Chrysostome - Galates 200

CHAPITRE 2: ENSUITE, AU BOUT DE QUATORZE ANS, J'ALLAI A JÉRUSALEM AVEC BARNABÉ (Ga 2),

200 Ga 2

ET JE PRIS AUSSI TITE AVEC MOI. OR, J'Y ALLAI SUIVANT UNE RÉVÉLATION. (Ga 2,1-2) (589)

Analyse.

1. Lorsque, quatorze ans plus tard, Paul se rendit de nouveau à Jérusalem pour exposer sa doctrine aux premiers apôtres, ils furent d'accord avec lui que Tite ne devait pas être circoncis.
2. En quoi les faux apôtres différent des véritables. — Pourquoi Paul circoncit Timothée.
3. Paul reconnu pour l'apôtre des gentils. — Prudence admirable de cet apôtre.
4-6. Il reprend publiquement saint Pierre de ses ménagements intempestifs envers les Juifs. — Contre les chrétiens judaïsants.
7 et 8. Conséquences absurdes auxquelles arrivent ceux qui veulent faire exister la loi ancienne avec la Loi de grâce.

201 1. La première fois qu'il se rendit à Jérusalem, ce fut, dit-il, à cause de Pierre et pour lui faire visite, et la seconde fois, ce fut par suite d'une révélation du Saint-Esprit. « Et j'exposai aux fidèles, et en particulier aux plus considérables, l'Evangile que je prêche parmi les gentils, afin que mes courses ne fussent pas ou n'eussent pas été vaines » (Ga 2,2). Que dis-tu, ô Paul? Toi qui au début n'as pas voulu prendre conseil, qui ne l'as pas voulu non plus au bout de trois ans, tu t'y décides enfin après quatorze ans écoulés, de crainte que tes courses ne soient vaines? Combien ne valait-il pas mieux agir ainsi tout d'abord et non pas après tant d'années? Eh quoi ! tu courais sans avoir la conviction que tes courses ne seraient pas inutiles? Quel est l'homme assez insensé pour prêcher pendant tant d'années sans savoir si son enseignement est bon? Et ce qui augmente encore notre embarras, c'est qu'il déclare qu'il a fait ce voyage par suite d'une révélation. Ceci, je le répète, est bien plus extraordinaire que ce qui précède, mais suffit aussi à nous donner la solution de cette difficulté. S'il eût fait ce voyage de sa seule inspiration, cela surtout serait inexplicable, car cette âme bienheureuse n'avait pas coutume de tomber dans de telles contradictions. N'est-ce pas lui-même qui a dit : « Je cours, mais non sans but; je frappe, mais non dans le vide ». (2Co 9,26) Si donc tu sais où tu cours, pourquoi dis-tu : « De peur que mes courses ne fussent ou n'eussent été vaines (Ga 2,2)? » Voilà qui prouve clairement que s'il était allé à Jérusalem sans y être conduit par une révélation, il aurait agi comme un insensé. Mais sa conduite fut loin d'être aussi absurde. Or, puisqu'il est entraîné par la grâce du Saint-Esprit, qui osera désormais concevoir contre lui un tel soupçon ? Et voilà pourquoi il ajoute ces mots : «Par suite d'une révélation », afin qu'on ne l'accusât pas d'inconséquence, même avant la solution de cette difficulté, quand on saurait que sa démarche ne lui avait pas été inspirée par des motifs humains, mais par la Providence qui voit les événements présents et les événements futurs. Quelle était donc la cause de ce voyage? Pas plus cette fois que la première, lorsqu'il alla d'Antioche à Jérusalem, il ne le fit pour lui-même. Il savait très-bien qu'il faut suivre purement et simplement les préceptes du Christ, mais il voulait rétablir l'union parmi les dissidents. Ainsi donc il n'avait pas besoin de se renseigner pour savoir si ses courses étaient vaines, il voulait fournir aux opposants une entière garantie. Comme la réputation de Pierre et de Jean était plus grande que celle des autres apôtres, et qu'on les croyait en désaccord avec Paul, qui prêchait sans se préoccuper de la circoncision, tandis qu'eux-mêmes laissaient subsister cette pratique, et qu'on (590) pensait qu'il avait tort d'agir ainsi et que ses courses étaient vaines: « J'allai à Jérusalem », dit-il, « et je leur communiquai l'Evangile que je prêche », non pas pour en apprendre personnellement quelque chose (plus loin il s'explique plus nettement là-dessus), mais pour faire comprendre à ceux qui conservaient des doutes que je n'étais point dans l'erreur. Le Saint-Esprit qui prévoyait ces chicanes, lui inspira l'idée d'aller à Jérusalem et d'y faire connaître ses doctrines. C'est pour cela qu'il dit : « Je m'y rendis par suite d'une révélation », et qu'il prit avec lui Tite et Barnabé comme témoins de son enseignement.

« Et je leur exposai l'Evangile que je prêche aux gentils », c'est-à-dire, que je prêche sans parler de la circoncision, « Et en particulier à ceux qui paraissaient les plus considérables » (Ga 2,2). Que signifient ces mots « En particulier? » Quand on veut réformer des dogmes communs à tous, ce n'est pas en particulier, mais en public qu'on doit le faire. Paul ne fit pas ainsi : c'est qu'il ne voulait rien apprendre, ni rien réformer, mais il voulait détruire le prétexte dont se couvraient ceux qui cherchaient à tromper les fidèles. Comme tous dans Jérusalem se seraient scandalisés si quelqu'un s'était permis de transgresser la loi et d'interdire l'usage de la circoncision, ce qui faisait dire à Jacques : « Vous voyez, mon frère, combien de milliers de Juifs ont cru : or tous ont ouï dire que vous enseignez à renoncer à la loi ». (Ac 21) ; comme tous étaient prêts à se scandaliser, il n'eut pas le courage de passer outre, de parler en toute liberté et de mettre son enseignement au grand jour. Il le communique en particulier aux plus considérables, en présence de Tite et de Barnabé, afin qu'ils pussent tous deux témoigner devant ses adversaires que les apôtres, loin de trouver son enseignement contraire à celui de l'Eglise, le sanctionnaient tel qu'il était... En se servant de cette expression « A ceux qui paraissaient les plus considérables», il n'a pas l'intention de contester aux apôtres la considération dont ils jouissaient, puisqu'il dit de lui-même : « Moi aussi je parais posséder l'Esprit de Dieu ». Ce langage est celui d'un homme qui mesure ses paroles, et non d'un homme qui conteste la possession d'une qualité. Il en est de même ici. « A ceux qui paraissaient les plus considérables », dit-il, en ajoutant son témoignages à celui de tous les autres fidèles.

« Mais on n'obligea point Tite, que j'avais emmené avec moi, et qui était gentil, de se faire circoncire ((Ga 2,3) ». Qu'est-ce à dire : « Il était gentil ? » — Il avait été du nombre des gentils, et n'était pas circoncis. Je n'étais pas le seul à prêcher comme je faisais, Tite en faisait autant tout incirconcis qu'il était, et les apôtres ne l'obligèrent point de se faire circoncire. — Ce qui était la meilleure preuve que les apôtres ne condamnaient ni les actes, ni les paroles de Paul. Et ce qui le prouve encore plus, c'est que les adversaires de Paul, quoiqu'ils fussent prévenus de ce qu'il faisait, ne purent malgré tout leur acharnement décider les apôtres à imposer l'usage de la circoncision. Il y fait allusion quand il parle de « Ces faux frères qui s'étaient introduits dans l'Eglise ((Ga 2,4) ». Quels étaient ces faux frères? Car dans le moment présent cette question, n'est pas sans importance. Si les apôtres permettaient alors de pratiquer la circoncision, pourquoi traites-tu de faux frères ceux qui se conforment à l'opinion des apôtres en prescrivant l'observation de cette pratique? D'abord, parce que ce n'est pas la même chose de prescrire de faire, ou de laisser faire. — Car celui qui prescrit, regarde ce qu'il prescrit comme une chose indispensable et de première importance, taudis que celui qui ne prescrit ni n'empêche de faire la chose que l'on veut, la permet non comme indispensable, mais par suite d'une prudente conduite. Par exemple, c'est ce qui avait lieu quand Paul écrivait aux Corinthiens au sujet des devoirs du mariage.

202 2. Après différents conseils sur cette matière, pour qu'on ne croie pas qu'il veuille ériger en textes de loi ses recommandations aux Corinthiens, il ajoute : « Or, je vous dis ceci par condescendance, et non par commandement ». (1Co 7,6) Car il ne s'agissait pas d'un jugement imposé d'autorité, mais d'une conduite indulgente pour leur penchant à l'incontinence. Aussi dit-il : « A cause de votre incontinence ». Si vous voulez connaître l'opinion de Paul à ce sujet, écoutez ces paroles : « Je désire que tous les hommes soient comme moi-même » (1Co 7,7), qu'ils vivent dans la chasteté. Il en était de même dans la circonstance présente : si les apôtres permettaient la (591) circoncision, ce n'était pas pour faire observer la loi, mais par condescendance pour la faiblesse juive. S'ils avaient tenu à faire respecter la loi, il n'auraient pas toléré deux enseignements, l'un pour les Juifs, l'autre pour les gentils. Car si la chose eût été obligatoire pour les infidèles, il est évident qu'elle l'eût été aussi pour tous les fidèles. D'un autre côté, s'ils établissaient comme une loi de ne point troubler les gentils au sujet de la circoncision, ils montraient qu'ils ne la permettaient aux Juifs que par pure condescendance.

Il n'en était pas ainsi des faux frères, ils visaient à exclure les gentils de la grâce et à les ramener sous le joug de la servitude. C'était là la première différence, et certes elle était considérable. La seconde, c'est que les apôtres ne faisaient cela qu'en Judée, où la loi dominait, tandis que les faux frères le faisaient en tout pays, car ils s'étaient adressés à tous les Galates. D'où il est clair qu'ils agissaient ainsi, non pour édifier, mais pour détruire l'édifice jusqu'aux fondements, et que les intentions des apôtres, quand ils autorisaient la circoncision, n'étaient pas les mêmes que celles des faux frères quand ils s'efforçaient de l'imposer. — « Qui s'étaient introduits dans l'Eglise pour espionner la liberté que nous avons en Jésus-Christ » (Ga 2,4). Voyez-vous comme il fait allusion à leur esprit d'hostilité en employant ce mot d'espion? Car des espions ne s'introduisent parmi leurs adversaires que pour se tenir au courant de ce qu'ils font, et en profiter pour les attaquer et détruire leur puissance. C'est ce que faisaient ces faux frères qui voulaient ramener les fidèles sous le joug de la servitude. Ce qui montre bien qu'au lieu d'avoir les mêmes vues que les apôtres, ils étaient en complet désaccord à ce sujet. Tandis que ceux-ci permettaient la circoncision pour détacher peu à peu les fidèles de la servitude, eux ne l'établissaient que pour les enfoncer plus avant dans la servitude. Aussi observaient-ils avec un soin scrupuleux et minutieux quels étaient ceux qui restaient incirconcis : ce que Paul nous fait entendre par ces mots : « Ils s'étaient introduits pour espionner la liberté dont nous jouissons » (Ga 2,4). Il nous dévoile leurs desseins, non-seulement en se servant de ce mot d'espion, mais encore en nous les montrant qui s'introduisent, qui se glissent furtivement dans l'Eglise.

«Nous n'avons pas cédé à leurs ordres même pour un moment ((Ga 2,5) ». Remarquez cette expression noble et significative. Il n'a pas dit : « A leurs observations », mais : « A leurs ordres ». Car ils agissaient ainsi non pour enseigner quelque chose d'utile, mais pour imposer leur volonté et établir la servitude, aussi nous avons bien cédé aux apôtres, mais non pas à ces gens-là. «Afin que la vérité de l'Evangile demeurât votre partage » (Ga 2,5). C'est-à-dire, afin de corroborer par nos actions ce que nous vous avons déjà dit, à savoir que « Ce qui était de vieux, est passé, et tout est devenu nouveau.» (2Co 5,17), et que « Si quelqu'un est en Jésus-Christ, il est devenu une nouvelle créature» (2Co 5,17), et que Jésus-Christ « ne servira de rien à ceux qui pratiquent la circoncision ». (Ga 5,2) Pour établir plus fortement ces vérités, nous n'avons pas même cédé un instant. Ensuite comme on ne pouvait manquer de lui objecter la conduite que tenaient les apôtres, et qu'il était tout naturel que quelques-uns lui dissent : Comment se fait-il donc qu'ils prescrivent cet usage ? Voyez avec quelle habileté il détruit cette objection. Il ne dit point la vraie cause, par exemple, que les apôtres agissaient ainsi par condescendance et d'après une vue secrète, autrement il aurait porté tort à ceux qui l'écoutaient. Il faut que ceux qui doivent profiter d'une combinaison secrète en ignorent la cause, car si tout leur était dévoilé, l'avantage qu'ils peuvent en retirer serait entièrement perdu pour eux. Il faut donc que celui qui dirige la combinaison, ait le secret des événements, et que celui qui doit en avoir le profit, ne sache rien. Et pour rendre plus évident ce que je viens d'avancer, je cite un exemple pris au coeur même de notre sujet. Ce même Paul, le bienheureux Paul, qui voulait détruire la circoncision, au moment d'envoyer Timothée pour prêcher les Juifs, ne l'y envoya qu'après l'avoir d'abord fait circoncire. (Ac 16,1-3)

Paul prit cette précaution afin que Timothée fût bien reçu de ses auditeurs, et celui-ci s'introduisit chez les Juifs avec la circoncision, pour abolir l'usage de la circoncision. Timothée, lui, savait bien le motif de cette précaution, mais il n'en dit rien à ses disciples. S'ils avaient su qu'il s'était fait circoncire précisément pour supprimer la circoncision, ils n'auraient pas écouté le premier mot de ses prédications, et tout l'avantage qu'ils devaient retirer de sa mission aurait été perdu, tandis (592) que leur ignorance d'alors leur rendit un signalé service. Car pensant qu'il avait fait cela comme un rigide observateur de la loi, ils l'accueillirent de bon coeur et avec docilité lui et ses enseignements. Après l'avoir accueilli, ils se laissèrent instruire peu à peu et renoncèrent à leurs anciennes coutumes, ce qui ne serait pas arrivé si, dès le commencement, ils avaient su l'objet de sa démarche. Après l'avoir appris, ils se seraient détournés de lui, après s'être détournés de lui, ils ne l'auraient pas écouté, et s'ils ne l'avaient pas écouté, ils seraient restés dans leur ancienne erreur. C'est pour que cela n'eût pas lieu, qu'il leur cacha le motif de sa conduite. Voilà aussi pourquoi Paul, dans la circonstance présente, ne donne point la raison de sa conduite, mais il change de méthode et s'y prend autrement en parlant ainsi : « De ceux qui paraissaient les plus considérables (je ne m'arrête pas à ce qu'ils ont été autrefois, Dieu n'a point égard à la qualité des personnes (Ga 2,6).... » Ici, non-seulement il n'excuse pas les apôtres, mais encore il réserve le poids de sa parole pour les saints, afin d'être utile aux faibles. Voici le sens de ses paroles: Quand même ceux-ci permettraient la circoncision, ils auraient à en rendre compte eux-mêmes à Dieu. Car Dieu ne les acceptera point parce qu'ils sont grands et qu'ils commandent aux autres. Cependant il ne s'exprime pas aussi clairement, il ménage ses expressions. Il n'a pas dit : Si ceux-ci troublent la prédication et prêchent autrement qu'il ne leur a été prescrit, ils encourront les condamnations les plus terribles et seront châtiés. Il se garde bien de s'exprimer ainsi, et s'il les prend à partie, c'est avec respect, en ces termes : « Quant à ceux qui paraissaient être les plus considérables (je ne m'arrête point à ce qu'ils étaient autrefois).... » Il n'a point dit : « Ce qu'ils sont», mais : « Ce qu'ils étaient » (Ga 2,6), montrant par là qu'eux- mêmes avaient cessé désormais de prêcher dans ce sens, parce que la prédication évangélique avait triomphé partout. « Ce qu'ils étaient», c'est-à-dire, s'ils continuaient de prêcher dans ce sens, ils auraient à en rendre compte. Car ce n'est point devant les hommes, mais devant Dieu qu'ils doivent se justifier.

203 3. Il parlait ainsi, non pas qu'il eût des doutes, ou qu'il ignorât les intentions des apôtres, mais, comme je l'ai dit plus haut, il croyait utile d'employer cette tactique. Ensuite, afin de ne pas paraître les accuser parce qu'il avait adopté une marche contraire, et de ne pas être suspect d'animosité, il corrige aussitôt son expression et dit : « Ceux qui paraissaient être les plus considérables ne m'ont rien appris de nouveau » (Ga 2,6). Qu'est-ce à dire? C'est-à-dire, ce que vous dites, vous, je l'ignore, mais ce que je sais bien, c'est qu'ils ne m'ont pas fait d'opposition, qu'ils ont été du même sentiment que moi, qu'ils ont été d'accord avec moi. Voilà ce que signifie cette parole: « Ils m'ont donné les mains » (Ga 2,9), ils ne m'ont rien appris, ils n'ont rien corrigé à mon enseignement, ils n'y ont rien ajouté. « Les plus considérables » ne m'ont rien appris de nouveau. C'est-à-dire: ils connaissaient mes doctrines, et ils n'y ont rien ajouté, rien corrigé, et cela sachant que j'étais venu pour communiquer avec eux. J'étais venu suivant la révélation du Saint-Esprit, pour communiquer avec eux, et j'avais Tite avec moi quoiqu'il fût incirconcis ; ils ne me dirent rien de plus que ce que je savais, et n'exigèrent point que Tite se fit circoncire.

« Mais au contraire » (Ga 2,7) ... Qu'est-ce que cela, « Au contraire? » D'après certaines personnes, Paul dit que non-seulement il n'apprit rien des apôtres, mais que ce furent les apôtres qui apprirent quelque chose de lui : ce que, pour ma part, je ne saurais admettre. Qu'avaient-ils à apprendre encore de lui ? Chacun d'eux était parfaitement instruit. Ce n'est donc pas là ce qu'il veut dire quand il se sert de cette expression : « Au contraire» : il veut faire entendre que les apôtres, non-seulement ne lui firent pas de reproches, mais qu'ils étaient si loin de le blâmer qu'ils lui donnèrent des éloges: car l'éloge est le contraire du blâme. Ensuite, comme il était naturel qu'on lui fit cette objection : S'ils vous donnaient des éloges, comment se fait-il donc qu'ils ne supprimèrent pas la circoncision ? Puisqu'ils vous donnaient des éloges, ils auraient dû la supprimer. De dire qu'ils la condamnaient, il trouvait que c'était trop hardi, et que ce serait se mettre en opposition avec ce dont ils étaient convenus. D'un autre côté, avouer que ce n'était qu'une tolérance, l'exposait nécessairement à une autre objection, et il le voyait bien. S'ils approuvaient votre enseignement, aurait-on pu lui dire, et s'ils toléraient en même temps la pratique de la circoncision, ils étaient en (593) contradiction avec eux-mêmes. — Comment se tirer de là ? Il pouvait bien répondre qu'on faisait cela par condescendance pour la faiblesse juive, mais cet aveu eût compromis entièrement l'oeuvre et le but de l'Evangile. Aussi passe-t-il ce point sous silence, et le laisse-t-il à l'état de doute et comme en suspens, en s'exprimant ainsi : « Quant à ceux qui paraissaient être les plus considérables (je ne m'arrête point à ce que... ») (Ga 2,6). C'est comme s'il disait: Je n'accuse, ni ne critique ces saints ils savent ce qu'ils font, car ils rendront compte à Dieu de leurs actions ; mais ce que je me propose, c'est de prouver qu'ils ne voulaient pas abolir mes doctrines, ni les corriger, ni y ajouter quelque chose comme si elles eussent été incomplètes, et que tout au contraire ils les approuvèrent tous ensemble. Et de cela j'ai pour témoin Tite et Barnabé. Voilà pourquoi il ajoute : « Ayant reconnu que la charge de prêcher l'Evangile de l'incirconcision m'avait été donnée, comme à Pierre celle de prêcher l'Evangile de la circoncision (Ga 2,7)... » Il ne prend pas ces mots circoncision et incirconcision au pied de la lettre, il s'en sert pour faire la distinction des Juifs et des gentils. Puis il ajoute: « Car celui qui a agi efficacement dans Pierre pour le rendre apôtre des circoncis, a aussi agi efficacement en moi pour me rendre apôtre des gentils (Ga 2,8) ».

De même que par l'incirconcision il désigne les gentils, de même ce sont les Juifs qu'il désigne par la circoncision. Il montre qu'il est l'égal des apôtres, et c'est au premier d'entre eux et non aux autres qu'il se compare, afin de prouver qu'ils étaient tous égaux en dignité. Après avoir fourni cette preuve de leur unité de vues, il parle désormais avec plus d'assurance et de liberté ; et il ne s'en tient plus seulement aux apôtres, il remonte jusqu'au Christ, et rappelle la grâce qu'il en a reçue : il en prend les apôtres à témoin et dit: « Ceux qui paraissaient comme les colonnes de l'Eglise, Jacques, Céphas et Jean, ayant reconnu la grâce que j'avais reçue, nous donnèrent la main à Barnabé et à moi pour marque de la société et de l'union qui était entre eux et nous » (Ga 2,9). Il ne dit pas : « Ayant entendu parler de la grâce que j'avais reçue », mais : « Ayant reconnu », c'est-à-dire, ayant appris par les faits mêmes, « ils nous donnèrent la main à moi et à Barnabé pour marque de là société et de l'union qui était entre eux et nous ». Avez-vous remarqué comme peu à peu il a prouvé que son enseignement était approuvé du Christ et des apôtres? Car le Christ ne lui aurait pas accordé sa grâce et ne l'aurait pas laissée agir efficacement en lui, s'il n'avait approuvé sa prédication. Quand Paul est obligé de se comparer à quelqu'autre, il ne parle que de Pierre; quand il doit invoquer un témoignage, c'est celui des trois apôtres réunis, et il a soin de prononcer leur nom avec éloge: « Jacques, Céphas et Jean qui paraissaient comme les colonnes de l'Eglise ». Et d'un autre côté, s'il dit « Qui paraissaient», ce n'est pas qu'il leur refuse cette qualité, mais il s'appuie sur l'opinion générale et dit: Ces grands personnages qui sont élevés au-dessus des autres, et dont on parle partout, peuvent rendre témoignage pour mon enseignement, et prouver qu'il est approuvé du Christ; ils le savent par les faits, et l'expérience même n'a fait qu'affermir leur conviction. C'est pourquoi ils m'ont donné la main, et non pas seulement à moi, mais aussi à Barnabé, « Afin que nous prêchassions l'Evangile aux gentils et eux aux circoncis (Ga 2,9)».

O l'admirable prudence ! O preuve irréfutable de la bonne harmonie des apôtres entre eux! Paul montre que leur doctrine est sa doctrine, et que sa doctrine est leur doctrine. Des deux côtés on était d'accord pour que ceux-ci prêchassent les Juifs dans ce sens, et pour que lui prêchât les gentils comme il faisait : aussi ajoute-t-il : « Afin que nous préchassions l'Evangile aux gentils et eux aux circoncis » (Ga 2,9). Voyez-vous comme ici, en parlant de la circoncision, il ne fait pas allusion à la chose elle-même, mais bien aux Juifs? Toutes les fois en effet qu'il parle de la chose elle-même et qu'il l'attaque, il place en regard l'incirconcision, comme lorsqu'il dit: « La circoncision vous est utile, si vous accomplissez la loi; mais si vous la violez, votre circoncision ne devient qu'une incirconcision » (Rm 2,25) ; et ailleurs : « La circoncision n'a pas plus de valeur que l'incirconcision ». (Ga 5,6) Quand c'est aux Juifs qu'il fait allusion et non à cette pratique elle-même, il ne se sert pas du mot incirconcision comme terme contraire, mais du mot de gentils. Car ce sont les Juifs qu'on oppose aux gentils, et la circoncision à l'incirconcision. Par exemple lorsqu'il dit : « Celui qui agit efficacement (594) dans Pierre pour en faire l'apôtre de la circoncision, agit efficacement en moi pour que je sois l'apôtre des gentils », et lorsqu'il disait tout à l'heure : « Nous, pour prêcher l'Evangile aux gentils, eux, pour le prêcher à la circoncision », ce n'était pas à la circoncision même qu'il faisait allusion; par ce mot il désignait le peuple Juif et l'opposait aux gentils. « Ils nous recommandaient seulement de nous ressouvenir des pauvres : ce que j'ai eu aussi grand soin de faire (Ga 2,10) ».

204 4. Quel est le sens de ces paroles? Nous avons fait deux parts du monde pour la prédication : moi je dois prêcher aux gentils, eux ont reçu les Juifs en partage, selon la volonté de Dieu, mais cela ne m'a pas empêché de me joindre à eux pour secourir de mes propres ressources les pauvres d'entre les Juifs. Or s'il y eût eu entre eux et lui guerre et combats, ils n'auraient pas accepté ses secours. Quels sont ces pauvres ? Beaucoup de Juifs qui avaient cru s'étaient vu priver des biens qu'ils possédaient en Palestine, et étaient chassés de partout. C'est ce qu'il fait entendre dans son épître aux Hébreux quand il dit : « Vous avez souffert avec joie les attaques de ceux qui vous ravissaient vos biens » (He 10,34) ; c'est aussi à cela qu'il fait allusion, quand il écrit aux Thessaloniciens pour célébrer leur fermeté : « Vous êtes les imitateurs des Eglises de Dieu qui sont en Judée, car vous avez souffert de la part de vos compatriotes les mêmes avanies que celles-ci de la part des Juifs ». (1Th 2,14) Il ne cesse de montrer que ceux des gentils qui se convertissaient n'étaient pas si maltraités par les autres gentils demeurés attachés au paganisme, que l'étaient les Juifs convertis par leurs compatriotes qui les persécutaient. Car ce peuple est le plus intraitable qu'il y ait sur la terre. C'est pourquoi Paul fait tous ses efforts pour procurer à ces malheureux la pitié et la sympathie générale, soit qu'il écrive aux Romains, soit qu'il écrive aux Corinthiens. Et non-seulement il recueille de l'argent, mais encore il le porte lui-même (1Co 16), et dit : « Maintenant je vais à Jérusalem porter aux saints quelques aumônes ». (Rm 15,25) — Car ils n'avaient pas le nécessaire. Ce qu'il disait en ce moment-là peut se traduire ainsi: Alors je songeai à les secourir, j'en pris l'engagement, et je tins parole. Puis, après avoir ainsi prouvé que lui et les apôtres étaient d'accord et avaient les mêmes vues, il se trouve amené forcément à parler de la discussion qu'il eut avec Pierre dans Antioche, et dit: « Quand Pierre vint à Antioche, je lui résistai en face parce qu'il était répréhensible: Car, avant que quelques-uns qui venaient d'avec Jacques fussent arrivés, il mangeait avec les gentils : mais après leur arrivée, il se retira et se sépara d'avec les gentils, ayant peur de blesser les circoncis » (Ga 2,11-12).

Beaucoup, après une lecture superficielle de ce passage des Ecritures, croient que Paul accuse Pierre de dissimulation : mais cela n'est pas, non cela n'est pas ! Loin de vous une telle pensée ! Nous allons voir que la conduite que Pierre et Paul tinrent alors, cache une singulière habileté, et qu'ils agissaient ainsi pour le profit de ceux qui les écoutaient. Et d'abord il faut parler de la franchise de Pierre et de son esprit primesautier qui l'entraînait toujours à se prononcer avant les autres. C'est à cela qu'il dut son surnom, et à sa foi inflexible, inébranlable. Un jour qu'une question commune était adressée à tous les apôtres, il s'écria avant les autres « Tu es le Christ, le fils du Dieu vivant». (Mt 16,16) C'est alors que les clefs du ciel lui furent confiées. Et sur la montagne il fut le seul qu'on vit prendre la parole, et lorsque Jésus parlait de la croix, c'est lui qui, pendant que les autres se taisaient, dit au Sauveur : « Ayez pitié de vous-même ». (Mt 16,22) Si ces paroles n'annonçaient pas beaucoup de jugement, elles témoignaient du moins d'une vive affection. En toute circonstance nous le voyons montrer plus d'ardeur que les autres, et courir avant eux au danger. Quand le Seigneur se montra sur le bord de la mer, il laissa les autres tirer la barque et ne put se résoudre à rester avec eux. Puis, après la résurrection, au milieu des cris de fureur des Juifs qui voulaient les mettre en pièces, il s'avança le premier, ne craignit pas de prendre la parole et dit : Le crucifié a été enlevé de ce monde et il est dans les cieux. Autre chose est d'ouvrir une porte fermée et de commencer une entreprise, autre chose de se déclarer après coup. Comment accuser de dissimulation celui qui au péril de sa vie avait bravé le ressentiment d'une foule si nombreuse ? Cet homme qui, fouetté et jeté dans les fers, ne perdit rien de la fierté de son langage, et cela au début de sa carrière, au (595) milieu même de Jérusalem, où le danger était si grand, comment aurait-il pu longtemps après, lorsqu'il était à Antioche où il ne courait aucun danger, et où sa réputation s'était si bien établie, appuyée qu'elle était sur le témoignage de ses actions, comment aurait-il pu craindre des Juifs devenus chrétiens? Lui qui au début, dans Jérusalem même, n'avait pas eu peur des Juifs, comment aurait-il pu si longtemps après, alors qu'il était eu pays étranger, craindre ceux d'entre eux qui s'étaient convertis ? Ce n'est donc pas un acte d'accusation que Paul dresse contre Pierre, mais son langage lui est inspiré par la même pensée qui lui avait déjà fait écrire : « Quant à ceux qui paraissaient les plus considérables, je ne m'arrête pas à ce qu'ils ont été autrefois ». Mais, pour ne point rester plus longtemps dans le doute à ce sujet, il est nécessaire de faire connaître la cause du débat.

Dans Jérusalem même, les apôtres, comme je l'ai dit plus haut, toléraient la circoncision, car il n'était pas possible d'arracher brusquement les Juifs 'au joug de la loi. Mais, lorsqu'ils entrèrent à Antioche, ils n'observèrent plus de semblables pratiques, et vécurent au contraire sans distinction aucune avec les gentils devenus fidèles : cure Pierre aussi faisait alors. Mais quand vinrent de Jérusalem ceux qui l'avaient vu prêcher chez eux, dans le sens de la circoncision, Pierre cessa de se mêler aux gentils, parce qu'il craignait de les effrayer, et il se sépara de ses compagnons. Il avait deux choses en vue; c'était de ne pas scandaliser les Juifs convertis, et de fournir à Paul un prétexte plausible pour l'en blâmer. Si en effet, après avoir, dans Jérusalem, prêché l'Evangile de la circoncision, il avait changé de doctrine quand il était à Antioche, les Juifs convertis auraient pensé qu'il agissait, ainsi par crainte de Paul, et ses disciples l'auraient méprisé pour sa versatilité, ce qui n'aurait pas été un mince scandale. Cependant Paul, qui savait fort bien à quoi s'en tenir, n'aurait pas ou de pareils soupçons sur son compte, en le voyant revenir sur ce qu'il avait fait, car il connaissait les intentions de Pierre. Aussi Paul adresse-t-il des reproches à Pierre, qui les supporte patiemment, afin que ses disciples soient plus prompts à suivre son changement en voyant leur maître subir ces reproches sans répondre. Sans un événement de ce genre, les recommandations de. Paul n'auraient pas eu beaucoup de résultats, tandis qu'en profitant de l'occasion pour éclater en critiques très-vives, il intimidait davantage les disciples de Pierre. Si d'un autre côté Pierre avait répondu, on lui aurait reproché, et à bon droit, d'arrêter le développement de I'Evangile, tandis que dans la circonstance présente, les reproches de l'un et le silence de l'autre faisaient une profonde impression sur les Juifs convertis. Voilà pourquoi Paul se montre si acerbe à l'égard de Pierre.

205 5. Voyez quelle précision dans son langage, et comme il donne à comprendre aux hommes intelligents qu'il parla de la sorte, non par esprit de lutte, mais par une politique prudente. « Lorsque Pierre vint à Antioche », dit-il, « je lui résistai en face, parce qu'il était répréhensible » (Ga 2,11). Il ne dit pas que c'était là son opinion, mais que c'était celle des autres. Si pour sa part il l'avait trouvé répréhensible, il n'aurait pas manqué de le dire nettement. Quand il dit : « Je lui résistai en face », ce n'est là qu'une figure. Car si c'eût été une lutte véritable, ils ne l'auraient pas engagée devant leurs disciples, qui en auraient été singulièrement scandalisés. Mais cette fois une lutte apparente et publique devait amener de bons résultats. Et de même que Pierre avait cédé aux Juifs convertis, quand il était à Jérusalem, de même ceux-ci devaient céder à leur tour maintenant qu'ils étaient à Antioche. En quoi Pierre était-il donc répréhensible? « Car, avant que quelques-uns qui venaient d'avec Jacques (1) fussent arrivés, il mangeait avec les gentils; mais après leur arrivée il se retira et se sépara d'avec les gentils, ayant peur de blesser les circoncis (Ga 2,12) ». Il ne redoutait pas le danger, car lui, qui n'en n'avait pas eu peur au commencement, devait le redouter beaucoup moins encore à cette époque, mais il craignait de voir ses disciples renoncer au christianisme. C'est aussi ce que Paul lui-même dit aux Galates : «Je crains pour vous que je n'aie pris une peine inutile » (Ga 4,11)et ailleurs : « Mais j'appréhende qu'ainsi que le serpent séduisit Eve par ses artifices, vos esprits aussi ne se corrompent ». (2Co 11,3) La crainte de la mort n'était rien pour eux, mais ce qui troublait surtout leur âme, c'était la crainte de perdre leurs disciples.

1. Jacques lui-même était resté à Jérusalem.

(596) « De sorte que Barnabé même se laissa aller, lui aussi, à user de cette dissimulation (Ga 2,13) ». Ne vous étonnez pas s'il appelle cela de la dissimulation; il ne veut pas, comme je l'ai déjà dit, dévoiler le fond de sa pensée, afin de redresser les Juifs convertis. Comme ils étaient encore singulièrement attachés à la loi, il traite de dissimulation la conduite de Pierre, et lui en fait de vifs reproches, afin de briser complètement les liens qui les maintenaient sous le joug de la loi. Pierre entend cela et feint de se trouver en faute, pour que les reproches qu'il s'attire servent à redresser les autres. Si Paul avait adressé ses réprimandes aux Juifs convertis, ils en auraient été indignés et en auraient fait fi; car ils ne le tenaient pas en très-grande estime. Tandis qu'en voyant leur maître garder le silence devant les reproches de Paul, ils n'étaient plus en droit de résister aux injonctions de cet apôtre et de les dédaigner.

« Mais quand je vis qu'ils ne marchaient pas droit, suivant la vérité de l'Evangile (Ga 2,14) »... Que cette expression ne vous trouble pas non plus: il ne dit pas cela pour condamner Pierre, mais s'il se servait d'une expression aussi énergique, c'est que cela était utile, et que, ceux qui l'écoutaient devaient faire leur profit des reproches adressés à Pierre, et en prendre occasion pour devenir meilleurs... « Je dis à Pierre devant tous ». Voyez-vous quelle leçon pour les autres ? Il prononce ces mots : « Devant tous», afin d'effrayer ceux qui l'entendent. Qu'as-tu à répondre, dis-moi ? « Si toi, qui es Juif, tu vis à la façon des gentils, et non à la façon des Juifs, de quel droit obliges-tu les gentils à judaïser? » (Ga 2,14) Et cependant ce n'étaient pas les gentils qui s'étaient réunis avec lui, mais les Juifs. Pourquoi donc, ô Paul, reprocher ce qui n'est pas arrivé? pourquoi ne pas parler des Juifs qui usaient de dissimulation, mais des gentils? pourquoi vous en prendre au seul Pierre, quoique les autres eussent imité sa dissimulation? Voyons ce qu'il lui reproche : « Si toi, qui es Juif, tu vis à la façon des gentils, et non à la façon des Juifs, de quel droit forces-tu les gentils à judaïser? » Et cependant Pierre se retirait, tout seul et sans entraîner avec lui les gentils convertis. Où Paul veut-il donc en venir? A empêcher qu'on ne soupçonne le but de ses reproches. S'il avait dit : Tu as tort d'observer la loi, les Juifs convertis l'auraient blâmé et auraient trouvé qu'il parlait avec arrogance à leur maître. Mais s'il se plaint de Pierre, c'est pour défendre et justifier ses propres disciples, je parle des gentils, et c'est par ce moyen qu'il fait accepter ses paroles. Et ce n'est pas seulement par ce moyen, mais encore, c'est en écartant le reproche de tous les disciples, Juifs ou gentils, pour le reporter tout entier sur Pierre. « Toi », dit-il, « qui es Juif, tu vis à la manière des gentils, et non à la manière des Juifs ». N'est-ce pas à peu près comme s'il disait franchement : Imitez votre maître, puisqu'il vit à la manière des gentils, tout Juif qu'il est? Il se garde bien toutefois de parler ainsi : car les disciples Juifs auraient rejeté ses paroles ; mais, en feignant de reprocher à Pierre sa conduite à l'égard des gentils, il dévoile la vraie pensée de cet apôtre. D'un autre côté s'il avait dit : Pourquoi contrains-tu les Juifs à judaïser ? son insistance aurait déplu. Tandis qu'en paraissant se préoccuper seulement des gentils et non des Juifs, il amène ceux-ci à de meilleurs sentiments. Car le meilleur moyen de faire accepter la critique, c'est d'en écarter ce qui peut indisposer celui à qui elle s'adresse. Les gentils ne pouvaient faire un crime à Paul de son intervention en faveur des disciples Juifs. Pierre fit réussir entièrement cette combinaison par son silence et par sa résignation à accepter le reproche de dissimulation, ce qui lui permettait de cacher aux Juifs la vraie dissimulation dont il était convenu avec Paul.

D'abord Paul ne s'adresse qu'à la personne de Pierre : « Si toi qui es Juif... » — plus loin il donne plus de latitude à sa parole, se met lui-même en cause et s'exprime ainsi : « Nous qui sommes Juifs par notre naissance, et non du nombre des gentils qui sont des pécheurs (Ga 2,15) ». Ces paroles sont une exhortation à laquelle l'apôtre a ajouté un mot de blâme par ménagement pour les Juifs.

206 6. Il s'agit de cette manière dans une autre circonstance où il a l'air de parler d'une manière tandis qu'il prépare autre chose; comme lorsqu'il dit dans son épître aux Romains : « Maintenant je vais à Jérusalem pour me mettre au service des saints ». (Rm 15,25) Son intention n'était pas de leur dire ni de leur apprendre simplement pourquoi il se rendait à Jérusalem; mais il voulait les exciter à se montrer eux aussi charitables. Car s'il n'avait voulu que leur faire connaître le motif de (597) son voyage, il lui suffisait de dire: « Je vais me mettre au service des saints». Voyez maintenant quels détails il y ajoute : « Car les Eglises de Macédoine et d'Achaïe ont résolu avec beaucoup d'affection, de faire quelque part de leurs biens à ceux d'entre les saints de Jérusalem qui sont pauvres. Ils s'y sont portés d'eux-mêmes, et en effet ils leur sont redevables ». (Rm 15,26-27) Et il ajoute : « Car si les gentils ont participé aux richesses spirituelles des Juifs, ils doivent aussi leur faire part de leurs biens temporels ». (Rm 15,27)

Voyez donc comme il s'y prend pour rabaisser l'orgueil des Juifs usant d'une voie détournée pour arriver à son but, et comme il parle avec autorité : « Nous qui sommes Juifs par notre naissance, et non du nombre des gentils qui sont des pécheurs ». Que signifient ces mots : « Juifs de naissance? » — Nous ne sommes pas des prosélytes, veut-il dire, mais dès l'enfance nous avons été nourris de la loi, et nous avons renoncé à ses principes sucés avec le lait pour nous réfugier dans la foi du Christ. « Sachant que l'homme n'est point justifié par les couvres de la loi, mais par la foi en Jésus-Christ, nous avons cru nous aussi en Jésus-Christ (Ga 2,16) ». Voyez comme il dit tout et sans rien compromettre. Si nous avons laissé la loi, dit-il, ce n'est pas qu'elle fût mauvaise, mais c'est qu'elle était insuffisante. Si donc la loi ne donne pas les moyens de se justifier, la pratique de la circoncision est superflue. Il s'en tient là d'abord, puis à mesure qu'il avance il montre quelle est non-seulement superflue, mais encore dangereuse. Il faut bien observer comment il fait entendre cela dès le début quand il dit : « L'homme n'est point justifié par les couvres de la loi». Plus loin encore il parle avec plus de force : « Que si, cherchant à être justifiés par Jésus-Christ, il se trouvait que nous fussions nous-mêmes des pécheurs, Jésus-Christ serait donc ministre du péché (Ga 2,17) ». Si la foi en Jésus-Christ, dit-il, ne peut pas nous justifier, il faut nécessairement en revenir à la loi. Car si, après l'avoir abandonnée pour Jésus-Christ, nous trouvons dans ce fait notre condamnation au lieu de notre justification, il se rencontrera que c'est Jésus qui est l'auteur de notre condamnation, Jésus pour lequel nous nous sommes faits les transfuges de la loi. Voyez-vous avec quelle puissance de logique il nous force de reconnaître l'extrême absurdité de cette supposition? S'il ne fallait pas abandonner la loi et que nous l'ayons abandonnée à cause de Jésus, comment serons-nous jugés? — Pourquoi donc, ô Paul, adresses-tu ces paroles et ces remontrances à Pierre, lui qui savait à quoi s'en tenir là-dessus mieux que tous les autres? Dieu ne lui avait-il pas montré qu'on ne doit tenir aucun compte de la circoncision quand il s'agit d'hommes étrangers à cette pratique? N'est-ce pas en se tenant à ce point de vue qu'il a résisté victorieusement à l'argumentation des Juifs? n'a-t-il pas, à ce sujet, promulgué de Jérusalem les prescriptions les plus claires?

Non, non, ce n'est pas pour redresser Pierre qu'il lui parle ainsi ; c'est bien à lui qu'il s'adresse, il le fallait, mais c'étaient ses disciples qu'il cherchait à réfuter. Son argumentation ne frappe pas seulement les Galates, mais encore ceux qui souffrent du même mal. Et aujourd'hui ceux qui ne se font pas circoncire, mais jeûnent cependant et observent le sabbat en même temps que les Juifs, ceux-là font comme eux, et s'excluent eux-mêmes de la grâce. Car si Jésus ne sert de rien à ceux qui pratiquent seulement la circoncision, voyez quel danger, et comme ce danger s'aggrave avec le temps, si à cette pratique on ajoute l'observance du jeûne et du sabbat, si l'on s'astreint à suivre deux prescriptions au lieu d'une. Ce danger s'aggrave avec le temps en effet, ces hommes agissaient ainsi au commencement, quand leur cité était encore debout, ainsi que leur temple, et tout le reste. Mais aujourd'hui, ceux qui les imitent et qui voient de leurs yeux le châtiment infligé aux Juifs, qui voient la destruction de leur ville, et qui cependant observent la plupart de leurs pratiques, quelle excuse auront-ils, eux qui se conforment aux prescriptions de la loi, quand ceux-là mêmes qui sont Juifs, ne peuvent s'y conformer malgré toute leur bonne volonté? Tu t'es revêtu du Christ, tu es devenu un des membres du Maître, tu es inscrit parmi les habitants de la cité divine, et tu rampes encore autour de la loi? Et comment pourras-tu obtenir ta part du royaume céleste ? Ecoute Paul disant, qu'observer la loi c'est renverser l'Evangile. Et, si tu le veux, apprends comment cela doit avoir lieu, tremble et fuis l'abîme ouvert sous tes pas. Pourquoi observes-tu le sabbat, et jeûnes-tu en même temps que les Juifs? Sans doute parce que tu crains la (598) loi, et que tu crains aussi de renoncer à ses formules écrites. Tu n'hésiterais pas à laisser la loi de côté, si tu ne regardais la foi comme sans force, et impuissante à nous sauver toute seule. Si tu trembles à l'idée de ne pas observer le sabbat, c'est que tu crains la loi comme si elle avait encore aujourd'hui la même autorité. Eh bien, si la loi est encore nécessaire, ce n'est pas une partie, ce n'est pas une seule, ce sont toutes ses prescriptions qu'il faut observer, et si on les observe toutes, on n'est plus justifié par la foi. Si tu observes le sabbat, pourquoi ne te fais-tu pas circoncire? Et si tu te soumets à la circoncision, pourquoi ne pas faire de sacrifices sanglants? à observer la loi, il faut l’observer tout entière ; et s'il n'est pas indispensable de l'observer tout entière, il n'est pas nécessaire non plus de l'observer en partie. Si tu crains d'avoir à rendre compte de ta conduite, parce que tu n'auras pas observé une partie de la loi, combien plus dois-tu craindre si tu ne l'observes pas dans tous ses détails ! Si l'on n'est pas puni pour la transgresser entièrement, on le sera bien moins pour ne la transgresser qu'en partie, et si l'on est puni pour la violer en partie, on le sera bien davantage pour la violer tout entière. D'un autre côté, s'il est nécessaire de D'observer, il est nécessaire aussi; ou que nous cessions d'écouter le Christ, ou, si nous écoutons le Christ, que nous transgressions la loi. Si l'on doit rester fidèle à la loi, ceux qui ne lui sont pas fidèles la transgressent, et il se trouvera que l'auteur de cette désobéissance est Jésus-Christ, car il a détruit lui-même la loi en ce qui concerne ces pratiques, et a de plus donné ordre aux autres d'en faire autant.

207 7. Voyez-vous où en arrivent ceux qui se soumettent aux pratiques des Juifs ? Jésus-Christ, qui devrait être l'auteur de leur justification, devient ainsi l'auteur de leur péché, comme nous le fait entendre Paul quand il dit : « Jésus-Christ serait donc ministre du péché ». Ensuite, après avoir poussé ce raisonnement jusqu'à l'absurde, et n'ayant pas besoin d'une nouvelle argumentation pour rétablir la vérité, il se contente de dire : « Ce qu'à Dieu ne plaise ! » Car, coutre les choses par trop absurdes et révoltantes, il n'est pas besoin de faire effort de logique, une simple exclamation de dégoût suffit.

« Car, si je rétablissais de nouveau ce que j'ai détruit, je me ferais voir moi-même prévaricateur (
Ga 2,18)». Voyez l'habileté de Paul. Ses adversaires voulaient prouver que celui qui n'observe pas la loi, la transgresse, et lui, retournant leurs arguments contre eux, prouve que celui qui observe la loi renonce non-seulement à la foi, mais encore à la loi elle-même. En disant : « Si je rétablissais de nouveau ce que j'ai détruit », il fait allusion à la loi. Le sens de ses paroles, le voici : La loi a cessé d'exister, et nous l'avons reconnu nous-mêmes par l'abandon que nous avons fait de quelques. unes de ses pratiques, et en recourant à la foi pour nous sauver. Si donc nous nous efforçons de la rétablir, nous sommes infidèles par cela seul que nous voulons observer des pratiques abolies par Dieu lui-même. Ensuite il montre comment s'est opérée- leur abolition. «Car pour moi je suis mort à la loi de par la « loi (Ga 2,19) » Il y a deux choses à considérer dans cette expression : ou bien Paul parle de la loi de grâce, terme qui lui est habituel, comme dans ce passage : « La loi de l'Esprit de vie m'a rendu la liberté » (Rm 8,2), ou bien ici il pense à l'ancienne loi, et démontre que c'est par un effet de cette loi même qu'il est,mort à la loi. C'est-à-dire : c'est la loi elle-même qui m'a induit à ne plus lui rester attaché. Si donc j'allais lui redevenir fidèle, je lui serais infidèle par cela même. Comment et de quelle manière? — Voici la réponse de Moïse : « Le Seigneur votre Dieu suscitera un prophète du milieu de vos frères, et vous l'écouterez comme moi-même » (Dt 18,15) il parlait de Jésus-Clirist. Ainsi donc ceux qui ne lui obéissent pas, transgressent la loi. Il nous faut encore examiner sous un autre point de vue cette expression: «Je suis mort à la loi de par la toi ». La loi ordonne de faire tout ce qui est écrit dans le livre où elle est contenue, et elle frappe d'un châtiment celui qui y manque. Nous sommes donc tous morts pour elle, nous qui ne l'avons pas exactement pratiquée. Et voyez avec quelle réserve il se met ici en lutte avec elle : il n'a pas dit : «La loi est morte pour-moi », mais: «Je suis mort pour elle ». Voici ce qu'il veut dire : si celui qui est mort ne peut se conformer aux prescriptions de la loi, il en est de même de moi qui suis mort par suite de la malédiction de la loi : malédiction qui entraîne la mort pour celui qui en est l'objet. Qu'elle ne s'impose donc plus à un mort .dont elle-même a prononcé la condamnation, le (599) frappant ainsi non-seulement dans son corps niais aussi dans son âme, dont la mort amène aussi celle du corps. Tel est le sens de ses paroles, et la suite le prouve avec évidence ; « Afin dune plus vivre que pour Dieu, j'ai été crucifié avec Jésus-Christ ». Il avait d'abord dit: « Je suis mort », et, afin qu'on ne lui ré pondît pas: « Comment se fait-il que tu vives?» il fait intervenir celui qui est la cause de la vie, et il montre que la loi l'avait fait mourir, lui plein de vie, mais que Jésus l'avait pris et, quoique mort, et à cause même de sa mort, l'avait rendu à la vie: nous faisant ainsi assister à un double miracle, à la résurrection d'un mort, résurrection produite par la mort de celui qui ressuscite. Ici il appelle vie la mort; car tel est le sens de ces paroles : « Et afin de ne plus vivre que pour Dieu, j'ai été crucifié avec Jésus-Christ». Comment, dira quelqu'un, peut-il avoir été crucifié et vivre et respirer ensuite? Que Jésus ait été crucifié, cela ne fait pas de doute; mais toi, comment se peut-il que tu aies été crucifié et que tu vives encore ?

Examinez donc l'explication qu'il donne : « Et je vis, ou plutôt ce n'est plus moi qui vis, mais c'est Jésus-Christ qui vit en moi (Ga 2,20) ». Par ces mots: « J'ai été crucifié avec le Christ », il fait allusion au baptême, et par ceux-ci : « Ce n'est plus moi qui vis », il fait allusion à cette nouvelle doctrine, dont la conséquence est la mortification de la chair. Et ces mots : « Mais c'est Jésus-Christ qui vit en moi », que signifient-ils? — Je ne fais rien, dit-il, qui soit contraire à la volonté du Christ. De même qu'en parlant de la mort, il ne pense pas à la mort ordinaire, mais à la mort qui résulte du péché, de même quand il parle de la vie, il pense à la vie de l'âme délivrée du: péché. Vivre pour Dieu, ce n'est as autre chose que d'être mort pour le péché. A l'exemple du Christ qui s'est soumis à la mort physique, je suis mort pour le péché : « Faites donc mourir les membres de l'homme terrestre qui est en vous, la fornication, l'impureté, l'adultère » (Col 3,5) ; et ailleurs : « Notre vieil homme a été crucifié » (Rm 6,6), ce qui a lieu au moment du baptême. Après cela, si tu restes mort pour le péché, ta vis pour Dieu, mais si tu retournes au péché, tu corromps cette vie dont tu jouissais. Paul se gardait bien d'agir ainsi, et il ne cessait de rester mort pour la loi. Si donc je vis pour Dieu, dit-il, et que cette vie soit autre que celle de la loi, je suis mort pour la loi, et ne puis plus rester fidèle à la loi.

208 8. Voyez quelle perfection de vie, et admirez par-dessus. toute chose cette âme bienheureuse: il n'a pas dit : « Je vis », mais : « C'est Jésus-Christ qui vit en moi » (Ga 2,20). Qui peut-être assez hardi pour parler de la sorte? Car après s'être montré fidèle et docile au Christ; après s'être débarrassé de toutes les attaches du monde, et avoir toujours agi conformément à ses divines volontés, il ne dit pas : « Je vis pour le Christ », mais ce qui est bien plus fort : « C'est Jésus-Christ qui vit en moi ». De même que le péché, quand il est le maître, vit seul en nous, et fait de notre âme ce qu'il veut, de même s'il vient à mourir en nous et que nous fassions la volonté du Christ, c'est celui-ci qui vit en nous, c'est-à-dire, qui agit, qui domine en nous. Comme après avoir dit : « J'ai été crucifié », et : « Je ne vis plus, mais je suis mort », il semblait à beaucoup dire des choses incroyables, il ajouta: « Et si je vis maintenant dans ce corps mortel, j'y vis en la foi du Fils de Dieu ». Mes paroles, dit-il, ont trait à la vie de l'intelligence, mais si on examinait aussi cette vie des sens, on verrait qu'elle aussi je la dois à ma foi en Jésus-Christ. Car, autant,que cela dépendait de l'ancienne doctrine et de la loi, j'étais digne du dernier supplice, et depuis longtemps tout à fait perdu : « Parce que tous ont péché, et ont besoin de la gloire de Dieu ». (Rm 3,23) Nous étions donc tous sous le coup d'une condamnation, quand Jésus est venu nous mettre en liberté : nous étions tous morts, sinon en, fait, du moins, suivant l'arrêt porté par la loi, et c'est au moment où nous nous attendions à être frappés qu'il nous a délivrés. La loi nous accusait, Dieu prononçait la sentence fatale, quand Jésus vint, qui se livra à la mort et nous arracha tous à son empire. Aussi a-t-il raison de dire : « Si je vis maintenant dans ce corps mortel, je vis dans la foi ». Sans l'intervention de Jésus, rien ne pouvait prévenir la ruine universelle : on aurait vu se renouveler les scènes du déluge. Mais la présence du Christ retint la colère de Dieu, et il nous a rendu la vie en nous faisant croire en lui, Pour vous convaincre que tel était bien le sens de ses paroles, écoutez ce qu'il dit immédiatement après ; car après ces mots : « Si je vis maintenant dans ce corps mortel, je vis (600) dans la foi », il ajoute : « Dans la foi du Fils de Dieu, qui m'a aimé, et qui s'est livré lui- même à la mort pour moi ».

Que fais-tu, ô Paul, tu t'appropries ce qui est notre héritage commun, tu ramènes à toi seul ce qui a eu lieu en faveur de la terre entière? Car il n'a pas dit : « De Jésus qui nous aime», mais : « De Jésus qui m'a aimé ». L'évangéliste a dit : « Tellement Dieu a aimé le monde » (Jn 3,16), et toi-même quand tu dis : « Lui qui a livré son propre Fils, et ne l'a pas épargné » (Rm 8,32), tu sais bien que ce n'est point pour toi seul, mais pour tous, puisque tu fais remarquer ailleurs : «Qu'il agissait ainsi pour se faire un peuple particulièrement consacré à son service ». (Tt 2,14) Pourquoi donc s'exprime-t-il ainsi dans ce passage? C'est qu'il s'était représenté la déplorable condition de la nature humaine, l'ineffable bienveillance du Christ, et de quel abîme de maux il nous avait retirés, et de quels bienfaits il nous avait comblés, et que la vivacité de son émotion avait dû se reproduire dans son langage. Les prophètes aussi se sont en quelque sorte approprié plusieurs fois ce Dieu qui se donne également à tous, eux qui ont dit : « O Dieu, mon Dieu, dès le matin je m'éveille en songeant à toi ». (Ps 62,1) Sans parler de cela, il nous prouve que chacun de nous doit être aussi reconnaissant envers le Christ, que s'il était venu pour lui seul. Même s'il se fût agi d'un seul homme, il n'aurait pas fait difficulté de se montrer aussi généreux, car il a pour chacun des hommes autant d'amour que pour la terre entière. Son sacrifice s'est accompli au profit de toute la nature, et il était assez efficace pour nous sauver tous, mais ceux-là seuls en ont le bénéfice qui croient en lui. Cependant il ne se laissa pas détourner de sa résolution par l'idée que tous ne viendraient pas à lui. De même que dans le festin de la parabole, qui avait été préparé pour tous, le Père de famille ne retira pas les mets qu'il avait fait servir parce que les invités n'avaient pas voulu venir, mais en invita d'autres, ainsi a fait Jésus-Christ. La brebis séparée des quatre-vingt-dix-neuf, était seule, et cependant il ne négligea pas de se mettre à sa recherche. C'est précisément à cela que Paul, dissertant sur le judaïsme, fait allusion : « Car enfin, si quelques-uns d'entre eux n'ont pas cru, leur infidélité anéantira-t-elle la fidélité de Dieu? Non certes. Dieu est véritable, et tout homme est menteur ». (Rm 3,3) Ainsi Jésus t'a tellement aimé, ô homme, qu'il s'est livré lui-même, et qu'il t'a conduit, quand tu n'avais aucun espoir de salut, au sein d'une vie si glorieuse et si belle, et toi, après de tels bienfaits, tu retournes à tes anciennes erreurs?

Après avoir scrupuleusement employé tous les ressorts du raisonnement, il proclame désormais sa décision avec véhémence et dit « Je ne veux point rendre la grâce de Dieu inutile (2l) ». Qu'ils écoutent donc ceux qui maintenant judaïsent et restent attachés à la loi. C'est à eux que cela s'adresse : « Car si la justification s'acquiert parla loi, Jésus-Christ sera donc mort en vain ». Quel péché plus grave pouvons-nous commettre? Quoi de plus fort et de plus persuasif que ces paroles? Si Jésus-Christ est mort, évidemment c'est parce que la loi était impuissante à nous justifier, et si la loi justifie, la mort de Jésus a été inutile. Et comment serait-il permis de supposer et de dire, qu'un événement si grand et si terrible, si fort au-dessus de l'intelligence humaine, qu'un mystère aussi ineffable, que les patriarches ont désiré avec tant d'impatience, que les prophètes ont annoncé, dont la vue faisait trembler les anges, que ce sacrifice regardé par le monde entier comme le comble de la miséricorde divine, se soit accompli inutilement et en pure perte? C'est donc en réfléchissant à cette monstrueuse et absurde conséquence qu'un tel, qu'un si grand événement a pu avoir lieu en vain (car cela résultait de la conduite même que tenaient les Galates), c'est alors qu'il emploie à leur égard de dures paroles et qu'il dit :


Chrysostome - Galates 200