Chrysostome sur Actes 5205

HOMÉLIE LIII. LE ROI, LE GOUVERNEUR, BÉRÉNICE, ET CEUX QUI ÉTAIENT ASSIS AVEC EUX, SE LEVÈRENT. (CHAP. XXVI VERS. 30-32, JUSQU'À LA FIN DU CHAPITRE XXVII)

ET S'ÉTANT RETIRÉS A PART, ILS PARLÉRENT ENSEMBLE ET DIRENT : « CET HOMME N'A RIEN FAIT QUI SOIT DIGNE DE LA MORT OU DE LA PRISON ». AGRIPPA DIT A FESTUS : « CET HOMME POUVAIT ÊTRE RENVOYÉ ABSOUS, S'IL N'EN EUT POINT APPELÉ A CÉSAR. »
5300 Ac 26,32-27,44
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ANALYSE. 1.- 4. Saint Paul est embarqué pour aller à Rome comme prisonnier. — Tempête et naufrage. — Le navire est jeté sur la côte de l'île de Malte ; pas un des passagers ne périt.
5 Que c'est un grand avantage pour les hommes d'avoir un seul saint parmi eux. — La foi est un port sûr. — Grand pouvoir des saints.

5301 1. Voyez comme ils rendent de nouveau leur sentence à son sujet; et après que Festus lui avait dit : «Vous êtes insensé, Paul », ils le déclarent innocent cri disant ainsi qu'il n'a mérité ni la mort, ni même la prison ; et ils l'auraient complètement relâché et mis hors de cause, s'il n'en eût appelé à César. Or, ceci arriva par la permission de la Providence; c'est elle-même qui permit qu'on le laissât aller, sans le délivrer de ses chaînes. Voilà pourquoi il disait: « Jusqu'à être dans les chaînes comme un scélérat ». (2Tm 2,9) Car si son maître a été mis an nombre îles méchants, à combien plus forte raison, lui, doit-il l'être; mais il n'a pas plus de souci que ce même maître de la gloire ale ce monde. Et ce qui paraît étonnant, c'est qu'étant mêlé et confondu dans leurs rangs, il n'en ait reçu aucun mal.

« Après qu'il eût été résolu que nous serions embarqués pour nous.rendre en Italie, on remit Paul avec d'autres prisonniers entre les mains d'un nommé Jules, centenier dans la cohorte appelée l'Auguste. Nous montâmes sur un vaisseau d'Adramyte, et nous levâmes l'ancre pour côtoyer les terres d'Asie, ayant avec nous Aristarque, macédonien de Thessalonique. Le jour suivant, nous arrivâmes à Sidon ». Remarquez que jusqu'à ce moment cet Aristarque est resté le compagnon de voyage de Paul, ce qui est. utile pour qu'il puisse annoncer ensuite en Macédoine tout ce qui s'est passé. « Et Jules traitant Paul avec humanité, permit qu'il allât voir ses amis, et que l'on eût soin de lui. Etant partis de là, nous prîmes notre route au-dessous de Chypre, parce que les vents étaient contraires » (Chap. XXVII, 1-4) Jules », dit-il, « traitant Paul avec humanité, lui permit... » Cette permission donnée honorait Jules; de cette façon, Paul se rendant auprès de ses connaissances, pouvait en recevoir des soins; car il.est vraisemblable qu'il avait eu beaucoup à souffrir de la prison, des anxiétés, de ces déplacements incessants. Et remarquez que Jules ne dissimule pas ses intentions bienveillantes à ce sujet. Puis arrivent de nouvelles épreuves les vents sont encore une fois contraires. Voyez comme, de tout temps, les épreuves forment la trame de la vie des saints : ils avaient échappé au tribunal ; ils rencontrent maintenant le naufragé et 1a tempête. C'est ce que le texte expose comme il suit.

Et après avoir traversé la mer de Cilicie a et de Pamphylie, nous arrivâmes à Lystre de Lycie; et là, le centenier ayant trouvé un vaisseau d'Alexandrie, qui faisait voile pour l'Italie, nous y fit embarquer ». — « Ayant trouvé », dit-il, « un vaisseau d'Alexandrie». C'est bien à propos que ce navire est trouvé, pour que les actes de Paul soient annoncés, (276) par les uns en Lycie, par les autres en Asie, Remarquez que Dieu n'innove rien, ne change rien quant à la marche des phénomènes naturels, et qu'il permet ainsi que Paul navigue avec des vents contraires. Mais c'est à cette occasion même qu'éclate l'action de la Providence.: pour les sauver de tout danger, pendant leur navigation, il ne les expose pas en pleine mer, mais il permet qu'ils ne s'écartent jamais des côtes. « Nous allâmes fort lentement pendant plusieurs jours, et.nous arrivâmes avec de grandes difficultés vis-à-vis de Cnide, et, comme le vent nous empêchait d'avancer, nous côtoyâmes l'île de Crète vers Salmone. Et allant avec peine le long de cette côte, nous abordâmes à un lieu nommé Bons-Ports, près duquel était la ville de Lasée. Mais, parce que beaucoup de temps s'était écoulé, et que la navigation devenait périlleuse, le temps du jeûne, étant déjà passé, Paul donna cet avis à ceux qui nous conduisaient : Mes amis, je vois que la navigation va devenir très-fâcheuse et pleine de périls, non-seulement pour le vaisseau et' pour sa charge, mais aussi pour nos personnes et pour nos vies. Mais le centenier ajoutait plus de foi aux avis du pilote et du maître du vaisseau, qu'à ce que Paul disait (5-11) ». Je pense qu'on veut parler ici du jeûne que gardent les Juifs; car ce ne .fut que longtemps après la Pentecôte qu'ils repartirent de Bons-Ports; de sorce qu'on peut conjecturer que c'est dans le coeur même de l'hiver qu'ils étaient venus dans les parages de la Crète. Et ce n'est pas une petite merveille de voir que c'est à cause de lui que tous ceux qui montaient avec lui ce navire sont préservés du naufrage. « Mes amis, je vois que la navigation va devenir très-fâcheuse et pleine de périls; non-seulement pour le vaisseau et pour sa chargé, mais aussi pour nos personnes et nos vies ». Paul donc les exhortait à rester, et leur prédisait ce qui devait arriver; mais eux, pressés de partir, et ayant d'ailleurs quelque difficulté à aborder en cet endroit, voulaient aller passer l'hiver à Phénice.

5302 2. Et considérez, je vous prie, les desseins de la Providence : ils commencèrent par lever l'ancre et ils partirent; ensuite le vent ayant soufflé avec violence; ils furent forcés de s'abandonner à sa discrétion, et eurent beaucoup de peine à se sauter. « Et comme le port n'était pas propre pour hiverner, la plupart furent d'avis de se mettre en mer pour tâcher de gagner Phénice, qui est un port de Crète qui regarde les vents du, couchant d'hiver et d'été, afin d'y passer l'hiver. Le vent du midi commençait à souffler doucement, ils pensèrent qu'ils viendraient à bout de leur dessein, et ayant levé l'ancre, ils côtoyèrent le plus près qu'ils purent l'île de Crète. Mais il se leva peu après un vent impétueux de nord-est; qui donnait contre l'île; et comme il emportait le vaisseau, sans que nous pussions y résister, nous le laissâmes aller au gré du vent. Nous fûmes poussés au-dessous d'une petite île appelée Claude, où nous pûmes à peine être maîtres de l'esquif. « Mais rayant enfin tiré à nous, les matelots employèrent toutes sortes de moyens, et lièrent le vaisseau par dessous, craignant d'être jetés sur des bancs de sable ; ils abaissèrent les voiles, et s'abandonnèrent ainsi à la mer. Et comme nous étions rudement battus par la tempête, le jour suivant ils jetèrent les marchandises dans la mer, et le troisième jour, ils y jetèrent aussi de leurs propres mains tous les agrès du vaisseau. Le soleil ni les étoiles ne parurent durant plusieurs jours, et la tempête était toujours si violente que nous perdîmes tonte espérance de nous sauver. Mais comme il y avait longtemps que personne n'avait mangé, Paul se levant au milieu d'eux,- dit..... » Remarques qu'à la suite de cette violente tempête, il ne leur parle pas avec insolence, mais qu'il veut simplement les disposer à ajouter, à l'avenir, plus de foi en ses paroles qu'ils ne l'ont fait. Voilà pourquoi il allègue ce qui vient de se passer comme confirmant la vérité de ce qu'il va dire. Et il leur prédit deux choses, à savoir: qu'ils seront jetés par les flots dans une île, et que le navire périra, mais que les passagers seront sauvés «(ce qui n'était pas une pure conjecture, mais une prophétie) ; et qu'il doit lui-même comparaître devant César. «Et ces paroles : « Dieu vous a donné tous ceux », ce n'est pas par vaine jactance qu'il les prononce, mais pour amener à la vraie foi ses compagnons de navigation : il ne leur parle pas ainsi pour qu'ils lui soient reconnaissants de ce qu'il a fait; mais, pour qu'ils croient à la vérité de ses paroles: En disant : « Dieu vous a donné », c'est comme si Paul disait: ils ont mérité la mort, car ils n'ont pas voulu t'écouter. Mais en ta faveur, je consens à leur faire grâce. (277) « Et parce qu'il y avait longtemps que personne n'avait mangé, Paul se levant au milieu d'eux, leur dit : Sans doute, mes amis, a vous eussiez mieux fait de me croire, et de ne point partir de Crète, pour nous épargner a tant de peine et une si grande perte. Je vous exhorte néanmoins à avoir bon courage, a parce que personne ne périra, et il n'y aura que le vaisseau de perdu. Car cette nuit même un ange de Dieu à qui je suis, et que je sers, m'a apparu et m'a dit : Paul, ne craignez point., il faut que vous comparaissiez devant César, et je vous annonce que Dieu vous a donné tous ceux qui naviguent avec vous. C'est pourquoi, mes amis, ayez bon courage: car j'ai cette confiance en Dieu que ce qui m'a été dit arrivera. Mais nous devons être jetés contre une certaine île. La quatorzième nuit, comme: les vents nous poussaient de tous côtés sur .la mer Adriatique, les matelots crurent vers minuit qu'ils approchaient de quelque terre ; et ayant jeté la sonde, ils trouvèrent vingt brasses, et un peu plus loin ils en trouvèrent quinze. « Mais craignant que nous n'allassions donner a contre quelque écueil, ils jetèrent quatre ancres du côté de la poupe, et ils attendaient avec impatience que le jour parût. Or, comme les matelots cherchaient à s'enfuir du vaisseau, et qu'ils descendaient l'esquif en mer, a sous prétexte d'aller jeter les ancres du côté de la proue, Paul dit au centenier et aux soldats : Si ces gens-ci ne demeurent pas dans le vaisseau, vous ne pouvez vous sauver. Alors les soldats coupèrent les câbles de l'esquif et le laissèrent tomber (12-32) ».

Il nous a montré par là que les matelots, ne croyant pas à la vérité de ses paroles, étaient soir le point de s'éloigner du navire : mais le centenier et tous les soldats qui étaient avec lui, ne partageaient pas leur incrédulité. Voilà pourquoi il dit : « Si ces gens-ci prennent la fuite, vous ne pouvez vous sauver ». Au fond, il ne parle pas ainsi pour épargner ce malheur à ceux auxquels il s'adresse, mais pour retenir les matelots, et pour que la prophétie tout entière s'accomplisse.

Paul leur enseigne à tous sa sublime philosophie comme s'ils étaient réunis dans une église, et il les retire du milieu des dangers. Et la Providence permet que d'abord l'on n'ajoute pas foi aux discours de Paul, afin que l'expérience même des événements ramène la confiance en ses paroles. Et c'est ce qui arriva. Puis, il les exhorte à prendre de la nourriture, et c'est ce qu'ils font; et lui-même en prend le premier, pour leur persuader, non par des paroles, mais par des actes, que la tempête ne doit faire aucun mal à leurs corps; bien plus, qu'elle doit profiter à leurs âmes. « Au point du jour, Paul les exhorta tous à prendre de la nourriture, disant : Il y a aujourd'hui quatorze jours que vous êtes à jeun, et que vous n'avez rien pris en attendant la fin de la tempête. C'est pourquoi je vous exhorte à prendre de la nourriture, pour vous pouvoir sauver; car il ne tombera pas un seul cheveu de la tête d'aucun de vous. Après avoir dit cela, il prit du pain, et ayant rendu grâces à Dieu devant tous, il le rompit, et commença à manger. Tous les autres prirent courage à son exemple, et se mirent aussi à manger. Or, nous étions dans le vaisseau deux cent soixante-seize personnes en tout. Quand ils. furent. rassasiés, ils soulagèrent le vaisseau en jetant le blé dans la mer. Le jour étant venu; ils ne reconnurent point quelle terre c'était ; mais ils aperçurent un golfe ayant un rivage, et ils résolurent d'y faire échouer le vaisseau, s'ils pouvaient. Ils retirèrent les ancres, et lâchèrent en même temps les attaches des gouvernails, et s'abandonnant à la mer, après avoir déployé la voile de l'artimon, ils tiraient vers le rivage à la faveur du vent. Mais ayant rencontré une langue de terre qui avait la mer des deux côtés, ils y firent échouer le vaisseau, et la proue s'y étant enfoncée demeurait immobile, mais la poupe se rompit par la violence des vagues (33-41) ».
5303 3. Le démon tente de nouveau d'empêcher l'accomplissement de la prophétie; déjà ils avaient décidé qu'un certain nombre de passagers. seraient mis, à mort: mais le centenier, voulant sauver Paul, ne le permit pas, tant il avait déjà d'attachement pour lui. « Les soldats étaient d'avis de tuer les prisonniers, de peur que quelqu'un d'eux, s'étant sauvé à la nage, ne s'enfuît. Mais le centenier les en empêcha parce qu'il voulait sauver Paul, et il commanda que ceux qui pouvaient nager se jetassent les premiers hors du vaisseau, et se sauvassent à terre, et que les autres se missent sur des planches et sur des pièces du vaisseau. Et ainsi ils gagnèrent tous la terre et se sauvèrent (42-44). Et s'étant ainsi (278) sauvés, ils reconnurent que l'île s'appelait Malte ». (Chap. XXVIII, 1) Voyez-vous tout le bien qui est sorti de cette tempête? Si cette tempête est arrivée, ce n'est pas que la main de Dieu les ait abandonnés. Et comment, direz-vous, pouvaient-ils tenir ainsi à jeun, et ne prenant aucune nourriture ? Ils étaient sous l'empire d'une crainte si vive, qu'elle ne leur permettait pas de ressentir les atteintes de la faim, au moment même où ils allaient courir les plus grands dangers. Et la merveille est bien plus grande que, dans un tel moment, ils aient été sauvés du milieu des dangers, lui-même et tous les autres à cause de lui. « Et après avoir déployé la voile de l'artimon, ils tiraient vers le rivage à la faveur du vent». Il dit cela pour montrer toute la violence de la tempête par laquelle ils étaient ballottés. Car ordinairement ce n'est pas cette manoeuvre qu'ils exécutent. Et il a été dit plus haut (17) qu'ils abaissèrent les voiles (c'est ce qui a lieu, quand le veut est violent), pour se garantir ainsi contre, l'impétuosité du vent. Et c'est dans l'Adriatique, où il est si difficile de se sauver, qu'ils se trouvaient exposés à tous ces dangers. « Or nous étions dans le vaisseau deux cent soixante-seize personnes en tout ». Et comment l'auteur de ce récit sait-il qu'il y avait un tel nombre de gens naviguant ensemble? Il est probable qu'ils ont demandé pour quel motif tous ces hommes naviguaient, et qu'ils ont ainsi tout appris. Ils ne prenaient aucune nourriture, parce qu'ils ne songeaient pas à manger en présence d'un si affreux danger.

Et voyez comme Paul sait mettre à profit, pour enseigner sa doctrine, tons ces retards, tous ces contre-temps ! Et ce n'était pas un petit résultat que d'amener à la vraie foi tous ces hommes ! Mais reprenons de plus haut les paroles de notre texte. « Mais parce que beaucoup de temps s'était écoulé, et que la navigation devenait périlleuse, Paul leur donna cet avis : ales amis, je vois que la navigation s'en va devenir très-fâcheuse et pleine de périls ». Remarquez combien ce langage est exempt de tout orgueil :pour ne pas paraître, à leurs yeux, prophétiser, mais parler par simple conjecture. « Je vois », dit-il; car ils ne l'eussent pas écouté, s'il. leur eût dit cela tout de suite, et comme devant certainement arriver...... Dans l'ordre naturel des choses, ils étaient destinés à périr, mais Dieu y a mis des empêchements. « Mais le centenier ajoutait plus de foi aux avis du pilote qu'à ce que disait Paul ». Pour qu'il apparaisse clairement que ce n'est pas par conjecture due Paul a dit tout cela, le pilote dit tout le contraire, lui qui connaît par expérience ces sortes de choses. « Et comme le port n'était pas propre pour hiverner ». Remarquez ceci : les lieux mêmes, ainsi qualifiés, nous apprennent que ce n'était, pas par conjecture que Paul parlait de la sorte : ceux qui paraissent avoir parlé par conjecture, ce sont les passagers, et il yen avait un. grand nombre de cet avis, qui conseillent au centenier de mettre. à la voile. Mais cela ne leur servit de rien ; car ils ne tardèrent pas à être battus par la tempête, et furent obligés de jeter à la mer une partie de leur chargement. C'est pour montrer cela, que le texte ajoute : « Et comme nous étions rudement battus par la tempête, nous jetâmes de nos propres mains les agrès du vaisseau ». La Providence permet que tout cela arrive, pour qu'à l'avenir ils cessât d'être incrédules. L'ouragan se lève, et d'épaisses ténèbres les enveloppent. Pour éviter le naufrage, ils jettent à la mer et le blé et tout le reste » ; car c'est ce que signifient ces mots : « Nous jetâmes les agrès du navire. Et parce qu'il y avait longtemps que personne n'avait mangé, Paul leur dit : Il fallait m'écouter, pour vous épargner une si grande perte ». Voyez-vous comme la tempête, et ces ténèbres qui les enveloppent, contribuent à les rendre plus dociles? Quant au centenier, il se montre docile à ce point qu'il laisse les soldats couper les câbles de l'esquif, pour le laisser périr dans les flots. Et ne soyez pas surpris que les matelots ne montrent que plus tard leurs dispositions à croire : cette espèce d'hommes est effrontée, et croit difficilement à ce qu'on lui dit.

Mais vous, considérez ici. la prudence de Paul. Il ne prend pas le ton du reproche, de la colère, mais se contente de leur dire doucement : « Il fallait ». Il savait, en effet, que celui qui prend ce ton au moment d'un grand désastre, est mal accueilli, mais qu'il n'en est pas ainsi lorsque le plus grand danger est passé. Il ne les presse donc que lorsqu'ils ont perdu tout espoir de se sauver, et alors même, leur annonce des choses utiles. « Quand la quatorzième nuit fut arrivée », dit le texte, « pleins de crainte, ils attendaient avec (279) impatience que le jour vint ». Il s'exprime ainsi, de peur que quelqu'un ne vienne à dire qu'il n'était rien arrivé. Et leur frayeur montre lien ce qui s'était passé en effet. « Pleins de crainte», dit-il, « ils attendaient avec impatience que le jour vint ». La position est dangereuse; car c'est sur la mer Adriatique que tout cela arrive; et depuis longtemps ils n'avaient pas mangé. « Il y a aujourd'hui quatorze jours », dit-il., « que vous êtes à jeun, et que vous. n'avez rien pris en attendant la fin de la tempête ». Ainsi, tout concourait à les mettre, pour ainsi dire, aux portes de la mort. C'est pourquoi il ajoute : « Je vous exhorte à prendre de la nourriture, car ce n'est qu'ainsi que vous pourrez vous sauver», c'est-à-dire, prenez de la nourriture pour ne pas mourir de faim. « Et ayant pris du pain », dit le texte, « il rendit grâces à Dieu ».

5304 4. Cette action de grâces pour ce qui vient de se passer non-seulement les fortifie, mais encore leur donne du courage. « Or, nous étions dans le vaisseau deux cent soixante-seize personnes en tout ». C'est de tout ce monde qu'il a dit : Il ne périra pas, d'entre a vous, une seule âme ». Cette prédiction qu'ils seront tous sauvés, ne peut partir que d'une âme qui est en possession d'une certitude pleine et entière. « Quand ils furent rassasiés, ils soulagèrent le vaisseau en jetant le blé dans la mer ». Avez-vous remarqué qu'ils ne croient Paul qu'en ce qui concerne le conseil qu'il leur a donné de prendre de la nourriture, et que déjà, ils s'en rapportaient tellement à Paul pour tout le reste, qu'ils jetaient le blé dans la mer. Voyez. comme ils se laissent aller, dans leurs actions, à des sentiments tout humains, sans. que Paul les en empêche. « Le jour étant venu, ils lâchèrent les attaches du gouvernail... Et les soldats étaient d'avis de tuer les prisonniers ». Ne pensez-vous pas qu'en cela encore ceux-ci auront été reconnaissants envers Paul? En effet, c'est à cause de lui que le centenier ne permit pas qu'on les tuât. Et ce qui me fait croire plue ces hommes étaient évidemment des scélérats, c'est qu'on se décide à les mettre à mort de préférence aux autres. Mais on n'en fit rien, parce qu'on en fut empêché par le centenier : les uns donc se sauvèrent à la nage, les autres sur des radeaux; de sorte qu'il n'y eut.pas un seul des passagers qui n'échappât à la mort, et que la prophétie reçut enfin son accomplissement, bien que sans éclat, quant à la durée du temps écoulé : en effet, ce n'était pas plusieurs années à l'avance que Paul avait prédit ces événements, mais il s'était contenté de suivre comme pas à pas la marche naturelle des choses. Tout ici dépassait les espérances purement humaines, et ce ne fut qu'au prix de leur propre délivrance qu'ils.apprirent qui il était. On dira peut-être : mais pourquoi n'a-t-il pas sauvé aussi le navire?

Pour qu'ils sussent bien à quels dangers ils venaient d'échapper, et parce que rien n'arrivait.ici par l'effet d'un secours purement humain, mais par la main de Dieu qui les a sauvés, bien qu'ils n'aient plus de navire. Ainsi les justes, dans le déchaînement même des tempêtes, au milieu des flots d'une mer en courroux, non-seulement ne souffrent aucun mal, mais encore ont le pouvoir de sauver ceux qui sont avec eux. Si ces prisonniers, après que le navire a été ballotté par les flots et a fait naufrage, ont été sauvés par Paul, songez combien on doit s'estimer heureux de posséder dans sa maison un saint homme ; car sur cette terre, bien des tempêtes tout autrement terribles que celles-là, se déchaînent sur nous; mais Dieu peut nous sauver, pourvu que nous écoutions les saints, comme firent ces prisonniers, pourvu que nous lassions ce qu'ils nous prescrivent. Et ils ne sont pas sauvés purement et simplement, mais encore ils ont porté avec eux la foi dans le monde. Bien qu'un saint soit enchaîné, il opère encore de plus grandes choses que ceux qui sont libres. Et remarquez que c'est ce qui arrive ici. Le centenier, tout libre qu'il était de ses mouvements, avait besoin de cet homme enchaîné; le pilote, si expérimenté dans son art, avait besoin de celui qui n'entendait rien à cet art, et qui, en réalité, était en ce moment le vrai pilote.

En effet, ce n'était pas ce navire-là, mais l'Eglise universelle qu'il gouvernait, non à l'aide d'un. art tout humain, mais en vertu d'une science toute spirituelle, après avoir appris ce gouvernement de Celui qui est aussi le maître de la mer. Pour ce navire, il y a aussi bien des écueils, bien des flots soulevés, bien des souffles de malice. a Ce n'est que combats au dehors, que frayeurs au dedans ». De sorte que le véritable pilote, c'était lui. (280) Jetez un coup d'oeil sur l'ensemble de la vie humaine. Tantôt nous sommes l'objet de toute la bienveillance de nos semblables; tantôt nous sommes ballottés. au gré de leurs caprices, et souvent aussi nous tombons dans mille maux par nos propres folies ou par nos propres négligences, mais bien plus encore parce que nous n'écoutons pas Paul, et que nous nous hâtons d'aller là où il ne veut pas que nous allions. En effet, maintenant encore il est embarqué avec nous, mais sans être enchaîné comme il l'était alors ; maintenant encore il exhorte ceux qui naviguent sur la mer de ce monde, et leur dit : « Prenez garde à vous-mêmes... « car je sais qu'après mon départ, il entrera parmi vous des loups ravissants ». Et encore : « Dans les derniers jours, il viendra des temps fâcheux, et il y aura des hommes amoureux d'eux-mêmes, avares, glorieux »: Et ce vent-là est bien le plus dangereux pour ceux qui traversent les flots agités de cette vie.

5305 5. Restons donc où il nous ordonne de rester, dans la foi, qui est pour nous le port le plus sûr; écoutons-le plutôt que ce pilote qui est en nous, c'est-à-dire, notre raison. Ne faisons pas ce que nous suggère ce pilote, faisons ce que Paul nous recommande : il a déjà traversé sans péril bien d'autres tempêtes. N'attendons pas l'expérience pour nous instruire, mais avant toute expérience, sachons éviter l'outrage et la ruine. Ecoutons-le nous disant : « Ceux qui veulent devenir riches tombent dans la tentation ». Ajoutons foi à ces paroles, sachant ce qui est arrivé à ceux qui n'ont pas voulu- l'écouter. Et, dans un autre endroit, il explique d'où viennent les naufrages. « Quelques-uns ont fait naufrage, en perdant la foi ». Persistez donc dans les doctrines qui nous ont été enseignées, et auxquelles vous avez cru. Ajoutons foi aux paroles de Paul, et nous serons délivrés de tous les périls, alors même que nous serions au plus fort de la tempête, que nous serions restés quatorze jours à jeun, que tout espoir de salut serait perdu, que nous serions plongés dans les plus épaisses ténèbres. Considérons l'univers entier comme un navire sur lequel nous voguons, et où nous avons pour compagnons de notre traversée des méchants, des hommes perdus de vices, les uns qui nous commandent, les autres qui nous gardent, et, à côté de quelques justes, comme Paul, des prisonniers, c'est-à-dire, des hommes qui sont dans les liens du péché. Si nous croyons à la parole de Paul, bien qu'enchaînés, nous ne périrons pas, mais, tout au contraire, nous serons délivrés de nos chaînes. Car, à nous. aussi, Dieu pardonnera en sa faveur. Ne pensez-vous pas que les péchés et les passions sont de bien lourdes chaînes? C'est sur l'homme tout entier, et non sur ses mains seulement, qu'elles s'appesantissent. En effet, dites-moi : lorsqu'un homme, qui a acquis de grandes richesses, ne les emploie ni ne les dépense, mais les garde dans ses coffres, n'est-il pas chargé, par sa parcimonie même, de chaînes plus dures que quelque prisonnier que ce puisse être? De même, quand un homme s'abandonne aux caprices du sort, ne se charge-t-il pas d'une autre espèce de chaînes? Et lorsqu'il se livre à des pratiques superstitieuses ; lorsqu'il consulte les présages; ou bien, lorsqu'il est la proie de quelque passion insensée ou de l'amour, ne trouve-t-il pas dans tout cela des chaînes plus lourdes que toutes celles qu'on pourrait imaginer? Et qui pourra briser toutes ces chaînes? Evidemment, nous ne pouvons en être délivrés que par l'aide de Dieu. Et une seule de ces choses suffit pour nous mettre en danger : mais si nous.nous trouvons à la fois enchaînés, et ballottés par la tempête, jugez du danger dans lequel nous sommes. La faim, la tempêté, la méchanceté de nos guides, un contre-temps, chacun de ces maux pris à part ne suffit-il pas pour nous perdre? Eh bien, c'est à tous ces maux réunis que Paul résista glorieusement. Or, il en est de même aujourd'hui : retenons les saints auprès de nous, et il n'y aura pas de tempête. Que dis-je ? S'il s'élève une tempête, peu après un grand calme, une grande sérénité lui succéderont, et, par suite, nous serons délivrés de tout danger, comme cette veuve qui avait donné l'hospitalité à un saint, par l'intercession duquel son fils ressuscité fut rendu aux embrassements de sa mère. Là où les saints mettent les pieds, il n'arrivera, rien de fâcheux; ou s'il arrive quelque chose de fâcheux, cela n'arrive que pour nous éprouver et procurer la plus grande gloire de Dieu. Faites en sorte que le pavé de vos demeures soit souvent foulé par de tels pieds, et il ne le sera pas par ceux du démon. Et il est bien juste qu'il en soit ainsi. Un suave parfum qui embaume l'air, ne laisse pas de place aux (281) odeurs désagréables : de même là où l'on respire le parfum de la sainteté, le démon expire comme suffoqué par ces exhalaisons mortelles pour lui, tandis que ce même parfum, se répandant partout, réjouit tous ceux qui ont le bonheur de vivre avec ce saint, et dilate leurs âmes. Là où croissent les ronces et les épines, là pullulent de hideuses bêtes; mais il ne croit ni ronces, ni épines, là où s'exerce l'hospitalité; car l'esprit de miséricorde et de charité, en y pénétrant, les retranche et les fait disparaître mieux que ne pourrait le faire la faux la plus tranchante ou le feu le plus violent. Ne craignez rien : de même que les renards respectent les lions, de même tout respecte l'empreinte des pas des saints. « Le juste », dit l'Ecriture, « a toute l'assurance d'un lion ». Introduisons ces lions dans nos demeures, et toutes ces bêtes seront mises en fuite, sans que ceux-ci aient besoin de pousser de grands cris; il leur suffira de parler. Car le rugissement du lion a moins de pouvoir pour mettre en fuite les bêtes sauvages, que la prière du juste pour mettre en fuite les démons; il n'a qu'à parler, ils tremblent. Mais, me direz-vous, où sont aujourd'hui de tels hommes? — Partout, si nous avons la foi, si nous cherchons, et si, pour trouver, nous n'épargnons pas nos peines. — Mais, dites-moi, où donc avez-vous cherché? Quand vous êtes-vous jamais occupé de ce soin? Si vous ne cherchez pas, ne soyez pas surpris que vous ne trouviez paves. « Celui qui cherche, trouve », et non celui qui ne cherche.pas. Allez entendre ceux qui vivent dans la solitude; il y en a dans toutes les parties de l'univers. Si vous ne pouvez pas recevoir ce saint dans votre maison, allez le trouver, liez-vous avec lui; ou, du moins, approchez-vous de sa demeure, pour que vous puissiez réussir à le voir et obtenir sa bénédiction. Car elle est puissante la bénédiction qui nous vient des saints : ne négligeons rien pour l'obtenir, afin qu'à l'aide de leurs prières, nous puissions jouir de la miséricorde de ce Dieu, qui fait ta. force des. saints, par la grâce et la charité de son Fils unique, avec lequel, gloire; puissance, honneur, au Père et, au Saint-Esprit, maintenant et toujours, dans les siècles dès siècles. Ainsi soit-il.

HOMÉLIE LIV. ET LES BARBARES NOUS TRAITÈRENT AVEC BEAUCOUP DE BONTÉ, (CHAP. XXVIII, VERS. 1-3, JUSQU'AU VERS. 16)

CAR ILS NOUS REÇURENT TOUS CHEZ EUX ET ILS ALLUMÈRENT UN GRAND FEU A CAUSÉ DE LA PLUIE ET DU FROID QU'IL FAISAIT, ALORS PAUL AYANT RAMASSÉ QUELQUES SARMENTS, ET LES AYANT MIS AU FEU, UNE VIPÈRE, QUE LA CHALEUR EN FIT SORTIR, LE PRIT A LA MAIN.
5400 Ac 28,1-16

ANALYSE. 1 et 2. Paul dans l'île de Malte, son arrivée à Rome. — 3. Les tentations procurent de grands avantages. — Utilité ces adversités. .
5401 1. Le texte nous explique de quelle manière les barbares leur témoignèrent leur humanité. « Ils nous reçurent tous chez eux », dit-il, « et allumèrent un grand feu ». Comme il était inutile qu'ils cherchassent à se sauver par un tel froid qui les aurait fait périr, ils allumèrent un grand feu. Paul ensuite jette dans le feu les sarments qu'il a ramassés. (282) Voyez-le toujours agissant, et ne cherchant jamais à faire des miracles sans raison et sans but, mais seulement par.nécessité. Et au moment même où la tempête s'élevait, ce n'était pas sans avoir des raisons qu'il prophétisait. Ici donc il se contente d'alimenter le feu, sans chercher par cela à se donner la moindre importance, mais uniquement pour que ses compagnons de voyage puissent se réchauffer et se remettre par. ce moyen. Et en ce moment même une vipère que la chaleur avait fait sortir, le prit à la main. « Et quand les barbares virent cette bête qui pendait à sa main, ils s'entre-disaient : Cet homme, c'est sans doute quelque meurtrier, puisque, après avoir été sauvé de la mer; la vengeance divine le poursuit encore et ne veut pas le laisser vivre (4) ». Et ce n'est pas sans raison que la Providence permet qu'ils soient témoins de cet- accident, et qu'ils en parlent en ces termes, afin que, lorsque le miracle sera arrivé, ils ne refusent pas d'y croire.. Et voyez comme le sens commun et la raison naturelle se montrent, dans toute leur rectitude, même chez les barbares; voyez tout ce qu'il y a d'honnêteté dans leurs sentiments, et de réserve dans leurs jugements. Et ceux-ci sont les premiers à voir, afin qu'ils en admirent davantage ce qui va arriver. « Mais Paul ayant secoué la vipère.dans le feu, n'en reçut aucun mal. Les barbares s'attendaient à ce que sa main s'enflerait, ou qu'il tomberait mort tout d'un coup : mais après avoir attendu longtemps., lorsqu'ils .virent qu'il ne lui en arrivait aucun mal, ils changèrent de sentiment, et dirent que c'était un Dieu (Ac 28,5-6) ». Ceux qui s'attendaient à le voir tomber mort, voyant qu'il n'éprouvait aucun mal, disent maintenant : c'est un Dieu. Et voilà que de nouveau il est comblé d'honneurs par ces hommes, comme il le fut par cette multitude de la Lycaonie. « Or, il y avait en cet endroit un nommé Publius, le premier de cette île, qui nous reçut, et exerça, avec une grande bonté, l'hospitalité envers nous pendant trois jours (Ac 28,7) » Voilà un nouveau Publius, hospitalier comme le premier, vivant dans l'opulence. Celui-ci, qui ne savait rien de la religion du Christ, mais que le seul spectacle de leurs malheurs disposait à la pitié, les reçut et leur prodigua ses soins. « Or, il se rencontra que le père de Publius était malade de fièvre et de dysenterie ; Paul l'alla voir, et ayant fait sa prière, il lui imposa les mains et le guérit (Ac 28,8) ». Il méritait bien d'obtenir de Paul ce service, et celui-ci, par un échange de bons procédés, guérit son père. « Après ce miracle, tous ceux de l'île qui étaient malades, vinrent à lui, et ils furent guéris. Ils nous rendirent ainsi de grands honneurs, et ils nous pourvurent de tout ce qui était nécessaire pour notre voyage (Ac 28,9-10) ». C'est-à-dire, tout ce qui était nécessaire; soit à nous, soit aux autres qui étaient avec nous : considérez qu'à cause de Paul, après avoir échappé à la tempête, ils ne restent pas privés de soins, et sont même entourés de tous les égards d'une généreuse hospitalité; car ils furent nourris en cet endroit pendant trois mois. Ecoutez de quelle manière la suite du texte établit qu'ils sont demeurés là pendant tout ce temps.

« Au bout de trois mois, nous nous embarquâmes sur un vaisseau d'Alexandrie, qui avait passé l'hiver dans l'île, et qui portait pour enseigne : Castor et Pollux. Nous abordâmes à Syracuse où nous restâmes trois jours. De là, en côtoyant la Sicile, nous vînmes à Rhégium, et un jour après, le vent du midi s'étant levé, nous arrivâmes en deux jours à Pouzzoles, où nous trouvâmes des frères qui nous prièrent de demeurer sept jours auprès d'eux, et ensuite nous prîmes le chemin de Rome. Lorsque les frères de Rome eurent appris des nouvelles da notre arrivée, ils vinrent au-devant de nous jusqu'au lieu appelé le marché d'Appius et les Trois Hôtelleries. Et Paul les ayant vus, rendit grâces à Dieu, et fut rempli d'une nouvelle confiance (Ac 28,11-15) ». Voyez comme tout cela arrive à cause de Paul, et pour amener à la foi les prisonniers, les soldats, le centenier. Car alors même qu'ils eussent été de pierre, ils ne pouvaient manquer de se faire une haute idée de lui, par les conseils qu'il leur avait donnés, par les prophéties qu'il avait fait entendre, par les miracles qu'il avait opérés, et enfin par ses bienfaits: car c'était à lui qu'ils devaient d'avoir été nourris si longtemps. Remarquez de quelle manière, quand le jugement est droit, et qu'aucune passion ne le trouble, il accueille les pensées droites et sages. La prédication chrétienne avait déjà pénétré en Sicile, elle était arrivée jusqu'à Pouzzoles, puisqu'ils y trouvent un certain nombre de frères auprès desquels ils demeurent. Là, (283) d'autres que la renommée avait attirés, vinrent au-devant d'eux ; l'affection qui unissait entre eux tous ces frères était si vive, qu'ils ne furent pas troublés dans leur résolution par cette pensée que Paul était dans les fers, mais se hâtèrent de venir au-devant de lui. — Avez-vous remarqué en même temps comme l'âme, de Paul, en cette circonstance, s'ouvre à des sentiments tout humains. Les ayant vus, dit notre texte, il fut rempli d'une nouvelle confiance. Bien qu'il eût déjà opéré tant de prodiges, il n'en puisa pas moins, dans cette vue de ses frères, de nouvelles forces, un nouveau Courage. Et cela nous apprend que, comme celle des autres hommes, son âme s'abandonnait tantôt au découragement, tantôt à l’espérance. « Quand nous fûmes arrivés à Rome, il fut permis à Paul de demeurer où il voudrait avec un soldat qui le gardait (Ac 28,16) ». C'est une bien forte preuve qu'il était l'objet de l'admiration publique : déjà on ne le mettait plus sur le même rang que les autres prisonniers. « Or il arriva que trois jours après, Paul pria les principaux d'entre les Juifs de le venir trouver ». Trois jours après, c'est-à-dire, avant qu'on eût eu le temps de semer des préventions dans leurs esprits. Qu'y avait-il de commun entre eux et lui? Ce n'étaient pas ces Juifs qui devaient l'accuser. — Mais Paul néglige cette circonstance : il veut leur enseigner sa doctrine dès ce moment.

5402 2. Les Juifs donc qui avaient été témoins de tant de prodiges, le persécutaient, le chassaient; et les barbares, qui n'avaient rien vu, étaient touchés de compassion au seul spectacle de ses malheurs. « Cet homme », disent-ils, « est sans aucun doute quelque meurtrier ». ils ne disent pas simplement: « C'est un meurtrier » ; mais : « sans aucun doute », c’est-à-dire, qu'à leurs yeux la chose est certaine. « Et la vengeance divine», ajoutent-ils, « le Poursuit «encore et ne veut pas le laisser vivre ». En parlant ainsi, ils montraient qu'ils tenaient grand compte de la Providence, de sorte que les barbares étaient beaucoup plus philosophes que les philosophes mêmes. Ceux-ci, en effet, croient devoir retrancher ce monde sublunaire de l'ensemble des êtres auxquels s'étend l'action de la Providence ; ceux-là, au contraire, croient que Dieu est présent partout, et que l'on a beau se soustraire à son action, on finit toujours par se retrouver sous sa main puissante. Et voyez que non-seulement ils ne se permettent absolument rien contre Paul, mais encore qu'ils le respectent, touchés de ses malheurs. Et on ne lée voit pas publier partout ce qu'ils pensent sur son compte; c'est en se parlant entre eux qu'ils disent: « Cet homme est sans doute quelque meurtrier », et les chaînes dont ils le voyaient chargé, ainsi que ses compagnons, éveillaient naturellement ce soupçon dans leur esprit. Qu'ils rougissent ceux qui disent : Ne faites pas du bien à ceux qui sont en prison. —. Que cette conduite des barbares les fasse rougir: ces barbares ne savaient pas qui étaient ces hommes, mais il leur a suffi d'apprendre, au seul spectacle de leurs infortunes, qu'ils étaient des hommes, et à l'instant même ils les ont accueillis avec humanité: « Après avoir attendu longtemps», c'est-à-dire, que pendant longtemps ils s'attendaient à ce que Paul mourrait. Mais lui secoua la vipère dans le feu, et leur montra sa main qui n'avait reçu aucun mal. A cette vue, ils furent comme frappés de stupeur et d'étonnement. Et ce prodige ne fut pas opéré à leurs yeux d'une manière soudaine; ils attendirent quelque temps avant de l'apercevoir, de manière que l'imagination n'était ici pour rien, et qu'il n'y avait ni supercherie, ni surprise. « Il y avait en cet endroit des terres qui appartenaient à un nommé Publius, le premier de cette île, qui nous reçut fort humainement, et exerça envers nous l'hospitalité ». Expressions bien justes, car il n'appartient qu'à un homme bon et généreux de donner l'hospitalité à deux cent soixante et dix personnes. Mais considérez les grands profits que donne l'hospitalité ! Ce n'est pas par nécessité, ce n'est pas malgré lui, mais parce qu'il pense y trouver quelque avantage, qu'il leur donne l’hospitalité pendant trois jours : c'est donc à bon droit qu'il reçoit la récompense de tant de générosité, récompense qui passe de beaucoup tout ce qu'il a fait. En effet, Paul commence par guérir son père de la dysenterie à laquelle il était sur le point de succomber, et non-seulement son père, mais encore beaucoup d'autres malades qui le dédommagent de ses soins, en lui prodiguant les témoignages de respect et les provisions au moment de son départ. « Ils nous rendirent de grands honneurs, et ils nous pourvurent de tout ce qui nous était nécessaire pour notre voyage ». Ce n'est pas que Paul reçoive tout cela comme un salaire loin de nous cette idée ! Mais ainsi (284) s'accomplissent ces paroles de l'Ecriture : « L'ouvrier mérite de recevoir sa nourriture». (Mt 10,10) Or, il est manifeste que ceux qui l'accueillirent ainsi durent recevoir de lui la parole de l’Évangile; il ne se serait pas écoulé trois mois dans ces entretiens, s’ils n'avaient cru et produit de dignes fruits de leur foi. Et l'on peut induire de là que le nombre de ceux qui crurent fut considérable.

Et nous nous embarquâmes», dit le texte, « sur un vaisseau d'Alexandrie, qui avait passé l'hiver dans l'île, et qui portait pour enseigne : Castor et Pollux ». L'image de ces dieux était probablement peinte sur ce navire, et ainsi on peut croire que ceux qui le montaient étaient idolâtres. Voyez d'abord les lenteurs de leur voyage, puis comme ils se hâtent d'arriver. « Mais il fut permis à Paul de demeurer où il voudrait ». Paul était désormais si respectable à leurs yeux, qu'il lui était permis de demeurer à part; et cela n'a rien d'étrange car si, précédemment, ils l'ont déjà accueilli avec bonté, à plus forte raison maintenant. « Et le vent du midi s'étant levé, nous arrivâmes en deux fours à Pouzzoles, où nous trouvâmes des frères qui nous prièrent d'y demeurer sept jours; et ensuite nous prîmes le chemin de Rome. Lorsque les frères.de Rome eurent appris des nouvelles de notre arrivée, ils vinrent au-devant de nous, jusqu'au lieu appelé le marché d'Appius, et aux Trois Hôtelleries ». Qu'ils soient sortis de Rome pour cette rencontre; parce qu'ils craignaient le danger qu'elle pouvait avoir pour eux dans Rome même, ce qui s'est passé jusqu'ici nous autorise à leur supposer ces sentiments. Remarquez que, dans le cours d'une aussi longue navigation, ils n'ont jamais débarqué dans aucune ville, mais dans une île ; et que l'hiver tout entier s'écoule dans cette navigation, tout se coordonnant et se concernant pour que ceux qui naviguent ensemble soient amenés à la vraie foi. « Il fut permis à Paul de demeurer où il voudrait, avec un soldat. qui le gardait ». Précaution bien opportune, pour que personne ne pût lui tendre des. embûches en cet endroit; quant aux factions, il ne pouvait pas s'en fermer ici. Ainsi, ce soldat ne gardait pas Paul. précisément, mais veillait à ce qu'il ne lui arrivât rien de désagréable. En effet, au sein d'une si grande cité, résidence de l'empereur, de l'empereur à qui Paul en avait appelé, il ne pouvait se passer rien qui fût contraire à l'ordre. C'est ainsi que c'est toujours au moyen de ce qui semble être contre nous, qu'arrive tout ce qui est pour nous. — Ayant appelé auprès de lui les premiers d'entre les Juifs, il s'entretient avec eux, et ceux qui ne pouvant, s'accorder ni avec lui, ni entre eux, se retirent, s'attirent de sa part de sévères. paroles auxquelles ils n'ont rien à répondre, car déjà il ne leur était plus permis de rien tenter contre lui. Ce quia lieu d'étonner, c'est que tout ce qui nous arrive d'heureux ne se réalise pas à l'aide d'événements qui paraissent concourir à notre sécurité, mais à l'aide d'événements tout contraires..

Pour bien voir cela, remontons plus haut: Pharaon ordonna que les enfants fussent jetés dans le Nil. Si ces enfants n'y avaient pas été jetés, si Pharaon n'avait pas donné cet ordre, Moïse n'eût pas été sauvé et élevé dans le palais des rois. Au moment où on le sauvait des eaux, il n'était pas élevé en honneur; il l'a été au moment où il a été exposé. Et Dieu agissait ainsi pour montrer les ressources infinies de sa sagesse et de sa puissance. Un Juif le menaça, en lui disant : « Est-ce que tu voudrais me tuer? » (Ex 2,14) Et cela lui fut utile. Ce fut aussi par une permission spéciale, de la Providence, qu'il eut cette vision dans le désert, qu'il philosopha dans ce même désert, et y vécut en sûreté jusqu'au temps marqué par elle. Et il en est ainsi de tous les piéges qui lui sont tendus par les Juifs. De chacune de ces épreuves, il reçoit un nouvel éclat, et c'est aussi ce qui.arrive à Aaron ; ils se lèvent contre lui, et ils ne font qu'ajouter par là à sa gloire, car c'est après cet événement, que sa robe sacerdotale se pare de broderies, qu'une tiare couvre sa tête, que tout l'ensemble de son costume devient plus riche et plus orné, et que, par la suite, les lames d'airain de son pectoral excitent l'admiration, comme si c'était à partir de ce moment que le caractère divin de son élévation est au-dessus de toute contestation. Vous connaissez parfaitement tous les détails de cette histoire : je puis donc passer rapidement. Mais si vous voulez, remontons encore plus haut sur le même sujet. Caïn tua son frère : mais par là on peut dire qu'il contribua, à sa glorification. Ecoutez ce que. dit l'Ecriture : « La voix, du sang de ton frère crie et s'élève devant moi ». (Gn 4,10) Et ailleurs.: « Sang qui parle plus (285) avantageusement pour nous que celui d'Abel ». (He 12,24) Caïn a délivré des incertitudes de l'avenir; il a augmenté l'éclat de la récompense qui lui était destinée : nous avons tous vu dans l'Ecriture la tendresse que Dieu avait pour lui. Quel tort lui a été fait, parce que sa, vie a fini un peu plus tôt? Aucun. Que gagnent, dites-moi, ceux pour lesquels elle se prolonge un peu plus? Rien. Car le bonheur ne consiste pas à passer dans ce monde un peu plus ou un peu moins d'années, mais à bien user du temps que nous y passons. — Les trois enfants furent jetés dans la fournaise, et par la ils ont acquis une gloire immortelle. Daniel fut jeté dans la fosse aux lions, et-il en est sorti glorieux et triomphant.

5403 3. Vous voyez que partout de grands biens sont sortis des épreuves, dans l'histoire de l'ancienne alliance. A combien plus forte raison doit-il en. être ainsi dans la nouvelle! La malice des hommes ne fait que rendre la vertu plus éclatante, à peu près comme il arrive à celui qui, à l'aide d'un simple roseau, veut se battre contre le feu : on dirait qu'il le bat, mais en réalité le feu n'en devient que plus flamboyant, et le roseau se réduit en cendres. Ainsi la vertu se nourrit et se fortifie au milieu des piéges que lui tend la malice des hommes, et n'en devient que plus éclatante. Dieu se sert au besoin, pour nous grandir, des injustices mêmes qui nous sont faites. De même, le démon, lorsqu'il intervient dans quelque affaire semblable, ne fait qu'ajouter à la gloire de ceux qui supportent vaillamment ses attaques. Comment se fait-il, dites-vous, que les choses ne se soient pas pissées ainsi à l'égard d'Adam, et que, tout au contraire, il ait été déchu de sa dignité première ? Je réponds qu'à son égard aussi; Dieu s'est servi, comme il le fallait, de l'épreuve, et que c'est lui-même qui s'est causé tout Je dommage qu'il a pu éprouver. Ce qui nous vient d'autrui; est pour nous la cause de grands biens : il n'en est pas de même de ce qui vient de nous-mêmes. Comme le tort que nous font les autres nous cause du chagrin, et que nous n'en ressentons pas pour le tort que nous nous faisons à nous-mêmes, Dieu se plaît à faire voir que celui qui est injustement traité par autrui, est glorifié, et qu'au contraire, celui qui se fait du tort à lui-même en éprouve du dommage, afin que nous supportions avec courage l'un de ces torts,et que nous nous abstenions de tout ce qui pourrait constituer l'autre. Au reste, ces deux genres de torts se réunissent en la personne d'Adam. — Pourquoi as-tu ajouté une foi aveugle aux paroles de ta femme? Pourquoi ne l'as-tu pas repoussée, lorsqu'elle te conseillait des choses funestes? Tu as été la cause de tout : car si c'était le démon, il faudrait que ceux qu'il tente pareillement, succombent et périssent tous; s'ils ne périssent pas tous, c'est donc à l'homme qu'il faut remonter pour trouver la cause première du péché.

Mais, direz-vous, si la cause du mal est en nous, faudra-t-il admettre que l'on se perd même sans l'intervention dû démon? — Eh bien ! c'est ce qui arrive : plusieurs se perdent en- dehors de toute action du démon. Oui, celui-ci ne fait pas tout le mal ; notre lâcheté seule est la cause de beaucoup de choses : ou, si c'est à l'action du démon qu'elles peuvent être attribuées, c'est nous-mêmes qui lui avons fourni l'occasion d'agir: Dites-moi; à quel moment le démon eut-il tout pouvoir sur Judas? — Lorsque Satan; me direz-vous, entra en lui. — Mais écoutez pour quel motif il y entra parce que c'était un voleur, et qu'il dérobait l'argent des aumônes. — Judas lui-même a donc ouvert à Satan une large entrée. Ainsi, ce n'est pas le démon, qui prend l’initiative : c'est nous qui l'appelons et le recevons n nous. — Mais; direz-vous, sans lui, le mal que nous commettons ne serait pas si grand. — Oui, mais dans ce cas, nous devrions nous attendre à d'affreux supplices : maintenant, mes chers amis, et dans l'état actuel des choses; une certaine douceur tempère les châtiments infligés à nos fautes. Si c'était de nous-mêmes, et de nous seuls qu'elles procédaient, ces châtiments seraient intolérables. Dites-moi, la faute commise par Adam, s'il l'eût commise en-dehors de tout conseil et de toute suggestion, qui eût pu ensuite le soustraire aux dangers auxquels cette première faute l'exposait? Dans ce cas, il n'eût pas commis de faute, direz-vous. — D'où le savez-vous? En effet, celui qui fut assez simple, assez sot, pour admettre un tel conseil, eût, à bien plus forte raison, agi par lui-même comme il l'a fait. Quel démon a soufflé dans l'âme des frères de Joseph le feu de la jalousie? — Veillons sans cesse sur nous-mêmes; mes chers amis, et les piéges mêmes du démon tourneront à notre gloire. Quel mal lit-il à Jota en déployant contre lui tous ses artifices? — Ne nous parlez pas ainsi, (286) direz-vous : un infirme est nécessairement exposé à éprouver quelque dommage. — Oui, mais cet infirme éprouvera ce dommage, alors même que le démon n'existerait pas. — Me direz-vous que ce dommage sera bien plus grand, si, à cette cause première de mal pour lui, s'ajoute l'opération même du démon? — Je vous réponds qu'il est moins puni, si c'est avec cette coopération qu'il pèche : car tous les péchés ne sont pas suivis des mêmes châtiments. Ne nous trompons pas nous-mêmes : si nous veillons sur nous, le démon ne sera pas en nous l'auteur du mal : celui-ci sert bien plutôt à nous secouer dans notre sommeil, à nous. réveiller. En effet, supposez un moment avec, moi qu'il n'y a pas de bêtes féroces, qu'il n'y a pas d'intempéries de l'air, qu'il n'y a pas de maladies, de douleurs, de chagrins, ni aucun autre mal physique de ce genre : dites-moi, dans ce cas, que serait l'homme? A mon avis, il ressemblerait plus au plus vil des animaux qu'à un homme, plongé qu'il serait dans toutes les voluptés, sans que rien ne vînt jamais le troubler dans ses grossières jouissances. Actuellement, les soucis, les inquiétudes dont il est assailli, ont pour lui comme un apprentissage, comme une école de philosophie, un excellent instrument d'éducation et de perfectionnement moral. Faites une autre supposition : figurez-vous l'homme élevé dans un palais, exempt de toute douleur, de tout souci, de toute préoccupation d'esprit, sans aucune occasion de se mettre en colère ou d'éprouver quelque déception, pouvant faire tout ce qu’il veut; obtenant tout ce qu'il désire, et trouvant toujours ses semblables disposés à lui obéir est-ce qu'un tel homme, au point de vue rationnel, ne serait pas au-dessous de quelque animal que ce puisse être?

Dans ce monde donc, les malheurs, les souffrances sont pour l'âme comme fa pierre à aiguiser: aussi les pauvres, ballottés, éprouvés qu'ils sont par tant de tempêtes, sont-ils, en général, plus intelligents que les riches. Un corps paresseux et toujours en repos est sujet aux maladies, et perd même, dans cette inertie, quelque chose de sa beauté naturelle : il en est tout autrement d'un corps qui trouve dans le travail l'occasion d'exercer ses forces. L'âme éprouve quelque chose de semblable. Le fer se rouille, si on ne s'en sert pas; il brille, au contraire, si on l'emploie, à quelque usage. Il en est ainsi de l'âme : il lui faut le mouvement; or, le mouvement, elle le trouve dans les épreuves et dans les soucis qui l'assiégent. Si l'âme est privée de mouvement, les arts eux-mêmes périssent ; or, le mouvement pour elle naît des difficultés qu'elle rencontre, des contrariétés qu'elle éprouve. Sans les contrariétés, il n'y aurait rien pour la mettre en mouvement, de même que l'art lui-même ne trouverait pas de matière à s'exercer, si la perfection existait partout clans les oeuvres de, la nature. L'âme aurait une certaine laideur si, sans effort de sa part, elle était.comme portée partout. Ne voyez-vous pas que nous prescrivons aux nourrices de ne pas porter toujours les enfants dans leurs tafias, de peur que cétane tourne pour eux en habitude, et qu'ils ne deviennent faibles et maladifs. Ceux qui sont nourris sous les yeux mêmes de bons parents sont souvent plus chétifs que les autres, par suite des ménagements excessifs dont ils sont l'objet et qui altèrent leur santé-: Une douleur modérée, des inquiétudes modérées ; et même une certaine pauvreté, sont bonnes à l'âme : car les bonnes choses, et leurs contraires, mais à un. degré modéré, nous rendent également forts; c'est leur excès seul qui nous perd : l'excès des unes nous amollit, l'excès des autres nous brise. N'avez-vous pas remarqué que c'est ainsi que le Christ a élevé ses disciples? Si ceux-ci avaient besoin de passer par les épreuves, à combien plus forte raison nous sont-elles nécessaires ? Si elles nous sont nécessaires, ne nous fâchons pas, mais, tout au contraire, réjouissons-nous dans les tribulations : car tels sont tes remèdes qu'il convient d'appliquer à nos blessures : les uns sont amers, les autres sont doux : employé séparément, chacun de ces deux genres de remèdes serait tout à fait inefficace. Rendons donc grâces à Dieu pour toutes ces choses prises ensemble; car ce n'est pas sans raison qu'il permet qu'elles nous arrivent toutes indistinctement, mais parée que cela convient au plus .grand bien de nos âmes. Elevant donc vers lui nos coeurs reconnaissants, rendons-lui grâces, glorifions-le, luttons courageusement, en songeant que nos épreuves- ne durent qu'un temps, et en tournant toutes nos pensées vers les biens de l'éternité, afin que, après avoir supporté avec résignation, soutenus par ces pensées, le poids de nos misères présentes, nous méritions d'obtenir de Dieu les biens à venir, par la grâce et (287) la bonté de son Fils unique, avec lequel, gloire, puissance, honneur, au Père et au Saint-Esprit, maintenant et toujours, dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.


Chrysostome sur Actes 5205