Chrysostome sur Jean 50

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HOMÉLIE L. ALORS QUELQUES GENS DE JÉRUSALEM COMMENCÈRENT A DIRE: N'EST-CE PAS LA CELUI QU'ILS CHERCHENT POUR LE FAIRE MOURIR?

- ET NÉANMOINS LE VOILÀ QUI PARLE DEVANT TOUT LE MONDE SANS QU'ILS LUI DISENT RIEN. - EST-CE QUE LES SÉNATEURS ONT VRAIMENT RECONNU QU'IL EST VÉRITABLEMENT LE CHRIST (1)? - MAIS NOUS SAVONS CEPENDANT D'OU EST CELUI-CI. (VERS. 25, 26, 27, JUSQU'AU VERS. 36)

Jn 7,25-36

ANALYSE.

1. Les Juifs se contredisent au sujet de Jésus-Christ.
2. Jésus-Christ les démasque et leur montre qu'ils refusent de le recevoir bien qu'ils sachent qu'il est le Messie.
3. Jésus prédit sa mort, ce qui est au-dessus de l'homme. - Nous devons craindre, que nos péchés ne nous empêchent d'aller où est Jésus-Christ: c'est de ses disciples que le Sauveur dit: Je désire que là où je suis, ils y soient aussi avec moi. - Si l'huile de la charité nous manque, il nous en arrivera de même qu'aux vierges folles. - Ce qui resserre et ce qui éteint le Saint-Esprit dans les âmes. - L'inhumanité, la cruauté, la rapine, l'avarice éteignent l'Esprit-Saint dans les âmes par les chagrins et la tristesse que lui causent ces vices. - Ceux qui n'auront pas exercé la charité envers les pauvres, entendront cette terrible parole: Je ne vous connais point.


1. Dans les divines Ecritures, rien n'est inutile, tout a été dicté par le Saint-Esprit; c'est pourquoi examinons-en avec soin toutes les paroles: souvent l'intelligence de tout un passage dépend d'un seul mot, comme il arrive maintenant ici. «Plusieurs personnes de Jérusalem disaient: N'est-ce pas là celui qu'ils a cherchent pour le faire mourir? Et néanmoins, le voilà qui parle devant tout le monde, sans qu'ils lui disent rien». Pourquoi nommer les gens de Jérusalem? L'évangéliste montre en cela que ceux pour qui Jésus-Christ avait principalement fait tant de miracles, étaient les plus misérables de tous les hommes, puisqu'ayant vu de leurs propres yeux le plus grand témoignage de sa divinité, ils renvoyaient tout au jugement partial de leurs princes. N'était-ce pas là, en effet, la plus grande marque de sa divinité? Ces hommes furieux et enragés, qui ne respiraient que le meurtre, courent de toutes parts et cherchent Jésus pour le faire mourir; ils l'ont entre leurs mains, et aussitôt ils s'arrêtent. Qui en aurait pu faire autant? qui, sur-le-champ, aurait pu réprimer une pareille fureur?

1. Le texte grec et saint Chrysostome lisent ainsi.

Néanmoins, après tant de miracles, voyez leur folie, voyez leur rage: «N'est-ce pas là», disent-ils encore, «celui qu'ils cherchent pour «le faire mourir?» Remarquez de quelle manière ils se condamnent eux-mêmes: «Qu'ils cherchent pour le faire mourir, et ils ne lui disent rien». Et non-seulement ils ne disent rien, mais, lors même qu'il parle devant tout le monde, qu'il dit librement ce qu'il veut, qu'il les pique et les irrite, ils ne l'en empêchent point, ils ne l'arrêtent pas. «Ont-ils vraiment reconnu qu'il est le Christ?» Mais vous-mêmes, qu'en pensez-vous? quel jugement portez-vous de lui? Le jugement contraire, répondent-ils; voilà pourquoi ils disaient: «Mais nous savons cependant d'où est celui-ci». O méchanceté! ô contradiction! Ils n'en jugent pas comme les princes, mais 343] ils en portent un autre, jugement injuste et digne de leur folie. «Nous savons», disent-ils, «d'où il est»: ou, «que quand le Christ viendra, personne ne saura d'où il est». (Mt 2,4-5) Mais vos princes des prêtres, interrogés sur le lieu de sa naissance, répondirent que c'était dans Bethléem qu'il devait naître.

D'autres encore viennent dire: «Nous savons que Dieu a parlé à Moïse: mais, pour celui-ci, nous ne savons d'où il est». (Jn 9,29) Voyez ces paroles de gens ivres. Et derechef: «Le Christ viendra-t-il de Galilée? (Jn 7,41). «Ne viendra-t-il pas de la petite ville de Bethléem?» (Jn 7,42) Ne remarquez-vous pas le jugement de ces insensés. Nous savons, nous ne savons pas: Il viendra de la petite ville de Bethléem: «Mais quand le Christ viendra, personne ne saura d'où il est». Est-il rien de plus visible que la contradiction de ces paroles? La seule chose qu'ils avaient en vue, c'était de ne point croire.

Mais, à tous ces discours, que répond Jésus-Christ? «Vous me connaissez, et vous savez d'où je suis: et je ne suis pas venu de moi-même; mais celui qui m'a envoyé est véritable, et vous ne le connaissez point.

Et encore: «Si vous me connaissiez, vous connaîtriez aussi mon Père». (Jn 8,19) Comment donc Jésus-Christ dit-il ici qu'ils le connaissent et qu'ils savent d'où il est; et ailleurs, qu'ils ne connaissent ni lui, ni son Père? Le divin Sauveur ne. se contredit point, loin de nous une telle pensée! Il est parfaitement d'accord avec lui-même: il parle d'une autre connaissance, quand il dit: Vous ne me connaissez pas. Comme lorsque l'Ecriture dit «Les enfants d'Héli étaient des enfants impies (1), «qui ne connaissaient point le Seigneur». (1S 1,12) Et encore: «Mais Israël ne m'a point connu». (Is 1,3) De même que saint Paul dit: «Ils font profession de connaître Dieu, mais ils le renoncent par leurs oeuvres». (Tt 1,16) On peut donc connaître et ne pas connaître. Voici ce que veut dire Jésus-Christ: Si vous me connaissiez, vous saviez que je suis le Fils de Dieu. Ce mot: «D'où je suis», ne désigne point ici le lieu, comme le démontre ce qui suit: «Et je ne suis pas venu de moi-même, mais celui qui m'a envoyé est véritable, et vous ne le connaissez point». Il parle ici de cette ignorance que marquent les oeuvres, et dont l'apôtre dit «Ils font profession de connaître Dieu, mais ils le renoncent par, leurs oeuvres». Car leur péché n'était pas un péché d'ignorance, mais de méchanceté et de mauvaise volonté. Ce qu'ils savaient fort bien, ils voulaient l'ignorer.

1. «Impies.» ou «pestilentiels»; la Vulgate dit «de Bélial», ce qui emporte le même sens.

Mais quelle suite y a-t-il en ceci? Pourquoi, pour les réfuter, se sert-il de leurs paroles? Ils disaient. «Nous savons cependant d'où est celui-ci», et Jésus leur répond: «Vous me connaissez». Que disaient-ils? Disaient-ils qu'ils ne le connaissaient pas? Au contraire, ils disaient: «Nous savons». Mais quand ils disaient qu'ils savaient d'où il était, ils ne voulaient dire autre chose, sinon qu'il était de la terre et le fils d'un charpentier. Mais le divin Sauveur les élevait au ciel, en disant: Vous savez d'où je suis, c'est-à-dire: Je ne suis pas venu d'où vous pensez, mais d'où est celui qui m'a envoyé. En effet, lorsqu'il dit: «Je ne suis pas venu de moi-même», il insinue ceci, savoir: qu'ils savaient qu'il était envoyé du Père, quoiqu'ils ne voulussent pas le reconnaître. Jésus-Christ les réfute de deux manières: premièrement, il publie devant tout le monde et crie à haute voix ce qu'ils disaient en secret, afin de les couvrir de confusion; en second lieu, il découvre et manifeste leur pensée; c'est comme s'il disait: Je ne suis pas une personne vulgaire, je ne suis pas venu sans raison; mais: «Celui qui m'a envoyé est véritable, et vous ne le connaissez point». Que signifient ces paroles: «Celui qui m'a envoyé, est véritable?» S'il est véritable, il m'a envoyé pour la vérité. S'il est véritable, il s'ensuit que celui qui a été envoyé est véritable lui-même.

2. Jésus-Christ le prouve encore d'une autre manière, les prenant par leurs propres paroles. Comme ils disaient: «Quand le Christ viendra, personne ne saura d'où il est»; par là il leur montre qu'il est le Christ. Car en disant: «Personne ne saura», ils songeaient à la différence des lieux; et c'est par où il fait voir qu'il est le Christ, puisqu'il est sorti du Père; et partout il rend témoignage qu'il n'appartient qu'à lui seul de connaître le Père, disant: «Ce n'est pas qu'aucun homme ait vu le Père, si ce n'est celui qui est né du Père». (Jn 5,1) Ces paroles allumaient leur colère: lorsqu'il leur disait: Vous ne le connaissez point, et qu'il les convainquait qu'ils savaient véritablement [344] qui il était, «qu'il était le Messie et le Fils de Dieu», mais qu'ils feignaient de ne le point savoir; rien n'était plus propre à les piquer, à les enflammer de colère.

«Ils cherchaient donc les moyens de le prendre; et» néanmoins «personne ne mit la main sur lui, parce que son heure n'était pas encore venue (30)». Remarquez-vous bien, mes frères, qu'une main invisible les retenait et qu'elle réprimait leur violence. Et pourquoi saint Jean n'a-t-il pas dit que leur fureur s'était apaisée, parce que Jésus-Christ les avait invisiblement retenus, mais seulement que son heure n'était pas encore venue? L'évangéliste a voulu parler d'une manière humaine et plus simple, afin qu'on crût aussi à l'humanité de Jésus-Christ. En effet, comme partout il raconte de lui des choses grandes et élevées, c'est pour cette raison qu'il en mêle aussi de pareilles çà et là. Mais quand le Sauveur dit: «Je suis de lui», il ne parle pas comme un prophète qui l'est par grâce, il le dit parce qu'il voit le Père et qu'il est avec lui.

«Pour moi, je le connais», dit-il, «parce que je suis» né «de lui (29)». Faites-vous bien attention, mes frères, qu'en toute occasion il prouve ce qu'il a déjà dit: «Je ne suis pas venu de moi-même»; et: «Celui qui a m'a envoyé est véritable?» C'est de peur qu'on ne le croie séparé de Dieu. Et remarquez en même temps l'utilité de ces paroles simples et grossières. En effet, après cela, continue l'évangéliste, plusieurs disaient: «Quand le Christ viendra, fera-t-il plus de miracles que n'en fait celui-ci (31)» Quels miracles? Il y en avait trois: celui du vin, celui du paralytique, celui du fils de l'officier; l'évangéliste n'en rapporte pas davantage: d'où l'on voit manifestement, comme je l'ai souvent fait remarquer, que les évangélistes ont omis bien des choses, et se bornent aux miracles, à propos desquels se déclara la malice des prince. Ils cherchaient donc les moyens de le prendre et de le faire mourir. Qui? Ce n'est pas le peuple qui n'aspirait point au gouvernement et dont le coeur n'était pas empoisonné de l'envie, mais ce sont les prêtres. Car pour le peuple il disait: «Quand le Christ viendra, fera-t-il a plus de miracles?» Néanmoins, ce n'était point là une foi saine et irrépréhensible, mais une foi appropriée à l'intelligence d'une telle multitude. Dire: «Quand le Christ viendra», ce n'est point là parler comme des gens qui croient que celui-ci est le Christ. Ou il en faut convenir, ou attribuer ce propos à une intervention secourable du peuple, et dire que, lorsque les sénateurs et les princes des prêtres faisaient tous leurs efforts pour faire entendre que Jésus n'était point le Christ, le peuple dit: Supposons que cet homme ne soit point le Christ, le Christ lui sera-t-il supérieur? Comme je l'ai souvent dit: ce n'est ni la doctrine, ni les sermons, ce sont les miracles qui attirent la populace et là font accourir.

«Les pharisiens entendirent ces discours que le peuple tenait de lui, et les princes» des prêtres avec eux; envoyèrent des archers pour le prendre (31)». Ne le voyez-vous pas, mes frères, que la violation du sabbat n'était qu'un prétexte? Voilà. ce qui les irritait le plus: les discours du peuple. Car, à présent qu'ils n'ont rien à blâmer, ni dans ses paroles, ni dans ses oeuvres, toutefois ils veulent s'emparer de lui à cause de ces propos de la foulé. Et comme la crainte d'un soulèvement les intimide et les retient, ils envoient des archers tenter l'expédition. Quelle violence! quelle fureur! ou plutôt, quelle infamie! Souvent, ils avaient eux-mêmes essayé de le prendre, et comme ils ne l'avaient pu, ils en donnent la commission à des archers, pour assouvir, par un moyen quelconque, leur fureur et leur rage. Et cependant, Jésus avait été assez longtemps à discourir avec eux auprès de la piscine, sans qu'ils eussent fait la même tentative; véritablement ils avaient cherché les moyens de le prendre, mais ils n'avaient point osé mettre la main sur lui. Maintenant qu'ils voient tout le peuple près d'accourir à Jésus-. Christ, ils ne peuvent plus se posséder.

Que répond donc Jésus-Christ? «Je suis encore avec vous un peu de temps (33)». Il pouvait, d'une. seule parole, dompter et épouvanter ces hommes, et il leur fait une réponse des plus humbles; c'est comme s'il leur disait: Pourquoi cherchez-vous à me faire mourir? pourquoi me persécutez-vous? Attendez un peu, et sans que vous ayez besoin de faire tant d'efforts, ni d'user de violence, je me livrerai moi-même entre vos mains. Après quoi, de peur qu'on ne crût qu'en disant: «Je suis encore avec vous un peu de temps», il parlait de la, mort commune â tous, les hommes, comme, en effet, ils le pensèrent; pour leur ôter cette opinion qu'après sa mort il n'agirait plus, il a ajouté: «Et vous ne pouvez venir [345] où je suis (34)». Or, s'il avait dû demeurer dans la mort, sûrement ils auraient pu l'y aller joindre, car la mort est un pays où nous allons tous. Ainsi, par ces paroles, Jésus gagnait les plus simples, il retenait dans la crainte et le respect les plus violents et les plus emportés, et ceux qui étaient le plus soigneux de s'instruire, il les excitait à se hâter de venir l'écouter, parce qu'il ne devait plus rester ici-bas que peu de temps, et qu'ils n'auraient pas toujours le bonheur d'entendre une si excellente et si admirable doctrine? Le Sauveur n'a pas dit seulement: Je suis ici, mais encore: «Je suis avec vous», c'est-à-dire, dussiez-vous me persécuter, me tourmenter, je ne cesserai pas un seul moment d'avoir soin de vous et de vous prêcher ce qu'il vous est nécessaire de savoir pour votre salut.

«Et je vais» ensuite «vers Celui qui m'a envoyé». Ces paroles pouvaient les épouvanter et les inquiéter. Car il leur prédit qu'ils auraient besoin de lui. Vous me chercherez, dit-il, non-seulement vous ne m'oublierez pas, mais encore «vous me chercherez et vous ne me trouverez point». Et quand les Juifs l'ont-ils cherché? Saint Luc rapporte que les femmes l'avaient pleuré (Lc 23,27), et il est probable que beaucoup d'autres, et sur le moment, et lors de la ruine de Jérusalem, souhaitèrent la présence de Jésus-Christ par le souvenir qu'ils avaient de lui et de ses miracles. Au reste, le divin Sauveur dit toutes ces choses pour les attirer et les gagner. En effet, le peu de temps qu'il devait être avec eux, le regret qu'ils auraient de lui, après qu'il s'en serait allé, lorsqu'ils ne pourraient plus le trouver; c'était là de quoi les engager à s'attacher à lui pour profiter de ces derniers moments. S'il ne devait pas arriver qu'ils regrettassent sa présence, ce qu'il leur disait n'avait rien d'extraordinaire, ni d'intéressant: si, au contraire, ils devaient souhaiter sa présente, sans qu'il leur fût impossible de le retrouver, ce qu'il leur disait n'aurait pas été capable de les troubler et de les inquiéter si fort.

3. Et encore, s'il avait dû demeurer beaucoup de temps avec eux, peut-être seraient-ils devenus indolents et paresseux. Mais, par ce discours, maintenant il les presse de toutes parts, et il les effraie. Ces paroles: «Je vais vers Celui qui m'a envoyé», leur font connaître qu'il n'a rien à craindre de leurs pièges, et qu'il souffrira la mort volontairement. Jésus-Christ a donc prédit deux choses: et qu'il s'en irait dans peu, et qu'ils ne pourraient le venir trouver: certes, il est au-dessus de l'esprit humain de prédire ainsi sa mort. Ecoutez ce que dit David: «Faites-moi connaître, Seigneur,» quelle est «ma fin, et quel est le nombre de mes jours, afin que je sache ce qui m'en reste» encore. (Ps 39,5-6) C'est là sûrement ce que personne ne sait: au reste, Jésus-Christ confirme l'une des choses par l'autre: «La prédiction qu'ils ne le trouveraient point, par celle de sa mort». Pour moi, je pense que le Sauveur dit énigmatique ment ceci aux archers, et que ces paroles les regardent, qu'il les leur adresse pour les gagner tout à fait, leur faisant connaître qu'il savait pourquoi ils étaient venus, comme s'il leur disait: attendez un peu, et après j'irai avec vous.

«Les Juifs disaient donc entre eux: où est-ce qu'il ira (35)?» Cependant des gens qui auraient désiré avec passion qu'il s'en allât, et fait tout ce qu'ils pouvaient pour ne l'avoir plus devant leurs yeux, n'auraient pas dû s'enquérir de ceci, mais dire: nous nous réjouissons que vous vous en alliez: et quand cela arrivera-t-il? Mais ces paroles les inquiètent; voilà pourquoi ils se demandent les uns aux autres, dans la faiblesse de leur esprit: où est-ce qu'il s'en ira? «Ira-t-il vers la dispersion des gentils?» Que signifie cela? «Vers la dispersion des gentils?» C'est ainsi que les Juifs appelaient les gentils, parce qu'ils étaient dispersés partout, et qu'ils se mêlaient librement les uns avec les autres. Dans la suite, les Juifs ont aussi souffert la même confusion et la même ignominie: car ils sont eux-mêmes devenus une dispersion. Autrefois, toute la nation était unie ensemble dans un même lieu, et l'on n'aurait pu trouver un Juif autre part que dans la Palestine: voilà pourquoi les Juifs appelaient les gentils la dispersion: c'était un reproche qu'ils leur faisaient, se glorifiant d'être tous réunis ensemble, et s'en applaudissant extrêmement.

Que veulent donc dire ces paroles: «Vous ne pouvez venir où je vais», et dans un temps auquel les Juifs se mêlaient partout avec les gentils dans le monde entier? Si Jésus-Christ avait voulu désigner les gentils, il n'aurait pas dit: je vais où vous ne pouvez venir. Mais lorsque les Juifs dirent: «Ira-t-il vers la [346] dispersion des gentils?» ils n'ajoutèrent point, pour les perdre et les exterminer, mais pour les instruire: ainsi leur colère était déjà apaisée, et ils avaient pris confiance dans la parole de Jésus. S'ils n'y avaient point cru, ils ne se seraient pas demandé entre eux ce qu'il voulait dire: mais en voilà assez sur ce qui les concerne.

Nous avons à craindre, mes chers frères, qu'elle ne s'applique à nous-mêmes, cette parole: vous ne pouvez venir où je suis, à cause des péchés dont notre vie est chargée. Car, de ses disciples, Jésus-Christ dit: «Je désire que là où je suis, ils y soient aussi avec moi». (Mt 17,24) Mais de nous, j'ai peur qu'il ne dise le contraire, qu'il ne nous dise: «Vous ne pouvez venir où je suis». Ce qu'il ne nous est pas permis de faire, nous le faisons comment pourrons-nous aller où il est? Dans ce monde, le soldat qui manque de respect au roi, perd le droit de le voir: il est dégradé et condamné au dernier supplice. Si donc nous ravissons le bien d'autrui, si nous nous livrons à l'avarice, si nous commettons l'iniquité, si nous sommes violents et emportés, si nous ne faisons pas l'aumône, nous ne pourrons point aller là où est Jésus-Christ. Mais il nous arrivera la même chose qu'aux vierges folles (Mt 25), qui ne purent entrer avec lui aux noces et qui furent obligées de se retirer, leurs lampes s'étant éteintes, c'est-à-dire, l'huile de la charité et des bonnes oeuvres leur ayant manqué. Car le feu de la charité que le Saint-Esprit allume subitement en nous, si nous voulons, nous le rendons plus ardent, et si nous ne voulons pas, nous l'éteignons aussitôt; mais aussi, dès qu'il sera éteint, il n'y aura plus que des ténèbres dans nos âmes. Comme la lampe qui est allumée répand une grande lumière, de même quand elle vient à s'éteindre, tout n'est que ténèbres. Voilà pourquoi l'Ecriture dit: «N'éteignez pas l'Esprit». (1Th 5,19) Or, on l'éteint, cet esprit, lorsque l'huile manque, lorsqu'un souffle plus impétueux que le vent vient à l'assaillir; lorsqu'on le comprime et qu'on l'étouffe: car on éteint aussi le feu de cette manière. Or, on étouffe, on comprime cet esprit, en se livrant aux pensées du siècle; on l'éteint, en s'abandonnant aux passions déréglées. Mais surtout, rien, n'est plus capable de l'éteindre que l'inhumanité, la cruauté, les rapines. Si, à défaut d'huile, nous versons par-dessus de l'eau froide, c'est-à-dire l'avarice qui glace par la tristesse les âmes de ses victimes, comment ensuite pourrons-nous le rallumer? Nous sortirons donc de ce monde, emportant avec nous beaucoup de cendres et une fumée qui nous accusera d'avoir éteint notre lampe. Car où il y a de la fumée, là nécessairement il y a eu du feu, et un feu qu'on vient d'éteindre.

Mais à Dieu ne plaise qui aucun de vous n'entende cette foudroyante parole: «Je ne vous connais point!» (Mt 25,12) Et qu'est-ce qui la provoque, cette terrible parole? sinon d'avoir vu le pauvre et de n'avoir pas fait attention à lui? Si nous avons méconnu Jésus-Christ affamé, il ne nous connaîtra pas non plus lui-même, nous qui aurons été sans pitié. Et certes ce sera justice. Car celui qui méprise le pauvre et ne l'assiste pas de ses biens, comment espérerait-il participer à des biens qui ne lui appartiennent pas? C'est pourquoi, je vous en conjure, mes frères, faisons tout ce que nous pouvons, mettons tout en oeuvre pour que l'huile ne nous manque pas. Garnissons bien nos lampes, afin d'entrer avec l'époux dans la chambre nuptiale. Je prie Dieu de nous y faire tous entrer, par la grâce et la bonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ, par lequel et avec lequel gloire soit au Père et au Saint-Esprit, maintenant et toujours, et dans les siècles éternels! Ainsi soit-il.

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HOMÉLIE LI. LE DERNIER JOUR DE LA FÊTE, QUI ÉTAIT LE PLUS SOLENNEL, JÉSUS SE TENANT DEBOUT, DISAIT A HAUTE VOIX:

SI QUELQU'UN A SOIF, QU'IL VIENNE A MOI, ET QU'IL BOIVE. - SI QUELQU'UN CROIT EN MOI, IL SORTIRA DES FLEUVES, D'EAU VIVE DE SON VENTRE, COMME DIT L'ÉCRITURE. (VERSET 37, 38, JUSQU'AU VERS. 44)

Jn 7,37-44

ANALYSE.

1. Les auditeurs de la parole de Dieu en doivent avoir une soif ardente.
2. Le Saint-Esprit avait déjà été donné aux saints de l'Ancien Testament; mais les apôtres le reçurent avec une plus grande plénitude.
3. Effets de la malice et de la méchanceté. - On se perd soi-même, en voulant perdre les autres. - Les Juifs ont voulu détruire la prédication de l'Evangile, et ils ont été eux-mêmes détruits et dispersés. Comment il faut se venger de ses ennemis beau moyen de se venger. - Laisser, à Dieu notre vengeance comme nous voulons que nos domestiques nous laissent la leur. - On guérit le mal non par le mal, mais par le bien.


1. Il faut que ceux qui viennent entendre la parole de Dieu et qui y croient; montrent autant d'ardeur pour elle qu'en ont pour l'eau ceux qui sont pressés d'une soif brûlante: il faut que leur âme soit embrasée de désir et d'amour. C'est ainsi que plus fidèlement et plus sûrement ils la pourront garder dans leur coeur. En effet, ceux qui ont bien soif, avalent avec une extrême avidité le verre d'eau qu'on leur présente, et par là ils étanchent leur soif. Ceux donc qui puisent aux sources de la divine parole, s'ils en sont altérés comme des gens qu'une ardente soif consumé, ne cesseront point de boire qu'ils n'aient tout avalé, tout épuisé. L'Ecriture sainte le dit, qu'il faut toujours avoir soif, que toujours il faut avoir faim: «Bienheureux ceux», dit-elle, «qui sont affamés et altérés de la justice». (Mt 5,6) Et ici Jésus-Christ: «Si quelqu'un a soif, qu'il vienne à moi, et qu'il boive»; c'est-à-dire, je ne contrains, je ne force personne à venir à moi; mais si quelqu'un a bonne volonté, s'il a de la ferveur et une grande affection, c'est celui-là que j'appelle.

Mais pourquoi l'évangéliste marque-t-il ainsi «le dernier jour de la fête», qui était le plus solennel? Car le premier et le dernier jour étaient les plus solennels, et ceux du milieu de l'octave se passaient en festins et en plaisirs. Pourquoi dit-il donc: «Le dernier jour?» Parce que c'est en ce jour que tout le peuple accourait et s'assemblait. Jésus ne fut pas à la fête le premier jour, et il en dit la raison à ses frères. Il ne prêcha ni le second; ni le troisième, pour ne prêcher pas inutilement, puisqu'en ces jours on s'abandonnait aux plaisirs et à la joie: Mais le dernier jour, auquel chacun se retirait chez soi, il leur donne le viatique du salut; et il crie à haute voix, soit pour montrer qu'il parle en assurance et en toute liberté, soit pour faire connaître à toute cette assemblée qu'il avait parlé d'un breuvage spirituel; et il ajoute: «Si quelqu'un croit en moi, comme dit l'Ecriture, il sortira des fleuves d'eau vive de son ventre». Jésus appelle ventre le coeur, de même que le Psalmiste dit: «Et votre loi est gravée au milieu de mon ventre». (Ps 39,11) Et où est ce que l'Ecriture dit: «Il sortira des fleuves d'eau de son ventre?» Nulle part. Que veut donc dire ceci: «Celui qui croit en moi, comme dit l'Ecriture?» Il faut ici ponctuer de manière qu'il ne paraisse que ces mots

Il sortira des fleuves d'eau de son ventre», sont de Jésus-Christ même. Car comme [348] plusieurs disaient: «C'est Jésus-Christ», et «Quand le Christ viendra, fera-t-il plus de miracles?» il montre qu'il faut avoir une foi pure, avoir de lui une juste opinion, et ne point tant croire sur les miracles que sur ce qu'enseignent les Ecritures. En effet, un grand nombre de ceux qui lui voyaient faire des miracles, ne le reconnaissaient pas pour le Christ; et qu'on ne pouvait manquer de lui objecter: les Ecritures ne disent-elles pas que le Christ viendra de la race de David?

Jésus parlait souvent des Ecritures, pour faire voir qu'il n'en craignait point le témoignage, et qu'il n'en fuyait point la lumière et c'est pour cela qu'il renvoie les Juifs aux Ecritures. Car il avait dit auparavant: «Lisez «avec soin les Ecritures» (Jn 5,39); et encore: «Il est écrit dans les prophètes: ils seront tous enseignés de Dieu». (Jn 6,45) Et: «Moïse est votre accusateur». (Jn 5,45) Mais ici il dit: «Comme a dit l'Ecriture: il sortira des fleuves de son ventre». Par où il marque l'abondance et la fécondité de la grâce; de même qu'il dit ailleurs: «Une fontaine d'eau qui rejaillira jusque dans la vie éternelle» (Jn 4,14), c'est-à-dire; il recevra une abondance de grâces. Ailleurs il avait dit: La vie éternelle; ici il dit: Une eau vive. Le Sauveur appelle eau vive celle qui coule, qui opère toujours. Car lorsque la grâce du Saint-Esprit est entrée dans une âme et y a établi sa demeure, elle coule et se répand avec plus de force et d'abondance qu'aucune autre source; elle ne tarit point et ne cesse jamais de couler. Jésus-Christ donc, pour montrer que jamais cette eau ne tarit, et qu'elle agit d'une manière ineffable, dit une fontaine et des fleuves; non un seul fleuve, mais une infinité de fleuves. Et en cet endroit il s'est servi du mot de rejaillir, pour celui d'inonder.

Voulez-vous le voir clairement, mes frères, que cette eau se multiplie en une infinité de fleuves? Considérez la sagesse d'Etienne, l'éloquence de Pierre, la force de Paul: considérez que rien n'a pu vaincre ni ralentir leur zèle et leur activité: ni la fureur du peuple, ni la violence des tyrans, ni les piéges des démons, ni la mort à laquelle ils se voyaient tous les jours exposés; et que, semblables à des fleuves impétueux qui se débordent, ils ont tout entraîné avec eux.

«Ce qu'il entendait de l'Esprit que devaient recevoir ceux qui croiraient en lui, car le Saint-Esprit n'avait pas encore été donné (39)». Comment donc les prophètes ont-ils prophétisé et opéré tant de miracles? Car ce n'est point par l'Esprit, mais par la vertu de Jésus, que les apôtres ont chassé les démons, comme il le dit lui-même: «Si c'est par Béelzébuth que je chasse les démons, par qui vos «enfants les chassent-ils?» Jésus-Christ disait donc cela pour déclarer qu'avant qu'il eût été crucifié ils n'avaient pas tous chassé les démons par le Saint-Esprit, mais par sa vertu. C'est quand il envoya ses disciples prêcher l'Evangile, qu'il leur dit: «Recevez le Saint-Esprit». Et encore: «Le Saint-Esprit se répandit sur eux et ils faisaient des miracles». (Mt 20,22)

2. Au reste, lorsque Jésus-Christ envoya ses disciples, il n'est point écrit qu'il leur donna le, Saint-Esprit, mais il leur donna puissance, disant: «Guérissez les lépreux, chassez les démons, ressuscitez les morts: donnez gratuitement ce que vous avez reçu gratuitement». (Mt 10,1-8) Or, tout le monde sait que le Saint-Esprit avait été donné aux prophètes; mais aussi on ne doit pas ignorer que cette grâce était donnée par mesure, qu'elle a été ôtée et qu'elle a cessé sur la terre depuis le jour qu'il fut dit: «Votre maison est abandonnée, elle demeurera déserte» (Mt 23,38); et qu'avant ce jour, même le Saint-Esprit commençait déjà à faire plus rarement sentir son opération. Il n'y avait plus de prophètes parmi les Juifs, et s'il s'en trouvait, leur grâce, leur vertu ne s'étendait point jusque sur les choses saintes et salutaires.

Les Juifs donc ayant été privés de la grâce du Saint-Esprit, il est venu un temps auquel elle s'est répandue sur les hommes avec une plus grande effusion, et c'est après le crucifiement du Sauveur qu'elle a commencé de se manifester, non-seulement avec plus d'abondance, mais encore par des dons plus grands et plus excellents. Car le don duquel il est dit: «Vous ne savez pas de quel esprit vous êtes animés» (Lc 9,55); et encore: «Aussi vous n'avez point reçu l'esprit de servitude, mais vous avez reçu l'Esprit de l'adoption» (Rm 8,15), était effectivement un don plus merveilleux et plus admirable que ceux que Dieu distribuait dans le Vieux Testament; car les saints de l'ancienne loi recevaient aussi le Saint-Esprit, mais ils ne le communiquaient point aux autres; au lieu que les apôtres en [349] remplissaient tout le monde: comme donc ils devaient un jour recevoir cette grâce, et qu'elle ne leur avait point encore été donnée, voilà pourquoi l'évangéliste dit: «L'Esprit n'était pas encore». Et sûrement c'est de cette grâce qu'il parle, quand il dit: «Le Saint-Esprit n'était pas encore, à savoir, donné, parce que Jésus n'était pas encore glorifié», appelant gloire ou glorification la croix du Sauveur. Comme nous étions des ennemis de Dieu, des pécheurs, privés de la grâce du Seigneur, des impies, et que la grâce est un signe de réconciliation; comme aussi ce n'est: ni à ses ennemis, ni à ceux qu'on hait que l'on fait du bien, mais à ses amis, mais à ceux qu'on croit gens de bien, il a donc fallu offrir pour nous auparavant un sacrifice d'expiation; il a fallu que l'inimitié fût détruite dans la chair et que nous devinssions amis de Dieu avant de recevoir son présent. Et s'il y à eu un sacrifice offert, lorsque la promesse a été faite, à Abraham, il fallait, à plus forte raison, en offrir un sous le régime de grâce; c'est là ce que déclare saint Paul par ces paroles: «Que si ceux qui appartiennent à la loi sont les héritiers, la foi dévient inutile et la promesse de Dieu sans effet; car la loi produit la colère» (Rm 4,14-15), c'est-à-dire Dieu a promis à Abraham et à sa postérité de lui donner la terre «de Chanaan»; mais là postérité d'Abraham s'est trouvée indigne de la promesse et n'a pu se rendre agréable à Dieu par ses propres oeuvres. C'est pourquoi la foi, qui est une chose facile, est venue dans le monde afin d'attirer la grâce et afin que les, promesses de Dieu ne fussent pas sans effet; et c'est encore pour cette raison que le même apôtre, parlant de la foi, dit: «Afin que nous soyions héritiers par grâce, et que la promesse demeure ferme». (Rm 4,16) Par grâce, attendu que les enfants d'Abraham n'avaient pu l'acquérir ni par leur travail, ni par leurs sueurs.

Mais pourquoi Jésus-Christ ayant dit: «Selon l'Ecriture», n'en a-t-il pas apporté des témoignages? C'est parce que l'esprit des Juifs était prévenu. Car les uns disaient: «Cet homme est le prophète, celui que nous attendons (40)». D'autres: «Il séduit le peuple (12)». D'autres: «Le Christ ne viendra pas de Galilée, mais de la petite ville de Bethléem (41, 42)». Et d'autres: «Quand le Christ viendra, personne ne saura d'où-il est (27)». Ainsi leurs opinions étaient partagées, comme il arrive dans les troubles populaires. En effet, ils ne voulaient pas écouter, ne tenaient pas à s'instruire. Voilà pourquoi Jésus ne leur répond rien-, quoiqu'il y en eût qui disent: «Le Christ viendra-t-il de Galilée?», Mais il loua Nathanaël comme un vrai israélite, quoiqu'il parlât avec plus de force et de dureté, et qu'il dît avec mépris: «Peut-il venir quelque chose de bon de Nazareth?» Mais les premiers et ceux qui disaient à Nicodème: «Lisez avec soin les Ecritures, et apprenez qu'il ne sort point de prophète de Galilée (52)», ne parlaient point pour savoir qui il était, mais pour écarter et détruire l'opinion que répandaient ceux qui disaient: «Il est le Christ». En ce qui concerne Nathanaël, c'était l'amour de la vérité et la connaissance des anciennes prophéties qui le faisaient parler comme il fit mais ceux-là n'avaient en vue que de détourner le peuple de la pensée que Jésus était le Christ, voilà pourquoi Jésus ne les instruisit point. Car des gens qui se contredisaient, qui tantôt disaient: «Personne ne saura d'où il est», et tantôt: «Il viendra de Bethléem», eussent-ils véritablement appris qu'il était le Christ, ils n'auraient sûrement pas manqué de le contester. Que parce qu'il avait demeuré à Nazareth, ils ignorassent qu'il était de Bethléem, je le passe, quoiqu'en cela même-ils ne soient point excusables, puisque Jésus n'était point né à Nazareth; mais sa généalogie, pouvaient-ils de même la méconnaître, pouvaient-ils ignorer qu'il était de la maison et de la famille de David? Comment donc disaient-ils: «Le Christ ne viendra-t-il pas de la race de David?» Voilà précisément par où ils lâchaient d'obscurcir et de cacher sa naissance, et de suborner le peuple parles discours qu'ils semaient.

Mais pourquoi ne vinrent-ils pas dire à Jésus-Christ: Maître, nous admirons votre doctrine et vos oeuvres, mais puisque vous voulez que nous croyions en vous, conformément à ce qu'enseignent les Ecritures, apprenez-nous pourquoi elles annoncent que le Christ viendra de Bethléem, et pourquoi vous êtes venu de Galilée? Mais ils ne dirent rien de cela, et la malignité dictait seule tous leurs propos. L'évangéliste fait bien voir qu'ils ne cherchaient point à le connaître, ou même qu'ils ne le voulaient point, puisqu'il ajoute incontinent: «Quelques-uns d'entre eux avaient envie de le perdre; mais néanmoins [350] personne ne mit la main sur lui (44)». Et en effet, si quelque chose était capable de les toucher, c'était au moins cette hardie et insolente entreprise, mais ils n'en furent nullement touchés, comme dit le prophète: «Ils ont été divisés, mais ne furent pas néanmoins touchés de componction». (Ps 35,19)

3. C'est le propre de la malice de ne vouloir céder à personne, et d'avoir uniquement en vue la perte de celui à qui elle tend des piéges. Mais, que dit l'Ecriture? «Celui qui creuse la fosse pour son prochain tombera dedans». (Pr 26,27) Et voilà ce qui est alors arrivé aux Juifs. Ils avaient envie de faire mourir Jésus-Christ pour détruire la prédication, pour étouffer l'Evangile dès sa naissance. Ce fut le contraire qui arriva: la prédication fleurit, l'Evangile triomphe par la grâce de Jésus-Christ, et leur république est éteinte, leur état est renversé: ils sont errants sur la terre, sans patrie, sans liberté, sans culte; toute leur prospérité leur est ravie: ils vivent dans la servitude et dans la captivité.

Instruits de ces vérités, gardons-nous de tendre des pièges aux autres, persuadés que c'est là aiguiser une épée contre soi-même, et se faire une plus profonde blessure. Mais on vous a offensé, et vous voulez en tirer vengeance? Ne vous vengez point, et par là vous serez vengé: si vous vous vengez, vous ne vous vengerez point. Et ne pensez pas que ce soit là une énigme, c'est une vérité. Comment cela? Parce que, si vous ne vous vengez point, vous, attirez la colère de Dieu sur celui qui vous a offensé; si, au contraire, vous exercez votre vengeance, il n'en est plus de même: le Seigneur ne vous venge point. Car, «c'est à moi que la vengeance est réservée, et c'est moi qui la ferai, dit le Seigneur». (Rm 3,19 Dt 32,43) En effet, qu'il survienne une querelle entre nos domestiques, nous voulons qu'ils nous en laissent toute la vengeance; mais, s'ils se vengent eux-mêmes, et qu'ensuite ils viennent nous prier de les venger, quelles que soient leurs instances, non-seulement nous ne les vengeons point, mais même nous nous mettons en colère contre eux, et nous leur disons: Déserteur, tu mérites les étrivières; car ils devaient s'en rapporter entièrement à nous, et nous laisser le soin de les venger. Mais, comme nous leur pouvons dire: Tu t'es vengé toi-même, nous. leur répondons. Retire-toi, et ne viens pas davantage m'importuner. A plus forte raison, Dieu, qui nous, a commandé de nous remettre à lui de toutes choses, nous fer a-t-il cette même réponse. Et quoi 1 n'est-il pas ridicule que nous; qui exigeons de nos serviteurs tant de sagesse et de déférence, nous ne confiions pas au Seigneur ce que nous voulons que nos serviteurs nous confient? Au reste, si je vous dis ceci, mes frères, c'est que je vous vois très-prompts à vous venger.

Le vrai sage ne doit point se venger, il doit remettre et pardonner les fautes qu'on commet contre lui, et il le devrait, quand même il n'aurait pas à attendre une grande récompense, à savoir, la rémission de ses propres péchés: si vous condamnez le pécheur, si vous le punissez, pourquoi, je vous prie; pourquoi péchez-vous vous-même? pourquoi tombez-vous dans les fautes que vous punissez chez. les autres? Quelqu'un vous a-t-il fait une injure, ne rendez pas injure pour injure, pour ne pas vous punir vous-même le premier: Quelqu'un vous a-t-il frappé, ne rendez pas coup pour coup, vous n'en retireriez aucun avantage. Quelqu'un vous a-t-il causé du chagrin, ne rendez pas la pareille, il n'en revient aucune utilité, sinon de devenir semblable à celui qui a fait le mal. Si vous souffrez tout patiemment et avec douceur, peut-être le couvrirez-vous de confusion, peut-être le ferez-vous rougir assez pour qu'il calmé sa colère.

Ce n'est point par le mal qu'on guérit le mal; mais c'est par le bien. Il est des païens qui pensent de même et pratiquent cette philosophie. Rougissons donc de céder, en philosophie, à des fous comme sont les païens. Plusieurs d'entre eux; ayant reçu une injure, l'ont courageusement soufferte; plusieurs ne se sont point vengé de la calomnie, plusieurs ont fait du bien à ceux qui cherchaient à leur faire du mal. Nous devons craindre que, parmi eux, il ne s'en trouve qui, nous surpassent en vertu, et quel pour cela même, nous ne soyions plus sévèrement punis.

En effet, si nous, qui avons reçu le Saint-Esprit, qui attendons un royaume,, qui nous exerçons à la vraie philosophie, qui combattons pour acquérir les célestes récompenses, qui n'avons point, comme ces hommes, un enfer à craindre, à qui il est ordonné d'être des anges, qui participons aux saints mystères; si nous, dis-je, nous n'atteignons même pas à leur vertu, quelle indulgence obtiendrons-nous? [351] Car si nous sommes obligés de surpasser les Juifs: «Si votre justice», dit Jésus-Christ, «n'est plus abondante que celle des scribes et des pharisiens, vous n'entrerez point dans le royaume des cieux» (Mt 5,20); à plus forte raison le sommes-nous de surpasser les gentils; si nous devons surpasser les pharisiens, nous sommes tenus bien plus rigoureusement de surpasser les infidèles. Faute d'avoir surpassé les Juifs et les pharisiens, le royaume nous sera fermé. Si nous sommes plus méchants que les païens, comment ce même royaume nous sera-t-il ouvert?

C'est pourquoi chassons toute aigreur, toute colère, toute fureur. «Il ne m'est pas pénible a de vous écrire les mêmes choses, mais il vous est sûr que je le fasse». (Ph 3,1) Souvent les médecins réitèrent le même remède; nous, de même, nous ne cesserons point de crier, de vous remémorer les mêmes choses, de vous instruire, de vous exhorter. Les embarras du siècle, une multitude d'affaires vous font oublier tout ce que nous vous prêchons et nous vous enseignons; et nous avons besoin de recommencer sans cesse. Si nous voulons que nos réunions en ce lieu ne soient pas inutiles, produisons de bons fruits, afin que nous obtenions les biens à venir, par la grâce et la boraté de Notre-Seigneur Jésus-Christ, par lequel et avec lequel gloire soit au Père et au Saint-Esprit, maintenant et toujours, et dans tous les siècles. Ainsi soit-il.




Chrysostome sur Jean 50