Chrysostome sur Héb. I 804

HOMÉLIE 9 - QUITTANT DONC LES INSTRUCTIONS QUE L'ON DONNE A CEUX QUI NE FONT QUE COMMENCER A CROIRE EN JÉSUS-CHRIST,

PASSONS A CE QU'IL Y A DE PLUS PARFAIT, SANS NOUS ARRÊTER A ÉTABLIR DE NOUVEAU CE QUI N'EST QUE LE FONDEMENT DE LA RELIGION, LA PÉNITENCE DES OEUVRES MORTES, LA FOI EN DIEU, ET CE QU'ON ENSEIGNE TOUCHANT LES BAPTÊMES, L'IMPOSITION DES MAINS, LA RÉSURRECTION DES MORTS ET LE JUGEMENT ÉTERNEL. ET C'EST CE QUE NOUS FERONS, SI DIEU LE PERMET. (He 6,1-6)
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Analyse.

1. Avant d'aller plus loin, il faut être bien convaincu des vérités fondamentales de la religion.
2. La foi ferme et sincère conduit à la vie parfaite.
3. Le baptême ne peut être conféré deux fois.
4. A défaut d'un second baptême qui ne peut être conféré, la pénitence est pour nous un moyen de salut. Mais la pénitence, afin, de porter ses fruits, doit être accompagnée de la contrition parfaite, du pardon et de l’oubli des injures, et surtout de la charité et de l'aumône.
5. Effets de la pénitence. — La gloire de saint Paul comparée aux vanités de ce monde. - 492 -

901 1. Vous avez vu comme il reproche aux Hébreux de vouloir qu'on leur dise toujours la même chose. Et il a raison. Depuis le temps qu'on vous instruit, dit-il, vous devriez être passés maîtres. et vous avez encore besoin d'apprendre les principes de la religion. Et vous aussi, j'ai bien peur que vous ne méritiez ce reproche; j'ai :bien peur, moi aussi, d'être obligé de vous dire que, lorsque vous devriez être des maîtres vous n'êtes même pas encore des disciples. Il faut toujours vous répéter la même chose, et vous avez toujours l'air de ne pas entendre. Vous interroge-t-on, un petit nombre d'entre vous seulement, quelques auditeurs faciles à compter sont en état de répondre, et ce n'est pas là un léger inconvénient; car le maître voudrait aller plus loin; il voudrait aborder quelque grand mystère, et la paresse, la négligence de son auditoire ne le lui permettent pas. Voyez les maîtres d'école. Si la leçon roule toujours sur les mêmes éléments, et si l'enfant ne la retient pas, il faudra toujours revenir sur la même chose et la répéter sans cesse, jusqu'à ce que l'enfant sache bien sa leçon. Car ce serait folie d'aller en avant, quand l'écolier n'est pas encore bien pénétré des principes fondamentaux. Il en est de même dans cette assemblée. Si nos redites perpétuelles ne vous servent à rien, nous serons obligé de revenir sans cesse sur les mêmes matières. Si l'enseignement était pour nous une affaire d'ostentation et de vanité, nous nous verrions forcé de passer, de sauter d'un sujet à un autre, sans faire attention à vous, dans l'unique but de nous attirer vos applaudissements. Mais ce n'est pas là notre ambition et nous ne cherchons que l'intérêt de vos âmes. Nous ne cesserons donc de vous répéter les mômes préceptes jusqu'à ce que vous ayez bien appris à les pratiquer. Nous aurions pu vous entretenir longtemps de la superstition des gentils, des manichéens, des marcionites; nous aurions pu, avec la grâce de Dieu,, porter des coups terribles à nos adversaires, mats ce n'est pas là ce qui doit nous occuper, pour le moment. Quand on a affaire à des auditeurs qui ne savent pas encore que l'avarice est un' mal, peut-on passer à autre chose et aborder de grands sujets?, Que nous venions à bout de' vous persuader ou non, nous vous dirons donc toujours la -môme chose. Nous craignons seulement qu'en écoutant, sans en profiter, des leçons qui seront toujours les mêmes, vous n'en deveniez que plus coupables. Ce que je dis là ne s’adresse pas à tout le monde. Parmi vous, il en est beaucoup, je le sais, qui m'ont toujours écouté avec fruit et qui pourraient accuser à bon droit ceux dont la lenteur et la négligence est un piège tendu à leurs progrès; mais ce piège, ils n'y tomberont pas. Ces mômes leçons répétées à ceux qui les savent leur seront utiles, car ce que nous savons déjà, à force d'être entendu, nous touche davantage. Nous savons, par exemple, que la charité est une bonne chose, et que le Christ en- a souvent parlé; mais ces vérités et les méditations dont elles sont l'objet, nous frappent toujours davantage, quand nous les aurions entendu répéter mille fois. A plus forte raison nous pouvons aujourd'hui vous dire sans manquer d'à-propos : « Quittant les instructions que l'on donne à ceux qui ne font que commencer à croire en Jésus« Christ, passons à ce qu'il y a de plus parfait. » Quelles sont ces instructions premières, l'apôtre nous le dit en ces termes : « Ne nous arrêtons pas à établir de nouveau ce qui n'est que le fondement de la religion, c'est-à-dire, la pénitence, des oeuvres mortes, la foi en Dieu, et ce qu'on enseigne touchant les baptêmes, l'imposition des mains, la résurrection des morts et le jugement éternel ».

Si ce sont là des vérités premières, il s'ensuit que le fond de tous nos dogmes, c'est la croyance, à la nécessité de la, pénitence, c'est la foi venant du Saint-Esprit à la résurrection des morts et au jugement éternel. Voilà le commencement, voilà les premières vérités que l'on apprend, alors qua la vie n'est pas encore parfaite: Pour apprendre à lire, il faut d'abord apprendre les éléments; pour apprendre à être chrétien, les vérités exposées ci-dessus sont celles qu'il faut connaître avant tout et dont il faut être bien convaincu. Si l'on a besoin encore d'être éclairé là-dessus, c'est que la religion du Christ n'est pas bien établie dans notre coeur; car avant tout, ces vérités fondamentales doivent y être fermement assises. Si après avoir,' été instruit sur le catéchisme, si, après avoir reçu le baptême, on a encore besoin d'affermir sa foi, et d'apprendre à croire à la résurrection, c'est, qu'on ne possède pas encore le fond du christianisme, c'est qu'on a besoin d'y être initié. Pour être persuadé que ces articles de foi sont la base du christianisme et que le reste est l'édifice, écoutez ces paroles du maître : « J'ai jeté le fondement, un autre bâtit dessus. Si l'on élève sur ce fondement un édifice d'or, d'argent, de pierres précieuses, de bois, de foin, de paille, l'ouvrage de chacun paraîtra enfin ». (
1Co 3,10 1Co 3,12-13). Voilà pourquoi l'apôtre disait : « Ne nous arrêtons pas à établir de nouveau ce qui est le fondement de la religion, la pénitence des oeuvres mortes ».

902 2. Mais que signifient ces mots : « Passons à ce qu'il y a de plus parfait? » Il veut dire : Elevons-nous jusqu'au faite; atteignons à la perfection, dans notre vie. L'A est la première lettre de l'alphabet; l'édifice repose en entier sur ses fondements : ainsi la pureté de la vie repose sur une foi sincère. Sans la foi, on ne peut être chrétien; sans les fondements, on ne peut bâtir sans la connaissance de l'alphabet, on ne peut être grammairien. Mais si l'on s'arrête aux éléments, si l'on s'arrête à la base, sans arriver à l'édifice, où sera le progrès? Eh bien! il en sera de même pour nous autres chrétiens: si nous nous arrêtons aux principes de la foi, nous n'arriverons jamais à la perfection. Et n'allez pas croire que l'on rabaisse (493) la foi, en lui donnant le nom d'élément; c'est là . précisément qu'est sa toute-puissance.. Lorsque l'apôtre dit : « Quand on. est à la mamelle, on ne connaît pas encore le langage de la justice, car on n'est qu'un enfant », il n'appelle pas la foi le lait de la justice; mais, selon lui, douter des premières vérités de la religion, est le propre d'un esprit faible qui a encore besoin de leçons. Ces vérités sont la droite raison elle-même, et nous appelons parfait l’homme, qui a la foi et dont la vie est droite. Si maintenant on a une certaine foi qui ne vous empêche pas de commettre des crimes, de douter et d'outrager la doctrine du Christ, on méritera le nom d`enfant; car ce sera, rétrograder jusqu'aux éléments. Quand donc nous persisterions dans la foi pendant mille ans, si notre foi n'est pas ferme et stable, nous serons toujours des enfants; car notre vie ne sera pas conforme à notre foi; car nous serons toujours arrêtés aux bases de l'édifice.

Or ce que l'apôtre reprend chez les Hébreux, c'est leur genre de vie, c'est leur foi vacillante, c'est le besoin qu'ils ont d'établir un fondement de pénitence par des oeuvres mortes; car l'homme qui passe d'une chose à une autre, qui laisse ceci de côté pour s'attacher à cela, doit nécessairement condamner ce qu'il rejette; il doit s'en détacher pour passer à un autre objet. Si, après cela, il revient toujours au premier principe, objet de ses rebuts, quand donc arrivera-t-i1 au second? Et la loi? La loi, nous l'avons condamnée et nous y sommes revenus. Ce n'est pas là changer : car avec la foi, nous avons encore la loi. « Détruisons-nous donc la loi par la foi ? » dit l'apôtre. « A Dieu ne plaise! nous l'établissons au contraire». (
Rm 3,31) Le changement dont il était question était le changement du mal en bien. Pour passer dans le camp de la vertu en effet, il faut commencer par. condamner le vice. La pénitence n'avait pas le pouvoir de purifier les convertis, voilà pourquoi ils se faisaient baptiser aussitôt après, afin d'obtenir par la grâce du Christ de qu'ils ne pouvaient obtenir par eux-mêmes. La pénitence ne suffit donc point à la purification; il faut y joindre le baptême. C'est pourquoi on mène encore au baptême le nouveau converti qui a déjà accusé ses péchés. Mais que signifient ces mots : « Ce qu'on enseigne touchant les baptêmes? » Saint Paul ne veut pas dire par là qu'il y a plusieurs baptêmes; il n'y en a qu'un seul. Pourquoi donc parle-t-il au pluriel? C'est qu'il avait dit ; « Ne nous arrêtons pas à établir de nouveau ce qui n'est que le fondement de la religion, c'est-à-dire la pénitence » Et s'il avait passé son temps à leur donner un nouveau baptême; à les instruire encore sur le catéchisme, à leur tracer encore leur ligne de conduite, il n'y avait pas de raison pour qu'ils ne restassent toujours imparfaits. « L'imposition des mains ». C'est ainsi en effet qu'ils recevaient le Saint-Esprit. « Paul leur imposa les mains, et l'Esprit-Saint descendit sur eux ». — (Ac 19,6) « Et la résurrection des morts ». C'est là un dogme dont il est fait mention dans le baptême et dans le Symbole « Et le jugement éternel ». Pourquoi ces paroles ? C'est que probablement leur foi était vacillante, c'est qu'ils menaient une vie coupable et dissolue. C'est pourquoi il leur dit : Veillez sur vous. Il dissipe leur indolence; il éveille leur attention. ils n'ont pas le droit de dire: Si nous menons une vie dissolue et négligente, nous en serons quittes pour. recevoir un nouveau baptême, pour apprendre encore le catéchisme; pour recevoir encore le Saint-Esprit. Ils ne peuvent pas dire : Si nous abandonnons la foi, nous en serons quittes pour laver nos péchés dans le baptême, et nous serons aussi avancés qu'auparavant. Erreur, dit l'apôtre! « Il est impossible que ceux qui ont été une fois éclairés, qui ont goûté le don du ciel, qui ont été rendus participants du Saint-Esprit, qui ont goûté la parole de Dieu et l'espérance des grandeurs du siècle à venir et qui, après cela, sont tombés, se renouvellent par la pénitence, parce qu'autant qu'il est en eux, ils crucifient de nouveau le Fils de Dieu et l'exposent à l'ignominie (4-6) ». Remarquez ce début qui est bien fait pour les couvrir de honte et pour les retenir. « Il est impossible », dit-il, c'est-à-dire : Ne vous attendez pas à ce qui ne peut pas arriver. Il n'a pas dit : Il ne convient pas, il n'est pas avantageux, il n'est pas permis. Il a dit : « Il. est impossible ». Il a voulu leur faire comprendre qu'après avoir été éclairés, c'est-à-dire baptisés une fois pour toutes ils devaient désespérer de l'être une seconde fois.

903 3. « Qui ont goûté le don du ciel », ajoute-t-il, c'est-à-dire la rémission dès péchés, « qui ont été rendus participants de l'Esprit-Saint et qui ont été nourris de la parole de Dieu ». Il est ici question de la doctrine. — « Et de l'espérance des grandeurs du siècle à venir ». Quelles sont ces grandeurs? Le don des miracles, les gages donnés par le Saint-Esprit.. — « Et qui après cela sont tombés, se renouvellent par la pénitence, parce qu'autant qu'il est en eux, ils crucifient le Fils de Dieu et l'exposent à l’ignominie ». — « Se renouvellent par la pénitence ». Eh quoi! Faut-il qu'ils renoncent à la pénitence? non pas à toute pénitence, à Dieu ne plaise ! mais au renouvellement qui a lieu par le baptême; car l'apôtre ne s'est pas borné à dire : « Il est impossible qu'ils se renouvellent par la pénitence », mais il a ajouté : « Parce qu'ils crucifient encore une fois le Fils de Dieu ». — « Se renouveler », signifie devenir un nouvel homme, et il n'y a que le baptême qui puisse opérer ce miracle. « Ta jeunesse », dit le psalmiste, « se renouvellera comme celle de l'aigle ».

La pénitence a pour effet de nous faire dépouiller le vieil homme et de faire des hommes nouveaux de ceux qui étaient retombés dans leurs anciens péchés; mais elle ne peut rendre à l'homme ce premier éclat qui est uniquement l'ouvrage de la grâce. « Parce qu'ils crucifient de nouveau le Fils de Dieu », dit-il, et « parce qu'ils l'exposent à l'ignominie ». C'est que le baptême est une croix, dit-il : Grâce à lui, « le vieil homme se trouve crucifié. Nous mourons, comme le Christ est mort. Par le baptême, nous avons été ensevelis avec le Christ ». Si donc il est impossible que le Christ soit crucifié de nouveau, il est impossible que nous recevions un nouveau baptême. (494) Car s'il est dit que la mort ne prévaudra plus contre lui, s'il est ressuscité, si cette résurrection l'a rendu plus puissant que la mort, s'il a triomphé et terrasse la mort par la mort même, et si, après tout cela, il est crucifié de nouveau, tout ce qu'on vient de dire n'est qu'un tissu de fables ridicules. Celui qui reçoit un nouveau baptême crucifie de nouveau le Christ. Le Christ est mort sur - la croix: et nous mourons dans le baptême, non à la chair, mais au péché. Il y a là deux genres de mort différents; le Christ meurt à la, chair et nous au péché. Par le baptême, le vieil homme qui était en nous est enseveli, et c'est un nouvel homme, qui ressuscite comme Jésus-Christ est ressuscité après sa mort. Si donc un second baptême est nécessaire, une seconde mort est nécessaire aussi ; car le baptême n'est rien autre chose que la mort du vieil homme et la création d'un. homme nouveau dans celui qui est baptisé. L'expression « parce que nous crucifions de nouveau » est belle. Car ces hommes déchus dont il parle, oublieux de la grâce qu'ils ont reçue autrefois, mènent une vie lâche et dissolue, et se conduisent en tout point,. comme s'il y avait un nouveau baptême: Il faut donc ici faire bien attention. «Ce don du ciel qu'ils « ont goûté », c'est la rémission des péchés. .Il n'appartient qu'à Dieu d'accorder ce don. C'est une grâce qu'il nous fait une fois dans le baptême. «Mais quoi? Demeurerons-nous dans le péché, pour donner lieu à une surabondance de grâce? à Dieu ne plaise ! » (
Rm 6,1)Si, pour être sauvés, il nous faut toujours la grâce, nous ne serons jamais vertueux. Puisque nous sommes si lâchés et si négligents, quand la grâce du baptême n'est conférée qu'une fois, comment pourrions-nous renoncer à nos péchés, si nous savions que nous pouvons encore laver cette tache? Nous n'y renoncerions pas, j'en suis bien sûr.

Saint Paul énumère ici une foule de dons qui viennent de Dieu. Si vous voulez comprendre, écoutez bien : Pécheur, dit-il, Dieu a daigné vous accorder la rémission la plus éclatante. Celui qui était plongé dans les ténèbres, celui qui était D'ennemi déclaré de Dieu, celui dont Dieu s'était détourné avec horreur, celui qui était perdu, celui-là a été tout à coup éclairé, jugé digne de la grâce du Saint-Esprit, des dons célestes, de l'adoption divine, du royaume des cieux, d'autres faveurs encore, de l'initiation à de saints mystères, et tout cela ne l'a pas rendu meilleur. Après avoir obtenu le don du salut et s'être vu honoré, comme s'il s'était distingué par sa vertu, lé voilà en état de perdition. Comment donc pourrait-il recevoir encore le baptême? C'est impossible, et l'apôtre établit cette impossibilité sur deux raisons dont la dernière est la plus forte. Ces raisons quelles sont-elles? C'est d'abord l'indignité de l'homme qui a abusé de tous les dons que Dieu a daigné lui faire. lin pareil homme né mérite pas de se renouveler par la pénitence. C'est ensuite que le Christ ne peut être crucifié une seconde fois : car ce serait l'exposer à l'ignominie. Il n'y a donc pas, non il n'y a pas de second baptême. Autrement, il y en aurait aussi un second, un troisième, un quatrième; car le premier se trouve dissous par le second, le second par le troisième et ainsi de suite à l'infini. « Qui se sont nourris de la sainte parole de Dieu et de l'espoir des grandeurs du siècle à venir ». Il n'explique pas ces paroles; mais c'est comme s'il disait : Vivre comme les anges, se passer des biens de ce monde, savoir que Dieu, eu nous adoptant, nous accorde les biens du siècle à venir, avoir en perspective ces sanctuaires où nous serons admis ; un jour, voilà les fruits du Saint-Esprit et de ses leçons ! Mais quelles sont ces grandeurs du siècle à venir? C'est la vie éternelle, la vie angélique. Le Saint-Esprit, en nous donnant la foi, nous a déjà, donné un avant-goût de tous ces biens. Maintenant, je vous le demande: si l'on vous introduisait dans Te palais d'un souverain, si l'on vous confiait toutes les richesses qu'il renferme, et si vous les perdiez, vous les confierait-on de nouveau?

904 4. Eh quoi! dira-t-on, est-ce qu'il n'y a plus de pénitence possible? Il y en a une, mais ce n'est plus celle du baptême. Cette sorte de pénitence est cependant très-efficace; elle peut délivrer du fardeau de ses péchés l'homme qui est plongé dans le péché ; elle peut ramener au port celui-là même qui est, au fond de l'abîme. Cette vérité est prouvée en maint passage. « Est-ce que celui qui tombe ne peut pas se relever? Est-ce que l'homme qui tourne le dos à Dieu ne peut pas se retourner vers lui? » (Jr 8,4) Le Christ, si nous . voulons, peut encore se former en nous : Entendez-vous Paul qui vous dit : « Mes petits enfants, pour qui je sens de nouveau les douleurs de l'enfantement, jusqu'à ce que le Christ soit formé, en vous? » (Ga 4,19) Or pour cela, il n'y a qu'une condition à remplir: c'est que la pénitence entre dans nos âmes. Voyez en effet comme Dieu, est bon et clément. Nous méritions, dans le principe, toutes sortes de châtiments, pour avoir, malgré les lumières de la loi naturelle et mille faveurs divines, ignoré Dieu et mené une vie impure et; . immonde. Et Dieu, loin de nous punir, nous a comblés, de biens, comme si nous avions fait les actions les plus grandes et les plus belles.

Nous avons encore failli et, loin de nous punir, il nous a apporté un remède à nos maux, la pénitence qui suffit pour détruire et effacer tous nos péchés, pourvu que nous connaissions bien la nature de ce remède et la manière dont il faut l'appliquer. Il faut d'abord nous condamner nous-mêmes et confesser tous nos péchés. « Je vous ai fait connaître mes fautes et je n'ai pas caché mes péchés. Je déclarerai hautement, et en m'accusant moi-même, mon impiété au Seigneur, et vous m'avez pardonné mon impiété ». (Ps 31,56) « Commencez par avouer vos péchés, pour qu'on vous les pardonne, ». (Is 43,26) « Le juste commence par s'accuser lui-même». () Il faut, en second lieu, nous humilier profondément; car il y a là comme une chaîne d'or dont le premier anneau amène tous les autres. Une bonne. confession amène l'humilité ; car, lorsqu'on réfléchit sérieusement à ses, fautes, on ne peut s’empêcher d'être humilié. Mais l'humilité ne suffit pas ; il faut ressentir ce qu'éprouvait le saint roi David, quand il disait: « Purifiez mon coeur, ô mon Dieu »; et lorsqu'il (495) disait encore : « Dieu ne dédaignera pas la prière d‘un coeur contrit et humilié » (Ps 50,12 Ps 50,19), car le pécheur contrit ne s'élève pas lui-même. Loin d'être agressif; il est prêt à tout supporter. Oui : tel est l'effet de la contrition : l'âme ne se révolte ni contre l'outrage, ni contre les mauvais traitements; l'âme ne s'éveille plus pour la vengeance. Après s'être humilié, il faut prier avec ardeur, il faut verser, nuit et jour, des larmes abondantes : « Toutes les nuits», dit le Psalmiste, j'arroserai mon lit de mes larmes ». (Ps 6,7) « Je dévorais la cendre comme le pain., et mes larmes se mêlaient à mon breuvage ». (Ps 101,10) A la prière, il faut joindre l'aumône. C'est l'aumône qui fait produire au remède de la pénitence son plein et entier effet. Les remèdes ordonnés par les médecins se composent souvent de certaines plantes, parmi lesquelles il y en a une qui est plus salutaire que toutes les autres. Il en est ainsi du remède de la pénitence. Parmi les ingrédients qui le composent, il se trouve une plante plus efficace que toutes les autres et qui est tout. Cette plante s'appelle l'aumône. Voici les paroles de l'Ecriture sainte : « Faites l'aumône et vous serez purifiés». (Lc 11,41) « L'aumône et la foi sont, les deux grands moyens de purification ». (Tb 4,11) L'eau éteint le feu et la flamme; l'aumône étouffe le péché. (Qo 28,33) Nous devons, outre cela, bannir de notre coeur la colère et les sentiments, de vengeance; nous devons pardonner à tout le monde. « Eh quoi ! » dit l'Ecclésiaste, « l'homme veut que le Seigneur le guérisse et-il garde sa colère contre son semblable ! » (Qo 28,3) « Pardonnez», dit saint Matthieu, « pour que l’on vous pardonne ». (Mt 6,14) Il faut travailler en outre à la conversion de ses frères : « Allez », est-il dit, « et convertissez vos frères » (Lc 22,52), afin que vos péchés vous soient remis. Il faut se conduire convenablement envers les prêtres. « L'un d'entre eux pèche-t-il, il faut lui pardonner ». (Jc 5,15) Il faut défendre et protéger les opprimés, se garder de la colère, se montrer en tout calme et modéré.

905 5. Eh bien ! avant de connaître quel est- le pouvoir de la pénitence pour effacer nos péchés, n'étiez-vous pas inquiets, à l'idée qu'il ne pouvait y avoir deux baptêmes et que vous n'aviez plus rien à espérer? Mais aujourd'hui que vous connaissez les moyens de faire une bonne pénitence et d'obtenir la rémission de vos péchés, aujourd'hui que vous voyez dans la pénitence, si elle est ce qu'elle doit être une planche de salut, comment obtenir votre pardon, si vous ne vous souvenez même pas de vos fautes? Si vous y songez, en effet, votre, tâche est accomplie. Quand on a dépassé le seuil, on est dans la maison, de même quand on repasse ses fautes en soi-même, quand, on fait, chaque jour, son examen de conscience, on parvient à s'en corriger. Mais si l'on se borne à dire : J'ai péché, sans penser aux diverses espèces de péchés que l'on a commis ; si l'on ne se dit pas : j'ai péché de telle et telle manière, on ne se corrigera jamais. On se confessera toujours et l'on ne songera jamais à s'amender. Commençons, entrons dans la voie de la pénitence. et tout ira de soi-même. Ce qu'il y a de difficile, c'est de commencer. Jetons les bases de l'édifice ; le reste ira tout seul.

Commençons donc, je vous en prie : prions avec instance, pleurons sans cesse ou gémissons. Le moindre signe de repentir porte ses fruits. « J'ai vu », dit l'Ecriture, « j'ai vu l'affliction du pécheur; il marchait tristement et je lui ai aplani la voie ». (
Is 57,17) Ayons tous recours à l'aumône, au pardon, à l'oubli des injures, et renonçons à 1a. vengeance, afin d'humilier nôs âmes. Si nous ne perdons pas de vue nos péchés, les biens extérieurs ne pourront jamais enfler nos âmes. Les richesses, la puissance, le rang suprême, les dignités, les honneurs n'auront sur nous aucune influence; quand nous serions assis sur un char royal, nous gémirons toujours avec amertume. Le bienheureux David aussi était roi et il disait : « J'arroserai, chaque nuit, mon lit de mes larmes ». (Ps 6,6) La pourpre et le diadème ne gâtèrent point son coeur et ne lui donnèrent pas d'orgueil. Il n'oubliait pas qu'il était homme et, comme il avait la contrition, il se lamentait. Les choses humaines, en effet, ne sont que cendre et poussière, c'est une poussière que le vent dissipe; c'est une ombre, une fumée; c'est la feuille qui est le jouet d'un souffle, c'est une fleur, un songe, un bruit qui passe; un air léger qui s'évanouit au hasard ; c'est la plume sans consistance qui s'envole ; c'est l'eau qui s'écoule; c'est moins que tout cela... Qu'est-ce qu'il y a de grand ici-bas, je vous le demande? Quelle est la dignité qui vous éblouit? Est-ce la dignité consulaire, cette dignité qui, dans l'opinion du vulgaire, est le degré suprême de la grandeur? Mais l'homme qui s'est trouvé revêtu d'une dignité aussi éclatante, l'homme qui s'est attiré tant d'admirateurs, n'est pas plus avancé que celui qui n'est pas consul. Ils sont égaux devant la mort; encore un peu de temps, et tous les deux ne seront plus. Répondez combien de temps a duré cette splendeur? Deux jours, l'espace d'un songe. Mais, me direz-vous, un songe n'est qu'un songe. Eh bien ! ce qui se passe ici-bas, en plein jour, n'est-ce pas un songe aussi ? Pourquoi donner un autre nom à ces événements ? Quand le jour paraît, le songe rentre dans le néant ; une fois la nuit venue, ces grands événements du jour ne sont plus rien. Eh bien ! le jour et la nuit ne se partagent-ils point la durée par égales portions? Si donc ces agréables rêves d'une nuit ne laissent pas de trace pendant le jour, comment les événements de la journée laisseraient-ils pendant la nuit une impression de plaisir? Vous avez été consul,.et moi aussi. La différence entre nous, c'est que vous avez été consul, pendant le jour, et moi pendant la nuit. Qu'en résulte-t-il ?C'est que vous n'êtes pas plus avancé que moi.

Mais, direz-vous peut-être, ce nom de consul que fon vous donne en réalité ne résonne-t-il pas à vos oreilles avec plus de douceur, et n'a-t-il pas tous les charmes de la renommée? Eh quoi! car je veux faire une supposition et m'expliquer plus clairement, une fois que j'aurai dit: Un tel est consul, une fois que je lui aurai donné ce nom, (496) n'est-ce pas là un mot qui s'envole aussitôt qu'on le prononce? Et certes, la chose a le même sort que le mot. Le consul ne fait que paraître, et il n'est déjà plus. Donnons à ce dignitaire un ou deux ans, trois ou quatre ans, pour rester consul... c'est bien assez. Car où trouver des hommes qui aient été consuls pendant dix ans? Mais il n'en est pas ainsi de Paul. Tant qu'il a vécu, sa splendeur n'a pas été cette splendeur éphémère qui brille un ou deux jours, qui s'éclipse au bout de dix, de vingt ou de trente jours, qui s'efface au bout de dix ans, de vingt ans ou de trente ans. Quatre cents ans ont déjà passé sur sa cendre, et aujourd'hui il est plus illustre encore et bien plus illustre que de son vivant. Et je ne parle ici que de sa gloire terrestre ; car la gloire dont il est revêtu dans les cieux, quelle bouche pourrait l'exprimer? Aspirons donc, je vous en prie, à cette gloire céleste; tâchons de l'obtenir; car c'est la seule gloire véritable. Laissons de côté les biens de cette vie, pour trouver grâce et miséricorde devant Jésus-Christ Notre-Seigneur, auquel, conjointement avec le Père et le Saint-Esprit, gloire, honneur, puissance et adoration, maintenant et toujours, et dans tous les siècles des siècles. Ainsi soit-il.



HOMÉLIE 10 - LORSQU'UNE TERRE, SOUVENT ARROSÉE PAR LA PLUIE, PRODUIT DES HERBAGES UTILES A CEUX QUI LA CULTIVENT, ELLE REÇOIT LA BÉNÉDICTION DE DIEU;

1000
MAIS QUAND ELLE NE JETTE QUE DES ÉPINES ET DES RONCES, C'EST UNE TERRE RÉPROUVÉE QUI EST MENACÉE DE LA MALÉDICTION DU SEIGNEUR, ET A LAQUELLE IL FINIT PAR METTRE LE FEU. (
He 6,7-12)

Analyse.

1. La terre dont il est question dans le septième et dans le huitième verset du chapitre 6, c'est l'âme humaine; la pluie, c'est 1a doctrine céleste. — La crainte du Seigneur ne doit pas abandonner nos âmes.
2. En méditant les paroles du verset 8, on voit que Dieu laisse jusqu'à la fin la porte du salut ouverte au repentir, et que c'est à la persistance dans le mal qu'il réserve ses terribles châtiments.
3. Paul, en parlant aux Hébreux, sait mêler, dans de justes proportions, l'éloge et le blâme. Il rappelle aux Hébreux leur passé; il leur cite l'exemple d'Abraham.
4. La charité du chrétien ne doit avoir rien de mesquin ni d'étroit. — Elle doit s'étendre aux laïques comme aux religieux, au païens comme aux fidèles. — Il serait honteux pour lui de rester, en fait de charité, au-dessous du bon samaritain.

1001 1. Ecoutons avec crainte la parole de Dieu ; écoutons-la avec crainte et avec une crainte profonde. « Servez Dieu avec crainte », dit le Psalmiste, « et réjouissez-vous devant lui avec terreur ». (Ps 2,11) Or, si notre joie et notre allégresse doivent être mêlées de terreur, que sera-ce donc quand nous entendrons des paroles, comme celles de ce chapitre, et quel châtiment ne méritons-nous pas si nous écoutons ces paroles sans émotion ? Après avoir dit que l'homme devenu pécheur après le baptême, ne peut en recevoir un second et obtenir, par ce second baptême, la rémission de ses péchés, l'apôtre ajoute aussitôt : « Lorsqu'une terre, souvent arrosée par la pluie produit des herbages utiles à ceux qui la cultivent; elle reçoit la bénédiction de Dieu. Mais, quand elle ne jette que des épines et des ronces, c'est une terre réprouvée qui est menacée de la malédiction du Seigneur, et à laquelle il finit par mettre le feu » (He 6,7): Tremblez donc, ô mes chers frères. Ces paroles menaçantes ne sont ni celles de saint Paul, ni celles d'un homme; ce sont celles de l'Esprit-Saint, ce sont celles du Christ qui emprunte la voix de l'apôtre. Où trouver ces âmes qui ressemblent à des champs sans épines? Quand nous serions tout à fait purs, il ne faudrait pas encore avoir trop de confiance. Nous devrions toujours craindre, nous devrions toujours trembler de sentir les épines germer dans nos âmes. Mais, quand nous sommes au dedans tout hérissés d'épines, et de ronces, d'où nous vient tant de confiance, je vous le demande ? Pourquoi tant de paresse et tant de lenteur? Quand on est debout, on doit craindre de tomber. « Que celui qui est debout prenne garde de tomber, dit saint Paul ». (1Co 10,12) A plus forte raison, quand on est tombé, on doit avoir peur de ne plus pouvoir se relever. Si Paul, ce prédicateur de la foi, cet homme juste craint d'être réprouvé (1Co 9,27); nous qui sommes des réprouvés en effet, quel pardon pouvons-nous attendre, quand nous né craignons pas Dieu, quand nous remplissons nos devoirs de chrétiens par routine et à la légère ? Tremblons donc, ô mes chers frères « car Dieu manifeste sa colère du haut des cieux ». (Rm 1,18) Cette colère éclate non-seulement contre l'impiété, mais contre toute iniquité grande et petite.

Puis saint Paul fait allusion à la bonté de Dieu et à sa clémence. Cette pluie dont il nous parle, c'est la doctrine céleste. Par ce seul mot, il rappelle ce qu'il a dit plus haut : « Vous devriez déjà être des maîtres ». Dans maints passages de l'Ecriture on rencontre cette comparaison de la doctrine céleste avec une pluie féconde. « J'ordonnerai aux nuages », dit le Seigneur, « de ne pas laisser tomber la pluie sur cette vigne ». (Is 5,6) (497) Ailleurs l'amour de la doctrine chrétienne est comparé à la faim et à la soif. (Am 55,11) Et dans un autre endroit, il est dit encore : « Le fleuve de Dieu coule à pleins bords ». (Ps 64,10) Ces mots « une terre souvent arrosée par la pluie », montrent que les Hébreux ont entendu la parole de Dieu, mais que cette parole a arrosé leurs âmes sans les féconder. Paul semble dire à ses auditeurs: Si vos âmes n'avaient pas été cultivées et arrosées, votre malheur ne serait pas si grand. « Si je n'étais pas venu », est-il dit, « si je ne leur avais pas parlé, il n'y aurait pas eu péché de leur part ». (Jn 15,22) Mais, puisque vous avez reçu en abondance la parole de Dieu, pourquoi ces mauvaises herbes qui ont remplacé les fruits? « J'attendais des raisins et je trouve des épines ». (Is 6,2) Vous voyez que dans l'Ecriture, les épines représentent toujours les péchés : « Je me suis tourné et retourné dans mon malheur, et les épines se sont enfoncées dans ma chair ». (Ps 31,4) C'est que l'épine n'entre pas seulement dans l'âme, elle s'y enfonce. C'est qu'il en est du péché comme de l'épine ; si nous ne l'arrachons en, entier de notre âme, le peu qui reste, nous fait souffrir. Que dis-je ? le péché une fois arraché tout entier de notre âme, y laisse de douloureuses cicatrices. Il faut bien des remèdes, il faut un traitement assidu pour opérer la guérison pleine et entière de cette âme blessée et endolorie par le péché. Il ne suffit pas d'extirper le péché, il faut panser et soigner la plaie qu'il a faite. Mais j'ai bien peur que plus encore que les juifs, nous ne devions nous appliquer les paroles de l'apôtre: « Une terre souvent arrosée ». Cette parole de Dieu en effet descend sur nous sans cesse, elle imprègne sans cesse nos âmes. Mais, au premier rayon de soleil, toute cette pluie s'évapore, et voilà pourquoi nous ne produisons que des épines. Ces épines quelles sont-elles? Ecoutons-le Christ; il nous dira que ce sont les préoccupations mondaines et les trompeuses richesses de cette terre qui étouffent la doctrine de Dieu et qui la rendent stérile. (Lc 8,14) Notre âme, sans cela, serait « une terre fréquemment arrosée et produisant des plantes utiles ».

1002 2. Il n'y a rien d'aussi utile que la pureté de la vie, rien qui offre un ensemble aussi harmonieux que la vie parfaite, rien qui convienne autant à l'homme que la vertu. « Produisant », est-il dit, « des herbages utiles à ceux qui la cultivent, elle reçoit la bénédiction de Dieu » (He 6,7). Il rapporte ici tout à Dieu, en attaquant indirectement les gentils qui attribuaient la production des fruits à la fertilité de la terre. Ce n'est pas la main du laboureur, dit-il, c'est l'ordre de Dieu qui lui fait porter ces fruits. « Elle reçoit la bénédiction de Dieu » (He 6,7). Et voyez comment il s'exprime en parlant des épines. Il ne dit pas « produisant », mot qui entraîne une idée d'utilité ; il dit: « Jetant » des épines. « Est une terre réprouvée », dit-il, «et menacée de la malédiction du Seigneur» (He 6,8). Ah ! combien ces paroles sont consolantes. Elle est menacée d'être maudite ; mais elle ne l'est pas encore. Or, quand on n'est pas encore maudit, quand on n'est encore que menacé, la malédiction peut être loin. Autre consolation: il n'a pas dit: C'est une terre à laquelle il mettra le feu, mais à laquelle il « finit » par mettre le feu. Ce châtiment est réservé à la terre qui continue jusqu'à la tin à être une mauvaise terre. Si donc nous chassons avec le fer et le feules épines de notre coeur, nous pourrons jouir d'avantages sans nombre, nous pourrons être au nombre des bons,et participer à la bénédiction de Dieu. C'est avec raison qu'il compare les péchés à des ronces ; le péché en effet, annoncé partout son contact par des lésions, par des déchirements; son aspect même est hideux et repoussant. Après les avoir frappés, épouvantés et piqués au vif, il met un baume sur les plaies qu'il leur a faites, pour qu'ils ne soient pas trop abattus ; car des coups trop violents changent la lenteur en apathie. Il ne les flatte pas trop, pour ne pas leur donner trop de confiance, il ne les frappe pas trop, de peur de les abrutir; mais il mêle, dans de justes proportions, les coups qu'il porte et les remèdes, pour arriver à ses fins. Voici son langage : En vous parlant ainsi, nous n'avons pas pour but de vous condamner, nous ne vous regardons pas comme des natures hérissées d'épines, nous ne craignons même pas que vous soyez jamais ainsi, mais nous aimons mieux vous imposer une crainte salutaire que de vous voir souffrir un jour. Voilà comment saint Paul sait s'y prendre. Il n'a pas dit : Nous pensons, nous conjecturons, nous espérons que vous serez sauvés; il a dit : « Nous avons confiance en vous », nous attendons de vous une conduite meilleure et plus en rapport avec votre salut. Il écrivait aux Galates J'espère de la bonté du Seigneur que vous n'aurez pas d'autres sentiments que les miens. (Ga 5,10) Il parle ainsi pour l'avenir; car il avait réprimandé les Galates; et leur conduite; pour le moment, ne méritait pas ses éloges. Mais dans cette épître aux Hébreux, il parle du présent . « Nous avons confiance, nous augurons ».

Mais n'ayant pas grand'chose de bon à dire de l'état des juifs, à l'époque où il parle, il cherche dans leur passé des motifs de consolation qu'il leur présente en ces termes : « Dieu n'est pas injuste pour oublier vos bonnes oeuvres et la charité que vous avez témoignée par l'assistance que vous avez rendue en son nom et que vous rendez encore aux saints (He 6,10) ». Ah! comme il sait bien ranimer, raffermir leurs âmes, en leur rappelant le passé, en leur rappelant que Dieu n'a rien oublié ! Le moyen d'éviter le péché en effet, si l'on ne croit pas fermement à la justice des jugements de Dieu, si l'on ne croit pas fermement qu'il récompensera chacun selon ses oeuvres? Sans cette conviction, comment peut-on croire à la justice de Dieu? Il force donc les Hébreux à tourner leurs regards vers l'avenir. Car l'homme que le présent décourage et désespère, peut encore puiser dans la contemplation de l'avenir une certaine confiance. Voilà pourquoi il écrivait aux Galates : « Vous couriez si bien autrefois. Qui donc est venu enchaîner votre ardeur? » Puis : « Avez-vous donc souffert en vain tant d'épreuves, si toutefois vous les avez souffertes en vain? » Dans cette épître aux Hébreux ne leur dit-il pas, d'un ton de reproche qui renferme (498) aussi un éloge. Depuis le temps que vous apprenez, vous devriez être des maîtres ? Eh bien ! Il dit aussi aux Galates : « Je m'étonne que vous ayez changé si vite ». Cet étonnement implique un éloge; car lorsqu'on a fait de grandes choses et qu'on ne les fait plus, nous nous étonnons. Voyez-vous maintenant comme, sous l'accusation et la réprimande, l'apôtre s'entend bien à cacher un éloge? Et il ne parle pas en son nom ; il parle au nom de tout le monde. Il ne dit pas : J'ai confiance, mais : « Nous avons confiance en vous. « Nous augurons mieux de votre salut » : c'est-à-dire de votre conduite à l'avenir ou de la rémunération qui vous attend. S'il a parlé plus haut de cette terre réprouvée qui est menacée de la malédiction et du feu, il prévient toute application que les Hébreux pourraient se faire à eux-mêmes de ces paroles, et il se hâte d'ajouter : « Dieu n'est point injuste pour oublier vos oeuvres et votre charité », leur montrant par là que ce qu'il a dit plus haut ne s'applique pas directement à eux. Mais si ces menaces ne s'appliquent pas à nous, pourraient objecter ses auditeurs, pourquoi ces paroles qui semblent nous reprocher notre paresse? Pourquoi nous rappeler cette terre qui jette des épines et des ronces? «Nous désirons », dit l'apôtre, « que chacun de vous fasse paraître jusqu'à la fin le même zèle, afin que votre espérance soit accomplie et que vous ne soyez point paresseux, mais que vous vous rendiez les imitateurs de ceux qui, par leur foi et par leur patience, sont devenus les héritiers des promesses (He 6,11-12) ».

1003 3. Nous désirons, dit-il, et notre désir est bien réel. Mais que désirez-vous, ô saint apôtre ? Nous désirons que vous persévériez dans la vertu, non parce que nous condamnons votre passé, mais parce que nous craignons pour l'avenir. Il n'a pas dit : Ce n'est pas votre passé que je condamne, c'est le présent, c'est votre dissolution, c'est la paresse dans laquelle vous êtes tombés. Non, le reproche, il le leur adresse avec douceur et à mots couverts; il ne les frappe pas brutalement. Que dit-il en effet? Il dit : « Nous désirons que chacun de vous fasse paraître jusqu'à la fin le même zèle » (He 6,11). Paul, en cette circonstance, fait preuve d'un tact admirable. Il ne leur met pas sous les yeux leur tiédeur. « Nous souhaitons que chacun de vous fasse paraître jusqu'à la fin le même zèle », leur dit-il; c'est-à-dire : Je fais des voeux pour que votre ardeur ne se refroidisse pas, pour que vous soyez maintenant et toujours tels qu'on vous a vus d'abord. Ces ménagements ôtent l'amertume du reproche qui de cette manière est accepté facilement. Et encore ne dit-il pas : Je veux; ce n'est pas un maître qui commande; c'est un père bienveillant qui exprime un souhait. « Nous désirons »; c'est comme s'il s'excusait d'avoir quelque chose de pénible à leur dire. « Nous désirons que chacun de vous fasse paraître jusqu'à la fin le même zèle, afin que votre espérance soit accomplie». Quel est le sens de ces mots? L'espérance, dit-il, vous soutient et vous ranime. Ne vous laissez point abattre, ne vous désespérez pas; vos espérances ne seront point vaines. Quand on fait bien, on doit avoir bon espoir, on ne doit jamais désespérer. « Afin que vous ne deveniez point paresseux » (He 6,12). Il leur a dit plus haut : « Vous êtes devenus inattentifs ». Mais, en parlant ainsi, il ne s'en prend qu'à leur inattention du moment, maintenant ses paroles ont un autre sens. Il était sur le point de leur dire : Ne persistez pas dans votre tiédeur, mais il leur dit : Gardez-vous de tomber dans la paresse. Il parle pour l'avenir, et ses paroles n'ont rien de compromettant; car on ne peut condamner l'avenir qui n'existe pas encore. Dire à un homme négligent: Maintenant faites diligence et montrez-vous vigilant, c'est peut-être le moyen de le rendre plus négligent et plus paresseux. Mais, quand on dit : « A l'avenir », il n'en est pas ainsi. « Nous désirons;», dit-il, « que chacun de vous fasse paraître le même zèle ». C'est un langage plein de bienveillance; il s'occupe des grands et des petits; il les connaît tous, il ne méprise personne ; tous ses auditeurs ont également part à sa sollicitude et à sa considération. C'est ainsi qu'il leur faisait accepter sa parole, quelque sévère, quelque amère qu'elle fût. « Il ne faut pas que vous deveniez paresseux », dit-il, car, si la paresse altère les forces physiques, elle rend l'âme moins ardente pour le bien, elle l'énerve, elle l'affaiblit.

« Imitez », dit-il, « ceux qui par leur foi et par leur patience sont devenus les héritiers des promesses » (He 6,12). Et ceux-là quels sont-ils? Il vous le dit plus bas. Marchez sur les traces de votre passé. Et, pour qu'ils ne l'interrogent plus à ce sujet, il remonte jusqu'à Abraham le patriarche, il leur montre le beau côté de leur propre histoire, il leur offre, pour affermir leurs âmes, l'exemple du saint patriarche. Il ne veut pas qu'ils se regardent comme une race dédaignée, comme une race sans valeur et abandonnée de Dieu. Il faut qu'ils se pénètrent de cette vérité, qu'il appartient aux âmes nobles et courageuses de traverser les épreuves, et que Dieu s'est servi des grands hommes, pour offrir cet exemple au monde. Il faut, dit-il, tout supporter avec patience ; cette patience est encore de la foi. Car si celui qui vous fait une promesse l'accomplit à l'instant même, quelle occasion avez-vous eue de prouver votre confiance en lui? Le mérite n'est plus de votre côté; il est du mien. C'est moi qui ai prouvé tout d'abord ma fidélité à tenir ma parole. Mais si je vous dis : Voilà un don que je vous promets et si je ne vous fais ce don que dans cent ans, sans que, pour cela, vous ne cessiez de compter sur moi, oh! alors, c'est que vous avez confiance en moi, c'est que vous avez de moi l'opinion que je mérite. Vous voyez que l'incrédulité prend souvent sa source, non-seulement dans le désespoir, mais encore dans la faiblesse, dans l'impatience; vous voyez qu'elle ne vient pas de celui qui promet. « Dieu n'est pas injuste», dit l'apôtre, «pour oublier la tendre sollicitude que vous avez témoignée par les assistances que vous avez rendues en son nom et que vous rendez encore aux saints » (He 6,10). Voyez comme il les ménage et comme il insiste sur ce point. Cette tendre sollicitude, ce n'est pas seulement aux saints, c'est à Dieu même que vous l'avez (499) témoignée. Tel est le sens de ces trois mots : « En son nom », c'est comme s'il disait: C'est pour la gloire de son nom que vous avez tout fait, et celui auquel vous avez témoigné cette tendre sollicitude ne vous dédaignera jamais et ne vous oubliera pas.

1004 4. Soyons attentifs à ces paroles, et prêtons aux saints notre assistance, car tous les fidèles sont des saints tant qu'ils restent fidèles. Qu'ils soient laïques et séculiers, peu importe. L'apôtre ne dit-il pas: « Le mari infidèle est sanctifié par une épouse fidèle, et l'épouse infidèle par un mari fidèle? » Voyez comme la foi sanctifie. Si donc nous voyons un laïque dans le malheur, tendons-lui la main. Que les solitaires qui se sont retirés sur la montagne ne soient pas les seuls objets de notre sympathie. Ils sont saints en même temps par leur vie et par leur foi : Mais, outre ces hommes, il en est d'autres qui sont saints par leur foi, et beaucoup d'autres par leur vie. Entrons dans le cachot du moine; mais pénétrons aussi dans celui du laïque. Le laïque aussi est un saint; le laïque aussi est notre frère. Mais si c'est un pécheur souillé de crimes? Eh bien! n'entendez-vous pas la voix du Christ qui vous dit : Ne jugez pas les autres, pour n'être pas jugés vous-mêmes? (Mt 7,1) Faites cela pour Dieu. Mais que dis-je? Quand cet infortuné serait un païen, il faudrait encore le secourir. Il faut secourir en un mot tous les malheureux, mais surtout les laïques, quand ce sont des fidèles. Ecoutez cette parole de Paul : «Faites du bien à tout le monde », mais surtout « aux fidèles qui servent, comme vous, le Seigneur ». (Ga 6,10) Je ne sais où nous avons pris cette habitude qui s'est introduite chez nous. Mais rechercher exclusivement, pour répandre sur eux ses bienfaits, les hommes voués à la vie monastique, entrer dans mille détails minutieux et dire : Si ce n'est pas un digne homme, si ce n'est pas un juste, s'il ne fait pas de miracles, je ne lui tends pas la main, c'est rapetisser la charité, c'est même l'anéantir avec le temps. Oui telle est la nature de la charité, qu'il faut la faire même aux pécheurs, même aux coupables. Etre charitable, c'est avoir pitié non-seulement des bons, mais des pécheurs.

Pour vous en convaincre, écoutez cette parabole du Christ : « Un homme qui descendait de Jérusalem à Jéricho, tomba entre les mains des voleurs ». (Lc 10,30) Ils le maltraitèrent et s'en allèrent, le laissant sur la route blessé et demi-mort. Survint un lévite qui aperçut le blessé et qui passa son chemin. Un prêtre en fit autant ; il vit ce malheureux et passa outre. Mais un Samaritain étant venu à l'endroit où était cet homme, en prit le plus grand soin. Il pansa ses blessures, y versa de l'huile, et l'ayant mis sur un âne, il le conduisit à une hôtellerie, et le recommanda à l'hôte. Et voyez la générosité de ce Samaritain : Je vous rembourserai de tous vos frais, dit-il à l'hôte. Eh bien! dit Jésus à un docteur de la loi, quel est du lévite, du prêtre ou du Samaritain, celui qui s'est montré le prochain de cet homme ?» Le docteur lui répondit : « C'est celui qui a exercé la miséricorde envers lui ». « Allez donc », lui dit Jésus, « et faites de même ». Comprenez-vous le sens de cette parole? Il n'y est pas fait mention de la reconnaissance du juif pour le Samaritain, mais de la conduite généreuse de ce dernier. La morale de cette parabole, c'est que notre charité doit être universelle, qu'elle ne doit pas s'étendre uniquement aux fidèles qui servent le Seigneur comme nous. Vous aussi faites comme le Samaritain. Si vous voyez un malheureux, n'en demandez pas davantage ; son malheur est un titre qui lui donne droit à votre assistance. Si vous secourez un âne qui va périr, sans demander à qui il appartient, vous devez à plus forte raison secourir un homme, sans vous demander s'il appartient à Dieu, s'il est juif ou païen. Si c'est un infidèle, c'est une raison de plus pour venir à son secours. S'il vous était permis d'examiner qui il est, et de le juger, toutes vos réflexions pourraient être raisonnables; mais son malheur vous ôte le droit de l'examiner. Car, s'il ne faut pas s'enquérir curieusement de ceux qui sont dans un état florissant, s'il ne faut pas se mêler des affaires des autres, la curiosité est encore bien plus condamnable, quand elle s'exerce aux dépens d'un malheureux. Mais vous, que faites-vous? Lorsque vous traitez cet homme de méchant et de pervers, est-il dans la prospérité, est-il tout brillant de gloire et de renommée? Non : cet homme est malheureux. Eh bien ! respect au malheur; ne traitez pas un infortuné de méchant et de pervers. C'est à celui que l'éclat environne qu'il faut adresser de semblables épithètes. Mais, quand un homme est dans le malheur, quand il a besoin de secours, il y aurait de la cruauté, il y aurait de l'inhumanité à l'appeler méchant et pervers.

Quoi de plus injuste que les juifs? Cependant, tout en les punissant comme ils le méritaient, Dieu a jeté un regard favorable sur ceux qui avaient pitié d'eux, et il a puni à leur tour ceux qui insultaient et qui applaudissaient à leur malheur. « Ils n'étaient pas touchés », est-il dit, « de la contrition de joseph ». (Am 6,6) Et il est dit encore : « Rachetez les captifs que l'on est en train d'immoler; pour les racheter, n'épargnez pas vos richesses ». () Le livre ne dit pas: Examinez bien cet homme et sachez qui il est: car il est vrai de dire que ces esclaves ont pour la plupart bien des défauts. Mais le livre dit simplement: «Rachetez-les»,quels qu'ils soient. Voilà surtout ce qui constitue la charité. Faire du bien à un ami, en effet, ce n'est pas agir en vue de Dieu ; mais faire du bien à un inconnu, voilà ce qui s'appelle faire le bien pour Dieu, dans toute la pureté, dans toute la sincérité de son âme. L'Ecriture dit : N'épargnez pas vos richesses ; s'il tant donner tout l'or que vous possédez, donnez-le. Et nous, à l'aspect de nos frères qui périssent, qui se lamentent, qui souffrent, injustement parfois, des tourments mille fois plus cruels que la mort, c'est notre argent, ce ne sont pas nos frères que nous épargnons. Nous ménageons ce qui n'a point d'âme, sans nous inquiéter des êtres animés. Cependant Paul nous dit : « Il faut reprendre avec douceur ceux qui résistent à la vérité, dans l'espérance que Dieu pourra leur donner un jour (500) l'esprit de pénitence, pour la leur faire connaître, et qu'ainsi ils sortiront des piéges du démon qui les tient captifs, pour en faire ce qu'il lui plaît». (2Tm 2,25) « Dans l'espoir ». Quelle patience sublime exprimée parce seul mot ! Faisons donc ainsi et ne désespérons de personne. Les pécheurs jettent souvent leurs filets à la mer, sans rien prendre; mais s'ils persévèrent, ils finissent par faire une bonne pêche. C'est pourquoi nous aussi nous ne désespérons pas et nous attendons que nos instructions portent leurs fruits et que ces fruits mûrissent dans vos âmes. Quand le laboureur a semé, il attend un jour, deux jours, bien des jours encore; puis tout à coup il voit de toutes parts germer la moisson. Cette moisson, nous l'attendons comme lui et nous la recueillerons dans vos âmes, par la grâce et la bonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ, auquel conjointement avec le Père et le Saint-Esprit, gloire, honneur et puissance, maintenant et toujours, et dans tous les siècles des siècles. Ainsi soit-il.

Traduit par M. BAISSEY.



Chrysostome sur Héb. I 804