Chrysostome sur Actes 3900

HOMÉLIE 39 MAIS LORSQU'ILS L'ENTENDIRENT PARLER DE LA RÉSURRECTION DES MORTS, (CHAP. 17,VERS. 32, 33, JUSQU'AU VERS. 19 DU CHAP. 18.)

3900ù QUELQUES-UNS S'EN MOQUÈRENT ET LES AUTRES DIRENT : « NOUS VOUS ENTENDRONS UNE AUTRE FOIS SUR CE POINT ». — AINSI PAUL SORTIT DU MILIEU D'EUX.

Ac 17,32-18,19

ANALYSE. 1 et 2. Saint Paul prêche à Corinthe. — Il comparait devant le proconsul Gallien. — Saint Paul fut conduit à Rome enchaîné, parce que s'il y fût arrivé autrement il en aurait été chassé en qualité de Juif, car le décret d'expulsion porté par Claude contre les hommes de cette nation, était encore récent.
3 et 4. Exhortation à la mansuétude. — Que l'insulteur n'attire le mépris que sur lui-même. — Comparaison entre l'homme emporté et l'homme patient. — L'homme patient ressemble à Dieu, l'homme colère au démon.

3901 1. Pourquoi Paul, après avoir persuadé les Athéniens au point que ceux-ci lui disaient «Nous vous entendrons une autre fois sur ce point », et lorsqu'il n'y avait aucun danger, se hâte-t-il de quitter Athènes? Peut-être savait-il qu'il n'y aurait pas grand succès; d'ailleurs le Saint-Esprit le conduisait à Corinthe. «Quelques-uns néanmoins se joignirent à lui et embrassèrent la foi; entre lesquels fut Denys, sénateur de l'Aréopage, une femme nommée Damaris, et d'autres avec eux (Ac 17,34). « Après cela, Paul, étant parti d'Athènes, vint à Corinthe (Ac 18,1). Et ayant trouvé un juif, nommé Aquilas, originaire du Pont, qui était nouvellement venu d'Italie avec Priscille, sa femme, parce que l'empereur Claude avait ordonné à tous les Juifs de sortir de Rome, il se joignit à eux (Ac 18,2). Et parce que leur métier était de faire des tentes et que c'était aussi le sien, il demeurait chez eux et y travaillait (Ac 18,3) ». C'était en effet, comme je l'ai dit, le Saint-Esprit qui le menait à Corinthe où il devait rester, car les Athéniens, quoique toujours amateurs de nouveaux discours, n'y faisaient guère attention; c'est qu'ils tenaient moins à écouter qu'à parler eux-mêmes, aussi s'éloignaient-ils de l'orateur. Puisque telle était leur habitude, pourquoi accusaient-ils Paul de « paraître annoncer des dieux étrangers? » C'est que ces dogmes étaient pour eux fort obscurs. Cependant il convertit Denys l'Aréopagite et quelques autres, car ceux qui voulaient vivre en hommes de bien ne tardaient pas à écouter sa parole, mais il n'en était pas de même pour les autres. Paul semble s'être contenté de leur laisser les germes de la foi, car la moitié de sa vie s'était déjà écoulée. Il mourut sous Néron ; alors on était sous Claude, époque à laquelle se préparait déjà la guerre contre les Juifs, mais de loin, et comme pour les ramener au bien en attendant, on les renvoyait de Rome comme des pestiférés ! Aussi, c'est la Providence qui permit que Paul fût emmené en captivité, pour qu'il ne fût pas chassé comme un Juif, mais amené par force et privé de sa liberté.

« Il demeurait chez eux ». O ciel ! quelle justice il devait trouver chez eux pour y demeurer ! Mais s'il demeure avec eux, c'est surtout parce qu'avec des gens de sa profession (194) il est mieux placé pour ne rien recevoir de personne, selon ce qu'il dit : « Mais je fais cela, et je le ferai toujours, afin d'ôter à ceux qui la cherchent une occasion de se glorifier en paraissant semblables à nous. (2Co 11,12) Il prêchait dans la synagogue tous les jours de sabbat et cherchait à persuader les Juifs et les gentils (Ac 18,4). Quand Silas et Timothée furent venus de Macédoine, Paul fut encore plus excité par le Saint-Esprit à attester aux Juifs que Jésus était le Christ (Ac 18,5) ». Cela montre qu'ils gênaient ses prédications et même s'y opposaient. Voilà ce qu'ils faisaient. Que fit Paul? Il les abandonne en les frappant de terreur. Il ne leur dit plus : « C'était à vous qu'il fallait d'abord annoncer la parole » (Ac 13,46) ; mais il le donne à entendre : « Comme les Juifs le contredisaient et blasphémaient, il secoua ses habits et leur dit: Que votre sang retombe sur votre tête; pour moi, j'en suis innocent, je vais désormais chez les gentils (Ac 18,6). Etant parti de là, il alla dans la maison d'un nommé Juste (1), qui craignait Dieu, dont la maison tenait à la synagogue (Ac 18,7). Crispe, chef d'une synagogue, crut aussi au Seigneur avec toute sa famille : plusieurs Corinthiens, ayant entendu Paul, crurent aussi et furent baptisés (Ac 18,8) ». Voyez comment, après avoir encore dit « désormais », il ne néglige pas les Juifs; il n'avait parlé ainsi que pour exciter leur zèle. Ensuite il vient chez Juste, dont la maison tenait à la synagogue. Il avait choisi ce voisinage pour animer la foi des Juifs, s'ils voulaient s'y prêter. « Crispe, chef d'une synagogue, crut aussi au Seigneur avec toute sa famille ». C'était surtout là une raison suffisante pour les convertir. « Le Seigneur dit à Paul, en vision durant la nuit : ne crains rien, mais parle sans te taire (Ac 18,9) ; car je suis avec toi et personne ne pourra te maltraiter, parce que j'ai dans cette ville un grand peuple (Ac 18,10) ». Voyez toutes les raisons que Dieu emploie pour le convaincre, et surtout celle-ci qui est la plus rassurante : « Car j'ai dans cette ville un grand peuple ». Cependant, dira-t-on, ils se sont emportés contre lui? Mais leur colère a été impuissante, et ils se sont bornés à le conduire devant le proconsul. « Il demeura donc un an et demi à Corinthe, leur enseignant la parole de Dieu (Ac 18,11). Or, Gallion étant proton d'Achaïe, les Juifs, d'un commun accord s'élevèrent contre Paul et le menèrent à tribunal (Ac 18,12), en disant : Celui-ci veut persuader aux hommes d'adorer Dieu d'une manière contraire à la loi (Ac 18,13) ». Vous marquez que c'est toujours pour la même raison qu'on l'accuse en public. Remarquez aussi, lorsque les Juifs disent qu'il persuade aux hommes d'adorer Dieu d'une manière contraire à la loi, que le proconsul ne s'inquiète pas et que plutôt il défend Paul. Ecoutez sa réponse : « S'il s'agissait de quelque injustice ou de quelque mauvaise action, je serais obligé de vous écouter ». Cela semble le langage d'un homme juste, et on en est convaincu en observant toute la sagesse de la réponse. « Comme Paul allait parler, Gallion dit aux Juifs : S'il s'agissait de quelque injustice ou de quelque mauvaise action, je serais obligé de vous écouter (Ac 18,14). Mais s’il ne s'agit que de contestations de doctrine, de mots et de votre loi, démêlez vos différends comme vous l'entendrez, car je ne veux point m'en rendre juge (Ac 18,15). Il les fit retirer ainsi de son tribunal (Ac 18,16). Et tous les gentils, ayant saisi Sosthènes, chef d'une synagogue, le battaient devant le tribunal sans que Gallion s'en mît en peine (Ac 18,17» C'était encore une preuve de justice, car les coups que l'on donnait à cet homme ne semblaient pas au proconsul une offense pour lui-même, tant les Juifs étaient insolents.

1 La Vulgate met Tite-Juste.


3902 2. Mais revenons à ce qui précède. « Lorsqu'ils entendirent parler de la résurrection des morts, les uns s'en moquaient, les autres disaient: Nous vous entendrons une autre fois » (Ac 17,32). Qu'elles étaient cependant grandes et sublimes ces vérités qui attiraient plutôt leur railleries que leur attention ! Ils se moquaient de la résurrection, car « l'homme animal ne saisit pas les choses qui viennent de l'Esprit ». (1Co 2,14) Ainsi Paul se retira du milieu d'eux. Pourquoi ce mot : « ainsi (Ac 17,33)? » C’est-à-dire que les uns l'avaient cru et que les autres l'avaient raillé. « Quittant donc Athènes il vint à Corinthe. Ayant trouvé un Juif nommé Aquila, originaire du Pont, et qui était nouveau venu en Italie, il demeura avec lui et y travailla » (Ac 18,1-3). Voyez comme la loi commence à tomber. Aquila était Juif, et il accomplit à Cenchrées le voeu de se faire couper les cheveux (Ac 18,18) ; puis il va en Syrie avec (195) Paul; comme il était du Pont, il ne tient pas à venir à Jérusalem ni dans ses environs, et il en reste éloigné. Paul demeure chez lui et ne rougit pas d'y demeurer ; il y reste comme dans une bonne hôtellerie, plus commode pour lui que tous les palais. Ne riez pas, mes bien-aimés. Un athlète est mieux dans un gymnase que sur des tapis moelleux ; une épée de fer convient mieux au soldat qu'une épée d'or. Au milieu de sa prédication, « il travaillait ». Rougissons donc, nous qui vivons dans l'oisiveté, même quand nous n'avons pas de prédication à faire. « Il discutait dans la synagogue tous les jours de sabbat et cherchait à persuader les Juifs et les gentils. Mais les Juifs le contredisant avec des paroles de blasphème » (Ac 18,4 Ac 18,6), il s'éloigna. Par ce moyen, il comptait mieux les attirer. Pourquoi, en effet, quitte-t-il sa maison afin de venir demeurer près de la synagogue ? N'est-ce pas dans une intention de conversion ? car il ne considérait pas le danger qu'il pourrait y avoir. « Il leur attestait » (Ac 18,6) : il n'enseigne plus, mais il atteste. «Les Juifs le contredisant avec des paroles de blasphème, il secoua ses habits et dit: Que votre sang retombe sur votre tête ! » S'il le fait, c'est pour les effrayer aussi bien par ses actions que par ses paroles, et il s'exprime avec toute l'énergie d'un homme qui a déjà fait tant de conversions. « Pour moi », dit-il, «j'en suis innocent; désormais je vais chez les gentils » (Ac 18,6). Ainsi nous sommes responsables du sang de ceux qui nous ont été confiés, lorsque nous les négligeons. De même encore lorsqu'il dit: « Au reste, que personne ne me cause de nouvelles peines ». (Ga 6,17) C'était pour effrayer, car les Juifs n'étaient jamais aussi terrifiés de ses paroles que lui-même ne souffrait de leur incrédulité. « Partant de là, il vint dans la maison de Juste » (Ac 18,7). Il voulait ainsi leur faire croire qu'il ne s'occupait plus que des gentils. « Crispus, chef de synagogue, crut au Seigneur ainsi que toute sa famille » (Ac 18,8). Voilà donc la foi qui s'étend sur une famille tout entière. C'est de ce Crispus, chef de synagogue, qu'il dit: « Je n'ai baptisé personne que Crispus et Gaïus ». (1Co 1,14) Je crois que c'était aussi le même qu'on appelait Sosthènes, dont la fidélité était telle, qu'après avoir été battu, il resta toujours attaché à Paul. « Le Seigneur dit à Paul, dans une vision pendant la nuit : Ne crains rien et parle ». Aussi reste-t-il longtemps dans cette ville, et ce qui l'y engage, ce n'est pas seulement la multitude des fidèles, mais l'attachement qu'il avait pour Jésus-Christ; car le danger n'en était que plus grand lorsque les fidèles devenaient plus nombreux et que parmi eux se trouvait un chef de synagogue. « Ne crains rien », lui dit le Seigneur. Cela suffisait pour le ranimer s'il avait été accessible à la crainte : peut-être aussi n'avait-il éprouvé aucune frayeur ; alors cette exhortation n'était faite que pour l'en détourner. Car, pour fortifier les siens, Dieu n'a pas toujours besoin de permettre qu'ils aient été faibles. En effet, rien ne causait à Paul autant de douleur que l'incrédulité et l'opposition à la foi. Voilà ce qui lui était plus pénible que tous les dangers. « Ne garde pas le silence, car j'ai un grand peuple dans cette ville ». Peut-être alors le Christ lui est-il apparu.

« Gallion étant proconsul d'Achaïe : les Juifs d'un commun accord s'élevèrent contre Paul ». Observez que c'est après un an et demi qu'ils s'élèvent contre lui, quand ils n'avaient plus l'usage de leurs propres lois. Ce qui exaltait surtout les Corinthiens, c'est qu'ils savaient que le gouverneur ne s'abaisserait pas jusqu'à une pareille affaire. En effet, ce n'était pas la même chose de l'emporter dans une contestation judiciaire ou d'entendre le gouverneur déclarer aux Juifs qu'il ne s'inquiétait pas de cette affaire. Voyez combien celui-ci est prudent. Il ne répond pas immédiatement : Je ne m'en inquiète pas; mais que dit-il ? « O Juifs, s'il s'agissait de quelque injustice ou de quelque mauvaise action, je serais obligé de vous écouter. Mais s'il ne s'agit que de mots et de votre loi, décidez vous-mêmes; je ne veux pas en être juge : il les renvoya ainsi de son tribunal ». La victoire fut éclatante. « Et tous ayant saisi Sosthènes, chef d'une synagogue, le battaient devant le tribunal, sans que Gallion s'en mit en peine ». Quelle honte pour tous ! « Sans que Gallion s'en mît en peine ». Cependant l'offense retombait sur lui. Mais ceux-ci, livrés à eux-mêmes et pleins de honte, s'abandonnent à leur injuste fureur. Mais pourquoi Paul ne les frappe-t-il pas à leur tour, puisqu'il en avait aussi la permission? C'est qu'il savait réfléchir. Il ne frappa point, pour que le juge connût de quel côté était la douceur. Les assistants en retirèrent un grand enseignement : ils reconnurent, par la bonté des uns et la violence (196) des autres, que ces choses réclamaient la sentence du juge. Aussi celui-ci ne dit pas : Je le défends, de crainte qu'ils ne commissent de nouvelles violences; mais « je ne veux pas. Je ne veux pas », dit-il, « en être juge », tant il avait de réserve. C'est ce que Pilate disait à propos du Christ : « Prenez-le, et jugez-le selon votre loi ». (Jn 18,31) Le proconsul aussi voulait qu'ils jugeassent suivant la loi; mais les Juifs se conduisirent comme des fous ou des gens ivres. Paul vint donc d'Athènes à Corinthe, parce que dans cette dernière ville, Dieu y avait un grand peuple. On le frappa et il garda le silence.

3903 3. Cherchons à l'imiter et ne frappons ceux qui nous frappent que par notre douceur, notre silence, notre patience. Ce sont là les armes les plus puissantes, celles qui font des blessures plus graves et plus pénibles, car les plaies de l'âme sont plus douloureuses que celles du corps. Souvent nous sommes obligés de blesser nos amis; mais, comme c'est dans leur intérêt, ils doivent s'en réjouir. Au contraire, si vous avez une intention offensante, vous frappez le coeur, et vous causez la plus grande douleur possible, car c'est là que les blessures sont cruelles. Nous allons maintenant faire tous nos efforts pour démontrer que la douceur frappe plus que la rudesse. Cela se reconnaît clairement par les faits et l'expérience. Cependant, si vous le permettez, nous allons en faire la démonstration par le raisonnement, quoique nous l'ayons déjà faite plusieurs fois.

Quand nous recevons une injure, rien ne nous afflige plus que le jugement de ceux qui en sont témoins ; en effet, ce n'est pas la même chose d'être injurié en public ou en particulier, et nous supportons bien plutôt l'injure quand elle est secrète, quand personne n'en a été témoin et ne la connaît. Ce n'est donc pas tant l'injure elle-même qui nous afflige que sa publicité : au point que si quelqu'un nous honorait en public et nous injuriait en particulier, nous lui en saurions gré. C'est que l'outrage n'est pas par lui-même ce qui cause notre douleur, c'est le jugement des assistants et la crainte de leur mépris: Que sera-ce donc, si les spectateurs sont pour nous? L'insulteur ne devient-il pas alors l'insulté, puisque les témoins jugent en notre faveur? Dites-moi, en effet, qui méprisent-ils? Celui qui lance l'outrage, ou celui qui le subit en silence? Un mouvement irréfléchi nous porterait à dédaigner celui qui reçoit l'injure; mais examinons froidement pour ne pas nous laisser entraîner par la passion : alors, qui condamnerons-nous d'un commun accord ? Assurément celui qui fait injure à l'autre; s'il est son inférieur, nous dirons qu'il est fou; s'il est son égal, nous dirons qu'il ne réfléchit pas; s'il lui est supérieur, nous ne l'approuverons pas davantage. Lequel, dites-moi, mérite nos éloges, celui qui se trouble, s'agite, s'emporte et méconnaît ainsi notre commune nature, ou bien celui qui reste tranquille et sans orage dans le port de la sagesse ? Celui-là ne ressemble-t-il pas à un ange, et le premier ressemble-t-il même à un homme ? L'un ne supporte pas ses chagrins, l'autre supporte même ceux d'autrui ; l'un ne peut se souffrir lui-même, l'autre souffre encore son prochain; l'un est ballotté par la tempête, l'autre navigue en paix, et son navire est poussé par des vents favorables. Il n'a pas permis à l'ouragan de la colère de gonfler ses voiles et de submerger le vaisseau de son âme; mais un zéphyr bienveillant le conduit avec douceur dans le port de la sagesse. De même que, dans un navire menacé du naufrage, les matelots ne savent ce qu'ils jettent à la mer, si ce sont leurs effets ou ceux qu'ils ont reçus en dépôt, et qu'ils perdent tout, ce qui est précieux comme ce qui ne l'est pas, mais, qu'une fois la tempête apaisée, en réfléchissant à tout ce qu'ils ont ainsi jeté, ils se mettent à pleurer, et que le chagrin de leurs pertes les empêche de jouir du beau temps; de même aussi, ceux chez qui se déchaîne l'orage de la fureur parlent et agissent en désordre et sans savoir pourquoi ; mais, quand leur colère s'est calmée, ils réfléchissent à leur emportement, ils songent à ce qu'ils ont perdu et ne jouissent pas du calme qui leur est rendu, parce qu'ils se souviennent d'avoir lancé des paroles qui les déshonorent et leur ont fait subir une perte plus grande que celle de leurs richesses, la plus grande de toutes, celle de la considération qui s'attache à la justice et à la douceur.

La colère nous couvre de véritables ténèbres. « L'insensé a dit dans son coeur : il n'y a pas de Dieu ». (
Ps 13,1) Peut-être ce mot serait-il juste aussi pour l'homme en colère, et pourrait-on ajouter que l'homme en fureur a dit : il n'y a pas de Dieu. En effet, « il ne s'inquiète pas de l'étendue de sa colère. » (197) (Ps 10,4) S'il lui survient une pieuse pensée, le voilà qui fuit en désordre, qui ne sait où se réfugier. Si vous n'êtes pas plus affligé que l'homme injurié par vous, injuriez-le encore, continuez; mais le tribunal secret de votre conscience vous a déjà flagellé mille fois, quand vous saurez que la victime de vos injures n'a prononcé aucune parole amère, n'en serez-vous pas plus affligé ? Dites-moi, comment avez-vous pu outrager si cruellement cet homme si doux, si humble, si modeste ? Voilà ce que nous disons souvent, mais nous ne voyons pas que la conduite en profite. Eh quoi ! Un homme insulte un homme, un serviteur son compagnon de servitude? Mais pourquoi s'en étonner puisque bien des gens insultent Dieu lui-même?

3904 4. Que cela vous console, si l'on vous offense. On vous a injuriés? mais l'on injurie Dieu lui-même. On vous a insultés? mais on insulte Dieu lui-même. On a craché sur vous ? c'est ce qu'a souffert Notre-Seigneur. Il est comme nous, il souffre les offenses et n'offense pas. Jamais il n'a blessé personne injustement ; loin de là ! jamais il n'a été injurieux ni injuste; c'est donc nous et non pas vous qui sommes avec lui. Supporter l'injure, ç'est le propre de Dieu; injurier sans raison, c'est l'oeuvre du démon. Voilà les deux côtés. On a dit au Christ: « Vous êtes possédé du démon ». (Jn 7,20) Il reçut un soufflet d'un esclave du grand prêtre. (Jn 18,22) C'est au niveau de pareilles gens qu'il faut mettre ceux qui insultent injustement. Car si, à propos d'une seule parole, Jésus a donné à Pierre le nom de Satan (Mc 8,33), ce nom s'appliquera encore bien mieux aux Juifs, lorsqu'ils agiront en Juifs; de même qu'ils ont déjà été appelés enfants du diable (Jn 8,44), parce qu'ils faisaient des actions diaboliques. Qui êtes-vous donc, pour outrager, dites-moi ? Ou plutôt, si vous outragez, c'est que vous n'êtes rien; car celui qui mériterait le nom d'homme n'outragerait point. Dans les disputes, on dit souvent : Qui es-tu ? On devrait parler autrement; dire, par exemple : Insulte-moi tant que tu voudras ; tu n'es rien. Nous disons plutôt: Pourquoi m'insultes-tu ? Et l'on nous répond toujours : Parce que je vaux mieux que toi. Cette réponse est l'opposé de la vérité; mais comme nous interrogeons mal, on nous répond mal; c'est notre faute. Nous semblons supposer que ceux qui nous outragent sont des hommes supérieurs; lorsque nous leur disons: Qui es-tu, toi qui m'insultes? On nous répond en conséquence. Il fallait leur dire au contraire : Tu m'insultes? Eh bien ! insulte-moi, car tu n'es rien. C'est plutôt à ceux qui n'injurient jamais, qu'il fallait dire : Qui es-tu, toi qui n'insultes pas? Tu dépasses la nature humaine. L'homme vraiment libre, vraiment noble, est celui qui ne dit rien d'ignoble, même à ceux qui le méritent.

Dites-moi, parmi les accusés, combien s'en trouve-t-il qui ne méritent pas la mort ? Cependant, loin d'être chargé de l'exécution, le juge ne fait que les interroger; et encore ne le fait-il point par lui-même. Si le juge trouve convenable de prendre un intermédiaire pour parler à un méchant homme comme il le mérite, nous devons craindre, à bien plus forte raison, d'outrager nos égaux ; car, si nous les outrageons, ce ne sera pas le moyen de nous élever au-dessus d'eux ; nous devons apprendre, au contraire, que ces outrages retombent sur nous. Voilà pourquoi nous ne devons pas insulter, même les méchants ; quant aux hommes de bien, il y a cette autre raison qu'ils ne le méritent point; enfin, il y a un troisième motif, c'est qu'il ne faut jamais insulter. Du reste, voyez ce qui en résulte quand un homme reçoit une injure ou un dommage, cela s'étend à celui qui l'a causé ainsi qu'aux témoins. Quoi donc? Faut-il faire venir des bêtes féroces pour tout terminer, car il ne reste plus d'autre moyen. Lorsque des hommes se laissent emporter par leurs passions injustes, c'est aux bêtes à les réconcilier. De même quand les maîtres d'une maison se battent entre eux, c'est aux domestiques à les remettre d'accord ; (cela n'est peut-être pas naturel, mais l'occasion l'exige.) Il en est de même ici : Tu m'insultes? soit; car tu n'es pas un homme.

Ainsi l'insulte, qui semble une marque de grandeur et de dignité, ne convient, au contraire, qu'aux esclaves, de même que les hommes libres doivent parler convenablement. C'est aux uns qu'il appartient de faire le mal, aux autres de le supporter. Par exemple, imaginez une domestique voleuse qui soustrait en cachette quelque chose à son maître ; c'est l'image de l'injure : elle ressemble, pour ainsi dire, à un voleur qui s'est glissé dans une maison et cherche à dérober quelque chose; de même l'insulteur guette de tous côtés pour (198) enlever quelque chose de votre honneur. Peut-être réussirons-nous encore à l'exprimer par un autre exemple. Si quelqu'un dérobe dans une maison les vases destinés aux plus vils usages et les emporte à la vue de tout le monde, il n'est pas seulement honteux pour son vol, ii l'est pour lui-même, qui prend et emporte de pareils objets; de même l'insulteur, vomissant devant tout le monde des paroles impures, salit bien moins les autres que lui-même en proférant des propos qui souillent sa langue et sa pensée. Il en arrive autant quand nous luttons contre les méchants; c'est comme si nous frappions un objet corrompu qui nous salirait nous-mêmes en couvrant nos mains de pourriture. Réfléchissons sur tout cela, je vous en conjure, fuyons ce danger et purifions nos paroles, afin qu'évitant de prononcer aucune injure, nous puissions rester irréprochables pendant cette vie présente, et acquérir les biens promis à ceux qui aiment Dieu, par la grâce et la bonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ, auquel, ainsi qu'au Père et au Saint-Esprit, gloire, puissance et honneur, maintenant et à jamais, et dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.



HOMÉLIE XL. PAUL, APRÈS ÊTRE DEMEURÉ UN GRAND NOMBRE DE JOURS AVEC LES FRÈRES, (CHAP. 18, VERS. 8, JUSQU'AU VERS. 8 DU CHAP. XIX)

4000
LEUR FIT SES ADIEUX, ET NAVIGUA POUR LA SYRIE. IL ÉTAIT ACCOMPAGNÉ PAR PRISCILLE ET AQUILA, S'ÉTANT FAIT COUPER LES CHEVEUX A CENCHRÉE, CAR IL AVAIT FAIT UN VOEU.
Ac 18,8-19,8

Traduit par M. HOUSEL.

ANALYSE. 1 et 2. Priscille et Aquila ; leur zèle. — Ils complètent l'instruction d'Apollon. — Zèle de ce disciple. — Divers voyages de saint Paul. — Saint Paul à Ephèse. — Différence entre le baptême de Jn et celui du Christ.
3 et 4. Exhortation à la charité, obstacles qui s'opposent à ce que la charité commence à exister; comment se forme la charité; sa force, ses effets.

4001 1. Voyez comme la loi mosaïque n'est plus observée, et comme la conscience est désormais la règle des âmes ! C'était une coutume juive de se tondre la tête par suite d'un voeu. Le sacrifice qui n'avait pas été fait après que Sosthène avait été frappé, devait s'accomplir. Il fallait que Paul s'éloignât; c'est pourquoi il se hâte. Prié par les Ephésiens de rester avec eux, Paul n'accède pas à leur désir. Pourquoi va-t-il de nouveau à Antioche ?En effet: « Il monta à Jérusalem, et ayant salué l'Eglise, il descendit vers Antioche ». Il avait pour cette ville une sorte d'affection humaine. En effet, c'est là que les disciples avaient été qualifiés du nom de chrétiens, et l'apôtre livré à la grâce de Dieu; là qu'il avait achevé son instruction. Il navigua donc vers la Syrie, et laissa les autres à Ephèse pour y instruire les fidèles. Pendant le long séjour qu'ils avaient fait avec lui, ils avaient appris bien des choses, mais n'avaient pas encore cependant abandonné les pratiques judaïques. Une femme fait la même oeuvre que les hommes, elle enseigne. le pense que ce qui l'empêchait d'aller en Asie, (199) c'est que des affaires plus pressantes l'appelaient en Syrie. Remarquez que; prié de rester à Ephèse, il ne se rend pas à la demande qu'on lui fait, parce qu'il était nécessaire qu'il s'en allât. Il ne les quitte pas cependant sans leur promettre de revenir; apprenez de quelle manière. « Paul », disent les Actes, « vint à Ephèse, et les y laissa. Pour lui, il entra dans la synagogue et discuta avec les Juifs. Comme ils lui demandaient de rester plus longtemps avec eux, il n'acquiesça pas à leur demande; mais il leur fit ses adieux, et leur dit : Il faut que j'aille passer la fête qui arrive, à Jérusalem; ensuite, si Dieu le veut, je reviendrai vers vous. Et il s'éloigna d'Ephèse, et partit pour Césarée. Lorsqu'il fut monté à Jérusalem et qu'il eut salué l'Eglise, il descendit vers Antioche. Il y passa un certain temps, et, lorsqu'il en fut parti, il traversa la Galatie et la Phrygie, en confirmant tous les disciples dans la foi (19-23) ». Remarquez qu'il visite tous les lieux où il est allé auparavant. « Un Juif, nommé Apollon, Alexandrin de naissance, homme éloquent et instruit dans les Ecritures, vint à Ephèse ». Voici que les hommes érudits entreprennent de prêcher, et les disciples voyagent. Voyez-vous comment se propage la prédication ? « Cet homme était instruit dans la voie du Seigneur, il parlait plein du feu de l'Esprit-Saint et enseignait exactement les choses du Seigneur, quoiqu'il ne connût que le baptême de Jn. Il commença à parler hardiment dans la synagogue; mais Aquila et «Priscille l'ayant entendu, s'emparèrent de lui et lui enseignèrent d'une manière plus exacte la voie du Seigneur (23-26) ». Si cet homme ne connaissait que le baptême de Jn, comment était-il enflammé du feu de l’Esprit-Saint? L'Esprit-Saint, en effet, n'était pas donné ainsi. Si ceux qui vinrent après lui eurent besoin du baptême du Christ, comment cet homme n'en eût-il pas eu besoin ? Qu'y a-t-il donc à dire ? Ce n'est pas sans raison que l’écrivain a marqué ces deux choses. Il me semble que cet Apollon était l'un des cent-vingt disciples qui furent baptisés avec les apôtres (Ac 1,15) ; ou bien, s'il n'en est pas ainsi, ce qui arriva à Corneille advint aussi pour lui. Mais ne fut-il baptisé qu'après qu'Aquila et Priscille l'eurent instruit plus exactement? Il me paraît certain qu'il avait dû être baptisé, puisque les douze apôtres ne connurent rien parfaitement, pas même ce qui concernait Jésus avant le baptême. Il est donc vraisemblable qu'il avait été baptisé. Du reste, si ceux qui avaient reçu le baptême de Jn se faisaient baptiser de nouveau, il convenait que les disciples le fissent aussi. « Apollon voulant passer en Achaïe, les frères qui l'y avaient engagé écrivirent aux disciples, et les supplièrent de le recevoir. Lorsqu'il y fut allé, il fut très-utile à ceux qui avaient cru par la grâce de Dieu. Il convainquait les Juifs en public avec grande force, et démontrait d'après les Ecritures que Jésus était le Christ. Il advint que, pendant qu'Apollon était à Corinthe, Paul, après avoir parcouru les hautes provinces, vint à Ephèse. Ayant rencontré plusieurs disciples, il leur dit : « Avez-vous reçu le Saint-Esprit après avoir cru? Ils lui répondirent : Nous n'avons pas même ouï dire qu'il y ait un Saint-Esprit. Il leur dit donc : En qui donc avez-vous été baptisés? Ils lui répondirent: Nous avons été baptisés du baptême de Jn. Paul leur dit : Jn a donné le baptême de la pénitence en disant au peuple de croire en Celui qui viendrait après lui, c'est-à-dire, en Jésus-Christ. « Lorsqu'ils l'eurent entendu, ils furent baptisés au nom du Seigneur Jésus; et Paul leur ayant imposé les mains, le Saint-Esprit descendit sur eux; et ils parlaient diverses langues et prophétisaient. Et ils étaient environ douze hommes (27; XIX, 7) ». Ceux-ci, qui ne savaient même pas si l'Esprit-Saint existait, étaient bien éloignés d'Apollon. Ceux qui lui ont expliqué plus complètement la voie du Seigneur, le poussent en avant et lui donnent des lettres pour les frères. « Lorsqu'il y fut allé, il fut très-utile à ceux qui avaient cru, car il convainquait fortement les Juifs en public, et démontrait d'après les Ecritures que Jésus était le Christ ». Par là Apollon montre combien il était savant dans les Ecritures. Il fermait vigoureusement la bouche aux Juifs, (c'est le sens du mot convainquait). Il augmentait la confiance de ceux qui avaient cru, et les faisait demeurer fidèles à la foi. « Il advint », disent les Actes, « que Paul, après avoir parcouru les hautes provinces, arriva à Ephèse ». Ces provinces sont auprès de Césarée et au delà. « Et ayant rencontré quelques disciples, il leur dit : Avez-vous reçu le Saint-Esprit après avoir été baptisés? » Que ces hommes crussent en Jésus-Christ, cela (200) est évident par cette parole : « Disant qu'ils croient en Celui qui doit venir après lui ». Il ne dit pas : Le baptême de Jn n'est rien, mais : Il est imparfait. Il ne dit pas cela sans raison, mais pour les instruire et leur persuader de se faire baptiser au nom de Jésus-Christ: ce qu'ils firent; et ils reçurent le Saint-Esprit par l'imposition des mains de Paul. « Paul leur ayant imposé les mains, le Saint-Esprit vint en eux ». De sorte que ceux à qui il imposait les mains recevaient le Saint-Esprit. Il est vraisemblable qu'ils avaient le Saint-Esprit, mais sans qu'il se manifestât d'abord; il se montra ensuite par son action en leur faisant parler diverses langues.

4002 2. Mais reprenons ce qui a été lu précédemment. « Paul s'embarqua pour la Syrie, ayant avec lui Priscille et Aquila », qu'il laissa à Ephèse lorsqu'il y fut parvenu. Il les laissa à Ephèse, ou bien parce qu'il ne voulut pas leur faire partager la fatigue de ses voyages, ou bien parce qu'il voulait qu'ils demeurassent à Ephèse pour y enseigner. Ils habitèrent ensuite Corinthe : on le voit par le témoignage si honorable que Paul leur rend. Il les salue aussi dans son épître aux Romains : j'en conclus qu'ils allèrent ensuite à Rome, comme pour revoir cette ville qu'ils avaient quittée par l'ordre de Néron. « Et après être descendu vers Césarée, il monta à Jérusalem, et lorsqu'il eut salué l'Eglise, il alla à Antioche. Il y séjourna un certain temps, et en partit pour parcourir la Galatie et la Phrygie ». Il me semble que les fidèles s'étaient rassemblés là, car les apôtres ne se séparaient pas d'eux si promptement. Voyez comment il les presse. Il parcourt de nouveau ces contrées afin de fortifier les disciples par sa présence. « Un Juif, nommé Apollon », disent les Actes, « savant dans les Ecritures, vint à Ephèse » (Ac 18,24). C'était un homme zélé, c'est pour cela qu'il voyageait. « Celui-ci étant venu en Achaïe convainquait avec force les Juifs en public ». C'est de lui que parle Paul lorsqu'il écrit : « Touchant notre frère Apollon ». (1Co 16,42) Qu'il les confondît en public, cela montrait sa confiance ; qu'il le fît avec vigueur, cela prouve son talent ; par les saintes Ecritures, cela témoigne en faveur de sa science. La confiance ne peut rien par elle-même sans le talent de la parole, ni le talent de la parole sans la confiance. Ce n'est donc pas en vain que Paul laissa Aquila à Ephèse : l’Esprit-Saint en disposa ainsi à cause d'Apollon, pour que cet homme fût plus fort pour Corinthe. Et pourquoi donc les Juifs ne firent-ils rien contre cet homme et se révoltèrent-ils contre Paul? Ils savaient que Paul était le Coryphée, ou bien que son nom était célèbre. « Aquila et Priscille le prirent chez eux, et l'instruisirent plus exactement sur les voies de Dieu » (Ac 18,26). Voyez comme ils agissent avec foi, et non par envie et malveillance. Aquila était instruit, mais il était plutôt instruit lui-même. Comme ils avaient fait un long séjour avec Paul, ils avaient été assez instruits pour pouvoir enseigner les autres. « Comme il voulait passer en Achaïe, ceux qui l'exhortaient écrivirent aux disciples » (Ac 18,27) de le recevoir. L'auteur explique la raison pour laquelle ils écrivent: c'est « afin qu'on le reçoive ».

Comment est-il prouvé que ces habitants d'Ephèse avaient reçu le baptême de Jean? De ce qu'à l'interrogation : « Au nom de qui avez-vous été baptisés? » ils répondent ; « Nous avons été baptisés du baptême de Jean» (Ac 19,3). Peut-être étaient-ils allés à Jérusalem dans ce temps; ils étaient sortis vers Jean, et s'étaient fait baptiser; mais, bien que baptisés, ils ne connaissaient pas Jésus. Il ne leur dit pas Croyez-vous en Jésus? mais bien : « Avez-vous reçu le Saint-Esprit? » Il savait qu'ils ne l’avaient pas reçu : Paul veut qu'ils le disent, afin que, sachant ce qui leur manquait, ils le demandassent. « Et Paul leur ayant imposé les mains, l'Esprit-Saint vint sur eux, et ils parlaient diverses langues et prophétisaient». En vertu même du baptême, ils prophétisent. Le baptême de Jn n'avait pas ce privilège, et c'est pour cela qu'il était imparfait. Pour qu'ils soient dignes de ces grâces, Paul les prépare d'avance. C'est pour cela que Jn, lorsqu'il baptisait, voulait qu'on crût en celui qui viendrait après lui. Par là est démontré un grand dogme, à savoir : que ceux qui sont baptisés sont purifiés totalement de leurs péchés. En effet, s'ils n'étaient pas purifiés, ils ne recevraient pas le Saint-Esprit, et ne seraient pas aussitôt dignes de ces grâces. Remarquez que la grâce était double : grâce de parler diverses langues, grâce de prophétiser. C'est donc avec raison que Paul leur dit que le baptême de Jn fut un baptême de pénitence et non de pardon, pour les élever plus haut, et leur persuader que le baptême était dénué de ce don; car le pardon était l'effet du baptême donné en (201) second lieu. Comment ceux-qui reçurent le Saint-Esprit n'enseignaient-ils pas, tandis qu'Apollon qui ne l'avait pas encore reçu enseignait? Parce qu'ils n'étaient ni si fervents, ni si instruits, et que celui-ci était très-instruit et brûlant de zèle. Il me semble que cet homme avait une grande liberté de parole. Cependant s'il parlait exactement de Jésus, il avait besoin d'une instruction plus soignée. Ainsi, bien qu'il ne sût pas toute chose, il attirait l'Esprit-Saint par sa ferveur, comme il arriva à Cornélius. Beaucoup peut-être regrettent le baptême de Jn et voudraient qu'il fût encore donné; mais beaucoup négligeraient de mener une vie vertueuse, ou bien chacun s'imaginerait de rechercher la vertu à cause de ce baptême, et non à cause du royaume des cieux. D'ailleurs il y aurait de nombreux faux prophètes; les hommes d'une vertu éprouvée ne brilleraient guère, et on n'appellerait non plus guère bienheureux ceux qui auraient reçu simplement la foi. De même donc que «Bienheureux sont ceux qui ont cru sans avoir vu », bienheureux sont aussi ceux qui croient sans prodiges. Dites-moi, en effet, n'était-ce pas un reproche. que le Christ faisait aux Juifs, lorsqu'il disait : « Si vous ne voyez des miracles, vous ne croyez point ». (Jn 20,29) Nous ne souffririons pas de l'absence des miracles si nous voulions regarder nos avantages actuels. Nous possédons la source de tous les biens par le baptême. Nous avons reçu le pardon de nos péchés, la sanctification, la participation de l'Esprit-Saint, l'adoption, la vie éternelle. Que voulez-vous de plus? Des prodiges ? Ils ont cessé. Vous avez la foi, l'espérance, la charité qui demeurent; cherchez ces choses, elles sont plus grandes que les prodiges. Rien de comparable à la charité : « La charité est la plus grande de toutes les vertus» (1Co 13,13), dit l'Ecriture. Mais de nos jours la charité périclite, le nom seul en reste, mais la chose n'est nulle part, nous sommes divisés entre nous.

4003 3. Que faire donc pour que nous soyons unis? Réprimander est facile, mais ce n'est là que la moitié de l'oeuvre. Il faut donc montrer comment se forme l'amitié ; il faut nous appliquer à rejoindre les membres désunis. Il n'y a pas seulement à chercher si nous avons une même église, un même dogme; mais, ce qui est grave, c'est que nous soyons en communion pour toute autre chose et que nous n'y soyons pas dans les choses nécessaires; que nous soyons en paix avec tous, et que sous d'autres rapports nous soyons en dissentiment. Ne considérez pas que nous n'excitons pas de luttes journalières, mais bien que nous n'avons plus une charité sincère et stable. Il est besoin d'huile et de ligaments. Pensons que la charité est la marque distinctive des disciples du Christ, que sans elle tout le reste n'est rien, et que la charité est chose facile si nous le voulons. Certes, dit-on, nous savons cela, mais comment s'y prendre pour y arriver? Comment faire pour que cela soit ? Comment s'y prendre pour nous aimer les uns les autres? Commençons par détruire ce qui détruit la charité, et nous l'établirons ensuite. Que personne n'ait souvenir des injures, que nul ne soit jaloux, que nul ne se réjouisse du mal. Voilà les obstacles de la charité. Ce qui la fait naître est tout autre. Il ne suffit pas de montrer quels sont les obstacles à enlever; il faut encore montrer ce qui la fait vivre. Sirach dit bien ce qui détruit la charité, mais non ce qui la concilie, et il indique les injures, la révélation d'un secret confié, et le mal fait par ruse. (Qo 22,27) Mais ces choses convenaient aux Juifs charnels. Loin de nous de pareilles choses; nous ne vous conduisons pas par ces moyens, mais par d'autres: Rien ne nous 'est utile sans la charité. Ayez mille biens, qu'en revient-il? Ayez la richesse, soyez dans les délices et sans amis, quel gain en tirerez-vous? Rien même dans les biens de la vie n'est plus beau que la charité; de même que rien n'est plus nuisible que l'inimitié : « La charité couvre la multitude des péchés » (1P 4,8), l'inimitié soupçonne même ce qui n'est pas. Il ne suffit pas de n'être pas ennemi, mais il faut aimer. Pensez que le Christ l'a ordonné et cela suffit. La persécution forme les amitiés et les noue. Mais, direz-vous, que faire maintenant qu'il n'y a pas de persécution ? Comment s'y prendre pour devenir amis? n'avez-vous pas d'autres amis, dites -moi? Comment êtes-vous leurs amis? Comment persévérez-vous dans leur amitié? Que personne, en attendant, n'ait d'ennemi, c'est déjà, beaucoup; que personne ne porte envie; quand on n'est pas envieux, on n'accuse personne. Nous habitons tous une même terre, nous nous nourrissons des mêmes fruits. Mais tout cela est peu de chose; (202) nous jouissons des mêmes mystères et de la même nourriture spirituelle. Certes, ce sont là les droits de l'amitié. Mais l'affection chaleureuse, qui nous la donnera? dit-on. Qu'est-ce qui fait l'amour des corps, la beauté du corps? Formons-nous donc de belles âmes, et nous serons amoureux les uns des autres; car il ne suffit pas d'aimer, il faut encore être aimé. Obtenons d'abord d'être aimés, et l'autre sera facile. Comment nous ferons-nous aimer? Soyons beaux, et agissons de telle sorte que nous ayons toujours des amants. Que personne ne travaille autant à acquérir des biens, des serviteurs et des maisons-, qu'à se faire aimer, qu'à acquérir une bonne réputation. « La bonne renommée est meilleure que d'a« bordantes richesses ». (Pr 22,1) L'une demeure, les autres périssent; on peut s'approprier l'une, les autres sont impossibles à garder. Celui qui a une mauvaise réputation, s'en débarrassera difficilement; le pauvre sera vite riche par sa bonne renommée. Que quelqu'un ait dix mille talents, et un autre cent amis, celui-ci est plus riche que le premier. N'agissons pas sans réflexion, mais bien comme pour acquérir une certaine opulence. Comment le pourrons-nous? dit-on. « La gorge douce et la langue gracieuse multiplient les amis ». (Si 6,5) Ayons donc une bouche qui parle comme il convient et des moeurs pures. Celui qui est ainsi fait ne saurait rester inconnu.

4004 4. Voyez combien les païens avaient imaginé de liens d'amitié : l'adoption, le voisinage, la parenté. Mais les nôtres sont plus grands que ceux-là; cette table est plus digne de vénération. Beaucoup s'en approchent qui ne se connaissent même pas les uns les autres; c'est la multitude qui en est cause, direz-vous. Nullement, mais notre négligence. Ils étaient trois mille et cinq mille les premiers fidèles, et tous ils n'avaient qu'une âme; maintenant chacun méconnaît son frère, et ne rougit pas de prétexter la foule. Celui qui a de nombreux amis, est invincible à tous, est plus fort que tout tyran. Les gardes de celui-ci ne veillent pas si bien sur lui, que ses amis ne gardent l'autre, et le premier est plus honoré que le second. En effet, le tyran est gardé par ses esclaves, l'autre par ses égaux; le tyran par des gens qui y sont forcés et le craignent; l'autre par des gens qui veillent sur lui de bonne volonté et sans crainte; et on peut voir une chose admirable, beaucoup en un seul, et un seul en beaucoup. Et de même que dans une lyre il y a divers sons et une seule symphonie, et un seul musicien qui pince les cordes de la lyre; ainsi dans ce cas: la lyre est la charité, les sons qui retentissent, les paroles d'amour proférées par charité, formant une seule et même harmonie, une seule symphonie; le musicien est la vertu de la charité qui produit la douce mélodie. Je voudrais vous conduire dans une semblable cité, s'il était possible, où il y aurait une seule âme, et où il se ferait une symphonie mieux accordée que celle de n'importe quelle lyre et de n'importe quel musicien, une symphonie qui ne laisse entendre aucun son discordant. Cette mélodie charme les anges et le Seigneur des anges, c'est elle qui anime le théâtre tout entier dans le ciel, retient la colère du démon, calme les élans de la passion. Cette mélodie ne charme pas seulement les passions, mais elle ne leur permet pas même de s'éveiller, et les réduit à un silence absolu: De même que dans un théâtre tous écoutent en silence le choeur des musiciens, et qu'on n'entend aucun bruit; ainsi parmi les amis, quand la charité s'exerce, toutes les passions s'apaisent et se calment comme des bêtes sauvages qu'on a charmées et fascinées; au sein des inimitiés, c'est tout le contraire. Mais nous ne dirons rien présentement de l'inimitié, nous ne parlerons que de l'amitié. S'il vous échappe une parole téméraire, personne ne se lève pour vous reprendre, mais tous vous pardonnent. Si vous avez mal agi, personne ne vous soupçonne, on a une grande indulgence; tous tendent la main bien vite à celui qui tombe, tous ont à coeur qu'il se relève.

L'amitié est véritablement un mur inébranlable que ne peuvent prendre ni le démon, ni à plus forte raison les hommes. Il ne se peut que celui qui a de nombreux amis tombe dans le danger. Il n'a aucune occasion de colère, tout l'entretient dans la paix. Il est toujours dans la joie et le contentement; l'envie n'a pas de prise sur lui, le souvenir des injures ne saurait trouver place dans son coeur. Voyez comme cet homme mène avec facilité ses affaires temporelles et spirituelles. Qu'est-ce donc qui peut lui être comparé? Il est comme une ville toute environnée de murailles; tout autre est comme une cité sans murs. C'est le fait d'une grande sagesse de pouvoir créer (203) l'amitié. Détruisez l'amitié, et vous aurez tout détruit, vous aurez tout confondu. Si l'image de la charité a tant de puissance, quelle force n'aura pas la vérité elle-même ? Préparons-nous donc des amis, je vous en prie, que chacun s'applique à cet art. — Mais voici, dites-vous, que je m'y applique, mais celui-ci ne s'y applique pas. — Il y aura pour vous une plus grande récompense. — Oui, dites-vous, mais la chose est plus difficile. — Comment, dites-moi? Voici que je vous atteste que si vous vous adjoignez seulement dix amis, et que si vous faites cette oeuvre comme les apôtres ont fait celle de la prédication, les prophètes celle de l'enseignement, la récompense sera grande. Préparons-nous des images royales, c'est là la marque distinctive des disciples. Comment négligeons-nous de faire une oeuvre qui est plus grande que de ressusciter les morts? Le diadème et la pourpre désignent le roi, et quoiqu'on ait des vêtements d'or, si l'on n'a pas la pourpre, le roi ne se montre pas encore. Ainsi, dans le cas présent, prenez cette marque, et vous vous ferez des amis à vous-même et aux autres. Nul ne voudrait haïr étant aimé lui-même. Apprenons quelles sont les couleurs à mélanger pour parvenir à former cette image; soyons affables, allons au-devant des amis. Ne dites pas : Si je vois quelqu'un en retard avec moi, je deviens plus méchant que lui; mais lorsque vous voyez quelqu'un en retard avec vous, allez au-devant et faites cesser sa froideur. Vous le voyez souffrir et vous aggravez son mal? Appliquons-nous surtout à nous prévenir mutuellement par des témoignages d'honneur. (
Rm 12,10) Ne pensez pas que ce soit se rabaisser soi-même que de tenir les autres pour supérieurs à nous. Si vous prévenez cet homme par l'honneur que vous lui rendez, vous vous honorez bien plus encore vous-même, à cause de l'honneur que vous vous attirez. Cédons partout aux autres les premières places. N'ayons aucun souvenir du mal qu'on nous a fait, ne nous souvenons que du bien. Rien ne rend si cher qu'un langage gracieux, des paroles bienséantes, un esprit sans morgue, méprisant la gloriole et les honneurs. Si nous agissons ainsi, nous serons inaccessibles aux embûches du diable, et, après avoir suivi avec exactitude les sentiers de la vertu, nous pourrons jouir des biens promis à ceux qui aiment, par la grâce et la bonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ, avec qui appartient gloire, puissance, honneur, au Père et au Saint-Esprit, maintenant et toujours, dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.



Chrysostome sur Actes 3900