Chrysostome sur Actes 4300

HOMÉLIE XLIII. LE TUMULTE APAISÉ, PAUL CONVOQUA LES DISCIPLES, ET LES AYANT SALUÉS, IL PARTIT POUR ALLER EN MACÉDOINE. (CHAP. XX, VERS. 1, JUSQU'AU VERS. 16)

4300 Ac 20,1-16

ANALYSE. 1 et 2. Saint Paul, près de quitter Ephèse, passe la nuit à instruire les disciples. — Niort et résurrection d'Eutychus. — Voyages de saint Paul. — Commentaire sur le discours de saint.Paul pendant-la nuit à Ephèse. — Eloge de saint Paul.
3. Exhortation an zèle, à la miséricorde : Exemple de Dieu qui agit par lui-même pour combler de bienfaits, et punit par ses anges.

4301 1. Il fallait des consolations après cette secousse. Paul y veille, c'est encore pour consoler les disciples qu'il va en Macédoine, et ensuite en Grèce. Ecoutez comme il les consola : « Lorsqu'il eut parcouru toutes les contrées, et eut exhorté les disciples par de nombreux a discours, il vint en Grèce. Il y demeura trois mois, et ayant été averti que les Juifs lui tendraient des embûches s'il allait par mer en Syrie, il prit la résolution de retourner a par la Macédoine. Il fut accompagné jusqu'en Asie par Sopater de Bérée, Aristarque et Secundus de Thessalonique, Gaius de Derbé, Timothée, et par Tychique et Trophime d'Asie. Ceux-ci étant partis avant nous, nous attendirent à Troade (2-5) ». Il est de nouveau persécuté par les Juifs et il va en Macédoine. Comment dit-il que Timothée était Thessalonicien ? Il ne dit pas cela, mais bien : Ceux-ci précédèrent l'Apôtre dans la Troade, pour lui préparer la voie. « Nous a mîmes à la voile à Philippes après les jours des Azymes, et nous arrivâmes auprès d'eux au bout de cinq jours. Nous restâmes là pendant sept jours ». Il me semble que Paul prenait soin de célébrer les fêtes dans les grandes villes. Il mit à la voile à Philippes, ville où il avait été mis en prison; c'est son troisième voyage en Macédoine, et il rend mille bons témoignages aux Philippiens. Il y reste donc. « Le premier jour après le sabbat, comme nous nous étions assemblés pour la fraction du pain, Paul avant de partir les instruisait, et il prolongea son discours jusqu'au milieu de la nuit (6-7) ». Remarquez comme tout le reste n'était que l'accessoire de la prédication. C'était alors la Pentecôte et le jour du Seigneur, Paul prolongea son discours jusqu'au milieu de la nuit. Il avait un tel souci du salut des disciples, qu'il ne se taisait pas même la nuit, et qu'il enseignait d'autant mieux alors qu'on était dans le repos. Remarquez qu'il fit de longs discours, puisqu'il parla même après l'heure du souper. Mais le démon troubla la fête et ne fut pas le plus fort, quoiqu'il eût plongé, un auditeur dans le sommeil et l'eût précipité en bas. L'auteur rapporte ce fait tel qu'il arriva en continuant ainsi : « Il y avait de nombreuses lumières dans la salle du haut où nous étions réunis. Un jeune homme nommé Eùtychus, assis au bord de la fenêtre, s'étant endormi profondément pendant le discours prolongé de Paul, fut entraîné par le poids du sommeil, et tomba du troisième étage en bas, et on le releva mort. Paul étant descendu, se coucha sur lui, et l'ayant embrassé, dit : Ne vous troublez pas, car son âme est en lui. Il remonta donc, fit la fraction du pain, mangea; puis ayant continué son entretien jusqu'au jour, il partit. Ils emmenèrent l'enfant vivant, et ne furent pas peu consolés (8-12) ».

Considérez avec moi ce spectacle. Ils sont rassemblés : « Les disciples étant rassemblés », (218) dit le texte. Considérons aussi le prodige opéré. Le jeune homme était assis sur une fenêtre, et fort avant dans la nuit, tant était grand le zèle des auditeurs. Rougissons, nous qui sommes loin d'en montrer autant même pendant le jour. — Mais c'était Paul qui prêchait alors, dit-on. Que dites-vous? Mais c'est encore Paul qui parle maintenant. Ou plutôt Paul ne parlait pas alors non plus qu'aujourd'hui; celui qui parle, c'est le Christ, et personne n'écoute. Il n'y a pas de fenêtre maintenant, il n'y a pas de besoin pressant, le sommeil n'accable pas, et cependant nous n'écoutons pas. Vous ne pouvez non plus vous plaindre du manque d'espace ni d'aucune incommodité de ce genre. Ce qui est aussi admirable c'est que, quoique jeune, Eutychus n'était pas négligent; accablé de sommeil, il ne s'en alla pas, et ne redouta pas le danger de tomber. Ne vous étonnez pas qu'il soit tombé en dormant; car ce n'était pas par paresse qu'il dormait, mais par la faiblesse de la nature. Considérez, je vous prie, de quel zèle ils étaient enflammés jusqu'à monter à un troisième étage : il n'y avait pas alors d'Eglise. « Ne vous troublez pas », dit Paul, « car son âme est en lui ». Il ne dit pas : Il ressuscitera, car je le réveillerai, mais bien : « Ne vous troublez pas ». Voyez comme il est éloigné du faste et de la vaine gloire. « Il mangea », dit l'auteur, « les exhorta longuement jusqu'au jour, et partit ». Voyez-vous comment ils passaient la nuit en veillant? La table était telle, que les auditeurs la quittaient sobres, et capables d'écouter de nouveau. Pour nous, en quoi différons-nous des chiens? Voyez quelle différence entre les premiers disciples et nous ! « Ils emmenèrent l’enfant vivant, et furent grandement consolés ». Ils furent grandement consolés parce qu'ils avaient reçu l'enfant vivant, et aussi parce qu'un prodige s'était accompli. « Pour nous, nous montâmes sur un vaisseau et nous allâmes jusqu'à Asson, où nous devions reprendre Paul, selon l'ordre qu'il cri avait donné, car pour lui il avait voulu faire le chemin à pied. Lors donc qu'il nous eut rejoint à Asson, nous nous dirigeâmes sur Mitylène ». Souvent Paul se sépare des disciples. Voici qu'il va à pied, et eux voyagent sur un navire; il laisse aux autres ce qui est plus agréable, et choisit pour lui ce qui est plus rude. Il voyageait à pied pour arranger beaucoup de choses, et pour enseigner aux Chrétiens à ne point se séparer de lui. « Nous nous rembarquâmes le lendemain, et nous arrivâmes en face de Chio. Le jour suivant nous touchâmes Samos, et, nous étant arrêtés à Trogile, le deuxième jour nous arrivions à Milet ». Paul se hâte, ils continuent leur route sans perdre de temps et en laissant de côté les îles. « Paul avait résolu de passer Ephèse sans y prendre terre, afin qu'il n'eût point occasion de s'arrêter en Asie, se hâtant pour être, s'il était possible, le jour de la Pentecôte à Jérusalem (13-16) ».
4302 2. Pourquoi cette hâte ? Ce n'était pas à cause de la fête, mais à cause de la multitude. Paul attirait à lui les Juifs par son respect pour les fêtes, et comme il voulait ramener les ennemis, il avait hâte de leur annoncer la parole. Songez quel grand fruit il dut faire en ce jour qui réunissait toute la nation. Mais d'ailleurs, pour que les Ephésiens ne fussent pas négligés, il prit d'autres mesures. Mais reprenons. « Et ayant salué les disciples », dit l'auteur, « il partit pour aller en Macédoine, et lorsqu'il leur eut adressé de nombreuses exhortations, il alla en Grèce ». Il ranimait ainsi leur foi et leur donnait d'abondantes consolations. Remarquez que partout il opère par la parole et non par des prodiges. « Devant aller en Syrie », dit l'auteur. Toujours il nous le montre empressé d'aller en Syrie. La cause, c'était l'Eglise et Jérusalem. C'était aussi son désir de régler toutes choses en ce pays. Cependant Troade n'est pas une grande ville; pourquoi donc y restent-ils durant sept jours? Peut-être était-elle grande par le nombre des disciples. Et lorsqu'il y fut demeuré sept jours, il passa la nuit suivante à les instruire, tant c'était avec peine qu'il se séparait d'eux, et eux de lui. « Lorsque nous fûmes rassemblés pour la fraction du pain », dit l'auteur. Le discours commença donc à l'heure indiquée pour la fraction du pain, et cette heure n'était pas trop avancée, mais l'entretien une fois commencé se prolongea. Ce n'était pas précisément pour l'instruction que l'on s'était réuni, mais pour la fraction du pain; mais une fois qu'il eut entamé l'instruction, Paul ne s'arrêta plus qu'il ne l'eût longuement développée. Remarquez que tous participaient à la table de Paul. Il me semble qu'il parla à table, pour nous apprendre à regarder la nourriture de l'âme comme l'affaire principale, et celle du corps (219) comme l'accessoire. Imaginez-vous cette maison illuminée, pleine de monde, et Paul parlant au milieu de l'assemblée. Imaginez-vous celle maison dont la foule occupait les fenêtres pour entendre cette trompette retentissante et contempler son majestueux visage. Quels pensez-vous que furent les auditeurs, quelle joie ils goûtaient? Pourquoi parlait-il pendant la nuit? Parce qu'il devait s'en aller et ne les verrait plus désormais. Il ne dit pas cela à cette foule, trop faible pour l'entendre ; mais il le disait aux autres. Le miracle devait aussi rappeler à jamais le souvenir de cette soirée. La joie des auditeurs était grande, et elle fut augmentée encore par cette interruption; cette chute tourna aussi à l'avantage du docteur. D'ailleurs ce jeune homme qui mourut pour entendre Paul devait être un reproche continuel pour les paresseux. Mais pourquoi, dit-on, l'auteur énumère-t-il chaque endroit où ils allèrent, où ils s'arrêtèrent, et les endroits qu'il laissa de côté en naviguant? Pour montrer qu'il naviguait assez lentement, et que c'était aussi par un motif humain qu'il, laissait de côté certains lieux pendant la navigation. « Il décida qu'on passerait Ephèse sans a prendre terre, pour ne point perdre de temps en Asie ». C'était avec raison ; car il n'eût pu, s'il fut entré à Ephèse, ne pas s'y arrêter, parce qu'il n'aurait pas voulu affliger les disciples qui le prieraient de rester. Il faut ajouter qu'il était pressé. « Il se hâtait », dit l'auteur, « afin, s'il était possible, de passer le jour de la Pentecôte à Jérusalem ». Il ne pouvait donc s'arrêter à Ephèse. Vous voyez que Paul subit aussi les conditions de l'humanité: il désire, il se hâte et ne réussit pas toujours ni infailliblement. Il en est ainsi pour que nous ne pensions pas qu'il fût au-dessus de la nature humaine. Les saints et les hommes illustres ne différaient pas de nous par la nature, mais seulement parla volonté. C'est par là qu'ils attiraient sur eux une grâce immense. Voyez quelles grandes choses ils exécutent par eux-mêmes. C'est à cause de cela que Paul disait: « Pour ne pas donner sujet de s'offenser à ceux qui le veulent » (2Co 6,3); et ensuite: «Pour qu'on ne critique pas notre ministère ». Ces paroles sont la marque d'une vie sans tache et d'une grande indulgence. Atteindre au sommet de la vertu et conserver le sentiment d'une humble condescendance, voilà la perfection. Apprenez comment cet homme, qui allait au delà des stricts préceptes du Christ, restait néanmoins le plus humble de tous: « Je me suis fait tout à tous pour les gagner tous » (1Co 9,22), dit-il. Il se précipita même dans les dangers comme il le dit ailleurs: « Dans la patience sans bornes, dans les tribulations, dans le besoin, dans les malheurs, dans les prisons » (2Co 6,45) ; son amour pour le Christ était immense. S'il n'en eût été ainsi, tout le reste eût été vain, grâces reçues, vie sans tache et dangers. « Qui souffre sans que, je souffre? qui est scandalisé sans que je brûle? »

4303 3. Suivons ces paroles, je vous en conjure, et exposons-nous au danger pour nos frères. Si le feu ou le fer vous menacent, précipitez-vous, mon cher, pour en arracher celui qui est avec vous membre d'un même corps; précipitez-vous et ne craignez point. Vous êtes le disciple du Christ qui a donné sa vie pour ses frères; le condisciple de Paul qui aurait voulu souffrir mille maux pour ses ennemis et pour ceux qui le persécutaient; soyez plein de zèle, imitez Moïse. Celui-ci vit quelqu'un qu'on traitait injustement, et il se fit son vengeur; il méprisa les délices des rois, et devint pour ceux qui souffraient, fugitif, errant, sans asile et sans parents; il demeura longtemps sur la terre étrangère, il ne s'en fit pas de reproches à soi-même, et ne dit jamais Qu'est-ce que cela? J'ai méprisé le trône, tant d'honneur et tant de gloire; j'ai préféré venger ceux qu'on accablait d'injustices, et Dieu ne m'en a pas tenu compte, et non-seulement il ne m'a pas rétabli dans mes premiers honneurs, mais voilà quarante ans que je passe sur la terre étrangère ; ce qui veut bien dire : Je n'ai pas reçu de récompense. Il ne dit ni ne pensa rien de tout cela. Faites donc ainsi Vous faites le bien et vous souffrez le mal, et cela pendant longtemps; néanmoins ne vous scandalisez ni ne vous troublez point, car le Seigneur vous en donnera récompense entière. Plus le paiement est différé, plus s'accumulent les intérêts. Ayons donc une âme compatissante et qui sache prendre sa part de la douleur d'autrui; n'ayons jamais rien en nous de cruel et d'inhumain. Si vous ne pouvez faire plus, pleurez et gémissez : ces pleurs ne seront pas inutiles pour vous. S'il faut compatir aux maux de ceux que Dieu frappe justement, bien plus encore faut-il compatir aux maux de ceux qui souffrent injustement. « Les (220) gens d'OEnan ne sortirent point pour pleurer sur la maison qui leur était voisine. Ils recevront la douleur parce qu'ils l'ont tournée en dérision ». Ezéchiel leur reproche ainsi de n'avoir pas pleuré avec leurs voisins. Que dites-vous, ô prophète ! Dieu punit: et je pleurerais avec ceux qui sont châtiés? Certainement : car celui qui punit le veut ainsi, car lui-même en punissant ne se réjouit pas, mais il est plutôt dans la douleur. Puis donc que celui-là même qui punit ne se réjouit pas, ni vous non plus, ne vous réjouissez pas. Mais s'il sont punis justement, direz-vous, il ne faut pas s'attrister? Au contraire, il faut s'affliger même alors de ce qu'ils ont paru dignes du châtiment. Dites-moi : Lorsque vous voyez votre fils brûlé ou coupé, ne vous attristez-vous pas ? Certainement vous ne vous dites pas à vous-même : Qu'est-ce que cela? la coupure doit produire la santé; la brûlure a pour but la guérison : cependant lorsque vous entendez les cris de votre enfant qui ne peut supporter ses douleurs, vous souffrez, et l'espoir de son retour à la santé ne suffit pas pour surmonter le trouble de la nature. Usons-en de même envers les autres hommes; quoique le châtiment leur soit infligé pour leur bien, montrons-leur cependant une affection paternelle et des sentiments de père.

Les châtiments de Dieu sont des coupures et des brûlures, et nous devons nous attrister de ce qu'ils aient eu besoin d'un tel remède pour être guéris. Si quelqu'un souffre volontairement ces maux pour là couronne, comme Pierre et Paul, alors ne vous affligez pas; mais s'il subit un juste châtiment, alors pleurez et gémissez. Tels étaient les prophètes. C'est pourquoi l'un d'eux a dit : « Hélas ! Seigneur, détruirez-vous les restes d'Israël? » (
Ez 9,8) Nous voyons souvent châtier des meurtriers et des scélérats, et nous souffrons et nous nous attristons. Ne soyons pas philosophes outre mesure : soyons miséricordieux, afin de trouver miséricorde. Rien n'est comparable à cette qualité, rien ne nous montre mieux un caractère humain que la miséricorde et la douceur. C'est pourquoi les lois renvoient tout le châtiment aux bourreaux; elles obligent le juge à prononcer la sentence sans aller plus loin, elles appellent les bourreaux pour l'exécution. Ainsi, quelque juste que soit le châtiment, il n'appartient pas à l'homme qui se respecte de l'infliger, ce ministère couvient à quelque mercenaire. Dieu ne frappe pas par lui-même, mais par le moyen des anges. Les anges sont donc des bourreaux, direz-vous ? Fi donc ! Je ne dis pas cela, mais ils sont des puissances vengeresses. Lorsque Sodome fut détruite, elle le fut par eux; les plaies de l'Égypte furent aussi leur oeuvre Il en a donné mission aux anges mauvais» (Ps 77,49), dit l'Écriture. Lorsqu'il faut sauver, il agit par lui-même. Ainsi, il a envoyé son Fils pour le salut du genre humain. Et ailleurs l'Écriture ne dit-elle pas: « Je dirai aux anges : Rassemblez ceux qui commettent l'iniquité, et jetez-les dans la fournaise ». (Mt 13,41-42) Touchant les justes, il n'agit pas ainsi; mais il leur dit: « Celui qui vous reçoit, me reçoit» (Mt 10,40); et ailleurs : « Liez-lui les pieds et les mains, et jetez-le, dans les ténèbres extérieures ». (Mt 22,13) Voyez, ici ce sont les serviteurs qui accomplissent ses ordres. Lorsqu'il doit faire du bien, c'est lui qui le fait, c'est lui qui appelle : « Venez les bénis de mon Père, recevez le royaume qui vous a été préparé en héritage ». (Mt 25,34) Lorsqu'il veut parler à Abraham, c'est lui qui vient; lorsqu'il faut aller à Sodome, il envoie ses serviteurs comme un juge qui envoie ceux qui doivent punir. Et ailleurs : « Courage, serviteur bon et fidèle, parce que tu as été fidèle à propos de peu, je t'établirai sur beaucoup ». (Mt 25,21) C'est lui-même qui bénit cet homme ; ce n'est pas lui, mais les serviteurs qui jettent le méchant dans les ténèbres. Instruits de ces choses, ne nous réjouissons pas à la vie de ceux qui sont punis, mais gémissons encore; attristons-nous et pleurons sur eux, afin d'en recevoir récompense. Maintenant il y en a beaucoup qui se réjouissent, même des maux endurés par ceux qui souffrent injustement. Pour nous, n'agissons pas ainsi, mais montrons toutes sortes de commisérations; afin que, nous aussi, nous soyons jugés dignes de la miséricorde de Dieu, par la grâce et la bonté de son Fils unique, avec qui appartiennent, au Père et à l'Esprit. Saint, gloire, puissance, honneur, maintenant et toujours, dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.


HOMÉLIE XLIV. ÉTANT A MILET, PAUL ENVOYA A ÉPHÉSE ET CONVOQUA LES PRÊTRES DE CETTE ÉGLISE. (CHAP. XX, 17-21, JUSQU'AU VERS. 31)

LORSQU'ILS FURENT VENUS PRÉS DE LUI, IL LEUR DIT : « VOUS SAVEZ QUE DEPUIS LE PREMIER JOUR OU JE SUIS ENTRÉ EN ASIE, JE SUIS DEMEURÉ AVEC VOUS PENDANT TOUT LE TEMPS, SERVANT LE SEIGNEUR AVEC VOUS EN TOUTE HUMILITÉ, AVEC BEAUCOUP DE LARMES, ET AU MILIEU DE BEAUCOUP D'ÉPREUVES QUI NE SONT ARRIVÉES PAR LES EMBUCHES DES JUIFS; QUE JE N'AI RIEN NÉGLIGÉ DE CE QUI ÉTAIT NÉCESSAIRE POUR VOUS ANNONCER LA PAROLE ET VOUS INSTRUIRE EN PUBLIC ET EN PARTICULIER, PRÊCHANT AUX JUIFS ET AUX GENTILS LA PÉNITENCE ENVERS DIEU, ET LA FOI ENVERS NOTRE-SEIGNEUR JÉSUS-CHRIST ».
4400 Ac 20,17-31

ANALYSE. 1.3. Discours de saint Paul aux Ephésiens. — Eloge de l'humilité, et de la liberté de parole quand il s'agit de la vérité. — Nécessité de la vigilance pour les pasteurs. — Les loups puissants ravageurs du troupeau. — Nécessité de la vigilance pour les disciples.
4. Reproches que saint Jean Chrysostome adresse à son peuple. — Il rappelle ce qu'il a fait depuis qu'il prêche, et se livre à sa douleur. — Ardeur de son désir pour le salut de son peuple.

4401 1. Paul, quoique pressé de passer outre, ne néglige rien et pourvoit à tout. Il fait venir les chefs de l'église d'Éphèse et leur dit ce qu'on vient de lire. On ne peut qu'admirer comment, forcé qu'il est de dire quelque chose de glorieux pour lui, il s'y prend modestement. Ainsi Samuel, sur le point de remettre le commandement à Saül, dit à Israël: « Vous êtes témoins, ainsi que Dieu, si j'ai reçu quelque chose de vous ». (1S 12,5) Et David, en qui l'on n'avait pas foi, dit aussi : « J'étais dans la bergerie, paissant les brebis de mon père; et lorsque vint l'ours, je le déchirai de mes mains ». (1S 17,34-35) Et Paul lui-même dit aux Corinthiens «J'ai été insensé; vous m'y avez forcé ». (2Co 12,10) Dieu fait de même aussi : il ne parle pas simplement de lui-même, mais lorsqu'on ne veut pas croire en lui, il allègue ses bienfaits. Voyez donc ce que fait Paul: d'abord il en appelle au témoignage de l'auditoire, pour qu'on ne pense pas qu'il parle avec vanité, et il atteste les auditeurs eux-mêmes qu'il n'a pas menti en disant ce qu'il a dit. Rien ne donne tant d'autorité à un docteur que d'avoir pour témoins de ses propres bonnes oeuvres ceux qu'il a instruits. Ce qui est étonnant, c'est qu'il employa non pas un ou deux jours, mais plusieurs années à cette oeuvre. « Vous savez», dit-il, « que j'ai été avec vous pendant tout le temps ». Il veut donc les exhorter à supporter avec courage toutes choses, et leur séparation de lui, et les épreuves qui doivent arriver, de même que firent Moïse et Jésus. Et voyez aussi ce qu'il ajoute : « Que j'ai été avec vous pendant tout le temps, servant le Seigneur en toute humilité ». Remarquez ce qui convient surtout à ceux qui commandent. « Haïssant l'orgueil » ; paroles qui se rapportent surtout aux princes que l'élévation de leur état pousse à l'idée exagérée d'eux-mêmes. Cette vertu est tellement la source des bonnes oeuvres, que le Christ disait : « Bienheureux les pauvres en esprit ». (Mt 5,3) Non-seulement Paul dit : avec humilité, mais bien : « en toute humilité ». Il y a beaucoup de sortes d'humilité; car on peut voir l'humilité en paroles, en actions, envers les supérieurs, envers les inférieurs. Si vous le voulez, je vous dirai les divers modes de l'humilité. Il y en a qui sont humbles avec les humbles, et superbes avec les superbes; cela n'est pas (222) l'humilité. Il y en a d'autres qui, à l'occasion, conservent l'humilité et la grandeur envers toutes les personnes; et c'est là surtout de l'humilité. Paul ne voulant pas passer pour orgueilleux en enseignant l'humilité, donne une base solide à son enseignement, en supprimant d'avance tout soupçon de ce genre. En effet, si j'ai vécu avec toute humilité, ce n'est pas par vanité que je dis ce que je vous dis. Ensuite il allègue sa douceur: « Je fus avec vous, servant le Seigneur », dit-il, pour montrer qu'ils furent les compagnons de ses bonnes oeuvres. Ainsi, partout la vie commune est bonne. Il rend donc ses bonnes oeuvres communes, et il ne s'attribue rien d'éminent. Pourquoi donc? direz-vous. Est-ce qu'il pouvait être arrogant envers Dieu? Il y en a beaucoup qui sont arrogants envers Dieu; Paul n'était pas même arrogant envers ses disciples. C'est l'oeuvre parfaite du maître de former ses disciples par ses bonnes actions propres. Ensuite il montre sa force d'âme sur laquelle il passe rapidement : «Avec beaucoup de larmes, au milieu de beaucoup d'épreuves qui me sont arrivées par les embûches des Juifs ». Voyez-vous comme il s'attriste de ce qui est arrivé? Là il me semble indiquer clairement sa commisération; il s'affligeait sur ceux qui périssaient, sur les auteurs de ses tribulations. Il se réjouissait des maux qui lui arrivaient; car il faisait partie de ce collège apostolique dont les membres se réjouissaient d'avoir été jugés dignes de souffrir l'injure à cause de son nom ». (Ac 5,41) Il dit lui-même: « Maintenant je me réjouis de ce que j'ai souffert à cause de vous » ; et encore : « Une affliction légère et de courte durée nous acquiert un poids éternel de gloire au-dessus de toute grandeur dans le ciel ». (Col 1,24 2Co 4,17) Mais il dit cela par modestie. Ici il montre son courage, et non pas tant son courage que sa patience. C'est comme s'il disait : « J'endurais des maux, mais c'était avec vous; ce qui est grave de la part des Juifs ». Voyez maintenant le caractère de la doctrine; et il place en même temps la charité et la force : « Que je n'ai rien négligé », dit-il. Ceci montre un zèle qui n'a rien épargné. « De ce qui était utile ». Il parle avec raison ainsi. Il y avait des choses qu'il était inutile aux fidèles de savoir. Si cacher certaines choses eût été de la méchanceté, tout dire eût été de la sottise. C'est pour cela qu'il a ajouté : « De ce qui était utile ». Il indique par là qu'il a enseigné la doctrine, ne se bornant pas à l'énoncer une fois seulement pour l'acquit de sa conscience : que ce soit là le vrai sens, écoutez ce qu'il dit ensuite; cela vous le prouvera, car il ajoute : « En public et dans les maisons » ; et il montre ainsi ses grands travaux, son zèle immense et sa persévérance. Attestant aux Juifs et aux gentils ». Non à vous seulement, dit-il, mais aussi aux gentils. Là est la parole franche et libre ; cela veut dire qu'un apôtre doit parler, dût sa parole être inutile. Ce mot «attester» qu'il emploie, signifie qu'il prêchait même à ceux qui n'étaient pas attentifs à sa parole; c'est le sens le plus fréquent d'attester. « J'atteste le ciel et la terre », dit Moïse; et Paul : « Attestant aux Juifs et aux gentils la pénitence envers Dieu ».

4402 2. Qu'attestez-vous donc? Qu'il faut changer de vie, qu'il faut se repentir et revenir à Dieu. Les Juifs ne l'avaient pas connu parce qu'ils avaient méconnu le Fils; parce qu'ils n'avaient pas les oeuvres; non plus que la foi dans le Seigneur Jésus. Pourquoi dites-vous cela? Pourquoi rappelez-vous ces choses? Que s'est-il passé? Quelle accusation portez-vous? «Et voilà que maintenant, enchaîné par l'Esprit-Saint, je vais à Jérusalem; ignorant ce qui doit m'y arriver, si ce n'est que dans toutes les villes où je passe l'Esprit-Saint me dit et m'atteste que des chaînes et des persécutions m'attendent. Mais je n'en fais aucun cas; ma vie ne m'est pas si précieuse que d'accomplir ma course avec joie, et le ministère que j'ai reçu du Seigneur Jésus, d'attester l'Évangile de la grâce de Dieu (Ac 20,22-24) ». Pourquoi Paul dit-il cela? Pour les préparer et les rendre capables de supporter les dangers visibles ou cachés, et d'obéir en tout à l'Esprit-Saint. Il montre qu'il est conduit à de grandes choses. « Si ce n'est que l'Esprit-Saint me dit et m'atteste dans toutes les villes par où je passe ». Il parle ainsi pour faire voir qu'il agit librement, et afin qu'on ne pense pas qu'il n'est pas libre, mais poussé par la nécessité. Ensuite il ajoute : « Ma vie ne m'est pas si précieuse que d'accomplir ma course avec joie, ainsi que le ministère que j'ai reçu du Seigneur Jésus ». Vous voyez que ce ne sont pas là les paroles d'un homme qui se lamente, mais d'un homme modeste qui enseigne et qui ne reste pas indifférent aux événements. Il ne dit (223) pas: Nous sommes dans l'angoisse; mais: Il faut supporter nos maux; il ne dit pas même: Je juge que... Il parle de la sorte, non pour se louer lui-même, mais pour leur enseigner d'abord l'humilité, ensuite le courage, la liberté de parole. C'est comme s'il disait: Je n'aime pas cette vie plus que l'autre; je pense qu'il est plus précieux pour moi d'accomplir ma course, et « d'attester avec insistance la doctrine de l'Evangile ». Il ne dit pas : Prêcher, enseigner; mais quoi donc? « Attester l'Evangile de la grâce de Dieu ». Il va dire quelque chose de plus pénible : « Je suis pur du sang de tous ». Il les prépare donc et leur montre qu'il ne reste plus rien. Comme il allait leur laisser la charge et le fardeau tout entiers, il attendrit leur coeur en disant : « Je sais maintenant que vous ne verrez plus désormais mon visage ». Puis il ajoute: « Je suis pur du sang de tous ». La douleur est double : ils ne verront plus son visage et eux tous. En effet, dit-il : « Vous ne verrez plus mon visage, vous tous, au milieu de qui je suis passé, prêchant le royaume de Dieu ». Je vous atteste donc avec raison, parce que je ne serai plus désormais avec vous, « que je suis pur du sang de tous ; car je n'ai pas craint de vous annoncer toute la volonté de Dieu ». Ne voyez-vous pas comme il les effraie et comme il accable leurs âmes affligées et troublées? C'est avec raison, car c'était nécessaire. «Car je n'ai pas craint de vous annoncer toute la volonté de Dieu ». Celui qui ne parle pas est responsable du sang de l'homme, c'est-à-dire du meurtre. Rien de plus effrayant que cela. Il leur montre que ceux qui n'agiront pas comme lui, sont responsables du sang. Il semble se disculper, et il les épouvante : « Veillez donc sur vous et sur tout le troupeau, sur lequel le Saint-Esprit vous a constitués évêques, pour paître l'Eglise de Dieu qu'il a acquise par son propre sang ». Voyez-vous ; il leur ordonne deux choses : redresser seulement les autres ne procure aucun bénéfice. « Je crains qu'ayant prêché les autres, je ne sois moi-même réprouvé » (1Co 9,27) ; non plus que de n'avoir soin que de soi-même. En effet, celui qui s'aime soi-même et ne recherche que ce qui le concerne, est semblable à celui qui a enfoui son talent. Ce qu'ajoute l'apôtre ne veut pas dire que notre salut est plus précieux que celui du troupeau; mais parce que, si nous veillons sur nous-mêmes, le troupeau aussi en profite. « Sur lequel l'Esprit-Saint vous a constitués évêques, pour paître l'Eglise de Dieu ». Voyez quelles grandes obligations ! Vous avez été ordonnés par l'Esprit-Saint; c'est ce que veut dire, en effet : « Vous a constitués ». C'est là une obligation; ensuite pour paître l'Eglise de Dieu », voilà la seconde ; et voici la troisième: « Qu'il a acquise par son propre sang ». Ces paroles montrent la grandeur du ministère pastoral. Le danger non plus n'est pas médiocre pour nous, puisque le Seigneur, pour l'Eglise, n'a pas épargné son propre sang, si nous négligeons le salut de nos frères. Le Seigneur, pour réconcilier des ennemis, a versé son sang ; et vous n'avez pas même la force de conserver ceux qui sont devenus des amis. « Je sais qu'après mon départ des loups terribles viendront au milieu de vous, qui n'épargneront pas le troupeau (Ac 20,21-29) ». Il les fait ainsi porter leurs regards vers l'avenir, comme lorsqu'il dit ailleurs : « Nous n'avons pas à lutter contre la chair et le sang. (Ep 6,12) Il viendra au milieu de vous des loups terribles ». Double malheur qu'il ne soit plus là, et qu'il doive venir des ennemis menaçants. Pourquoi vous en allez-vous, ô Paul, si vous prévoyez cela? L'Esprit me pousse, dit-il.

4403 3. Remarquez qu'il ne dit pas seulement « des loups» et que ce n'est pas sans raison qu'il ajoute « terribles » pour marquer leur violence et leur audace Ac 20,29; et ce qui est plus grave, il dit que ces loups devront surgir du milieu d'eux: ce qui, certes, est terrible puisque ce sera une guerre civile. Il dit donc avec beaucoup de raison : «Veillez» Ac 20,28, pour montrer que la chose exige beaucoup de zèle (il s'agit de l'Eglise); que le danger est grand (le Christ l'a rachetée de son sang), et que la guerre doit être grande, et qu'elle sera double. C'est là ce qu'il veut indiquer clairement en disant : « Et il surgira du milieu de vous des hommes proférant des paroles perverses pour entraîner les disciples à leur suite » Ac 20,30. Ensuite, comme il les a tout à fait effrayés par cette parole : des « loups terribles », et aussi par celle-ci, savoir: qu'il surgirait du milieu d'eux des hommes proférant des paroles perverses, comme si quelqu'un embarrassé lui demandait : Comment donc? comment faudra-t-il veiller? il ajoute : « Veillez, et souvenez-vous que pendant trois années, nuit et jour, je n'ai (224) cessé d'avertir avec larmes chacun de vous (Ac 20,31) ». Voyez quelle surabondance de zèle: Avec larmes, nuit et jour, chacun de vous ». Qu'épargnait-il pour un grand nombre, celui qui savait ne rien épargner pour une seule âme. Ainsi il les unit tous. Ce qu'il dit signifie: Ce que j'ai fait suffit; je suis resté trois ans; ils sont suffisamment confirmés dans la foi, les racines sont assez fortes. « Avec larmes », dit-il. Voyez-vous qu'il faut verser des larmes dans ce ministère? Faisons de même nous aussi. Le méchant ne s'attriste pas : attristez-vous, il s'attristera peut-être. Lorsqu'un malade voit le médecin prendre de la nourriture, il est excité par l'exemple. Ainsi en sera-t-il alors. S'il vous voit pleurer, il sera attendri, et deviendra un homme bon et doux. « Ne sachant pas», dit Paul, « ce qui doit m'arriver ». Mais quoi ! vous en allez-vous pour cela? Nullement ; mais je sais sûrement que des chaînes et des tribulations m'attendent. Que des épreuves m'attendent; je le sais ; quelles elles sont, je ne le sais pas, ce qui était plus grave. Ne croyez pas que je dise ces choses pour me plaindre; je ne tiens pas ma vie comme si précieuse. Il parle ainsi pour leur rendre l'énergie, et leur persuader non-seulement de ne pas fuir, mais de souffrir avec courage. Il appelle sa mission une course et un ministère, pour leur faire envisager d'une part la gloire qui provient de la course, et le devoir qu'impose le ministère. Je suis ministre, dit-il, je n'ai rien de plus. Il a soin de les consoler à l'avance et de prévenir la douleur que pourraient leur causer les maux qu'il doit souffrir, et de leur dire que c'est avec joie qu'il les endure, et ce n'est qu'après avoir montré le fruit qu'il vient à parler des choses pénibles. Il agit ainsi pour ne point accabler leur coeur. Quelles sont-elles ces choses pénibles? « Il surgira du milieu de vous des hommes proférant des paroles perverses ». Quoi donc, dira quelqu'un, vous croyez-vous si grand, que si vous vous en allez nous mourions? Je ne dis pas, répondit-il, que mon absence puisse avoir cet effet; mais quoi? Il surgira du milieu de vous ». Paul ne dit pas : à cause de mon départ; mais « après mon départ », c'est-à-dire, après que je vous aurai quittés; cela est déjà arrivé mais si cela est déjà arrivé, à plus forte raison cela arrivera-t-il après que je vous aurai quittés. Ensuite il donne le but de ces méchants : « Pour entraîner les disciples à leur suite ». Les hérésies n'ont pas d'autre motif que celui-là. Puis vient la consolation : « Qu'il s'est acquise par son propre sang » : S'il (le Christ) l'a acquise par son propre sang, il triomphera complètement: « Jour et nuit avec larmes », dit Paul, « je n'ai cessé d'avertir » : Ces choses nous seraient dites avec raison; le discours semble s'adresser spécialement aux docteurs, mais il est commun à tous les disciples. Pourquoi en effet parlerai-je, avertirai-je, pleurerai-je jour et nuit, si le disciple ne veut pas se laisser convaincre ? Afin que personne ne pense que c'est assez pour sa défense, d'être disciple et de ne faiblir pas. Paul, après avoir dit : « J'atteste », ajoute ces mots : « Que je n'ai jamais négligé de vous annoncer». Le docteur seul doit donc annoncer, prêcher, enseigner, ne rien négliger, annoncer nuit et jour; mais lorsque ces oeuvres sont accomplies, s'il n'est rien fait de plus, vous savez ce qui reste. Ensuite vient une autre apologie : « Je suis pur du sang de tous ». Ne croyez pas que ces choses ne soient dites qu'à nous, car ce discours s'adresse aussi à vous, afin que vous fassiez attention à nos paroles, et que vous ne vous éloigniez pas des discours publics.

Que ferai-je ? Voici que tous les jours je me fatigue à crier: Eloignez-vous du théâtre; beaucoup se rient de nous; abstenez-vous des serments, de l'avarice; nous donnons mille avertissements, personne ne nous entend. — Mais je ne prêche pas la nuit. — Je voudrais le faire, même la nuit ; je voudrais, si les mille affaires qui m'occupent me le permettaient, m'asseoir à vos tables, auprès de vous, et vous parler ; mais si vous êtes négligents lorsque nous ne vous convoquons qu'une fois par semaine, négligents à tel point que beaucoup ne viennent pas, et que ceux qui viennent ne retirent aucun fruit de nos paroles, que feriez-vous donc si nous vous prêchions plus souvent? Que ferons-nous? Beaucoup, je le sais, se moquent de nous parce que nous parlons sans cesse sur le même sujet, tant nous leur sommes à charge. Ce n'est pas notre faute, c'est la vôtre. En effet, celui qui agit bien aime à entendre les mêmes choses, comme s'il entendait son éloge; celui, au contraire, qui ne veut pas bien agir, pense qu'on l'importune, et s'il a entendu seulement deux fois parler de quelque sujet, il s'imagine (225) l'avoir entendu souvent. « Je suis innocent du sang de tous» Ac 20,26, dit l'apôtre.

4404 4. Il convenait à Paul de prononcer cette parole, mais nous n'osons la dire, nous qui avons conscience de mille négligences. A lui, en effet, toujours vigilant, toujours debout, à lui qui supportait tout pour le salut de ses disciples, il convenait de parler ainsi ; pour nous, nous emploierons la parole de Moïse et nous dirons : « Le Seigneur s'est irrité contre moi à cause de vous, parce que vous nous entraînez nous-mêmes dans beaucoup de péchés ». (Dt 3,26) Lorsque nous perdons courage en voyant que vous ne faites aucun progrès, est-ce que la plus grande partie de nos forces ne nous abandonne pas? Qu'est-il donc arrivé, dites moi? Voici que, par la grâce de Dieu, nous aussi depuis trois années, nous exhortons, non pas nuit et jour, il est vrai, mais souvent trois jours par semaine, et quelquefois sept. Quel avantage en avez-vous retiré? Nous accusons, nous réprimandons, nous pleurons, nous nous affligeons, sinon ouvertement, au moins au fond de notre coeur. Les larmes qui coulent sont moins amères que celles qui ne sortent pas du coeur; celles-là soulagent la douleur, celles-ci l'augmentent en la concentrant en nous-mêmes. Ainsi, lorsqu'on est dans la peine et qu'on ne peut exprimer son chagrin, pour ne pas paraître rechercher la vaine gloire, on souffre plus vivement que si l'on donnait cours à sa douleur. Si personne ne me croyait désireux de vains éloges, vous me verriez tous les jours verser des torrents de larmes qui n'ont pour témoins que ma petite demeure et la solitude. En effet, croyez-moi, j'ai désespéré de mon salut en pleurant sur vos maux ; je n'ai pas le loisir de pleurer sur les miens, tant vous êtes tout pour moi. Si je vous vois faire des progrès, ce bonheur m'empêche de sentir mes maux; si je m'aperçois que vous ne faites aucun progrès, j'oublie encore une fois mes maux. Je suis encore joyeux de votre bien, même lorsque j'endure mille peines; je serais encore triste de vos douleurs quand mille biens m'arriveraient. Quel espoir reste-t-il au docteur si le troupeau se corrompt? Quelle vie? quelle attente? Avec quelle confiance se présentera-t-il devant Dieu ? Que dira-t-il? Admettons qu'il ne lui soit pas fait de reproches, qu'on ne lui inflige pas de châtiment, mais qu'il soit pur du sang de tous, alors encore il souffrira cruellement ; car, quoique les pères ne doivent pas être accusés à cause de leurs fils, cependant ils gémissent et sont dans le chagrin.

Mais, dira-t-on, ne suffit-il pas au pasteur, pour qu'il soit justifié devant Dieu, qu'il ait veillé sur nos âmes? Mais ils veillent comme devant rendre compte (He 13,17) : ce qui paraît effrayant pour quelques-uns; mais pour moi je n'en ai aucun souci. Si vous venez à périr, que je rende compte ou non, cela m'importe peu. Mon désir est que vous soyez sauvés, dussé-je rendre compte pour vous; oui, que vous soyez sauvés, et que je sois accusé de n'avoir pas fait mon devoir. Je n'ai pas souci que vous soyez sauvés par mon moyen, pourvu que, par n'importe quelle voie, vous arriviez au salut. Vous ne savez pas la tyrannie des enfantements spirituels, vous ne savez pas que celui qui enfante de cette manière préférerait être coupé en morceaux que de voir un seul de ceux qu'il a enfantés périr ou se corrompre. Comment vous le persuader? Nous ne nous servirons pas pour cela d'autre chose que de ce qui a été lu aujourd'hui. Nous pouvons dire, nous aussi, que nous n'avons rien négligé ; mais cependant nous nous attristons; et la preuve en est que nous préparons, que nous inventons mille moyens. Cependant nous aurions pu vous dire : Quel souci puis-je avoir? J'ai fait ce qui dépendait de moi, je suis pur du sang; mais cela ne console pas; si notre coeur pouvait se déchirer et se montrer à vos yeux, vous verriez que vous y êtes renfermés et y occupez une large place, vous tous, femmes, enfants et hommes. Car telle est la force de la charité, qu'elle rend l'âme plus vaste que le ciel. « Recevez-nous », dit Paul, « nous n'avons fait d'injustice à personne. (2Co 7,2) Vous n'êtes point dans nous à l'étroit ». (2Co 6,12) Nous aussi nous disons: Recevez-nous. Paul avait Corinthe entière dans son coeur, et il dit : « Dilatez-vous, vous aussi ; vous n'êtes point à l'étroit ». (2Co 13,12) Mais moi, je ne saurais parler ainsi, car je sais bien que vous m'aimez et que vous me recevez; mais quel bien retirer de ma charité ou de la vôtre, si les choses de Dieu ne font pas de progrès? C'est là une grande source de peine, une grande cause de dommage. Je ne puis vous accuser en rien: « Car je vous rends témoignage que si cela eût été possible, vous vous (226) seriez arraché les yeux et me les eussiez donnés». (Ga 4,15) Nous désirerions vous donner, non-seulement l'Evangile, mais même notre propre vie. Nous sommes aimés et nous aimons, mais cela n'est pas en question. Nous aimerons le Christ d'abord ; car le premier commandement est celui-ci : « Vous aimerez le Seigneur votre Dieu ; le second lui est semblable : Et le prochain comme vous-même ». (Mt 22,37-39 Mc 12,30) Nous observons le second, nous manquons encore au premier. Oui, il nous manque beaucoup à l'égard du premier, à vous et à moi.

Nous l'observons, mais non comme il convient. Vous savez la grande récompense promise à ceux qui aiment le Christ. Nous l’aimerons de toute la ferveur de notre âme, de sorte que, jouissant de sa bienveillance, nous éviterons les tempêtes de la vie présente, et mériterons d'acquérir les biens promis à ceux qui l'aiment, par la grâce et la miséricorde du Fils unique, avec qui appartiennent, au Père et à l'Esprit-Saint, gloire, puissance, honneur, maintenant et toujours, dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.



Chrysostome sur Actes 4300