Chrysostome sur Eph 2300

HOMÉLIE XXIII - Ep 6,14

SOYEZ DONC FERMES, CEIGNANT VOS REINS DE LA VÉRITÉ. (Ep 6,14)

Analyse.

1. De la ceinture de vérité.
2 et 3. Réfutation de quelques erreurs manichéennes, marcionites, ariennes. — De la pâque, sous l'ancienne et la nouvelle Loi.

2301 1. Quand Paul a ainsi rangé son armée et réveillé son zèle (car il fallait à la fois 1à mettre en bon ordre et l'enflammer de courroux), quand il l'a rassurée (ce qui n'était pas moins nécessaire), il s'occupe de l'armer. — C'eût été un soin superflu, si d'abord la discipline n'y avait régné, si l'âme du soldat n'avait été remplie d'une ardeur belliqueuse... Car il faut être armé intérieurement, avant de l'être au dehors. S'il en est ainsi des soldats proprement dits, à plus forte raison doit-il en être de même des soldats spirituels : ou plutôt, les défenses extérieures sont inutiles à ceux-ci, l'armure intérieure leur suffit. Paul donc a (561) réveillé, enflammé leur courage, leur a rendu l'assurance, les a mis en bon ordre: maintenant il les arme:. mais voyez comme il s'y prend. « Soyez donc fermes », dit-il. C'est le premier principe de l'art militaire: beaucoup de choses en dépendent. Aussi revient-il souvent sur ce point. Il dit ailleurs: « Debout, veillez » ; et encore: « Tenez-vous fermes ainsi dans le Seigneur » (1Co 16,13) ; et encore : « Celui qui croit se bien tenir, qu'il prenne garde de ne pas tomber » (Ph 4,1) ; et enfin : « Pour que vous puissiez, étant venus à bout de toutes choses, rester debout ». (1Co 10,12) Il n'a donc pas en vue seulement une certaine attitude; mais la fermeté dans cette attitude : quiconque est versé dans l'art de la guerre sait combien il est important. de savoir se bien tenir. Si le maître qui instruit des athlètes leur recommande ce point avant tout autre, à plus forte raison est-ce une chose importante dans les combats et dans l'art militaire. Se tenir droit, c'est rester bien d'aplomb, sans s'appuyer sur personne; c'est dans cette attitude qu'on discerne ce qui est réellement droit. Ceux qui sont vraiment droits se tiennent fermes : ceux qui ne se tiennent pas fermes, ne sauraient être droits: leur posture est nonchalante, abandonnée. Le voluptueux ne se tient pas droit ; il penche d'un côté, ainsi que le libertin, l'avare. Quiconque sait se tenir debout, est comme établi sur un fondement solide : et la lutte sera désormais sans difficultés pour lui. « Soyez donc fermes, ceignant vos reins de vérité ». Il ne parle pas ici d'une ceinture matérielle : tout, dans ce passage, se rapporte à l'ordre spirituel.

Et considérez comment il procède. Il commence par mettre la ceinture au soldat. Qu'est-ce que cela veut dire? Il le voit abandonné au relâchement des passions, et ses pensées traînant à terre; an moyen de la ceinture, il relève son vêtement, afin qu'il n'en soit pas embarrassé dans sa marche, et qu'il puisse courir sans être gêné. « Seyez donc fermes; ceignant a vos reins de vérité,». Il nomme ici les reins qui sont, pour ainsi dire, la base du corps, comme la carène est celle du vaisseau : c'est le fondement ; tout est bâti dessus, à ce que disent les médecins. C'est donc notre âme qu'il rend alerte, en ceignant nos reins : car ce mot est pris ici au sens figuré. Et si les reins sont à .la fois la base de ce qui est au dessous et de ce qui est au dessus, il faut dire la même chose de ces autres reins dont parle l'apôtre. Souvent, quand on est las, on pose ses mains à, cette place. comme sur un support solide, et l'on se soutient de la sorte ; et, à la guerre, la ceinture est destinée à maintenir, à consolider cette base dé notre corps. Voilà pourquoi encore on se ceint pour courir: la ceinture consolide l'assiette sur laquelle nous reposons... Faisons-donc ainsi pour notre âme, nous dit Paul : et quoi que nous fassions, nous serons fermes, ce qui est nécessaire aux soldats particulièrement. Oui, dira-t-on, mais on se ceint les reins avec une lanière de cuir. Quelle. sera donc notre ceinture à nous? Ce sera ce qui préside à nos pensées, je veux dire la vérité.

Ceignant nos reins de vérité ». Ainsi donc n'aimons aucun mensonge, conformons-nous dans toutes nos démarches à la vérité, ne nous trompons pas mutuellement : s'il s'agit de gloire, cherchons la vérité; en fait de conduite, encore la vérité. Si nous savons nous entourer de ce rempart, nous ceindre de vérité, nous n'avons personne à craindre. Celui qui . cherche la doctrine de vérité né tombera pas à terre. Car ce qui n'est fias vrai procède de la terré : la preuve en est la servitude où vivent, à l'égard de,leurs passions, tous- les infidèles, qui se laissent conduire parleurs propres pensées. En conséquence, si nous sommés sages, nous ne désirerons point nous instruire dans les écrits, des païens. Ne voyez-vous pas comme ces hommes sont lâches et indolents, incapables de comprendre au sujet de Dieu une idée uti peu sévère, un peu relevée? C'est qu'ils ne sont pas ceints de vérité. C'est pour cela qu'il n'y a pas de force dans leurs reins, ces réservoirs de la génération, ce fondement, solide des pensées. Aussi, rien de plus faible qu'eux.

2302 2. Voyez-vous maintenant comment les Manichéens ne reculent devant aucune affirmation dans leur confiance en leurs propres lumières? Dieu. dit-on, n'aurait pu créer le monde sans matière. Qu'est-ce qui le prouve ? Des arguments puisés ici-bas, sur la terre, en nous-mêmes. En effet, dit-on, l'homme ne peut rien faire qu'à cette condition. Et Marcion, voyez-vous comment il parle : Dieu ne pouvait conserver sa pureté en se revêtant de chair. Qu'est ce qui le prouve? C'est que les hommes ne le peuvent pas, répond-il : or, cela même est une fausseté. Valentin aussi rampe (562) sur la terre, en parle le langage : de même Paul de Samosate et Arius. Que prétend celui-ci? Que Dieu ne pouvait engendrer en restant impassible. Qu'est-ce qui t'autorise à tenir ce langage, ô Arius? Ce qui se passe ici-bas. Voyez-vous comme les pensées de tous ces hommes sont basses, rampantes, inspirées de la terre? Voilà pour les dogmes. En ce qui regarde la vie maintenant, les fornicateurs, les avares, les amants de la gloire, que sais-je encore? portent également une robe qui traîne à terre : ils n'ont pas cette solidité 'de reins qui permet, de se reposer quand on est las : dès qu'ils sont fatigués, au lieu d'appuyer les mains sur leurs reins pour se raffermir, ils succombent à la lassitude. C'est le contraire pour celui qui est ceint de vérité; d'abord, il ne se lassera jamais : en second lieu, même s'il se lasse, il trouvera dans la vérité même un point d'appui pour se reposer. Dites-moi, en effet : est-ce la pauvreté qui le fatiguera? nullement. Car il se repose sur la vraie richesse, et par la pauvreté il connaîtra la pauvreté véritable. La servitude le fatiguera-t-elle davantage? Nullement : car il connaît la vraie. servitude. Sera-ce la maladie? Pus davantage: « Ceignez vos reins, dit le Christ, et ayez dans vos mains les lampes allumées » (Lc 12,35); de sorte qu'ils jouissent de la lumière inextinguible. Les Israélites reçurent le même ordre à la sortie d'Egypte, et ils étaient ceints en mangeant la pâque.

Et pourquoi, dira-t-on, mangèrent-ils ainsi? Voulez-vous en savoir la raison historique ou la raison anagogique? Je vous les dirai l'une et l'autre : retenez-les : car je ne me propose pas seulement de vous expliquer l'énigme, je veux encore que mes paroles profitent à votre conduite. « Ils étaient ceints, dit l'Ecriture, le bâton à la main, les chaussures aux pieds, et c'est ainsi qu'ils mangeaient la pâque ». (Ex 12,11) Mystère redoutable,. profond, sublime. Que s'il était tel en figure, à plus forte raison l'est-il en vérité. Ils sortent d'Egypte: ils mangent la pâque. Voyez, leur costume est un habit de voyage, des chaussures, le bâton à la main, manger debout : tout cela n'a pas d'autre sens. Voulez-vous que je commence par l'histoire ou par l’anagogie ? Par l'histoire, cela vaut mieux. Que signifie donc l'histoire ?

Les Juifs étaient ingrats, ils ne cessaient d'oublier les bienfaits de Dieu. Voulant donc leur rendre la mémoire en dépit d'eux-mêmes, il institue ce rite pour le banquet de la pâque. Pourquoi ? Afin qu'obligés chaque année d'observer cette loi, ils se souvinssent nécessairement du Dieu qui les avait délivrés. Ce n'est donc pas seulement par un anniversaire que Dieu a voulu perpétuer le souvenir de ses bienfaits, mais encore par le costume prescrit aux convives. Car s'ils sont chaussés et ceints pour manger, c'est afin qu'ils puissent répondre, si on les interroge : Nous étions prêts pour le départ; nous allions quitter l'Egypte pour la Terre promise. Voilà l'histoire: voici maintenant la vérité. Nous aussi nous mangeons une pâque, laquelle est le Christ « Notre pâque, le Christ a été immolé » (1Co 5,7) Ainsi donc nous mangeons une pâque, nous aussi, et une pâque bien supérieure à celle dont parlait la Loi. Donc nous devons aussi être chaussés, et ceints pour manger. Pourquoi ? afin que nous soyons prêts, nous aussi pour le départ, pour la sortie d'ici-bas. Ce n'est pas à l'Egypte qu'il faut songer quand on manne cette pâque, c'est au ciel, à la Jérusalem d'en-haut. Si vous êtes ceint et chaussé pour manger, c'est afin que vous sachiez qu'au moment où vous commencez à manger la pâque, vous êtes destiné à une émigration, à un voyage. Deux choses sont indiquées par là. : la première, c'est qu'il faut sortir d'Egypte; la seconde; c'est que ceux qui restent, y sont désormais comme eau pays étrangers : « Notre cité est dans les cieux, est-il écrit». (Ph 3,20). C'est que nous devons toujours être préparés, de sorte que, si l'on nous appelle, nous ne cherchions pas à gagner du temps, et que nous disions : « Notre coeur est prêt ». (Ps 107,2) Mais si Paul pouvait dire cela, lui à qui sa conscience ne reprochait rien, moi qui ai besoin de bien du temps pour me repentir, je ne saurais le dire. Néanmoins, la preuve qu'il est d'une âme vigilante de rester ceinte, elle se trouve dans les paroles de Dieu à un juste fameux: « Non, mais ceins tes reins comme un homme : je t'interrogerai; toi, réponds-moi ». (Jb 38,3)

Il dit la même chose à tous les saints, la même chose à Moïse : et lui-même se montre ceint dans Ezéchiel. Que dis-je? les anges mêmes nous apparaissent ceints comme étant des soldats... Quand on est ceint, on se tient ferme ; et ceux qui sont fermes se ceignent. (563) Ceignons-nous donc: car, nous aussi, nous devons faire un voyage, et la route est hérissée d'obstacles. — Quand nous traversons cette plaine, le diable accourt aussitôt; il ne néglige aucun moyen, aucune ruse, pour surprendre, pour exterminer ceux qui sont sortis d'Egypte, ceux qui out, traversé la mer Rouge, ceux qui viennent d'échapper à la fois aux démons et au déchaînement de mille fléaux. Mais, si nous sommes sages, nous avons, nous aussi, une colombe de feu dans la grâce de l'Esprit . le même foyer nous donne la lumière et l'ombre. Nous avons une manne, ou plutôt, quelque chose de bien plus précieux que la manne : ce n'est pas de l'eau, c'est une boisson spirituelle qui jaillit pour nous du rocher. Nous avons de même un camp, dans ce nouveau désert que nous habitons. Car c'est vraiment un désert que la terre ; l'absence de vertu en fait une solitude bien plus affreuse que l'autre. Pourquoi. cette autre était-elle un objet de crainte? n'est-ce point parce qu'elle renfermait des scorpions et des vipères? « L'homme n'y avait point passé ». Mais plus stérile encore est la nature humaine.

2303 3. Combien de scorpions, de vipères, de serpents dans notre désert? Combien de reptiles venimeux dans cette feule que nous traversons ! Mais ne craignons rien : notre guide, dans cette sortie, ce n'est pas Moïse, mais Jésus. Comment donc échapperons-nous aux maux qui accablèrent les Juifs? En agissant autrement. Ils murmuraient, ils étaient ingrats. Gardons-nous des mêmes écarts. D'où vint leur chute à tous? Ils comptèrent pour rien la terre désirée. Comment, ils la comptèrent pour rien ? Ils l'appréciaient pourtant. Oui, mais ils faiblirent, ils ne voulurent pas souffrir ce qu'il fallait endurer pour l'obtenir. N'allons donc pas, nous, compter pour rien le ciel : car cela s'appelle compter pour rien. Nous aussi, nous avons reçu un échantillon des fruits du ciel, non pas une grappe de raisin portée par deux hommes, mais des arrhes de l'Esprit, cette discipline céleste que nous ont révélée Paul, tout le choeur des apôtres, tant de merveilleux laboureurs. Ce n'est pas Chaleb, fils de Jéphoné, ce n'est pas Jésus, fils de Navé, qui nous a apporté ces fruits : c'est Jésus, le fils du Père des miséricordes, le Fils du vrai Dieu, qui nous a apporté toutes les vertus et tous les fruits, j'entends toutes les hymnes, de là-haut. Car ce que disent les chérubins dans les cieux, il nous a prescrit de le dire ici-bas : « Saint, saint, saint ». Il a introduit parmi nous la vie angélique. Les anges ne se marient pas : il a pris ici-bas le même mérite. Ils ne sont pas épris des richesses ni d'aucune chose de ce genre : il a implanté parmi nous le même désintéressement. Ils ne meurent pas : il nous a octroyé la même faveur; car la mort n'est plus une mort, mais un sommeil. Ecoutez plutôt ce qu'il nous dit lui-même : « Notre ami Lazare est endormi ». (Jn 11,11) Voyez-vous les fruits de la Jérusalem d'en-haut? Et ce qu'il y a de plus étonnant, c'est que la guerre n'est pas encore terminée, c'est que tout cela nous est donné avant que nous soyons dans la Terre promise. Les Israélites avaient encore à lutter jusque dans la Terre de promesse : ou plutôt, non ils ne luttaient pas, car il leur suffisait de vouloir obéir à Dieu, pour prendre toutes les villes sans siège et sans combat : c'est ainsi du moins qu'ils prirent Jéricho : on les aurait crus à une fête plutôt qu'à la guerre. Mais notas, une fois entrés dans la Terre promise, c'est-à-dire dans le ciel, nous n'avons plus de guerre à soutenir : nous ne combattons que dans le désert, entendez, dans la vie présente. « Car celui qui est entré dans son repos, lui aussi s'est reposé de ses oeuvres, comme Dieu des siennes ». (He 4,10) « Ne nous lassons donc pas de faire le bien». (Ga 6,9) Car nous moissonnerons, la saison venue, si nous ne nous fatiguons pas. Voyez-vous comment Dieu nous guide ainsi que les Juifs? Au sujet de la manne du désert, il est écrit : « Celui qui eut beaucoup n'eut pas davantage ; et celui qui eut peu n'eut pas moins ». Et à nous aussi, il nous est recommandé de ne pas thésauriser sur la terre.

Que si nous thésaurisons, ce n'est plus, comme au temps de la manne, le ver d'ici-bas que nous avons à redouter, mais lever éternel de l'éternel enfer. Faisons donc tout ce qu'il faut pour ne pas lui préparer d'aliment: car il est écrit : « Celui qui eut beaucoup n'eut pas « davantage ». Cela se vérifie pour nous tous les jours. Notre estomac, à tous, n'a qu'une capacité déterminée ; passer cette mesure, c'est folie. Dès lors Dieu enseignait aux Juifs ce qu'il devait nous apprendre plus tard par ces paroles : « A chaque jour suffit son mal ». Préservons-nous donc de la cupidité, de (564) l'ingratitude; ne nous inquiétons point d'habiter des maisons superbes: car nous sommes des voyageurs, et non des habitants stationnaires. Si donc on est bien persuadé que la vie est un voyage, une expédition militaire, que nous vivons ici dans ce que les soldats appellent une tranchée, on se souciera peu de constructions magnifiques. Qui s'aviserait, dites-moi, quelle que puisse être son opulence, d'élever sur une tranchée de superbes bâtiments? Personne : ce serait encourir la risée, bâtir pour l'ennemi, travailler à l'attirer : ainsi nous ne ferons rien de semblable, si nous,sommes sages. Une campagne, une tranchée, voilà la vie actuelle. Je vous en conjure donc, ayons bien soin de ne pas thésauriser ici-bas : car si le voleur vient, notre fuite sera plus prompte. « Veillez, parce que vous ne savez pas à quelle heure vient le voleur » : le voleur, c'est-à-dire la mort. En conséquence, avant qu'il ne vienne, envoyons tout dans notre patrie. Et portons ici-bas une ceinture qui nous permette de triompher de nos ennemis : puissions-nous, vainqueurs, au jour des couronnes, être jugés dignes de la gloire immortelle, par la grâce et la bonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ, avec qui gloire au Père et au Saint-Esprit, maintenant et toujours, et dans tous les siècles des siècles. Ainsi soit-il.

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HOMÉLIE XXIV - Ep 6,14-24

SOYEZ DONC FERMES, CEIGNANT VOS REINS DE LA VÉRITÉ, ET REVÊTANT LA CUIRASSE DE LA JUSTICE, ET CHAUSSANT VOS PIEDS POUR VOUS PRÉPARERA L'ÉVANGILE DE LA PAIX; PRENANT SURTOUT LE BOUCLIER DE LA FOI, DANS LEQUEL VOUS PUISSIEZ ÉTEINDRE TOUS LES TRAITS ENFLAMMÉS DU MALIN. PRENEZAUSSI LE CASQUE DU SALUT, ET LE GLAIVE DE L'ESPRIT, QUI EST LA PAROLE DE DIEU. (Ep 6,14-24)

ANALYSE .

1-3. De la lutte contre le démon. — De la prière.
4 et 5. Exemple d'Anne. — De la corruption de l'âme.

2401 1. « Ceignant vos reins de la vérité ». Qu'est-ce que cela signifie? Cela signifie, nous l'avons dit dans notre précédent entretien, qu'il faut nous tenir dispos et en état de courir sans obstacle. « Et revêtant la cuirasse de la justice ». La justice est comme une cuirasse elle est invulnérable. Par justice, il faut entendre ici la vie vertueuse, en général. L'homme ainsi muni, nul ne pourra le terrasser: Si on le blesse souvent, le diable lui-même ne saurait le mettre en pièces. Cela revient à dire : La justice dans te coeur. C'est de ces hommes que parle le Christ, en disant: « Bienheureux ceux qui sont affamés et altérés de la justice, parce qu'ils seront rassasiés ». (Mt 5,6) L'homme qui a la justice dans le coeur est fort comme une cuirasse. Il ne se laissera jamais aller à la colère. « Et chaussant vos pieds pour vous préparer à l'Evangile de paix ». Il y a ici quelque obscurité. Qu'est-ce que cela signifie? Voilà une glorieuse chaussure, qui nous prépare à l'Evangile. Ou il veut dire qu'ils doivent être prêts pour l'Evangile, user de leurs pieds pour cela, lui préparer, lui frayer la voie : ou bien qu'il faut nous préparer à la sortie. Dès lors, la préparation à (565) l'Evangile, n'est pas autre chose qu'une vie irréprochable. Comme dit le prophète: « Votre oreille a entendu la préparation de leur coeur ». (Ps 10,19) « A l'Évangile de paix », dit-il. En voici la raison. Il a parlé de guerre et de combats: il montre maintenant que c'est aux démons qu'il faut faire la guerre: car l'Évangile est un Evangile de paix. Cette guerre-là met fin à une autre guerre, la guerre contre Dieu : quand nous combattons le diable, nous sommes en paix avec Dieu. Ne craignez donc rien, mon cher auditeur; voici l'Évangile: la victoire est assurée. « Prenant surtout le bouclier de la « foi ». Par foi il entend ici, non la doctrine, car il ne l'aurait pas mise au second rang, mais la grâce, par laquelle se font les signes. Et c'est à bon droit qu'il nomme la foi un bouclier : car, si un bouclier forme une sorte de rempart autour du corps tout entier, la même chose est vraie de la foi; tout lui cède : « Dans lequel vous puissiez éteindre tous les traits enflammés du malin ». En effet, rien. ne peut briser ce bouclier. Écoutez ce que le Christ dit à ses disciples : « Si vous aviez de la foi comme un grain de sénevé, vous diriez à cette montagne : Passe d'ici là, et elle y passerait ». (Mt 17,19) Mais comment faire pour avoir la foi? Il faut accomplir ces prescriptions. Par ces mots: Traits du malin, il entend les tentations, les passions déréglées. C'est à propos qu'il ajoute : « Enflammés». Car telles sont les passions. Si la foi a pu commander aux démons, à plus forte raison peut-elle se faire obéir des passions. « Prenez aussi le casque du salut » : entendez : « Pour votre salut ». Il les revêt d'une armure, comme s'il les menait au combat. « Et le glaive de l'Esprit qui est la parole de Dieu ». Ceci doit être entendu soit de l'Esprit, soit du glaive de l'Esprit, glaive au moyen duquel on peut tout fendre, tout couper, et décapiter le dragon.

« Priant en esprit en tout temps, par toute sorte de prières et de supplications, et dans le même esprit, veillant en toute instance et supplication pour tous les saints; et pour moi, afin que, lorsque j'ouvrirai la bouche, des paroles me soient données pour annoncer avec assurance le mystère de l'Évangile, dont j'exerce la légation dans les chaînes, et qu'ainsi j'ose en parler comme je dois (18-20) ». Si là parole de Dieu peut tout, il en est de même de celui qui a le don de l'Esprit. « Car la parole de Dieu est vivante, efficace, et plus pénétrante que tout glaive à deux tranchants ». (He 4,12) Voyez la sagesse de ce saint. Il les a armés avec le plus grand soin ; maintenant il montre comment ils doivent invoquer le roi, pour qu'il leur tende la main : « Priant en esprit, en tout temps, par toutes sortes de prières et de supplications ». On peut, en effet, marmotter des prières, et ne pas prier en esprit. « Et dans le même esprit veillant ». C'est-à-dire, restant sages : tel doit être l'homme armé, l'homme debout auprès du roi : vigilant, de sang-froid. « En toute instance et supplication pour tous les saints, et pour moi, afin que, lorsque j'ouvrirai la bouche, des paroles me soient données ». Que dis-tu, ô bienheureux Paul? tu as besoin des disciples? Il a bien soin de dire : « Quand j'ouvrirai la bouche ». Il ne méditait donc pas ses paroles : Le Christ l'a dit : « Lorsque l'on vous livrera, ne pensez ni comment ni ce que vous devrez dire; il vous sera donné en effet à l'heure même ce que vous devrez dire ». (Mt 10,19) Ainsi Paul faisait tout par foi, tout par grâce. « Pour annoncer avec assurance le mystère de l'Évangile ». En d'autres termes, afin que je plaidé ma cause comme il faut. Tu es dans les fers, et tu as besoin d'autrui? Oui, répond-il. Car Pierre aussi était chargé de chaînes; et néanmoins on priait pour lui sans relâche. « Dont j'exerce la légation dans les chaînes, et qu'ainsi j'ose en parler comme je dois » : c'est-à-dire, afin que je réponde avec assurance, courage, intelligence. « Et pour que vous sachiez les circonstances où je me trouve, et ce que je fais, Tychique, notre frère et fidèle ministre du Seigneur, vous apprendra toutes choses (21) ».

2402 2. Après avoir fait mention de sa captivité, il s'en remet à Tychique du soin d'en dire davantage de sa part. Pour ce qui était des dogmes et de l'exhortation, il s'expliquait dans son épître : mais il laissait au porteur de sa lettre tout ce qui était pur message. Voilà pourquoi il ajoute : « Pour que vous sachiez ce qui nous concerne ». Par là il fait voir et son affection pour eux, et leur affection pour lui. « Lequel j'ai envoyé vers vous exprès pour que vous sachiez ce qui nous concerne, qu'il console vos coeurs (22) ». Ceci est motivé par ce qui précède : « Vous étant revêtus et ceints », ce qui indique une prière continuelle et ininterrompue. Écoutez plutôt le (566) prophète : « Qu'il soit pour lui comme un manteau dont il se revêt, comme une ceinture dont il est ceint perpétuellement ». (Ps 108,19) Et le prophète dit de Dieu même qu'il porte une cuirasse de justice, nous avertissant par là que c'est toujours et non pour un moment que nous devons être munis de la sorte : toujours il faut combattre. Et un autre dit ailleurs : « Le juste est confiant comme un lion ». (Pr 28,1) En effet, un homme ainsi cuirassé ne saurait avoir peur d'une armée ; il s'élance au milieu des ennemis. Isaïe dit aussi : « Beaux sont les pieds de ceux qui annoncent la paix ». (Is 52,7) Qui n'accourrait, qui ne s'empresserait de contribuer à cette oeuvre, d'annoncer aux hommes la paix, la paix de Dieu, une paix qui ne coûte aux hommes aucune peine, qui est l'oeuvre de Dieu seul? Ce que c'est maintenant que la préparation de l'Evangile,.Jean va nous l'apprendre : « Préparez la voie du Seigneur, « rendez droits ses chemins ». Mais en disant cela, il a en vue le baptême : or, après le baptême il faut encore une autre préparation c'est à celle-là que l'apôtre songe en disant « Pour vous préparer à l'Evangile de paix »; conseil indirect d'éviter tout ce qui nous rendrait indigne de la paix. Les pieds étant pris souvent comme image de la vie, il répète souvent, pour ce motif, dans ses exhortations « Songez à bien marcher », c'est-à-dire à vous bien conduire.

Sachons donc rendre notre vie digne de l'Evangile, et, durant toute notre existence, rester irréprochables dans notre conduite et nos actions. La paix a été annoncée, frayez la voie à cette bonne nouvelle ; car si vous redevenez ennemis, plus de préparation à la paix. Soyez prêts, ne différez pas le moment de la paix... Restez ce que vous êtes devenus: prêts à la paix et à la foi. La foi est un bouclier, qui arrête au passage les atteintes de l'ennemi, et préserve nos armes. Si donc la foi reste droite et la vie également, les armes demeurent intactes. En bien d'autres endroits, il revient sur ce sujet de la foi, mais principalement dans son épître aux Hébreux; et aussi sur le sujet de l'espérance. Croyez, dit-il, aux biens futurs, et tout cela sera hors d'atteinte. Si dans les dangers, dans les épreuves, vous vous faites un rempart de l'espérance et de la foi, vos armes n'éprouveront aucun choc funeste. « Celui qui s'approche de Dieu doit croire qu'il est, et qu'il récompensera ceux qui le cherchent ». La foi est un bouclier qui abrite ceux qui croient avec simplicité; si au contraire, on y mêle des raisonnements, des discussions, de vaines recherches, ce n'est plus un bouclier, mais un embarras. La foi doit être telle qu'elle nous couvre, qu'elle nous protège entièrement... Qu'elle ne soit donc pas courte de manière à laisser sans défense ou les pieds ou quelque autre partie : le bouclier doit avoir les dimensions du corps. « Enflammés ». Nombreuses sont les pensées qui consument notre âme, nombreux les doutes, nombreuses les hésitations : mais la foi, en réalité, apaise tout cela. Le diable nous décoche bien des traits propres à enflammer notre âme, et à la jeter dans le doute, comme lorsque quelques-uns demandent: Y a-t-il une résurrection? y a-t-il un jugement? y a-t-il une rétribution? Mais si vous avez le bouclier de la foi, vous éteindrez les traits du diable. Une passion déréglée a pénétré en vous, le feu des mauvaises pensées vous consume entièrement? Couvrez-vous de la croyance aux biens futurs; et rien ne paraîtra, tout sera anéanti. «Tous les traits » : non pas une partie seulement. Ecoutez ce que nous dit Paul : «J'estime que les souffrances du temps présent ne sont pas proportionnées à la gloire qui doit être révélée en nous ». (Rm 8,18)

Voyez-vous combien de traits ont éteints les justes d'autrefois? Ou n'était-ce pas à vos yeux un trait enflammé que la douleur qui consuma le coeur du patriarche au moment d'offrir son fils... Et ce n'est pas le seul juste qui ait éteint tous les traits du diable. Si donc les mauvaises pensées nous font la guerre, couvrons-nous de ce bouclier; armons-nous. en contre les passions déréglées : dans la souffrance et la peine, servons-nous-en comme d'un appui. C'est un rempart pour notre armure toute entière : sans cela, elle serait bientôt percée. « En tout prenant le bouclier de la foi ». Qu'est-ce à dire, « En tout? » c'est-à-dire, en vérité, en justice, en préparation de l'Evangile. En d'autres termes, toutes ces choses en ont besoin. C'est pourquoi il ajoute : « Prenez aussi le casque du salut»; en d'autres termes, par là vous pourrez vivre désormais en sûreté, et échapper à tous les périls. De même que le casque qui enveloppe exactement la tête de tous côtés, la préserve de tout accident : de même la foi tient lieu de (567) bouclier, de casque de salut. Si nous éteignons les traits du diable, bientôt nous recevrons en. nous les pensées salutaires qui préserveront de toute atteinte notre faculté souveraine. Les pensées contraires une fois éteintes, bientôt les pensées salutaires, les pensées d'espérance naîtront en nous, et se fixeront dans notre raison comme un casque sur notre tête.

2403 3. C'est peu : nous recevrons encore le glaive de l'Esprit, en sorte que non-seulement nous serons à l'abri des traits lancés contre nous, mais que nous pourrons encore frapper le diable lui-même. Si l'âme ne désespère point d'elle-même, si elle ne reçoit pas les traits enflammés, elle résistera énergiquement à l'ennemi, elle brisera sa cuirasse avec ce même glaive au moyen duquel Paul la brisa et asservit les pensées de celui qui en était revêtu : On mutilera, on décapitera le dragon. « Qui est la parole de Dieu ». En disant: Parole de Dieu, il entend ses ordres ou ses préceptes. Quand les apôtres faisaient des miracles, ils s'autorisaient toujours du nom de Jésus-Christ. Et nous aussi, en toutes choses, songeons seulement à nous conformer aux ordres de Dieu si nous le faisons, nous tuerons, nous exterminerons par là le dragon, le serpent aux replis tortueux. Veuillez considérer ici la sagesse de Paul. Après avoir dit: « Vous pourrez éteindre les traits enflammés du diable», afin de ne pas enfler d'orgueil ceux à qui il s'adresse, il leur montre qu'ils ont, pour cela, le plus grand besoin du secours de Dieu. Que dit-il, en effet? « Par toute sorte de prières et « de supplications ». C'est comme s'il disait Cela sera, et vous réussirez à tout en priant ; mais ne priez jamais pour vous seul, et ainsi vous aurez Dieu propice. « Par toute sorte de prières et de supplications, et dans le même esprit veillant en toute instance et supplication pour tous les saints ». Ne distinguez point entre les moments de la journée : écoutez ce qu'il vous prescrit : Priez u En tout « temps », ou sans cesse. N'avez-vous pas entendu parler de cette veuve qui triompha à force d'assiduité ? N'avez-vous pas entendu parler de cet ami qui fléchit Dieu par sa persévérance nocturne? N'avez-vous pas entendu parler de cette Syro-Phénicienne qui gagna Dieu par la fréquence de ses visites ? Tous réussirent par l'assiduité. « Priant en esprit en tout temps ». En d'autres termes : Cherchons ce qui est selon Dieu, rien de mondain, rien qui regarde cette vie. Il ne faut donc pas seulement que la prière soit assidue, il faut encore qu'elle soit vigilante : « Et dans le même esprit veillant ». Peut-être veut-il parler des veilles, peut-être de l'état d'une âme vigilante : j'accepte les deux interprétations. Elle veillait, cette Chananéenne, quand, repoussée par le Seigneur qui refusait de lui répondre et la traitait de chienne, elle lui dit : « Il est vrai, Seigneur; mais les chiens mangent les miettes qui tombent de la table de leurs maîtres » (Mt 15,20) ; et elle ne s'éloigna pas, avant d'être exaucée. Vous savez comment criait cette veuve, et comment elle persista, jusqu'à ce qu'elle eût fléchi un magistrat sans crainte de Dieu ni de l'opinion des hommes. Vous savez comment persévéra cet ami qui priait jusqu'à une heure avancée de la nuit, jusqu'à ce qu'il eût fléchi son ami par son assiduité et obtenu le réveil désiré. Voilà ce qui s'appelle veiller.

Voulez-vous savoir en quoi consiste la vigilance de l'âme ? Approchez-vous d'Anne, écoutez ses paroles: « Adonaï, Eloï Sabaoth». (1S 1,11) Ou plutôt écoutez ce qui précéda ses paroles. Tous, est-il écrit, se levèrent de table : mais-elle, alors, ne songea point au sommeil ni au repos. Ainsi, même à table, elle restait légère, elle ne se chargeait point d'aliments : autrement, elle n'aurait pas versé tant de larmes. Si nous, même à jet în, nous avons peine à prier aussi bien, ou plutôt, si nous ne prions jamais de la sorte, à plus forte raison n'aurait-elle pas prié ainsi en sortant de table, si même à table elle n'avait été comme une personne à jeun. Hommes, rougissons à la vue de cette femme; rougissons, nous qui ne pouvons, sans bailler, prier pour obtenir le royaume, en la voyant pleurer tandis qu'elle prie pour avoir un enfant... « Et elle s'arrêta devant le Seigneur », ajoute l'Ecriture : Et que dit-elle? « Adonaï Seigneur, Eloï Sabaoth » ; ce qui se traduit par ces mots Seigneur Dieu des armées. Ses larmes, précédaient ses paroles : c'est là-dessus qu'elle comptait pour fléchir Dieu. Où il y a des larmes, il y a nécessairement affliction : où il y a affliction, il y a sagesse et ferveur. « Si vous exaucez en l'entendant, dit-elle, la prière de votre servante, et que vous me donniez un fils, je le donnerai en offrande au Seigneur pour toujours ». Elle ne dit pas, une année ou deux, comme nous : elle ne dit pas : Si (568) vous me donnez un enfant, je vous ferai une offrande d'argent. Elle dit : Ce don que vous m'aurez fait, je vous le rends tout entier: à vous, ce premier-né; à vous, cet enfant de ma prière. Vraie fille d'Abraham ! Abraham donna ce qui lui avait été demandé : Anne prévient la demande, et donne. Et voyez eu ceci encore paraître sa piété. « Sa voix n'était pas entendue, dit l'Ecriture, et ses lèvres ne remuaient point ». Ainsi s'approche de Dieu celui qui veut être exaucé : on ne le voit point s'abandonner, bailler, s'endormir, se gratter, paraître ennuyé. Est-ce que Dieu ne pouvait pas donner sans cette prière? Est-ce qu'il ne connaissait pas déjà auparavant le désir de cette femme? Mais s'il avait prévenu la sollicitation d'Anne, le zèle de celte-ci n'aurait pas éclaté, sa vertu n'aurait point paru dans tout son jour, elle n'aurait pas été récompensée si magnifiquement. De sorte que ce délai n'est point une marque d'avarice ni de jalousie, mais de sollicitude.


Chrysostome sur Eph 2300