Chrysostome sur 1Co 1500

HOMÉLIE XV. (5,1-8) IL N'EST BRUIT QUE D'UNE FORNICATION COMMISE PARMI VOUS, D'UNE FORNICATION TELLE QU'IL N'EN EXISTE PAS CHEZ LES GENTILS MÊMES;

1500
JUSQUE-LA QUE QUELQU'UN A LA FEMME DE SON PÈRE. ET VOUS ÊTES GONFLÉS D'ORGUEIL ! ET VOUS N'ÊTES PAS PLUTÔT DANS LES PLEURS, POUR FAIRE DISPARAÎTRE DU MILIEU DE VOUS CELUI QUI A COMMIS CETTE ACTION ! (
1Co 5,1-8)

387 ANALYSE.

1. Saint Paul en vient enfin à l'incestueux, et il ne l'attaque pas seul, mais avec lui toute l'Eglise de Corinthe que souillait la présence d'un tel coupable.
2. Il faut châtier le coupable, le châtier dans son corps pour sauver son âme.
3. Pour les chrétiens, tous les jours sont jours de fête.
4. Prudence de saint Paul. — Que l'avarice est un vieux levain, et comment. — Des héritiers d'un bien mal acquis.


1501 1. Quand il s'agissait de leurs divisions, il n'employait pas dès le début des termes aussi violents; mais il leur parlait d'abord doucement, et finissait par les accuser en disant : « Car j'ai été averti, mes frères, par ceux de la maison de Chloé, qu'il y a des contestations parmi vous » (1Co 1,11). Ici, il ne procède pas de la même manière; mais il frappe tout d'abord; et fait, autant que possible, peser sur tous l'accusation. En effet, il ne dit pas: Pourquoi un tel a-t-il commis une fornication? Mais : « Il n'est bruit que d'une fornication commise parmi vous » (1Co 5,1) ; il ne veut pas que, se croyant à l'abri du reproche, ils agissent avec négligence; mais que, le coup tombant sur la communauté et l'accusation sur l'Eglise, leur sollicitude s'éveille. Il veut leur dire: On ne dira pas, un tel a commis une fornication, mais tel péché s'est commis dans l'Eglise de Corinthe. Il ne dit pas : On commet la fornication, mais : « Il n'est bruit... telle qu'il n'en existe pas chez les gentils mêmes (1Co 5,1). C'est toujours par comparaison aux gentils qu'il fait rougir les fidèles. Ainsi il écrivait aux Thessaloniciens : «Que chacun de vous sache posséder son corps saintement, et non dans la passion de la convoitises comme les autres nations » (1Th 4,4-5); et aux Colossiens et aux Ephésiens : « Ne marchez plus comme les autres nations » (Ep 4,17). Mais si ces fautes sont impardonnables chez les gentils, à quel rang, dites-moi, placerons-nous les fidèles qui les dépassent ? Chez les gentils, non-seulement on ne commet pas ce crime, mais il n'a même pas de nom. Voyez-vous jusqu'où il porte l'accusation? Car inventer un genre de luxure que les infidèles, non-seulement ne commettent pas, mais ne connaissent même pas, c'est porter le péché à son comble.

« Parmi vous » (1Co 5,1), ces mots sont emphatiques; c'est-à-dire, parmi vous, les fidèles, qui participez à de si grands mystères, à qui on a communiqué les secrets divins, qui êtes appelés au ciel. Voyez-vous quelle indignation ce langage respire? Comme il est irrité contre eux tous? S'il n'eût pas été enflammé de courroux, il ne se serait pas ainsi adressé à tous; il eût dit : J'ai appris qu'un tel a commis le péché de fornication, punissez-le. Mais ce n'est pas ainsi qu'il parle: il s'adresse à tout le monde. Si on lui eût écrit pour le prévenir, il aurait pu employer ce langage. Or, non-seulement on ne lui a pas écrit, mais on cherche à tenir la faute dans l'ombre, voilà pourquoi il emploie des termes plus violents. « Jusque-là que quelqu'un a la femme de son père » (1Co 5,1). Pourquoi ne dit-il pas: A commis la (388) fornication avec une femme? Il repousse ce terme trop honteux ; par pudeur il le passe sous silence, comme déjà contenu dans ce qu'il vient de dire. Et par là même il fortifie l'accusation en montrant qu'on commet chez eux un crime que Paul ne peut prendre sur lui de nommer ouvertement. C'est pourquoi il adopte encore plus bas la même formule : «Celui qui a commis cette action » (1Co 5,3) ; puis il rougit de nouveau et se refuse encore à employer le terme propre : ce que nous avons coutume de faire dans les matières par trop honteuses. Il ne dit point non plus : Sa belle-mère, mais « la femme de son père » (1Co 5,1), afin de frapper plus fort. En effet, quand les mots suffisent pour l'accusation, il les emploie et n'y ajoute rien. Ne m'objectez pas, leur dit-il, qu'il n'y a qu'un fornicateur ; car le crime est commun à tous. Aussi ajoute-t-il : « Et vous êtes gonflés d'orgueil » (1Co 5,2). Il ne dit pas : A cause de ce péché (ce qui eût été absurde), mais à cause de l'enseignement de cet homme. Il ne s'exprime pas ainsi, il laisse de côté ce moyen, pour frapper plus fort.

Et voyez la prudence de Paul: Après avoir d'abord détruit la sagesse du dehors et fait voir qu'elle n'est rien, même quand le péché ne s'y ajoute pas, il parle enfin du péché. Si, à propos du fornicateur, qui était peut-être un sage, il eût dit que le don spirituel avait beaucoup de valeur, il n'eût pas fait grand'chose ; mais abattre la sagesse humaine, abstraction faite du péché, et démontrer qu'elle n'est rien, c'est la réduire au moindre prix possible. C'est donc après avoir d'abord établi la comparaison, qu'il mentionne le péché. Et il ne daigne pas même parler au coupable, (en quoi il fait ressortir son extrême infamie) ; mais il dit à tous: Vous devriez pleurer, gémir, vous couvrir la face de honte, et vous faites tout le contraire. Aussi ajoute-t-il : « Et vous êtes gonflés d'orgueil ! Et vous n'êtes pas plutôt dans les pleurs ! » (1Co 5,2) Qu'est-il donc arrivé, objecte-t-on, pour que nous soyons dans les pleurs ? Parce que l'accusation retombe sur toute l’Eglise. Et que gagnerons-nous à pleurer? « De faire disparaître un tel coupable du milieu de vous » (1Co 5,2). Il ne prononce pas son nom, ni ici, ni ailleurs ; comme nous avons coutume de faire quand il s'agit de choses monstrueuses. Il ne dit pas: Et vous ne l'avez pas plutôt chassé; mais, comme c'est de deuil et d'instantes prières qu'il est besoin, ainsi que dans les cas de maladie et de peste, il dit: «Pour le faire disparaître » (1Co 5,2) ; et dans ce but il faut employer la prière et tout mettre en oeuvre pour le retrancher. Il ne leur reproche pas de ne pas l'avoir prévenu, lui, mais de n'avoir pas pleuré pour faire disparaître le coupable; indiquant par là qu'ils auraient dû le faire même en l'absence de leur maître, à cause de l'évidence du crime. « Pour moi, absent de corps, il est vrai, mais présent d'esprit » (1Co 5,3).

1502 2. Voyez son indignation : il ne veut pas même qu'on attende son arrivée pour lier le coupable ; mais voulant expulser le venin avant qu'il ait envahi tout le corps, il se hâte de le contenir, en disant: «J'ai déjà jugé comme si j'étais présent » (1Co 5,3). Or, il disait cela, non-seulement pour les presser de rendre l'arrêt et les détourner de toute autre résolution, mais encore pour les effrayer en leur montrant qu'il savait ce qui devait se passer, et le jugement qui devait se rendre. C'est ce qui s'appelle être présent d'esprit ; comme Elysée l'était à Giézi, à qui il disait : « Est-ce que mon esprit n'était pas avec toi ? » (2R 5,26) Oh ! qu'elle est grande, la vertu de la grâce, puisqu'elle fait de tous les membres un seul corps, et révèle ce qui se passe au loin ! « J'ai déjà jugé comme si j'étais présent » (1Co 5,3). Il ne leur permet pas de penser autrement : J'ai porté la sentence comme si j'étais là ; pas de retards, point de délais: tout autre parti est impossible. Ensuite, pour ne pas trop paraître agir d'autorité, et pour que son langage ne respire pas l'arrogance, voyez comme il les associe eux-mêmes au jugement qu'il porte ! Après avoir dit : « J'ai jugé » (1Co 5,3), il continue : « Que celui qui a commis un tel attentat, vous et mon esprit étant réunis au nom de Notre-Seigneur Jésus-Christ, (1Co 5,4) soit, par la présence de Notre-Seigneur Jésus-Christ, livré à Satan » (1Co 5,5). Et pourquoi : « Au nom de Notre-Seigneur Jésus-Christ (1Co 5,4)? » C'est-à-dire, selon Dieu; sans être retenu par aucune considération humaine. Quelques-uns lisent: « Celui qui a ainsi agi au nom de Notre-Seigneur Jésus-Christ », et plaçant là un point ou une virgule, ils continuent ainsi te texte « Vous et mon esprit étant réunis, de livrer cet homme à Satan». Et voici, selon eux, le sens de ce passage : « Livrez à Satan l'homme qui a fait cela au nom de Jésus-Christ; c'est-à-dire, livrez à Satan celui qui a outragé le nom (389) du Christ, celui qui, devenu fidèle, et empruntant son surnom au Christ, a osé commettre un tel crime. Mais la première leçon me paraît plus vraie.

Et quelle est-elle? « Vous étant réunis au nom du Christ » (1Co 5,4, c'est-à-dire : le nom de celui qui est votre point de ralliement, vous réunissant. « Et mon esprit » (1Co 5,4). De nouveau, il se place au milieu d'eux, afin que, jugeant comme s'il était présent, ils retranchent le coupable, et que personne n'ose le croire digue de pardon, dans la conviction que Paul saura ce qui s'est passé. Ensuite, pour augmenter la terreur, il dit : « Par la puissance de Notre-Seigneur Jésus-Christ» (1Co 5,4). Ce qui signifie : ou que le Christ vous donnera la grâce, afin que vous puissiez livrer le coupable au démon, ou que le Christ portera la sentence avec vous contre lui. Il ne dit pas : Le donner, mais « le livrer » (1Co 5,5) à Satan, pour lui ouvrir la porte du repentir et le livrer au démon comme à son maître. « Un tel » (1Co 5,5), encore une fois, il ne veut absolument pas prononcer son nom. « Pour la mort de sa chair » (1Co 5,5). Comme il arriva au bienheureux Job, mais non pour la même raison. Là ç'était pour mériter de plus glorieuses couronnes ; ici, c'est en expiation des péchés, pour frapper le coupable de quelque ulcère pernicieux ou d’une autre maladie. Ailleurs il dit : Dans ces souffrances « nous sommes jugés par le Seigneur » ; mais ici, pour blesser plus vivement, il le livre à Satan. Et c'était certainement l'avis de Dieu que le coupable fût châtié dans sa chair; et la chair est châtiée parce que ses convoitises sont les fruits de la débauche et des voluptés sensuelles.

« Afin que son esprit soit sauvé au jour du Seigneur Jésus» (1Co 5,5). C'est-à-dire, son âme : non que l'âme soit seule sauvée, mais parce qu'il est reconnu que quand elle l'est, le corps l'est certainement aussi avec elle. Il est devenu mortel à cause d'elle ; si donc elle agit conformément à la justice, il jouira, lui aussi, d'une grande gloire. Quelques-uns prétendent que par esprit on entend ici une grâce, qui s'éteint en nous quand nous péchons. Et pour que cela n'arrive pas, qu'il soit puni, dit l'apôtre, afin que, devenu meilleur, il s'attire la grâce et puisse la montrer saine et entière au dernier jour. Ainsi Paul ne tranche pas au hasard, ne punit pas inconsidérément, mais fait plutôt l'office de tuteur et de médecin. Car le profit de la peine est plus grand que la peine; celle-ci est passagère, celui-là dure toujours. Et il ne dit pas simplement : « Afin que son esprit soit sauvé », mais « en ce jour-là» (1Co 5,6). Et c'est justement et à propos qu'il leur rappelle ce jour, afin qu'ils appliquent plus promptement le remède, et que le coupable l’accepte mieux, convaincu que ce n'est point là le langage de la colère, mais celui d'un père indulgent et prévoyant. Aussi dit-il : « Pour la mort de sa chair» (1Co 5,5) ; faisant ici une loi au démon et circonscrivant son pouvoir; comme Dieu avait dit autrefois à l'occasion de Job : « Du reste ne touche point à son âme ».

1503 3. Après avoir ainsi réglé la sentence, brièvement et sans retard, il reprend ses reproches, et s'adresse aux Corinthiens : « C'est bien à tort que vous vous glorifiez » (1Co 5,6). Il leur fait entendre que jusqu'à ce moment ce sont eux qui ont empêché le coupable de se repentir, en se glorifiant de lui. Ensuite il fait voir qu'il n'agit pas seulement par ménagement pour ce pécheur, mais aussi pour eux, et il ajoute : « Ne savez-vous pas qu'un peu de levain corrompt toute la pâte? » (1Co 5,6) C'est-à-dire : bien que la faute lui soit propre, cependant, si vous la négligez, elle peut gâter toute l'Eglise. Car quand le premier coupable n'est pas puni, d'autres suivent bientôt son exemple. Il parle ainsi pour leur faire voir qu'ils ont à lutter et à courir des dangers, non pas seulement pour un seul homme, mais pour l'Eglise entière; c'est pourquoi il se sert de la comparaison du levain. De même, leur dit-il, que le levain, bien que d'un mince volume, s'assimile toute la pâte ; ainsi ce pécheur perdra tout le reste, si son péché restes impuni. « Purifiez-vous du vieux levain » (1Co 5,7), c'est-à-dire de ce criminel. Du reste il ne parle pas seulement de celui-là, mais il fait allusion à d'autres. En effet, ce n'est pas la seule fornication, mais tout vice qui est du vieux levain. Il ne dit pas : Purifiez-vous, mais : « Purifiez-vous complétement » (1Co 5,7), purifiez-vous avec soin, en sorte qu'il ne reste rien, pas même l'ombre d'un tel mal. En disant donc : « Purifiez-vous », il indique que le mal subsiste encore chez eux; mais quand il ajoute : « Afin que vous soyez d’une pâte nouvelle, comme vous êtes des azymes» (1Co 5,7), il donne à entendre que le vice ne domine pas chez beaucoup d'entre eux. Et - 390 - s'il dit : « Comme vous êtes des azymes » (1Co 5,7), ce n'est pas qu'ils soient tous purs, mais il veut dire : Comme il convient que vous soyez. « Car notre agneau pascal, le Christ, a été immolé. C'est pourquoi mangeons la pâque, non avec un vieux levain, ni avec un levain de malice et de méchanceté, mais avec des azymes de sincérité et de vérité » (1Co 5,7-8. C'est ainsi que le Christ a appelé la doctrine, levain. Et Paul continue la métaphore; en leur rappelant l'histoire ancienne, la pâque, les azymes, les bienfaits anciens et nouveaux, les punitions et les châtiments.

C'est donc un temps de fête que le temps de cette vie. Quand il dit : « Faisons festin » (1Co 5,8); ce n'est pas parce que c'était alors la pâque ou la Pentecôte; mais il veut faire entendre que la vie est pour les chrétiens une fête continuelle, à cause de l'abondance des biens qu'ils reçoivent. Et quel bien en effet vous fait défaut? Le Fils de Dieu s'est fait homme pour vous; il vous a délivrés de la mort et appelés au royaume du ciel. Vous donc qui avez reçu et recevez de tels bienfaits, comment ne seriez-vous pas toujours en fête ? Que personne donc ne s'attriste parce qu'il est pauvre ou malade, ou qu'on lui tend des embûches : car notre vie est une fête perpétuelle. « Réjouissez-vous dans le Seigneur, réjouissez-vous, je vous le dis encore une fois, réjouissez-vous » (Ph 4,4). Or, dans les jours de fête, personne ne met de sales habits; n'en mettons donc point : car ce sont des noces, des noces spirituelles. Il est écrit : « Le royaume des cieux est semblable à un roi qui voulut faire les noces de son fils » (Mt 22,2). Or, quand un roi fait des noces et les noces de son fils, peut-il y avoir une plus grande fête? Que personne donc n'y paraisse en haillons. Nous ne parlons pas ici de vêtements, mais d'actions impures. Si en effet un des convives de la noce, trouvé salement vêtu quand les autres l'étaient magnifiquement, fut expulsé avec ignominie; songez quelle sévérité, quelle pureté il faut pour prendre part à cet autre festin nuptial. Et ce n'est pas seulement pour cela que l'apôtre leur parle des azymes; mais, indiquant le rapport de l'Ancien Testament avec le Nouveau, il fait voir qu'après les azymes, il n'est plus permis de retourner en Egypte, sous peine de subir le même châtiment que ceux qui voulurent y retourner; vu que ce n'étaient là que des figures, quoi qu'en dise le Juif impudent. En effet, interrogez-le là-dessus, il ne vous dira rien qui vaille; ou s'il répond quelque chose, ce ne sera pas dans le même sens que nous, puisqu'il ne connaît pas la vérité. Il vous dira, par exemple, que Dieu a changé les dispositions des Egyptiens au point qu'ils ont chassé eux-mêmes ceux qu'ils retenaient naguère de force et à qui ils n'avaient pas même permis de faire fermenter la pâte. Mais si quelqu'un m'interroge, je ne lui parlerai pas de l'Egypte, ni de Pharaon, mais de l'affranchissement de l'esclavage des démons et des ténèbres du diable; je ne parlerai pas de Moïse, mais du Fils de Dieu; ni de la mer Rouge, mais du baptême si fécond en bons résultats, et qui est la mort du vieil homme. De plus, si vous demandez au Juif pourquoi il fait absolument disparaître le levain, il gardera le silence, il ne vous en dira pas la raison. C'est que, parmi ces prescriptions, les unes étaient des figures de l'avenir et contenaient la raison de ce qui se fait aujourd'hui; les autres avaient pour but d'éloigner les Juifs du mal et de les empêcher de rester dans les ombres. Que signifient, de grâce, ces mots « Mâle, sans tache et âgé d'un an ? » Et ceux-ci : « On ne lui brisera pas les os? » Pourquoi appeler les voisins? Pourquoi manger « debout », et le soir? Pourquoi le sang sur les maisons, comme sauvegarde? A ces questions le Juif ne répondra qu'en parlant de l'Egypte, toujours de l'Egypte; et moi j'expliquerai ce que signifie ce sang, pourquoi la circonstance du soir, pourquoi tous devaient manger ensemble et debout.

1. Il ne dit pas seulement: katharate, mais ekkatharate.

1504 4. En premier lieu, disons pourquoi le levain devait entièrement disparaître. Quel est le sens de l'énigme? Le fidèle doit être exempt de tout vice. Comme celui chez qui on avait trouvé du vieux levain était condamné à mort, ainsi en est-il de nous, si nous sommes trouvés entachés de mal. Il ne peut se faire qu'une punition si grande dans le temps des figures, ne le soit encore beaucoup plus dans le nôtre.

En effet, si les Juifs sont si soigneux à faire disparaître le levain, jusqu'à faire des recherches dans les trous de souris ; combien ne devons-nous pas l'être davantage pour sonder notre âme et la purifier de toute pensée impure. Mais cet usage, pratiqué hier par les Juifs, n'existe plus: car partout où il y a un Juif, on trouve du levain. Au milieu des (391) villes, il est vrai, on fabrique des azymes; mais c'est un jeu d'enfant plutôt qu'une loi. Partout où la vérité pénètre, les figures disparaissent. Aussi c'est au moyen de cette comparaison que Paul repousse surtout le fornicateur. Non-seulement, dit-il, sa présence ne sert plus à rien, mais elle devient nuisible, en gâtant le corps entier. On ne sait en effet d'où émane la mauvaise odeur quand le membre pourri est invisible, et on l'attribue au corps entier. Aussi les presse-t-il vivement de faire disparaître ce levain : « Afin », dit-il, « que vous soyez une pâte nouvelle, comme vous êtes des azymes : Car notre agneau pascal, le Christ, a été immolé pour nous » (
1Co 5,7). Il ne dit pas : Est mort; mais : « A été immolé » (1Co 5,7), pour mieux rendre sa pensée. Ne cherchez donc plus des azymes de ce genre, car vous n'avez plus le même agneau ; ne cherchez plus de ce levain, car vos azymes ne sont pas les mêmes. Il est vrai qu'avec le levain matériel, l'azyme peut fermenter; et que ce qui est fermenté ne peut plus devenir azyme mais ici c'est le contraire. Cependant il n'exprime pas cette pensée.

Et voyez sa prudence : dans sa première épître, il ne donne point au fornicateur espérance de retour; il veut que sa vie entière soit consacrée à la pénitence; il aurait craint de le rendre plus lâche en lui faisant cette promesse. En effet, il ne dit pas : Livrez-le à Satan, afin qu'après avoir fait pénitence, il rentre dans l'Eglise; mais : « Afin qu'il soit sauvé au dernier jour » (1Co 5,5. Il le renvoie à ce temps, pour exciter sa sollicitude ; et, à l’imitation de son maître, il ne lui révèle pas ce qu'il lui accordera après sa pénitence. De même que Dieu avait dit: « Encore trois jours et Ninive sera détruite ». (Jon 3,4), sans ajouter : Et elle sera sauvée, si elle fait pénitence; ainsi Paul ne dit pas : S'il fait une digne pénitence, nous lui donnerons des preuves d'amour ; mais il attend qu'il ait accompli son oeuvre pour le faire rentrer en grâce. En s'expliquant ainsi dès le commencement, il l’eût affranchi de la crainte ; non-seulement donc il ne le fait pas, mais par la comparaison du levain, il lui ôte jusqu'à l'espoir de retour, et le réserve pour le dernier jour, en disant : « Purifiez-vous du vieux levain » (1Co 5,7) ; et encore : « Ne célébrons point la pâque avec du vieux levain » (1Co 5,8). Quand après la pénitence, il mit le plus grand empressement à le faire rentrer dans l'Eglise. Pourquoi dit-il le « vieux » levain (1Co 5,7)? Ou pour désigner notre vie ancienne; ou parce que la vétusté est voisine de la mort, et fétide et honteuse, comme l'est le péché ; car ce n'est pas sans raison, mais en vue de son sujet, qu'il rejette la vétusté et loue la nouveauté. Car il est dit ailleurs : « Un ami nouveau est du vin nouveau ; il vieillira et vous le boirez avec plaisir » (Si 9,15) ; l'écrivain approuvant ainsi l'ancienneté plutôt que la nouveauté dans l'amitié. Et ailleurs : « L'ancien des jours était assis », ce qui présente l'ancienneté comme le titre le plus glorieux. En d'autres endroits l'Ecriture en fait un titre de blâme. Comme en effet les diverses choses sont composées de nombreux éléments, les mêmes termes sont employés dans le bon ou le mauvais sens, et non avec la même signification. Voici encore un texte où l'ancienneté est blâmée : « Ils ont vieilli et ont trébuché dans leurs voies » (Ps 17) ; et cet autre : « J'ai vieilli au milieu de tous mes ennemis » (Ps 6); ou encore : « Homme vieilli dans le mal » (Da 13,52). Le levain lui-même, quoique pris ici dans une mauvaise acception, est souvent employé pour désigner le royaume des cieux; mais dans ces deux cas, le mot se rapporte à des objets différents.

1505 5. Ce qu'on dit ici du levain, me paraît surtout un reproche à l'adresse des prêtres, qui tolèrent beaucoup de vieux levain à l'intérieur, n'ayant pas soin de rejeter au dehors, c'est-à-dire, hors de l'Eglise, les avares, les voleurs, tout ce qui exclut du royaume des cieux. En effet, l'avarice est un vieux levain; partout où elle tombe, en quelque maison qu'elle entre, elle la rend impure. Si faible que soit le profit injuste, il fait fermenter toute votre fortune. Aussi, souvent un peu de bien mal acquis suffit à renverser une grande fortune honorablement amassée. Car rien de putride comme l'avarice; vous aurez beau fermer votre coffre-fort de clé, de porte et de verrou, si vous y avez renfermé l'avarice, le plus redoutable des voleurs, qui peut tout vous enlever. Pourtant, dira-t-on, il y a bien des avares qui n'éprouvent pas cela. Ils l'éprouveront, bien que ce ne soit pas sur l'heure ; s'ils y échappent même maintenant, ce n'est qu'une raison de plus pour vous de craindre; car ils sont réservés pour un plus grand châtiment. Ou encore, leurs héritiers le subiront peut-être à leur (392) place. Est-ce juste, direz-vous? Très juste, certainement. Celui qui hérite d'un bien injustement acquis, s'il n'est pas voleur, retient au moins le bien d'autrui; il en est parfaitement convaincu, et par conséquent il est juste qu'il en porte la peine.

Si, en effet, vous aviez accepté le fruit d'un vol et que le propriétaire vînt le réclamer, seriez-vous justifié en disant que ce n'est pas vous qui avez volé? Nullement. Car enfin que répondriez-vous à l'accusation? Qu'un autre a commis le vol? Mais c'est vous qui détenez l'objet volé. Un tel a pris? mais c'est vous qui jouissez. Les lois des infidèles le savent bien, elles qui ordonnent de réclamer les objets volés, non à ceux qui les ont arrachés de force ou soustraits furtivement, mais à ceux en possession de qui on les trouve tous. Si donc vous connaissez les victimes de l'injustice, restituez-leur et imitez Zachée qui rendit avec usure ; si vous ne les connaissez pas, je vous ouvre une autre voie, pour ne pas vous laisser sans remède : distribuez le tout aux pauvres et vous écarterez le péril. S'il en est qui aient transmis de tels héritages à leurs enfants et à leurs petits-enfants, ils ont subi d'autres châtiments. Mais à quoi bon parler de ce qui se passe ici-bas? Il n'en sera plus question au jour où les uns et les autres apparaîtront dépouillés, et les volés et les voleurs dépouillés de leur argent, mais non pourtant de la même manière : car ceux-ci seront remplis des vices nés de la richesse.

Que ferons-nous donc en ce jour quand paraîtra devant ce terrible tribunal celui qui, victime de l’injustice, a perdu tous ses biens, et que vous serez là, sans avocat pour vous défendre? Que répondrez-vous au juge? Ici vous pouvez corrompre le jugement des hommes; là, la corruption est impossible; et, encore l'est-elle même ici, puisque ce juge est déjà présent. Car Dieu voit ce qui se passe, il est près de ceux qui souffrent l'injustice, même quand ils ne l'invoquent pas. Oui, quand même celui dont les droits sont violés ne mériterait pas d'être vengé, il a pourtant un vengeur dans Dieu à qui l'injustice déplaît. Mais, dira-t-on, pourquoi ce méchant prospère-t-il? Cela ne durera pas toujours. Ecoutez ce que dit le prophète : « Que ceux qui font le mal n'excitent point votre envie, car bientôt ils se dessécheront comme l'herbe » (
Ps 36). Où va, dites-moi, le voleur après cette vie? Où sont ses brillantes espérances? Qu'est devenue sa réputation honorable? Tout ne s'est-il pas évanoui? Tout ce qui composait son existence n'a-t-il pas passé comme un songe, comme une ombre? N'attendez pas autre chose de tous ses pareils, ni de leurs héritiers. Mais il n'en est pas de même des saints; vous ne pouvez en dire autant d'eux; que ce qu'ils possèdent est une ombre, un songe, une fable. Prenons, si vous le voulez, pour exemple celui même qui nous dit tout cela, ce fabricant de tentes, ce Cilicien, dont le père même ne nous est pas connu d'une manière certaine. Mais, dires-vous, comment lui ressembler? Le voulez-vous sérieusement? désirez-vous vraiment être comme lui? Oui, répondez-vous. Eh bien ! entrez dans la voie où il est entré, lui et ceux qui étaient avec lui. Et quelle voie ? Écoutez-le : « Dans la faim, la soif et la nudité » (2Co 11,27). Et Pierre: « Je n'ai ni or ni argent » (Ac 3,6). Ainsi ils n'avaient rien, et cependant ils possédaient tout.

1506 6. Quoi de plus honorable que cette parole? Quoi de plus heureux et de plus riche? D'autres plaçaient leur gloire dans des objets bien différents : J'ai tant et tant de talents d'or, d'immenses pièces de terre, des maisons, des esclaves. Paul, au contraire, se vante de n'avoir rien ; il ne cache pas sa pauvreté, comme font les insensés, il n'en rougit pas; il s'un glorifie. Où sont maintenant les riches, qui comptent leurs intérêts et les intérêts des intérêts, s'emparent des biens de tout le monde et ne sont jamais rassasiés? Avez-vous entendu la voix de Pierre qui vous apprend que la pauvreté est la mère de la richesse? Sans rien avoir, elle est plus opulente que ceux qui ceignent le diadème. Cette voix est celle d'un homme qui n'a rien, et elle ressuscite les morts, redresse les boiteux, chasse les démons et accorde des bienfaits que n'ont jamais pu accorder ceux qui revêtent la pourpre et commandent à de nombreuses et formidables armées; c'est la voix de ceux qui sont déjà montés au ciel et s'ils trouvent au faîte de la gloire. Ainsi celui qui n'a rien, peut avoir ce qui est à tout le monde; celui qui ne possède rien, peut posséder ce qui est à tout le monde. Mais nous, si nous avons ce qui est à tout le monde, nous sommes privés de tout. Peut-être verra-t-on là une énigme, et pourtant il n'y en a pas. Comment, (393) dira-t-on, celui qui n'a rien, a-t-il ce qui est à tout le monde? N'est-ce pas bien plutôt celui qui a ce qui est à tout le monde? Non : c'est tout le contraire. Celui qui n'a rien, commande à tout le monde, comme le faisaient les apôtres; par toute la terre, les maisons leur étaient ouvertes ; ceux qui les recevaient leur en étaient reconnaissants ; ils entraient partout comme chez des parents et des amis. Ils entrèrent chez la marchande de pourpre et elle les servit à table comme une servante ; ils allèrent chez le geôlier et il leur ouvrit toute sa maison ; et ainsi d'une foule d'autres.

Ils avaient donc tout et n'avaient rien. Sans doute ils ne regardaient rien comme leur bien propre, et c'est pour cela qu'ils avaient tout. Car celui qui pense que tout est en commun, use du bien d'autrui comme si c'était le sien; mais celui qui s'isole et s'approprie ce qu'il a, n'en est pas même le maître. Un exemple rendra cela sensible. Celui qui ne possède absolument rien, ni maison, ni table, ni vêtement inutile, et qui s'est privé de tout pour Dieu, celui-là use du bien commun comme du sien propre, et reçoit de chacun tout ce qu'il veut; et ainsi, sans rien avoir, il a le bien de tous. Celui, au contraire, qui possède quelque chose n'en est pas le maître; car personne ne lui donnera rien, et ce qu'il possède est moins à lui qu'aux larrons, aux flous, aux calomniateurs, aux revers de la fortune, etc. Paul a parcouru le monde entier, n'ayant rien sur lui, n'allant ni chez des amis, ni chez des connaissances; bien plus, il était d'abord l'ennemi de tous; et pourtant partout où il entrait, il jouissait du bien de tous. Et Ananie et Saphire, pour avoir voulu garder une petite portion de leur fortune, l'ont toute perdue et la vie aussi. Renoncez donc à ce que vous possédez, pour jouir comme d'un bien propre de tout ce que possèdent les autres. Mais je ne sais comment j'ai pu porter l'exagération jusqu'à ce point, en parlant à des hommes qui, hélas ! ne sacrifient pas même la plus mince partie de ce qu'ils ont.

Que ce langage ne s'adresse donc qu'aux parfaits. Aux autres nous dirons : Donnez aux pauvres pour augmenter votre fortune : car il est écrit-: « Celui qui donne au pauvre, prête à Dieu » (
Pr 19,17). Que si vous êtes pressés et ne voulez pas attendre le temps de la récompense, songez à ceux qui prêtent aux hommes; ils n'exigent pas immédiatement l'intérêt, mais ils souhaitent que le capital reste longtemps aux mains de l'emprunteur, pourvu que le recouvrement soit sûr et le débiteur solide. Agissez de même : remettez tout à Dieu, pour qu'il vous récompense abondamment. Ne demandez pas tout pour cette vie, autrement, qu'auriez-vous à attendre dans l'autre? Et Dieu met, précisément en réserve dans l'autre monde, parce que cette vie est courte. Mais il donne aussi en ce monde : « Cherchez », nous dit-il, « le royaume des cieux, et toutes ces choses vous seront données par surcroît » (Mt 6,33). Ayons donc les yeux fixés de ce côté-là, ne nous pressons pas de recueillir tout le profit, de peur d'amoindrir la récompense, mais attendons le temps convenable. Les intérêts alors ne seront pas comme ceux d'ici-bas, mais tels que Dieu sait les donner. Laissons-les ainsi s'accumuler en grande quantité, puis allons-nous-en d'ici, afin d'obtenir les biens présents et les biens à venir, par la grâce et la bonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ, en qui appartiennent, au Père, en union avec le Saint-Esprit, la gloire, la force, l'honneur, maintenant et toujours, et dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.



HOMÉLIE XVI. JE VOUS AI ÉCRIT DANS LA LETTRE : N'AYEZ POINT DE COMMERCE AVEC LES FORNICATEURS ;

1600 CE QUI NE S'ENTEND PAS DES FORNICATEURS DE CE MONDE, NON PLUS QUE DES AVARES, DES RAVISSEURS, DES IDOLATRES ; AUTREMENT VOUS DEVRIEZ SORTIR DE CE MONDE. MAIS JE VOUS AI ÉCRIT DE NE POINT AVOIR DE COMMERCE AVEC CELUI QUI, PORTANT LE NOM DE FRÈRE PARMI VOUS, EST FORNICATEUR, OU AVAREOU IDOLATRE, OU IVROGNE, OU MÉDISANT, OU RAPACE, ET MÉME DE NE PAS MANGER AVEC LUI. (1Co 5,9-13 1Co 6,1-11)

(394) ANALYSE.

1. Saint Paul fait mention d'une autre lettre aux Corinthiens, écrite avant celle-ci et qui s'est perdue. — Purifiez-vous, leur dit-il, de tous ces vices au sujet desquels je vous ai donné des avis dans une première lettre. — Séparez-vous de tous ces hommes corrompus qui sont parmi vous. — Quant à ceux qui ne sont pas chrétiens, ne les jugez pas.
2. Le retranchement des coupables avait lieu aussi dans l'ancienne Loi, mais d'une manière plus sévère puisqu'on les lapidait. Saint Paul défend aux chrétiens de se faire juger par les tribunaux païens.
3. Les derniers d'entre vous. peuvent juger des affaires de ce monde : ne savez-vous pas que vous êtes appelés à juger les anges?
4. Contre la médisance.
5 et 6. Que la passion des richesses renverse tout. — Combien il faut qu'un chrétien évite les procès. — De la patience dans les injures. — Conduite que doit tenir un chrétien quand on lui fait quelque tort. — Contre ceux qui oppriment les pauvres.


1601 1. Comme il avait dit: « Et vous n'êtes pas plutôt clans les pleurs, pour faire disparaître du milieu de vous celui qui a commis cette « action? » et encore : « Purifez-vous du vieux levain », il était vraisemblable que les Corinthiens se croiraient obligés de fuir tous les fornicateurs. En effet, si le coupable communique son mal aux innocents; ce sont surtout les infidèles qu'il faut éloigner; puisqu'on ne doit pas même épargner un frère de peur qu'il ne répande la contagion, à plus forte raison ne doit-on pas ménager les étrangers. Dans celte hypothèse, il aurait donc fallu rompre avec tous les fornicateurs qui se trouvaient chez les Grecs : chose impossible; et que les Corinthiens eussent difficilement acceptée. Voilà pourquoi l'apôtre met un correctif, en disant : « Je vous ai écrit : n'ayez point de commerce avec les fornicateurs ; ce qui ne s'entend pas des fornicateurs de ce monde »; et donnant, ces mots : « Ce qui ne s'entend pas », comme chose convenue. De peur qu'ils ne s'imaginent qu'il n'exige point cette séparation parce qu'ils sont trop imparfaits et pour qu'ils ne s'avisent pas de l'opérer en qualité de parfaits, il leur fait voir qu'ils ne le pourraient pas avec la meilleure volonté possible : autrement il faudrait chercher un autre mondé. Aussi ajoute-t-il : « Autrement vous devriez sortie du monde ».

Voyez-vous comme il est peu exigeant, comme il cherche en tout à rendre l'exécution de la loi, non-seulement possible, mais facile? Comment, leur dit-il, serait-il possible à un chef de maison, à un père de famille, à un magistrat, à un artisan, à un soldat, au milieu de tant de grecs, d'éviter les fornicateurs qui se trouvent partout? Car c'est aux grecs qu'il applique cette expression : « Les fornicateurs de ce monde. Mais je vous ai écrit de ne point avoir de commerce avec celui qui, portant le nom de frère, est fornicateur, et même de ne pas manger avec lui ». Ici il indique d'autres personnes vivant dans l'iniquité. Mais comment un frère peut-il être idolâtre? Cela arrivait autrefois chez les samaritains, qui n'avaient embrassé la religion qu'à demi. D'ailleurs il pose. ici la base de ce qu'il (395) va dire tout à l'heure sur les idolâtres. « Ou avare ». Il va combattre ce vice ; aussi dit-il : « Pourquoi ne supportez-vous pas plutôt d'être lésés? Pourquoi ne soutirez-vous pas d'être dépouillés? Mais vous-mêmes vous lésez, vous dépouillez». — « Ou ivrogne». Plus bas il accuse aussi ce vices quand il dit : « L'un a faim, et l'autre est ivre» (
1Co 11,21); et encore « Les aliments sont pour l'estomac et l'estomac a pour les aliments (1Co 6,13). Ou médisant ou rapace ». Il en a déjà parlé plus haut avec blâme. Ensuite il donne la raison pour laquelle il n'empêche point d'avoir des rapports avec les étrangers entachés de ces vices : C'est que non-seulement cela n'est pas possible, mais que ce serait inutile. « En effet, m'appartient-il de juger ceux qui sont dehors? »

Il appelle chrétiens ceux qui sont dedans, et grecs ceux qui sont dehors. C'est ainsi qu'il dit ailleurs : « Il faut aussi qu'il ait un. bon témoignage de ceux qui sont, dehors ». Et dans l'épître aux Thessaloniciens, il répète dans les mêmes termes : « N'ayez point de commerce avec lui, afin qu'il soit couvert de confusion. Cependant ne le regardez pas a comme un ennemi, mais reprenez-le comme un frère ». Cette fois il ne donne pas de motif. Pourquoi? Parce que là il voulait consoler, et ici, non. Là, la faute n'était pas la même, elle était moindre ; il n'accusait que d'oisiveté; ici il s'agit de fornication et d'autres fautes plus graves. Si on veut passer chez les grecs, il ne défend pas d'y manger, et pour la même raison. Nous agissons encore de même, faisant tout pour nos fils et nos frères, et tenant peu de compte des étrangers. Quoi donc? Paul avait-il aucun souci de ceux du dehors ? Il en avait, mais il ne leur donnait des lois qu'après qu'ils avaient reçu la prédication et s'étaient soumis à la doctrine du Christ ; mais tant qu'ils la méprisaient, il était inutile de donner des ordres à des hommes qui ne connaissaient pas même le Christ. « Et ceux qui sont dedans, n'est-ce pas vous qui les jugez? Mais ceux qui sont dehors, c'est Dieu qui les jugera ». Après avoir dit : « M'appartient-il de juger ceux qui sont dehors, ? » De peur qu'on ne s'imaginât qu'ils resteraient impunis, il les livre à un autre tribunal terrible. Son but, en disant cela, est d'effrayer les uns et de consoler les autres, et de montrer que cette punition temporelle délivre du châtiment éternel; ce qu'il affirme encore ailleurs, quand il dit : «Nous sommes jugés et châtiés maintenant, afin de ne pas être condamnés avec ce monde » (1Co 11,32) ; et encore : « Faites disparaître le coupable du milieu de vous ». (Dt 17,7)

1602 2. Il rappelle ce qui était dit dans l'Ancien Testament, et en même temps il leur fait voir qu'ils gagneront beaucoup à se délivrer, pour ainsi dire, d'un terrible fléau ; et encore que ceci n'est point une innovation, puisque déjà autrefois le législateur avait prescrit de retrancher ces coupables; mais alors on procédait avec plus de sévérité, aujourd'hui on agit avec plus de douceur. `On pourrait demander en effet pourquoi il était permis de punir et de lapider celui qui avait commis la faute, tandis qu'ici on l'invite seulement à faire pénitence. Pourquoi des procédés si différents? Il y a à cela deux raisons : la première, c'est que les chrétiens étaient conduits à des combats plus grands, et qu'ils avaient besoin de plus de patience et de courage; la seconde et la plus vraie, c'est que l'impunité les corrigeait plus facilement en les amenant à la pénitence; tandis qu'elle rendait les Juifs plus méchants. Si en effet après avoir vu le châtiment des premiers coupables, ceux-ci n'en persévéraient pas moins dans-les mêmes péchés ; à combien plus forte raisonne l'eussent-ils pas fait, si personne n'eût été puni? Aussi, sous la loi ancienne, l'adultère et l'homicide étaient-ils immédiatement frappés de mort; mais sous la nouvelle, s'ils se lavent par la pénitence, ils échappent au châtiment. Toutefois on peut voir des peines plus sévères dans la nouvelle loi et de plus douces dans l'ancienne; ce,qui prouve qu'un lien de parenté unit les deux Testaments, et qu'ils sont tous les deux l'oeuvre d'un seul et même législateur ; que dans l'un et l'autre le supplice suit, qu'il tarde souvent beaucoup, souvent aussi. très-peu, mais que toujours Dieu se contente du repentir. En effet, dans l'Ancien Testament, David, adultère et homicide, est épargné ; et, dans le Nouveau, Ananie, pour avoir soustrait une partie du prix de son champ, est frappé de mort avec sa femme. Que si ces derniers exemples abondent dans l'Ancien Testament et sont rares dans le Nouveau, la différence des personnes explique la différence de conduite.

« Quelqu'un de vous, ayant avec un autre un différend, ose l'appeler en jugement devant les injustes; et non devant les saints? » (
1Co 6,1) (396) Encore une fois il intente accusation comme sur une chose avouée. Là il dit: « Il n'est bruit que d'une fornication commise parmi vous »; et ici : «Quelqu'un de vous ose»; manifestant ainsi dès l'abord son courroux, et faisant voir l'audace et la monstruosité de la faute. Et pourquoi en vint-il à l'avarice et au devoir de ne point en appeler au jugement des infidèles? Pour se conformer à son propre usage. Il a en effet coutume de tout rectifier en passant; comme quand, à propos des repas communs, il fait une digression sur les mystères. Ici donc, après avoir parlé des frères coupables d'avarice, dans sa vive sollicitude pour l'amendement des pécheurs, il sort de son sujet, corrige une espèce de péché amené là par voie de conséquence, puis revient à son premier objet. Ecoutons donc ce qu'il en dit : « Quelqu'un de vous ayant avec un autre un différend, ose l'appeler en jugement avant les injustes, et non devant les saints? » En attendant il s'exprime avec précision, en termes propres, il détourne, il accuse. Tout d'abord il n'infirme pas le jugement qui se rend devant les fidèles; il ne le fait entièrement disparaître, qu'après les avoir d'abord épouvantés de bien des manières. Surtout, leur dit-il, s'il faut un jugement, qu'il n'ait pas lieu devant les injustes; mais il n'en faut absolument point.

Toutefois ceci ne vient qu'en dernier lieu ; en attendant il défend absolument de se faire juger au dehors. N'est-ce pas une absurdité, dit-il, que dans un différend avec un ami on prenne un ennemi pour arbitre? Comment n'êtes-vous pas honteux, comment ne rougissez-vous pas, quand un grec siége pour juger un chrétien ? Et s'il ne faut pas être jugé par les grecs dans des questions d'intérêts privés, comment leur confier des affaires plus importantes? Remarquez son expression : il ne dit pas : devant les infidèles, mais : « Devant les injustes», employant le terme qui peut le mieux servir son but, afin d'inspirer de l'aversion. Car comme il est question de Jugement, et que ceux qui sont jugés exigent surtout dans les juges un grand respect pour l'équité, il part de là pour les éloigner des tribunaux profanes, en leur disant à peu près : où allez-vous? que faites-vous, ô homme? Tout le contraire de ce que vous désirez ; car vous recourez à des hommes injustes pour obtenir justice. Et comme il eût été dur de s'entendre tous d'abord interdire le recours aux tribunaux, il n'en vient pas là du premier coup; il se contente de changer les juges, et d'amener dans l'Eglise ceux qui devaient être jugés au dehors. Ensuite, comme la mesure pouvait n'inspirer que peu de confiance; surtout alors, parce que les juges, pour la plupart simples particuliers et ignorants, n'étaient probablement pas en état de bien comprendre et ne possédaient pas, comme les juges extérieurs, la connaissance des lois et l'art de parler; voyez comme il relève leur crédit, en les appelant tout d'abord des saints ! Mais comme ce mot n'indiquait que la pureté de leur vie et non les connaissances nécessaires pour instruire une cause, voyez comme il y supplée; en disant : « Ne savez-vous pas que les saints jugeront le monde? » (1Co 6,2)

1603 3. Mais vous qui devez un jour les juger, comment souffrez-vous maintenant d'être jugés par eux? Or les saints ne jugeront pas assis sur un tribunal et en demandent compte aux coupables, mais ils condamneront. C'est ce qu'il indique par ces mots : « Or, si le monde doit être jugé en vous, êtes-vous indignes de juger des moindres choses? » (1Co 6,2) Il ne dit pas : Par vous, mais « en vous » ; comme quand Jésus-Christ dit : «La reine du Midi se lèvera et condamnera cette génération » (Mt 12,42); et encore: « Les Ninivites se lèveront et condamneront cette génération ». (Mt 12,41) Quand en effet voyant le même soleil, jouissant des mêmes avantages, nous serons trouvés croyants et eux incrédules, ils ne pourront prétexter d'ignorance : car notre propre conduite les condamnera. On trouvera encore bien d'autres motifs de condamnation. Et pour qu'on ne croie pas qu'il a d'autres personnes en vue, voyez comme il parle pour tous : « Et si le monde est jugé parmi vous, êtes-vous indignes de juger les moindres choses? » (1Co 6,2). Voilà, leur dit-il, qui vous couvre de honte et vous imprime un immense déshonneur. Vous avez honte, à ce qu'il paraît, d'être jugés par vos frères, et la honte consiste au contraire à être jugé par ceux du dehors : car les jugements des premiers ont peu d'importance, et non ceux des seconds.

« Ne savez-vous pas que nous jugerons les anges? Combien plus les choses du siècle? » (1Co 6,3) Quelques-uns voient ici une allusion aux prêtres, Mais loin, loin cette interprétation ! Car il s'agit des démons. S'il eût en intention de (397) parler des mauvais prêtres, ce serait donc eux déjà qu'il aurait eus en vue plus haut, quand il disait: « Le monde est jugé par vous » ; puisque l'Ecriture donne souvent le nom de monde aux méchants; ensuite il n'eût point répété la même chose; et surtout ne l'eût point répétée sous forme de gradation. Mais il parle de ces anges dont le Christ a dit : « Allez au feu qui a été préparé au diable et à ses anges » (Mt 25,41), et Paul : « Ses anges se transforment en ministres de justice ». (2Co 11,45) En effet si les puissances incorporelles nous sont trouvées inférieures, à nous qui sommes revêtus de chair, elles seront plus sévèrement punies. Que si on persiste à dire qu'il s'agit des prêtres, nous demanderons lesquels ? Sans doute ceux qui ont vécu entièrement à la façon des séculiers. Alors comment expliquer ces paroles : « Nous jugerons les anges : combien plus les choses du siècle? » (1Co 6,3) où il distingue les anges des séculiers, et avec raison : puisque l'excellence de leur nature les place en dehors des besoins de cette vie.

« Si donc vous avez des différends touchant des choses de cette vie, établissez, pour les juger, ceux qui tiennent le dernier rang dans l'Eglise » (1Co 6,4). Par cette hyperbole, il veut nous apprendre qu'en aucun cas nous ne devons nous confier à ceux du dehors ; et il a déjà répondu d'avance à l'objection qu'il soulève.

Voici, en effet, ce qu'il entend : Quelqu'un dira peut-être qu'il n'y a personne parmi vous qui soit instruit et capable de juger, que vous êtes tous des hommes sans valeur. Qu'importe? Quand même vous n'auriez personne de savant, répond-il, confiez vos affaires aux plus petits. « Je le dis pour votre honte » (1Co 6,5). Ici il réfute l'objection, comme un prétexte inutile. Aussi ajoute-t-il : « N'y a-t-il donc parmi vous aucun sage ? » Etes-vous si pauvres? Y a-t-il chez-vous si grande rareté d'hommes intelligents? Ce qui suit frappe encore plus fort ; car, après avoir dit: n'y a-t-il parmi vous aucun sage? il ajoute : « Qui puisse être juge entre ses frères? » (1Co 6,5) Quand le litige est de frère à frère, l'arbitre n'a pas besoin d'une grande intelligence ni d'une grande habileté : l'affection, les relations de parenté aident singulièrement à la solution de telles difficultés: « Mais un frère plaide contre son frère, et cela devant des infidèles!» (1Co 6,6) Voyez-vous comme d'abord, dans un but d'utilité, il accusait les juges d'être injustes, et maintenant pour exciter la honte, il les appelle infidèles? C'est quelque chose de bien honteux qu'un prêtre même ne puisse pas rétablir l'accord entre des frères et qu'il faille recourir à des étrangers. En disant donc : « Ceux qui tiennent le dernier rang » (1Co 6,4), il a plutôt voulu les piquer que prétendre élever au rang de juges des hommes sans valeur. Et la preuve qu'on doit confier cette fonction à des hommes capables, c'est qu'il dit: « N'y a-t-il donc parmi vous aucun sage?» (1Co 6,5) Mais pour mieux fermer la bouche, il ajoute que, quand il n'y en aurait pas, il vaudrait mieux s'en remettre aux frères les moins intelligents qu'à des étrangers. Comment ne serait-il pas absurde que, dans une discussion domestique, on n'appelle aucun étranger, qu'on rougisse même d'en rien laisser transpirer dans le public ; et que dans l'Eglise, où est le trésor des mystères secrets, tout soit livré à des étrangers ! « Mais un frère plaide contre son frère, et cela devant des infidèles ! » (1Co 6,6) Double accusation : on plaide, et on plaide devant des infidèles. Si c'est déjà un mal en soi de plaider contre un frère, comment excuser celui qui le fait devant des étrangers? « C'est déjà certainement pour vous une faute que vous ayez des procès entre vous » (1Co 6,7). Voyez-vous comme il a réservé jusqu'ici de parler de ce mal et avec quel à propos il le guérit ! C'est leur dire : Je ne dis pas encore que l'un fait tort et que l'autre le subit; par le seul fait qu'il y a procès, je les désapprouve tous deux, et en cela l'un ne vaut pas mieux que l'autre.

1604 4. Quant à la justice ou à l'injustice de l'action judiciaire, on en traitera ailleurs. Ne dites donc pas: On m'a fait tort; dès que vous plaidez, je vous condamne. Mais si c'est un crime de ne pouvoir supporter une injure, à plus forte raison en est-ce un de la commettre. «Pourquoi ne supportez-vous pas plutôt d'être lésés? Pourquoi ne supportez-vous pas plutôt la fraude? Mais vous-mêmes vous lésez, vous fraudez, et cela à l'égard de vos frères » (1Co 6,7-8). Encore une fois double accusation, peut-être même triple, quadruple. La première : de ne pouvoir supporter celui qui vous fait tort; la seconde, de faire tort vous-même ; la troisième, de remettre le jugement à des hommes injustes; la quatrième, de faire cela à l'égard d'un frère. Car ce n'est pas la (398) même chose de commettre un péché contre le premier venu ou contre un membre de sa famille. Car en ce dernier cas, l'audace est bien plus grande : Là, on n'outrage que la nature des choses; ici, on manque à la dignité même de la personne. Après les avoir ainsi fait rougir par les motifs ordinaires et, plus haut déjà, en leur mettant les récompenses sous les yeux, il conclut son exhortation par la menace, et prenant un ton plus violent : « Ne savez-vous pas », leur dit-il, « que les injustes ne posséderont pas le royaume de Dieu? ne vous abusez point ni les fornicateurs, ni les idolâtres; ni les adultères, ni les efféminés, ni les abominables, ni les avares, ni les voleurs, ni les ivrognes, ni les médisants, ni les ravisseurs ne posséderont le royaume de Dieu » (1Co 6,9-10).

Que dites-vous, Paul? à propos des avares, vous faites passer devant nous cette longue chaîne de prévaricateurs ? Oui, répond-il, mais je ne confonds rien et je procède par ordre. Comme à propos des fornicateurs, il a fait mention de tous les autres; ainsi fait-il encore à l'occasion des avares, pour accoutumer aux reproches ceux qui se sentent coupables de telles iniquités. A force d'avoir entendu parler du châtiment réservé aux autres, on est plus disposé à s'entendre adresser des reproches, quand il faudra travailler à combattre son défaut personnel. Et s'il menace, ce n'est point parce qu'il sait qu'ils le méritent, ni pour leur faire des reproches : mais rien n'est plus propre à retenir et à contenir l'auditeur qu'un discours qui ne s'adresse point à lui directement, n'a pas de but déterminé et remue secrètement sa conscience. « Ne vous abusez point » (1Co 6,9). Ceci insinue que certaines personnes disaient alors ce que beaucoup disent aujourd'hui: Dieu est clément et bon, il ne se venge pas des péchés : ne craignons rien ; il ne punira personne de quoi que ce soit. Voilà pourquoi il dit : « Ne vous abusez pas » (1Co 6,9). Car c'est une erreur extrême et une illusion d'espérer le bien et d'obtenir le mal, et de supposer en Dieu ce qu'on n'oserait pas même penser d'un homme. Aussi le prophète nous dit-il en son propre nom: « Tu as songé à mal, t'imaginant que je te ressemble : je te confondrai et je te mettrai tes iniquités sous les yeux ». (Ps 49) Et Paul dit ici : « Ne vous abusez point : ni les fornicateurs (il place au premier rang celui qui avait déjà été condamné), ni les adultères, ni les efféminés, ni, les ivrognes; ni les médisants ne possèderont le royaume de Dieu » (1Co 6,9-10.

Beaucoup ont blâmé ce passage comme trop dur, parce qu'il met l'ivrogne et le médisant au même niveau que l'adultère, le libertin et le sodomite. Or ces crimes ne sont pas égaux: comment leur châtiment peut-il l'être? A cela que répondrons-nous ? que l'ivrognerie et la médisance ne sont pas choses de peu d'importance : puisque le Christ a jugé digne de l'enfer celui qui traite son frère de fou. Souvent la mort en a été la suite, et l'ivresse a fait commettre de très-graves péchés aux Juifs. Ensuite nous dirons que l'apôtre ne parle pas ici de châtiment, mais d'exclusion du royaume. L'un et l'autre sont donc également exclus. Mais qu'il y ait une différence dans le supplice de l'enfer, ce n'est pas ici le lieu de traiter cette question, car ce n'est point là notre sujet. « C'est ce que quelques-uns de vous ont été; mais vous avez été lavés, mais de quels maux Dieu vous a délivrés, quelle bonté il vous a témoignée et prouvée par des faits; il ne s'est pas contenté de vous délivrer, il a poussé la bienfaisance beaucoup plus loin, il vous a purifiés. Est-ce tout? non : il vous a sanctifiés, et non-seulement sanctifiés; mais justifiés. Cependant vous délivrer de vos péchés, c'était déjà un grand don; et il y a ajouté d'innombrables bienfaits. Et tout cela s'est fait au nom de Notre-Seigneur Jésus-Christ», non en celui-ci ou en celui-là, mais « dans l'esprit de notre Dieu » (1Co 6,11). Instruits de ces vérités, songeons, mes bien-aimés, à la grandeur du bienfait que nous avons reçu, persévérons dans une vie sage et régulière, restons exempts de tous les vices que nous avons énumérés, fuyons les tribunaux profanes et conservons soigneusement la noblesse que nous tenons de la libéralité de Dieu. Comprenez quelle honte c'est pour vous d'être jugés par un grec.

1605 5. Mais, direz-vous, si le fidèle est un juge inique? Pourquoi le serait-il, je vous le demande? Selon quelles lois juge le grec? selon quelles lois juge le chrétien? N'est-il pas clair que le premier juge selon les lois des hommes; et le second selon les lois de Dieu? C'est donc ici qu'on trouvera plutôt la justice, (399) puisque ces lois sont descendues du ciel. Devant les tribunaux profanes, outre ce que nous avons dit, il y a bien d'autres motifs de défiance: l'habileté des avocats, la corruption des juges et beaucoup d'autres choses qui détruisent la justice; mais ici rien de pareil. Mais, dira-t-on, si l'adversaire est puissant? Et c'est surtout alors qu'il faut chercher des juges chez nous : car ce puissant l'emportera nécessairement sur vous devant les tribunaux étrangers. Mais s'il n'y consent pas, s'il dédaigne nos propres jugements et nous traîne de force devant les infidèles? Le meilleur alors pour vous est de supporter avec patience ce que la nécessité vous impose et de récuser le tribunal, pour obtenir la récompense. Car Jésus-Christ a dit : « À celui qui veut vous appeler en justice pour vous enlever votre tunique, abandonnez-lui encore votre manteau » (Mt 5,40); et encore : « Accordez-vous au plus tôt avec votre adversaire, pendant que vous êtes en chemin avec lui ». (Mt 5,25) Et pourquoi chercher des témoignages chez nous? Les chefs des tribunaux étrangers disent trés-souvent qu'il vaut mieux s'arranger que plaider.

Mais, ô richesses ! ou plutôt, ô absurde attachement aux richesses ! tu détruis tout, tu renverses tout; pour toi, tout le reste n'est que bagatelle et fable aux yeux de la foule. Que des séculiers assiégent les tribunaux, à cela rien d'étonnant; mais que beaucoup de ceux qui ont renoncé au monde en fassent autant, voilà qui n'est pas pardonnable. Si vous voulez savoir combien l'Ecriture condamne chez vous cet abus, et pour qui les lois sont faites, écoutez ce que dit Paul : « La loi n'est pas établie pour le juste, mais pour les injustes et les insoumis ». (1Tm 1,9.) Or s'il a dit cela de la loi de Moïse, à plus forte raison des lois païennes. Si donc vous faites tort, vous êtes évidemment injuste : si vous êtes lésé et que vous le supportiez (ce qui est le caractère propre du juste), vous n'avez pas besoin des lois étrangères. Mais, dites-vous, comment puis-je supporter l'injustice ? Le Christ vous demande plus encore. Non-seulement, il veut que celui qui est lésé le supporte, mais encore qu'il se montre généreux à l'égard de son ennemi et triomphe de son mauvais vouloir par sa patience et sa libéralité. En effet, il ne dit pas : Donnez votre tunique à celui qui vous la dispute en justice ; mais: Donnez-lui encore votre manteau. Remportez la victoire sur lui, en supportant l'injustice, et non en rendant le mal pour le mal : voilà le vrai, le glorieux triomphe. C'est pourquoi Paul dit à son tour : «C'est déjà certainement pour vous une faute que vous ayez des procès entre vous; pourquoi ne supportez-vous pas plutôt d'être lésés ? »

Je vous ferai voir que celui qui supporte l'injure est plutôt vainqueur que celui qui ne la supporte pas. Ce dernier, en effet, est surtout battu quand il traîne son adversaire au tribunal et qu'il gagne son procès : car il a éprouvé ce qu'il voulait éviter : son adversaire l’a forcé à souffrir et à intenter une action. Après cela, qu'importe la victoire ? qu'importe que vous ayez tout l'argent? En attendant vous avez subi ce qui vous déplaisait : on vous a forcé à faire un procès. Si au contraire vous supportez l'injustice, même en perdant votre argent vous remportez la victoire, mais non une victoire selon leur sagesse : car votre adversaire n'a pu vous forcer à faire ce que vous ne vouliez pas. Et pour preuve de la vérité de ce que j'avance, dites-moi : le quel fut le vainqueur du jaloux ou de l'homme assis sur son fumier? Lequel fut vaincu, de Job qui avait tout perdu, ou du démon qui avait tout pris? Evidemment ce fut le démon, qui avait tout pris. A. qui accordons-nous l'admiration due -au triomphe, du démon qui frappait, ou de Job qui était frappé ? Evidemment à Job. Cependant il n'avait pu conserver sa fortune, ni sauver ses enfants. Et que parlé-je de fortune et d'enfants? Il ne peut pas même garantir son propre corps. Et pourtant il resta le vainqueur, lui qui avait tout perdu. Il ne put conserver sa fortune, mais il conserva toute sa piété. — Il ne vint point au secours de ses enfants mourants. — Qu'importe? leur malheur les a rendus plus glorieux, et il s'est aidé lui-même dans ses souffrances. S'il n'eût été maltraité et outragé par le démon, il n'aurait pas remporté cette magnifique victoire. Si c'était un mal de souffrir l'injustice, Dieu ne nous en eût pas donné l'ordre : car Dieu ne commande jamais le mal; et ne savez-vous pas qu'il est le Dieu de la gloire? qu'il n'a pas voulu nous livrer à la honte, à la dérision et à l’injustice, mais rapprocher les contraires? Voilà pourquoi il veut que nous supportions l'injustice, et met tout en oeuvre pour nous (400) détacher des choses du monde, et nous montrer où est la gloire et le déshonneur, la perte et le profit.

1606 6. Mais, dit-on, il est dur d'être injurié et lésé. Non, ô homme, cela n'est pas dur. Jusqu'à quand serez-vous avide des biens présents,? Dieu ne vous eût pas commandé cela, si c'était un mal. Voyez un peu : Celui qui a commis l'injustice s'en va avec son argent, mais aussi avec une conscience coupable ; celui qui a été lésé est privé de son argent, mais il a la confiance en Dieu, trésor mille fois plus précieux. Puisque nous savons cela, soyons sages par volonté et ne nous exposons point au sort des insensés qu’ils croient n'être pas lésés, quand ils le sont réellement par un tribunal. Tout au contraire, c'est là un très grand dommage; comme en général, quand nous ne sommes pas juges de nous-mêmes, mais par force et à la suite d'une défaite. Car il n'y a pas de profit à supporter la condamnation d'un tribunal, puisqu'on ne le fait que par force. Mais où est l'honneur de la victoire? A dédaigner cette démarche, à ne point plaider. Quoi ! direz-vous, on m'a tout pris, et vous voulez que je me taise? On m'a fait tort, et vous m'exhortez à le supporter patiemment? Comment le pourrais-je ? Vous le pourrez très-facilement, si vous levez les yeux vers le ciel, si vous contemplez sa beauté, vous souvenant que Dieu a promis de vous y recevoir, dans le cas où vous supporteriez généreusement l'injustice. Faites-le donc, et en levant les yeux au ciel, songez que vous êtes devenu semblable à celui qui y est assis sur des chérubins. Car lui aussi a été accablé, d'injures et il les a supportées; il a été outragé et ne s'est point vengé ; il a été couvert de crachats et ne s'est point défendu ; mais il a fait tout le contraire, en comblant de bienfaits ceux qui l'avaient ainsi traité, et il nous a ordonné de l'imiter. Songez que vous êtes sorti nu du sein de votre mère ; que vous vous en retournerez nu, vous et celui qui vous a fait tort, ou plutôt qu'il s'en ira, lui, avec mille blessures engendrant les vers. Songez que les choses présentes sont passagères, comptez les tombeaux de vos aïeux, examinez bien ce qui s'est passé, et vous verrez que votre ennemi vous a rendu plus fort; car il a augmenté sa passion, l'amour de l'argent, et il affaiblit la vôtre en lui ôtant son aliment de bête fauve.

De plus il vous a débarrassé des soucis, des angoisses, de la jalousie des sycophantes, de l'agitation, du trouble, des craintes continuelles ; et il a entassé tous les maux sur sa tête; Mais, direz-vous, si je lutte avec la faim? Alors vous partagez le sort de Paul qui nous dit : « Jusqu'à cette heure nous souffrons la « faim et la soif, et nous sommes nus». (
1Co 4,2) Il souffrait pour Dieu, ajoutez-vous. Et vous aussi, car dès que vous ne vous vengez pas, vous agissez en vue de Dieu. — Mais celui qui m'a fait tort, vit avec les riches au sein des plaisirs. — Dites plutôt avec le démon; et vous vous êtes couronné avec Paul. Ne craignez donc pas la faim ; « car Dieu ne laissera pas périr de faim les âmes des justes ». (Pr 10,3) Et le psalmiste nous dit encore: « Jetez vos soucis dans le sein du Seigneur, et lui-même vous nourrira ». (Ps 54) Car s'il nourrit les oiseaux des champs, comment ne vous nourrirait-il pas? Ne soyons donc pas, mes bien-aimés, des gens de peu de foi, des hommes pusillanimes. Comment celui qui nous a. promis le royaume des cieux et de si grands avantages, ne nous donnerait-il pas les biens présents? Ne désirons pas le superflu, contentons nous du nécessaire, et nous serons toujours riches; cherchons le vêtement et la nourriture; et nous la recevrons et même beaucoup plus. Et si vous êtes encore affligé et baissant la tête, je voudrais vous faire voir l'âme de votre ennemi après sa victoire, comme elle est devenue poussière. Car voilà ce que c'est que le péché : pendant qu'on le commet, il procure un certain plaisir; une fois qu'il est commis, le plaisir disparaît et le chagrin succède. Voilà. ce que nous éprouvons quand nous faisons injure à notre prochain : nous finissons par nous condamner nous-mêmes. Ainsi quand nous prenons le bien d'autrui, nous goûtons de la satisfaction; mais viennent ensuite les remords de conscience.

Vous voyez un tel posséder la maison des pauvres? Pleurez, non sur la victime, mais sur le voleur; le,voleur n'a pas donné le coup, il l'a reçu. Il a privé l'autre des biens présents; il s'est privé lui-même des biens éternels. Car si celui qui ne donné pas aux pauvres va en enfer, que sera-ce de celui qui les dépouille? Et que gagné-je, dites-vous, à souffrir l’injustice? Beaucoup. Ce n'est pas en punissant votre ennemi que Dieu vous dédommage: cela n'en vaudrait guère la peine. Que gagnerais-je, en effet, à ce que mon ennemi fût (401) malheureux comme moi? J'en connais pourtant beaucoup qui trouvent là une très-grande consolation, et se croient assez riches quand ils voient punir ceux qui leur ont fait tort. Mais ce n'est pas là que Dieu place votre récompense. Voulez-vous savoir lés biens qui vous attendent? II vous ouvre le ciel tout entier, il vous fait concitoyen des saints, il vous introduit dans leur assemblée, il vous absout de vos péchés, il vous ceint de la couronne de justice. Si en effet ceux qui pardonnent sont pardonnés, quelle, bénédiction n'est pas réservée à ceux qui non-seulement pardonnent, mais comblent leurs ennemis de bienfaits? Ne vous irritez donc point de l'injure, mais priez pour celui qui vous l'a faite ; vous travaillerez ainsi à votre profit. On vous a prïs votre argent? Mais on a pris aussi vos péchés; comme il arriva dans l'affaire de Naaman et de Giézi. Combien d'argent n'auriez-vous pas donné pour obtenir le pardon de vos fautes? Eh bien ! cette faveur vous est accordée; si vous supportez courageusement l'injustice, si vous ne maudissez pas, vous êtes ceint d'une couronne magnifique. Ce n'est pas moi qui vous parle : vous avez entendu le Christ dire « Priez pour ceux qui vous font du mal ». Puis songez à la grandeur de la récompense: « Afin que vous soyez semblables à votre Père qui est dans le ciel ». (Mt 5,46) Vous n'avez donc rien perdu, mais vous avez gagné; vous n'êtes point lésé, mais couronné; vous êtes devenu plus sage ; vous voilà semblable à Dieu, débarrassé des soucis qui, s'attachent à l'argent, en possession du royaume des cieux. Par toutes ces considérations, ô mes bien-aimés, acceptons les injures en philosophes, afin de, nous délivrer du trouble de la vie présente, de secouer une tristesse inutile et d'obtenir le bonheur futur par la grâce et la bonté, de Notre-Seigneur Jésus-Christ, en qui appartiennent au Père, en union avec le Saint-Esprit, la gloire, l'empire, l'honneur, maintenant et toujours, et dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.



Chrysostome sur 1Co 1500