'honorable fécondité des justes, quand il a dit: Qu'y a-t-il de commun entre la paille et le froment?» Trompette de fureur!


1. Jr 23,28 - 2. Ga 6,3

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Exécrable voix de pestilence l Le genre humain est-il donc si profondément enseveli dans l'erreur, qu'il ne puisse plus saisir les aspirations de Parménien à se poser comme le purificateur suprême? Où Parménien cède-t-il cet honneur à Donat, sauf à se glorifier d'être entré dans la masse par lui purifiée? Je ne sais s'il daigne reconnaître la prééminence de Majorin. Mais enfin ces trois apostats ont-ils donc été, dans la main de Dieu, les trois soufflets d'un van mystérieux, à l'aide duquel toute la moisson de l'univers aurait été purifiée? L'Afrique est-elle la contrée choisie pour contenir toute la masse élue, tandis que la paille rejetée couvrirait le reste de la terre? D'où vient donc tout ce troupeau de Circoncellions? D'où viennent ces multitudes de convives pris de vin, de filles non mariées et qui exhalent la corruption? D'où vient cette foule de voleurs, d'avares, d'usuriers? D'où viennent ces hommes parfaitement connus dans les contrées qu'ils habitent, pleins de prétentions, mais impuissants à les réaliser, et si bien nommés les Optats? A ces questions que peuvent-ils répondre? Rien de tout cela n'existe-t-il? Ou bien tous ces malheureux sont-ils le froment? S'ils nient que tous ces crimes soient réels parmi eux, je réponds: Malheur à une négation aussi impudente! malheur également à leur perversité scélérate, si dans tout cela ils ne voient que du froment! D'ailleurs cette masse de froment, déjà purifiée par une autorité aussi imposante que celle de Majorin, de Donat et de Parménien, celui-ci ose encore la cribler de nouveau, afin dé pouvoir séparer de sa communion les Maxilllianistes. Aurait-il par hasard rejeté le froment? Mais alors, pourquoi reste-t-il avec ceux qui ont rejeté ce froment? Ou bien ce froment a-t-il subi une purification telle que les grains ne puissent pas se reconnaître les uns les autres, et sont-ils nécessités à se purifier de plus en plus en se condamnant réciproquement? La paille a-t-elle pu baptiser le froment? Si elle l'a pu, pourquoi disent-ils: «Qu'y a-t-il de commun entre la paille et le froment?» Si elle ne l'a pas pu, pourquoi Félicien, qui avait volé au dehors avec les pailles Maximianistes, a-t-il pu, lui et ceux qu'il avait baptisés, rentrer dans cette masse d'une pureté parfaite? Quand enfile nos adversaires ont dans leurs rangs des hommes de cette classe, comment ne se disent-ils pas: «Qu'y a-t-il de commun entre la paille et le froment?»


19. Qu'ils secouent donc enfin leur sommeil et qu'ils comprennent cette parole du Prophète: «Qu'y a-t-il de commun entre la paille et le froment?» Pour peu que le sens humain leur reste, qu'ils se demandent où cette parole peut être prononcée. Dans un champ, peut-on dire: «Qu'y a-t-il de commun entre la paille et le froment, puisque tous deux sont entés sur la même racine?» Peut-on le dire également dans l'aire, puisqu'ils p sont battus en même temps? Mais, sur le grenier, ne peut-on pas dire: «Qu'y a-t-il de commun entre la paille et le froment?» En effet, le père de famille viendra «le van à la main, et il purifiera son aire; quant au froment, il l'entassera sur le grenier, et il brûlera la paille dans un feu inextinguible (1)». Dans une autre parabole, le froment est désigné sous le nom des brebis, et la paille sous le nom des boucs, deux classes diverses de troupeaux mêlés temporairement l'un avec l'autre et conduits par le même pasteur. «Le Fils de l'homme viendra avec ses anges, tontes les nations seront réunies en sa présente, et il les séparera les unes des autres comme le berger sépare les brebis d'avec les boucs; il placera les brebis à sa droite, et les boucs à sa gauche. Il dira à ceux qui seront à sa droite: Venez, bénis, de mon Père, possédez le royaume qui vous a été préparé depuis le commencement du monde. A ceux qui seront à sa gauche il dira: Allez, maudits, au feu éternel, qui a été préparé au démon et à ses anges (2)». Ne sera-ce pas l'accomplissement de la prophétie: «Qu'y a-t-il de commun entre la paille et le froment?» puisque le même pâturage ne saurait être commun entre les brebis et les boucs. Si les bons poissons, mêlés avec les mauvais dans ce filet dont le Seigneur a dit: «Le royaume des cieux est semblable à un filet jeté dans la mer», peuvent dire à ces derniers: Séparez-vous de nous, ou nous nous séparerons de vous, jusqu'à ce que tous soient conduits au rivage, que les bons soient placés par les ange dans des vases réservés, et que les mauvais soient jetés dehors (3); ne peut-on voir alors l'accomplissement de cette prophétie: «Qu'y a-t-il de commun entre la paille et le froment?» Quant à ceux qui regardent leur


1. Mt 3,12 - 2. Mt 25,31-41 - 3. Mt 13,47-48

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secte comme formée exclusivement du froment le plus pur, ils se sont envolés comme des pailles desséchées,loin du mélange du froment et de la paille. Ceux qui ne se sentent plus conduits avec les boucs par un seul pasteur, se sont laissé prendre aux embûches des loups, et se sont séparés du troupeau du Seigneur. Ceux qui ne se croient pas mêlés aux mauvais poissons, non-seulement sont des poissons mauvais, mais ils ont encore rompu les filets de l'unité. Que si, dès ce monde, nous croyons entrevoir la réalisation de cette parole de Jérémie: «Qu'y a-t-il de et commun entre la paille et le froment?» n'oublions pas que cette prophétie ne recevra son parfait accomplissement qu'à la fin du monde, quand se fera la ventilation suprême, quand les bons jusque-là mêlés seront séparés, même corporellement. Toutefois, en attendant ce grand jour, le coeur, pour le froment, tend sans cesse vers les choses célestes, tandis que pour la paille, il tend vers la terre. En effet, la paille cherche son avantage et non la gloire de Jésus-Christ (1): le froment, au contraire, amasse des trésors pour le ciel; or, là où est son trésor, là est son coeur (2).


20. C'est dans ce sens aussi que l'on doit interpréter certaines paroles d'Isaïe, que notre adversaire affecte de ne pas comprendre et qu'il voudrait dénaturer pour y trouver un appui à ses erreurs. Voici ces paroles: «Retirez-vous, retirez-vous; sortez d'ici et gardez-vous de toucher à ce qui est immonde: sortez du milieu de ce peuple et séparez-vous, vous qui portez les vases du Seigneur (3)». Est-ce que ces paroles ne peuvent pas être invoquées toutes les fois qu'il s'agit de se séparer des méchants par le coeur? En effet, il ne touche pas à ce qui est immonde, celui qui ne se lie à personne pour commettre le péché. Il sort pour rendre sa cause agréable au Seigneur, celui qui, tout en respectant les droits de la paix, ne néglige pas la difficile obligation de reprendre et de corriger. D'un autre côté, celui qui veut se séparer corporellement des pécheurs, comme s'ils étaient tous publics, se sépare spirituellement des bons occultes, et quoiqu'il ne les connaisse pas, il se voit dans la nécessité de les accuser pour justifier sa séparation.


21. Mais enfin, nous posons cette question


1. Ph 2,21 - 2. Mt 6,20-21 - 3 Is 53,11

à nos adversaires: Si Félicien est pur, pourquoi est-il sorti du milieu d'eux? S'il n'est pas pur, pourquoi lui est-il donné de toucher à ce qui est pur? S'il était impur quand il a consommé sa séparation, ceux qu'il a baptisés dans ces conditions sont impurs, puisqu'ils ont touché à ce qui était impur. En revenant avec lui ont-ils été purifiés? Des hommes baptisés hors de leur secte, des hommes qu'ils n'ont pas baptisés dans leur communion, peuvent donc être purifiés? Mais alors pourquoi rebaptiser les autres? Est-ce que des hommes condamnés par un concile de trois cent dix évêques à Bagaïum peuvent encore mériter quelque considération? et s'ils soutiennent que tout chrétien du monde entier, avant d'entrer dans leur secte, doit être rebaptisé, serait-ce parce que le monde entier n'a pas mérité l'insigne distinction d'être condamné parle concile de Bagaïum? Quoi donc! Tous ceux qui ont été baptisés par Maximien et par ceux de ses sectaires qui ne sont pas rentrés dans la communion de Primien, sont baptisés de nouveau? Est-ce une grâce qu'on leur fait? Si on leur réitère le baptême, on viole la considération dont les a entourés le concile de Bagaïum, puisque dans ce concile tous ceux qui les ont baptisés ont été solennellement condamnés. Si c'est une grâce qu'on leur fait, ils doivent conjurer le concile de Bagaïum de se réunir de nouveau; et si le nombre de trois cent dix est un nombre consacré, que trois cent dix évêques se rassemblent de nouveau, et qu'ils portent une sentence de condamnation contre l'univers entier, sommeils en ont porté une contre les Maximianistes, afin que celui qu'ils voudraient rebaptiser, de quelque coin du monde qu'il se présentât, pût alléguer en sa faveur le même privilège, et soutenir qu'on doit lui accorder le privilège qu'on accorde à celui qui a été baptisé par un Maximianiste. En effet, ce ne sont pas seulement les Maximianistes, mais l'univers tout entier qui a mérité d'être condamné par le concile de Bagaïum. Enfin ils échapperont à cette haine immense soulevée contre eux, en cessant de réitérer le baptême à ceux qui l'ont déjà reçu dans cette Eglise établie sur toute la terre; et si quelqu'un leur demande pourquoi ils n'agissent plus comme auparavant, qu'ils répondent: Quand nous agissions ainsi, nous n'avions pas encore tenu le concile de Bagaïum pour condamner le (59) monde entier. Aujourd'hui, cédant à d'instantes prières, et pressés par un sentiment de miséricorde, nous avons accordé à tous les chrétiens la faveur de les condamner, comme nous avions condamné les Maximianistes, auxquels nous ne réitérons pas le baptême. Qu'y a-t-il donc de si grand, de si difficile à accorder à toutes les nations la faveur d'une condamnation? Est-il permis de réitérer le baptême à tout l'univers, tandis qu'il ne serait pas permis de lui réitérer une condamnation? Lors même qu'ils seraient sans inquiétude sur ce point, nous ne trouverions pas dans quel concile ils ont condamné tant de nations et de provinces. Ils ont condamné certains individus en Afrique, mais, au jugement de l'univers entier, ils ont été vaincus par leurs victimes, et plus tard ils n'ont pas eu la hardiesse de condamner les juges qui les avaient frappés d'une aussi honteuse défaite; et en effet, n'eût-ce pas été la plus horrible impudence, la plus grande folie? Bien moins encore ont-ils pu condamner les chrétiens disséminés sur toute la face du monde, surtout quand ils les ont vus croire à la parole des juges ecclésiastiques, plutôt qu'à celle d'argumentateurs vaincus. Et cependant, malgré la condamnation portée par trois cent dix évêques contre les Maximianistes, leur baptême est approuvé, reçu, accepté, tandis qu'ils désapprouvent, annulent et réitèrent le baptême de l'univers entier, par lequel l'héritage de Jésus-Christ s'est établi conformément à la promesse dont ils faisaient partie peu d'années auparavant, qu'ils n'ont pu condamner à aucun titre, et devant lequel la perversité même de leur concile a dû s'incliner. O sainte condamnation, que celle qu'ont méritée les Maximianistes! ô douloureuse innocence des nations, parce.qu'elle n'a pas donné prise à une condamnation, elle leur a fait perdre le nom même de chrétiens aux yeux des Donatistes!


22. Diront-ils que s'ils ne réitèrent pas le baptême aux Maximianistes, ce n'est qu'à aux qui reviennent avec les ministres qui le leur ont conféré; que c'est ainsi, du reste, qu'ils agissent à l'égard de Prétextat et de Félicien? Mais comment donc ne voient-ils pas qu'à l'égard du même baptême conféré dans le même schisme, ils ont une conduite contradictoire, puisqu'ils le ratifient dans les uns et l'annulent dans les autres, puisqu'ils l'honorent d'un côté et le violent de l'autre? En le violant, ils se rendent coupables, et en le ratifiant, ils se rendent les propres témoins de leur crime. S'ils le ratifiaient de manière à ne plus le violer, on verrait là, non pas une contradiction, mais un rappel à la discipline. Mais non, ils approuvent dans les uns ce qu'ils condamnent dans les autres; ils s'exposent tout à la fois à se voir accusés dans ceux-ci, et à l'égard de ceux-là à rendre témoignage contre eux-mêmes. Dites-moi pourquoi vous ne réitérez pas le baptême à ceux que Félicien a baptisés dans le schisme de Maximien; est-ce parce qu'ils ont reçu le baptême de Jésus-Christ, ou celui de Félicien? Dans ce dernier cas, je dis que Félicien était déjà frappé de condamnation avec les Maximianistes et qu'il a conféré le baptême hors de votre communion; c'est donc le même baptême que celui de Salvius de Membrésite et autres semblables. Si c'est le baptême de Jésus-Christ, Félicien a donc plus de pouvoir sur le baptême de Jésus-Christ parmi les Mustitains, que Jésus-Christ lui-même n'en a sur toute la terre. Le baptême de Jésus-Christ est conféré plus validement par celui qui est séparé de vous et condamné par vous, qu'il ne l'est par celui qui est assis à la droite de son Père et qui pour vous a été crucifié? Pour ne pas déplaire à Félicien, on approuve le baptême de Jésus-Christ dans un très-petit nombre de chrétiens, mais on se garde bien de l'approuver, pour empêcher que Jésus-Christ ne soit chassé d'une multitude innombrable de peuples.


23. On ne croirait jamais à quel degré d'aveuglement et de perversité des hommes peuvent arriver, si leurs oeuvres et leurs actions n'étaient là pour le prouver. Jugeons en par un seul fait. Quand ils citent les passages de la sainte Ecriture, ne dirait-on pas que leur grande préoccupation, c'est de mettre la conduite des Prophètes en contradiction avec le sens qu'ils prétendent donner à leur parole? En s'écriant: «Qu'y a-t-il de commun entre la paille et le froment?» Jérémie ne croyait nullement s'obliger à se séparer de la paille de son peuple auquel il faisait entendre de si grandes vérités. Isaïe dit également: «Retirez-vous, retirez-vous, sortez, et gardez-vous de toucher à ce qui est impur». Lui qui poursuivait l'iniquité par des paroles aussi sévères, pourquoi donc se mettait-il en contact avec elle en restant au (60) milieu de son peuple? Qu'ils lisent les reproches véhéments et trop vrais qu'il adressait aux pécheurs, sans opérer entre eux et lui aucune séparation corporelle. David dit aussi: «Je ne me suis point assis dans l'assemblée des insensés, et je n'entrerai point dans la maison des pécheurs; j'ai haï la présence des coupables, et je ne siégerai point avec les impies (1)». Qu'ils lisent tout ce qu'à cette époque il a toléré dans ce peuple; plein de respect pour le sacrement mystique de l'onction, il n'en méprisa jamais le caractère, même dans la personne de Saül devenu le plus grand des criminels, et lui prodigua sans cesse les plus grands honneurs. Si nous opposions leurs paroles à leurs actions, ces Prophètes ne pourraient-ils pas nous répondre: Entre eux et nous il y a toujours eu une véritable séparation de coeur, et nous ne touchions jamais à ce qui était impur, quand le contact aurait pu nous souiller. En d'autres termes, par la volonté et les dispositions de notre conscience, nous nous retirions, nous sortions de la compagnie de ces pécheurs; non-seulement nous ne marchions pas sur leurs traces, mais nous condamnions leurs oeuvres. Quant à ces hommes séditieux et insensés qui cherchent la justification de leur schisme dans les oracles des Prophètes, il ne leur reste qu'un seul parti à prendre, et que peut seul leur inspirer l'impiété la plus audacieuse: mettre en contradiction les paroles avec la conduite des Prophètes. Diront-ils qu'à cette époque les justes n'avaient pas, comme aujourd'hui, le pouvoir de se séparer des pécheurs? Ce serait le comble de la perversité. Quoi donc! les bons ne pouvaient se séparer corporellement des pécheurs, à une époque où toutes les observances avaient, avant tout, un caractère purement corporel; et maintenant il ne faudrait rien moins qu'une séparation corporelle, quand nos observances ont avant tout un caractère spirituel?



Augustin, réfutation Parménien - Examen des autres passages de l'Ecriture, cités par Parménien.