Augustin, contre Donatistes - CHAPITRE XV. EXPLICATION DE CERTAINS TEXTES OBJECTÉS PAR LES HÉRÉTIQUES.

CHAPITRE XV. EXPLICATION DE CERTAINS TEXTES OBJECTÉS PAR LES HÉRÉTIQUES.


37. «C'est de nous qu'il a été dit», ajoutent les Donatistes: «Les derniers seront les premiers (7). L'Évangile fut prêché bien tard en Afrique, et c'est pourquoi on ne trouve nulle part dans les épîtres des Apôtres que l'Afrique ait embrassé la foi. Quant aux; Orientaux et aux autres nations qui sont mentionnées dans les livres saints comme ayant cru à l'Évangile, il a été dit à leur sujet: Les premiers seront les derniers, parce qu'ils devaient abandonner la vraie foi». N'est-ce point là cette ruse des hérétiques contre laquelle il faut se tenir en garde? Ils veulent détourner de leur sens les paroles de Dieu qui ont en vue la vérité pour les faire servir à la perversité de leurs coeurs. Ce texte, en effet, pourquoi ne pas l'entendre des Juifs; qui, après avoir été les premiers sont devenus



1. Gn 15,5 Gn 15,22-27 - 2. Rm 9,7 - 3 Is 54,1 - 4. Mt 8,11 - 5. - 6. Ap 5,11 - 7. Mt 20,16

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les derniers, et des Gentils qui après avoir été les derniers sont devenus les premiers? Cette interprétation, quand même je ne pourrais la justifier par aucun document positif, doit suffire à tout lecteur sensé, car elle montre du moins que les Donatistes n'ont rien allégué de certain, rien dont on ne puisse douter avec fondement. Disons qu'il ne s'agit ici ni des Juifs, ni des Gentils; mais plusieurs nations barbares ont embrassé la foi chrétienne même après l'Afrique; il est donc certain que l'Afrique ne tient pas le dernier rang parmi les nations converties. Ajoutez à cela que le Seigneur lui-même nous explique le sens de ses paroles, et ferme ainsi la bouche aux calomniateurs. Il s'adresse en effet aux Juifs, qui lui diront un jour: «Vous avez enseigné sur nos places publiques. Vous verrez», dit-il, «Abraham, Isaac, Jacob et tous les Prophètes dans le royaume de Dieu, et vous, vous serez chassés dehors; les peuples viendront de l'Orient, de l'Occident, de l'Aquilon et du Midi, et ils prendront place dans le royaume de Dieu; et les premiers seront les derniers, et les derniers seront les premiers (1)». Comment contredire une explication si précise?


38. Ils disent encore qu'il s'agit de «l'apostasie de l'univers dans ces paroles du Sauveur: Quand le Fils de l'homme viendra, pensez-vous qu'il trouve encore de la foi sur la terre (2)?» Selon nous, Jésus-Christ a voulu parler ou bien de la perfection même de la foi, si difficile aux hommes, que les saints les plus admirables, Moïse lui-même (3), ont parfois hésité ou ont pu hésiter; ou bien il a voulu parler de la multitude des impies et du petit nombre des justes. C'est pourquoi le Seigneur semble exprimer quelque doute. Il ne dit pas en effet: Quand le Fils de l'homme viendra, il ne trouvera plus de foi sur la terre; mais: «Pensez-vous qu'il trouve encore de la foi?» Lui qui sait tout et prévoit tout ne pouvait douter de rien; cette manière de dire se rapporte à nos propres doutes; à la vue des scandales qui se multiplieront à la fin des siècles, la faiblesse humaine tiendra ce langage. Aussi lisons-nous dans les psaumes: «Mon âme s'est a endormie à cause de l'ennui; fortifiez-moi par vos paroles (4)». Pourquoi: «Mon âme



1. Lc 13,26-30 - 2. Lc 18,8 - 3. Dt 32,51 - 4. Ps 118,28

s'est endormie à cause de l'ennui», sinon parce que le Seigneur a dit: «L'iniquité s'est multipliée, c'est pourquoi la charité d'un grand nombre se refroidira?» Et pourquoi encore: «Fortifiez-moi par vos paroles», sinon à cause de la sentence prononcée par le Seigneur: «Celui qui aura persévéré jusqu'à la fin sera sauvé (1)?» L'iniquité, en se multipliant, refroidira donc la charité dans bien des coeurs; comme aussi, dans le monde entier, il s'en trouvera qui, en persévérant jusqu'à la fin, seront sauvés. «Car», dit le Seigneur, «laissez croître l'un et l'autre jusqu'à la moisson»; et encore: «La moisson est la fin des siècles, et le champ est le monde (2)». Ecoutez encore la voix de la faiblesse humaine: «Sauvez-moi, Seigneur, parce qu'il n'y a plus de sainteté et que la vérité a diminué parmi les hommes». Mais pourtant, au milieu d'eux il y a les fidèles, qui ne forment qu'un coeur et qu'une âme, et qui s'écrient: «Sauvez-moi, Seigneur (3)» L'homme, en effet, qui pousse ce cri: «Sauvez-moi, Seigneur», se compose de plusieurs; c'est pourquoi il est dit peu après: «A cause de la misère des indigents et des gémissements des pauvres, je me lèverai maintenant, dit le Seigneur». Un peu plus loin encore il est dit au pluriel: «Vous nous sauverez et vous nous protégerez éternellement contre cette génération (4)». De quelle génération s'agit-il, sinon de celle dont il est question plus haut: «Il n'y a plus de sainteté, et la vérité est diminuée parmi les hommes?» Les deux générations doivent exister ensemble dans le monde entier jusqu'à la fin: «Car», dit le Seigneur, «laissez l'un et l'autre croître jusqu'à la moisson»; et encore: «Le champ est le monde; la moisson est la fin des siècles». Cet homme unique, qui est le corps du Christ, composé d'un grand nombre d'hommes, sera transporté au ciel, comme Enoch, qui plut au Seigneur (4); il sera délivré, comme Loth, de l'embrasement de Sodome (5), et comme Noé, du déluge (6). Il éprouve la misère des indigents et gémit de sa pauvreté, parce que l'ennui accable pour ainsi dire son âme de sommeil, lorsqu'il demande à Dieu de le fortifier par sa parole. Or, il fait connaître dans ce psaume la cause de son ennui: «L'ennui», dit-il, s'est emparé de moi, parce



1. Mt 24,12-13 - 2. Mt 13,30 Mt 13,39-38 - 3. Ps 11,2 Ps 11,6-8 - 4. Gn 5,24 - 5. Gn 19,12 - 6. Gn 7,1

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que les pécheurs ont abandonné ta loi (1)». L'ennui lui serre le coeur, et il pousse des cris. Mais où est-ce qu'il crie? «Des extrémités de, la terre», dit-il, «j'ai crié vers toi, tandis que mon coeur était dans l'angoisse (2)». Ce n'est pas seulement quand il endure des tourments corporels qu'il souffre persécution pour la justice; il n'est pas toujours affligé dans son corps; mais un tourment qu'il ne cessera d'endurer tant que l'iniquité n'aura point disparu, c'est le tourment du coeur, c'est cet ennui que lui causent les pécheurs en s'écartant de la loi divine. Loth, en effet, n'était pas exempt de persécutions dans Sodome, où cependant personne ne lui faisait souffrir de mauvais traitements dans son corps; mais les actes que commettaient sous ses yeux, les paroles que proféraient à ses oreilles les nombreux partisans de l'iniquité, tourmentaient cet homme juste (3). C'est de lui que l'Apôtre a dit: «Tous ceux qui veulent vivre avec piété dans le Christ souffriront persécution». Quel est le langage de l'Apôtre au sujet de ceux qui abandonnent la loi de Dieu? (Et c'est d'eux que dit le corps de Jésus-Chris: «J'ai vu les insensés, et je suis tombé en langueur (4)» «Les méchants», dit-il, «les criminels iront de pire en pire, ils s'égareront et entraîneront les autres dans leur erreur (5)». Mais ces deux générations se perpétueront jusqu'à la fin: «Car», dit Jésus-Christ, «laissez-les croître l'une et l'autre jusqu'à la moisson; or, le champ est le monde, et la moisson la fin des siècles».


39. Ce qui me surprend, c'est que les Donatistes ne prennent pas garde à ce qu'ils disent, quand ils citent à l'appui de leur cause ces paroles de Jésus-Christ:«Quand le Fils de l'homme viendra, trouvera-t-il encore, pensez-vous, de la foi sur la terre?» L'Afrique n'est donc pas la terre. Si ces mots veulent dire qu'il ne trouvera de foi chez personne; ou bien il a voulu parler de quelque contrée particulière, et alors on ne sait de quelle contrée; ou bien il a voulu parler de toute la terre, et alors où trouvent-ils que l'Afrique soit exceptée? Qu'ils craignent plutôt d'être atteints par les paroles .qui viennent ensuite. Les premières: «Pensez-vous que le Fils de l'homme venant sur la terre y trouve encore de la foi», pouvaient, donner lieu à des hérétiques, superbes, qui,



1. Ps 118,53 - 2. Ps 60,3 - 3. 2P 2,7 - 4. Ps 118,158 - 5. 2Tm 3,12-13

dans certaines parties de la terre se sont séparés de la communion de l'univers entier, d'enfler leurs coeurs de cette vaine et orgueilleuse pensée, qu'ils étaient les seuls justes, que tous les autres peuples dont se composait l'Église, avaient abandonné la foi. C'est pourquoi l'Evangéliste ajoute aussitôt: «Or, il dit à quelques-uns qui se croyaient justes, et qui méprisaient les autres cette parabole». C'est la parabole du Pharisien et du Publicain priant tous deux dans le temple (1), figures de l'orgueilleux qui se glorifie de ses bonnes oeuvres, et de l'humble qui confesse ses péchés. Que les Donatistes cessent donc, s'ils veulent répondre à cette lettre, de nous alléguer ces témoignages, que nous citons avec eux, et qui ont rapport soit à la perte des Juifs, soit à la zizanie, ou à la paille, ou aux mauvais poissons du monde entier. Nous avons établi par des témoignages manifestes la diffusion de l'Église par tout l'univers; c'est à eux de produire à leur tour des textes où il soit prédit clairement que toutes les autres nations ont perdu la foi, que l'Afrique seule l'a conservée avec les pays où elle a envoyé des évêques.



CHAPITRE XVI. RÉPONSE A UNE OBJECTION TIRÉE DE CE TEXTE: «DIS-MOI OÙ JE TROUVERAI CELUI QUE MON COEUR AIME».


40. «Il est écrit», disent-ils, «au Cantique des cantiques (c'est l'épouse, c'est-à-dire, l'Église qui s'adresse à l'époux): Dis-moi où je trouverai celui que mon coeur aime, dis-moi où tu gardes ton troupeau, où tu te reposes au midi». Voilà l'unique témoignage qui, selon eux, retentisse en leur faveur: car l'Afrique est au midi. Mais comment se fait-il que l'Église demande au Christ où se trouve l'Église? Car il n'y a pas deux Eglises, il n'y en a qu'une seule. Ou bien, puisqu'ils avouent que c'est l'Église qui parle à Jésus-Christ, qu'ils nous montrent quelle est l'Eglise qui interroge et quelle est l'Église sur laquelle elle interroge. L'Église demande où elle trouvera son époux et lui dit: «Dis-moi où je et trouverai celui que mon coeur aime; dis-moi où tu gardes ton troupeau, où tu te reposes au midi». N'est-ce pas l'Église qui parle et demande où est l'Église au midi? Elle ne dit pas: «Où gardes-tu ton troupeau,



1. Lc 18,8-14

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où es-tu couché?» Au Midi n'est pas la réponse; comme si l'époux répondait: C'est au midi que je garde mon troupeau, c'est au midi que je suis couché. Toutes ces paroles font partie de l'interrogation: «Où gardes-tu le troupeau, où es-tu couché au midi?» C'est encore elle qui dit: «De peur que je ne sois comme couverte au-dessus a des troupeaux de tes amis». L'époux répond: «Si tu ne te connais pas toi-même, ô la plus belle des femmes (1)», etc. Rien dans ces paroles ne montre que l'Eglise soit seulement dans les régions méridionales; au contraire, des autres parties du monde où elle est établie elle demande quels sont ceux qui dans le midi appartiennent à sa communion, c'est-à-dire en quel endroit son époux fait paître ses troupeaux, et se repose; car il ne fait paître que les siens, il ne se repose qu'au milieu des siens. Les membres de l'époux, c'est-à-dire les véritables fidèles, viennent d'au-delà des mers en Afrique; ils entendent dire que dans ce pays se trouve le parti de Donat, et craignant de tomber entre les mains d'un rebaptisant, ils invoquent le Christ et lui font cette prière: «Montre-moi celui que chérit mon coeur, dis-moi où tu gardes ton troupeau, où tu te reposes au midi»; c'est-à-dire, fais-moi connaître ceux qui composent ce midi où tu gardes ton troupeau, et où tu te reposes, c'est-à-dire encore, ceux qui ont la charité et ne divisent point l'unité. Et voyez ce qu'elle ajoute: «De peur que je ne sois comme couverte au-dessus des troupeaux de tes rivaux»; c'est-à-dire, de peur que je ne sois comme cachée, inconnue, non manifestée: tel est en effet le sens de ces mots: «De peur que je ne sois couverte». Elle ne dit pas Au-dessus de ton troupeau; mais: «Au-dessus des troupeaux de tes rivaux», qui d'abord étaient avec toi, et qui ensuite ont voulu former non pas ton troupeau, mais leurs propres troupeaux; qui n'ont pas voulu comprendre cette parole: «Celui qui n'est pas avec moi, disperse (2)», ni cette autre parole que tu as dite à saint Pierre: «Pais mes brebis (3)»; les miennes et non pas les tiennes. Or, cette véritable Eglise n'est point couverte; car elle n'est pas sous le boisseau, mais sur le chandelier, pour luire aux regards de tous ceux qui sont dans la maison. C'est d'elle qu'il a été dit: «La ville qui est sur la montagne ne



1. Ct 1,6-7 - 2. Mt 12,30 - 3. Jn 21,17

peut être cachée (1)». Toutefois elle est comme cachée pour les Donatistes, qui entendent des témoignages si lumineux et si évidents, de sa diffusion par tout l'univers, et aiment mieux se heurter, les yeux fermés, contre cette montagne que de la gravir. Cette montagne, c'est la pierre qui s'est détachée d'elle-même, qui s'est accrue, qui est devenue une montagne immense, et qui a rempli la terre (2).


41. On peut trouver un autre sens à ces paroles: «Dis-moi où tu conduis ton troupeau, où tu te reposes au midi». C'est l'époux qui parle dans les Psaumes, par la bouche de Moïse, le serviteur de Dieu: «Fais-moi connaître ta droite; fais-moi connaître ceux dont le coeur est formé par la sagesse (3)». Le midi, c'est la lumière de la sagesse qui les éclaire, l'ardeur de la charité qui les brûle. Quand l'Esprit de Dieu exhorte aux bonnes oeuvres par son Prophète, c'est là ce qu'il promet: «Et tes ténèbres», dit-il, «seront comme le midi (4)». Mais dût-on par ces mots: «Au midi», entendre nécessairement quelque endroit de l'univers, on ne peut leur donner un sens arbitraire, puisqu'ils ne forment qu'une seule interrogation. Si à cette question: Où faites-vous paître votre troupeau, où vous reposez-vous, on répond en citant un point de l'univers: «Au midi»; il ne s'ensuit point qu'il s'agisse de l'Afrique. L'Afrique, il est vrai, est située dans la partie méridionale du monde, mais elle regarde l'Afrique, et non pas l'Auster où est vraiment le Midi. C'est là en effet que le soleil forme le milieu du jour; et le vrai midi, c'est l'Egypte. Si donc l'époux interrogé par l'épouse sur le lieu qui lui est particulièrement cher, sur sa demeure la plus secrète, répondait: C'est le midi, l'Eglise catholique reconnaîtrait bien probablement ce séjour de prédilection, dans ceux de ses membres qui sont en Egypte, dans ces milliers de serviteurs de Dieu qui, au désert, composent une société sainte et s'étudient à mettre complètement en pratique ce précepte de l'Evangile: «Voulez-vous être parfait? Allez, vendez ce que vous avez et donnez-le aux pauvres et vous aurez un trésor dans le ciel. Venez, suivez-moi (5)». N'est-ce pas pour le Fils de Dieu un lieu plus secret pour conduire son troupeau, pour se coucher,



1. Mt 5,15-14 - 2. Da 2,31-35 - 3. Ps 89,12 - 4 Is 58,10 - 5. Mt 19,24

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c'est-à-dire pour se reposer, que la foule turbulente de ces circoncellions furieux, qui sont la plaie de l'Afrique? Ecoutez le prophète Isaïe parlant de l'Egypte: «En ce jour-là le Seigneur aura un autel dans le pays des Egyptiens, et dans leur pays le Seigneur aura un titre, et ce titre sera pour le Seigneur un signe éternel dans le pays des Egyptiens. Car ils crieront vers le Seigneur contre ceux qui les opprimaient; et le Seigneur leur enverra un homme qui les sauvera, et qui les préservera en jugeant. Et le Seigneur sera connu des Egyptiens; et les Egyptiens craindront le Seigneur en ce jour-là, et ils feront des sacrifices, et ils feront des voeux, et les accompliront. Et le Seigneur frappera de plaies les Egyptiens et il les guérira dans sa miséricorde, et ils se convertiront au Seigneur; il les exaucera et il les guérira (1)». Que peuvent-ils répondre? Pourquoi ne sont-ils pas en communion avec cette Eglise des Egyptiens qui est ainsi annoncée? Ou bien, si ce n'est là qu'une figure, et que l'Egypte signifie le monde, pourquoi ne sont-ils pas en communion avec l'Eglise universelle?


42. Qu'ils interrogent donc les Ecritures; qu'à tous ces témoignages nous montrant l'Eglise de Jésus-Christ répandue dans tout l'univers, ils en opposent un seul qui ait la même certitude et la même évidence; qu'ils nous prouvent que l'Eglise du Christ a disparu des autres nations, qu'elle est demeurée seulement en Afrique, qu'elle a pris naissance non à Jérusalem, mais à Carthage, où pour la première fois ils ont élevé chaire contre chaire. Si nous voulons voir en Donat le prince de Tyr, puisque Carthage a été surnommée Tyr, entendez Ezéchiel prophétiser contre lui. N'est-ce pas Donat qu'il désigne par ces paroles: «Je te montrerai que tu es un homme, et non un Dieu?» Ses sectateurs en effet se glorifient plus de son nom que du nom de Dieu. Dieu seul est exempt de péché, Dieu seul, et avec lui ce prêtre qui intercède pour nous et dont il est dit: «Il est au-dessus de toutes choses, Dieu béni dans les siècles des siècles (2)». Or, non-seulement les imitateurs de Donat veulent passer pour être sans péché, mais ils se donnent comme justifiant les hommes, et leur huile, disent-ils, n'est pas l'huile du pécheur (3). C'est à bon droit que l'on dit au prince de Tyr: «Tu as dit: Je suis Dieu;



1. Is 19,19-22 - 2. Rm 9,5 - 3. Ps 140,5

or, tu es un homme et non un Dieu n; et encore: «Es-tu meilleur que Daniel (1)?» Car Daniel confesse ses péchés et ceux de son peuple, mais les sujets du prince de Tyr prétendent qu'ils prient pour les péchés du peuple et qu'ils sont exaucés, parce qu'ils sont exempts de péchés. Oui, c'est à bon droit que l'on dit au prince de Tyr: «Es-tu meilleur que «Daniel? n Nous pouvons donc trouver quelque texte spécial à la circonstance, et dire que . ce monstre abominable est sorti de la capitale de l'Afrique, c'est-à-dire de Carthage. On sait en effet que Tyr se prend très-bien pour Carthage. Et cependant nous ne voulons point tirer parti de semblables textes, car le nom de Tyr peut avoir une autre signification; à plus forte raison nos adversaires ne peuvent-ils s'appuyer sur le mot «midi», puisque la phrase offre un tout autre sens que le leur.


43. Mais non, il ne leur est pas même loisible de chercher à prouver par un texte que toutes les nations doivent perdre la foi, et que l'Eglise sera limitée à l'Afrique toute seule: qu'ils songent à cette parabole que j'ai souvent rappelée: «L'ivraie et le bon grain doivent croître jusqu'à la moisson, le champ est le monde, et la moisson, la fin des siècles (2)». Ce n'est pas nous, c'est le Seigneur lui-même qui interprète cette figure. Il y a d'autres textes tout aussi clairs, qui peuvent les dispenser de chercher à prouver que le monde est perdu, et que l'Eglise est restreinte à la seule Afrique. Une chose peut exister sans qu'on la trouve; mais si elle n'existe pas, il est impossible de la trouver. Qu'ils cessent donc de chercher ce qu'ils ne pourront trouver, non point parce que l'objet de leurs recherches est caché, mais parce qu'il n'existe pas. Il y a encore des nations où l'Evangile n'a pas été prêché. Mais tout ce qui a été prédit du Christ et de son Eglise doit s'accomplir; donc il faut que l'Evangile leur soit aussi annoncé.



CHAPITRE XVII. LES SAINTES ÉCRITURES ANNONCENT QUE LES MÉCHANTS SERONT MÊLÉS AUX BONS JUSQU'À LA FIN DES SIÈCLES.

Et pourtant ils osent affirmer l'accomplissement de cette parole du Sauveur: «La pénitente et la rémission des péchés seront prêchées par toutes les nations, à commencer



1. Ez 28,2-9 - 2. Mt 13,30 Mt 13,38-39

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par Jérusalem (1)» . Ils osent dire que toutes abandonneront la foi, et que l'Afrique seule restera fidèle à Jésus-Christ. Non, la prophétie doit s'accomplir; elle ne l'est pas encore. Et quand elle sera réalisée, la fin arrivera. Car voici les paroles du Seigneur: «Cet évangile du royaume sera prêché dans tout l'univers, pour servir de témoignage à toutes les nations, et alors viendra la fin (1)». Comment comprendre que toutes les nations ayant reçu la foi, elles l'aient ensuite perdue; à l'exception de l'Afrique?


44. Peut-être veulent-ils pousser la folie jusqu'à ses dernières limites, et dire que ce n'est point par les Eglises fondées par les travaux des Apôtres que l'Evangile sera porté à toutes les nations, que ces Eglises périront et que le parti de Donat les ressuscitera à commencer par l'Afrique, puis fera la conquête des autres pays. Ils ne pourraient entendre sans rire une telle supposition; et cependant s'ils ne veulent point tenir ce langage dont ils rougiraient, je ne vois pas ce qu'ils peuvent dire. Mais que nous importe? Nous n'avons de mauvais vouloir pour personne. Montrez-nous votre doctrine dans les Ecritures, et nous vous croyons; oui, montrez-nous dans le canon des livres saints que tant de- peuples qui, jusqu'à présent, se sont contentés du baptême transmis par les Apôtres, ont perdu la foi du Christ, par les crimes des Africains sans même les connaître, qu'ils doivent être baptisés de nouveau par le parti de Donat, et qu'ensuite l'Evangile doit être prêché aux autres nations qui ne le connaissent pas encore. Qu'ils nous montrent ces choses. Pourquoi tant tarder? Pourquoi hésiter? Pourquoi mettre obstacle au salut des peuples? Qu'ils nous lisent leurs textes et qu'en même temps ils envoient de nouveaux apôtres pour rebaptiser les peuples déjà chrétiens et baptiser ceux qui ne le sont pas encore.


45. Mais en arrivant à Colosses, que liront-ils dans l'Epître adressée par l'Apôtre aux habitants de cette ville, et quel sens trouveront-ils à ces paroles: «Nous rendons grâces à Dieu, le Père de Notre-Seigneur Jésus-Christ, le priant sans cesse pour vous. Car nous avons entendu parler de votre foi dans le Christ Jésus, et de votre charité envers tous les saints, à cause de l'espérance qui a été déposée en vous dans les cieux. Cette espérance



1. Lc 24,47 - 2. Mt 24,14

vous l'avez reçue de la parole de la vérité de l'Evangile qui vous est parvenu, et qui fructifie et s'accroît dans le monde entier, comme aussi parmi vous, depuis le jour où vous avez appris et connu la grâce de Dieu dans la vérité (1)». Ce texte ne se rapporte-t-il pas à l'Evangile où il est dit: «Le royaume de Dieu est semblable à un homme qui sème le bon grain dans son champ?» Ensuite l'Evangile nous apprend que ce champ, c'est le monde. De môme, en effet, qu'il a été prédit que la semence, une fois jetée en terre, croîtrait jusqu'à la moisson; de même aussi l'Apôtre dit que l'Evangile fructifie et s'accroît dans le monde entier, comme parmi les Colossiens, depuis le jour où ils l'ont reçu. Or, l'Evangile s'accroît jusqu'à la fin, puisqu'il s'accroît jusqu'à la moisson. «La moisson est la fin des siècles (2)». Que diront donc, non-seulement les Colossiens, auxquels est adressée cette épître, mais aussi les autres peuples, où, selon la lettre de l'Apôtre, la bonne semence a été jetée et commence à se développer et à porter des fruits? Que nous apportez-vous de nouveau, diront-ils? Faut-il de nouveau semer le bon grain? N'a-t-il pas déjà été semé et ne doit-il pas se développer jusqu'à la moisson? Vous soutiendrez que cette semence a péri, après avoir été jetée par les Apôtres; et qu'une nouvelle semence doit être jetée par l'Afrique. On vous répondra Faites-le-nous lire dans les divins oracles. Ce que vous ne pouvez, sans montrer d'abord la fausseté de cette parole: La semence jetée auparavant doit «croître jusqu'à la moisson». Comme les divins oracles ne se contredisent jamais, vous ne trouverez aucun texte à opposer à ce texte si manifeste. C'est donc votre pensée, et non point celle des livres saints que vous exprimerez, et on sera parfaitement en droit de vous répondre:Soyez anathème. Les églises fondées par les Apôtres se rappellent que l'on a pris soin de leur dire: «Quiconque vous prêchera une autre doctrine que celle que vous avez reçue, qu'il soit anathème (1)».



CHAPITRE XVIII. LES DONATISTES SONT CONDAMNÉS PAR LEURS INCONSÉQUENCES.


46. Ainsi donc les saintes Ecritures nous montrent l'Eglise commençant par Jérusalem



1 Col 1,3-6 - 2. Mt 12,24 Mt 12,30-39 - 3. Ga 1,9

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et se développant à travers les autres nations pour se les assujétir toutes avant la fin des siècles; elles nous parlent non-seulement du froment, mais aussi des mauvais grains qui s'y trouvent mêlés. Donc, ô Donatistes, revenez de vos erreurs, mettez-vous en communion avec le bon grain, et vous verrez ensuite les reproches qu'il faut adresser à l'ivraie et à la paille. Autrement vous donnerez aux méchants les éloges que méritent les bons, et vous accablerez les bons des reproches qu'il fallait réserver pour les méchants. Quel égarement monstrueux! Nous en avons les preuves entre les mains: vos ancêtres, les auteurs de votre schisme, ont livré aux flammes les livres saints. Les actes municipaux le témoignent; et ils n'ont pu le nier, comme on le voit par les actes ecclésiastiques. Ces mêmes traditeurs siégèrent parmi les juges qui, à Carthage, ont condamné Cécilien et ses collègues absents. Oui, dans les actes municipaux et ecclésiastiques on lit les noms des «traditeurs u, que vous citez vous-mêmes comme ayant condamné des traditeurs absents. A cette époque, votre diacre Nundinarius révéla au consul Zénophile tous les marchés de Lucille qui avait acheté des évêques la condamnation de Cécilien devenu son ennemi pour avoir dit la vérité. Les évêques écrivirent à l'empereur Constantin, qui, sur leur demande, nomma des évêques pour juger cette cause. Les Donatistes ne se rendirent pas à la sentence prononcée par ces juges et les accusèrent d'injustice auprès du prince. D'autres furent désignés et se rassemblèrent- à Arles. On en appela de leur tribunal à celui de l'empereur lui-même. L'empereur les entendit les uns après les autres, ils furent convaincus de calomnie et condamnés; leur fureur ne se calma point. La sainteté de la religion a été détruite, prétendez-vous, dans toutes ces nations où les Apôtres l'avaient affermie, et la raison en est qu'elles sont demeurées en communion avec ceux que vos ancêtres ont condamnés par la sentence de soixante-dix évêques au concile de Carthage. Mais n'êtes-vous pas aussi en communion avec ceux que vous avez condamnés avec Maximien au concile de Bagaium, où vous étiez au nombre de trois cents? Ne lit-on pas dans les Actes du concile la condamnation de Prétextat d'Assurita, et les actes proconsulaires ne témoignent-ils pas qu'il fut accusé et poursuivi par vous? Cependant, malgré cette condamnation il conserva sa dignité, et il mourut dans votre communion. Et Félicien de Mustitanum ne fut-il pas de la même manière, pour la même cause, dans le même concile, condamné par les évêques, poursuivi auprès des juges, et néanmoins reçu ensuite parmi vous, pour y vivre comme évêque? Ceux que ces évêques ont baptisés après leur condamnation ne sont-ils pas encore en communion avec vous sans qu'on leur ait donné un second baptême Sans doute, toutes ces églises au-delà des mers fondées par les Apôtres perdent le salut et cessent d'être chrétiennes, pour avoir été en communion avec des hommes qui n'avaient été ni accusés chez elles, ni condamnés par elles, et dont ensuite il avaient appris la justification et l'absolution? mais le parti de Donat condamne qui bon lui semble, et exagère le sacrilège du schisme, au point d'oser comparer ceux qu'il condamne aux scélérats que la terre a engloutis vivants; ou bien, il Teste en communion avec eux, si cela lui plait, il les maintient dans leurs dignités; et néanmoins il reste saint et parfaitement pur! O règles du droit numide! O privilèges de Bagaium! Le baptême du Christ disparaît de ceux qui l'ont reçu dans les Eglises apostoliques; mais il conserve toute sa vertu dans ceux qui ont été baptisés par Prétextat et Félicien, «ces sacrilèges condamnés», selon le texte du concile de Bagaium; non pas parce que c'est le baptême du Christ, mais parce qu'il a été donné par ces évêques qui ont mérité de rester évêques soit en se séparant de leurs juges, soit en se réunissant à eux.


47. Mais c'est trop insister sur ces détails que nous trouvons et dans la lettre de l'empereur, et dans les actes ecclésiastiques, municipaux, proconsulaires. Cependant, ô Donatistes, si vous restiez unis à cette Eglise répandue par tout l'univers, si clairement désignée par les témoignages des Ecritures canoniques, rien de tout cela n'aurait de force contre vous. Si vous êtes le froment, en quoi pourraient vous être préjudiciables les crimes que l'on reproche à la paille? Et si vous êtes la paille, et que vous soyez répréhensibles, en quoi pourrez-vous nuire au froment de la moisson du Seigneur, puisqu'il a été semé dans son champ pour croître jusqu'à la mois son; c'est-à-dire, puisqu'il a été semé dans le monde pour croître jusqu'à la fin des siècles? (345) Quand même nous serions la paille (ce que vous ne nous avez pas encore prouvé), et que vous produiriez contre nous des documents pareils à ceux que j'ai cités; quand même nous ne pourrions vous objecter ces faits accablants, eh bien! le froment répandu dans tout l'univers n'aurait rien à craindre de tout ce que vous pourriez dire contre la paille de l'Église, vos reproches fussent-ils fondés sur les preuves les plus évidentes. Écartons donc toutes ces hésitations, tous ces retards. Si l'on blâme des fautes qui n'ont pas été commises, que l'on convienne de son erreur, et qu'on ne reproche rien. Si les fautes ont eu lieu, sans qu'on puisse le prouver, ou sans qu'on ait pu le prouver alors qu'il le fallait, qu'on ne reproche rien non plus. Enfin, si les fautes ont eu lieu, et qu'elles soient prouvées, mais qu'elles aient été commises non par le froment caché parmi la paille, mais par la paille elle-même qui, à la fin des siècles, sera séparée du froment, que l'on n'objecte rien encore. Tous ces reproches, nous pouvons les adresser aussi aux Donatistes, non par le frivole motif d'y appuyer notre cause, mais pour leur montrer que si nous ne voulons point de leurs raisons, ce n'est pas faute d'en avoir de semblables à leur opposer, mais afin de ne point perdre à des choses inutiles un temps que nous pouvons employer à des choses nécessaires. Ils en agissent de la sorte, parce qu'ils ne peuvent trouver à l'appui de leur cause aucun document solide et d'une vérité incontestable. Ils veulent avoir l'air de dire quelque chose; ils rougiraient de garder le silence, et ils ne rougissent point de dire des absurdités. Qu'ils n'invoquent donc plus de semblables preuves, et qu'ils nous montrent, s'ils le peuvent, leur église, non pas dans les entretiens et les rumeurs des Africains, ni dans les conciles de leurs évêques, ni dans une lettre de je ne sais quels disputeurs, ni dans de faux miracles et de faux prodiges; la parole de Dieu nous a mis en garde contre tous ces piéges. Qu'ils nous la montrent dans les prescriptions de la loi, dans les prédictions des Prophètes, dans les psaumes, dans les paroles du Pasteur suprême, dans les prédications des évangélistes, c'est-à-dire, dans les témoignages canoniques des saints livres. Et encore, qu'ils n'aillent point recueillir et citer des textes obscurs, à double sens, figurés, que chacun peut interpréter à son gré. Ces textes-là on ne peut les comprendre et les expliquer sans croire fermement les vérités qui ont été manifestement révélées.


48. Vous voulez répondre à ma lettre; je vous avertis d'avance. Ne venez pas me dire: Ils ont livré aux flammes les Ecritures divines, ils ont sacrifié aux idoles, ils nous ont fait subir la plus injuste persécution; et vous y avez donné votre plein consentement. Je réponds en peu de mots ce que j'ai déjà répondu souvent: Ou bien vos assertions sont fausses, ou bien, si elles sont vraies, elles n'ont aucun rapport au froment de Jésus-Christ, mais à la paille qui s'y trouve mêlée. L'Église n'en existe pas moins; ce n'est qu'au jugement dernier qu'elle sera criblée et purifiée par la séparation qui sera faite des bons et des méchants. Pour moi, je cherche l'Église là où elle est, là où elle édifie en entendant les paroles du Christ et en les mettant en pratique; là où, docile aux paroles de son chef et s'y conformant, elle supporte ceux qui, les entendant sans les pratiquer, bâtissent sur le sable (1). Je me demande où est le froment qui croît avec l'ivraie jusqu'au temps de la moisson (2),et non pas ce qu'a fait ou ce que fait encore l'ivraie; où est celle qui se tient à côté du Christ, au milieu des filles perverses, comme le lis au milieu des épines (3), et non pas ce qu'ont fait ou ce que font encore les épines; je me demande où sont les bons poissons, qui avant d'atteindre le rivage supportent les mauvais, engagés dans les mêmes filets (4), et non pas ce qu'ont fait ou ce que font encore les mauvais poissons.




Augustin, contre Donatistes - CHAPITRE XV. EXPLICATION DE CERTAINS TEXTES OBJECTÉS PAR LES HÉRÉTIQUES.