Augustin, du Baptême - CHAPITRE XII.LE BAPTÊME DE CELUI QUI BAPTISE DANS LE SAINT-ESPRIT.

CHAPITRE XII.LE BAPTÊME DE CELUI QUI BAPTISE DANS LE SAINT-ESPRIT.

44. Je puis donc emprunter à Cyprien lui-même ces belles paroles si propres à frapperl'esprit des auditeurs, et à jeter de nouvelles lumières sur le mystère que nous étudions: «Jean était le plus grand de tous les prophètes; dès le sein de sa mère il fut rempli de la grâce divine; doué de l'esprit et de la vertu d'Elie, il ne fut point l'adversaire du Seigneur, mais son précurseur et son héraut; il annonça le Sauveur par ses paroles et le présenta même aux regards de la foule; enfin il eut la gloire de baptiser Celui par qui tous les autres sont baptisés». Ainsi donc, malgré toute sa grandeur, il n'a pu empêcher que ceux qu'il avait baptisés nedussent recevoir un second baptême, et dans l'Eglise personne ne pense à réitérer le baptême après les avares, les trompeurs, les voleurs, les usuriers? Si j'osais jeter ce cri de jalousie, ne me répondrait-on pas: Quelle inconvenance voyez-vous à cela? Craindriez-vous de déshonorer saint Jean, ou d'honorer les avares? Le baptême qu'on ne doit pas réitérer, c'est le baptême de Celui dont il est dit: «Voilà celui qui baptise dans le Saint-Esprit (Jn 1,33)». Quel que soit le ministre qui le confère, ce baptême est toujours le baptême de Celui «qui baptise dans le Saint-Esprit (Jn 1,33)». Quand l'apôtre saint Paul ordonne de baptiser en Jésus-Christ ceux mêmes qui ont été baptisés par le Précurseur, ce n'est pas le baptême de saint Jean qui leur est réitéré. Ce qu'ils n'avaient pas reçu de l'ami de l'Epoux, ils durent le recevoir de l'Epoux lui-même, c'est-à-dire de Celui dont il avait été dit par l'ami lui-même: «Voilà Celui qui baptise dans le Saint-Esprit».


CHAPITRE XIII.CE QUE LE SAINT-ESPRIT RÉVÈLE À SAINT JEAN.

15. Le Seigneur aurait pu, s'il l'avait voulu, mettre en possession de son baptême tels ou tels de ses principaux serviteurs, de ceux qu'il avait constitués ses amis en leur disant:«Je ne vous nommerai plus mes serviteurs, mais mes amis (Jn 15,15)». De même qu'il avait donné à une simple verge le pouvoir de fleurir pour prouver le sacerdoce d'Aaron (Nb 17,8); de même, dans son Eglise, où tant de miracles se sont accomplis, ne pouvait-il point, par quelque prodige signalé, montrer ceux de ses ministres à qui l'éminence de leur sainteté méritait le glorieux privilège de baptiser? Toutefois, si le Sauveur eût agi de cette manière, le baptême, quoique conféré au nom de Jésus, n'eût-il pas paru n'être que le baptême de ces ministres, comme le baptême de saint Jean était son propre baptême? Voilà pourquoi l'Apôtre rend grâces à Dieu de n'avoir baptisé aucun de ceux qui, oubliant au nom de qui ils avaient été baptisés, se divisaient en autant de sectes qu'ils connaissaient de ministres collateurs du baptême (1Co 1,12-15)». Or, nous savons que ce sacrement, quoique conféré par un indigne, est aussi efficace par lui-même que s'il est conféré par un apôtre; voilà pourquoi sous la main de l'un ou de l'autre nous disons que c'est toujours le baptême de Jésus-Christ; c'est là du reste ce que saint Jean nous révèle avoir appris de l'Esprit-Saint descendant sous la forme de colombe.Quant à ces autres paroles: «Et moi je ne le connaissais pas», il m'est difficile d'en comprendre le sens. En effet, s'il n'avait eu du Sauveur aucune connaissance, comment donc, lorsqu'il l'entendit lui demander le (137) baptême, se serait-il écrié: «C'est moi qui dois être baptisé par vous (Mt 3,14)?» Que signifient donc ces paroles: «J'ai vu le Saint-Esprit descendant du ciel sous la forme d'une colombe, et il s'est reposé sur lui. Pour moi, je ne le connaissais pas; mais celui qui m'a envoyé baptiser dans l'eau, m'a dit: Celui sur lequel tu verras le Saint-Esprit descendre du ciel et se reposer, c'est celui-là «qui baptise dans le Saint-Esprit (Jn 1,32-33)». La colombe est en effet descendue au moment du baptême de Jésus-Christ. Mais auparavant, et dès la demande qui lui fut adressée de donner le baptême, saint Jean s'écria: «C'est moi qui dois être baptisé par vous». Il le connaissait donc; et pourtant il nous dit: «Pour moi, je ne le connaissais pas; mais celui qui m'a envoyé baptiser dans l'eau, c'est lui-même qui m'avait dit: Celui sur lequel tu verras le Saint-Esprit descendre du ciel et se reposer, c'est lui qui baptise dans le Saint-Esprit». Or, ceci ne se passa qu'au moment même du baptême; par conséquent, si le précurseur connaissait Jésus à tel point de vue, il ne le connaissait pas à tel autre. Il le connaissait comme l'Epoux véritable et comme Fils de Dieu, nous faisant part de la plénitude de ses grâces; mais parce qu'il avait reçu de cette plénitude le pouvoir de baptiser, de telle sorte que son baptême fut appelé le baptême de Jean, il ignorait entièrement si ce privilège serait accordé à d'autres, ou bien s'il n'y aurait désormais qu'un seul et même baptême, le baptême de Jésus-Christ, peu importe d'ailleurs qu'il fût conféré par un ministre d'une sainteté éclatante, ou d'une sainteté purement intérieure, par un homme capable de produire cent, ou soixante, ou trente pour un, par le froment ou par la paille. C'est là ce qui lui fut révélé par le Saint-Esprit descendant sous la forme d'une colombe et se reposant sur le Sauveur.


CHAPITRE XIV.LE BAPTÊME TOUJOURS LE MÊME, MALGRÉ LA DIVERSITÉ DES MINISTRES.

16. Nous entendons l'Apôtre se servir d'expressions comme celles-ci: «Ma gloire (1Co 9,15) mon ministère (Rm 11,13); ma prudence (Ep 3,4); mon Evangile (2Tm 2,8)», tout en reconnaissant que ces dons lui viennent du Seigneur; quant au sacrement dont nous parlons, nous ne voyons pas qu'aucun apôtre ait jamais dit: Mon baptême. La gloire de ces Apôtres n'est pas la même pour tous; leur ministère n'est pas égal; ils ne sont pas tous doués de la même prudence; la prédication n'a pas été aussi fertile et aussi laborieuse pour les uns que pour les autres; on peut même ajouter que l'un a été plus savant et plus habile que l'autre dans la doctrine du salut. Et cependant de tous les chrétiens on ne peut pas dire que l'un ait été plus ou moins baptisé que l'autre, que ce sacrement lui ait été conféré par un ministre inférieur ou supérieur. «Il est aisé de connaître les oeuvres de la chair, qui sont la fornication, l'impureté, l'impudicité, la dissolution, l'idolâtrie, les empoisonnements, les inimitiés, les dissensions, les jalousies, les animosités, les querelles, les divisions, les hérésies, les envies, les meurtres, les ivrogneries, les débauches et autres choses semblables (Ga 5,19-21)». Or, voici la réflexion que me suggèrent ces paroles: Si l'on s'étonne de voir le baptême de Jésus-Christ conféré à des hommes déjà baptisés par saint Jean, tandis qu'on ne réitère pas ce sacrement quoique conféré par des hérétiques; pourquoi ne pas s'étonner qu'on ait baptisé des hommes déjà baptisés par saint Jean, tandis qu'on ne rebaptise pas après des ministres jaloux? Dans sa lettre sur l'envie et la jalousie, Cyprien lui-même ne classe-t-il pas les jaloux au nombre des partisans du démon? ne rappelle-t-il pas, en se fondant sur le témoignage de l'apôtre saint Paul, que dès les temps apostoliques, il-se trouvait des ministres qui s'inspiraient de l'esprit de jalousie ( Cyp., Lettre LXXII1,à Jubaianus )?


CHAPITRE XVI.LE BAPTÊME PEUT ÊTRE VALIDE, QUOIQUE ILLICITE.

17. Je ne crois pas avoir besoin d'insister pour prouver que le baptême de Jean n'était pas le baptême de Jésus-Christ. Par conséquent, on pouvait fort bien baptiser après saint Jean, sans que ce fût une raison pour baptiser après les hérétiques. Saint Jean n'était pas un hérétique, et parce qu'il avait la charité de Jésus-Christ, il avait pu recevoir l'ordre de baptiser, quoique le baptême qu'il conférait ne fût pas le baptême de (138) Jésus-Christ. De même un hérétique peut avoir le baptême de Jésus-Christ et la perversité du démon, comme un membre de l'unité peut avoir le baptême de Jésus-Christ et la jalousie du démon.
18. On insiste et l'on dit: Pourquoi ne pas rebaptiser après les hérétiques, puisqu'on baptisait après saint Jean qui n'était pas hérétique? Tel autre ajoutera: Pourquoi ne pas rebaptiser après un ministre ivrogne, puisqu'on rebaptisait après saint Jean qui était d'une sobriété parfaite? A cela voici ce que nous pouvons répondre: Les hommes baptisés par saint Jean n'avaient pas le baptême de Jésus-Christ; en les rebaptisant on leur donnait ce qu'ils n'avaient pas encore reçu; quant à ceux qui ont reçu le baptême de Jésus-Christ, à quelque degré de perversité qu'ils s'abandonnent, rien ne pourra les empêcher de porter en eux ce baptême.
19. Il est donc faux de dire «que l'hérétique a pu obtenir le droit du baptême, parce qu'il a baptisé le premier»; il faudrait dire: Parce que ce n'est pas son propre baptême qu'il confère; et quoiqu'il n'ait pas eu le droit de baptiser, cependant c'est bien le baptême de Jésus-Christ qu'il a conféré, et c'est bien à Jésus-Christ qu'appartient celui qui a reçu ce sacrement. Beaucoup de choses se font contre le droit; elles n'en sont pas moins faites et ne sont pas toujours nulles, Celui qui ne renonce au siècle que du bout des lèvres et non point par ses oeuvres; n'a pas le droit de recevoir le baptême, et cependant il le reçoit. Qu'il y eut de tels hommes dans l'Eglise, Cyprien le constatait de son temps; nous-mêmes nous en avons la preuve sous les yeux et nous en gémissons.
20. Je ne comprends pas que l'on puisse dire «que le baptême et l'Eglise ne peuvent être ni séparés ni divisés». Car si le baptême demeure inséparablement dans celui qui a été baptisé, comment donc ce dernier peut-il être séparé de l'Eglise, tandis que le baptême ne peut en être séparé? Or, il est certain que le baptême imprime à celui qui l'a reçu un caractère ineffaçable; quel que soit le gouffre du mal dans lequel il se plonge, quels que soient les crimes auxquels il s'abandonne, fût-ce même à l'apostasie, il est et il reste baptisé; voilà pourquoi ce sacrement ne saurait lui être réitéré. D'un autre côté, peut-on douter qu'un homme baptisé puisse se séparer de l'Eglise? Le nom seul des hérésies ne prouve-t-il pas qu'elles sont toutes sorties du sein de l'Eglise? C'est par là surtout qu'elles trompent les fidèles.


CHAPITRE XVI.LA PRIMAUTÉ NE SE CONFOND PAS TOUJOURS AVEC L'UNITÉ.

Quand donc un homme baptisé se sépare de l'Eglise, il est certain qu'il ne perd pas le baptême, et par conséquent le baptême se sépare avec lui. De là je conclus que tous ceux qui possèdent le baptême n'appartiennent pas pour cela à l'Eglise; de même tous ceux qui sont membres de l'Eglise, ne possèdent point par cela seul la vie éternelle. Ou si nous admettons que ceux-là seuls appartiennent à l'Eglise, qui observent les préceptes divins, nous trouverons que beaucoup possèdent le baptême et n'appartiennent pas à l'Eglise.
21. Il n'est donc pas vrai de dire «que l'hérétique s'empare par avance du baptême», puisque c'est de I'Eglise elle-même qu'il le reçoit. D'un autre côté, en se jetant dans le schisme il n'a pas perdu le baptême, puisque nous- avouons qu'il possède ce sacrement, quoiqu'il soit lui-même séparé de l'Eglise. De même «personne ne se dépouille de la primauté pour l'accorder à l'hérétique», puisque nous affirmons que le schismatique a emporté avec lui dans sa séparation ce même baptême qu'il ne peut conférer légitimement, et qui cependant est légitimé;et qu'il ne possède même pas légitimement,quoique par lui-même ce baptême soit légitime. Quant à la primauté, elle consiste dans une vie juste et sainte, à laquelle sont appelés tous les enfants de l'épouse sans tache et sans ride (Ep 5,27), et tous les membres de cette colombe qui gémit sans cesse sur là perversité d'un si grand nombre de corbeaux. On ne dira pas sans doute que la primauté appartient à tous ces hommes si bien figurés dans la personne d'Esaü vendant son droit d'aînesse pour un plat de lentilles (Gn 25,29-34); je veux parler de ces ministres injustes, voleurs, usuriers, jaloux, ivrognes, comme étaient ceux sur lesquels Cyprien versait de son temps des larmes si amères.Ainsi donc, ou appartenir à l'Eglise, ce n'est pas occuper le premier rang dans les choses divines; ou bien, si tous ceux qui (139) appartiennent à l'Eglise jouissent par là même de la primauté, il faut regarder comme réellement séparés de l'Eglise tous ces ministres coupables qui lui appartiennent extérieurement, confèrent le baptême et le possèdent validement. Pour leur accorder la primauté dans les choses divines, ne faudrait-il pas être privé de toute notion religieuse?

CHAPITRE XVII.CONCLUSION DE LA LETTRE DE CYPRIEN.

22. Après toutes les explications et tous les développements qui précèdent nous arrivons à ces paroles pacifiques qui terminent la lettre de Cyprien, et qu'on ne saurait se lasser ni de lire ni de répéter, tant elles exhalent les joies de l'amour fraternel et les douceurs de la charité. «Telles sont, frère bien-aimé, les réflexions que j'ai cru devoir vous adresser dans ma médiocrité; je ne prescris ni ne préjuge rien, et je laisse à chaque évêque le droit d'agir comme il l'entendra, dans la plénitude de son libre arbitre. Pour ce qui me regarde, je m'abstiens, à l'occasion des hérétiques, de discuter avec mes collègues dans l'épiscopat; car avant tout je veux rester avec eux dans la concorde et la paix du Seigneur et me rappeler sans cesse ces paroles de l'Apôtre: Si quelqu'un aime à contester, pour nous ce n'est point là notre habitude, ni celle de l'Eglise de Dieu (1Co 11,16). Nous conservons dans la patience et dans la douceur la charité de l'esprit, l'honneur du collège épiscopal, le lien de la foi, la concorde du sacerdoce. C'est dans ce but que j'ai composé un petit ouvrage sur le Mérite de la Patience, avec tout le soin que m'a permis ma médiocrité, et comptant avant tout sur la grâce et le secours de Dieu. Comme preuve de notre mutuelle dilection, je vous ai adressé ce livre».
23. Plusieurs considérations nous restent à faire sur ces paroles, dans lesquelles brille de tout son éclat la charité chrétienne de cet évêque qui a aimé la beauté de la maison du Seigneur et la splendeur de son tabernacle (Ps 25,8), Et d'abord il a clairement formulé sa pensée; ensuite il s'est renfermé dans les bornes de la mansuétude et de la paix; il a vécu en communion avec ceux qui ne partageaient pas son opinion; il a compris qu'il n'y avait de salut et de garanties possibles que dans le lien de l'unité; il a aimé par-dessus tout cette unité et l'a conservée avec autant de prudence que de dévouement; il a compris que les partisans d'opinions différentes peuvent cependant conserver réciproquement la charité; à l'égard des méchants il ne s'est jamais flatté de conserver la concorde et la paix du Seigneur; on peut avoir de la charité pour eux, mais quant à vivre dans la paix avec eux, c'est une chose impossible, puisqu'ils se posent eux-mêmes en ennemis de la paix; enfin il n'a voulu imposer à personne ni sa manière d'agir, ni sa manière de penser, laissant chaque évêque parfaitement libre de ses oeuvres et de ses jugements, et il nous autorisait ainsi à traiter avec lui pacifiquement ces graves et importants sujets. En effet, n'est-il pas toujours présent au milieu de nous, non-seulement par ses lettres, mais surtout par cette charité que l'on vit briller en lui d'un si vif éclat, et dont jamais il ne voulut se départir?A mon tour, si je n'en suis pas. empêché par la multitude et la gravité de mes fautes, désirant lui rester intimement uni et comptant sur le secours de ses prières, je montrerai que Cyprien, par ses lettres surtout, fut l'instrument le plus puissant dont Dieu se servit pour gouverner son Eglise dans la paix et dans les joies de l'unité. Apprenant par ses paroles à me revêtir des entrailles de l'humilité, si j'arrive à prouver que l'opinion que je partage avec l'Eglise universelle est la seule véritable, je n'aurai garde de me préférer à lui, et tout en regrettant qu'il se soit trompé, je n'oublierai pas qu'il est resté fidèlement attaché à l'unité de l'Eglise. Rappelons-nous que cette question de la réitération du baptême n'était pas encore résolue, et que Cyprien sur cette matière avait embrassé une opinion contraire à celle d'un grand nombre de ses collègues; nous comprendrons alors quelle force d'âme il dut déployer pour se maintenir toujours dans les bornes de la modération et épargner à l'Eglise de Dieu les douleurs de la division et du schisme; à ce titre seul il me semble plus digne d'admiration, qu'il ne l'aurait été s'il fût resté dans la vérité, mais sans montrer autant de vertu. De ma part ce serait l'offenser que d'exalter son génie, son éloquence et l'abondance de sa doctrine, au détriment d'un concile général, auquel il assista spirituellement par son (140) attachement à l'unité; ce serait là pour lui une injure d'autant plus grave que, placé dans le séjour des élus, il y jouit de tout l'éclat de cette vérité dont il avait fait sur la terre l'objet de ses paisibles recherches. Du sein de cette abondance dont il goûte les douceurs, tous nos discours qui nous paraissent si éloquents, ne lui semblent que des jeux d'enfants; il comprend combien il fut sagement inspiré de n'avoir rien de plus cher que l'unité dans l'Eglise. Ce lui est une bien douce jouissance de contempler l'infinie prévoyance et l'infinie miséricorde avec lesquelles le Seigneur, pour écraser notre orgueil, a voulu choisir ce qu'il y avait de plus insensé dans le mondé pour confondre les sages. Enfin il admiré avec quelle sagesse Dieu a coordonné les membres de son Eglise, pour empêcher que ses ministres, se prenant d'un coupable orgueil à la vue de leur génie ou de leurs écrits, n'en vinssent à ignorer l'auteur de ces dons et ne se crussent nécessaires à la diffusion de la parole évangélique.Oh! quelle n'est pas la joie de Cyprien! Du sein de la lumière éternelle, comme il comprend qu'il importe quelquefois au salut de plusieurs, que les orateurs les plus chrétiens et les plus pieux tombent involontairement dans l'erreur, tandis que les écrits des Pêcheurs sont absolument irrépréhensibles! Appuyé sur la joie dont jouit ce grand évêque, je me croirais par trop téméraire de penser et de dire que mes livres sont exempts dé toute tache et de toute erreur involontaires. Et quand je le condamne d'avoir voulu recevoir les hérétiques autrement qu'on ne les recevait dans le passé, comme il le constate lui-même, et autrement qu'on ne les reçoit aujourd'hui selon l'antique coutume sanctionnée par le décret d'un concile général, ce n'est pas mon opinion personnelle que je préfère à la sienne, mais la doctrine de la sainte Eglise catholique, qu'il a aimée et qu'il aime et dans laquelle il a produit les fruits les plus abondants par sa patience et sa douceur. Il ne fut pas l'Eglise universelle, mais il demeura dans l'universalité de l'Eglise. Il ne quitta jamais le tronc vivant de l'Eglise, mais afin qu'il y puisât une plus grande fécondité, il fut émondé par l'agriculteur céleste. Enfin, pour assurer la paix et le salut de l'Eglise, et pour empêcher que le bon grain ne fût arraché avec la zizanie, il réprouva énergiquement les crimes de ces hommes qui appartenaient extérieurement à l'unité de l'Eglise, et cependant il supporta leur présence avec une charité qui ne se démentit jamais.


CHAPITRE XVIII.LE BAPTÊME RESTE TOUJOURS VIVANT.

24. Le saint martyr nous enseigne donc clairement que beaucoup d'hommes morts aupéché, et par là même exclus de la société de Jésus-Christ et n'étant plus membres de la colombe unique, innocente et simple, paraissent cependant appartenir à l'unité, reçoivent le baptême et le confèrent, ce qu'ils ne feraient pas si la colombe seule avait le pouvoir de baptiser. Quoiqu'en eux la grâce soit morte, le baptême y vit, car il est le baptême de Celui qui ne meurt plus et sur qui la mort a perdu tout empire. De tels ministres sont réellement morts à l'unité, ou à l'âme de l'Eglise, et cette mort n'est point secrète, car autrement Cyprien ne formulerait pas contre eux des accusations aussi précises; par conséquent ils n'appartiennent pas ou ils n'appartiennent plus à cette colombe toujours vivante et pure. D'un autre côté, on doit regarder commue morts extérieurement, c'est-à-dire au corps même de l'Eglise, tous ceux qui par des crimes manifestes ont montré qu'ils n'appartiennent pas ou qu'ils n'appartiennent plus à l'Eglise. Or, il est admis en principe que «personne ne peut être vivifié «que par celui qui a la vie»; et cependant il est certain que tous ceux qui apportent au baptême une véritable conversion du coeur et l'amour de l'unité, fussent-ils baptisés; dans cette même unité, par des ministres indignes, sont réellement vivifiés, ce qui prouve que celui qui les vivifie, c'est Celui-là même qui a institué le baptême. Au contraire, s'ils ne renoncent au siècle que du bout des lèvres et non point par leurs oeuvres, comme font, selon saint Cyprien, un trop grand nombre de ceux qui appartiennent à l'unité, il n'y a de vivification possible pour eux qu'autant qu'ils se convertiront sincèrement, et cependant, dussent-ils ne pas se convertir, ils ne laissent pas d'avoir le baptême véritable. Par la même raison, ceux qui sont morts extérieurement à l'unité, «quoiqu'ils ne puissent ni vivre ni vivifier», possèdent cependant le baptême vivant, qui sera pour eux le principe de la vie véritable dès qu'ils se convertiront et rentreront dans la paix de l'unité. (141)


CHAPITRE XIX. L'ANCIENNE COUTUME FONDÉE SUR LA. RAISON ET LA VÉRITÉ.

25. Quand donc «s'appuyant sur l'ancienne coutume» nos évêques accueillaient les hérétiques comme l'Eglise les accueille aujourd'hui, c'est-à-dire avec le seul baptême qu'ils avaient reçu dans le schisme, personne n'était en droit de les blâmer et de leur dire: «Dans le principe tous les anciens hérétiques et schismatiques avaient d'abord appartenu à l'Eglise et y avaient reçu le baptême avant de se jeter dans le schisme; voilà pourquoi il n'était nullement nécessaire de les rebaptiser quand ils rentraient dans l'unité».Dès qu'une hérésie existait, dès qu'elle se séparait de la communion catholique, elle pouvait, je ne dis pas le lendemain, mais le jour même conférer le baptême à ceux qui demandaient à entrer dans son sein. Or, selon l'ancienne coutume que personne ne peut révoquer en doute, on recevait les hérétiques sans leur réitérer le baptême; n'est-il donc pas évident que dans le nombre il s'en trouvait qui n'avaient été baptisés que dans le schisme ou l'hérésie?
26. Je ne comprends pas pour quel motif on ne regarderait point «comme une brebis errante» celle qui, tout en cherchant le salut chrétien, s'est laissé séduire par l'erreur et a été baptisée par les hérétiques; peut-on la regarder comme appartenant à l'unité catholique, quand il est certain qu'elle ne renonçait au siècle que du bout des lèvres et non point par ses oeuvres, et recevait le baptême dans cette mauvaise disposition? Ou bien, si elle ne devient brebis qu'au moment où elle se tourne vers Dieu par une communion sincère, j'établirai la comparaison suivante: Celui qui avait le baptême sans devenir brebis, n'a pas besoin de recevoir le baptême quand il devient brebis; de même Celui qui renonce à l'hérésie pour devenir brebis, n'a pas besoin de recevoir de nouveau le baptême, s'il a été baptisé dans l'hérésie, quoiqu'alors il n'eût pas été brebis. Jusque dans l'unité catholique il y a des pécheurs, des avares, des jaloux, des ivrognes, des profanateurs de la discipline chrétienne, qui tous peuvent mériter le nom de menteurs, d'aveugles, de cadavres et d'antéchrists. Et cependant, soutiendra-t-on qu'ils ne baptisent pas, parce qu'il «ne peut rien y avoir de commun entre le mensonge et la vérité, entre les ténèbres et la lumière, entre la mort et l'immortalité, entre l'antéchrist et Jésus-Christ?»
27. Ce n'est donc pas seulement «au nom de la coutume, mais au nom de la raison «et de la vérité», que nous affirmons du baptême de Jésus-Christ qu'il ne peut être perverti par la perversité des hommes, et qu'il reste valide dans les plus grands pécheurs. L'apôtre saint Jean proclame hautement que «celui qui hait son frère, demeure encore «dans les ténèbres (1Jn 2,9)», et que «celui qui hait son frère est homicide (Jn 3,15)», Pourquoi donc de tels hommes sont-ils baptisés dans l'unité de l'Eglise par des ministres auxquels Cyprien reproche de s'abandonner à une envie haineuse (Cyp., Lettre LXXII1,à Jubaianus)?


CHAPITRE XX.C'EST DIEU LUI-MÊME QUI BAPTISE PAR SON MINISTRE.

Comment un homicide peut-il purifier et sanctifier l'eau? Comment l'huile peut-elle être bénite par les ténèbres? Or, pourvu que Dieu reste présent à ses sacrements et à ses paroles, n'importe par qui ses sacrements soient administrés, ils conservent toujours leur validité essentielle, et les pécheurs auxquels ses sacrements restent inutiles, deviennent pécheurs aussi bien dans l'unité que dans le schisme.
28. Que peut donc signifier cette parole «L'hérétique n'a pas le baptême, puisqu'il n'est pas dans l'unité de l'Eglise?» Il est certain cependant «qu'on l'interroge sur la «sainte Eglise avant de lui conférer le baptême». De même celui qui ne renonce au siècle que du bout des lèvres, et non point par ses oeuvres, doit répondre à la même question dans la cérémonie du baptême. Or, la fausseté de sa réponse ne l'empêche pas de recevoir validement le baptême; pourquoi donc en serait-il autrement de l'hérétique? Plus tard, quand ce mauvais catholique, revenant à de meilleures dispositions, parlera franchement, on se contentera de constater sa conversion sans lui réitérer le baptême; de même doit-il en être de l'hérétique, quand il revient à l'Eglise; interrogé sur ce point il (142) avait répondu mensongèrement, parce qu'il croyait avoir ce qu'il n'avait pas; dès qu'il se convertit on lui donne ce qu'il n'avait pas, c'est-à-dire la véritable Eglise, mais on ne lui réitère pas ce qu'il a déjà validement reçu, c'est-à-dire le baptême.Avec les paroles qui procèdent de la bouche d'un homicide, Dieu «peut sanctifier l'huile; pourquoi donc ne le pourrait-il pas sur l'autel érigé par les hérétiques?» Je l'ignore, à moins qu'on n'admette que Dieu ne s'arrête pas devant un coeur criminel appartenant à l'unité, tandis qu'il s'arrête devant le bois fallacieusement érigé dans le schisme; de telle sorte que ce même Dieu, qui ne se laisse jamais surprendre aux mensonges des hommes, se rendrait présent dans le premier cas, et dans le second refuserait son assistance aux sacrements. Si cette parole de l'Evangile «Dieu n'écoute pas le pécheur (Jn 9,31)», signifie que les sacrements ne peuvent être validement conférés par des ministres pécheurs; comment donc exauce-t-il l'homicide qui l'invoque soit sur l'eau du baptême, soit sur l'huile, soit sur l'Eucharistie, soit sur la tête de ceux auxquels on impose les mains? Or, ces sacrements sont quelquefois conférés et toujours validement par des homicides, c'est-à-dire par ceux qui nourrissent de la haine pour leurs frères, jusque dans l'unité de l'Eglise? «Personne ne peut donner ce qu'il n'a pas». Comment donc un homicide donne-t-il le Saint-Esprit? Et cependant cet homicide baptise dans l'unité. C'est donc Dieu. lui-même qui, par son ministère, donne le Saint-Esprit.

CHAPITRE XXI.L'UNITÉ DU BAPTÊME ET DE L'ÉGLISE.

29. «Celui qui revient à l'Eglise», dit saint Cyprien, «doit être baptisé et renouvelé, afin qu'il soit. sanctifié dans l'unité par les saints». Mais que fera-t-il donc de celui qui dans l'unité aura marché dans la voie des pécheurs? Un homicide est-il un saint? Et si l'on baptise dans l'Eglise afin que «l'hérétique se dépouille du crime qu'il a commis, quand, cherchant un prêtre pour revenir à Dieu, il est tombé dans le sacrilège par la séduction de l'erreur», comment pourra se dépouiller de sa faute celui qui dans l'unité même de l'Eglise, cherchant l'homme de Dieu, s'est adressé à un homicide par la séduction de l'erreur? Si «dans un même homme il ne peut arriver qu'une chose soit vaine, et qu'une autre prévale», pourquoi dans un homicide le sacrement peut-il être saint tandis que le coeur est coupable? Si «celui-là ne peut pas baptiser, qui ne peut pas donner «le Saint-Esprit», pourquoi l'homicide baptise-t-il dans l'unité? Ou bien, comment un homicide peut-il avoir le Saint-Esprit, puisque celui qui possède le Saint-Esprit jouit de la lumière, tandis que «celui qui hait son frère est encore dans les ténèbres?» «Parce qu'il n'y a qu'un seul baptême et un seul Esprit», si les hommes qui n'ont pas le seul Esprit ne peuvent avoir le seul baptême, pourquoi dans l'unité celui qui est innocent et celui qui est homicide ont-ils le même baptême, tandis qu'ils n'ont pas le même Esprit?Ainsi donc l'hérétique. et le catholique peuvent avoir le seul et même baptême sans avoir la seule Eglise, comme dans l'unité celui qui est innocent et celui qui est homicide peuvent avoir le seul baptême sans avoir le même Esprit; car, comme il n'y a qu'un seul baptême, il n'y a non plus qu'un seul Esprit et une seule Eglise. Par conséquent, à l'égard de chaque homme il faut reconnaître ce qu'il a et lui donner ce qu'il n'a pas. Si «rien de bon ni de valide ne peut être fait devant le Seigneur par ceux que le Seigneur regarde comme ses adversaires et ses ennemis», pourquoi donc le baptême conféré par un homicide est-il valide? Est-ce que nous ne regardons pas les homicides comme les adversaires et les ennemis du Seigneur? Or, «celui qui hait son frère est homicide». Comment donc conféraient-ils le baptême, ceux qui, nourrissant de la haine contre Paul, le serviteur du Christ Jésus, en nourrissaient par là même contre Jésus qui disait à Paul «Pourquoi me persécutez-vous (Ac 9,4)?» quand ce n'était que ses serviteurs qui étaient persécutés? A la fin du monde le souverain Juge ne doit-il pas s'écrier: «Ce que vous n'avez pas fait pour le dernier des miens, vous ne l'avez pas fait pour moi-même (Mt 25,45)» Par conséquent, tous ceux qui nous quittent ne sont plus d'avec nous, mais tous ceux qui sont avec nous ne sont pas pour (143) cela des nôtres. Dans une aire où l'on bat le grain, ce qui s'envole n'est pas du froment,mais tout ce qui reste n'est pas pour cela du froment. De là ces paroles de saint Jean: «Ils sont sortis d'avec nous, mais ils n'étaient pas des nôtres. Car s'ils eussent été des nôtres ils tussent demeurés avec nous (1Jn 2,19)». Ainsi donc Dieu ne craint pas de se servirdes méchants pour nous donner le sacrement de la grâce; quant à la grâce elle-même, s'il nous la donne, c'est par lui-même et par ses saints. Par exemple, s'il s'agit de la rémission des péchés, il nous l'accorde par lui-même ou par les membres de la colombe auxquels il a dit: «Les péchés seront remis à ceux à qui vous les remettrez, et ils seront retenus à ceux à qui vous les retiendrez (Jn 20,23)». Quant au baptême, qui est par excellence le sacrement de la rémission des péthés, il est certain qu'il peut être possédé par les homicides, encore plongés dans les ténèbres puisqu'ils n'ont pas arraché de leur coeur la haine fraternelle; d'un autre côté, doit-on dire que ce sacrement, reçu dans des coeurs mai disposés, n'y a pas opéré la rémission des péchés, ou que ces péchés à peine remis ont repris une existence nouvelle? Je ne saurais me prononcer sur ce point. Quoi qu'il en soit, j ‘affirme sans hésiter que par lui-même et en tant qu'il vient de Dieu ce sacrement est saint, et que, soit dans l'unité, soit dans le schisme, il ne saurait être souillé par la perversité ni de ceux qui le donnent ni de ceux qui le reçoivent.


CHAPITRE XXII.CONDITIONS DE LA RÉMISSION DES PÉCHÉS.

30. Nous disons donc avec Cyprien: «Les hérétiques ne peuvent donner la rémission «des péchés»; mais ils peuvent donner le baptême, sauf que cette collation est pour eux une cause de ruine, soit qu'ils le donnent soit qu'ils le reçoivent, parce qu'alors ils font un mauvais usage de l'un des plus grands bienfaits de Dieu. De même les ministres pêcheurs et jaloux dont Cyprien constatait la présence dans l'unité de l'Eglise ne peuvent donner par eux-mêmes la rémission des péchés, quoiqu'ils puissent sans aucun doute conférer le sacrement de baptême. A l'égard de ceux qui nous ont offensés, l'Ecriture nous dit: «Si vous ne pardonnez pas les péchés de vos frères, votre Père céleste ne «vous pardonnera pas davantage vos propres péchés (Mt 6,15)‘»; à plus forte raison n'y aura-t-il aucune rémission des péchés pour ceux qui rendent à leurs frères la haine pour l'amour et reçoivent le baptême dans cette coupable disposition. Si plus tard ils reviennent à de meilleures dispositions, le pardon qu'ils n'avaient pas d'abord mérité leur est accordé, sans qu'il soit aucunement besoin de leur réitérer le baptême.De là nous pouvons conclure que la lettre de saint Cyprien à Quintus, et celle qu'il écrivit, de concert avec ses collègues Libéralis, Caldonius, Junius et autres, à Saturninus, Maximus et autres, pour peu qu'on les étudie sérieusement, ne contredisent nullement l'ancienne coutume de l'Eglise catholique, dont ils se glorifiaient d'être les membres, dont ils ne se séparèrent jamais et dont ils n'exclurent aucun de ceux qui ne partageaient pas leurs opinions. Plus tard toute difficulté disparut sur ce point, lorsqu'il plut à la volonté du Seigneur de décider, par la voix d'un concile général, le seul parti conforme à la vérité et reposant, non point sur une nouveauté quelconque, mais sur une coutume de tout temps observée.



Augustin, du Baptême - CHAPITRE XII.LE BAPTÊME DE CELUI QUI BAPTISE DANS LE SAINT-ESPRIT.