Augustin, du Baptême - CHAPITRE XXIII.RÉFUTATION DE LA LETTRE DE CYPRIEN A POMPÉIUS.

CHAPITRE XXIII.RÉFUTATION DE LA LETTRE DE CYPRIEN A POMPÉIUS.

31. Cyprien traita le même sujet dans une lettre à Pompéius, et à cette occasion il avoue sans détour qu'Etienne, alors évêque de Rome, loin de partager son opinion, la réfute par écrit et prescrit de suivre la coutume contraire. On n'accusera pas cependant ce pape «d'avoir été en communion avec les hérétiques», parce qu'il refusa de condamner comme invalide le baptême de Jésus-Christ, dont il reconnaissait la validité, malgré la perversité de ceux qui le conféraient ou le recevaient. En effet, s'il suffit d'avoir sur Dieu des idées erronées pour perdre le baptême; n'ai-je pas suffisamment prouvé que ces idées sont parfois embrassées par certains catholiques? Sans doute «les Apôtres n'ont rien statué sur ce point»; mais cette coutume que l'on opposait à Cyprien, ne doit-on pas lui reconnaître une origine apostolique, (144) et l'assimiler ainsi à une multitude d'autres pratiques traditionnelles que l'on fait remonter légitimement aux Apôtres, quoiqu'elles ne se trouvent consignées dans aucun de leurs ouvrages?
32. Mais il est écrit des hérétiques qu' «ils se sont eux-mêmes condamnés (Tt 3,11)». Est-ce donc par d'autres que par eux-mêmes qu'ont été condamnés ceux à qui s'adresse cette parole: «En condamnant les autres, vous vous condamnez vous-mêmes?» C'est encore à eux que l'Apôtre disait: «Vous qui proclamez qu'on ne doit point dérober, vous dérobez (Rm 2,1-21)», etc. Ces reproches ne s'adressent-ils pas à ces évêques restés en communion avec l'Eglise catholique, et avec Cyprien lui-même, et qui s'emparaient frauduleusement du bien d'autrui, tout en rappelant aux peuples ces paroles de l'Apôtre: «Les voleurs ne posséderont pas le royaume de Dieu (1Co 6,10)?»
33. Je vais donc, sans plus tarder, examiner successivement et d'après les mêmes principes, les propositions émises par Cyprien, dans sa lettre à Pompéius. «Il est contraire au précepte de Dieu que ceux qui renoncent à l'hérésie ne reçoivent pas le baptême, lors même qu'ils auraient été baptisés dans l'hérésie»; dans quel endroit des saintes Ecritures ce précepte est-il donc formulé? N'est-il pas évident qu'un grand nombre de pseudo-chrétiens possèdent le même baptême que les saints, quoiqu'ils ne possèdent pas avec eux cette charité sans laquelle les dons les plus sacrés ne peuvent leur être d'aucune utilité? Cette vérité, d'ailleurs, me semble suffisamment prouvée par tout ce qui précède. «L'Eglise, le Saint-Esprit et le baptême ne peuvent être séparés l'un:de l'autre; par conséquent, ceux qui sont séparés de l'Eglise, le sont également du Saint-Esprit et même du baptême». Selon cette doctrine de Cyprien, quiconque a reçu le baptême dans l'Eglise catholique, demeure dans ce baptême tant qu'il demeure lui-même dans l'Eglise; et, s'il se sépare de l'Eglise, il se sépare par le fait même du baptême. Or, il n'en est point ainsi. Car si ce dernier revient à l'Eglise, on ne lui réitère pas le baptême; et pourquoi donc, si ce n'est parce qu'il ne l'avait pas perdu en se jetant dans le schisme? D'un autre côté, si les justes possèdent le Saint-Esprit, les méchants ne le possèdent pas, et pourtant les uns et les autres possèdent le baptême; de même les catholiques possèdent la véritable Eglise tandis que les hérétiques ne la possèdent pas, et cependant le baptême leur est commun à tous. Nous lisons: «Le Saint-Esprit fuira l'hypocrite (Sg 1,5)», et cependant le baptême ne le fuira pas. De même donc que le baptême reste, tandis que le Saint-Esprit se retire; de même le baptême peut être là où n'est pas l'Eglise. «L'imposition des mains, pourvu qu'elle ne se fasse pas sur un homme qui «revient de l'hérésie», serait regardée comme parfaitement innocente; or, les hérétiques convertis reçoivent l'imposition des mains, en vertu de leur union avec la charité qui est le don par excellence du Saint-Esprit, et sans laquelle tous les autres dons ne sont absolument d'aucune utilité pour le salut.


CHAPITRE XXIV.CONTINUATION DU MÊME SUJET.

34. Nous avons Suffisamment montré dans quel sens on doit interpréter ce qui est dit «du temple de Dieu», ou ces autres paroles: «Vous tous qui êtes baptisés en Jésus-Christ, vous êtes revêtus de Jésus-Christ (Ga 3,27)». Et d'abord les avares ne sont pas le temple de Dieu, puisqu'il est écrit: «Quelle union peut-il y avoir entre le temple de bien et les idoles (2Co 6,16)?» Or, Cyprien lui-même a cité le passage dans lequel saint Paul fait de l'avarice une véritable idolâtrie. Ensuite les hommes se revêtent de Jésus-Christ, quelquefois jusqu'à la réception du sacrement, et quelquefois jusqu'à la sanctification de leur vie. Dans le premier cas nous pouvons rencontrer indistinctement les bons et les méchants dans le second nous ne trouvons que les hommes justes et pieux. Si donc «le baptême ne peut exister sans le Saint-Esprit», il faut admettre que les hérétiques possèdent le Saint-Esprit, non pas pour leur salut, mais pour leur ruine éternelle à l'exemple de Saül (1S 19,23). Les démons sont chassés par la vertu du nom de Jésus-Christ dans le Saint-Esprit; or, nous lisons dans l'Evangile que les disciples rencontrèrent un juif qui était hors de l'Eglise et qui cependant chassait les démons (Mc 9,37). Les avares ont le baptême, et cependant ils ne sont pas le temple de Dieu, car «quelle union peut-il y (145) avoir entre le temple de Dieu et les idoles?» Si donc les avares ont le baptême sans avoir l'Esprit de Dieu, ne faut-il pas en conclure que le baptême peut exister là où ne se trouve pas le Saint-Esprit?
35. Si «l'hérésie ne peut engendrer des enfants à Dieu par Jésus-Christ, parce qu'elle n'est pas l'épouse de Jésus-Christ», cette foule de pécheurs appartenant à l'unité ne le peut pas davantage, puisqu'elle n'est pas non plus l'épouse de Jésus-Christ. En effet, l'épouse de Jésus-Christ nous est désignée comme étant sans tache et sans ride (Ep 5,27). Ainsi donc, ou bien tous ceux qui sont baptisés ne sont pas enfants de Dieu, ou bien ces enfants de Dieu peuvent être engendrés par celle qui n'est pas l'épouse. Comme on demande «si celui qui a reçu le baptême de Jésus-Christ parmi les hérétiques est né spirituellement», on peut également demander si l'on doit reconnaître une naissance spirituelle à celui qui a reçu le baptême dans l'Eglise catholique, mais sans y apporter les dispositions d'un repentir véritable, ce qui n'empêche pas que le baptême soit valide.


CHAPITRE XXV.SAINT ÉTIENNE ET SAINT CYPRIEN.

36. Je ne réfuterai pas les arguments que Cyprien, sous le coup d'une certaine irritation, opposait à saint Etienne; d'ailleurs cette réfutation n'est nullement nécessaire, car sauf la forme ce sont toujours les objections que nous avons discutées dans les livres précédents; abstenons-nous donc d'insister sur ces matières qui ont pu donner lieu à de fâcheuses dissensions. Etienne opinait pour excommunier ceux qui tenteraient de changer l'ancienne coutume jusque-là suivie dans la réintégration des hérétiques; Cyprien, tout pénétré des difficultés de la question, et enflammé de toutes les ardeurs de la charité, soutenait qu'il fallait rester en communion avec ceux-là mêmes qui professaient des opinions opposées. De part et d'autre la discussion devint très-vive, mais sans sortir des bornes de la fraternité, et la paix de Jésus-Christ finit enfin par remporter un éclatant triomphe, puisqu'il n'y eut même pas jusqu'à l'apparence d'un schisme. C'est donc une erreur de soutenir «que cette question fut comme le point de départ de l'accroissement des schismes et des hérésies»; on se contenta d'approuver ce qui vient de Jésus-Christ et de désapprouver ce qu'il y avait d'exclusivement personnel. Du reste, tous ceux qui voulurent rester fidèles à cette prétendue loi de la réitération du baptême, n'eurent plus à invoquer de nouveaux arguments, sous peine de se voir aussitôt confondus.


CHAPITRE 26.L'ÉVÊQUE DOIT ENSEIGNER ET S'INSTRUIRE.

37. Citant ces paroles de l'Apôtre: «L'évêque doit être capable d'instruire (2Tm 2,24)», Cyprien les commente en ces termes: «Celui-là est capable d'instruire qui sait apporter dans ses leçons beaucoup de douceur et de patience; car l'évêque doit non-seulement enseigner, mais encore apprendre; or, celui qui instruit le mieux, c'est celui qui profite de chaque jour pour développer et perfectionner ses connaissances». Ces paroles du saint et pieux évêque nous prouvent que nous n'avons point à redouter la lecture de ses lettres comme si elles devaient ébranler notre croyance et notre conviction par rapport aux décisions solennellement formulées par l'Eglise, après de nombreuses et constantes recherches. En effet, si la science de Cyprien pouvait se prononcer sur un grand nombre de sujets, son humilité lui permettait d'apprendre chaque jour quelque chose. Suivons surtout cet excellent conseil qu'il nous donne: «Remontons aux sources, c'est-à-dire à la tradition apostolique, et suivons-en le cours jusqu'à l'époque où nous sommes». Or, il rappelle lui-même que nous avons appris des Apôtres «qu'il y a un Dieu, un Christ, une «espérance, une foi, une Eglise et un baptême (Ep 4,4-5)». Or, du temps même des Apôtres, nous trouvons que certains hommes n'avaient pas la même espérance et avaient un seul et même baptême; de là nous pouvons conclure qu'il peut arriver que, malgré l'unité d'Eglise, d'espérance et de baptême, quelques chrétiens aient le même baptême sans avoir la même Eglise; comme autrefois d'autres avaient le même baptême sans avoir la même espérance. Comment pouvaient-ils n'avoir qu'une seule et même espérance avec les saints, ceux qui s'écriaient: «Mangeons et buvons, car nous mourrons demain (1Co 15,32)»; ce qui prouve qu'ils ne croyaient pas à la résurrection des morts? (146) Toutefois c'est parmi eux encore que se trouvaient ces hommes à qui l'Apôtre écrivait: «Est-ce donc Paul qui a été crucifié pour vous? Avez-vous donc été baptisés au nom de Paul (1Co 1,13)?» Ils étaient baptisés, et cependant l'Apôtre n'hésite pas à leur dire: «Comment donc quelques-uns parmi vous osent-ils dire qu'il n'y a point de résurrection des morts (1Co 15,12)?»


CHAPITRE 26I.L'ÉGLISE, JARDIN FERMÉ, FONTAINE SCELLÉE, SOURCE D'EAU VIVE.

38. C'est bien l'Eglise qui nous est dépeinte dans ces paroles du Cantique des cantiques «Elle est un jardin fermé, mon épouse et ma soeur, la fontaine scellée, la source d'eau vive, le paradis avec l'abondance de ses fruits (Ct 17,12)». Ces paroles me semblent ne s'appliquer qu'aux saints et aux justes, et non aux avares, aux fraudeurs, aux voleurs, aux usuriers, aux ivrognes, aux envieux. Sans doute le baptême est absolument le même pour tous, mais tous n'ont pas la charité; telle est la doctrine clairement formulée dans la lettre de Cyprien, comme nous avons pu nous en convaincre par les différents passages que nous avons cités. On me demande «comment dans ce jardin fermé, dans cette fontaine scellée ont pu se glisser» tous ceux que Cyprien nous signale comme appartenant à l'unité, quoiqu'ils n'aient renoncé au siècle que du bout des lèvres et non point par leurs oeuvres? S'ils sont dans l'unité, ils sont par là même l'épouse de Jésus-Christ; or, de tels membres ne doivent-ils pas souiller cette Eglise sans tache et sans ride (Ep 5,27), cette colombe unique et éclatante de beauté? Ces pécheurs sont-ils ces épines au milieu desquelles se dresse «le lis» dont nous parle le même livre des Cantiques (Ct 2,2)? Comme l'Eglise est le lis au milieu des épines, elle est également le jardin fermé et la fontaine scellée; elle est cela dans la personne de ces justes qui sont les véritables juifs dans la circoncision du coeur (Rm 2,29), selon cette parole du Psalmiste «Toute la beauté de la fille du roi est dans l'intérieur (Ps 44,14)». Tels sont ceux qui constituent le nombre déterminé des élus que Dieu s'est choisis dès avant la formation du monde. A ce nombre vient s'adjoindre extérieurement la multitude des épines, rejetées, soit par une séparation occulte, soit par une séparation publique. «J'ai annoncé», dit le Seigneur, «et j'ai parlé; ils se sont multipliés au-delà du nombre (Ps 39,6).»Quant au nombre des justes qui ont été appelés selon le décret éternel (Rm 8,28) dit: «Le Seigneur connaît ceux qui sont à lui (2Tm 2,19)»; c'est ce nombre qui constitue «le jardin fermé, la fontaine scellée, la source d'eau vive, le paradis aux fruits abondants». Dans ce nombre, il en est qui vivent spirituellement et marchent sans cesse dans la voie suréminente de la charité. Si quelqu'un tombe par surprise dans quelque péché, ils le relèvent dans un esprit de douceur et s'appliquent eux-mêmes à ne point succomber à la tentation (Ga 6,1). Ont-ils le malheur de tomber eux-mêmes? la charité se refroidit dans un certain degré, mais bientôt elle reprend son cours et son ardeur primitive. Car ils savent s'écrier: «Mon âme s'est endormie sous le poids de la tristesse; affermissez-moi dans la confiance en vos paroles (Ps 118,28). Ainsi, lors même qu'ils partageraient sur certains points des opinions diverses, pourvu qu'ils persévèrent dans les liens de la paix et de la charité, Dieu leur révélera ce qu'ils doivent croire en toutes choses (Ph 3,15).Quant à ceux dont la vie était jusque-là charnelle et animale, ils tentent sans cesse de s'élever à une vie supérieure, et se nourrissent du lait des mystères, afin de se rendre capables de la nourriture plus solide des hommes spirituels. Dans ce but, et sous l'inspiration salutaire de la crainte de Dieu, ils retranchent peu à peu de leur conduite tout ce que l'opinion populaire y signale de dépravé; ils redoublent de vigilance sur eux-mêmes, afin de se soustraire de plus en plus à l'entraînement des choses terrestres et temporelles; ils recherchent avec avidité la règle de la foi et s'y attachent fidèlement, sauf à chercher dans l'autorité catholique le remède à tout ce qui pourrait encore leur échapper d'illégal et de coupable, car toujours plus ou moins entraînés par le sens charnel, ils flottent parfois à la dérive sur les vagues de leur imagination.Enfin, dans ce nombre, il en est encore qui mènent une vie criminelle, et sont plus ou moins les esclaves de l'hérésie ou des (147) superstitions païennes; et cependant, même parmi eux, «Dieu connaît ceux qui sont à lui». En effet, grâce à l'ineffable prescience de Dieu, beaucoup de ceux qui paraissent hors de l'Eglise appartiennent réellement à l'unité, tandis que beaucoup de ceux qui paraissent dans l'unité sont réellement hors de l'Eglise. Or, tous ceux qui appartiennent à l'unité, de quelque manière que ce soit, lors même que ce serait secrètement, constituent «ce jardin fermé, cette fontaine scellée, cette source d'eau vive, ce paradis aux fruits délicieux et abondants». Parmi les bienfaits qu'ils ont reçus de Dieu, les uns leur sont propres et personnels, comme leur infatigable charité dans cette vie, et le bonheur éternel après la mort; d'autres sont communs tout à la fois aux bons et aux méchants, aux justes et aux pécheurs: tels sont en particulier les saints mystères.


CHAPITRE 28.L'ARCHE DE NOÉ, AUTRE FIGURE DE L'ÉGLISE.

39. Mais si l'Eglise peut être facilement comparée à quelque chose, c'est à l'arche de Noé (Ga 6,7). Saint Pierre s'exprime en ces termes «Dans l'arche, très-peu de personnes, huit seulement, furent sauvées des eaux du déluge; ce qui était la figure à laquelle répond «maintenant le baptême, qui ne consiste pas dans la purification des souillures de la chair, mais dans la purification de la conscience (1P 3,20-21). Or, il est des hommes qui, ne renonçant au siècle que dans leurs paroles et non point dans leurs oeuvres, sont regardés cependant comme baptisés dans l'Eglise catholique; mais comment donc ceux qui n'ont pas là conscience pure peuvent-ils appartenir à ce mystère de l'arche?Comment peuvent être sauvés par l'eau ceux qui, faisant un mauvais usage du saint baptême, persévèrent jusqu'à la fin de leur vie dans des moeurs criminelles, quoiqu'ils paraissent appartenir à l'unité? Comment ne sont pas sauvés par l'eau ceux qui, après avoir été baptisés dans l'hérésie, ont été reçus dans l'Eglise, selon l'ancienne coutume, c'est-à-dire, comme Cyprien le constate lui-même, sans aucune réitération du baptême? Puisque dans cette unité de l'arche personne n'est sauvé que par l'eau, c'est donc aussi par ce même moyen que ces anciens hérétiques ont obtenu leur salut. Cyprien nous dit lui-même: «Dieu, dans son infinie miséricorde, est tout-puissant pour vous pardonner et pour faire jouir des richesses de son Eglise ceux qui se sont endormis dans. l'unité de l'Eglise après y avoir été reçus sans aucune réitération du baptême ( Cyp., Lettre LXXII1,à Jubaianus ). Si donc ils n'ont point été sauvés par l'eau, comment ont-ils été sauvés dans l'arche? Et s'ils ne l'ont pas été dans l'arche, comment l'ont-ils été dans l'Eglise? S'ils ont été sauvés dans l'Eglise, ils l'ont été dans l'arche, et s'ils l'ont été dans l'arche, ils l'ont été par l'eau. Il peut donc arriver que tels hommes qui ont été baptisés dans le schisme, soient traités par la prescience de Dieu comme ayant été baptisés dans l'unité, en ce sens que l'eau commence à être utile à leur salut, car, même dans l'arche, ils ne peuvent être sauvés que par l'eau. De même, tels hommes qui paraissaient baptisés dans l'unité sont regardés par la prescience divine comme ayant été baptisés dans le schisme; car en faisant du baptême un mauvais usage, ils meurent réellement par l'eau, et pour mourir ainsi, ne faut-il pas être en dehors de l'arche?Ainsi donc, pour juger si l'on appartient à l'unité de l'Eglise ou au schisme, on doit examiner, non point les dispositions du corps, mais uniquement celles du coeur. En effet, tous ceux qui appartiennent à l'unité par le coeur, sont sauvés dans l'unité de l'arche par cette même eau, par laquelle meurent tous ceux qui sont hors de l'unité par le coeur, et sont regardés comme les adversaires de cette unité, soit qu'ils lui appartiennent, soit qu'ils ne lui appartiennent pas corporellement. De même donc que c'est la même eau qui sauve ceux qui sont dans l'arche et perd ceux qui sont hors de l'arche, de même les bons catholiques sont sauvés par le même baptême qui perd les mauvais catholiques et les hérétiques. J'ai déjà dit ce que Cyprien pensait de l'unité catholique; j'ai déjà montré que le poids de sa grande autorité suffit pour écraser les hérétiques. Cependant, si Dieu me le permet, je traiterai avec plus d'abondance et de clarté cette importante matière. Mais, auparavant, je dois étudier sérieusement le concile de Carthage, et c'est ce que je me propose de faire, avec l'aide de Dieu, dans le livre suivant. (148)



LIVRE SIXIÈME

Le Concile de Carthage.

Examen du concile de Carthage, célébré sous l'inspiration de saint Cyprien


CHAPITRE PREMIER.LA CONDUITE DE CYPRIEN ET CELLE DES DONATISTES.

1. Tous les raisonnements que nous avons formulés à différentes reprises, toutes les discussions que nous avons soulevées, tous les témoignages que nous avons empruntés aux divines Ecritures, enfin, les aveux aussi nombreux que frappants de Cyprien lui-même ont été plus que suffisants, je crois, pour prouver aux intelligences les plus communes que le baptême de Jésus-Christ ne peut être souillé par la perversité ni de celui qui le donne, ni de celui qui le reçoit. Toute. fois, à une époque où l'ancienne coutume de l'Eglise pouvait être attaquée sans détruire ni la charité, ni l'unité, quelques évêques, d'ailleurs très-distingués, ayant à leur tête le bienheureux Cyprien, ne surent pas distinguer le sacrement de son effet ou de son usage, et, par suite de cette erreur, décidèrent que le baptême de Jésus-Christ ne pouvait appartenir aux hérétiques ou aux schismatiques. Comme le baptême a pour effets la rémission des péchés et la purification du coeur, et comme ces effets ne peuvent se produire dans les hérétiques, ils en conclurent que les hérétiques ne pouvaient avoir le sacrement, puisqu'ils n'en avaient pas les effets.La grande quantité de paille que l'on rencontre jusque dans l'unité de l'Eglise, attirait leurs regards; ils en conclurent que ceux qui mènent, jusque dans l'unité, une vie criminelle et perverse, ne peuvent ni donner ni recevoir la rémission des péchés; il leur parut évident que ce n'est pas aux sujets révoltés, mais aux disciples fidèles que furent adressées ces paroles: «Les péchés seront remis à ceux à qui vous les remettrez, et ils seront retenus à ceux à qui vous les retiendrez (Jn 20,23)». Toutefois, ils n'ignoraient pas que le pouvoir de posséder, de conférer et de recevoir le baptême était hautement reconnu aux hérétiques par les pasteurs de l'Eglise répandue sur toute la terre, pouvoir qui plus tard se trouva confirmé par l'autorité d'un concile général sanctionnant l'antique coutume de l'Eglise. Il fut alors solennellement proclamé que la brebis qui errait dans le schisme, avait reçu de la main de ses meurtriers eux-mêmes le caractère qui la rattachait au troupeau du Seigneur, et qu'en revenant au salut de l'unité chrétienne, elle échappait à l'esclavage, recevait la guérison de toutes ses blessures et devait s'attendre à voir, non point annuler, mais valider le caractère qui lui avait été imprimé par le sacrement primitif. Combien de loups qui paraissent appartenir à l'unité, impriment à d'autres loups ce précieux caractère! et cependant, ni les uns ni les autres n'appartiennent de droit à l'unité, car ils en sont exclus par leurs moeurs coupables, dans lesquelles ils persévèrent jusqu'à la fin. Dans sa prescience infinie, Dieu ne voit-il pas un grand nombre de brebis errer hors de l'Eglise, tandis qu'un grand nombre de loups portent le ravage dans son sein? Mais le Seigneur connaît ceux qui sont à lui; ce sont ceux qui n'écoutent d'autre voix que celle du Pasteur, dût cette voix se faire entendre par l'organe d'autres pharisiens dont il est dit: «Faites ce qu'ils vous disent (Mt 23,3)».
2. Un homme spirituel, parvenu à la fin du précepte, c'est-à-dire à la charité procédant d'un coeur pur, d'une conscience bonne et d'une foi véritable (1Tm 1,5), mais subissant encore l'influence de son corps toujours soumis à la corruption, et toujours un poids pour l'âme (Sg 9,15), peut quelquefois se tromper dans ses vues et ses opinions, et avoir besoin que Dieu lui révèle ce qu'il devra croire en toutes choses, même au sein de l'unité (Ph 3,15). De même, dans un homme charnel et pervers, il peut encore se trouver quelque chose de bon et d'utile qui ne vient pas de lui, mais d'un principe supérieur. Un cep de vigne, tout fertile qu'il soit, a besoin d'être émondé pour porter des fruits plus abondants; de même, un rameau (149) stérile ou desséché peut encore servir à suspendre un raisin. Ce serait une folie d'aimer les sarments séparés d'un cep fertile, tandis qu'il est sage de cueillir les fruits en maturité, quelque part qu'ils soient suspendus. De même, tout schismatique qui réitère le baptême pour se conformer à l'opinion de Cyprien, qui jugeait à propos de rebaptiser tous ceux qui sortaient de l'hérésie, prouve qu'il rejette de ce saint martyr ce qui est digne de louange, tandis qu'il s'attache à ce qui doit être rejeté, sans cependant obtenir le résultat qu'il se promettait. En effet, si d'un côté Cyprien invalidait le baptême pour tous ceux qui le recevaient dans l'hérésie, d'un autre côté il condamnait sévèrement et par un saint zèle tous ceux qui se séparaient de l'unité. Les Donatistes, au contraire, regardent comme une chose à peu près indifférente de se séparer de l'unité de Jésus-Christ, et prétendent que le baptême a cessé d'exister dans l'Eglise pour se réfugier exclusivement dans leur secte. Bien loin de leur reconnaître la fécondité de Cyprien, je ne dois même pas les assimiler à celles des branches de ce grand docteur, qui mériteraient d'être retranchées.


CHAPITRE II.SAINT PIERRE ET LES GENTILS, SAINT CYPRIEN ET LES HÉRÉTIQUES.

3. Il peut également arriver qu'un ministre déjà privé de la charité et engagé dans une voie criminelle paraisse encore appartenir à l'unité, quoique par le fait il soit hors de 1'Eglise, et s'abstienne de réitérer le baptême à ceux qui reviennent de l'hérésie; or, malgré toutes les apparences, ce n'est plus qu'un rameau stérile, auquel un fruit étranger pourra rester suspendu, mais sans lui communiquer le moindre germe de fécondité. De même il peut se faire que tel autre ministre, appartenant à l'unité et à la charité, et adhérant à la saine doctrine dans les points sur lesquels Cyprien s'est trompé, porte des fruits bien moins abondants que Cyprien, et soit plus répréhensible que ne l'était Cyprien lui-même. Non-seulement donc nous ne comparons pas les mauvais chrétiens à l'évêque de Carthage, mais nous n'osons même pas établir de comparaison entre les bons chrétiens et ce bienheureux martyr, que notre mère la sainte Eglise énumère parmi ceux de ses enfants qui ont été doués des grâces les plus rares et les plus excellentes. Ceux-ci, cependant, reconnaissaient la validité du baptême des hérétiques, tandis que Cyprien la niait. Mais si ce dernier s'est trompé, faute de lumières spéciales suffisantes, son attachement indissoluble à l'unité restera toujours comme une preuve authentique pour démontrer aux hérétiques que le lien de la paix ne peut être rompu, sans qu'on se rende coupable d'un horrible sacrilège. Les pharisiens aveugles disaient quelquefois ce que l'on devait faire, et cependant, personne n'oserait les comparer à l'apôtre saint Pierre, quoique ce dernier eût quelquefois commandé ce qu'il fallait défendre. L'aridité des uns n'est pas plus à comparer à la vitalité de l'autre, que les fruits de certains autres ne sont à comparer à l'abondance de celui-ci. Personne aujourd'hui n'ordonne aux Gentils de judaïser, et cependant, on n'oserait comparer à l'apostolat de Pierre, l'évêque qui actuellement présenterait les caractères de la sainteté la plus sublime. Ainsi donc, rendant à cet illustre évêque et à ce glorieux martyr Cyprien toute la révérence, tout l'honneur et tout le respect dont je suis capable, je n'hésite pas à déclarer que, sur la .question du baptême à conférer de nouveau aux hérétiques et aux schismatiques, il a professé une opinion contraire à la vérité et à la doctrine émise, non point par moi, mais par l'Eglise universelle et sanctionnée par décret d'un concile général. De même, vénérant dans saint Pierre le prince des Apôtres et le plus glorieux des martyrs, j'ose dire qu'il se trompait en ordonnant aux Gentils de judaïser; cette doctrine n'est point de moi, mais de l'apôtre saint Paul, doctrine éuivie et conservée par l'Eglise universelle (Ga 2,14).
4. Oui, sans doute, je constate toute mon infériorité par rapport à Cyprien; et cependant s'il s'agit de l'opinion même de Cyprien, je la condamne et je déclare que les bons et les méchants peuvent posséder, conférer et recevoir le sacrement de baptême; les bons, d'une manière utile et salutaire; les méchants, pour leur ruine et leur malheur éternel. Je déclare que dans les uns et les autres le baptême conserve toute son intégrité, sans tenir aucun compte ni de la plus ou moins grande perversité des uns, ni de la plus ou moins grande perfection des autres. (150) Par conséquent, le baptême reste valide, indépendamment des crimes ou des vertus de celui qui le reçoit. En effet, ce sacrement porte en lui-même sa sainteté essentielle, à laquelle n'ajoute rien ou de laquelle ne retranche rien la sainteté ou la perversité plus ou moins grande de ceux qui le reçoivent.


CHAPITRE 3.VALIDITÉ DU BAPTÊME DANS LES MÉCHANTS.

5. M'appuyant sur les saintes Ecritures et sur les écrits de Cyprien, j'ai suffisamment prouvé, je crois, le pouvoir qu'ont les méchants, s'obstinant même dans leur malice, de posséder, de conférer et de recevoir le baptême. D'un autre côté, ces méchants, quoique paraissant dans l'unité, n'appartiennent pas à la sainte Eglise de Dieu, par cela seul qu'ils sont avares, voleurs, usuriers, jaloux, malveillants. Car cette Eglise est la colombe unique (Ct 6,8), chaste et pudique; l'épouse sans tache et sans ride (Ep 5,27), le jardin fermé, la fontaine scellée, le paradis aux fruits délicieux et abondants (Ct 4,12-13). Or, ces caractères et autres semblables ne s'appliquent à l'Eglise qu'en tant qu'elle est formée de membres bons, saints et justes, c'est-à-dire, non pas seulement selon les opérations divines communes aux bons et aux méchants, mais encore selon l'intime et superéminente charité de ceux qui possèdent le Saint-Esprit et à qui le Seigneur adresse ces paroles: «Les péchés seront remis à ceux à qui vous les remettrez, et ils seront retenus à ceux à qui vous les retiendrez (Jn 20,23)».


CHAPITRE IV.LE SAINT-ESPRIT, SEUL PRINCIPE DE LA RÉMISSION DES PÉCHÉS.

6. Puisqu'il est prouvé qu'un méchant peut avoir le baptême, à quel titre lui refuserait-on le droit de le conférer? Il le confère comme il le possède, c'est-à-dire pour sa ruine; et encore, si le baptême par lui conféré n'a que des effets pernicieux, ce n'est point précisément parce qu'il est conféré, ou parce qu'il est conféré par un indigne ministre, mais parce qu'il est conféré à un sujet indigne. En effet, supposé qu'un ministre indigne ait à baptiser un sujet appartenant à l'unité et sincèrement converti, la malice du ministre ne saurait avoir pour effet de priver un sujet bien disposé, de l'heureuse efficacité du sacrement. Quand donc ce catéchumène sincèrement converti reçoit la rémission de ses péchés, ces péchés lui sont réellement remis par ceux auxquels l'unit sa conversion sincère. En effet, qui donc efface ces péchés, si ce n'est le Saint-Esprit lui-même? et le Saint-Esprit n'est donné qu'à ceux qui vivent dans la justice et sont unis dans les liens de l'unité, soit d'une manière visible et corporelle, soit d'une manière invisible. De même, quand les péchés de quelqu'un sont retenus, ils le sont également par ceux à l'unité desquels le coupable a cessé d'appartenir en s'abandonnant à une vie criminelle et à la perversion de son coeur, soit qu'on le connaisse comme tel, soit que de trompeuses apparences empêchent de le reconnaître.


CHAPITRE V.LE BAPTÊME A PAR LUI-MÊME SA SAINTETÉ ET SON EFFICACITÉ.

7. De là je conclus qu'il existe entre les méchants et les bons une véritable séparation spirituelle; et si des dissensions manifestes rendent cette séparation publique et corporelle, c'est un nouveau crime ajouté à tous les autres. Mais, comme je l'ai dit précédemment, la sainteté essentielle du baptême est absolument indépendante de la perversité de celui qui le donne ou de celui qui le possède. Toutefois, un schismatique peut conférer ce sacrement comme il peut le posséder; il le possède pour sa ruine et le confère pour sa réprobation. Quant au sujet, il n'est point lui-même schismatique, et s'il présente les dispositions requises, il trouve dans le baptême un principe efficace du salut et de la rémission des péchés. Ne peut-il pas arriver que des catéchumènes, animés d'un véritable esprit catholique et attachés de coeur à la paix et à l'unité, se sentant tout à coup menacés par la mort, s'adressent à un hérétique et reçoivent de ses mains le baptême, sans qu'ils aient à subir les atteintes de sa perversité, et sans aucune intention d'appartenir pendant leur vie ou après leur mort à un schisme contre lequel ils protestent de toute leur âme? Mais si le baptême est reçu par un schismatique, ses (151) effets sont aussi pernicieux qu'ils auraient été bons si le sacrement avait été conféré dans des conditions légitimes; plus il aurait été efficace pour procurer le salut dans l'unité, plus il le devient pour la ruine de celui qui reste dans le schisme. Au contraire, s'il renonce à sa perversité et à sa séparation, et qu'il revienne sincèrement à la paix catholique, aussitôt par l'efficacité du baptême qu'il a reçu précédemment, ses péchés lui sont remis, sous l'influence du lien de charité, tandis qu'ils lui étaient retenus à cause de son schisme sacrilège. Par conséquent, qu'il soit reçu par un juste ou par un pécheur, le baptême conserve toujours sa sainteté essentielle, absolument indépendante de la justice ou de l'iniquité de celui qui le confère ou de celui qui le reçoit.
8. Cette conclusion est de toute évidence. Si donc nous voyons les collègues de Cyprien partager son opinion et tenter de la confirmer par leur propre manière de voir; cet accord, bien loin de nuire à la vérité, ne fait que rendre de plus en plus manifeste la charité du saint martyr pour l'unité de l'Eglise. En effet, si l'évêque de Carthage était resté seul de son avis, on pourrait croire que s'il ne s'est pas jeté dans le schisme, c'est uniquement parce qu'il n'avait trouvé personne pour partager sou erreur. Au contraire, quand nous lui voyons de nombreux partisans, et quand nous l'entendons proclamer en présence de ses collègues gagnés à sa cause qu'il veut rester indissolublement attaché à l'unité, ne devons-nous pas conclure que s'il a conservé intact le lien sacré de l'Eglise universelle, c'est uniquement par amour de la paix et non point par crainte d'un honteux isolement?Par conséquent, il pourrait paraître superflu de relever chacune des opinions émises par ces évêques au concile de Carthage; mais il est certains esprits lents qui sont tentés de croire que telle objection est restée sans réponse parée qu'on y a répondu ailleurs et non point, à l'endroit même où elle était formulée. Si vous ne les écrasez pas par une lecture abondante et détaillée, ils ne comprennent pas et se plaignent qu'on ne leur ait pas offert une réfutation suffisante.



Augustin, du Baptême - CHAPITRE XXIII.RÉFUTATION DE LA LETTRE DE CYPRIEN A POMPÉIUS.