Augustin, Trinité 1316

CHAPITRE XII. PAR LE PÉCHÉ D'ADAM, TOUS LES HOMMES ONT ÉTÉ LIVRÉS AU POUVOIR DU DÉMON.

1316 16. En vertu d'un certain décret de la justice divine, le genre humain a été livré au pouvoir du démon, le péché du premier homme se transmettant originellement chez tous ceux qui naissent de l'union de l'homme et de la femme, et la dette des premiers parents engageant tous leurs descendants. Cette tradition est consignée en premier lieu dans la Genèse, où après avoir dit au serpent: «Tu mangeras de la terre», Dieu a dit à l'homme: «Tu es terre et tu retourneras en terre (Gn 3,14-19)». Ces mots: «Tu retourneras en «terre», contiennent un arrêt de mort contre le corps, qui n'aurait pas dû mourir, si l'homme eût persévéré dans l'état de justice où il avait été créé; mais en disant à l'homme vivant: «Tu es terre», Dieu indique que l'homme tout entier a subi une déchéance. En effet: «Tu es terre», est l'équivalent de: «Mon esprit ne demeurera pas dans ces hommes, parce qu'ils sont chair (Gn 6,3)». Le Seigneur faisait donc voir par là que l'homme était livré à celui à qui il avait été dit: «Tu mangeras de la terre». C'est ce que l'Apôtre explique plus clairement quand il dit: «Et vous, il vous a vivifiés, lorsque vous étiez morts par vos offenses et par vos péchés, dans lesquels autrefois vous avez marché, selon la coutume de ce monde, selon le prince des puissances de l'air, de l'esprit qui agit efficacement à cette heure sur les fils de la défiance, parmi lesquels nous tous aussi nous avons vécu, selon nos désirs charnels, faisant la volonté de la chair et de nos pensées; ainsi nous étions par nature enfants de colère comme tous les autres (Ep 2,3)». Les fils de défiance sont les infidèles: et qui ne l'a pas été avant d'être fidèle? C'est pourquoi tous les hommes sont originellement sous le prince des puissances de l'air, «qui agit efficacement sur les fils de défiance». Et quand je dis originellement, j'entre dans la pensée de l'Apôtre qui s'accuse d'avoir été «par nature» comme les autres: par la nature dégradée par le péché, et non plus dans l'état de justice où elle avait été créée. Quant à la manière dont l'homme a été livré au pouvoir du démon, il ne faut pas entendre que ce soit par un acte ou un ordre de Dieu, mais seulement par sa permission, juste pourtant. Dès qu'il a eu abandonné le pécheur, l'auteur du péché a fait irruption. Et encore Dieu n'a pas tellement abandonné sa créature qu'il n'ait continué à lui faire sentir son action créatrice et vivifiante, et qu'il n'ait mélangé de beaucoup de biens les maux qui sont la peine du péché: car il n'a pas enchaîné sa miséricorde dans sa colère (Ps 76,10). Et en permettant que l'homme fût au pouvoir du démon, il n'a pas pour cela perdu ses droits sur lui: puisque le démon lui-même n'est pas soustrait au pouvoir du Tout-Puissant, pas même à sa bonté. Car de qui les mauvais anges tiennent-ils leur existence, quelle qu'elle soit, sinon de celui qui donne la vie à tout? Si donc, par un juste effet de la colère de Dieu, l'acte du péché a jeté l'homme sous l'empire du démon; par la bienveillante réconciliation de ce même Dieu, la rémission des péchés arrache l'homme à l'esclavage du démon.

CHAPITRE XIII. CE N'EST PAS PAR UN ACTE DE PUISSANCE, MAIS PAR UN ACTE DE JUSTICE, QUE L'HOMME A DU ÊTRE ARRACHÉ AU POUVOIR DU DÉMON.

1317 17. Ce n'est pas par la puissance, mais par la justice de Dieu que le démon a dû être vaincu. Cependant qu'y a-t-il de plus puissant que le Tout-Puissant? quelle puissance créée peut être comparée à la puissance du Créateur? Mais le démon, par l'effet de sa propre perversité, étant devenu avide de pouvoir, et ayant abandonné et combattu la justice; et les humains suivant son exemple d'autant plus près qu'ils abandonnent ou haïssent davantage la justice, pour s'attacher au pouvoir, se réjouir de l'avoir acquis ou brûler du désir de l'obtenir: Dieu a pensé que pour arracher l'homme au pouvoir du démon, il fallait vaincre celui-ci, non par la puissance, mais par la justice, afin que les hommes, à l'imitation du Christ, vainquissent le démon par la justice, et non par la puissance. Non qu'il faille rejeter la puissance comme un mal: mais il faut rester dans l'ordre, qui assigne à la justice le premier rang. Et au fait, quel peut être le pouvoir des mortels? qu'ils restent fidèles à la justice tant qu'ils sont mortels: le pouvoir leur viendra quand ils seront immortels. Comparé à celui-ci, le pouvoir des hommes (516) qu'on appelle ici-bas des puissants, quelque grand qu'il puisse être, n'est qu'une faiblesse ridicule; et là où les méchants semblent pouvoir davantage, la fosse se creuse pour le pécheur. Le juste au contraire chante et dit: «Heureux l'homme que vous instruisez, Seigneur, et que vous éclairez par votre loi. Il sera en paix aux jours de l'infortune, quand la fosse se creusera pour le pécheur. Car le Seigneur ne rejettera pas son peuple, et il ne délaissera pas son héritage, jusqu'à ce que la justice revienne au jugement, et près d'elle sont tous ceux qui ont le coeur droit (Ps 94,12-15)».

Ainsi donc, si l'époque où le peuple de Dieu sera puissant est encore différée, Dieu «ne rejettera pas son peuple et il ne délaissera pas son héritage», quelques rigueurs, quelques indignités que celui-ci éprouve dans son humilité et dans sa faiblesse, «jusqu'à ce que la justice», à laquelle les hommes pieux restent fidèles dans leur infirmité, «revienne au jugement», c'est-à-dire reçoive le pouvoir de juger: honneur réservé aux justes, quand la puissance succédera en son temps à la justice qui l'aura précédée. En effet, la puissance accordée à la justice, ou la justice appuyée sur la puissance, constitue le pouvoir judiciaire. Or, la justice appartient à la bonne volonté; ce qui a fait dire aux anges lors de la naissance du Christ: «Gloire à Dieu au plus haut des cieux, et, sur la terre, paix aux hommes de bonne volonté (Lc 2,14)». Mais la puissance doit suivre la justice, et non la précéder; voilà pourquoi elle a sa place dans la prospérité, (res secundoe, secundoe venant de sequor). En effet, deux choses, comme nous l'avons expliqué plus haut, constituent le bonheur: vouloir le bien et pouvoir ce que l'on veut. Or, ce serait un désordre, et ce désordre est impossible, si, comme nous l'avons également exposé, l'homme avait le choix de pouvoir ce qu'il veut, sans s'inquiéter de ce qu'il doit vouloir: tandis qu'au contraire il doit d'abord avoir une bonne volonté et ensuite un grand pouvoir. Or, une bonne volonté doit être exempte des vices dont l'effet est, quand ils dominent l'homme, de l'entraîner à vouloir le mal. Alors que deviendrait sa bonne volonté? Il faut donc désirer aussi le pouvoir, mais le pouvoir de triompher des vices. Or, ce n'est pas pour vaincre leurs vices que les hommes désirent être puissants, mais pour dominer leurs semblables. Et à quoi bon, sinon pour être de vrais vaincus et de faux vainqueurs; pour être réputés vainqueurs, sans l'être réellement? Que l'homme désire donc être prudent, qu'il désire être fort, tempérant, juste, et qu'il souhaite le pouvoir de le devenir sérieusement; qu'il ambitionne d'être puissant en lui-même, et chose étrange t contre lui-même pour lui-même. Quant aux autres avantages qu'il a raison de désirer, mais qu'il ne peut encore posséder, comme l'immortalité, par exemple, et le bonheur véritable et parfait, qu'il ne cesse de les poursuivre de ses voeux et de les attendre avec patience.

CHAPITRE XIV. LA MORT VOLONTAIRE DU CHRIST A SAUVÉ LES HOMMES CONDAMNÉS A MORT.

1318 18. Quelle est donc la justice qui a vaincu le démon? Pas d'autre que celle de Jésus-Christ. Et comment le démon a-t-il été vaincu? Parce que ne trouvant rien en Jésus-Christ qui méritât la mort, il l'a néanmoins fait mourir. Evidemment il est donc juste que les débiteurs qu'il enchaînait soient libérés, quand ils croient en Celui qu'il a fait mourir quoiqu'il ne dût rien. Voilà en quel sens on dit que nous sommes justifiés par le sang du Christ (Rm 5,9). Ainsi ce sang innocent a été répandu pour la rémission de nos péchés. Voilà aussi pourquoi le Christ se dit, par la voix du Psalmiste, libre entre les morts (Ps 67,6). Car seul il est mort affranchi de la dette de la mort. C'est ce qui lui fait dire dans un autre psaume: «J'ai payé ce que je ne devais pas (Ps 69,5)»: et par dette ici il entend le péché, espèce de rapine commise contre la loi. Aussi a-t-il dit de sa propre bouche, d'après l'Evangile: «Voilà que le «prince de ce monde est venu, et il n'a rien trouvé en moi», c'est-à-dire il n'y a trouvé aucun péché; «mais afin que tous sachent que je fais la volonté de mon Père, levez-vous, sortons d'ici (Jn 14,30-31)». Et il s'en va à sa passion, pour acquitter, lui qui ne devait rien, la dette que nous avions contractée. Ce droit si bien fondé sur l'équité aurait-il triomphé du démon, si le Christ eût voulu agir en vertu de la puissance, et non par la (517) justice? Mais il a rejeté au second rang ce qu'il pouvait, pour mettre au premier rang ce qu'il fallait. Voilà pourquoi il fallait qu'il fût homme et Dieu. S'il n'eût pas été homme, il n'aurait pu être mis à mort; s'il n'eût pas été Dieu, on n'aurait pas cru qu'il ne voulait pas ce qu'il pouvait, mais bien qu'il ne pouvait pas ce qu'il voulait; nous ne croirions pas qu'il a préféré la justice à la puissance, mais bien que la puissance lui aurait fait défaut. Mais maintenant il a enduré pour nous des souffrances humaines, parce qu'il était homme; et s'il ne l'eût pas voulu, il aurait pu ne pas souffrir, parce qu'il était Dieu. La justice a emprunté des charmes à l'abaissement, parce qu'il aurait pu, s'il l'eût voulu, ne pas supporter cet abaissement, en vertu du pouvoir qui est si grand dans la divinité. C'est ainsi qu'en mourant, quoique armé d'une si grande puissance, il nous a fait apprécier, à nous mortels impuissants, la justice et la puissance qu'il nous a promises. Il a fait l'un en mourant, et l'autre en ressuscitant. En effet, qu'y a-t-il de plus juste que de souffrir pour la justice jusqu'à la mort de la croix? Et qu'y a-t-il de plus puissant que de ressusciter d'entre les morts et de monter au ciel avec la chair même dans laquelle il a été immolé? Il a donc vaincu le démon d'abord par la justice, ensuite par la puissance: par la justice, puisqu'il était sans péché et que le démon a commis une souveraine injustice en le faisant mourir; par la puissance, puisqu'étant mort, il est ressuscité pour ne plus jamais mourir (Rm 6,9). Cependant il aurait vaincu le démon par la puissance, quand même il n'aurait pu être tué par lui: quoique au fait c'est une pins grande preuve de puissance de vaincre la mort même en ressuscitant, que de l'éviter en vivant. Mais c'est pour une autre raison que nous sommes justifiés par le sang du Christ, quand nous sommes arrachés au pouvoir du démon par la rémission des péchés: et cette raison, c'est que le Christ a vaincu le démon par la justice, et non par la puissance. En effet, c'est en vertu de l'infirmité qu'il a revêtue en prenant notre chair mortelle, et non en vertu de sa puissance immortelle, que le Christ a été crucifié. Et l'Apôtre dit de cette infirmité: «Ce qui est faiblesse en Dieu est plus fort que les hommes (2Co 1,25)».

CHAPITRE XV. SUITE DU MÊME SUJET.

1319 19. Il n'est pas difficile de voir que le dé. mon est vaincu, du moment que celui qu'il a tué est ressuscité. Il y a quelque chose de plus grand, d'une raison plus profonde, à voir ce même démon vaincu, alors qu'il croyait tenir la victoire, c'est-à-dire quand le Christ était mis à mort. Car alors ce sang, appartenant à un homme absolument innocent, était répandu pour la rémission de nos péchés: en sorte qua le démon était obligé de relâcher ceux qu'il enchaînait à juste titre, les coupables qu'il tenait sous l'empire de la mort, de les relâcher, dis-je, et à bon droit, par celui qu'il avait fait mourir quoiqu' innocent de tout péché. C'est par cette justice que le fort a été vaincu, c'est par ce lien qu'il a été enchaîné, afin qu'on pût ravir ce qu'il possédait (Mc 3,27), et changer en vases de miséricorde les vases de colère qui étaient chez le démon, avec lui et avec ses anges (Rm 9,22-23). Ce sont les paroles mêmes que Notre-Seigneur Jésus-Christ fit entendre à l'apôtre Paul, au premier moment de sa vocation, d'après le récit de l'Apôtre lui-même. En effet, entre autres choses qu'il entendit voici ce qu'il rapporte: «Je ne t'ai apparu que pour t'établir ministre et témoin des choses que je t'ai fait voir et de celles pour lesquelles je t'apparaîtrai encore, te délivrant des mains du peuple et de celles des gentils vers lesquels je t'envoie maintenant, pour ouvrir les yeux des aveugles, afin qu'ils se convertissent des ténèbres à la lumière et de la puissance de Satan à Dieu, et qu'ils reçoivent la rémission des péchés et une part entre les saints par la foi en moi (Ac 26,16-18)». Voilà pourquoi la même Apôtre, exhortant les fidèles à rendre grâces à Dieu le Père, leur disait: «Qui nous a arrachés de la puissance des ténèbres et transférés dans le royaume du Fils de sa dilection, en qui nous avons la rédemption pour la rémission des péchés (Col 1,13-14)». Dans cette rédemption le sang du Christ a été donné pour nous comme rançon, mais une rançon qui enchaîne le démon au lieu de l'enrichir, tellement que nous sommes dégagés de ses chaînes, et qu'il ne peut plus entraîner avec lui, dans le filet du péché, à l'abîme de la seconde (518) mort, qui est la mort éternelle (Ap 21,8), aucun de ceux que le Christ, exempt de toute dette, a rachetés au prix de son sang versé pour nous sans qu'il y fût obligé. Désormais ils meurent dans la grâce du Christ à laquelle ils appartiennent, connus, prédestinés et élus avant la fondation du monde (1P 1,20), puisque le Christ est mort pour eux de la mort de la chair seulement, et non de celle de l'esprit.

CHAPITRE XVI. LA MORT ET LES MAUX DE CE MONDE TOURNENT AU BIEN DES ÉLUS. COMBIEN ÉTAIT CONVENABLE LA MORT DU CHRIST POUR NOUS JUSTIFIER. CE QUE C'EST QUE LA COLÈRE DE DIRE.

1320 20. Bien que la mort de la chair ait pris son origine dans le péché du premier homme, cependant son saint usage a fait de très-glorieux martyrs. Voilà pourquoi, non-seulement la mort, mais tous les maux de ce monde, les douleurs et les travaux des hommes, quoique résultant du péché, et surtout du péché originel, qui a enchaîné la vie à la mort, ont dû subsister après la rémission des péchés, pour donner à l'homme l'occasion de combattre pour la vérité, pour exercer la vertu des fidèles, afin que le nouvel homme se préparât par un nouveau testament à une vie nouvelle, à travers les maux de ce monde, en supportant courageusement la misère que lui a attirée une vie coupable, en se félicitant humblement de la voir bientôt finir, en attendant avec patience et fidélité le bonheur qui sera le partage immortel de la vie future complètement affranchie.

Car le démon expulsé du domaine et des coeurs des fidèles, sur lesquels il régnait à raison de leur condamnation et de leur infidélité, quoique condamné lui-même, le démon, dis-je, n'a permission de les combattre que durant cette existence mortelle, et dans la mesure où le juge utile à leurs intérêts Celui dont les saintes Ecritures nous disent hautement par la bouche de l'Apôtre: «Dieu est fidèle et il ne souffrira pas que vous soyez tentés par-dessus vos forces; mais il vous fera tirer profit de la tentation même, afin que vous puissiez persévérer (
1Co 10,13)». Or, ces maux pieuse ment supportés par les fidèles servent ou à expier les péchés, ou à-exercer et éprouver la vertu, ou à faire ressortir la misère de cette vie afin de faire désirer plus vivement et chercher avec plus d'ardeur cette autre vie, où le bonheur sera véritable et immortel. Mais là-dessus nous nous eu tenons à ce que dit l'Apôtre: «Or, nous savons que tout coopère au bien pour ceux qui aiment Dieu, pour ceux qui selon son décret, sont appelés à être saints. Car ceux qu'il a connus par sa prescience, il les a aussi prédestinés à être conformes à l'image de son Fils, afin qu'il fût lui-même le premier-né entre beaucoup de frères. Et ceux qu'il a prédestinés. il les a appelés; et ceux qu'il a appelés, il les a aussi justifiés et ceux qu'il a justifiés, il les a aussi glorifiés». De ces prédestinés pas un seul ne périra avec le démon; pas un seul ne restera sous la puissance du démon jusqu'à la mort. Puis l'Apôtre ajoute ce que j'ai déjà cité plus haut: «Que dirons-nous donc après cela? Si Dieu est pour nous, qui sera contre nous? Lui qui n'a pas épargné même son propre Fils, mais qui l'a livré pour nous tous, comment ne nous aurait-il pas donné toutes choses avec lui (Rm 8,32)?»

1321 21. Pourquoi la mort du Christ n'aurait-elle pas eu lieu? Bien plus, pourquoi, parmi les innombrables moyens que le Tout-Puissant avait à sa disposition, pour nous délivrer, n'aurait-il pas donné la préférence à celui-ci? Sa divinité ne perdait rien, ne subissait aucun changement. Et son Fils, en revêtant notre humanité, procurait aux hommes cet immense avantage, que la mort temporelle et nullement due de celui qui était tout à la fois Fils éternel de Dieu et fils de l'homme, les délivrerait de la mort éternelle qu'ils avaient méritée. Le démon tenait nos péchés sous sa main, et par eux nous clouait justement à la mort. Celui qui n'en avait pas commis, les a pardonnés, et a été condamné à la mort par le démon contre toute justice. Or, son sang a été d'un tel prix, que celui même qui avait fait souffrir au Christ une mort temporelle et imméritée, n'a pu retenir dans la mort éternelle aucun de ceux qui l'avaient encourue, dès qu'ils ont été revêtus du Christ. «Ainsi, Dieu témoigne son amour pour nous, en ce que, dans le temps où nous étions encore pécheurs, le Christ est mort pour nous. Maintenant donc, justifiés par son sang, nous serons, à plus forte raison, délivrés par lui de la colère». «Justifiés par son sang», dit l'Apôtre; évidemment (519) en ce que nous sommes délivrés de tous les péchés; mais délivrés de tous les péchés parc que le Fils de Dieu, qui n'avait pas de péché a été mis à mort pour nous. «Nous serons donc délivrés par lui de la colère». Car la colère n'est pas chez Dieu comme chez l'homme un trouble de l'âme. C'est la colère de celui à qui l'Ecriture sainte dit ailleurs: «Pour vous Seigneur des vertus, vous jugez avec calme (Sg 12,18)». Eh bien! si c'est là le nom de la juste vengeance de Dieu, qu'est-ce que la vraie réconciliation avec lui sinon la fin de ce courroux? Nous étions ennemis de Dieu, exactement dans le même sens que les péchés sont ennemis de la justice; ces péchés une fois remis, toutes ces inimitiés disparaissent, et Dieu se réconcilie avec le juste qu'il justifie lui-même. Mais ces ennemis, il les aimait déjà: puisqu'il «n'a point épargné même son propre Fils, mais qu'il l'a livré pour nous tous», dans le temps où nous étions encore pécheurs. L'Apôtre a donc raison d'ajouter ensuite: «Car si lorsque nous étions ennemis de Dieu, nous avons été réconciliés avec lui par la mort de son Fils», mort qui a procuré la rémission des péchés, «à bien plus forte raison, réconciliés, serons-nous sauvés par sa vie»: sauvés par sa vie, après avoir été réconciliés par sa mort. Qui peut, en effet, douter qu'il donnera sa vie à ses amis, lui qui leur a donné sa mort quand ils étaient ses ennemis?

«Non-seulement cela», continue l'Apôtre «mais nous nous glorifions en Dieu par Notre-Seigneur Jésus-Christ, par qui maintenant nous avons obtenu la réconciliation». «Non-seulement», dit-il, nous serons sauvés, «mais nous nous glorifions, non pas en nous, mais en Dieu», ni par nous, mais «par Notre-Seigneur Jésus-Christ, par qui maintenant nous avons obtenu la réconciliation», dans le sens que nous avons expliqué plus haut. Après quoi l'Apôtre ajoute: «C'est pourquoi, comme le péché est entré dans le monde par un seul homme, et la mort par le péché, ainsi la mort a passé dans tous les hommes par celui en qui tous ont péché (Rm 5,8-12)». Et la suite du texte, où l'Apôtre parle plus au long des deux hommes: l'un, le premier Adam, celui qui a transmis à sa postérité deux maux héréditaires, le péché et la mort; l'autre, le second Adam, qui n'est pas homme seulement, mais aussi Dieu, qui, en payant pour nous ce qu'il ne devait pas, nous a affranchis des dettes de notre père et des nôtres. Et comme le démon nous tenait tous sous son esclavage à cause du premier Adam qui nous avait engendrés par sa concupiscence viciée et charnelle, il est juste qu'il nous laisse tous libres à cause du second Adam qui nous a régénérés par sa grâce spirituelle et immaculée.

CHAPITRE XVII. AUTRES AVANTAGES DE L'INCARNATION.

1322 22. Il y a bien d'autres points de vue dignes d'attention et de réflexion dans l'incarnation du Christ, qui déplaît tant aux orgueilleux. Par exemple, elle fait comprendre à l'homme quelle place il tient parmi les êtres que Dieu a créés, puisque la nature humaine a pu être unie à Dieu si étroitement que deux substances, et par là même, trois: Dieu, l'âme et la chair, n'aient formé qu'une personne. Ainsi ces esprits orgueilleux et méchants, qui interviennent, en apparence pour aider, en réalité pour tromper, n'osent plus se préférer à l'homme par la raison qu'ils n'ont pas de corps; surtout, le Fils de Dieu ayant daigné mourir dans la chair, ils ne peuvent plus se faire adorer comme dieux par la raison qu'ils sont immortels. En outre, la grâce de Dieu, accordée sans aucuns mérites antérieurs, éclate visiblement dans le Christ fait l'homme: car le Christ lui-même n'avait point mérité antérieurement d'être si étroitement uni au vrai Dieu que le Fils de Dieu ne fît qu'une seule personne avec lui; mais il n'a commencé à être Dieu que du moment où il a été homme: ce qui fait dire à l'évangéliste: «Le Verbe a été fait chair (Jn 1,14)». Autre avantage: l'orgueil de l'homme, principal obstacle à son union avec Dieu, a pu être confondu et guéri par le profond abaissement d'un Dieu. Par là encore l'homme mesure la distance qui le séparait de Dieu, et peut apprécier ce que lui vaut le remède de la douleur, puisqu'il ne revient que par l'entremise d'un médiateur, qui, comme Dieu, vient au secours des hommes, et, comme homme, se rapproche d'eux par l'infirmité. Ensuite quel plus beau modèle d'obéissance, pour nous qui nous étions perdus par désobéissance, que celui de Dieu le Fils, obéissant à Dieu le Père jusqu'à la mort de la croix (Ph 2,8)? D'ailleurs où pouvait-on nous montrer une (520) plus belle récompense de l'obéissance que dans la chair d'un si grand médiateur, ressuscité pour la vie éternelle? Enfin il était digne de la justice et de la bonté du Créateur que le démon fût vaincu par cette même créature raisonnable qu'il se flattait d'avoir vaincue, et provenant de ce même genre humain que la faute d'un seul avait vicié dans son origine et livré à son pouvoir.

CHAPITRE XVIII. POURQUOI LE FILS DE DIEU A PRIS SON HUMANITÉ DANS LA RACE D'ADAM ET DANS LE SEIN D'UNE VIERGE.

1323 23. Assurément Dieu pouvait prendre la nature humaine, qui devait servir de médiatrice entre Dieu et l'homme, ailleurs que dans la race d'Adam, de celui qui avait souillé par son péché tout le genre humain; il avait bien créé Adam lui-même, sans lui donner de parents. Il pouvait donc, ou de cette manière, ou de toute autre, créer un autre Adam pour vaincre celui qui avait vaincu le premier, Mais il a jugé convenable de tirer de la race vaincue l'homme qui devait servir à vaincre l'ennemi du genre humain. Néanmoins, il a voulu le faire naître d'une Vierge, que l'Esprit et non la chair, la foi et non la passion, ont rendue féconde (Lc 1,26-38). Ici point de cette concupiscence sensuelle, origine commune des esclaves du péché originel; c'est bien au-dessus de ses atteintes, par la foi et non par l'union charnelle, que la sainte virginité a été fécondée; il fallait que le fruit qui devait naître de la race du premier homme, tînt de lui son origine, et non son crime. En effet, ce qui naissait ici n'était plus une nature viciée par la contagion originelle, mais un remède, l'unique remède à tous les vices de l'humanité. Ce qui naissait, dis-je, c'était un homme qui n'avait point de péché, qui n'en pouvait jamais avoir, et qui devait rendre la vie, en les délivrant du péché, à ceux qui ne pouvaient naître sans péché. Car, bien que la chasteté conjugale dirige à bonne fin la concupiscence charnelle dont le siége est dans les parties sexuelles, toutefois cette concupiscence a des mouvements involontaires qui prouvent assez ou qu'elle n'a pu exister dans le paradis terrestre avant le péché, ou que, si elle y existait, elle n'était pas de nature à se soustraire parfois à l'empire de la volonté.

Mais telle que nous l'éprouvons maintenant, elle combat, nous le sentons, la loi de l'esprit, elle stimule la passion charnelle, même en dehors de l'union conjugale; si on lui cède elle ne s'assouvit qu'en péchant; si on lui résiste, elle s'agite sous le frein: et peut-on douter que ces deux inconvénients aient été inconnus dans le paradis à l'homme encore innocent? Car, là, l'innocence excluait tout péché, et le bonheur, tout trouble. Donc il était nécessaire que cette concupiscence charnelle fût bannie, quand une Vierge concevait Celui en qui l'auteur de la mort ne devait rien trouver qui méritât la mort, bien qu'il dût la lui donner, pour être à son tour vaincu par la mort de l'auteur de la vie: lui le vainqueur du premier Adam et le maître du genre humain, vaincu par le second Adam et perdant ses droits sur le peuple chrétien, lequel est délivré, au milieu du genre humain, du crime de l'humanité par celui qui était exempt de crime, quoique membre de la race humaine: en sorte que le trompeur a été vaincu par l'espèce qu'il avait vaincue par le crime. Et tout cela s'est fait pour que l'homme ne s'enfle pas d'orgueil, pour que «celui qui «se glorifie, se glorifie dans le Seigneur». En effet le vaincu n'était qu'un homme, et il a été vaincu parce qu'il voulait être dieu, tandis que le vainqueur était homme et Dieu; et le fils d'une Vierge a vaincu, parce que Dieu ne se contentait pas de le gouverner comme les autres saints, mais s'était humblement revêtu de lui. Or, ces précieux dons de Dieu et tant d'autres qu'il serait trop long de rechercher et d'exposer ici, n'eussent point existé, si le Verbe n'avait pas été fait chair.

CHAPITRE XIX. QUELLE EST LA PART DII LA SCIENCE, ET QUELLE EST LA PART DE LA SAGESSE DANS LE VERBE INCARNÉ.

1324 24. Pour revenir à la distinction qu'il s'agit d'établir, tout ce que le Verbe, fait chair pour nous, a fait et souffert dans le temps et dans l'espace, appartient à la science et non à la sagesse. Quant au Verbe, considéré en dehors du temps et de l'espace, coéternel au Père et partout tout entier, tout ce qu'on en peut dire de conforme à la vérité, est parole de sagesse: par conséquent le Verbe fait chair, qui est le (521) Christ Jésus, renferme tout à la fois les trésors de la sagesse et de la science. C'est ce que l'Apôtre écrit aux Colossiens: «Car je veux que vous sachiez quelle sollicitude j'ai pour vous, pour ceux qui sont à Laodicée et pour tous ceux qui n'ont pas vu ma face dans la chair, afin que leurs coeurs soient consolés, et qu'ils soient unis eux-mêmes dans la charité, pour parvenir à toutes les richesses d'une parfaite intelligence, et à la connaissance du mystère de Dieu, qui est le Christ Jésus, en qui tous les trésors de la sagesse et de la science sont cachés (Col 2,1-3)». Et qui peut savoir jusqu'à quel point l'Apôtre connaissait ces trésors, jusqu'où il y était entré et quelles grandes choses il y avait découvertes? Pour moi, m'en tenant à ce qui est écrit: «Or, à chacun est donnée la manifestation de l'Esprit pour l'utilité car à l'un est donnée par l'Esprit la parole de sagesse, à un autre la parole de science selon le même Esprit (1Co 12,7-8)»; si la distance entre la sagesse et la science consiste en ce que la première appartient aux choses divines et la seconde aux choses humaines, pour moi, dis-je, je les reconnais toutes les deux dans le Christ, et tout fidèle les y reconnaît avec moi. Et quand je lis: «Le Verbe a été fait chair et il a habité parmi nous», dans le Verbe je reconnais le vrai Fils de Dieu, dans la chair je reconnais le vrai Fils de l'homme, et les deux réunis, par une ineffable surabondance de grâce, en la personne unique du Dieu-Homme. Ce qui fait que l'Evangéliste ajoute: «Et nous avons vu sa gloire, comme celle qu'un fils unique reçoit de son père, plein de grâce et de vérité (Jn 1,14)». Si nous rattachons la grâce à la science, la sagesse à la vérité, ce ne sera pas nous écarter, je pense, de la distinction que nous cherchons à établir entre ces deux choses.

En effet, dans l'ordre des choses qui se-sont faites dans le temps, le point culminant de la grâce est l'union de l'homme à Dieu dans la même personne; et, dans l'ordre des choses éternelles, on attribue avec raison la souveraine vérité au Verbe de Dieu. Mais comme ce même Fils unique du Père est plein de grâce et de vérité, il en résulte que dans ce qu'il a fait pour nous dans le temps, il est celui en qui nous sommes purifiés par la foi, pour le contempler à jamais dans les choses éternelles. Quant aux principaux philosophes païens qui ont pu comprendre les perfections invisibles de Dieu par les choses qui ont été faites, comme ils raisonnaient sans le Médiateur, c'est-à-dire sans l'Homme-Christ, et qu'ils n'ont cru, ni aux prophètes qui annonçaient sa venue, ni aux apôtres qui le disaient arrivé; ils ont retenu la vérité dans l'injustice, ainsi qu'on l'a dit d'eux. En effet, vivant dans ce bas monde, ils n'ont pu que chercher quelques moyens d'arriver aux objets sublimes qu'ils avaient compris; et ils sont ainsi tombés aux mains des démons menteurs, qui leur ont fait changer la gloire du Dieu incorruptible contre une image représentant des oiseaux, des quadrupèdes et des reptiles (Rm 1,20). Car c'est sous ces formes qu'ils ont créé ou adoré des idoles. Donc le Christ est notre science et aussi notre sagesse. C'est lui qui nous donne la foi aux choses temporelles, c'est lui qui nous apprend la vérité sur les choses éternelles. Par lui nous allons à lui, par la science nous tendons à la sagesse: et cependant, nous ne nous éloignons pas de ce seul et même Christ «en qui tous les trésors de la sagesse et de la science sont cachés».

Mais, pour le moment, nous ne parlons que de la science, nous réservant de parler plus tard de la sagesse, si Dieu nous en fait la grâce. Toutefois ne donnons pas aux mots une acception si étroite, que nous nous interdisions d'appeler sagesse la science des choses humaines, et science la sagesse qui s'occupe des choses divines. L'usage, élargissant le sens des mots, applique souvent à l'une et à l'autre la dénomination de sagesse ou de science. Cependant l'Apôtre n'eût pas écrit: «A l'un est donnée la parole de sagesse, à un autre la parole de science», si ces deux dénominations n'avaient chacune un sens particulier, suivant la distinction que nous établissons à cette heure.

CHAPITRE XX.

RÉSUMÉ DE CE LIVRE. COMMENT NOUS SOMMES ARRIVÉS GRADUELLEMENT A DÉCOUVRIR UNE CERTAINE TRINITÉ DANS LA SCIENCE PRATIQUE ET DANS LA VRAIE FOI.

1325 25. Voyons enfin le résultat de cette longue discussion, à quoi elle conclut, où elle a abouti. Tous les hommes désirent être (522) heureux, et cependant tous n'ont pas la foi qui purifie le coeur et conduit au bonheur. Ainsi donc c'est par cette foi, que tous ne veulent pas, qu'il faut tendre au bonheur que personne ne peut ne pas vouloir. Chacun voit dans son coeur qu'il veut être heureux, et; sur ce point, l'accord est si universel, qu'on ne se trompe jamais en jugeant de l'âme des autres d'après la sienne; en deux mots, nous savons que c'est là le voeu de tous. Or, beaucoup désespèrent d'être immortels, bien que, sans cela, ce qu'ils désirent, c'est-à-dire le bonheur, soit impossible. Cependant ils voudraient être immortels s'ils pouvaient l'être, mais ne croyant pas le pouvoir, ils ne vivent pas de façon à pouvoir le mériter. La foi est donc nécessaire pour parvenir au bonheur, à la jouissance de tous lesbiens, soit de l'âme, soit du corps. Or, que cette foi repose sur le Christ qui est ressuscité d'entre les morts dans sa chair, pour ne plus jamais mourir; que personne ne puisse être délivré que par lui de l'empire du démon au moyen de la rémission des péchés; que la vie soit nécessairement malheureuse avec le démon, et que cette vie, ou plutôt cette mort, soit sans terme: voilà encore ce que cette même foi nous enseigne. J'en ai parlé dans ce livre comme je l'ai pu et aussi longtemps que je l'ai pu; et déjà j'en avais traité longuement dans le quatrième livre de cet ouvrage (Ch., 11X-XXI), mais dans un but différent: là, pour faire voir pourquoi et comment le Christ a été envoyé par le Père dans la plénitude du temps(Ga 4,4) et réfuter ceux qui prétendent que Celui qui envoie et Celui qui est envoyé ne peuvent être égaux en nature; ici, pour établir la distinction entre la science active et la sagesse contemplative.

1326 26. Nous avons cherché à découvrir dans l'une et dans l'autre, et en montant, pour ainsi dire, par degrés, une certaine trinité particulière (sui generis) appartenant à l'homme intérieur, comme déjà nous en avions cherché une dans l'homme extérieur. Notre but était d'exercer notre intelligence sur des objets d'un ordre inférieur, afin d'arriver dans la mesure de nos forces, et si cela est possible, à contempler au moins en énigme et à travers un miroir (1Co 13,12), la souveraine Trinité qui est Dieu. L'homme qui confie à sa mémoire les paroles de la foi, sans même en comprendre la signification, comme on retient, par exemple, des mots grecs, ou latins ou de toute autre langue qu'on ignore: cet homme n'a-t-il déjà pas en son âme une certaine trinité, à savoir: le son des mots que sa mémoire conserve, même quand il n'y pense pas; puis la pensée qui naît du souvenir, quand il y songe, et enfin la volonté qui unit le souvenir et la pensée? Cependant nous ne dirons pas que, dans cette opération, il agisse selon la trinité de l'homme intérieur: c'est bien plutôt selon la trinité de l'homme extérieur, puisque le souvenir qu'il se rappelle, quand il le veut et autant qu'il le veut, ne se rattache qu'au sens corporel qu'on appelle l'ouïe, et qu'il n'y a dans sa pensée autre chose que des images d'objets matériels, c'est-à-dire de sons. Mais s'il sait et se rappelle le sens des paroles, c'est déjà une opération de l'homme intérieur; cependant on ne peut pas encore dire qu'il vive selon la trinité de l'homme intérieur, à moins qu'il n'aime les enseignements, les préceptes, les promesses renfermés dans ces paroles. Il peut même se les rappeler et y penser, tout en les croyant faux et en cherchant à les réfuter. Ainsi la volonté qui unit le souvenir de la mémoire et l'impression qui en résulte dans le regard de la pensée, complète, elle troisième, une sorte de trinité; mais on ne vit pas selon cette trinité quand on repousse comme fausses les impressions de la pensée. Mais quand on les croit vraies et qu'on aime ce qu'il y a à aimer, alors seulement on vit selon la trinité de l'homme intérieur: car l'homme vit selon ce qu'il aime.

Or comment aimer ce que l'on ignore, mais que l'on croit? Nous avons déjà traité cette question dans les livres précédents (Liv., 8,ch. et suiv.,; Liv., 10,ch. 1,etc.,), et prouvé que personne ne peut aimer ce qu'il ignore complètement, et que quand on est dit aimer l'inconnu., c'est en vertu de quelque chose de connu. Maintenant nous disons, pour conclusion de ce livre, que le juste vit de la foi (Rm 1,17), de la foi qui agit par la charité (Ga 5,6), en sorte que les vertus mêmes qui règlent la vie, la prudence, la force, la tempérance et la justice, se rapportent toutes à cette même foi, sans quoi elles ne seraient pas de véritables vertus. Du reste, quelle que soit leur valeur, elles ne peuvent en cette vie dispenser de la rémission de tous les péchés, et celle-ci ne s'obtient que par celui qui a vaincu, en versant son sang, le prince des pécheurs. Toutes les connaissances qui résultent de cette foi et de cette conduite pour l'âme du fidèle, quand elles sont contenues dans la mémoire, vues par le regard de la pensée et acceptées par la volonté, forment une certaine trinité particulière (sui generis). Mais l'image de Dieu, dont, avec son aide, nous parlerons plus tard, n'est point encore ici. C'est ce qui sera mieux démontré quand nous aurons fait voir où elle est. Le lecteur s'en convaincra par le livre suivant. (524).




Augustin, Trinité 1316