Augustin, de la prédestination des Saints. - CHAPITRE XIII. LE BAPTÊME N'EST PAS DONNÉ DANS LA PRÉVISION DE LA PÉNITENCE.

CHAPITRE XIII. LE BAPTÊME N'EST PAS DONNÉ DANS LA PRÉVISION DE LA PÉNITENCE.


25. Voici peut-être comment ils raisonnent Les péchés sont pardonnés à ceux qui font pénitence; si donc Dieu permet que des enfants meurent sans baptême, c'est parce qu'il prévoit qu'en vivant ils ne feraient pas pénitence; quant à ceux qui meurent après leur baptême, Dieu prévoyait qu'ils auraient fait pénitence s'ils fussent restés sur la terre. Mais ceux qui tiendraient ce langage devraient comprendre que, d'après leur système, les enfants morts sans baptême sont punis, non pas à cause du péché originel, mais à cause des péchés que ces enfants auraient commis s'ils eussent vécu; comme aussi les enfants baptisés reçoivent la rémission, non pas du péché originel, mais des péchés actuels qu'ils auraient commis sur la terre. La différence viendrait uniquement de ce que, parmi ces enfants, les uns devaient et les autres ne devaient pas faire pénitence; dans cette prévision Dieu accorderait le baptême aux premiers et le refuserait aux seconds.

Si les Pélagiens avaient connaissance de cette distinction, la négation du péché originel ne les mettrait plus dans la nécessité de suer sang et eau pour chercher aux enfants, en dehors du royaume de Dieu, je ne sais quel séjour de bonheur; surtout quand ils sont convaincus que ces enfants ne peuvent avoir la vie éternelle, n'ayant ni mangé la chair, ni bu le sang de Jésus-Christ (1), et que le baptême qui leur est conféré ne peut être qu'inutile, puisque ces enfants n'ont aucun péché, et que ce sacrement est destiné à la rémission des péchés. Ils continueraient, sans doute, à nier l'existence du péché originel, mais ils saisiraient avec avidité l'occasion de dire que c'est à cause de leurs mérites futurs, s'ils avaient vécu, que ces enfants, avant de mourir, obtiennent ou n'obtiennent pas la faveur du baptême; ils ajouteraient que test à cause de ces mêmes mérites futurs qu'ils reçoivent ou ne reçoivent pas le corps et le sang de Jésus-Christ, sans lesquels ils ne peu vent avoir la vie éternelle; que, malgré leur exemption complète de tout péché originel, ils reçoivent néanmoins dans le baptême une véritable rémission des péchés, puisque Dieu leur pardonne les péchés dont il prévoit qu'ils auraient fait pénitence. Tout cela prouverait facilement qu'ils ont raison, quand ils nient l'existence du péché originel, et qu'ils soutiennent que la grâce ne nous est donnée que selon nos mérites. Pourtant il est aisé de comprendre que des mérites futurs, mais qui ne doivent pas se réaliser, ne sont nullement des mérites. Par conséquent, les Pélagiens n'ont pu déduire toutes ces conclusions, et les personnages dont vous me parlez n'auraient pas dû surtout en formuler les principes. Comment supposer, en effet, que les Pélagiens aient reconnu la fausseté et l'absurdité de ces principes, qui pourtant auraient été reconnus comme vrais par des hommes qui condamnent avec nous, et au nom de à foi catholique, l'erreur des Pélagiens?


1. Jn 6,54

337



CHAPITRE XIV. LES PÉLAGIENS CONDAMNÉS PAR L'ÉCRITURE ET LA TRADITION.


26. Saint Cyprien a écrit sur la mortalité un livre entouré de l'admiration de presque tous ceux qui aiment les lettres ecclésiastiques. Nous y lisons entre autres choses que, loin d'être inutile aux fidèles, la mort leur procure le précieux avantage de les soustraire au danger de pécher, et de les placer dans l'impossibilité de pécher. Mais qu'impode cette impossibilité, si l'on peut être puni pour des péchés futurs qui n'ont pas été commis? Pourtant le glorieux martyr montre de la manière la plus éloquente que le danger nous poursuit sans cesse en cette vie et disparaît entièrement à la mort. Il cite à l'appui ce passage du livre de la Sagesse: «Il a été enlevé de crainte que la méchanceté ne changeât son intelligence». J'avais invoqué moi-même ce témoignage, mais vous n'apprenez que ces frères le repoussent en disant qu'il n'est point tiré d'un livre canonique. Est-ce qu'indépendamment de ce témoignage la vérité que nous avons voulu établir rie s'impose pas dans toute son évidence? Un chrétien nierait-il que le juste entrera dans un lieu de rafraîchissement et de paix, si la mort est venue le saisir avant le péché (1)? Quel que soit l'auteur de cette proposition, peut-on de bonne foi la révoquer en doute? De même on nous dit que si le juste s'éloigne de la justice dans laquelle il a longtemps vécu, et qu'il meure dans l'impiété après lui avoir appartenu, je ne dis pas pendant un an, mais seulement pendant un jour, il subira le châtiment dû à cette impiété, sans que Dieu lui tienne compte de sa justice antérieure (2); est-il un seul fidèle qui puisse se refuser à l'évidence de cette doctrine? Qu'on vienne ensuite nous demander si c'est le bonheur des élus ou le malheur des réprouvés qu'eût obtenu ce juste, s'il fût mort pendant qu'il était dans la justice; hésiterons-nous à dire qu'il eût goûté le repos éternel?

Voilà ce qui justifie cette parole, quel que soit d'ailleurs celui qui l'a prononcée: «Il a été enlevé dans la crainte que la méchanceté ne changeât son intelligence». Il est fait ici allusion aux dangers de cette vie, et non point à la prescience de Dieu, qui a prévu ce qui


1. Sg 4,2-7 - 2. Ez 18,24

devait arriver, et non point ce qui ne devait pas être. En d'autres termes, Dieu devait lui accorder une mort prématurée, afin de le soustraire à l'incertitude des tentations; ce qui pourtant ne prouve pas qu'il ait péché ou qu'il dût pécher, puisqu'il ne devait pas demeurer dans la tentation. Job disait de cette vie: «Est-ce que la tentation n'est pas la vie de l'homme sur la terre (1)?» Mais pourquoi tels justes ont-ils le privilège d'être arrachés aux périls de cette vie, tandis que d'autres y restent exposés pendant une longue existence, jusqu'à ce qu'enfin ils s'éloignent de la justice? Et qui donc a connu les décrets de Dieu (2)? En faisant cette réponse, l'Apôtre rappelait à ces justes qui persévèrent dans la piété et la vertu jusqu'à la maturité de la vieillesse et jusqu'au dernier jour, qu'ils doivent se glorifier dans le Seigneur, et non point dans leurs propres mérites. En effet, Celui qui, par la brièveté de la vie, a ravi le juste, dans la crainte que la méchanceté ne changeât son intelligence, c'est lui aussi qui veille sur le juste dans toute la longueur de cette vie, dans la crainte que la méchanceté ne vienne à changer son intelligence. Mais enfin, pourquoi donc a-t-il conservé sur la terre tel juste dont il prévoyait la chute, et qu'il pouvait enlever avant qu'il ne tombât? Les jugements de Dieu sont très-justes, mais ils sont également impénétrables.


27. En présence de ces vérités, devait-on répudier la maxime du livre de la Sagesse, livre dont les pages sont lues dans l'Eglise de Jésus-Christ depuis la plus haute antiquité, et qui a toujours été vénéré, comme inspiré de Dieu même, par tous les chrétiens, depuis les évêques jusqu'aux simples fidèles, en comprenant dans ce nombre les pénitents et les catéchumènes? Tous nos anciens commentateurs des saintes Ecritures nous fourniraient en abondance les preuves les plus explicites en faveur de cette doctrine que nous ne cessons d'opposer à l'erreur des Pélagiens; ils nous apprendraient tous que la grâce de Dieu ne nous est pas donnée selon nos mérités, mais qu'elle est parfaitement gratuite; qu'elle ne dépend ni de celui qui veut, ni de celui qui court, mais de Dieu qui fait miséricorde; et qu'il ne saurait en Dieu y avoir aucune injustice (3). Si donc nous empruntions aux anciens auteurs catholiques les preuves si


1. Jb 7,1 selon les Sept. - 2. Rm 11,34 - 3. Rm 9,14-15

338

nombreuses que la sainte Ecriture leur a fournies en faveur de la vérité que nous soutenons, je suis persuadé que ces frères, pour qui nous écrivons en ce moment, y acquiesceraient d'une manière absolue; du reste, vous nous en donnez l'assurance dans vos lettres. Quel besoin, dès lors, de scruter minutieusement les ouvrages de ces docteurs qui, avant la naissance de l'hérésie pélagienne, ne se crurent pas dans la nécessité de traiter sous toutes ses faces cette difficile question? Et pourtant, avec quelle autorité ne l'auraient-ils pas fait, s'ils avaient eu en face nos propres adversaires? De là vient que leur opinion sur la grâce de Dieu n'est formulée que d'une manière purement accidentelle dans quelques passages de leurs écrits. Au contraire, ils insistent longuement sur toutes les erreurs qu'ils reprochent aux ennemis de l'Eglise, sur les exhortations à la pratique de certaines vertus qui constituent le culte du Dieu vivant et véritable et nous donnent droit à la vie éternelle et au bonheur suprême. D'ailleurs, la multiplicité de leurs prières nous révèle suffisamment ce qu'ils pensaient de la puissance de la grâce, car ils n'auraient pas demandé à Dieu ce qu'il nous ordonne de faire, s'ils n'avaient pas été persuadés que c'est Dieu lui-même qui nous accorde la grâce de faire ce qu'il nous commande.


28. Disons toutefois que ceux qui veulent s'approprier les opinions et les maximes des commentateurs doivent préférer à tous ces auteurs ce livre même de la Sagesse où nous lisons: «Il a été ravi par la mort, de crainte que la malice ne changeât son intelligence». N'est-ce pas d'ailleurs ce qu'ont fait dès les temps apostoliques ces illustres docteurs qui,`en citant ce livre, le regardaient comme un oracle divin? Le bienheureux Cyprien, pour exalter le bienfait d'une mort prématurée, déclare hautement que sortir de cette vie dans laquelle on peut pécher, c'est être arraché aux dangers de pécher. Voici quelques-unes de ses paroles: «Pourquoi n'embrasseriez-vous pas avec joie ce qui va vous réunir à Jésus-Christ, vous assurer la réalisation des promesses de Jésus-Christ; pourquoi ne pas vous féliciter d'échapper pour toujours à l'empire du démon?» Nous lisons ailleurs: «La mort arrache les enfants aux dangers d'un âge passionné». Et ailleurs: «Pourquoi ne pas nous presser d'accourir, là où il nous sera donné de voir notre patrie, et de saluer nos parents? Là nous attend la multitude chérie de nos parents, de nos frères, de nos enfants; cette troupe heureuse nous appelle de ses voeux, car, pendant qu'elle est assurée de son bonheur, elle est encore inquiète de notre salut». Ces paroles éclairées des brillantes lumières de la foi catholique nous enseignent éloquemment que jusqu'à notre mort nous avons à craindre les tentations et les dangers de péché; tandis que la mort mettra un terme à nos alarmes. Du reste; lors même que nous, n'aurions pas le témoignage de cet illustre martyr, quel doute en cette matière pourrait concevoir un chrétien? Qu'un homme tombé dans le péché, et que la mort vienne le saisir en cet état et le livrer sans défense aux châtiments qu'il mérite, ne trouverait-il pas qu'il lui eût été bien avantageux de mourir et d'être arraché à ce lieu d'épreuves avant de tomber dans le péché?


29. Ainsi donc, à moins de vouloir s'obstiner dans une discussion par trop téméraire; on doit regarder comme résolue la question soulevée par ces paroles: «Il a été ravi par la mort, dans la crainte que la méchanceté ne changeât son intelligence». Par conséquent, ce livre de la Sagesse qui est lu depuis la plus haute antiquité dans l'Eglise de Jésus-Christ, et dans lequel nous trouvons ces paroles, ne doit pas être rejeté avec mépris, parce qu'il condamne la prétention de ceux qui, se fondant sur les mérites de l'homme; s'attaquent à l'essence même de la grâce de Dieu. Cette grâce se révèle surtout dans les enfants, dont les uns meurent après avoir été baptisés, et les autres sans baptême, comme pour faire briller d'une manière plus éclatante la miséricorde et la justice; miséricorde purement gratuite, et justice légitime; supposons, en effet, que les hommes soient jugés selon les mérites de leur vie, non pas selon les mérites réellement acquis dans une existence dont ils n'ont pas joui, mais selon; les mérites qu'ils auraient acquis s'ils avaient vécu, quel avantage aurait trouvé dans la mort celui qui a été ravi dans la crainte que la méchanceté ne changeât son intelligence. Où serait le malheur pour ceux qui, au lieu de mourir avant leur chute, mourraient après être tombés dans le péché mortel? Est-il chrétien qui osât tenir un semblable langage!

339

J'en conclus que nos frères qui luttent avec nous pour la foi catholique contre l'erreur pernicieuse des Pélagiens, devraient comprendre qu'en soutenant eux-mêmes que la grâce nous est donnée selon nos mérités, ils acceptent par le fait ce qui constitue le fondement même de cette hérésie; ils dépouillent de toute sa valeur cette maxime véritable, et de tout temps professée par la religion chrétienne: «Il a été ravi par la mort; dans la crainte que la méchanceté ne changeât son intelligence», et enfin, de conclusion en conclusion, ils se voient réduits à admettre cette conséquence bien propre à révolter les plus simples notions du sens commun, à savoir que les morts sont jugés d'après les oeuvres qu'ils auraient accomplies, si la vie pour eux se fût prolongée. Par conséquent, elle brave toutes les dénégations. possibles, cette doctrine par laquelle nous affirmons que la grâce de Dieu ne nous est point donnée selon nos mérites; et tout ce que les hommes les plus habiles peuvent opposer à cette doctrine, doit être rejeté comme une erreur, et couvert du plus profond mépris.



CHAPITRE XV. L'HUMANITÉ DE JÉSUS-CHRIST PRÉDESTINÉE GRATUITEMENT.


30. Mais le prédicateur par excellence de la prédestination et de la grâce, c'est le Sauveur lui-même, le souverain Médiateur entre Dieu et les hommes, Jésus-Christ Dieu et homme. Regardons la nature humaine qu'il a revêtue, et voyons par quels mérites antérieurs de ses oeuvres ou de sa foi elle a obtenu cet insigne privilège. Je demande la réponse à cette question: Cette humanité unie au Verbe coéternel au Père, de manière à ne former qu'une seule personne avec le Fils unique de Dieu, par quoi et comment avait-elle mérité cette faveur? Quel bien avait-elle accompli avant l'Incarnation? Qu'avait elle fait, qu'avait-elle cru, qu'avait-elle demandé, pour qu'elle méritât d'être élevée à un si haut degré de gloire? N'est-ce point par faction directe et immédiate du Verbe lui-même, que cette humanité a été formée et unie au Fils unique de Dieu? N'est-ce point le Fils unique de Dieu qu'a conçu la Vierge pleine de grâce? N'est-ce point par une faveur spéciale de Dieu, et sans que là chair n'eût aucune part, que le Fils de Dieu est né du Saint-Esprit et de la Vierge Marie? Etait-il à craindre qu'avec l'âge cette humanité péchât par l'abus de son libre arbitre? Ou bien dira-t-on que sa volonté n'était pas libre, quand au contraire il faut proclamer qu'elle était d'autant plus libre qu'elle ne pouvait devenir l'esclave du péché?

Ce sont là tout autant de prodiges qui s'imposent à notre admiration; et devant ces prodiges, et beaucoup d'autres encore conférés à la nature humaine, c'est-à-dire à une nature qui était la nôtre, pouvons-nous dire qu'ils étaient la conséquence de mérites propres et antérieurs? Que, notre adversaire réponde à Dieu, s'il l'ose, et lui dise: Pourquoi n'est-ce point moi qui ai été favorisé de la sorte? Après avoir reçu cette réponse: «O homme, qui êtes-vous donc pour oser répliquer à Dieu (1)», qu'il insiste, qu'il porte plus loin encore son impudence, et qu'il dise: Que signifient ces mots: «O homme, qui êtes-vous donc»? Moi qui entends, ne suis-je pas de la même nature que celui dont je parle, et pourquoi dès lors ne suis-je pas ce qu'il était lui-même? C'est la grâce sans doute qui l'a fait si grand. Mais pourquoi la grâce est-elle si différente, là où la nature est la même? Assurément Dieu ne saurait faire acception de personnes (2) . - Un tel langage ne serait-il point une véritable folie?


31. Qu'il apparaisse donc dans toute sa grandeur Celui qui est la source même de la grâce, et qu'il nous montre comment cette grâce se répand dans tous ses membres selon la mesure de chacun. C'est par cette grâce que tout homme devient chrétien par le commencement de la foi, comme c'est par elle que dès le commencement cette nature humaine s'est unie au Verbe dans la personne de Jésus-Christ. Le chrétien renaît du Saint-Esprit, comme Jésus-Christ est né de ce même Esprit; c'est le Saint-Esprit qui nous donne la rémission de nos péchés, comme c'est lui qui a conféré à l'humanité en Jésus-Christ l'exemption absolue de tout péché. Or, Dieu avait infailliblement prévu qu'il en agirait ainsi. Et telle est à proprement parler la prédestination des saints; prédestination qui revêt tant de splendeur dans le saint des saints, et qui ne saurait être l'objet d'aucun doute pour ceux qui


1. Rm 9,20 - 2 Col 3,25

340

ont la véritable intelligence des oracles de la vérité. En effet, nous voyons hautement proclamée la prédestination du Seigneur de la gloire, en tant que le Fils de Dieu s'est fait homme. En tête de ses Epîtres, le Docteur des nations s'écrie: «Paul, serviteur de Jésus-Christ, appelé à l'apostolat, séparé pour annoncer l'Evangile de Dieu, qu'il avait promis auparavant par ses Prophètes dans les saintes Ecritures, touchant son Fils qui lui est né selon la chair du sang de David, qui a été prédestiné Fils de Dieu en puissance, selon l'Esprit de sanctification, par la résurrection d'entre les morts (1)». Jésus a donc été prédestiné de telle sorte que celui qui devait être le fils de David selon la chair, devint avec puissance le Fils de Dieu selon l'Esprit de sanctification; car il est né du Saint-Esprit et de la Vierge Marie. Tel est donc le mystère ineffable de l'incarnation du Verbe Dieu; mystère en vertu duquel une seule et même personne est en même temps Fils de Dieu et fils de l'homme: fils de l'homme, puisqu'il a réellement revêtu notre humanité, et fils de Dieu, puisque Celui qui s'est fait homme, est réellement le Fils unique de Dieu, et qu'en Dieu il y a, non pas Quaternité, mais Trinité. Cette nature humaine revêtue par le Verbe, a donc été prédestinée à un tel degré de gloire et d'élévation qu'il lui fut absolument impossible de monter plus haut; de même que la nature divine a tellement épuisé toute la mesure des humiliations, qu'il lui fut impossible de descendre plus bas, qu'en revêtant la nature humaine avec la faiblesse de la chair jusqu'à la mort de la croix.

De même donc que Jésus seul a été prédestiné pour devenir notre chef, de même nous avons été prédestinés en grand nombre pour devenir ses membres. Qu'ici se taisent Mous les mérites humains, car ils ont péri par Adam, et que la grâce de Dieu règne par Jésus-Christ Notre-Seigneur, le Fils unique de Dieu, le seul Seigneur et Maître. Celui qui trouvera dans notre chef des mérites antérieurs pour nécessiter cette admirable génération, libre à lui de chercher en nous, qui sommes ses membres, des mérites antérieurs pour nécessiter notre régénération miraculeuse et multipliée. Si la nature humaine en Jésus-Christ a été étrangère à toute obligation du péché; si elle est née du Saint-Esprit et


1. Rm 1,1-4

de la Vierge Marie, c'est par une grâce absolument gratuite, et non en vertu d'une dette rigoureuse. De même quand il nous est donné de renaître de l'eau et du Saint-Esprit, ce n'est point un salaire qui nous est accordé, mais une grâce absolument gratuite qui nous est faite. Et si la foi nous a conduits au bain de la régénération, gardons-nous de penser que nous ayons donné nous-mêmes les premiers quelque chose, de manière à mériter en retour la régénération salutaire; car celui qui nous a donné Jésus-Christ, en qui nous croyons, nous a aussi donné de croire en Jésus-Christ; celui qui a fait Jésus le prince et le consommateur de la foi, établit également sur Jésus, pour les hommes, le commencement et la perfection de la foi. N'est-ce point en ce sens que, dans l'épître aux Hébreux, il est appelé l'auteur et le consommateur de notre foi (1)?



CHAPITRE XVI. LES DONS ET LA VOCATION DE DIEU SONT SANS REPENTANCE.


32. Les nombreux enfants qu'il a prédestinés, Dieu les appelle à devenir les membres de son Fils unique prédestiné. Toutefois, il ne s'agit pas ici de cette vocation comme était celle de ces convives qui, ayant été appelés, refusèrent de se rendre au festin nuptial (2); telle fut aussi la vocation de ces Juifs pour qui Jésus crucifié est un scandale; telle la vocation de ces Gentils, pour qui Jésus crucifié est une folie. La vocation dont je parle esl celle qui est particulière aux prédestinés et qui- nous est signalée par l'Apôtre, quand il déclare qu'aux Juifs appelés et aux Grecs il prêché Jésus-Christ vertu de Dieu et sagesse de Dieu. Voici ses propres paroles: «A ceux mêmes qui sont appelés (3)»; n'est-ce point dire clairement que les autres n'étaient pas appelés; n'est-ce point proclamer qu'il est une vocation particulière à ceux qui sont appelés selon le décret, à ceux que Dieu a connus par sa prescience et qu'il a prédestinés pour être conformes à l'image de son Fils (4)? C'est en parlant de cette vocation que le même Apôtre disait: «Non à cause de leurs oeuvres, mais par la volonté de celui qui appelle, il fut dit à la mère: L'aîné sera assujéti au


1. He 12,2 - 2. Lc 14,16-20 - 3. 1Co 1,20 - 4. Rm 8,28-29

plus jeune (1)». Dit-il: Non à cause de leurs oeuvres, mais à cause de leur foi? Il exclut positivement la foi comme les oeuvres, pour rapporter tout à Dieu. «Par la volonté de celui qui appelle», non pas d'une vocation quelconque, mais d'une vocation qui donne la foi.


33. Cette vocation est également désignée par ces paroles: «Les dons et la vocation de Dieu sont sans repentante». Du reste, un peu d'attention suffira pour nous en convaincre. En effet, l'Apôtre venait de dire: «Je ne veux pas, mes Frères, que vous ignoriez ce mystère, afin que vous ne soyez point sages à vos propres yeux. Or, une partie des Juifs est tombée dans l'aveuglement jusqu'à ce que la plénitude des Gentils entrera dans l'Eglise. Après quoi tout Israël sera sauvé, selon qu'il est écrit: Il sortira de Sion un libérateur qui bannira l'impiété de Jacob, et c'est là l'alliance que je fais avec eux, lorsque j'aurai effacé leurs péchés». Aussitôt il ajoute ces paroles, qu'on ne saurait trop approfondir: «Il est vrai que, selon l'Evangile, ils sont maintenant ennemis à cause de vous, mais selon l'élection ils sont très-aimés, à cause de leurs pères (2)». «Il est vrai que, selon l'Evangile, ils sont maintenant ennemis à cause de vous»; ces paroles ne signifient-elles pas que leur inimitié, sous l'inspiration de laquelle ils ont crucifié Jésus-Christ, a été d'une extrême utilité pour l'Evangile, comme nous en avons la preuve sous les yeux? Cette inimitié entrait donc dans les desseins de Dieu, qui sait tirer le bien du mal; non pas en ce sens que les vases de colère lui procurent directement aucun avantage, mais en ce sens que les vases de miséricorde recueillent le fruit du bon usage que Dieu sait faire des méchants. Quoi de plus formel que cette proposition de l'Apôtre: «Il est vrai que, selon l'Evangile, ils sont maintenant ennemis à cause de vous?»

Ainsi donc les méchants ont le pouvoir de pécher; mais quant à obtenir tel ou tel résultat par leur péché, ceci n'est plus en leur pouvoir, mais uniquement au pouvoir de Dieu, qui sépare les ténèbres et les fait servir à ses fins. C'est ainsi que, même en résistant à la volonté de Dieu, les méchants ne peuvent pas empêcher que la volonté de Dieu


1. Rm 9,12-13 - 2. Rm 11,25-29

s'accomplisse. Nous lisons dans les Actes des Apôtres que, à peine rendus à la liberté, les Apôtres se présentèrent à l'assemblée des fidèles et leur racontèrent tout ce qui leur avait été dit par les prêtres et par les vieillards. Aussitôt la foule tout entière de s'écrier en s'adressant à Dieu: «Seigneur, c'est vous qui avez fait le ciel et la terre, la mer et a tout ce qu'ils renferment; c'est vous qui avez dit par la bouche de notre père, de votre serviteur David: Pourquoi les nations ont-elles frémi, et pourquoi les peuples ont-ils tramé de vains complots? les rois de la terre se sont levés, et les princes se sont assemblés contre le Seigneur et contre son Christ. Voici donc que réellement les Juifs se sont assemblés dans cette ville contre Jésus que vous avez oint; Hérode, Pilate et le peuple d'Israël se sont ligués pour réaliser ce que votre main toute-puissante et vos décrets éternels avaient résolu (1)». C'est bien là l'explication de cette parole: «Il est vrai que, selon l'Evangile, ils sont maintenant ennemis à cause de vous». Ce que la main et les décrets éternels de Dieu avaient résolu de faire par l'organe des Juifs révoltés, c'est ce qui était nécessaire à l'Evangile à cause de nous.

Mais que signifient donc les paroles suivantes: «Selon l'élection, ils sont très-aimés à cause de leurs pères?» Ces ennemis qui ont péri dans leurs inimitiés, et ceux de la même nation qui périssent encore dans leur haine contre Jésus-Christ, seraient-ils donc élus et bien-aimés? Non, certes, et ce serait le comble de la folie de le soutenir. Toutefois ces deux expressions en apparence contradictoires, ennemis et aimés, quoique ne pouvant s'appliquer aux mêmes hommes et en même temps, peuvent s'appliquer néanmoins à la nation des Juifs et à la même race charnelle d'Israël; car, parmi eux, s'il en est qui s'obstineront dans le mal, il en est d'autres que Dieu bénira dans sa miséricorde. C'est la pensée que l'Apôtre formulait un peu plus haut, quand il disait: «Israël n'a point trouvé ce qu'il cherchait»; et encore: «Les autres ont été aveuglés»; il s'agit de ceux qui sont ennemis à cause de nous» . Et puis ceux-là seuls l'ont trouvé, qui ont été choisis de Dieu»; il s'agit évidemment de ceux qui sont aimés à cause de leurs pères»;


1. Ac 4,24-28

342

car c'est à leurs pères que les promesses ont été. faites: «Les promesses», dit l'Apôtre, «ont été faites à Abraham et à sa race (1)». Tel est l'olivier franc sur lequel a été greffé l'olivier sauvage des nations.

Or, nous devons retrouver partout cette élection selon la grâce, et non selon les mérites, car «Dieu a sauvé ceux qu'il s'était réservés selon l'élection de sa grâce (2)»: Cette élection s'est réalisée pour les uns, tandis que les autres ont été aveuglés. C'est en vertu de cette élection que les Israélites ont été aimés à cause de leurs pères. Ils avaient été appelés; non pas de cette vocation générale dont il est dit: «Beaucoup sont appelés (3)», mais de cette vocation qui est spéciale aux élus. Voilà pourquoi l'Apôtre avait à peine prononcé ces paroles: «Selon l'élection, ils sont très-aimés à cause de leurs pères», qu'il s'empresse d'ajouter: «Car les dons et la vocation de Dieu sont sans repentance», c'est-à-dire absolument fixes et immuables. Tous ceux qui sont compris dans cette vocation sont les enfants dociles de Dieu. D'un autre côté, aucun d'eux n'a le droit de dire: J'ai cru, et c'est par là que j'ai mérité cette vocation, car Dieu l'a d'abord prévenu dans sa miséricorde, et il n'a été appelé que pour croire. En effet, tous les enfants dociles de Dieu viennent au Fils; s'ils ont entendu et appris du Père, n'est-ce point par le Fils, qui nous dit sans détour: «Tous ceux qui ont entendu et appris du Père viennent à moi?» D'un autre côté, aucun de ces derniers ne périt, car, tout ce que le Père lui a donné, le Sauveur n'en perdra rien (4). Par conséquent, tous ceux qui sont appelés selon le décret seront sauvés, et aucun d'eux ne périra. De là ces paroles: «Ils sont sortis d'avec nous, mais ils n'étaient pas des nôtres; car s'ils eussent été des nôtres, ils fussent demeurés avec nous (5)».



CHAPITRE XVII. C'EST DIEU QUI LE PREMIER CHOISIT LES HOMMES.


34. Faisons-nous donc une juste idée de cette vocation qui fait les élus; non pas les élus parce qu'ils ont cru, mais les élus afin qu'ils croient. Le Seigneur nous la fait suffisamment entrevoir; quand il dit: «Ce n'est pas vous qui m'avez choisi, mais c'est moi


1. Ga 3,16 - 2. Rm 11,5-17 - 3. Mt 20,16 - 4. Jn 6,39-45- 5. 1Jn 2,19

qui vous ai choisis (1)». Si donc ils étaient élus parce qu'ils avaient cru, n'est-ce pas eux d'abord qui l'avaient choisi en croyant en lui, afin de mériter d'être. choisis à leur tour? Or, cette interprétation n'est pas possible en présente de ces paroles: «Ce n'est pas vous qui m'avez choisi, mais c'est moi qui vous ai choisis» . Sans doute ils l'ont choisi quand ils ont cru en lui. Que signifient donc ces paroles: «Ce n'est pas vous qui m'avez choisi, mais c'est moi qui vous ai choisis?» Elles signifient clairement qu'ils ne l'ont pas choisi afin qu'il les choisît à son tour, mais que lui-même les a d'abord choisis afin qu'à leur tour ils le choisissent. Et en effet, sa miséricorde les a prévenus (2) selon la grâce, et non pas selon leurs mérites acquis. Il les a donc choisis du sein de la multitude pendant son séjour sur la terre, mais il les avait déjà élus en lui-même avant la formation du monde. Telle est cette immuable vérité de la prédestination et de la grâce.

Ecoutons l'Apôtre: «Comme il nous a choisis en lui-même avant la formation du monde (3)». Si ces paroles signifient que Dieu a connu par avance ceux qui croiraient en lui, sans que lui-même dût les rendre croyants; il faut reconnaître que le Sauveur proteste hautement contre cette prescience, quand il s'écrie: «Ce n'est pas vous qui m'avez choisi, mais c'est moi qui d'abord vous ai choisis»; n'est-ce point affirmer que Dieu a fait autre chose que de connaître par avance ceux qui devaient d'abord le choisir, afin de mériter d'être choisis par lui? Dès avant la formation du monde, ils ont donc été élus de cette prédestination, dans laquelle Dieu sait par avance quelles seront ses propres oeuvres; mais s'il s'agit de l'événement même, ils ont été choisis du sein de la multitude par cette vocation qui n'est de la part de Dieu que l'accomplissement de ce qu'il a prédestiné en lui-même.

En effet, ceux qu'il a prédestinés, il les a appelés, mais de cette vocation selon le décret éternel; ceux-là seulement qu'il a prédestinés, il les a appelés; et ceux-là seulement qu'il a appelés, il les a justifiés; et enfin, ceux qu'il a glorifiés, ce sont ceux-là seulement qu'il prédestinés, appelés et justifiés (4); et tout cela en vue d'un bonheur qui n'aura pas de fin. Dieu a donc élu les fidèles, mais pour les


1. Jn 15,16 - 2. Ps 58,11 - 3. Ep 1,4 - 4. Rm 8,30

343

rendre fidèles, et non point parce qu'ils l'étaient déjà. Ecoutons l'apôtre saint Jacques: «Dieu n'a-t-il pas choisi ceux qui étaient pauvres en ce monde pour les rendre riches dans la foi et héritiers du royaume qu'il a promis à ceux qui l'aiment (1)?» Ainsi donc, en les choisissant, il les fait en même temps riches dans la foi et héritiers de son royaume. Il les choisit pour opérer en eux ce qui fait le caractère de ses élus. Après avoir entendu ces paroles du Sauveur: «Ce n'est pas vous qui m'avez choisi, mais c'est moi qui vous ai choisis», qui donc oserait dire encore que les hommes croient afin qu'ils soient choisis, quand ait contraire ils sont choisis afin qu'ils croient, autrement il faudrait accuser de mensonge le Sauveur quand il s'écrie: «Ce n'est pas vous qui m'avez choisi, mais c'est moi qui vous ai choisis»; ce qui prouve clairement que ce ne sont pas les hommes qui les premiers choisissent le Seigneur.



CHAPITRE XVIII. DIEU NOUS A CHOISIS AFIN QUE NOUS FUSSIONS SAINTS ET IMMACULÉS.


35. Ecoutons maintenant l'apôtre saint Paul: «Béni soit Dieu, le Père de Notre-Seigneur Jésus-Christ, qui nous a comblés en Jésus-Christ de toutes sortes de bénédictions spirituelles pour le ciel, ainsi qu'il nous élus en lui avant la création du monde par l'amour qu'il nous a porté, afin que nous fussions saints et irrépréhensibles devant ses yeux. Il nous a prédestinés par un effet de sa bonne volonté, pour nous rendre ses enfants adoptifs par Jésus-Christ, afin que la louange et la gloire en soit donnée à sa grâce, par laquelle il nous a rendus agréables à ses yeux en son Fils bien-aimé, dans lequel nous trouvons la rédemption en son sang et la rémission de nos péchés, selon les richesses de sa grâce, qu'il a répandue sur nous avec abondance en nous remplissant d'intelligence et de sagesse, pour nous faire connaître le mystère de sa volonté, fondé sur sa bienveillance, par laquelle il avait résolu en lui-même que les temps qu'il avait ordonnés étant accomplis, il réunirait tout en Jésus-Christ, tant ce qui est dans le ciel que ce qui est sur la terre. C'est aussi en lui que la


1. Jc 2,5

vocation nous est échue comme par sort, ayant été, prédestinés par le décret de celui qui fait toutes choses selon, le dessein et le conseil de sa volonté, afin que nous fussions pour sa louange et pour sa gloire (1)». Devant un langage aussi formel, peut-on douter encore de la vérité que nous soutenons? Dieu a choisi en Jésus-Christ les membres de ce même Jésus-Christ dès avant la formation du monde; comment donc a-t-il choisi des hommes qui n'existaient pas encore, si de n'est par la prédestination elle-même? Il nous a choisis en nous prédestinant. Choisirait-il les impies et les impudiques? Qu'on demande quels sont ceux que Dieu choisit, les impies ou les saints et les justes; la réponse se ferait-elle attendre, et n'affirmerait-on pas sur-le-champ que l'élection divine est tombée sur les saints et les justes?


36. «Dieu», dit Pélage, «connaissait à l'avance ceux qui seraient saints et purs par le libre arbitre de leur volonté; voilà pourquoi, dans sa prescience infinie, il les a choisis avant la formation du monde, parce qu'il savait ce qu'ils seraient. Il les a choisis», continue-t-il, «avant qu'ils ne fussent, les prédestinant à devenir ses enfants, parce qu'il savait par avance qu'ils seraient saints et immaculés; ce n'est point lui qui les a rendus ou les rendra tels, mais il a prévu qu'ils le seraient». Etudions donc les paroles de l'Apôtre, et voyons si Dieu, dès avant la formation du monde, nous a choisis parce que nous devions être saints et justes, ou bien s'il nous a choisis afin que nous le devenions . «Béni soit Dieu», dit-il, «le Père de Notre-Seigneur Jésus-Christ, qui nous a comblés en Jésus-Christ de toutes sortes de bénédictions spirituelles pour le ciel, ainsi qu'il nous a élus en lui avant la création du monde, afin que nous fussions saints et irrépréhensibles». «Afin que nous fussions», dit-il, et non pas parce que nous étions. Cette conclusion est de toute évidence; nous devions être saints et irrépréhensibles parce qu'il nous a choisis lui-même, nous prédestinant à devenir tels par l'efficacité de sa grâce. Voilà pourquoi «il nous a comblés en Jésus-Christ de toutes sortes de bénédictions spirituelles pour le ciel, comme il nous a élus en lui avant la création du monde, afin que nous fussions saints et


1. Ep 1,3-12

344

irrépréhensibles, nous ayant prédestinés par un effet de sa bonne volonté, pour nous rendre ses enfants adoptifs en Jésus-Christ».

Maintenant voyez ce qui suit: «Il nous a prédestinés par un effet de sa bonne volonté», afin que nous ne fussions pas tentés d'attribuer à notre propre volonté ce grand bienfait de la grâce. C'est aussi dans cette même volonté et cette même grâce «qu'il nous a rendus agréables à ses yeux en son Fils bien-aimé». C'est donc par sa grâce qu'il nous a rendus gracieux à ses yeux, comme c'est par sa justice qu'il nous a justifiés. Jésus-Christ, dit-il, «en qui nous trouvons la rédemption par son sang, et la rémission de nos péchés, selon les richesses de sa grâce, qu'il a répandue sur nous avec abondance, en nous remplissant d'intelligence et de sagesse pour nous faire connaître le mystère de sa volonté, fondé sur sa propre bienveillance». C'est dans le mystère de sa volonté qu'il a déposé les richesses de sa grâce, selon sa bonne volonté, et non pas selon la nôtre, car la nôtre ne peut être bonne que quand elle est aidée à le devenir par la volonté même de Dieu. Or, c'est par cette bonne volonté qu'il avait résolu en lui», c'est-à-dire en son Fils bien-aimé, «que les temps qu'il avait ordonnés étant accomplis, il rétablirait tout en Jésus-Christ, tant ce qui est dans le ciel que ce qui est sur la terre. C'est aussi en lui que la vocation nous est échue comme par le sort, ayant été prédestinés par le décret de celui qui fait toutes choses selon le dessein et le conseil de sa volonté, afin que nous soyons pour lui un sujet de gloire et de louange».


37. Un examen approfondi de chacune de ces paroles nous conduirait trop loin. Il suffit que l'oracle de l'Apôtre nous apparaisse comme la justification manifeste de cette grâce, à la gratuité de laquelle nos adversaires opposent les mérites personnels de l'homme, comme si l'homme donnait le premier et méritait ainsi de recevoir à son tour. Or, il est certain que Dieu nous a choisis en Jésus-Christ avant la formation du monde, nous prédestinant à devenir ses enfants adoptifs; non pas en ce sens que nous devions par nous-mêmes nous rendre saints et immaculés, mais en ce sens que nous avons été choisis et prédestinés pour devenir saints et immaculés.

D'un autre côté, comme cette élection et cette prédestination sont de la part de Dieu l'oeuvre parfaitement libre de sa volonté, si l'homme a le droit de se glorifier, ce n'est point dans sa volonté, mais uniquement dans la volonté de Dieu. En effet, le Seigneur, pour nous combler de ses dons, n'a consulté que les.. richesses de sa grâce et sa bienveillance infinie, personnifiée dans son Fils bien-aimé, en qui nous sommes élus et prédestinés selon le décret éternel de celui qui opère en nous. toutes choses, et même le vouloir (1). Or, s'il agit ainsi à notre égard, c'est selon le décret de sa volonté, afin que nous devenions les témoins et les instruments de sa gloire. De là, ce cri sans cesse répété: «Que personne ne se glorifie dans l'homme (2)», ni par conséquent en lui-même; mais «que celui qui se glorifie se glorifie dans le Seigneur (3)»,afin que nous soyons les témoins et les instruments de sa gloire. Dieu, dès lors, opérons en nous selon son décret, afin que nous soyons les témoins et les instruments de sa gloire, c'est-à-dire saints et immaculés, car c'est dans ce but qu'il nous a appelés et prédestinée avant la formation du monde. Par suite de ce décret, nous devons regarder comme sou oeuvre propre la vocation des élus, au bien desquels il fait tourner toutes choses; car c'est selon son décret qu'ils ont été appelés (4), et les dons et la vocation de Dieu sont sans repentante.




Augustin, de la prédestination des Saints. - CHAPITRE XIII. LE BAPTÊME N'EST PAS DONNÉ DANS LA PRÉVISION DE LA PÉNITENCE.