Chrysostome sur Jean 42

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HOMÉLIE XLII. JÉSUS S'EN ALLA ENSUITE AU DELÀ DE LA MER DE GALILÉE, QUI EST LE LAC DE TIBÉRIADE.

- ET UNE FOULE DE PEUPLE LE SUIVAIT, PARCE QU'ILS VOYAIENT LES MIRACLES QU'IL FAISAIT SUR LES MALADES. - JÉSUS MONTA DONC SUR UNE MONTAGNE, ET S'Y ASSIT AVEC SES DISCIPLES. - OR, LA PÂQUE DES JUIFS APPROCHAIT. VERS. 1, 2,3,4, DU CHAP. 6, JUSQU'AU VERS. 15)

Jn 6,1-15

ANALYSE.

1. Il est quelquefois bon de se retirer loin de la persécution.
2. Miracle de la multiplication des pains. - Erreur des Marcionites.
3. Avec quel soin Jésus-Christ ménagé l'instruction de ses disciples dans l'opération de ses miracles.
4. Mépriser les dignités humaines et les richesses de la terre. - Les honneurs et les richesses de ce monde n'ont rien de comparable aux honneurs et aux biens que Dieu nous a promis.- La gloire des hommes est servile, pernicieuse, et de peu de durée. - Aimer, non cette gloire passagère, mais la gloire immortelle. - Différence de la servitude du monde et de celle de Jésus-Christ. - Contre les spectacles. - L'argent qu'on y dépense est criminellement employé: de quelle supplice n'est-on pas digne, lorsqu'on donne à des femmes de mauvaise vie et à des abominables l'argent qu'on doit distribuer aux pauvres?


1. Ne tenons point tête aux méchants, mes très-chers frères, mais apprenons à laisser le champ libre à leurs attaques contre nous, autant du moins que nous le pourrons sans compromettre notre vertu; c'est ainsi qu'on arrête et qu'on rend inutile toute leur fureur. Et comme un dard, s'il choque contre un corps dur et solide, revient avec une grande impétuosité sur celui qui l'a décoché; et, comme il perd aussitôt sa violence et toute sa force, si, quoique violemment lancé, il ne rencontre rien qui ait de la fermeté et de la résistance: de même les hommes colères et emportés deviennent plus furieux, lorsque nous leur résistons; et si nous cédons, aussitôt leur fureur s'apaise. Voilà pourquoi Jésus-Christ, lorsque les pharisiens eurent appris qu'il avait à sa suite plus de disciples que Jean, et qu'il baptisait plus que lui, s'en alla en Galilée pour étouffer leur jalousie, et par sa retraite il calma la fureur qu'avait sans doute allumée dans leur coeur l'envie qu'ils lui portaient. De retour en Galilée, il ne va point aux mêmes lieux où il avait été auparavant. Il ne vint point à Cana, mais il fut au-delà de la mer. Une grande foule de peuple le suivait pour contempler ses miracles. Quels miracles? Pourquoi saint Jean ne les raconte-t-il pas? Parce que cet évangéliste a rempli la plus grande partie de son livre des prédications de Jésus-Christ. En effet, dans l'histoire d'une année entière et même de la fête de Pâques, il ne fait mention d'aucun autre miracle que de la guérison du paralytique et du fils de l'officier; parce qu'il n'a pas voulu tout rapporter, et certainement il ne l'aurait pas pu; il s'est donc contenté de rapporter une faible partie des grandes oeuvres que Jésus-Christ a opérées.

«Et une grande foule de peuple le suivait», dit-il, «parce qu'ils voyaient les miracles qu'il faisait». Ce peuple ne suivait pas Jésus par une foi pure et ferme: il se laissait plutôt entraîner par la curiosité de voir des miracles que par amour pour l'admirable doctrine qu'ils avaient entendu prêcher: ce qui montre une âme grossière; car, dit l'apôtre: «Les «miracles sont, non pour les fidèles, mais pour les infidèles». (1Co 14,22) Mais le peuple, dont parle saint Matthieu, n'était pas de même, écoutez ce qu'il en dit: «Ils étaient «tous dans l'admiration de sa doctrine, parce «qu'il les instruisait comme ayant autorité». (Mt 17,28-29) Pourquoi Jésus monta-t-il sur une montagne et s'y assit-il avec ses [304] disciples? C'est à cause du miracle qu'il allait faire. Mais que les disciples y soient montés seuls, c'est la faute du peuple qui ne l'avait pas suivi. Au reste, Jésus-Christ n'est pas monté sur une montagne pour cette unique raison, mais encore pour nous apprendre à fuir la foule et le tumulte, et montrer que la solitude est propre à l'étude de la sagesse. Souvent aussi Jésus se retirait seul sur une montagne, et y passait toute la nuit en oraison (Lc 6,12), pour nous enseigner que celui qui veut s'approcher de Dieu, doit avoir l'esprit libre, exempt de tout trouble et de toute dissipation; et chercher un lieu paisible et tranquille.

«Or, le jour de Pâques, qui est là grande fête des Juifs, était proche». Pourquoi, direz-vous, Jésus ne se rendit-il pas à cette fête, et lorsque tous allaient à Jérusalem, pourquoi fut-il en Galilée, non seul, mais accompagné de ses disciples; et de là à Capharnaüm? C'est qu'il prenait l'occasion de la méchanceté des Juifs, pour abolir peu à peu la loi.

«Jésus ayant levé les yeux, vit une grande foule de peuple (5)». Ici Jésus-Christ nous fait connaître qu'il ne;s'est jamais assis avec ses disciples, sans une raison particulière; comme de leur parler, de les instruire avec plus d'attention, et de se les attacher: en quoi nous voyons le grand soin que sa divine Providence en avait, et combien il s'abaissait pour: se proportionner à leur faiblesse. Ils étaient assis tous ensemble, saris doute les yeux fixés les uns sur les autres. Ensuite «Jésus regardant, vit une grande foule de peuple qui, venait à lui». Les autres évangélistes, marquent que les disciples, s'approchant de Jésus, l'avaient prié et conjuré de ne les, pas renvoyer, à jeun. Saint Jean dit que Jésus-Christ s'adressa à Philippe. Je tiens pour vrais l'un et l'autre rapport, mais ces choses ne sont point arrivées dans le même temps; l'une a précédé l'autre, et les faits relatés sont différents. Pourquoi donc s'est-il adressé à Philippe? Jésus-Christ savait qui, de ses disciples avait le plus besoin d'instruction: et c'est Philippe qui dit à Jésus: «Montrez-nous votre Père, et il nous suffit». (Jn 14,8) C'est pourquoi il l'instruit auparavant de ce qu'il va faire: s'il eût tout simplement opéré le miracle, et sans l'y préparer, il ne lui aurait pas paru si grand. Il a donc sain de lui faire d'abord avouer sa disette, afin qu'il connaisse mieux la grandeur du miracle. Faites attention à sa réponse: «Où trouverons-nous tout le pain qu'il faut pour donner à manger à tout ce monde?» Le Seigneur fit de même, dans l'ancienne loi, à l'égard de Moïse, et cela avant d'opérer le miracle qu'il voulait faire: «Que tenez-vous à la main?» (Ex 4,2), lui dit-il. Comme les miracles qui arrivent inopinément et tout à coup, font facilement oublier ce qui s'est passé auparavant, Jésus-Christ rend Philippe attentif en lui faisant premièrement sentir et confesser sa disette; afin qu'ensuite son étonnement ne lui fasse pas perdre le souvenir de ce qu'ira lui-même reconnu et déclaré, et que la comparaison qu il fera lui montre toute la grandeur du miracle. Voilà aussi ce qui arriva en cette occasion. Philippe, à la question que lui fait Jésus-Christ, répond: «Quand on aurait pour deux cents deniers de pain, cela ne suffirait pas pour en donner à chacun tant soit peu (7). Mais Jésus disait ceci pour le tenter, car il savait bien ce qu'il devait faire (6)». Que signifie cette parole: «Pour le tenter? Jésus-Christ ignorait-il ce que répondrait Philippe? Non, c'est ne qu'on ne peut dire.

2. Quel est donc le sens de cette parole? Nous pouvons l'apprendre des livres de l'Ancien Testament, où on lit: «Après cela Dieu tenta Abraham, et lui dit: Prenez Isaac, votre fils unique, pour qui vous avez tant d'affection», (Gn 22,1-2) Car Dieu ne dit point cela pour savoir si Abraham obéirait ou s'il n'obéirait pas, «lui qui connaît toutes choses avant.

même qu'elles soient faites». (), Mais, en l'un et l'autre endroit, Dieu parle à la manière des hommes, comme lorsque l'Ecriture dit,: «Dieu pénètre. le fond du coeur.» (Rm 8,27), elle n'attribue pas à Dieu une ignorance, mais une exacte et parfaite connaissance; ainsi, lorsqu'elle dit: «Dieu tendre»; cela ne signifie autre chose, sinon que le Seigneur connut exactement, ou bien on peut encore dire que Dieu les rendit plus fermes dans la foi, en donnant alors à Abraham, et maintenant à Philippe, une plus grande connaissance du miracle par la demande même qu'il leur fit. C'est pourquoi l'évangéliste, de crainte que, la simplicité de, ces paroles ne vous inspirât d'absurdes sentiments, a ajouté: «Car il savait bien ce qu'il «devait faire». D'ailleurs, il faut partout remarquer le soin que prend l'évangéliste de. réprimer tous les mauvais soupçons. De même qu'en cet endroit il a soin de prévenir- la fausse [305] opinion que les Juifs pouvaient concevoir, en disant: «Car il savait bien ce qu'il devait faire»; de même, lorsqu'il dit plus haut les Juifs le persécutaient «parce que non seulement il ne gardait pas le sabbat, mais qu'il disait même que Dieu était son Père, se faisant ainsi égal à Dieu» (Jn 5,18); si ce n'eût été là le sentiment que Jésus-Christ lui-même voulait qu'on eût de lui et qu'il avait établi et confirmé par ses oeuvres, il n' aurait pas manqué de relever l'erreur. En effet, si dans ce que Jésus-Christ dit de lui-même, l'évangéliste craint les mauvaises interprétations et va au-devant des fausses idées qu'on pouvait se former; à plus forte raison, dans ce que les autres disaient de lui, a-t-il dû craindre de laisser passer des erreurs sans les signaler. Si donc, en cet endroit, il n'a rien dit, c'est qu'il savait que ces paroles exprimaient la pensée de Jésus-Christ et sa volonté éternelle. Voilà pourquoi saint Jean ayant dit «Se faisant égal à Dieu», n'a point ajouté de correctif, parce que l'opinion des Juifs n'était point fausse, et qu'en cela ils avaient de Jésus-Christ le vrai sentiment qu'ils en devaient avoir, ses oeuvres établissant et démontrant cette égalité.

Lors donc que Jésus eût interrogé Philippe, «André, frère de Simon Pierre, dit (8): Il y a ici un petit garçon qui a cinq pains d'orge et «deux poissons, mais qu'est-ce que cela pour «tant de gens? (9)». André a de plus grands sentiments que Philippe, et cependant il n'a pas tout à fait compris l'intention de Jésus-Christ. D'ailleurs, je crois qu'il n'a point parlé ainsi au hasard, mais qu'avant appris les miracles des prophètes, comme celui d'Elisée dans la multiplication des pains (2R 4,42), il conçut quelques sentiments plus élevés, sans atteindre toutefois le sommet. Pour nous, mes frères, qui aimons la bonne chère, remarquons ici quelle était la nourriture de ces hommes admirables, combien elle était simple par la qualité et le nombre des mets, et tâchons de les imiter en cela. Ce qu'André dit ensuite marque beaucoup de grossièreté, car à ces paroles: Un petit garçon a cinq pains d'orge, il ajouta: «Mais qu'est-ce «que cela pour tant de gens?» Il pensait apparemment que celui qui opérait des miracles ferait peu de choses de peu et beaucoup de beaucoup. Mais c'est en quoi il se trompait, car il était aussi facile à Jésus de produire une grande abondance avec beaucoup qu'avec peu, car il n'avait nullement besoin d'avoir la matière entre ses mains. Mais de peur qu'on ne crie qu'il n'était pas convenable à sa sagesse de faire usage des créatures, comme l'ont follement enseigné les marcionites, il s'est expressément servi des choses créées pour opérer des miracles. Lors donc que ces deux disciples avaient perdu toute espérance, Jésus-Christ fait le miracle. De cette manière, après qu'ils eurent reconnu et confessé la difficulté de trouver la quantité de pains qu'il fallait pour donner à manger à cette foule de peuple, le miracle, leur fut plus avantageux et plus profitable, en leur faisant connaître la vertu et la puissance de Dieu. Et comme ce miracle était de la nature de ceux que les prophètes avaient opéré, quoique Jésus-Christ ne le produisît pas de même qu'eux et qu'il fît précéder l'action de grâces, de peur toutefois que ces personnes simples et faibles ne tombassent dans quelque soupçon et dans quelque doute, voyez, mes frères, comment il prend tous les moyens pour élever leur esprit et leur faire sentir la différence. Lorsque les pains ne paraissaient point encore, c'est alors même qu'il fait le miracle, afin que vous sachiez que ce qui n'est point, comme ce qui est, lui est également soumis, ainsi que le déclare saint Paul: «Dieu appelle ce qui n'est point comme ce qui est». (Rm 4,17) Comme si déjà la table était préparée et le repas servi, Jésus-Christ ordonne sur-le-champ qu'on les fasse asseoir et voilà par où il élève l'esprit de ses disciples. Mais la preuve que la demande qu'il leur avait faite leur avait été utile, c'est qu'aussitôt ils obéirent; ils ne furent point troublés, ils ne dirent pas: Qu'est-ce que cela veut dire? Pourquoi commandez-vous qu'on les fasse asseoir, lorsqu'on ne voit rien à manger? Ainsi, les disciples, avant de voir le miracle, commencèrent à croire, eux qui au commencement ne croyaient pas de même et qui disaient: «Où achèterons-nous des pains?» Ou plutôt même ils firent asseoir le peuple avec joie.

Mais d'où vient que Jésus-Christ, avant de guérir le paralytique, de ressusciter un mort, de calmer la mer, ne prie point, et qu'ici il prie lorsqu'il va multiplier les pains? C'est pour nous apprendre qu'avant de manger, il faut rendre grâces à Dieu. Au reste, c'est dans les plus petites choses que Jésus-Christ a [306] coutume de rendre ainsi grâces à Dieu, afin de vous apprendre que ce n'est pas par nécessité qu'il le fait, car s'il avait eu besoin de le faire, il l'aurait plutôt fait dans les grandes oeuvres qu'il a opérées. Mais celui qui les a produites avec cette suprême autorité, on ne peut douter que, dans les autres, il n'agit ainsi par condescendance.

3. De plus, ici était présente une grande foule de peuple à qui il fallait persuader qu'il était envoyé de Dieu. Voilà pourquoi, lorsque Jésus-Christ opère quelque miracle en particulier, il ne fait point d'action de grâces; mais s'il le produit en présence de plusieurs, il en fait pour ôter le soupçon qu'il était ennemi de Dieu et contraire au Père. «Et il distribua les pains et les poissons à ceux qui étaient assis, et ils furent rassasiés (11)». Remarquez la différence qu'il y a entre le serviteur et le maître: les serviteurs, recevant la grâce avec mesure, faisaient aussi leurs miracles; mais Dieu, agissant avec un pouvoir absolu, opère toutes choses avec un luxe de puissance.

«Il dit à ses disciples: Amassez les morceaux qui sont restés. Ils les ramassèrent et «remplirent douze paniers (12 et 13)». Jésus-Christ ne fit pas amasser les morceaux par affectation et par vanité, mais afin qu on ne regardât pas le miracle comme une illusion et un prestige, et c'est aussi pour cela qu'il crée de nouveau, en se servant de la matière qu'il à sous sa main. Pourquoi Jésus-Christ a-t-il fait distribuer le pain par ses disciples, et non par le peuple? Parce que ce sont principalement eux qu'il voulait instruire, eux qui devaient être les docteurs de tout le monde. Le peuple ne devait pas encore tirer un grand fruit des miracles; en effet, ils oublièrent aussitôt celui-ci, et ils en demandèrent un autre. Mais les disciples en devaient beaucoup profiter, et aussi ce ne fut point là un faible sujet de condamnation pour Judas, qui avait porté un panier comme les autres. Or, que, ce soit pour leur instruction que Jésus-Christ ait fait cela, l'allusion qu'il y fit ensuite le montre clairement; car il leur dit: «Ne vous souvient-il point encore du nombre des paniers que vous avez emportés?» (Mt 16,9) Et c'est aussi pour la même raison que le nombre des paniers fut égal à celui des disciples. Mais dans le second miracle, comme ils étaient déjà instruits, il ne resta que sept corbeilles. Pour moi, dans ce miracle, je n'admire pas seulement la multiplication des pains, mais, avec cette quantité de morceaux, j'admire ce juste nombre de paniers, et le soin qu'eut Jésus-Christ qu'il n'en restât ni plus ni moins, mais précisément ce qu'il voulut, prévoyant la consommation qui serait faite, signe visible d'une puissance ineffable. Ces morceaux confirmèrent donc-le miracle, en prouvant, et qu'il n'y avait point là de prestige ni d'illusion, et que le repas avait laissé des restes. Le miracle des poissons, Jésus-Christ le fit alors des poissons mêmes qu'on lui avait présentés; mais. après sa résurrection, il n'employa plus de matière. Pourquoi? pour nous apprendre que s'il s'était servi dans cette occasion d'une chose déjà créée, ce n'était pas qu'il eût besoin de matière ni d'éléments, mais que c'était uniquement pour fermer la bouche aux hérétiques (1).

1. «Hérétiques». Les marcionites, les manichéens et leurs sectateurs.

«Le peuple disait: C'est là vraiment le prophète (14)». O prodige de la gourmandise! Jésus-Christ avait fait une infinité de miracles plus admirables que ceux-ci, et ils n'ont reconnu et confessé qu'il était le prophète (2), qu'après qu'ils eurent été rassasiés. Mais notre récit prouve évidemment qu'ils étaient dans l'attente de quelque grand et excellent prophète. En effet, les uns disaient: «N'êtes-vous pas le prophète?» les autres: «Il est le prophète. Mais Jésus sachant qu'ils devaient «venir l'enlever pour le faire roi, s'enfuit encore sur la montagne (15)». Ah! qu'il est grand le tyrannique empire de la gourmandise! Quelle légèreté d'esprit1 ils ne vengent plus la loi, ils ne se mettent plus en peine de la violation du sabbat. Ils ne sont plus emportés du zèle de l'amour de Dieu; leur ventre est plein, ils ont tout oublié; le voilà maintenant, leur prophète, et ils vont le couronner roi: mais Jésus-Christ s'enfuit. Pourquoi? Pour nous apprendre à mépriser les dignités, et nous faire connaître qu'il n'a nul besoin des choses terrestres: Celui qui, venant au monde, a cherché la simplicité en tout, dans le choix d'une mère, d'une maison, d'une patrie, dans son éducation, dans ses habits, ne devait pas se rendre illustré par les choses de la terre: il était grand et illustre par les choses qu'il a, apportées du ciel, par les anges, par l'étoile, 307 par la voix que le Père a fait retentir, par le témoignage de l'Esprit-Saint, par les prophètes qui longtemps auparavant l'avaient annoncé. Sur la terre, tout était bas, tout était vil, afin que sa puissance en éclatât davantage. De plus, il est venu pour nous enseigner que nous devons mépriser les choses présentes, et ne point admirer ce qui paraît brillant en cette vie, mais nous en moquer et n'aimer que les biens à venir. En effet, celui qui admire les choses de ce monde n'admirera point celles du ciel. Voilà pourquoi Jésus-Christ disait à Pilate: «Mon royaume n'est pas de ce monde» (Jn 18,36), afin qu'il ne parût pas se servir d'une crainte ni d'une puissance humaine pour persuader son innocence. Pourquoi donc le prophète dit-il: «Voici votre roi qui vient à vous plein de douceur; il est monté sur l'ânon de celle qui est sous le joug?» (Za 9,9 Mt 21,5) Le prophète parle du royaume céleste et non pas de celui de la terre. C'est pourquoi Jésus-Christ disait encore: «Je ne tire point ma gloire d'un homme». (Jn 5,41)

2. «Le Prophète». C'est-à-dire le prophète attendu, prédit, annoncé par Moïse. (Dt 18,15)

4. Apprenons donc, mes très-chers frères, à mépriser les dignités humaines, bien loin de les désirer. Nous sommes élevés à une grande et haute dignité; c'est un outrage, une moquerie et une vraie comédie que de lui comparer les dignités, les honneurs de ce monde: de même que les richesses de la terre, si vous les comparez à celles du ciel, sont la pauvreté même, et cette vie sans l'autre, une mort: «Laissez aux morts», dit Jésus-Christ, «le soin d'ensevelir leurs morts» (Mt 8,22); de même aussi cette gloire, si on la compare à celle qui nous attend, n'est qu'une honte, une risée, un jeu. Ne la recherchez donc pas. Si ceux qui la donnent sont plus vils et plus méprisables que l'ombre et qu'un songe, la gloire elle-même l'est bien plus encore. «La gloire de l'homme est comme la fleur de l'herbe». (1P 1,24) Est-il rien de plus vil que la fleur de l'herbe? Mais quand cette gloire serait de longue durée, quel profit, quel avantage l'âme en retirerait-elle? Aucun: au contraire, elle nuit extrêmement, elle nous asservit, nous rend ses valets et de pire condition que les esclaves, des valets forcés de servir, non un seul maître, mais deux, trois et mille qui commandent tout à la fois des choses différentes. Combien n'est-il pas plus avantageux d'être libre que d'être

esclave? d'être libre de la servitude des hommes, et d'obéir aux commandements de Dieu? Enfin, vous voulez aimer la gloire, aimez-la; mais aimez la gloire immortelle: elle est plus brillante et beaucoup plus utile. C'est au prix de votre salut que le monde vous rend son admiration; mais Jésus-Christ vous donne le centuple de tout ce que vous lui donnez, et encore y ajoute-t-il la vie éternelle. Que vaut-il donc mieux: être l'admiration de la terre on du ciel; des hommes ou de Dieu? Pour votre perte ou pour votre profit? Etre couronné pour un jour ou pour des siècles sans fin?

Donnez à l'indigent et non à ce baladin, de peur qu'avec votre argent vous ne perdiez aussi son âme. Lorsque vous allez curieusement et fort mal à propos le voir danser, vous êtes responsable de sa perte. Si ces malheureux savaient que leur art ne leur sera d'aucun profit, déjà depuis longtemps ils l'auraient abandonné: mais lorsqu'ils vous voient accourir, applaudir, ouvrir votre bourse et épuiser toutes vos richesses pour les enrichir, encore qu'ils ne voulussent plus s'obstiner dans leur métier, l'appétit du gain les y tient attachés. S'ils savaient que personne ne prendra plaisir à leurs exercices, le profit cessant, vite ils quitteraient le métier; mais comme ils se voient admirés, l'approbation publique est une amorce qui les séduit.

Cessons de faire d'inutiles dépenses: apprenons en quoi et quand il faut dépenser: craignons d'irriter la colère de Dieu; et en amassant par où il n'est pas permis d'amasser, et en répandant où il ne le faut point. De quelle vengeance n'êtes-vous pas digne lorsque, laissant là le pauvre, vous donnez à une prostituée? Et quand même vous ne lui donneriez qu'un argent bien acquis, récompenser le crime et honorer ce qui mérite punition, n'est-ce pas là un grand péché? Mais si vous dépouillez l'orphelin et frustrez la veuve pour encourager l'incontinence, songez au feu que Dieu allumera pour punir une action si abominable. Ecoutez ce que dit saint Paul: «Ceux qui font ces choses sont dignes de mort; et non-seulement ceux qui les font, mais aussi quiconque approuve ceux qui les font». (Rm 1,32) Peut-être nos réprimandes sont-elles trop dures et trop fortes, mais notre silence même ne vous préserverait pas des supplices préparés pour ceux qui ne se [308] corrigent point. A quoi bon flatter de douces paroles ceux qui sont menacés d'un supplice effectif? Vous louez ce danseur, vous l'applaudissez, vous l'admirez, donc vous êtes pire que lui. Lui, sa pauvreté semble l'excuser, si elle ne le justifie pas; mais vous, vous ne pouvez pas même nous apporter cette excuse. Lui, si je l'interroge et lui dis: Pourquoi avez-vous laissé de côté les autres arts pour en exercer un qui est impur et exécrable, il me répondra: C'est parce que, moyennant un petit travail, je puis beaucoup gagner. Mais vous, si je vous demande pourquoi allez-vous applaudir un homme sans moeurs, qui vit pour la perte d'une infinité de gens? vous ne pourrez pas avoir recours à une pareille excuse vous serez forcé de baisser les yeux, et vous rougirez malgré vous. Que si, même devant nous, vous êtes hors d'état de vous justifier, lorsque le terrible et redoutable Juge paraîtra assis à son tribunal, lorsqu'il nous faudra rendre compte, et de nos pensées et de nos actions, comment pourrons-nous subsister? De quels yeux regarderons-nous notre juge? Que dirons-nous? Quelle défense apporterons-nous? Quelle excuse bonne ou mauvaise aurons-nous à donner? Dirons-nous que nous avons été six spectacle pour y faire de la dépense, pour le plaisir que nous y trouvions, pour la ruine de ceux que nous faisons périr par cet infâme métier? Sûrement nous ne pourrons rien répondre, mais nous serons infailliblement condamnés à un supplice qui ne finira jamais, qui durera éternellement. Dès maintenant prenons garde de ne pas tomber dans ce malheur, afin que; sortant de cette vie avec une bonne espérance, nous obtenions les biens éternels que je vous souhaite, par la grâce et la miséricorde de Notre-Seigneur Jésus-Christ, par lequel et avec lequel gloire soit au Père et au Saint-Esprit, maintenant et toujours, et dans tous les siècles! Ainsi soit-il.



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HOMÉLIE XLIII. LORSQUE LE SOIR FUT VENU, SES DISCIPLES DESCENDIRENT AU BORD DE LA MER

- ET MONTÈRENT SUR UNE BARQUE, POUR PASSER AU DELA DE LA MER, VERS CAPHARNAÜM. IL ÉTAIT DÉJÀ NUIT QUE JÉSUS N'ÉTAIT PAS ENCORE VENU A EUX. - CEPENDANT LA MER COMMENÇAIT A S'ENFLER A CAUSE DU GRAND VENT QUI SOUFFLAIT. (VERS. 16,17, 18, JUSQU'AU VERS. 26)

Jn 6,16-26

ANALYSE.

1. Jésus traverse la mer sans barque et apaise une tempête. - Jésus faisait certains miracles, sans autres témoins que ses disciples.
2. Inconstance et légèreté du peuple. - Miracle du passage de la mer Rouge, miracle de Jésus-Christ marchant sur la mer; leur différence. - Dieu veut que nous lui rendions grâces des biens terrestres et des biens spirituels qu'il nous fait. - Ne demander à Dieu que les biens spirituels, comme les seuls nécessaires. - Quelles sont les choses que nous devons principalement demander au Seigneur. - Les pécheurs, les scélérats sont riches, pourquoi? - Aimer des véritables richesses.


1. Ce n'est pas seulement quand Jésus-Christ est, de corps, auprès de ses disciples, qu'il s'occupe d'eux, c'est encore lorsqu'il est absent et même fort éloigné. Sa toute-puissance lui permet de produire des effets pareils dans les conjonctures les plus différentes. Remarquez, par exemple, ce qu'il fait ici: ayant laissé ses disciples, il gravit la montagne. Le Maître étant absent, les disciples, sur le tard, descendirent au bord de la mer et demeurèrent là [309] jusqu'au soir à attendre qu'il revînt; lorsque le soir fut venu, dans l'inquiétude et l'impatience où ils étaient, ils cherchèrent avec empressement leur cher Maître, tant leur âme était embrasée du feu de son amour. Ils ne disent pas: Le soir est venu, la nuit approche, maintenant où irons-nous? Ce lieu est dangereux, l'heure est périlleuse: inspirés par leur ardente affection, ils montent dans une barque. Et ce n'est pas sans raison que l'évangéliste indique le temps, c'est pour montrer l'ardeur de leur amour. Pourquoi donc Jésus s'était-il éloigné de ses disciples? ou plutôt pourquoi paraît-il de nouveau tout seul, marchant sur la mer? Premièrement, pour leur apprendre combien il était triste et dangereux pour eux d'être seuls et séparés de lui, et pour enflammer davantage leur coeur; en second lieu; pour leur montrer sa puissance. Comme Jésus-Christ ne les instruisait pas seulement en public avec tout le peuple, mais encore en particulier, de même aussi il faisait pour eux des miracles particuliers que le peuple ne voyait pas, parce qu'il était juste que ceux à qui il devait confier la conversion et le gouvernement de tout le monde, reçussent aussi de plus grandes grâces et de plus grands dons que les autres.

Et quels sont les miracles, direz-vous, que les seuls disciples ont vu? La transfiguration sur la montagne, le miracle que Jésus fait ici sur la mer, beaucoup de choses admirables et merveilleuses après sa résurrection, et, comme je le crois, bien d'autres encore. Les disciples vinrent donc vers Capharnaüm; véritablement ils ne savaient pas où était allé leur Maître, mais ils espéraient de le rencontrer là ou dans leur navigation. Saint Jean l'insinue en disant que le soir étant arrivé, Jésus n'était pas encore venu, et que la mer s'était enflée à cause d'un grand vent qui soufflait. Et les disciples? Ils étaient troublés, et certes, il y avait sujet de l'être; bien des choses étaient capables de les épouvanter: le temps, car il était nuit; la tempête, car la mer s'était enflée; le lieu, car ils n'étaient pas proche de la terre. Mais «comme ils eurent fait environ vingt-cinq stades (19)», il leur arrive enfin ce à quoi ils ne s'attendaient pas, «car ils virent Jésus qui marchait sur la mer», et comme ils étaient fort effrayés, il leur dit: «C'est moi, ne craignez point (20)». Pourquoi donc leur apparaît-il? Pour leur faire connaître que c'était lui qui apaiserait la tempête. Ces paroles de l'évangéliste nous le font entendre: «Ils voulurent le prendre dans leur barque; et la barque se trouva aussitôt au lieu où ils allaient (21)». Ainsi, non-seulement il les délivra du danger, mais encore il les fit heureusement arriver au port. Il ne se fit pas voir au peuple marchant sur la mer, parce que ce miracle était au-dessus de sa portée, et même il ne s'y fit pas voir longtemps à ses disciples, mais il se montra, il apparut et disparut aussitôt; pour moi, il me semble que c'est ici un autre miracle que celui que saint Matthieu raconte, et même bien des choses prouvent qu'il est différent. Au reste, souvent Jésus-Christ fait les mêmes miracles, afin qu'ils n'étonnent pas seulement ceux qui les voient, mais, qu'étant accoutumés à les voir, ceux-ci les reçoivent avec beaucoup de foi.

«C'est moi, ne craignez point». Jésus, par sa parole, chasse la crainte de leur coeur; il ne fit pas de même dans une autre occasion où Pierre dit: «Seigneur, si c'est vous, commandez que j'aille à vous». (Mt 14,28) Pourquoi donc alors les disciples ne le reconnurent-ils pas aussitôt, tandis qu'à présent ils le reconnaissent et croient en lui? Parce qu'alors la tempête continuait et tourmentait la barque, et que maintenant sa voix calme la mer. S'il n'en est pas ainsi, c'est sûrement, comme je viens de le dire, parce que Jésus, faisant souvent les mêmes miracles, les premiers rendaient les seconds plus croyables. Et pourquoi ne monte-t-il pas dans la barque? C'était pour faire un plus grand miracle, et en même temps pour manifester plus clairement sa divinité, et pour montrer que quand il avait rendu grâces, il ne l'avait pas fait par besoin, mais par condescendance. Il permit que la tempête s'élevât, pour les engager à le chercher toujours, et il l'apaisa sur-le-champ, pour manifester sa puissance; enfin, il ne monta point dans la barque pour faire un plus grand miracle.

«Le lendemain le peuple, qui était demeuré à l'autre côté de la mer, ayant vu qu'il n'y avait point là d'autre barque et que Jésus n'y était point entré avec ses disciples (22)», ils entrèrent aussi eux-mêmes dans d'autres barques, qui étaient arrivées de Tibériade. Pourquoi saint Jean détaille-t-il toutes ces circonstances, ou plutôt pourquoi n'a-t-il pas dit que le lendemain, les gens s'étant embarqués; s'en [310] allèrent? Il veut nous apprendre quelqu'autre. chose. Quoi? Que si Jésus-Christ n'avait pas ouvertement déclaré cela au peuple, il l'avait néanmoins secrètement insinué et donné à penser, car il dit: «Le peuple vit qu'il n'y avait eu là qu'une seule barque», que Jésus n'y était point entré avec ses disciples; et étant entrés dans des barques. qui étaient arrivées de Tibériade, «ils allèrent à Capharnaüm chercher Jésus». En effet, que restait-il à penser, sinon que Jésus était allé à Capharnaüm en traversant la mer à pied? On ne pouvait pas dire qu'il avait passé la mer sur une autre barque, il n'y en avait qu'une, ait saint Jean, celle dans laquelle les disciples sont entrés. Toutefois, après un si grand miracle, ils ne demandèrent pas à Jésus comment il avait fait pour passer la mer, ils ne s'informèrent pas d'un miracle aussi considérable. Que dirent-ils donc? «Maître, quand êtes-vous venu ici (25)?» A moins qu'on ne suppose qu'ici l'évangéliste a mis «quand» pour «comment», et dans le même sens.

2. Ici encore, mes frères, il est important de faire attention à l'inconstance et à la légèreté de ce peuple. Les mêmes qui avaient dit c'est là le prophète; les mêmes qui avaient été chercher Jésus pour l'enlever et le faire leur roi, l'ont-ils trouvé, ils n'y pensent plus, et perdant, il faut le croire, le souvenir du miracle, ils cessent d'admirer Jésus-Christ pour ses oeuvres passées. Peut-être aussi le cherchent-ils, à présent, pour l'engager à leur donner encore à manger, comme précédemment.

Les Juifs passèrent la mer Rouge sous la conduite de Moïse, mais ce miracle était bien différent de celui-ci. Ce que fait Moïse, il le fait comme serviteur, il l'obtient par la prière (Ex 14,22), mais Jésus-Christ opère tout par sa suprême autorité et sa souveraine puissance. Là le souille d'un vent du midi dessèche l'eau, et les Juifs passent la mer à sec; mais ici le miracle est plus grand: l'eau, sans rien perdre de sa nature, porte le Seigneur sur son dos, confirmant cette parole: «Le Seigneur «marche sur la mer comme sur un pavé». (Jb 9,8) Au reste, le miracle des pains était bien à sa place au moment où Jésus-Christ allait entrer dans Capharnaüm, au milieu d'un peuple incrédule et endurci: il voulait amollir ces coeurs obstinés; non-seulement par les miracles qu'il opérerait dans la ville, mais- encore par ceux qu'il ferait au dehors. Une si grande multitude de gens, entrant dans la ville avec tant d'ardeur et d'empressement, n'était-ce pas un spectacle capable d'émouvoir un rocher? Cependant nul n'en fut ému, nul n'en fut touché; mais ils ne recherchaient tous que la nourriture corporelle; voilà pourquoi Jésus-Christ «les reprend».

Instruits par cet exemple, mes très-chers frères, bénissons le Seigneur, rendons-lui grâces, non-seulement pour les biens terrestres qu'il nous accorde, mais beaucoup plus encore pour les biens spirituels. Il veut que nous lui rendions grâces des uns et des autres; et c'est pour répandre sur nous les biens spirituels qu'il nous donne les biens temporels; il prévient, il attire ceux qui sont plus grossiers et plus imparfaits par des bienfaits sensibles, parce qu'ils désirent encore les choses de ce monde. Mais si, après les. avoir reçues, ils s'y renferment, il leur en fait des reproches et des réprimandes. Jésus-Christ voulut première. ment donner au paralytique les biens spirituels; mais ceux qui étaient présents s'y opposaient et ne pouvaient le souffrir; car Jésus ayant dit: «Vos péchés vous sont remis», ils disaient: «Cet homme blasphème». (Mt 9,2-3) Loin de nous de tels sentiments, je vous en conjure, mes frères; mais recherchons avant toutes choses les biens spirituels. Pourquoi? Parce que, si nous avons les biens spirituels, la privation des biens temporels ne nous fera aucun tort, ni préjudice; et au contraire, si nous ne les possédons pas, quelle espérance, quelle consolation aurons-nous? Prions donc continuellement le Seigneur de nous les accorder, et demandons-les uniquement. Jésus-Christ nous a appris que ce sont là les biens que bous devons demander.

Si nous méditons la prière qu'il nous a enseignée, nous n'y trouverons rien de charnel, nous n'y trouverons rien que de spirituel. Car ce peu de bien sensible qu'on y demande devient spirituel par la manière dont on le demande. En effet, ne demander à Dieu rien de plus que le pain quotidien ou de chaque jour (Mt 6,11), c'est d'une âme spirituelle et d'un vrai philosophe. Mais remarquez ce qui précède: «Que votre nom soit sanctifié; que votre règne arrive; que votre volonté soit faite en la terre comme au ciel». (Mt 6,10) Ensuite, après cette demande d'une chose terrestre et sensible, il recommence la suite [311] des demandes spirituelles qu'il nous est prescrit de faire: «Remettez-nous nos dettes, comme nous les remettons» à ceux «qui nous doivent». (Mt 6,12) Dans cette formule de prière que Jésus-Christ, nous a donnée, il n'est question ni de dignités, ni de richesses, ni de gloire, ni de puissance, nous ne demandons que ce qui est utile à l'âme: nous ne demandons rien de terrestre, rien qui ne soit céleste. Puis donc que Dieu nous ordonné de détourner nos yeux des biens de là vie présente, ne serons-nous pas bien malheureux, si nous lui demandons des choses qu'il nous commande de mépriser jusqu'à nous en dépouiller quand nous les avons, afin de nous délivrer de tout soin et de toute inquiétude; et si nous ne demandons pas, si même nous ne désirons point ce qu'il nous prescrit de lui demander? C'est là sûrement parler en pure perte: c'est aussi ce qui rend nos prières vaines et infructueuses.

Comment donc, direz-vous, les méchants s'enrichissent-ils? comment les pécheurs, les scélérats, les voleurs sont-ils dans l'opulence? Ce n'est point Dieu qui leur donne ces richesses: loin de nous cette pensée! Mais pourquoi le Seigneur le permet-il? Il l'a permis à l'égard du riche, pour le réserver à un plus grand supplice. Ecoutez ce qu'on lui dit: «Mon fils, vous avez reçu vos biens dans votre vie, et Lazare n'y a eu que des maux. C'est pourquoi il est maintenant dans la consolation, et vous dans les tourments». (Lc 16,25) Mais, de peur que cette terrible sentence, nous ne l'entendions aussi prononcer contre nous, nous qui perdons notre vie dans les délices, et qui ajoutons péchés sur péchés; aimons les véritables richesses, appliquons-nous à la vraie philosophie, afin d'obtenir les biens que Dieu nous a promis: puissions-nous y participer tous, par la grâce et la miséricorde de Notre-Seigneur Jésus-Christ, par qui et avec qui la gloire soit au Père et au Saint-Esprit, maintenant et toujours, et dans tous les siècles des siècles! Ainsi soit-il.




Chrysostome sur Jean 42