Chrysostome sur Eph 300

HOMÉLIE 3 - Ep 1,15-23: C'EST POURQUOI, MOI AUSSI, APPRENANT QUELLE EST VOTRE FOI DANS LE SEIGNEUR JÉSUS,

300
ET VOTRE AMOUR POUR TOUS LES SAINTS, JE NE CESSE DE RENDRE GRACES POUR VOUS, FAISANT MÉMOIRE DE VOUS DANS MES PRIÈRES ; AFIN QUE LE DIEU DE NOTRE-SEIGNEUR JÉSUS-CHRIST, LE PÈRE DE LA GLOIRE, VOUS DONNE L'ESPRIT DE SAGESSE ET DE RÉVÉLATION, POUR LE CONNAÎTRE ; QU'IL ÉCLAIRE LES YEUX DE VOTRE COEUR, POUR QUE VOUS SACHIEZ QUELLE EST L'ESPÉRANCE A LAQUELLE IL VOUS A APPELÉS, QUELLES SONT LES RICHESSES DE GLOIRE DE L'HÉRITAGE DESTINÉ AUX SAINTS ; ET QUELLE EST LA GRANDEUR SURÉMINENTE DE SA VERTU EN NOUS, QUI CROYONS, SELON L'OPÉRATION DE LA PUISSANCE DE SA VERTU, QU'IL A EXERCÉE DANS LE CHRIST, LE RESSUSCITANT D'ENTRE LES MORTS. — (
Ep 1,15-23)

Analyse.

1 et 2. Le chef et le corps de l'Eglise. — Que l'assistance de l'Esprit-Saint nous est nécessaire pour croire les mystères.
3-5. De la sainte Communion. — Contre l'habitude de communier à jour fixe.

301 1. Il n'y a jamais rien eu de comparable au coeur des apôtres, rien de pareil à la charité, à la tendresse du bienheureux Paul qui priait pour dés villes et des nations entières. C'est à tous qu'il s'adresse en disant : « Je rends « grâces à Dieu pour vous, faisant mémoire « de vous dans mes prières ». Songez combien de personnes il avait dans l'esprit, desquelles il était difficile même de se souvenir : de combien de personnes il faisait mention dans ses prières, rendant grâces pour toutes à Dieu, comme s'il était lui-même le principal obligé. « C'est pourquoi », dit-il : à savoir, à cause de l'avenir et des biens réservés à ceux qui ont la vraie foi et une bonne conduite. On doit sans doute remercier Dieu de tout ce qu'il a fait pour l'espèce humaine, et auparavant, et après; mais on doit lui rendre grâces aussi pour la foi de ceux qui croient. « Apprenant quelle est votre foi par le Christ, et votre amour pour tous les saints ». Partout il associe et réunit la foi et la charité, couple merveilleux. Ce ne sont pas seulement les fidèles de la contrée qu'il a en vue, mais tous. « Je ne cesse de rendre grâces pour vous, faisant mémoire de vous dans mes prières ». Pourquoi pries-tu, que demandes-tu? « Afin que le Dieu de Notre-Seigneur Jésus-Christ, le Père de la gloire, vous donne l'esprit de sagesse et,de révélation ». Il prie pour qu'ils apprennent ce qu'ils doivent apprendre, pourquoi ils ont été appelés, et comment ils ont été affranchis de leur premier état. — Il compte trois choses auxquelles ils ont été appelés Pourquoi, trois? La considération des choses futures nous le révélera. Les biens que Dieu nous réserve, nous feront connaître son ineffable et suprême richesse : en nous rappelant ce que nous étions et comment nous sommes arrivés à croire, nous nous convaincrons de la puissance du Dieu qui a pu convertir des hommes éloignés de lui depuis si longtemps : « Car ce qui est faiblesse en Dieu est plus fort « que les hommes ». (1Co 1,25) Enfin par la même puissance avec laquelle il avait suscité le Christ, il nous a attirés à lui; et ce pouvoir n'est point borné à la résurrection : il s'étend beaucoup plus loin. « Et il l'a fait asseoir à sa droite dans les cieux, au-dessus de toute principauté, de toute puissance, de toute vertu, de toute domination, et de tout nom qui est nommé. Et il a mis toutes choses sous ses pieds, et il l'a établi chef sur toute l'Eglise, qui est son corps, et le complément (449) de celui qui se complète entièrement dans tous ses membres (21, 23) ».

Voilà de grands mystères, de redoutables secrets auxquels nous sommes associés. Pour les connaître, il faut participer à l'Esprit-Saint, et jouir de grâces abondantes. Voilà pourquoi Saint Paul dit dans sa prière : « Le Père de la gloire » : c'est-à-dire, celui qui nous a donné de grands biens. Car partout il désigne Dieu par un nom approprié à la chose dont il parle, par exemple lorsqu'il dit : « Le Père des miséricordes et le Dieu de toute consolation ». (2Co 1,3) Le prophète dit de même : « Le Seigneur, ma force et mon appui ». (Ps 17,2) — « Le Père de la gloire ». Il ne peut représenter toutes ces choses par les noms qui leur conviennent, et partout il se sert du mot « Gloire », qui désigne chez nous toute espèce d'illustration. Voilà, dit-il, le Père de la gloire et le Dieu du Christ. Qu'est-ce à dire? Le Fils est donc au-dessous de la gloire ? Personne, fût-il insensé, n'oserait le prétendre. « Qu'il vous donne », c'est-à-dire, qu'il élève votre pensée et lui donne des ailes. Car il n'y a pas d'autre moyen d'être instruit sur ce sujet. « L'homme animal ne reçoit pas les choses de l'esprit : car elles sont folie pour « lui ». (1Co 2,14)

Il est donc besoin d'une sagesse spirituelle pour comprendre les choses spirituelles, pour voir les choses cachées : c'est l'Esprit qui révèle tout, qui peut divulguer les mystères de Dieu. L'Esprit seul possède la connaissance des mystères de Dieu, lui qui sonde ses` plus profonds secrets; ce n'est pas à un ange, à un archange, à aucune autre puissance créée, qu'il appartient de nous donner, de nous procurer cette grâce. Que si c'est le propre de la révélation, il est superflu de s'ingénier à trouver des raisonnements. Celui qui sait, qui connaît Dieu,, n'aura plus de doute sur rien. Il ne dira pas.:"telle chose est possible, et telle autre impossible; ou- encore : Comment cela s'est-il fait? Si nous connaissons Dieu comme il faut le connaître; si nous avons reçu la connaissance de celui qui peut nous la donner, de,l'Esprit même, nous n'aurons plus de doutes sur aucun point. De là ces paroles : « Pour le connaître, qu'il éclaire les yeux de votre coeur ». Celui qui sait ce que c'est que, Dieu n'aura plus de doute au sujet des promesses, plus d'incrédulité au sujet des choses accomplies. Paul prie que l'Esprit de sagesse et de révélation leur soit donné : d'ailleurs, il se sert autant qu'il est possible de la confirmation fournie par le raisonnement et par les faits accomplis. Ayant à parler et de choses passées et de choses à venir, il se sert des premières pour rendre croyables les autres. Par exemple : « Pour que vous sachiez», dit-il, « quelle est l'espérance à laquelle il vous a appelés ». C'est encore incertain, veut-il dire, mais non pour les fidèles. « Quelles sont les richesses de gloire de l'héritage destiné aux saints. » Ceci encore est, incertain. Mais qu'est-ce qui est donc certain ? Que nous avons cru qu'il a suscité le Christ par sa puissance : ressusciter un mort est moins étonnant que d'avoir mis cette persuasion dans les âmes. Et comment? J'essaierai de vous le faire voir. Ecoutez ! Le Christ dit au mort : Lazare, viens ici dehors; et aussitôt il obéit. Pierre dit à Tabitha : Lève-toi, et elle ne résista pas. Dieu dira la même chose au jour suprême, et tous se réveilleront si précipitamment que les vivants ne devanceront pas les morts, que dans un instant, dans un clin d'oeil, tout sera fait, tout sera réuni.

302 2. Mais pour ce qui est d'embrasser la foi, il n'en est pas de même. Que se passe-t-il donc? Ecoutez cette autre parole : « Combien de fois j'ai voulu réunir vos enfants, et vous ne l'avez pas voulu ! » (Lc 13,43) Voyez-vous que c'est plus difficile? Il part donc de là pour établir le tout. C'est qu'il était bien plus difficile de persuader le libre arbitre par des raisons humaines, que de créer la nature. La raison, c'est qu'il veut lui-même que nous devenions bons ainsi et de notre plein gré. Paul dit justement : Quelle est la grandeur suréminente de sa vertu en nous, qui croyons. Lorsqu'eurent été employés en pure perte les prophètes, les anges et les archanges, toute la création, tant visible qu'invisible, la création visible exposée aux regards des hommes, sans avoir pu les gagner. la création invisible qui est si multiple, alors Dieu décida l'Incarnation, montrant par là que l'intervention divine était nécessaire. « Les richesses de gloire », c'est-à-dire, la gloire ineffable. Quel discours pourrait représenter la gloire à laquelle les saints participeront alors? Personne. La grâce est vraiment nécessaire pour que l'intelligence la connaisse, ou en aperçoive du moins quelque rayon. Précédemment déjà, on en savait quelque chose; mais Dieu voulait que cette (450) connaissance fût plus complète et plus distincte. Voyez-vous tout ce qu'il a fait? Il a ressuscité le Christ; c'est peu. Voyez encore : Il l'a fait asseoir à sa droite. Quel discours peut représenter cela? Celui qui était né de la terre, plus muet que le poisson; qui avait été le jouet des démons, il l'élève aussitôt dans les cieux. En effet, la grandeur de sa puissance est suréminente.

Et considérez où il l'a élevé? Dans les cieux, au-dessus de toute nature créée, par-delà toute puissance et toute principauté. « Encore au-dessus de toute principauté ». Vraiment il est besoin de l'Esprit, il est besoin d'une pensée sage pour le connaître; vraiment il est besoin d'une révélation. Songez quel intervalle il y a entre l'homme et la -nature de Dieu: De cette bassesse il l'a fait monter à ces honneurs; il ne s'est pas borné à lui faire franchir un, deux ou trois degrés. Mais quoi ! il ne dit pas seulement : « Au-dessus », mais : « Encore au-dessus ». Car Dieu est plus haut que les puissances d'en-haut. C'est donc là qu'il a élevé celui qui sortait du milieu de nous. Du dernier degré, il l'a porté à la suprême puissance, après laquelle il n'y a plus de dignité. « De toute principauté », dit-il, non de telle ou telle, mais de toutes. « De toute principauté, de toute puissance, de toute vertu, de toute domination et de tout nom qui est nommé ». Tout ce qui est dans le ciel est au-dessous de lui. Ceci est dit de celui qui fut ressuscité d'entre les morts : ce qui doit exciter la surprise. Du Dieu Verbe, aucunement. Ce que sont les moucherons à l'égard des hommes, toute la création l'est à l'égard de Dieu. Et que dis-je, les moucherons ? Si tous les hommes seront comptés comme de la salive, s'ils ont été comptés comme le plus petit des poids qu'on met dans la balance, ce sont les puissances invisibles qu'il faut assimiler à des moucherons. Paul n'a donc pas parlé ainsi du Dieu Verbe, mais de celui qui est sorti d'entre nous: chose vraiment grande et merveilleuse. Il l'a pris au dernier étage de la terre pour l'élever. Si toutes les nations sont comme une goutte, quelle fraction de goutte sera donc un seul homme? Néanmoins Dieu l'a élevé au-dessus de tous, non-seulement dans ce siècle, mais encore dans le siècle futur. — Il y a donc des puissances qui portent des noms obscurs pour nous et inconnus.

« Et il a mis toutes choses sous ses pieds ». Il ne l'a pas seulement mis plus haut, afin qu'il jouît de la prééminence; il n'a pas procédé par comparaison, il a voulu qu'il les dominât comme le maître domine ses serviteurs. Ali ! Quelles choses redoutables ! Toute puissance créée est devenue servante de l'homme, à cause de l'incarnation du Dieu Verbe. On peut se figurer quelqu'un qui ait seulement des inférieurs, mais non des sujets. Ici il n'en est pas de même, tout a été mis soirs ses pieds; c'est-à-dire au plus bas degré au-dessous duquel il n'y a rien. « Sous ses pieds, et il l'a établi chef sur tout dans l'Église ». A quelle hauteur il porte maintenant l'Église ! Comme s'il la tirait au moyen d'une machine, il l'élève à la plus grande hauteur, et la fait asseoir sur ce trône sublime; car où est le chef, là est aussi, le corps, puisque la tête et le corps sont immédiatement unis. « Sur tout ». Ou bien cela signifie que le Christ est au-dessus de toutes choses, visibles ou invisibles; ou bien que par-dessus tous ses bienfaits il a donné son Fils pour chef. Ce n'est pas un ange, ce n'est pas un archange, ni une puissance plus élevée qu'il a envoyée ici-bas. — Et ce n'est pas seulement en élevant ce qui sortait d'entre nous qu'il nous a honorés; c'est encore en faisant que toute l'espèce le suivît, s'attachât à lui, l'accompagnât : « Qui est son corps ».

Afin qu'en entendant ce mot chef, vous ne songiez pas seulement à la primauté, mais encore à la solidité et à l'union ; afin que cette expression ne vous représente pas seulement un dominateur, mais encore la tête d'un corps, il parle ensuite du « Complément de celui qui se complète entièrement dans tous ses membres ». Comme si ce qui précède ne suffisait pas pour montrer le rapport et la parenté, que dit-il? Que l'Église est le complément du Christ. En effet, le corps est le complément de la tête, et la tête le complément du corps. Voyez quel ordre exact suit Paul, et comment il n'épargne aucune parole pour exprimer la gloire de Dieu. « Complément », dit-il, complément pareil à celui que fouge le corps par rapport à la tête. En effet, la réunion des membres forme le corps, et il n'en est pas qui ne lui soit nécessaire. Voyez comment il montre cette nécessité de tous les membres. Si nous n'étions pas nombreux, si l'un n'était pas a main, l'autre le pied, l'autre tel autre organe, le corps ne serait pas complet. Il faut donc que rien ne manque pour que son corps (451) à lui, soit complet. La tête a son complément, le corps est parlait, lorsque nous sommes réunis tt assemblés tous ensemble.

303 3. Voyez-vous les richesses de gloire de l'héritage? Voyez-vous la grandeur suréminente de la vertu de Dieu envers ceux qui croient? Voyez-vous l'espérance à laquelle vous êtes appelés? Respectons notre chef, songeons de quel chef trous sommes le corps, chef auquel tout est soumis. D'après cela, il faut que nous soyons meilleurs que les anges, et plus grands que les archanges, puisque nous sommes plus élevés qu'eux tous en dignité. « Dieu n'a pas pris les anges, mais il a pris la race d'Abraham ». (He 2,16) Il n'a pris ni principauté, ni vertu, ni domination, ni aucune autre puissance : c'est notre nature qu'il a. prise et qu'il a établie là-haut. Et que dis-je, établie? Il, en a fait son vêtement, et il ne s'en est pas tenu là, il a tout mis sous ses pieds. Combien voulez-vous mettre de morts? Combien de vies? mille, des milliers? Vous n'arriverez pas au niveau. Il a fait les deux plus grandes choses qui se pussent faire; il est descendu lui-même au dernier degré d'abaissement, et il' a porté l'homme au comble de l'été ration. Paul a parlé en premier lieu de l'abaissement : il arrive maintenant à ce qui est plus sublime encore, au grand, au principal mystère. Cependant, quand bien même nous n'aurions rien reçu que le premier bienfait, il suffisait; et si nous étions jugés dignes d'un tel honneur, du moins l'immolation n'était pas nécessaire. Quel langage, quelle hyperbole pourrait donc égaler ces deux bienfaits réunis? C'est peu que la résurrection, quand je songe à cela. Ce n'est pas le Dieu Verbe qu'il a en vue lorsqu'il dit : Le Dieu de Notre-Seigneur Jésus-Christ. Respectons cette étroite parenté, craignons que quelqu'un ne vienne à être retranché de ce corps, que quelqu'un ne soit rejeté, que quelqu'un ne se montre indigne. Si l'on avait ceint notre front d'un diadème, d'une couronne d'or, est-ce que nous ne ferions pas tous nos efforts pour nous montrer dignes de notre vaine parure de pierres précieuses ? Mais ce n'est pas un diadème qui ceint aujourd'hui notre front : c'est Jésus qui est devenu notre tête, notre chef, ce qui est bien autre chose, et nous n'en tenons nul compte. Ce chef, les anges, les archanges et toutes les puissances d'en-haut le vénèrent; mais nous, qui sommes son corps, ni ce motif ni l'autre ne nous le font vénérer? Et quel espoir de salut y aura-t il pour nous?

Songez au trône royal, songez à cet excès d'honneur : il ne tient qu'à nous que cela ne soit pour nous un plus grand sujet d'effroi que l'enfer même. S'il n'y avait pas d'enfer, ne serait-ce pas un affreux supplice, un affreux châtiment, que d'être reconnus indignes par notre méchanceté de la glorieuse prérogative dont nous avons été honorés. Songe auprès de qui siège ton chef; il n'en faut pas davantage : songe à la droite de qui il est assis. Eh quoi ! le chef plane au-dessus de toutes les principautés, les puissances et les vertus ; et le corps est foulé aux pieds par les démons ! A Dieu ne plaise ! Si cela arrivait, ce ne serait plus le corps désormais. Devant ton chef tremblent les serviteurs glorieux, et tu mets le corps sous les pieds de ceux qui ont offensé le maître ! Quel châtiment n'encours-tu point par là? Si quelqu'un mettait des fers et des entraves aux pieds d'un roi, ne s'exposerait-il pas au dernier supplice? Toi, tu jettes le corps tout entier aux bêtes féroces, et tu ne trembles pas ?

Mais puisqu'il est question du corps du Seigneur, parlons aussi de celui qui fut mis en croix, cloué, de la victime du sacrifice. Si tu es corps du Christ, porte la croix, car il l'a portée ; supporte les crachats, supporte les soufflets, supporte les clous ! Tel était ce corps. Ce corps était sans péché. « Il ne fit pas de péché », est-il écrit, « et la ruse. ne fut pas trouvée dans sa bouche ». (Is 53,9) Ses mains faisaient tout pour obliger ceux qui avaient besoin ; sa bouche ne proféra jamais aucune parole déplacée. On lui dit : « Tu as un démon » (Jn 7,28); et il ne répondit rien. Puisque nous parlons du corps, nous qui participons au corps, nous qui goûtons à ce sang, songeons que nous participons, que nous goûtons à celui qui ne diffère en rien de celui-là, à celui qui siège là-haut, qui est adoré par les anges, qui est auprès de l'incorruptible Vertu. Hélas! que de routes nous sont ouvertes pour le salut ! Il a fait de nous son corps, il nous a communiqué son corps, et rien de tout cela ne nous détourne du mal ! O ténèbres et abîme ! ô stupidité ! « Songez », est-il écrit, « aux choses du ciel, où est le Christ assis à la droite de Dieu ». (Col 3,1) Et après cela on trouve encore des (452) hommes qui songent à l'argent, d'autres qui se laissent séduire par les passions !

304 4. Ne voyez-vous pas que dans notre corps aussi, tout ce qui est inutile et hors de service est coupé, retranché ; avoir fait partie du corps, cela ne sert de rien au membre perclus, paralysé, gangrené, dont le mal peut se communiquer aux autres. Ne nous rassurons donc point par cette pensée que nous faisons partie du corps une fois pour toutes. Si un corps formé par la nature n'en est pas moins amputé, quelle terrible opération ne subira pas le corps formé par le libre arbitre, s'il ne reste pas en santé? Le corps, ouvrage de la nature, est paralysé quand il ne participe plus à la nourriture matérielle, quand les pores en sont obstrués; il est perclus, quand les vaisseaux ne font plus leur office. De même quand nous nous bouchons les oreilles, notre âme devient percluse ; quand nous cessons de participer à la nourriture spirituelle, quand certains vices attaquent notre tempérament à la manière d'humeurs corrompues, toutes ces causes engendrent la maladie funeste, une maladie qui produit la gangrène : désormais, le fer, le feu seront nécessaires, car le Christ ne consent pas à entrer dans la chambre nuptiale avec un corps pareil. Il a renvoyé, chassé celui qui était revêtu d'habits sordides, que ne fera-t-il pas a l'homme qui a souillé son corps? Quel traitement ne lui infligera-t-il pas?

Je vois beaucoup de personnes, qui participent étourdiment et sans réflexion au corps du Christ, plutôt par habitude et pour obéir à la loi, que par raison et par réflexion. Voient-elles arriver le temps du saint Carême ou celui de l'Epiphanie, en quelque état qu'elles se trouvent, elles prennent part aux sacrements. Cependant ce n'est pas l'époque de l'année qui fait, en cela, l'opportunité; car ni l'Epiphanie, ni le Carême ne rendent digne d'approcher des sacrements, mais seulement la pureté parfaite de l'âme. Quand vous Pavez, approchez en toujours; jamais, quand elle vous manque. Car il est écrit : « Toutes les fois que vous faites cela, vous annoncez la mort du Seigneur » (
1Co 11,26) ; c'est-à-dire, vous faites une commémoration de votre salut, ale mon bienfait. Songez à la prudence dont usaient ceux qui prenaient part à l'ancien sacrifice. Que ne faisaient-ils pas ? lis ne manquaient jamais de se purifier. Mais vous, pour approcher du sacrifice devant lequel tremblent les anges mêmes, vous obéissez au cours du temps? Et comment vous présenterez-vous au tribunal du Christ, vous qui avec des mains et des lèvres souillées, osez profaner son corps? Vous n'oseriez pas embrasser un roi, si vous aviez la bouche puante ; et vous osez embrasser le roi du ciel avec une âme puante ! Quel excès d'insolence !

Dites-moi : Voudriez-vous approcher du sacrifice avec des mains sales? Je ne le pense pas : vous aimeriez mieux vous abstenir que d'en approcher en cet état. Eh bien ! vous qui êtes circonspect à ce point dans les petites choses, vous en approchez, vous osez y toucher avec une âme souillée? Cependant la victime ne séjourne qu'un moment entre vos mains, et elle se résout tout entière dans votre âme. Voyez-vous ces vases si bien lavés, si brillants? eh bien ! il faut que nos âmes soient encore plus pures, encore plus immaculées et plus brillantes. Pourquoi ? Parce que c'est en vue de nous qu'on nettoie ainsi ces vases. Ils ne participent pas, eux, à leur contenu, ils ne le sentent pas; nous, c'est autre chose. Or, vous ne voudriez pas vous servir d'un vase malpropre, et vous apportez vous-même une âme malpropre : je vois là une singulière disparate. Aux autres époques, même quand vous êtes purs, vous n'approchez pas des sacrements, et à Pâques, fussiez-vous chargés d'un crime, vous vous en approchez? O habitude ! ô préjugé ! en vain le sacrifice est quotidien, en vain nous nous tenons auprès de l'autel, personne ne prend place au banquet. Si je parle ainsi, ce n'est pas pour que vous communiiez à la légère, mais pour que vous vous mettiez en état. Vous n'êtes pas digne du sacrifice de la communion? Alors vous n'êtes pas digne non plus de la prière. Vous entendez le héraut qui se tient debout et dit : « Vous tous, qui êtes en pénitence, retirez-vous ». Tous ceux qui ne communient pas sont en pénitence. Si vous êtes au nombre de ceux qui sont en pénitence, vous ne devez pas communier : car celui qui ne communie pas est au nombre de ceux qui sont en pénitence. Pourquoi donc dit-il : « Retirez-vous, vous qui ne pouvez pas prier», et vous, restez-vous- effrontément en place? Mais vous n'êtes pas de ce nombre ; vous êtes de ceux qui peuvent communier, et vous ne vous en inquiétez pas? Vous regardez cela comme rien ?


305 Songez-y, je vous en prie; voilà un banquet (453) royal : les anges le desservent, le monarque même y assiste, et vous restez là bouche béante? Vos vêtements sont souillés, et vous ne vous en inquiétez pas? — Mais non : ils sont propres? Mettez-vous donc à table, et communiez. Il vient chaque jour visiter les convives, il parle à tous ; il dira donc à votre conscience: Amis, comment êtes-vous ici sans habit de noce? Il ne dit pas : Pourquoi avez-vous pris place à la table? C'est avant l'installation, avant l'entrée qu'il déclare qu'on est indigne. En effet, il ne dit pas : Pourquoi avez-vous pris place? mais bien : Pourquoi êtes-vous entré? Voilà ce qu'il dit maintenant même à nous tous qui nous tenons ici debout, sans pudeur et sans honte. En effet, quiconque ne participe pas aux sacrements, celui-là est un impudent, un effronté. Voilà,pourquoi on commence par exclure ceux qui sont en état de péché. Ainsi que, lorsque le maître prend place à table, il ne faut pas que les serviteurs qui l'ont offensé soient présents, et que l'on a soin de les écarter : de même ici, quand on offre le sacrifice, et que la victime est le Christ, l'Agneau du Seigneur, en entendant ces mots : « Prions tous en commun », en voyant les vestibules s'ouvrir, vous devez croire que le ciel s'ouvre, et que les anges descendent de là-haut. Si donc aucune des personnes étrangères à nos mystères ne doit rester dans l'assistance, il en est de même des initiés qui sont souillés.

Dites-moi : supposez qu'une personne invitée à un festin se lave les mains, s'attable, soit toute prête à goûter aux mets, et que néanmoins elle n'y touche pas, ne sera-ce pas faire injure à celui qui l'a invitée? ne vaudrait-il pas mieux n'être pas venu? De même pour vous . cous êtes présent, vous avez chanté l'hymne : vous vous êtes mis au nombre de ceux qui sont dignes en ne vous retirant pas avec les indignes; comment êtes-vous resté, si vous ne prenez point part au banquet? Je suis indigne, dites-vous... Vous êtes donc indigne aussi de la communion des prières. En effet, ce n'est pas seulement le sacrifice, ce sont encore les cantiques qui font descendre de toutes parts le Saint-Esprit. Ne voyez-vous pas que nos serviteurs lavent la table avec une éponge, et nettoient la maison avant de mettre la table? Cela se fait par les prières, par la voix du diacre. Nous lavons l'église comme avec une éponge, afin qu'elle soit pure pour l'offrande, qu'il n'y 'ait ni tache ni souillure... Les yeux mêmes des indignes, leurs oreilles sont ici de trop. « Si une bête touche la montagne, elle sera lapidée ». (
Ex 19,13) Ainsi les Juifs n'étaient pas même dignes de monter sur la montagne : du reste, ils s'approuvèrent ensuite, et virent la place où avait été Dieu. Eh bien ! quand tout sera fini, vous pourrez vous approcher et regarder : mais tant que Dieu est là, retirez-vous : cela né vous est pas plus permis qu'au catéchumène. Car il n'y a pas égalité entre celui qui n'a jamais touché aux sacrements, et celui qui, après les avoir reçus, les brave par des offenses, et se rend indigne de son privilège. de. pourrais ajouter d'autres considérations encore plus effrayantes : niais de crainte de charger votre mémoire, j'en reste là : ceux qui ne seront point corrigés par ce que j'ai dit, ne le seraient point par de plus longs développements. Si donc nous ne voulons pas rendre notre jugement plus rigoureux, je vous supplie, non de vous présenter, mais de vous rendre dignes du lieu où vous êtes et du sacrement.

Dites-moi : si un roi vous donnait cet ordre impérieux: Si quelqu'un fait telle chose, qu'il ne paraisse pas à ma table ; est-ce que vous ne feriez pas tous vos efforts pour être admis? Eh bien ! nous sommes conviés au ciel, à là table du grand, du sublime monarque,et nous, hésitons, et nous tergiversons, et nous ne nous hâtons point d'accourir? Et quel espoir de salut nous reste-t-il? Nous ne, pouvons alléguer notre faiblesse, nous ne pouvons mettre en cause la nature : la négligence, voilà le seul principe de notre indignité. Nous avons dit ce que nous avions à vous dire. Que celui qui produit la componction dans les coeurs, qui donne l'esprit de componction, produise un pareil effet dans vos âmes et y enfouisse profondément sa semence, afin que vous conceviez de sa crainte, que vous enfantiez un esprit de salut, et que vous approchiez avec confiance. « Tes fils », est-il écrit, « sont comme de jeunes pousses d'olivier autour de ta table ». (Ps 127,3) Ainsi donc, point de vieilles pensées; rien de farouche, d'aigre, de sauvage. Car telles sont les jeunes pousses propres à donner du fruit, ce fruit merveilleux de l'olivier; assez fortes pour que tous soient autour de la table, et ne se réunissent pas ici étourdiment ni à la légère, mais avec crainte et tremblement. Ainsi vous verrez là-haut le (454) Christ lui-même avec confiance, et vous serez jugés dignes du royaume céleste, auquel puissions-nous tous parvenir, par la grâce et la bonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ avec qui gloire, puissance, honneur au Père et au Saint-Esprit, maintenant et toujours, et dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.



HOMÉLIE 4 - Ep 2,1-10 ET VOUS, LORSQUE VOUS ÉTIEZ MORTS PAR VOS OFFENSES ET PAR VOS PÉCHÉS,

400 DANS LESQUELS AUTREFOIS VOUS AVEZ MARCHÉ, SELON LA COUTUME DE CE MONDE, SELON LE PRINCE DES PUISSANCES DE L'AIR, DE L'ESPRIT QUI AGIT EFFICACEMENT A CETTE HEURE SUR LES FILS DE LA DÉFIANCE, PARMI LESQUELS NOUS TOUS AUSSI NOUS AVONS VÉCU, SELON NOS DÉSIRS CHARNELS, FAISANT LA VOLONTÉ DE LA CHAIR ET DE NOS PENSÉES; ET NOUS ÉTIONS PAR NATURE ENFANTS DE COLÈRE COMME TOUS LES AUTRES. (Ep 2,1-10)

Analyse.

1. La foi et les oeuvres.
2. Degrés dans les châtiments de l'autre vie.
3. Que l'idée de la bonté divine ne doit pas rassurer les pécheurs.
4. Que toute consolation sera bannie de l'enfer.

401 1. Il y a une mort corporelle: il y a aussi une mort de l'âme. La première ne nous met point en faute, ni en danger : caf elle est le fait de la nature, non de la volonté. Elle résulte de la transgression du premier homme: après quoi elle a passé dans notre nature. D'ailleurs elle ne doit avoir qu'une courte durée. Quant à la mort spirituelle qui procède de la volonté, elle nous est imputable et n'aura point de fin. Considérez donc comment Paul qui a déjà établi cette vérité sublime, que ressusciter les morts est une moins grande tâche que de guérir la mort de l'âme, comment Paul, dis-je, y revient ici, comme sur une grande chose : « Et vous, lorsque vous étiez morts par vos offenses et par vos péchés, dans lesquels autrefois vous avez marché selon la coutume de ce monde, selon le prince des puissances de l'air, de l'Esprit qui agit efficacement à cette heure sur les fils de la défiance » (Ep 2,1-2). Voyez-vous la douceur de Paul, et comment partout il console son auditeur, et évite de l'accabler? Après avoir dit : Vous êtes arrivé au dernier degré de perversité (car c'est ce que veut dire « Etre morts ») : craignant de les trop accabler (car les hommes éprouvent de la honte à voir étaler leurs anciennes fautes, même effacées et sans danger désormais), il leur attribue un complice, afin que tout ne parût pas être leur ouvrage, et un puissant complice. Lequel donc? le diable. Il se comporte de même encore dans l'épître aux Corinthiens. (1Co 6,9) Car après avoir dit : « Ne vous laissez pas égarer : ni fornicateurs ni idolâtres », (et le reste), n'entreront dans le royaume des cieux, il ajoute : C'est environ ce que vous étiez. Il ne dit pas seulement : « Vous étiez », mais : «Vous étiez environ », c'est-à-dire, à peu près (1).

1 Ce texte est généralement interprété d'une manière un peu différente. (455)

Ici les hérétiques nous,pressent : ils prétendent qu'il est ici question de Dieu, et dans l'intempérance effrénée de leur langage, ils appliquent à Dieu des expressions qui ne désignent que le diable. Comment leur fermer la bouche? Au moyen du texte même: Si Dieu est juste, comme vous le reconnaissez vous-même, et qu'il ait fait cela, ce n'est plus le fait d'un être juste, mais d'un être injuste et méchant : or Dieu ne saurait jamais être méchant. Pourquoi donc appeler le diable prince de ce siècle? Parce que presque toute la nature humaine s'est donnée à lui, et que tous le servent librement et volontairement. Le Christ qui promet des biens innombrables n'obtient nulle attention. Le diable ne promet rien de pareil, il nous pousse en enfer: et tous lui cèdent. Son empire est sur ce siècle, il compte plus de sujets que Dieu, et bien plus dociles, sauf un petit nombre, par un effet de notre relâchement: «Selon la puissance de l'esprit de l'air » (Ep 2,2). C'est-à-dire qu'il habite sous le ciel quant aux esprits de l'air, ce sont les puissances incorporelles qui dépendent de lui. Maintenant, pour vous faire entendre que sa domination est une domination du siècle, c'est-à-dire bornée à la durée du siècle présent, voici ce que Paul dit à la fin de l'épître : « Nous n'avons point à lutter contre la chair et le sang, mais contre les princes et les puissances, contre les dominateurs de ce siècle de ténèbres». (Ep 6,12.) Pour que cette expression : « Dominateur du monde » ne vous fasse pas croire que le diable est incréé, il ajoute : « De ce siècle de ténèbres ». Et ailleurs par « Siècle mauvais » (Ga 2,4), il désigne un temps bouleversé, sans parler des créatures. Car il me paraît que devenu prince sous le ciel, il n'est pas déchu de son pouvoir même après la transgression.

« Qui agit efficacement à cette heure sur les fils de la défiance » (Ep 2,2). Voyez-vous que le démon ne se sert point de la violence ni de la tyrannie, mais de la persuasion pour nous gagner. Ce mot « Défiance » est employé ici pour faire entendre que la séduction et la persuasion sont mises seules en usage. Et Paul ne console pas seulement les fidèles en leur donnant un complice, mais encore en se rangeant lui-même parmi eux: « Parmi lesquels nous tous aussi nous avons vécu » (Ep 2,3). — « Tous » : on ne peut dire que quelqu'un fût excepté. « Selon nos désirs charnels, faisant la volonté de la chair et de nos pensées; et nous étions par nature enfants de colère comme tous les autres» (Ep 2,3). C'est-à-dire :« N'ayant aucune pensée spirituelle ». Mais pour que l'on ne soupçonne pas qu'il s'exprime ainsi pour attaquer la chair et qu'on ne voie là une grande faute, voyez comme il se met sur ses gardes : « Faisant la volonté de la chair et de nos pensées » (Ep 2,3) : il désigne par là les affections de la volupté. Nous avons irrité Dieu, dit-il, nous l'avons mis en colère; en d'autres termes: Nous étions colère et rien autre chose. Car de même que l'enfant d'un homme est homme de sa nature, de même nous aussi; nous étions enfants de colère comme les autres. C'est-à-dire : Personne n'était libre, nous nous conduisions tous de manière à mériter la colère.

« Mais Dieu qui est riche en miséricorde ((Ep 2,4)». Il ne dit pas seulement : « Miséricordieux » mais : « Riche en miséricorde ». Comme il dit ailleurs : « Dans l'abondance de votre miséricorde », et encore : « Ayez pitié de moi selon votre grande miséricorde ». (Ps 68,1 Ps 50,1) « Par le grand amour dont il nous a aimés» (Ep 2,4). Il montre l'origine de cet amour. Car ce n'est pas l'amour que nous méritions, mais la colère et le dernier châtiment... C'est donc l'effet d'une miséricorde infinie. « Et lorsque nous étions morts par les péchés, il nous a vivifiés dans le Christ ((Ep 2,5) ». Encore la médiation du Christ, et la chose est digne de foi. En effet, si nos prémices vivent, nous vivons aussi : il a vivifié et lui et nous.

402 2. Voyez-vous que tout cela est dit de Jésus-Christ comme homme? Voyez-vous la grandeur suréminente de sa vertu en nous qui croyons? Les morts, les fils de colère, il les a vivifiés. Voyez-vous l'espérance à laquelle nous sommes appelés? « Il nous a ressuscités et fait asseoir avec lui ((Ep 2,6) ». Voyez-vous la gloire de l'héritage? Oui, dira-t-on : « Il nous a ressuscités » c'est clair; mais ceci : « Il nous a fait asseoir avec lui dans les cieux en Jésus-Christ » (Ep 2,6), comment l'établir? Comme : « Il nous a ressuscités ». Car personne n'est encore ressuscité, sinon que par la résurrection du chef, nous aussi sommes ressuscités : ainsi que Jacob ayant adoré, sa femme par là même aussi adora Joseph. C'est de la même manière que nous sommes assis : car le corps est assis lorsque la tête est assise. Voilà pourquoi Paul ajoute : En Jésus-Christ. Ou si ce n'est pas cela, s'il nous a ressuscités par le baptême, (456) comment donc nous a-t-il fait asseoir? C'est que « Si nous partageons les souffrances du Christ, nous partagerons aussi sa royauté ». (2Tm 2,12) Si nous mourons, nous partagerons la vie. Il est vraiment besoin de l'Esprit et de la révélation pour sonder la profondeur de ces mystères.

Ensuite pour vous convaincre, il ajoute : « Pour manifester dans les siècles à venir les richesses abondantes de sa grâce, par sa bonté pour nous dans le Christ Jésus ((Ep 2,7) ». Car après avoir dit ce qui concerne le Christ, comme on pouvait demander : En quoi cela nous concerne-t-il, que le Christ soit ressuscité? il montre que cela nous concerne, en effet, puisque le Christ est uni à nous : outre qu'il fait voir ce qui nous touche en particulier, lorsqu'il dit : « Lorsque nous étions morts par nos offenses il nous a ressuscités et fait asseoir avec lui ». Ainsi donc, comme je le disais, ne conservez plus de doute, puisque vous avez pour preuves et les choses précédentes, et le chef, et la volonté que Dieu a eue de faire éclater sa bonté. En effet, comment la montrera-t-il, si cela ne se réalise point? Et il fera voir dans les âges futurs, quoi ? que c'étaient de grands biens, et les plus sûrs de tous. Car maintenant les incrédules considèrent ce qu'on leur en dit comme des sottises : mais alors tous seront instruits. Voulez-vous savoir encore comment il nous a fait asseoir avec lui ? Ecoutez le Christ qui dit à ses disciples : « Vous serez assis sur douze trônes, jugeant les douze tribus d'Israël »; et encore : « Mais d'être assis à ma droite et à ma gauche, il ne m'appartient pas de vous l'accorder à vous, mais à ceux à qui mon Père l'a préparé ». (Mt 19,28) C'est donc préparé. Et Paul dit bien : « Par sa bonté pour nous dans le Christ Jésus » (Ep 2,7). En effet, être assis à droite, est le signe d'une dignité qui surpasse toutes les autres, et au-dessus de laquelle il n'y a rien. Il dit donc que nous serons assis nous-mêmes. C'est vraiment une richesse suréminente, une suréminente grandeur de vertu, que de nous faire asseoir avec le Christ. Quand vous auriez des milliers de vies, ne les sacrifieriez-vous pas pour cela? S'il fallait entrer dans le feu, ne devriez-vous pas y courir?

Jésus lui-même dit encore: « Je veux, partout où je serai, que mes serviteurs y soient également ». (Jn 12,26) Quand on devrait se frapper la poitrine chaque jour pour obtenir un pareil bonheur, ne faudrait-il pas se hâter d'accepter? Songez où il nous a fait asseoir: « Au-dessus de toute principauté et de toute puissance». Et à côté de qui? A côté du Maître. Qui es-tu donc? Un mort, de sa nature enfant de colère. Et pour quelle bonne oeuvre? Aucune. En vérité, voici bien le moment de s'écrier : « O profondeur des trésors de la sagesse et de la science de Dieu! » (Rm 11,33)

« Car c'est la grâce qui vous a sauvés ((Ep 2,8)». De peur que la grandeur des bienfaits ne vous enfle le coeur, voyez comme il vous rabaisse: C'est la grâce qui vous a sauvés par la foi ». Ensuite, de peur de porter atteinte au libre arbitre, il fait mention de ce qui nous appartient. Mais aussitôt il revient sur ses pas et dit: « Et cela ne vient pas de vous » (Ep 2,8). Pas même la foi ne vient de nous : car si Dieu n'était pas venu, s'il ne nous avait pas appelés, comment aurions-nous pu croire? «Comment croiront-ils, s'ils n'entendent pas? » (Rm 10,14) De sorte que notre foi même ne vient pas de nous. « C'est un don de Dieu : ni des oeuvres ((Ep 2,8-9) ».Est-ce que la foi suffirait pour sauver? — Afin de ne sauver ni les vaniteux, ni les nonchalants, Dieu a requis une foi agissante. Il dit que la foi sauve, mais par Dieu ; car si la foi a sauvé, c'est que Dieu a voulu. En effet, comment, dites-moi, la foi sauverait-elle sans les oeuvres? Cela même est un don de Dieu. « Afin que nul ne se glorifie» (Ep 2,9), afin de nous inspirer de la reconnaissance au sujet de la grâce. Quoi donc ! dira-t-on, est-ce que Dieu a prohibé la justification par les oeuvres? Nullement : mais Paul dit : « Personne n'a été justifié par ses oeuvres », afin de montrer la grâce et la bonté de Dieu. Dieu n'a pas repoussé ceux qui ont les oeuvres; mais il a sauvé par la grâce ceux qui étaient abandonnés des oeuvres, afin que personne ne pût plus se glorifier.

403 3. Ensuite, de peur qu'en entendant dire que tout est l'effet de la foi et non des oeuvres, vous ne vous abandonniez à la nonchalance, voyez ce qu'il ajoute : « Car nous sommes son ouvrage, ayant été créés en Jésus-Christ pour les bonnes oeuvres que Dieu a préparées, afin que nous y marchions ((Ep 2,10) ». Entendez bien ces paroles : il fait allusion ici à la régénération. En réalité, c'est une création nouvelle qui nous a fait passer du néant à l'être. (457) Nous sommes morts à ce que nous étions autrefois, je veux dire au vieil homme : ce que nous n'étions pas, nous le sommes devenus. C'est donc une création, et une création plus prédense que l'autre : car à la première, nous devons de vivre; à la seconde, de bien vivre : « Pour les bonnes oeuvres que Dieu a préparées, afin que nous y marchions». Non afin que nous commencions, mais afin que nous y marchions : car nous avons besoin d'une vertu constante et soutenue jusqu'à notre fin. S'il nous fallait suivre une route conduisant à une capitale, et si, après avoir fait la plus grande partie du chemin, nous nous arrêtions lassés, au moment de toucher au but, il ne nous servirait de rien de nous être mis en marche : de même l'espérance à laquelle nous sommes appelés resterait inutile à ceux qui la possèdent, si nous ne marchions pas comme l'exige la dignité de celui qui nous a appelés.

Ainsi donc, appelés pour les bonnes oeuvres, remplissons notre tâche avec persévérance. Car si nous avons été appelés, ce n'est pas pour en faire une, mais pour les faire toutes. De même qu'il y a en nous cinq sens, et que nous devons les employer tous à propos, nous devons agir de même à l'égard des vertus. Etre chaste et sans charité, être charitable et injuste, s'abstenir du bien d'autrui mais ne pas faire l'aumône avec le sien, tout cela est inutile. Il ne suffit pas d'une seule vertu pour nous faire comparaître avec confiance au tribunal du Christ : il en faut beaucoup et de toute espèce, il nous les faut toutes. Ecoutez le Christ disant à ses disciples : « Allez et instruisez toutes les nations; enseignez-leur à garder tous mes commandements » ; et encore : « Celui qui violera l'un de ces moindres commandements, sera appelé très-petit dans le royaume des cieux » (Mt 28,19) ; c'est-à-dire, à la résurrection : Car cet homme-là n'entrera pas dans le royaume; l'Evangile appelle souvent royaume le temps même de la résurrection: « Celui qui en violera un sera appelé très-petit »... Nous sommes donc tenus de les observer tous.

Et voyez comment, sans l'aumône, il est impossible d'entrer dans le royaume : Comment, ne nous manquât-il que ce seul titre, nous irons au feu: « Allez-vous-en, maudits », est-il écrit, « au feu éternel préparé pour le diable et ses anges ». Pourquoi, pour quelle raison? Parce que j'ai eu faim, et que vous ne m'avez pas donné à manger: parce que j'ai eu soif et que vous ne m'avez pas donné à boire (Mt 25,41) Voyez-vous comment ce seul grief cause leur perte? Pour cette seule raison les vierges furent chassées de la chambre nuptiale, quoiqu'elles possédassent la chasteté; mais comme l'appui de l'aumône leur faisait défaut, elles n'entrèrent pas avec l'époux : « Recherchez la paix avec tous, et la sainteté sans laquelle nul ne verra le Seigneur». (He 12,14) Songez donc que si, sans la chasteté, il est impossible de voir le Seigneur, ce n'est pas à dire qu'avec la chasteté on doive nécessairement le voir : car souvent il y a un autre empêchement. Quand nous ferions toutes les autres bonnes oeuvres, si nous n'aidons pas le prochain, nous n'entrerons pas pour cela dans le royaume. Qu'est-ce qui le prouve? L'exemple des serviteurs auxquels avaient été confiés les talents. Un homme dont la vertu était sans reproche, à qui il ne manquait rien d'ailleurs, fut rejeté justement, parce qu'il avait montré de la mollesse à faire fructifier l'argent.

Pour une simple injure on peut tomber dans l'enfer : Celui qui dit à son frère : « Fou » sera soumis à la géhenne du feu... Eût-on toutes les vertus, si l'on est porté à l'injure, on n'entrera pas dans le royaume. Et qu'on n'aille pas accuser Dieu de cruauté parce qu'il en exclut ceux qui sont tombés dans cette faute: Parmi les hommes mêmes, l'homme qui a commis la plus légère prévarication, enfreint une seule des lois, est banni des regards du monarque. Celui qui a porté une accusation calomnieuse, perd sa charge ; celui qui a été surpris en adultère, devient indigne ; il périt, quelles qu'aient pu être ses bonnes oeuvres ; s'il a commis un meurtre et qu'il soit dénoncé, cela suffit pour le perdre. Que si les lois des hommes sont protégées avec tant de sollicitude, à combien plus forte raison celles de Dieu ! Mais il est bon, direz-vous. Jusques à quand proférerons-nous cet absurde propos ? Je dis absurde, non que Dieu ne soit pas bon, mais parce que nous croyons que sa bonté peut nous être en cela utile à quelque chose, malgré tout ce que nous avons pu dire à mille reprises sur ce sujet. Ecoutez ces mots de l'Ecriture : « Ne dites pas : Son infinie miséricorde pardonnera la multitude de mes péchés». (Qo 5,6) Il ne nous est pas défendu de dire : « Sa miséricorde est infinie » : à Dieu ne plaise ! (458) Ce n'est pas cela qui nous est recommandé, bien au contraire : nous devons le dire et le répéter sans cesse, et Paul fait tous ses efforts pour cela. L'Ecriture a en vue ce qui suit: Ne vous confiez pas, dit-elle, à la bonté de Dieu pour pécher, et pour dire : « Sa miséricorde pardonnera la multitude de mes péchés».

404 4. En effet, si nous vous entretenons si souvent nous-mêmes de la bonté divine, ce n'est pas pour que nous y comptions au point de tout nous permettre, car alors cette bonté deviendrait le fléau de notre salut, c'est pour quo nous ne désespérions pas dans nos péchés, et que nous fassions pénitence. C'est au repentir que vous pousse la bonté de Dieu, et non à des fautes nouvelles. Si la bonté divine vous déprave, vous ne faites que la compromettre aux yeux des hommes: tant on rencontre de gens . qui accusent la longanimité de Dieu. Vous serez donc punis, si vous en usez autrement qu'il ne faut. Dieu est bon ? Oui, mais il est équitable dans ses jugements. Il pardonne les péchés ? Oui, mais il rend à chacun selon ses oeuvres. Il passe par-dessus les iniquités, il efface les fautes ? Oui, mais il les compté. Mais n'y a-t-il pas contradiction? Non, seulement il s'agit de distinguer les temps. Dieu efface les iniquités ici-bas par le baptême et la pénitence, il pèse là-haut nos actions avec le feu et les tortures. Mais, dira-t-on, si peu de péchés, si un seul suffit pour me faire rejeter et exclure du royaume, pourquoi ne pas m'abandonner à tous les vices? C'est le langage d'un serviteur ingrat : néanmoins nous ne le laisserons point sans réponse. Ne faites pas le mal, dans votre propre intérêt :car si nous (levons être tous également exclus du royaume, nous ne serons pas tous également punis dans la géhenne; il y aura des degrés dans le châtiment. Si vous et lui, vous avez bravé l'un et l'autre les commandements, vous serez exclus pareillement du royaume à quelque degré que vous vous soyez rendus coupables : mais si votre témérité n'a pas été égale, si elle a été plus grande chez l'un, moindre chez l'autre, cette différence se retrouvera dans les tourments de la géhenne.

Pourquoi donc, dira-t-on, ceux qui ne font pas l'aumône sont-ils menacés de s'en aller dans le feu, et non-seulement dans le feu, mais dans le feu préparé pour le diable et pour ses anges ? Pourquoi, pour quelle raison ? Parce que rien n'irrite Dieu, comme l'injustice commise envers des amis. En effet, s'il faut aimer ses ennemis, celui qui se détourne même de ceux qui l'aiment, et qui en cela se montre pire que les païens eux-mêmes, quel châtiment ne méritera-t-il point ? De sorte que c'est justement qu'un péché pareil envoie son auteur rejoindre le diable. Car il est écrit : Malheur à qui ne fait pas l'aumône ! S'il en était ainsi au temps de l'ancienne loi,.à plus forte raison en est-il de même dans celui du Nouveau Testament. Si à une époque où il était. permis de posséder de l'argent, d'en jouir, d'y veiller, la Providence tenait tellement à ce que les pauvres fussent assistés, à combien plus forte raison doit-il en être ainsi, depuis qu'il nous est- ordonné de renoncer à tout ! Que ne faisait-on point alors ! On payait des dîmes, et de doubles dîmes : on venait en aide aux orphelins, aux veuves, aux étrangers... Et l'on vient me dire avec admiration: Un tel donne la dîme. N'est-ce pas. un grand sujet de honte que ce qui n'excitait point d'admiration chez les Juifs, en cause, quand il s'agit de chrétiens? S'il y avait danger alors à ne pas acquitter la dîme, songez quel doit être aujourd'hui le péril. L'ivrognerie également, est exclue du. royaume. Mais quel est le langage de la multitude ? Eh bien ! dit-on, si un tel a le même sort que moi, ce ne sera pas pour moi une faible consolation. Que répondre à cela ? D'abord que votre châtiment ne sera pas le même, à tous deux et que d'ailleurs, il n'y a pas là de consolation. C'est une consolation que de souffrir en compagnie, quand les épreuves sont modérées : mais quand elles sont extrêmes et nous mettent hors de nous, la douleur ne nous permet plus de goûter cette consolation. Dites à celui qu'on torture et qu'on a fait monter sur le bûcher : Un tel endure le même supplice : cette consolation le trouvera insensible. Est-ce que tous les Israélites n'ont pas péri en même temps ? En quoi s'en trouvèrent-ils consolés ? et au contraire, ne fut-ce point pour eux un surcroît de douleur? Aussi disaient-ils: Nous sommes perdus, exterminés, anéantis. Où voyez-vous une consolation? C'est en vain que nous recourons pour nous consoler à ces suppositions. Il n'y a qu'une consolation : C'est de ne pas tomber au feu inextinguible : une fois qu'on y est, plus de consolation : partout les grincements de dents, les pleurs, le ver qui ne meurt point, le feu inextinguible. Sentirez-vous, je vous le demande, (459) aucun soulagement, au milieu d'une telle détresse et de pareilles angoisses ? Ah ! vous aurez sans doute alors tout votre sang-froid !

Je vous en prie et vous en conjure, ne nous faisons point à nous-mêmes ces illusions, ne nous consolons point par de tels discours, mais faisons les choses qui peuvent nous sauver. Il vous est offert d'aller vous asseoir auprès du Christ, et voilà de quoi vous vous occupez ! Quand bien même vous n'auriez pas commis d'autre péché, à quel châtiment ne vous exposeriez-vous pas en proférant de telles paroles, en vous montrant nonchalants, insensés et négligents, au point de tenir ce langage quand une récompense pareille vous est proposée ? Oh ! quels ne seront pas vos gémissements, quand vous entendrez alors appeler au royaume et aux honneurs ceux qui auront fait le bien ! quand vous verrez d'anciens esclaves, des hommes de basse naissance, appelés à partager éternellement le trône royal, pour prix de quelques épreuves endurées ici-bas ! Ce spectacle ne sera-t-il pas pour vous pire que le supplice ? Si dans ce monde l'élévation de certains hommes vous semble plus douloureux que le plus cruel châtiment, bien que vous n'ayez rien à souffrir, si ce spectacle suffit pour vous torturer, vous arracher des gémissements et des larmes, et vous faire trouver mille morts douces en comparaison, quelle ne sera pas alors votre souffrance ? S'il n'y avait pas d'enfer, l'idée même du royaume ne serait-elle pas suffisante pour faire votre supplice ? Et qu'il en sera ainsi, c'est ce que l'expérience nous révèle assez. Cessons donc de nous abuser nous-mêmes avec de telles paroles, veillons, songeons à notre salut, pratiquons la vertu, et excitons-nous nous-mêmes aux bonnes oeuvres, afin que nous soyons jugés dignes d'obtenir cette gloire incomparable en Jésus-Christ Notre-Seigneur.



Chrysostome sur Eph 300