Chrysostome sur Eph 900

HOMÉLIE 9 - Ep 4,1-3: JE VOUS CONJURE DONC, MOI, CHARGÉ DE LIENS POUR LE SEIGNEUR, DE MARCHER

900
D'UNE MANIÈRE DIGNE DE LA VOCATION A LAQUELLE VOUS AVEZ ÉTÉ APPELÉS, AVEC TOUTE HUMILITÉ ET TOLITE MANSUÉTUDE, AVEC TOUTE PATIENCE, VOUS SUPPORTANT MUTUELLEMENT EN CHARITÉ; APPLIQUÉS A CONSERVER L'UNITÉ D'ESPRIT PAR LE LIEN DE LA PAIX. (
Ep 4,1-3)

Analyse

1-3. Eloge des tribulations. — De l'humilité.
4. De la charité.

901 1. On a vu le pouvoir de la chaîne de Paul pouvoir immense, supérieur en éclat aux miracles. Ce n'est donc pas sans raison qu'il en parle en cet endroit : il ne voit pas de meilleur moyen pour faire rentrer en eux-mêmes ceux à qui il s'adresse. Que dit-il donc? « Je vous conjure, moi, chargé de liens pour le Seigneur, de marcher d'une manière digne de la vocation à laquelle vous avez été appelés ». Comment cela? « Avec toute humilité et toute mansuétude, vous supportant mutuellement en charité ». Ce qui est beau, ce n'est pas d'être chargé de liens, c'est d'être chargé de liens pour le Christ. Voilà pourquoi il dit : « Chargé de liens pour le Seigneur, c'est-à-dire pour le Christ ». Rien n'égale un tel sort. Mais voilà que cette chaîne nous écarte de plus en plus de notre sujet, nous entraîne, sans que nous ayons la force de résister; mais nous nous laissons entraîner librement, volontairement; et plût à Dieu que toujours il nous fût permis de parler de la chaîne de Paul ! Mais n'allez pas vous endormir : une nouvelle question surgit. Paul, faisant son apologie, dit à Agrippa : « Plaise à Dieu qu'il ne s'en faillé ni peu ni beaucoup; que non-seulement vous, mais encore tous ceux qui m'écoutent, deveniez aujourd'hui tels que je suis moi-

1 L'édition d'Oxford (1862) nous a été utile pour la solution de plusieurs difficultés dans la traduction de cette homélie et des suivantes.

même, à l'exception de ces liens ! » (
Ac 26,29) S'il parle ainsi, ce n'est pas qu'il regarde ses liens comme un juste objet d'effroi : à Dieu ne plaise ! En effet, s'il en jugeait ainsi, il ne se glorifierait point de ses chaînes, de ses captivités, de ses autres tribulations; il n'écrirait point : « Je me glorifierai avec délices dans mes infirmités ». (2Co 12,9) Mais encore? Ceci même est une preuve du cas qu'il faisait des chaînes. Ainsi que dans son épître aux Corinthiens, il disait : « Je vous ai donné du lait à boire, et non des aliments, car vous n'étiez pas encore en état » (1Co 3,2) ; de même ici il s'adresse à des gens incapables de comprendre la beauté, la magnificence, l'utilité des chaînes. Voilà pourquoi il dit : « A l'exception de ces liens ». Ce n'est pas ainsi qu'il parle aux Hébreux : loin de là, il les exhorte à se faire enchaîner avec ceux qui sont dans les fers. — Aussi lui-même se complaisait-il dans ses liens; aussi se faisait-il enchaîner et conduire en prison avec les autres captifs. Grand est le pouvoir de la chaîne de Paul : c'est un spectacle qui vaut tous les autres, que de voir Paul enchaîné et tiré de sa prison. Le voir enchaîné et assis dans son cachot, n'est-ce pas une incomparable joie, un avantage inappréciable?

Vous voyez, n'est-ce pas? les monarques, les consuls, traînés sur des chars, tout couverts d'or, et comme eux, leurs satellites, avec des lances d'or, des boucliers d'or, des rênes (486) dorées, des chevaux enharnachés d'or. Combien le spectacle qui est sous nos yeux n'est-il pas plus attrayant! J'aimerais mieux avoir vu une fois Paul sortir du cachot, avec les prisonniers, que de voir mille fois ces grands personnages au milieu de leur cortège. Combien d'anges devaient le précéder dans cette glorieuse sortie? La preuve que je ne vous en impose pas, je l'emprunterai à une antique histoire. Elisée, le prophète (sans doute il ne vous est pas inconnu), à l'époque où le roi de Syrie était en guerre avec le roi d'Israël, révélait, sans sortir de chez lui, tout ce que le premier de ces princes méditait de concert avec ses confidents, et déjouait ainsi ses desseins, en divulguant ses secrets, et en empêchant les Juifs de tomber dans ses filets. Cela tourmentait le roi ; il était chagrin, et dans un grand embarras, ne pouvant deviner celui qui le trahissait et paralysait tous ses efforts. Comme il ne savait que penser, et cherchait l'origine de ces indiscrétions, un de ses gardes lui dit qu'il y avait, à Samarie, un prophète du nom d'Elisée, lequel, sans laisser au roi le temps de mûrir un projet, se hâtait de tout divulguer. L'autre pensa tenir son affaire mais voyez quelle était sa scélératesse ! Au lieu d'honorer cet homme, d'admirer ce pouvoir étrange qui le rendait capable de pénétrer de si loin, par la seule force de son esprit, tout ce qui se passait dans le conseil du roi; saisi de colère, et tout entier à sa fureur, il forme un corps de cavaliers et de fantassins, qu'il charge de lui amener le prophète. Elisée avait un disciple qui n'était point encore admis à prophétiser, parce qu'il ne paraissait point digne encore de prêter sa bouche à de telles révélations. Les soldats du roi parurent tout à coup devant lui, dans l'intention de le charger de liens, lui, ou plutôt le prophète. Voilà que nous retombons sur le sujet des chaînes. Que faire? C'est comme le tissu même de tout ce discours. Le disciple, en apercevant tant de soldats, accourt tout ému, tout tremblant, auprès de son maître, lui annonce le péril inévitable qu'il court, et ce qu'il regarde, lui, comme un grand malheur. Le prophète se mit à rire, en le voyant s'effrayer de si peu, et l'exhorta à la confiance. Mais l'autre, encore novice, ne se laissa pas convaincre ; toujours troublé de ce qu'il avait vu, il persistait à donner l'alarme. Que dit alors le prophète? « Seigneur, dit-il, ouvrez les yeux de ce petit enfant, et qu'il voie » (2R 6,17) que nous avons plus d'alliés que ces hommes. Et aussitôt le disciple voit toute la montagne où le prophète habitait alors se couvrir de chars et de chevaux de feu. Ce n'était autre chose qu'une armée d'anges.

902 2. Que si Elisée, pour cela seul, fut secondé par une si nombreuse escorte d'anges, que dut-ce être pour Paul? De là encore ce mot du prophète David : « L'ange du Seigneur environnera ceux qui le craignent » ; et encore : « Ils te soulèveront dans leurs mains, de peur que ton pied ne vienne à heurter contre les pierres ». (Ps 33,8-9 Ps 33,12) Que dis-je, les anges? Le Seigneur lui-même lui faisait cortège à sa sortie. Car s'il se montrait à Abraham, comment n'aurait-il pas été avec Paul ? Ecoutez plutôt sa promesse : « Je suis avec vous tous les jours jusqu'à la consommation du siècle ». (Mt 28,20) Puis, après lui avoir apparu, il lui dit : « Ne crains pas, mais parle, parce que je suis avec toi, et que personne ne t'attaquera pour te maltraiter ». (Ac 18,9) En songe, encore, il lui apparaît, et lui dit: « Aie confiance; car de même que tu as témoigné sur moi, à Jérusalem, il faut aussi que tu témoignes pareillement à Rome ». (Ac 23,11) Toujours les saints sont dignes d'admiration et riches de grâces, mais jamais autant que lorsqu'ils sont en péril pour le Christ, lorsqu'ils sont prisonniers. De même qu'un brave soldat est toujours un spectacle agréable pour ceux qui le considèrent, mais principalement quand il est à son poste et combat à côté de son roi : de même, représentez -vous quelle était la grandeur de Paul, enseignant tout chargé de fers. Dirai-je la pensée qui me vient chemin faisant? Le bienheureux martyr Babylas fut chargé de liens, et cela pour le même motif que Jean, pour avoir repris un roi pécheur. En mourant, il recommanda qu'on l'ensevelît avec ses liens et que son cadavre demeurât enchaîné dans le tombeau : encore aujourd'hui, ses entraves reposent avec sa cendre. Tel était son amour pour les chaînes du Christ. « Son âme traversa le fer », dit le prophète, en parlant de Joseph. (Ps 104,18) Que dis-je? des femmes mêmes ont porté ces chaînes; mais nous, l'on ne nous enchaîne pas. Je ne vous y pousse donc point, puisque le temps ne le comporte pas : mais si vous ne liez point vos mains, liez votre coeur. Il y a des chaînes (487) d'un autre genre; ceux qui ne portent point celles des martyrs peuvent en porter d'autres. Ecoutez ce que dit le Christ : « Liez ses mains et ses pieds ». (Mt 22,13) Renonçons donc à faire l'expérience des premières chaînes, et souhaitons seulement d'être tout chargé de celles-ci. De là ces mots : « Moi, chargé de liens pour le Seigneur, je vous conjure de marcher d'une manière digne de la vocation à laquelle vous avez été appelés ». Et encore : « Nous avons pour chef le Christ » Car le Christ nous a ressuscités et fait asseoir avec lui dans les cieux, bien que nous fassions ses ennemis et lui ayons fait mille maux. — Grande et précieuse est cette vocation, non-seulement à cause de notre bassesse antérieure, mais encore à cause du rang où elle nous élève, et de la manière dont elle a eu lieu.

Mais comment marcherons-nous d'une manière digne ? Si nous marchons « en toute humilité ». Celui qui marche ainsi, marche dignement : voilà le principe de toute vertu.. Si tu es humble, et que tu songes à la manière dont a été, opéré ton salut, ce souvenir est pour toi une excitation à la vertu : tu ne songes plus à tirer vanité des chaînes, ni des choses mêmes que j'ai dites ; mais, instruit que tout vient de la grâce, tu sais rentrer en toi-même. Celui qui est humble, est capable de devenir un serviteur plein de reconnaissance et de gratitude... « Qu'as-tu, dit Paul, que tu n'aies « reçu ? » Et écoutez-le dire encore : « Plus qu'eux tous, j'ai travaillé, non pas, moi, toutefois, mais la grâce de Dieu qui est avec moi ». (1Co 4) « Avec toute humilité », non pas seulement en paroles, ni en actions seulement, mais tout à la fois dans les démarches et dans: les discours; et pas davantage, humble vis-à-vis de hun, confiant avec l'autre : sois humble avec tous, amis ou ennemis, petits ou grands : voilà l'humilité. Jusque dans les bonnes oeuvres, sois humble ; n'est-ce pas le Christ qui nous dit : « Bienheureux les pauvres d'esprit » (Mt 5,3), et met cela en première ligne? Voilà pourquoi Paul écrit : « Avec toute humilité, toute mansuétude, toute patience ».. En effet, on peut être humble, et tout ensemble, prompt ou emporté; alors c'est en vain car souvent la colère nous fait lotit perdre. « Nous supportant, les uns les autres en charité ». Et comment supporter autrui, si l'on est emporté et prompt à l'injure? De quelle façon maintenant? « En charité », ajoute Paul. Si vous ne supportez pas le prochain, comment Dieu vous supportera-t-il? Si vous ne savez pas supporter votre compagnon de servitude, comment le Maître pourra-t-il vous supporter? Où il y a charité, tout devient tolérable. « Appliqués à conserver l'unité d'es« prit par le lien de la paix ». Liez-vous donc les mains par la douceur. Encore ce beau nom, les liens ; nous lui avons dit adieu, et voici qu'il revient de lui-même. Ils sont beaux, les liens dont nous parlions : ceux-ci le sont de même, et les uns proviennent des autres. Unissez-vous à votre frère : une telle union fait tout supporter sans peine, grâce à la charité. Unissez-vous à lui, et lui à vous; ces deux choses sont entre vos mains : je fais mon ami de celui que je désire avoir pour ami. « Vous appliquant ». Il montre que ce n'est pas une chose toute simple, ni le fait du premier venu. « Vous appliquant à conserver l'unité d'esprit ».

903 3. Qu'est-ce que l'unité d'esprit? De même que dans le corps il y a un souffle qui maintient l'union du tout, et fait un corps avec des membres disparates, c'est la même chose ici. Si l'esprit nous a été donné, c'est afin d'unir ceux que séparait la différence d'origine ou d'habitudes: Vieillard et jeune homme, pauvre et, riche, enfant et adolescent, homme et femme, tous. enfin, deviennent un seul tout, quelque chose; de plus qu'un corps unique. Car cette harmonie spirituelle est plus parfaite que l’autre, cette union est plus étroite encore. La fusion des âmes est d'autant plus complète, qu'elle n'admet ni division ni distinction de parties. Et comment se maintient-elle? « Par le lieu de la paix ». Elle ne saurait subsister dans l'inimitié, dans la discorde. « Là où il y a des querelles parmi vous », est-il écrit, « des jalousies et des dissensions, n'êtes-vous pas charnels, et ne marchez-vous pas selon l'homme? » (1Co 3,3) Ainsi que le feu, s'il a affaire à du bois sec, fait de tout un immense bûcher, tandis que l'humidité s'oppose à ses progrès et à cette réunion ; rien de froid ne -peut contribuer à l'unité dont je parle ; c'est. en général le propre de ce qui est lardent. Voilà d'où naît le feu de la charité : c'est par le lien de la paix que Paul veut nous unir tous. Si vous vouliez vous attacher. à une autre personne, vous ne (488) pourriez vous y prendre autrement, qu'en la rapprochant de vous ; si vous vouliez qu'un même lien vous unit, il faudrait commencer par vous l'attacher: c'est ainsi qu'il veut que nous soyons unis les uns aux autres; il ne nous demande pas seulement de vivre en paix, de nous aimer, mais de n'avoir pour tous qu'une seule âme. Noble lien ! servons-nous en pour nous unir et à Dieu et ara prochain. Il n'y a point de gêne, de tourment pour les bras qui en sont chargés; tout au contraire, on se sent alors en repos, au large, et plus content que ceux qui sont en liberté. Le fort, uni au faible, le soutient et empêche sa perte; uni avec le nonchalant, il le ranime. « Le frère, secouru par son frère, est comme une ville forte ». (Pr 18,19) Cette chaîne-là, l'éloignement n'y est pas un obstacle, ni le ciel, ni la terre, ni la mort, ni quoi que ce soit; elle est plus forte que tout, elle triomphe de tous. Enfantée par une âme, elle est capable d'en embrasser mille. Ecoutez ce que dit Paul : « Vous n'êtes pas à l'étroit dans notre coeur ». (2Co 6,12) Elargissez-vous de même.

Maintenant, qu'est-ce qui peut rompre ce lien? L'amour des richesses, du pouvoir, de la gloire et autres choses pareilles : voilà ce qui le détend et le rompt. Comment donc faire, afin qu'il ne se brise point? Il faut éloigner ces passions, et écarter tout ce qui peut mettre obstacle à la charité ou l'altérer. N'est-ce pas le Christ qui dit : « Quand l’iniquité se sera multipliée, la charité du grand nombre se refroidira ». (Mt 24,12) Rien n'est si contraire à la charité que le péché : je ne dis pas seulement à la charité envers Dieu, mais même à celle qui a pour objet le prochain. Comment donc la paix petit-elle régner entre des voleurs, dira-t-on? Quand ? dites-moi. C'est lorsqu'ils ne font pas leur métier de voleurs. En effet, si dans les partages qu'ils font entre eux, ils cessent d'observer les lois de la justice, et de rendre à chacun ce qui lui appartient, vous retrouvez aussitôt parmi eux la discorde et la guerre. — Il n'y a donc pas de paix possible entre les méchants : au contraire, on la trouve partout où règnent la justice et la vertu: Voyons encore : La paix peut-elle régner entre amants qui sont rivaux ? Nullement. Quel exemple voulez-vous encore? Entre usurpateurs point de paix possible : s'ils n'étaient pas justes et modérés les uns à l'égard des autres, s'ils se faisaient tort mutuellement, leur race serait anéantie. Voyez deux bêtes féroces que la faim tourmente : s'il n'y a pas d'autre aliment offert à leur avidité, elles se dévorent mutuellement : il en serait de même pour les avares et les méchant.... Ainsi donc, pour que la paix règne, il faut que la vertu règne d'abord. Composons une cité, si vous le voulez, exclusivement d'hommes injustes, tous égaux en dignité: qu'il n'y ait point de juge pour punir l'iniquité, et que tous la commettent également : est-ce qu'une ville semblable pourrait subsister? Aucunement. Et entre adultères, la paix est-elle possible? Vous n'en trouverez pas deux qui soient unis. La désunion n'a donc pas d'autre cause que le refroidissement de la charité : et la cause du refroidissement de la charité, c'est la multiplication des fautes. Car le péché engendre l'amour-propre; il divise, il déchire le corps; il relâche, il brise le lien... La vertu, au contraire, là où elle se trouve, a des effets tout opposés: car l'homme vertueux est invincible, par exemple, à la cupidité. De sorte que mille pauvres peuvent vivre en paix, et que cela est impossible à deux hommes cupides.

904 4. En conséquence, si nous sommes vertueux, la charité ne périra point : car la charité engendre la vertu ; et la vertu, la charité. Comment cela, je vais le dire. L'homme vertueux ne fait point passer l'argent avant l'amitié; il n'est point enclin su ressentiment, il ne fait pas tort au prochain : il n'est point insolent, il est courageux dans l'adversité. Tout cela engendre la charité; et, d'autre part, celui qui aime prend toutes ces qualités. Ainsi ces deux choses se produisent mutuellement. Nous trouvons la preuve que la vertu donne naissance à la charité dans ce que dit l'Ecriture : « Quand l'iniquité se sera multipliée, la charité se refroidira ». Et en cet autre passage : « Celui qui aime le prochain a accompli la loi » (Rm 13,8), nous avons la preuve que la vertu vient de la charité. De sorte qu'il suffit d'être une de ces deux choses : ou très-aimant et aimé, ou très-vertueux. En effet, celui en qui se trouve une de ces choses possède l'autre nécessairement : et, au contraire, celui qui ne sait pas aimer ne fera que le mal : celui qui fait le mal, est incapable d'aimer. Recherchons donc la charité : c'est un rempart qui nous préserve de tout mal; (489) unissons-nous, qu'il n'y ait nulle ruse, nulle dissimulation entre nous. On ne trouve rien de pareil, là où règne l'amitié. Un autre sage l'a dit: « Quand vous aurez tiré l'épée contre un ami, ne désespérez pas ; car il y a encore du retour. Quand vous aurez ouvert la bouche contre votre ami, ne vous découragez pas : car il y a encore une réconciliation possible, pourvu qu'il n'y ait ni injures, ni révélation de secret, ni coup porté en trahison ». (Qo 22,26) Voilà ce qui met en fuite l'amitié : la révélation d'un secret, dit le texte. Mais si nous sommes tous amis, il n'y a pas même besoin de secrets; si l'on n'a pas de secrets avec soi-même, s'il est impossible de se rien cacher, il doit en être ainsi avec les amis. Or, s'il n'y a pas de secrets, voilà un motif de rupture supprimé. Si nous avons des secrets, c'est faute de nous fier à tout le monde : c'est donc le refroidissement de la charité qui a fait les secrets. Pourquoi un secret? Veux-tu faire tort au prochain, ou l'empêcher de faire quelque profit, et te caches-tu de lui pour cette raison ? Mais il n'y a rien de pareil : et tu rougis? C'est donc un signe que tu manques de confiance.

S'il y a charité, il n'y aura donc pas de révélation de secret : il n'y aura pas davantage d'injures. Dites-moi, en effet, qui pourrait injurier son âme? On ne pourrait agir ainsi que pour lui être utile : c'est ainsi que nous faisons des reproches aux enfants, afin de les humilier. Et si le Christ autrefois éleva la voix contre certaines villes, en disant : « Malheur à toi, Chorazin, malheur à toi, Bethasaïda! » (Lc 10,13), c'était afin de les tirer de l'opprobre. En effet, rien n'est plus capable de toucher un coeur, de le réveiller, de le ranimer. Abstenons-nous donc de reproches inutiles. Quoi donc ! irez-vous vous plaindre pour une somme d'argent? Nullement, si vous n'avez, à vous tous, qu'une fortune. On encore pour des fautes? pas même pour ce motif vous,corrigerez plutôt... Le texte ajoute : « Ni coup porté en trahison ». Quoi donc ! on se tuera soi-même? Qui frappera? Personne. Recherchons donc la charité. L'Ecriture ne dit pas simplement : Pratiquons, mais : Recherchons. Il faut beaucoup de zèle : la charité avait disparu, elle est prompte à la retraite. Il y a tant de choses en ce monde qui lui font la guerre. Si nous courons à sa poursuite, elle ne pourra nous échapper, nous l'attraperons sur-le-champ. La charité de Dieu a uni le ciel et la terre; la charité de Dieu a fait asseoir l'homme sur le trône royal; la charité de Dieu a montré Dieu sur la terre; la charité de Dieu a converti le maître en serviteur; la charité de Dieu a fait que le Bien-Aimé a été livré pour les ennemis, le Fils pour les rebelles, le Maître pour les serviteurs, Dieu pour les hommes, celui qui est libre pour les esclaves: et elle ne s'est pas arrêtée là; elle nous a encore conviés plus haut. Non-seulement elle nous a délivrés de nos maux, niais elle nous a fait des promesses encore bien plus magnifiques. Remercions Dieu de tous ces bienfaits, et mettons-nous à la poursuite de toutes les vertus: avant tout soyons exactement fidèles au précepte de la charité, afin d'être jugés dignes des biens qui nous sont promis, par la grâce et la bonté de Notre -Sei rieur Jésus-Christ, avec qui gloire, puissance, honneur au Père et au Saint-Esprit, maintenant et toujours, et dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.



HOMÉLIE 10 - Ep 4,4: SOYEZ UN SEUL CORPS ET UN SEUL ESPRIT COMME VOUS AVEZ ÉTÉ APPELÉS

1000 A UNE SEULE ESPÉRAINCE DANS VOTRE VOCATION. (Ep 4,4)

Analyse.

1. Sur l'unité de l'Eglise.
2 et 3. Tableau pathétique de ses maux actuels : exhortation à la pénitence.

1001 1. Lorsque le bienheureux Paul arrive à une exhortation d'importance majeure, cet homme si sage, si favorisé des dons de l'Esprit, prend son point de départ dans les cieux, fidèle en cela aux leçons données par te Seigneur. C'est ainsi qu'il dit dans un autre endroit : « Marchez dans l'amour comme le Christ nous a aimés et s'est livré lui-même pour nous » (Ep 5,2); et ailleurs encore : « Ayez en. vous les sentiments qu'avait en lui le Christ Jésus, qui, étant dans la forme de Dieu, n'a pas cru que ce fût une usurpation de se faire égal à Dieu ». (Ph 2,5) Il fait la même chose ici. Devant les grands exemples exposés à sa vue, son zèle, son ardeur redoublent. Que dit-il, pour nous exhorter à l'unité? « Soyez un seul corps et un seul esprit, comme vous avez été appelés à une seule espérance dans votre vocation. Il y a un seul Seigneur, une seule foi, un seul baptême». Qu'est-ce que ce corps unique? Les fidèles du monde entier, ceux qui le sont devenus, ceux qui le deviendront. De même pour ceux qui ont été agréés, même avait la venue du Christ. Comment cela? parce qu'ils connaissaient, eux aussi, le Christ. En voici la preuve : « Abraham, votre père, a tressailli pour voir mon jour; il a vu et il s'est réjoui ». (Jn 8,56) Et encore : « Si vous croyiez à Moïse, vous croiriez sans doute à moi aussi, parce que c'est de moi qu'il a écrit » (Jn 5,39); et les prophètes pareillement. Ils n'auraient pas écrit de lui, sans savoir ce qu'ils disaient : ils le connaissaient, partout ils l'adoraient. Ceux-ci donc aussi forment un seul corps. Le corps n'est point séparé de l'esprit, sans quoi ce ne serait pas un corps. Pareillement, nous avons coutume de dire en parlant des choses qui forment une unité, un enchaînement parfait : C'est un seul corps. C'est ainsi que dans l'union nous ne formons qu'un corps pour une tête. S'il n'y a qu'un corps, qu'une tète, le corps est composé de membres nobles et d'autres qui ne le sont pas. Ce n'est pas à dire que le meilleur essaie d'opprimer le moindre, ni que le moindre porte envie au meilleur. D'ailleurs tout ne contribue point pour une part égale, mais seulement à proportion de la nécessité. Et parce que tout est nécessaire et sert à divers usages, tout est égal en dignité. Néanmoins l'importance varie : ainsi la tête domine tout le corps, attendu qu'en elle est le siège de toutes les sensations et du gouvernement de l'âme : sans tête on ne peut vivre : au contraire bien des hommes ont vécu longtemps après qu'on leur avait coupé les pieds. Ce n'est donc pas seulement par sa position que la tête est supérieure, c'est encore par ses fonctions et son rôle.

Où veux-je en venir? Il y a dans l'Eglise bon nombre d'hommes qui s'élèvent en haut comme la tête, et contemplent les choses célestes comme les yeux de la tête, qu'un vaste intervalle sépare de la terre, qui n'ont rien de commun avec elle : d'autres jouent le rôle des pieds, de pieds saints toutefois, et foulent le sol. Ce qui est honteux pour les pieds, ce n'est (491) pas de fouler la terre, mais bien de courir au vice: « Ses pieds courent vers le vice » (Is 59,7), est-il écrit. C'est-à-dire : que les yeux ne dédaignent point les pieds, que les pieds ne soient pas jaloux des yeux. Autrement chacun compromettrait la beauté qui lui est propre, et mettrait obstacle à l'accomplissement de sa fonction particulière; et ce serait à bon droit : car vouloir nuire au prochain, c'est vouloir se nuire à soi-même. Si donc les pieds ne voulaient point porter la tête à l'endroit où elle doit se rendre, ils se nuiraient à eux-mêmes par leur paresse et leur fainéantise ; et si la tête refusait de s'occuper des pieds, elle serait la première atteinte.

Mais ces organes, dira-t-on, ne se font pas mutuellement la, guerre pour une bonne raison: la nature le veut ainsi. Maintenant, comment est-il possible qu'un homme ne fasse pas la guerre à un homme? Cela ne se voit pas d'hommes à anses, ni d'anges à archanges : les brutes, d'autre part, sont incapables de me traiter avec dédain. Mais la où la nature met des prérogatives égales, où le privilège est unique, et la répartition parfaite, comment n'y aurait-il pas de discorde? C'est justement pour cela que vous ne devez pas faire la guerre au prochain. Si tout est commun, si l'égalité est parfaite, d'où viendrait l'orgueil ? Nous participons de la même nature, corps et âme tout à la fois, nous respirons le même air, nous mangeons les mêmes aliments. Pourquoi nous ferions-nous la guerre ? Peut-être la pensée que nous pouvons, par la vertu, triompher des puissances incorporelles, est-elle propre à nous inspirer de l'orgueil? Non, ce n'est pas là de l'orgueil. Quant à moi, je brave, comme de juste, le démon, je le brave et le méprise. Considérez à quel point Paul méprisait le démon. Quand le démon parlait de lui en termes magnifiques, il lui ferma la bouche, incapable de tolérer même ses flatteries. La jeune fille qui avait. un esprit de python, disait : «Ces hommes sont des serviteurs du Dieu Très-Haut, qui vous annoncent la voie du salut ». Paul, par une réprimande sévère, ferme cette bouche impudente. (Ac 16,17) Ailleurs encore il écrit : « Dieu écrasera Satan sous vos pieds promptement ». La différence de nature y lit-elle quelque chose ?

1002 2. Voyez-vous bien que la différence de nature est sans effet, que la volonté seule est efficace? Or, par la volonté, les démons sont inférieurs à tout. Mais un ange? dira-t-on, je ne saurais lui tenir tête : trop grande est la distance qui nous sépare. Eh bien ! vous ne devez pas plus tenir tête à un homme qu'à un ange. Ce qui distingue l'ange de vous, c'est sa nature, laquelle ne saurait créer ni un mérite, ni un sujet de reproche : entre homme et homme au contraire, il n'y a pas de différence de nature; toute différence vient de la volonté. Par conséquent, si vous ne vous révoltez pas contre les anges, à plus forte raison ne devez-vous pas vous révolter contre les hommes qui sont devenus anges en dépit de leur nature. Supposez, en effet, qu'il y ait un homme aussi vertueux que sont les anges, il sera à une plus grande distance au-dessus de vous que l'ange lui-même. Pour quelle raison? Parce que ce qui chez l'un est un simple don de la nature est chez l'autre une conquête du libre arbitre. De plus, l'ange est séparé de vous par les cieux, il habite le ciel; tandis que l'autre vit avec vous et fions donne un sujet d'émulation. Mais que dis-je? un tel homme est placé plus loin de vous que les anges eux-mêmes. Il est écrit en effet : « Notre séjour est dans les cieux ». (Ph 3,20) Maintenant, pour vous convaincre que la distance est plus grande, écoutez où le chef est assis : Sur le trône royal, dit l'Evangile. Donc un tel homme est séparé de nous par toute la distance qui nous sépare du trône royal. Mais la dignité à laquelle je le vois élevé n'est propre, direz-vous, qu'à exciter ma jalousie. Voilà ce qui a tout bouleversé, ce qui a enfanté mille troubles, non-seulement dans le monde, mais encore dans l’Eglise. Et comme des vents furieux déchaînés contre un port tranquille, y causent plus de désastres que tous les écueils et tous les passages difficiles : ainsi l'amour de la gloire n'a qu'à pénétrer quelque part pour tout confondre et tout bouleverser.

Vous avez vu plus d'une fois l'incendie dévorer de grands édifices : vous avez vu la fumée monter au ciel, et le feu tout embraser, tandis que chacun ne songe qu'à soi, au lieu de courir éteindre les flammes : souvent le désastre a pour spectatrice la ville tout entière, une foule de curieux qui ne s'inquiètent point de prêter main-forte, et n'ont d'autre occupation que de montrer du doigt à tous ceux qui surviennent le théâtre du fléau, les flammes qui s'échappent par les fenêtres, les poutres qui tombent, l'enceinte tout (492) entière arrachée de ses fondations et s'écroulant sur le sol. Un bon nombre, plus hardis, plus téméraires que les autres, ne craignent pas de s'approcher des bâtiments qui brûlent, non pour tendre la main aux habitants ou pour éteindre le feu, mais pour jouir du spectacle mieux à leur aise, pour être à portée de ne rien perdre des incidents qui échappent souvent aux curieux du dehors. Si par hasard il s'agit d'une maison grande et magnifique, on voit là un spectacle attendrissant, et qui arrache des larmes. Et c'est en effet un spectacle attendrissant que ces chapiteaux réduits en cendres, que ces colonnes brisées, les unes par l'action du feu, les autres par les mains de ceux qui les ont élevées, pour que l'incendie n'étende pas plus loin ses ravages. On voit alors ces statues qui naguère se dressaient avec tant de majesté, découvertes par la chute des lambris qui les protégeaient, et tristement exposées aux injures de l'air. Que dire des trésors renfermés dans la maison, des étoffes brochées d'or, des vases d'argent ? Les appartements où le maître pénétrait seul avec sa femme, le dépôt où était mis en réserve étoffes et,parfums, les écrins de pierres précieuses ; tant de serviteurs chargés d'offices différents ; tout ce que cette demeure contenait de richesses et d'habitants n'est plus qu'eau, feu, boue, poussière et poutres à demi brûlées.

Pourquoi rue suis-je étendu sur ce tableau? Ce n'est pas que j'aie voulu perdre mon temps à vous décrire un incendie: à quoi bon? Mais j'ai tâché de vous mettre sous les yeux, autant qu'il est en moi, les malheurs de l'Eglise. Pareils à un incendie véritable, ou à un carreau de foudre, ils atteignent le faîte même de l'Eglise, sans réveiller personne. La maison de nos pères est en feu : et nous dormons d'un sommeil profond, et nous ne nous apercevons de rien. Qui, en effet, n'a pas été atteint par ce feu? Quelle image est restée débout dans l'Eglise ? Car l'Eglise n'est pas autre chose qu'un palais bâti avec nos âmes. Mais ce palais n'est point également précieux dans toutes ses parties : parmi les pierres qui le constituent, il en est de belles et de brillantes, il en est de moins éclatantes et de moins précieuses, bien que supérieures encore à toute autre. Les uns, en bon nombre, jouent le rôle de l'or qui décore les lambris ; d'autres figurent les statues qui embellissent l'enceinte ; d'autres sont comparables à des colonnes. On peut, en effet, appeler de ce nom ces hommes dont le mérite ne gît pas seulement dans la constance, mais encore dans l'éclat que projette, pour ainsi dire, l'or de leurs chapiteaux. La foule enfin, est ce qui constitue toute cette vaste enceinte : elle est comme les pierres dont les murs sont formés.

1003 3. Mais il vaut mieux passer à une image plus belle. Notre Eglise n'est pas faite de pierres ordinaires, mais d'or, d'argent, de pierres précieuses : et l'or y est disséminé partout. Mais (ô larmes amères! ) la tyrannie de la vanité a consumé tout cela, comme une flamme dévorante, et rien n'a pu résister au fléau : nous restons là à regarder l'incendie, et nous ne sommes plus capables de l'éteindre. Et quand Lien même nous l'éteignons pour un instant, au bout de deux ou trois jours, une étincelle sortie de la cendre ruine tout, sans excepter ce qui avait été épargné jusque-là. La même chose se retrouve dans l'exemple que nous avons choisi : car ces accidents sont fréquents dans les incendies. L'origine du mal c'est que les colonnes mêmes de l'Eglise ont manqué par leurs fondements: ainsi ceux qui soutenaient le toit, et avaient assuré jusque-là la solidité de tout l'édifice, sont devenus la proie des flammes. Dès lors le feu a pu étendre rapidement ses ravages sur le reste des parois. Dans les incendies de maisons, la flamme une fois maîtresse des poutres, est plus forte contre les pierres ; et une fois les piliers abattus, jetés par terre, ce n'est plus une affaire que d'avoir raison de tout l'édifice... Quand les appuis, les soutiens des parties supérieures succombent, le reste les suit aussitôt et spontanément. Il en est de même aujourd'hui pour l'Eglise : le feu est partout. Nous recherchons les distinctions humaines, nous brûlons pour la gloire, et nous n'entendons pas Job qui nous dit :« Si, quand j'ai péché même involontairement, j'ai craint la multitude». (Jb 31,34) Voyez-vous cette âme vertueuse? Je n'ai pas rougi, nous dit Job, de déclarer devant la multitude mes péchés involontaires. Que s'il n'en rougissait pas, à plus forte raison devrions-nous faire comme lui. Car il est écrit : « Dis le premier tes iniquités, afin que tu sois justifié ». (Is 43,26)

Terrible est désormais la violence du fléau, tout est bouleversé, anéanti. Nous avons abandonné le service de Dieu pour celui de la (493) gloire; nous ne pouvons plus réprimander nos subordonnés, atteints que nous sommes. de la même maladie : nous-mêmes, nous avons besoin de remèdes, nous que Dieu a chargés de guérir les autres. Quel espoir de salut reste-t-il encore, quand les médecins eux-mêmes ont besoin des soins d'autrui ? Ce ne sont pas ici de vaines plaintes, ni des paroles en l'air: mon but est que nous tous, hommes, femmes, enfants, nous répandions de la cendre sur nos têtes, revêtions le cilice, jeûnions sans relâche, et que nous priions Dieu de nous tendre la main et d'éteindre l'incendie. Car nous en avons bien besoin de cette main puissante, de cette main miraculeuse. De notre côté, il faut que notre pénitence surpasse celle des Ninivites... « Encore trois jours et Ninive sera détruite ». (Jn 3,4) Terrible annonce, formidable menace ! Quelle attente que de se voir ensevelis au bout de trois jours sous les ruines de sa patrie, et enveloppés tous dans le même châtiment. Si la mort de deux enfants arrivant à la fois dans une maison paraît un malheur intolérable, si de tous les maux de Job aucun ne lui parut plus insupportable que cette chute d'un toit qui lui ravit d'un même coup tous ses enfants : que devait-ce être de se représenter, non pas une famille ni deux enfants, mais un peuple de cent vingt mille âmes écrasé sous les ruines de sa ville ? Vous comprenez l'horreur d'un tel désastre : il n'y a pas si longtemps que nous avons entendu, non les menaces d'un prophète (nous ne sommes pas dignes d'entendre une voix si sainte), mais d'autres menaces qui nous venaient du ciel avec un bruit plus retentissant que le son de la trompette.

« Encore trois jours et Ninive sera détruite ». Epouvantable menace ! Mais rien de pareil aujourd'hui. Il n'est plus question de trois jours, ni de la prochaine destruction de Ninive voilà bien des jours que l’Eglise universelle est abattue et gît sur le sol : tous sont également en proie au mal, et les chefs mêmes n'en sont pas exempts ; et cette infirmité des. .membres les plus indispensables est ce qui redouble l'intensité du mal.

Ne vous étonnez donc point, si je vous demande de faire plus que n'ont fait les Ninivites : ou plutôt, ce n'est pas seulement le jeûne que je vous prescris, je vous indique encore le remède qui a relevé cette ville au moment où elle succombait. Quel est ce remède? « Le Seigneur vit que chacun s'était détourné de ses voies d'iniquité, et il se repentit au sujet du mal qu'il avait menacé de leur faire ». Suivons cet exemple les uns et les autres; détournons-nous de l'avarice, de l'ambition, en priant Dieu de nous tendre la main et de redresser les membres qui ont défailli. Lé sujet de crainte n'est plus le même aujourd'hui. Alors c'étaient des pierres, des poutres qui allaient tomber, des corps qui allaient périr : il ne s'agit plus de cela, mais des âmes menacées du feu vengeur de l'enfer. Prions, confessons-nous, remercions Dieu pour les choses passées, prions-le pour l'avenir, afin que, délivrés du monstre terrible déchaîné parmi nous, il nous soit donné d'offrir nos actions de grâces au Dieu de bonté, au Dieu Père, avec qui gloire, puissance, honneur au Fils et au Saint-Esprit, maintenant et toujours, et dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.



Chrysostome sur Eph 900