Chrysostome sur 1Co 1700

HOMÉLIE XVII. (6,12-14) TOUT M'EST PERMIS, MAIS TOUT NE M'EST PAS AVANTAGEUX.

1700
TOUT M'EST PERMIS, MAIS JE NE SERAI L'ESCLAVE D'AUCUNE CHOSE. (
1Co 6,12-14)

ANALYSE.

1. Saint Paul conseille la tempérance. — Il annonce la résurrection générale.
2. Preuve de la résurrection. — Elle est plus facile à Dieu que la création du monde.
3 et 4. Il ne faut pas vouloir trop pénétrer la sagesse de Dieu. — Ne pas croire la résurrection est la ruine des vertus.

1701 1 Ici il fait allusion aux gourmands. Devant revenir au fornicateur, et la fornication étant le fruit de la volupté et des excès de table, il blâme amèrement ce vice. Il ne parle pas des choses défendues (celles-ci sont permises), mais des choses qui semblent indifférentes. Exemple : il est permis, leur dit-il, de manger et de boire ; mais il n'est pas avantageux de le faire avec excès. Manière étonnante et inouïe, qui cependant lui est habituelle et qu'il emploie encore, ici : il tourne la chose dans le sens contraire, et montre que le pouvoir de faire, non-seulement n'est pas avantageux, mais est moins un acte de liberté qu'un (402) signe d'esclavage. D'abord il dissuade par la raison du désavantage, en disant : « Ne m'est pas avantageux » ; et en second lieu, par celle du contraire, en disant: «Je ne serai l'esclave d'aucune chose ». Ce qui signifie : Il est en votre pouvoir de manger; conservez donc ce pouvoir; mais prenez garde d'en devenir esclave. Celui qui en usé dans la mesure du besoin, en est le maître; celui qui va jusqu'à l'excès n'en est plus le maître, mais l'esclave ; la gourmandise exerce sur lui sa tyrannie. Voyez-vous comme il démontre que celui qui croit être le maître est réellement assujetti? C'est l'usage de Paul, je l'ai déjà dit, de tourner les objections en sens contraire, et c'est ce qu'il fait ici. Examinez un peu, chacun d'eux disait : Il n'est permis de me livrer au plaisir; lui répond : En le faisant, vous n'exercez pas un pouvoir, vous subissez une servitude. Car vous n'êtes pas le maître de votre estomac, quand vous vous livrez à l’intempérance, mais c'est lui qui vous domine. On en peut dire autant des richesses et d'autres choses encore.

« Les aliments sont pour le ventre ». Par ventre il entend ici non le ventre proprement dit, mais la gourmandise; comme quand il dit : « Dont le Dieu est le ventre » (
Ph 3,19) ; ce n'est pas de l'organe qu'il parle, mais de la gloutonnerie. Pour preuve, écoutez la suite : « Et le ventre pour les aliments. Or le « corps n'est point pour la fornication, mais pour le Seigneur ». Or le ventre est aussi le corps. Mais il a fait ici deux rapprochements les aliments et l'intempérance qu'il appelle le ventre, le Christ et le corps. Que signifient ces paroles : « Les aliments sont pour le ventre?» Cela veut dire : Les aliments ont de l'affinité avec l'intempérance, et celle-ci en a avec l'estomac. Elle ne vaut donc nous amener au Christ, mais elle nous entraîne vers les aliments. C'est une passion mauvaise, animale, qui nous rend esclaves et se fait servir. Pourquoi donc, ô homme, vous inquiétez-vous, soupirez-vous pour des aliments? Car voilà à quoi aboutit ce service, et pas à autre chose. C'est une maîtresse qu'on sert, c'est un esclave permanent, et cela ne va pas au delà; il n'y a rien de plus que ce vain ministère. Et les deux sont unis entre eux et périssent ensemble, le ventre et les aliments, les aliments et le ventre; c'est un cercle qui ne finit pas, comme si les vers naissaient d'un corps putréfait et le dévoraient à leur tour, ou comme le flot qui; se gonfle et disparaît ensuite sans autre résultat. Or ce n'est pas précisément des aliments et du corps que l'apôtre parle ; mais il veut blâmer, le vice de la gourmandise et l'excès dans la nourriture, comme la suite le prouve: Car il ajoute : « Mais Dieu détruira l'un et l'autre ». Ce n'est pas de l'estomac qu'il dit cela, mais de l'intempérance; ni des aliments, mais de la volupté. Ce n'est point aux besoins du corps qu'il en veut, puisqu'il les règle, en disant : « Ayant la nourriture et le vêtement, contentons-nous-en » (1Tm 6,8); mais par, là même il désapprouve le vice, et après avoir donné un conseil, il confie le succès à la prière. Quelques-uns disent que c'est ici fine prophétie relative ait siècle futur où l'on ne sera plus obligé de manger et de boire. Alors si l'usage modéré doit avoir un terme, c'est une raison de plus pour ne pas abuser. Ensuite pour qu'on ne dise pas que c'est le corps même qui est en cause, que dans la partie le tout est condamné, et encore que le corps est la cause de la fornication, écoutez la suite : Je n'accuse point la nature du corps, dit-il, mais l'intempérance de l'âme. C'est pourquoi il ajoute : « Or le corps n'est point pour la fornication mais pour le Seigneur ». Il n'a point été créé ; pour servir d'instrument à la débauche et à la fornication, pas plus que le ventre pour la gourmandise; mais pour suivre le Christ, son chef, en sorte que le Seigneur soit la tête du corps entier. Craignons donc, tremblons donc d'être souillés de tant de vices, nous qui avons reçu l'insigne honneur d'être les membres d'un chef assis au ciel ; après avoir ainsi suffisamment blâmé les intempérances, il les détourne encore de ce vice, en disant: « Car Dieu a ressuscité le Seigneur et nous ressuscitera aussi par sa puissance. »

1702 2. Voyez-vous encore une fois la sagesse de l’apôtre ? Toujours, et surtout en ce cas-ci, il prouve par l'exemple du Christ qu'il faut croire à la résurrection. En effet, si notre corps est un membre du Christ, et si le Christ est ressuscité, il faut, que le corps suive la tête : « Par sa puissance ». Comme ce qu'il vient d'affirmer est incroyable et ne peut se saisir par le raisonnement, il attribue à la puissance infinie la résurrection du Christ et en tire une forte démonstration contre les incrédules. Il n'emploie pas cet argument pour la résurrection du Christ; il ne dit pas: Dieu (403) ressuscitera le Seigneur; car le fait a déjà eu lieu: que dit-il donc? «Dieu a ressuscité le Seigneur », et il n'a pas besoin de preuve. Mais il ne parle pas ainsi de notre résurrection, qui n'a pas encore eu lien: qu'en dit-il ? « Et nous ressuscitera aussi par sa puissance», fermant ainsi la bouche à ses adversaires, puisque la puissance du Dieu qui ressuscite est déjà démontrée. Et s'il attribue au Père la résurrection du Fils, que cela ne vous trouble pas. Ce n'est pas parce que le Christ n'a pas pu se ressusciter lui-même; puisqu'il a dit: « Détruisez ce temple et je le relèverai en trois jours ». (Jn 2,19) Et encore: « J'ai le pouvoir de donner ma vie et j'ai le pouvoir de la reprendre ». (Jn 10,13) Et il dit aussi dans les Actes : « Auxquels il se montra vivant ». (Ac 1,3) Pourquoi donc Paul parle-t-il ainsi? Parce qu'il attribue au Père les actions du Fils et au Fils les actions du Père. « Car tout ce que le Père fait », dit le Christ lui-même, « le Fils le fait pareillement ». (Jn 5,19) Et c'est tout à fait à propos qu'il rappelle ici la résurrection, pour contenir par cette espérance la tyrannie de la gourmandise, disant presque en propres termes: Vous avez mangé et bu sans mesure : à quoi cela aboutira-t-il? A rien qu'à la corruption. Vous avez été uni au Christ; quel en sera le résultat? Un résultat magnifique, admirable; cette future résurrection, pleine de gloire et au-dessus de tout ce qu'on en peut dire.

Que personne donc ne refuse de croire à la résurrection ; et si quelqu'un n'y croit pas, qu'il songe combien Dieu a produit de rien, et qu'il eu tire une preuve en faveur de ce dogme. En effet, ce qui existe est beaucoup plus merveilleux et contient un grand miracle. Dieu prend de la terre (et la terre n'existait pas auparavant ), il la pétrit et il en fait l'homme. Comment la terre est-elle devenue un homme? comment a-t-elle été produite, quand elle n'existait pas ? Et comment produit-elle elle-même ces innombrables espèces d'animaux, de semences, de plantes, sans douleurs d'enfantement, sans être arrosée par les pluies, sans culture, sacs boeufs, sans charrue, sans rien qui l'aide en ce travail ? C'est pour vous enseigner tout d'abord le dogme de la résurrection, que tant de variétés de plantes et d'animaux sont sortis d'une terre inanimée et insensible. C'est en effet quelque chose de plus incompréhensible que la résurrection.

Rallumer un flambeau éteint, ou produire un feu qui n'existe pas, ce n'est pas la même chose; ce n'est pas non plus la même chose de rebâtir une maison détruite ou d'en élever une qui n'existe pas. Dans le premier cas, il y a au moins des matériaux, s'il n'y a pas autre chose; mais dans le second, on n'aperçoit aucune substance. C'est pourquoi Dieu a d'abord fait ce qui semble le plus difficile, pour vous faire admettre ce qui est le plus facile. Et si je dis plus difficile, ce n'est pas pour Dieu, mais par rapport à nos propres idées; car rien n'est difficile à Dieu; mais comme le peintre qui peut tracer une image, en fera facilement dix mille, ainsi Dieu peut créer des mondes par milliers, des mondes innombrables; ou plutôt, comme il vous est facile d'imaginer une ville et des mondes sans nombre, ainsi, et bien plus aisément encore, Dieu peut les créer. Car enfin cette pensée exige encore de vous un petit espace de temps ; mais il n'en est pas ainsi de Dieu ; autant les pierres sont plus lourdes que les objets les plus légers et que notre propre pensée, autant notre pensée elle-même est au-dessous de la rapidité avec laquelle Dieu crée.

Vous admirez son pouvoir sur la terre? Songez aussi comment le ciel qui n'existait pas a été fait, et des étoiles innombrables, et le soleil et la lune ; car rien de cela n'était. Ensuite, dites-moi comment et sur quoi tout cela, une fois créé, se maintient? Quel est leur point d'appui, quel est celui de la terre? Ce qu'il y a au-delà de la terre? Et après cela, quoi encore? Voyez-vous dans quel abîme se perd l'oeil de votre intelligence, si vous ne recourez aussitôt à la foi et à la puissance incompréhensible du Créateur? Que si vous voulez juger d'après les opérations humaines, vous pourrez peu à peu donner des ailes à votre pensée. Quelles opérations, dites-vous? Ne voyez-vous pas comment les potiers forment un vase d'une matière brisée et informe ? comment ceux qui coupent les métaux font voir que la terre est de l'or, du fer, de l'airain? comment les verriers transforment du sable en un corps solide et transparent? Parlerai-je des corroyeurs, de ceux qui teignent les vêtements en pourpre, comme ils métamorphosent l'objet qui prend la teinture? Parlerai-je de notre génération ? comment un peu de semence, informe, sans figure, entre dans la matrice qui la reçoit? D'où vient donc la (404) formation animale ? Qu'est-ce que le blé? Ne jette-t-on pas simplement le grain dans la terre? Une fois jeté, n'y pourrit-il pas? D'où viennent les épis, les barbes, les chaumes et tout le reste? Un petit pépin de figue tombant en terre ne produit-il pas souvent des racines, des branches et des fruits? Vous admettez tout cela sans en rechercher curieusement la cause, et vous ne demandez compte à Dieu que de la transformation de nos corps ? Est-ce pardonnable ?

1703 3. C'est aux grecs que nous faisons ces raisonnements et d'autres de ce genre ; quant à ceux qui suivent les Ecritures, ils n'ont pas même besoin qu'on en parle. Si, en effet, vous voulez soumettre toutes les oeuvres de Dieu à une enquête, en quoi Dieu est-il au-dessus de l'homme ? Et encore y a-t-il peu d'hommes avec qui nous agissions ainsi. Si donc il est des hommes avec qui nous nous dispensons de ces recherches curieuses, à bien plus forte raison ne devons-nous point scruter la sagesse de Dieu ni lui demander de compte : d'abord parce que celui qui a parlé est digne de foi ; ensuite parce que le sujet même n'admet pas l'action du raisonnement. Car Dieu n'est pas tellement pauvre qu'il ne puisse faire que des choses accessibles à votre faible intelligence. Si vous ne comprenez pas même l’oeuvre d'un artisan, beaucoup moins comprendrez-vous celle de l'Ouvrier par excellence. Ne rejetez donc point le dogme de la résurrection, autrement vous serez bien loin des espérances à venir. Mais où est donc la sagesse, ou plutôt l'immense folie de nos contradicteurs ? Ils demandent: Comment un,corps peut-il ressusciter quand il a été mêlé à la terre, qu'il est devenu terré et que cette terre elle-même a été déplacée ? Cela vous semble impossible, mais non à celui dont l'oeil ne dort pas; car tout est à découvert devant lui. Vous ne voyez pas la distinction qui subsiste dans la confusion ; mais lui voit tout; vous ne savez pas ce qui se passe dans le coeur de votre prochain, et lui le sait.

Si vous ne croyez pas que Dieu ressuscite, parce que vous ne comprenez pas comment il ressuscite, vous ne croirez pas non plus qu'il lit dans les coeurs, car ce sont dès choses cachées. Et encore même dans un corps dissous reste-t-il une matière visible, tandis que les pensées sont invisibles. Et celui qui voit parfaitement les choses invisibles, ne verra pas les choses visibles et ne pourra facilement discerner un corps? Chacun sent qu'il le peut. Ne rejetez donc point la résurrection: car c'est une suggestion diabolique. Et le démon n'a pas seulement en vue de détruire la foi à la résurrection, mais encore de détruire et d'anéantir les oeuvres de la vertu. En effet, l'homme qui ne s'attend pas à ressusciter et à rendre compte de ces actions, ne se pressera guère de pratiquer la vertu ; et, en retour, celui qui ne pratique pas la vertu, ne croira pas à la résurrection: car ce sont deux choses qui s'engendrent mutuellement : le vice par l'incrédulité, et l'incrédulité par le vice. Une conscience chargée de nombreuses iniquités, inquiète, redoutant la vengeance future et ne voulant pas se rassurer elle-même par le changement de vie, cherche le repos dans l'incrédulité. Et quand vous niez la résurrection et le jugement, ce pécheur dira : Je ne rendrai donc pas compte de mes crimes? Que dit cependant le Christ? « Vous êtes dans l'erreur, ne connaissant ni les Ecritures ni la puissance de Dieu ». (
Mt 22,29) Dieu n'aurait pas tant fait s'il n'avait dû nous ressusciter, mais seulement nous détruire et nous réduire à néant; il n'eût point étendu cette vaste voûte du ciel sur nos têtes, ni étalé la terre comme un tapis sous nos pieds, il n'eût point créé tant de choses pour une si courte vie que la nôtre. Et s'il a l'ait tout cela pour la vie présente, que ne fera-t-il pas pour la vie future?

Mais si la vie future n'existe pas, nous sommés bien au-dessous des objets créés pour nous. En effet, le ciel, la terre, la mer, les fleuves, certains animaux mêmes, durent plus que nous; car la corneille, la race des éléphants et beaucoup d'autres encore, jouissent plus longtemps de la vie présente. Pour nous l'existence est courte et pénible, pour eux elle,est longue et bien plus exempte de chagrin et de soucis. Comment, de grâce, le Créateur a-t-il plus favorisé le serviteur que le maître? Je vous en conjure, ne raisonnez pas ainsi : ne soyez pas, ô homme ! dénué d'intelligence, et puisque vous avez un tel Maître, ne méconnaissez pas ses richesses. Au commencement Dieu a voulu vous faire immortel, et vous ne l'avez pas voulu. Car c'étaient des indices d'immortalité, ces entretiens familiers avec Dieu, cette vie paisible, cette exemption de chagrin, de soucis, de travaux et des autres accidents du temps. Adam n'avait pas besoin (405) de vêtement, ni de maison, ni de rien de semblable; il était plus rapproché des anges; prévoyait beaucoup de choses à venir et était rempli d'une grande sagesse Ce que Dieu faisait en cachette, en formant la femme, il en eut connaissance. Aussi dit-il : « Maintenant voilà l'os de mes os et la chair de ma chair ». (Gn 2,23) Puis est venu le travail, puis la sueur, ensuite la honte, la crainte, la timidité à parler; car auparavant il n'y avait ni chagrin, ni douleur, ni gémissement. Mais il ne demeure pas longtemps dans cette situation honorable.

1704 4. Que faire donc? direz-vous. Dois-je périr à cause de lui? Non précisément à cause de lui, car vous n'êtes pas non plus resté sans péché; et si vous n'avez pas commis le même, vous en avez certainement commis un autre. D'ailleurs, vous n'avez rien perdu au châtiment; vous y avez gagné, agi contraire. Si vous eussiez dû rester toujours mortel, peut-être auriez-vous raison de dire ce que vous dites; mais maintenant vous êtes immortel, et si vous le voulez, vous pouvez surpasser le soleil même en éclat. Si je n'avais pas eu un corps mortel, dites-vous, je n'aurais pas péché. Eh ! de grâce, Adam avait-il un corps mortel, quand il a péché? Non : car si son corps eût été mortel, la mort ne lui eût pas été infligée par forme de punition. C'est ce qui prouve qu'un corps mortel n'est point un obstacle à la vertu, qu'il rend sage, au contraire, et procure les plus grands avantages. Si, en effet, l'attente seule de l'immortalité a inspiré un si grand orgueil à Adam, à quel point aurait-il porté l'arrogance, s'il eût été réellement immortel? Maintenant, depuis la, chute, vous pouvez expier Nos péchés, puisque votre corps est vil, abject, sujet à la décomposition: car ces considérations sont propres à rendre sage mais si vous aviez péché dans un corps immortel, peut-être vos péchés eussent-ils duré davantage. N'accusez donc point la mortalité d'être la cause du péché; c'est la mauvaise volonté qui est la racine de tous les maux. Pourquoi le corps d'Abel ne lui a-t-il porté aucun préjudice? Pourquoi n'a-t-il servi de rien aux démons de n'avoir pas de corps? Voulez-vous savoir comment un corps mortel n'est pas nuisible, mais est même utile? Voyez ce que vous gagnez par lui si vous êtes sobre. Il vous retire du vice, il vous en arrache par les douleurs, les chagrins, les travaux et autres moyens semblables.

Mais, dites-vous, il m'entraîne à la fornication. Ce n'est pas lui, mais l'incontinence; tandis que les choses que je vous indiquais tout à l'heure lui appartiennent en entier. Aussi n'est-il pas donné à l'homme qui entre dans cette vie de se soustraire à la maladie, àla douleur, à la tristesse; mais il peut ne pas commettre la fornication. Si les vices étaient naturels au corps, ils seraient universels : car tout ce qui est naturel est universel. Or, la fornication ne l'est pas : elle provient de la volonté, tandis que la souffrance vient de la nature. N'accusez pas votre corps, ne vous laissez pas ravir par le démon l'honneur que Dieu vous a fait. Si nous le voulons, le corps sera un frein excellent pour contenir les mouvements de l'âme, réprimer l'orgueil, empêcher la jactance et nous aider dans des oeuvres très-importantes. Ne me parlez pas de certains fous furieux; nous voyons souvent des chevaux secouer frein et cocher et se jeter dans les précipices; nous ne nous en prenons pas au frein pour cela; il a été jeté de côté ; ce n'est pas lui qui est cause du mal, mais le cocher qui n'a rien su retenir. Croyez qu'il en est de même ici : Si vous voyez un jeune orphelin commettre mille sottises, n'accusez pas son corps, mais le cocher, c'est-à-dire, la raison qui se laisse entraîner. Les rênes n'embarrassent pas le cocher, mais lui seul est coupable s'il ne sait pas les tenir convenablement; aussi est-ce lui qu'elles accusent quand elles sont enchevêtrées, qu'elles l'entraînent à terre et le forcent à partager leur propre infortune.

De même en est-il ici : Tant que tu tenais les rênes, dit le frein, je dirigeais la bouche du cheval; mais parce que tu as tout lâché, je te punis de ta négligence, je m'embarrasse et je t'entraîne, pour ne plus éprouver le même sort. Que personne ne s'en prenne donc aux rênes, mais à lui-même et à sa volonté corrompue. Car chez nous la raison est le cocher; et le corps joue le rôle des rênes qui établissent le rapport entre les chevaux et le cocher. Si les rênes sont tenues régulièrement, remplissent bien leur fonction, vous n'éprouverez rien de fâcheux; si vous les lâchez, tout disparaît, tout est perdu. Soyons donc sages, et n'accusons pas notre corps, mais notre mauvaise volonté. C'est là l'oeuvre du démon d'exciter les insensés à accuser leur corps, Dieu, le prochain, tout plutôt que leur propre (406) perversité, de peur qu'ils ne coupent la racine de leurs maux, s'ils venaient à la connaître. Mais vous qui connaissez ses embûches, tournez votre colère contre lui, mettez le cocher sur le siège et tournez, vos yeux vers Dieu. Partout ailleurs, celui qui propose un combat ne s'en. mêle pas et attend la fin : mais ici c'est Dieu même qui règle et établit la lutte.

Rendons-le-nous donc propice, et nous obtiendrons certainement les biens futurs, par la grâce et la bonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ, en qui appartiennent au Père, en union avec le Saint-Esprit, la gloire, l'empire, la force, l'honneur, maintenant et toujours, et dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.



HOMÉLIE XVIII. (6,15-20) NE SAVEZ-VOUS PAS QUE VOS CORPS SONT LES MEMBRES DU CHRIST?

1800
ENLÈVERAI-JE DONC LES MEMBRES DU CHRIST POUR EN FAIRE DES MEMBRES DE PROSTITUÉE? A DIEU NE PLAISE ! (
1Co 6,15-20)

ANALYSE.

1. Contre la fornication
2. Nos corps comme nos âmes appartiennent au Christ qui les a rachetés au prix de son sang; nous n'avons donc pas le droit de les livrer de nouveau à Satan.
3 et 4. Combien ceux qui parent leurs corps ont sujet de craindre. — Comment nous devons glorifier le nom de Dieu. — Contre l'avarice. — Que la pauvreté est comme une fournaise. — Qu'il faut joindre l'humilité aux souffrances.

1801 1. Après avoir passé du fornicateur à l'avare, il revient de l'avare au fornicateur, non en s'adressant à lui, mais à ceux qui n'ont pas commis ce péché; et pour les en garantir, il frappe encore sur le coupable. En effet, bien qu'on s'adresse à d'autres, celui qui a péché est néanmoins atteint, parce que sa conscience s'éveille et lui fait sentir le remords. La crainte de la: punition suffirait, il est vrai, à les maintenir dans la continence; mais comme il ne voulait pas que la crainte fût leur seul mobile cri: cela, il y ajoute des menaces et des raisonnements. Après avoir donc déterminé le genre de péché, fixé le châtiment, démontré le tort que le crime du fornicateur causait à tout le monde, il a quitté ce sujet pour passer à l'avare, et a conclu son discours en menaçant celui-ci de l'exclusion du royaume des cieux, lui et tous ceux dont il a fait l'énumération; maintenant il formule un avertissement plus terrible. En effet, celui qui se contente de punir une faute sans en faire voir la gravité, n'obtient pas grand résultat par le châtiment; et celui qui se contente de faire rougir sans épouvanter par la punition, ne touche pas fort les hommes insensibles. C'est pourquoi Paul fait l'un et l'autre; il fait rougir en disant : « Ne savez-vous pas que nous jugerons les anges? » Et il épouvante en disant: « Ne savez-vous pas que les avares n'entreront « pas dans le royaume des cieux? » Il emploie le même procédé à l'égard du fornicateur car après l'avoir d'abord effrayé par ce qu'il vient de dire, après l'avoir retranché et livré à Satan, après avoir rappelé le dernier jour, il le fait de nouveau rougir par ces paroles : « Ne savez-vous pas que vos corps sont les membres du Christ? » Comme s'il s'adressait désormais à des enfants de bonne naissance: C'est une explication plus claire de ce (407) qu'il a dit plus haut : « Le corps est pour le Seigneur ».

Ailleurs il en fait autant quand il dit : « Vous êtes le corps du Christ et les membres d'un membre ». (
1Co 12,27) II emploie souvent cette comparaison, non pas toujours pour le même sujet, mais tantôt pour montrer l'amour, tantôt pour augmenter la crainte

ici pour intimider et effrayer : « Enlèverai-je donc les membres du Christ, pour en faire des membres de prostituée? A Dieu ne plaise ! » Rien de plus effrayant que cette parole. Il ne dit pas : Enlèverai-je donc les membres du Christ pour les unir à une prostituée? mais : « En ferai-je les membres d'une prostituée? » ce qui est plus énergique. Ensuite il fait voir ce qui arrive au fornicateur, en disant : « Ne savez-vous pas que celui qui s'unit à une prostituée devient un même corps avec elle? » Et la preuve? « Car», dit-il, « ils seront deux en une seule chair. Mais celui qui s'attache au Seigneur est un seul esprit avec lui ». Le commerce charnel ne permet plus en effet d'être deux, mais de deux il ne fait qu'un. Et voyez comme il emploie ces mots propres et simples, en prenant pour termes de son accusation une prostituée et le Christ. « Fuyez la fornication». Il ne dit pas : abstenez-vous de la fornication; mais : « Fuyez », c'est-à-dire, empressez-vous de vous débarrasser, de ce vice. « Tout. péché que l’homme commet est hors de son corps; mais celui qui commet la fornication pèche contre son propre corps ». Ceci est moins fort. Mais comme il s'agit de la fornication, il la combat à outrance et en fait ressortir la gravité par le plus et par le moins. Le premier argument s'adressait aux plus pieux, le second est pour les plus faibles.

C'est le propre de la sagesse de Paul de faire rougir, non-seulement par les motifs les plus puissants, mais encore par de plus petits, par la laideur, par l'indécence. Quoi donc? Direz-vous : est-ce que le meurtrier ne souille pas sa main? et aussi l'avare et le voleur? Personne n'en doute; mais comme on ne pouvait pas dire qu'il n'y a rien de pire que le fornicateur, il fait paraître d'une autre façon l'énormité de ce crime, en disant qu'il fait du corps entier un objet d'exécration. Il est souillé, en effet, comme s'il était tombé dans une cuve d'immondices, et plongé dans l'ordure. Et c'est ainsi que nous en jugeons encore aujourd'hui. En effet, personne de nous, après s'être rendu coupable d'avarice ou de vol, ne songe à aller au bain : on revient tout simplement chez soi; tandis qu'après avoir péché. avec une prostituée, on va se baigner comme si on était devenu tout à fait impur: tant la conscience sent que ce péché la souille davantage ! Sans doute l'avarice et la fornication sont des fautes graves et précipitent en enfer ; mais comme. Paul agit toujours avec prudence:, il emploie tous les moyens en son pouvoir pour faire ressortir le crime de la fornication. « Ne savez-vous pas que votre corps est le temple de l'Esprit-Saint qui est en vous? »

1802 2. Il ne dit pas simplement de l'Esprit: mais « de l'Esprit qui est en vous », afin de consoler; et pour s'expliquer. encore, il ajoute « Que vous avez reçu de Dieu ». Il nomme l'auteur du don, pour relever son auditeur et en même temps l'effrayer par la grandeur du dépôt et la libéralité de celui qui l'a fait. « Et qu'ainsi vous n'êtes plus à vous-mêmes ». Il n'a pas seulement pour but de les faire rougir, mais aussi de les forcer à pratiquer la vertu. Quoi ! vous faites ce que vous voulez, dites-vous; mais vous n'êtes pas votre maître. En parlant ainsi, il ne prétend pas nous ôter notre libre arbitre; car après avoir dit: « Tout m'est permis, mais tout ne m'est pas avantageux », il ne nous enlève pas notre liberté; et en écrivant ici : « Vous n'êtes plus à vous-mêmes », il n'entend point nuire à notre volonté, mais éloigner du vice et faire voir la providence du Maître. Aussi ajoute-t-il : « Car vous avez été achetés à haut prix ». Mais si je ne suis pas à moi, comment m'imposez-vous le devoir d'agir? Comment dites-vous ensuite : « Glorifiez Dieu dans votre corps et dans votre esprit qui sont à Dieu? »

Que signifient donc ces paroles : « Vous n'êtes plus à vous-mêmes? » Et que veut-il prouver par là? Nous mettre en sécurité pour que nous ne péchions plus et ne nous livrions pas -aux passions désordonnées de notre âme. Nous avons en effet beaucoup de penchants déréglés qu'il faut réprimer; et nous le pouvons, autrement il serait inutile de nous y exhorter. Voyez maintenant comme il nous affermit ! Après avoir dit : « Vous n'êtes pas à vous-mêmes », il n'ajoute pas : Mais vous êtes sous l'empire de la nécessité. Non, il dit: « Vous avez été achetés à haut prix ». Paul, (408) pourquoi parlez-vous ainsi? On pourrait vous dire qu'il fallait nous proposer un autre motif, en nous montrant que nous avons un maître. Mais ce motif nous serait commun avec les gentils, tandis que celui-ci : « Vous avez été achetés à haut prix », nous est particulier. Ici l'apôtre nous rappelle la grandeur du bienfait et la manière dont nous avons été sauvés; il nous fait voir que nous étions en mains étrangères et que nous avons été achetés, non pas pour rien, mais à haut prix. « Glorifiez et portez donc Dieu dans votre corps et dans « votre esprit ». Par là il nous exhorte non-seulement à éviter la fornication dans notre corps, mais à n'admettre aucune mauvaise pensée dans notre esprit et à ne point éloigner la grâce. « Qui sont à Dieu ». Après avoir dit : « Vôtre », il ajoute : « Qui sont à Dieu », nous rappelant continuellement que tout appartient au Maître, corps, âme, esprit.

Quelques-uns disent que ce mot « en Esprit» signifie en grâce. En effet, si la grâce est en nous, Dieu sera glorifié, et elle y sera, si nous avons le coeur pur. Il affirme que toutes ces choses sont à Dieu, non-seulement parce qu'il les a produites, mais encore parce que, quand elles appartenaient à d'autres, il les a recouvrées au prix du sang de son Fils.

Voyez comme il rattache tout au Christ, comme il nous mène au ciel. Vous êtes les membres du Christ, nous dit-il, vous êtes le temple de l'Esprit ; ne devenez donc pas membres d'une prostituée, car ce n'est pas votre corps que vous déshonorez, mais celui du Christ. Par là il nous fait voir la bonté du Christ, puisque notre corps est le sien, et en même temps il veut nous arracher à un funeste esclavage. En effet, si votre corps appartient à un autre, vous n'avez pas le droit de le déshonorer, surtout s'il appartient au Maître, ni de souiller le temple de l'Esprit. On punirait du dernier supplice celui qui entrerait dans un domicile étranger et s'y livrerait à la débauche; quel ne sera donc pas le châtiment de celui qui aura fait du temple du roi une maison de voleurs? Dans cette pensée, respectez l'habitant, qui n'est autre que le Paraclet; craignez celui qui est lié, adhérent à vous-même, et qui est le Christ. Est-ce vous qui vous êtes fait membre du Christ? Songez à cela, à qui étaient les membres, à qui ils sont aujourd'hui, et restez chaste. C'étaient auparavant des membres de prostituée, le Christ en a fait les membres de son propre corps. Vous n'en êtes donc plus le maître ; servez celui qui vous a affranchi.

Si vous aviez une fille, et que, par un excès de démence vous l'eussiez livrée à prix d'argent pour en faire une prostituée ; puis que le fils du roi, passant par là, l'arrachât à son esclavage et en fît son épouse; vous ne seriez plus libre de la reconduire à la maison de débauche, car vous l'auriez livrée, vous l'auriez vendue une fois. Voilà notre cas : nous avions vendu notre chair au démon, à un vil corrupteur; ce que voyant, le Christ l'a sauvée, 1'a délivrée de cette affreuse tyrannie; elle n'est donc plus à nous, mais à celui qui l'a sauvée. Si vous voulez la traiter comme l'épouse du roi, rien ne vous en empêche; mais si vous voulez la ramener à son premier état, vous subirez le supplice réservé à ceux qui commettent de tels outrages. Vous devez donc plutôt l'orner que la déshonorer. Car vous n'êtes plus maître d'elle en fait de passions coupables, mais seulement pour l'exécution des ordres de Dieu. Songez de quel déshonneur Dieu l'a délivrée; il n'est pas de prostituée aussi dégradée que l'était alors notre nature. Les brigandages, les homicides, toute espèce de mauvaises pensées entraient chez elle, et corrompaient l'âme à vil prix, au prix d'un moment de plaisir. Car c'était là tout ce qu'elle gagnait à son honteux commerce avec les mauvaises pensées et les mauvaises actions.

1803 3. Sans doute cette conduite était déjà coupable alors; mais quel pardon espérer, si l'on se souille maintenant, quand le ciel est ouvert, quand le royaume est promis, après qu'on a participé aux redoutables mystères? Ne pensez-vous pas que le diable lui-même entretient commerce avec les avares et avec tous ceux que l'apôtre a énumérés? Et que ces femmes qui se parent pour séduire ont avec lui des rapports impurs? Qui pourrait dire le contraire? Que celui qui le nie mette à nu l'âme de ces indécentes créatures, et il verra que le méchant esprit leur est étroitement uni. Car il est difficile, chers auditeurs, oui, il est difficile, et peut-être impossible, que quand le corps est ainsi paré, l'âme le soit aussi; quand on soigne l'un, il faut qu'on néglige l'autre d'après la nature des choses, le contraire ne peut avoir lieu. Aussi l'apôtre dit-il : « Celui qui s'unit à une prostituée devient un même corps avec elle; mais celui qui s'attache au (409) Seigneur est un seul esprit avec lui ». Il devient tout esprit à la fin, quoique enveloppé d'un corps. Quand il n'a rien de corporel, d'épais, de terrestre, son corps n'est qu'un simple vêtement; quand toute l'autorité appartient à l'âme et à l'esprit, Dieu est alors glorifié. Aussi avons-nous l'ordre de dire dans la prière : « Que votre nom soit sanctifié » ; et le Christ nous dit : « Que votre lumière brille devant les hommes, afin qu'ils voient vos bonnes oeuvres et qu'ils glorifient votre Père qui est dans les cieux ». (Mt 5,16) Ainsi le glorifient les cieux, non en parlant, mais en excitant l'admiration par leur aspect et en faisant remonter leur gloire au créateur.

Glorifions-le, nous aussi, comme eux et même plus qu'eux ; nous le pouvons, si nous le voulons. Car ni le ciel, ni le jour, ni la nuit ne glorifient Dieu comme une âme sainte.. De même qu'à l'aspect de la beauté du ciel, on s'écrie : Gloire à vous, ô Dieu ! qui avez fait un si bel ouvrage ! Ainsi fait-on, et bien mieux encore, en voyant un homme vertueux. Car tout le monde ne glorifie pas Dieu dans ses créatures; un grand nombre disent qu'elles se sont faites d'elles-mêmes ; d'autres, par une erreur tout à fait impardonnable, attribuent aux démons la création du monde et la providence; mais à propos de la vertu de l'homme, personne n'ose porter jusque-là l'impudence chacun glorifie D:eu en voyant son serviteur vivre saintement. Et qui ne serait frappé d'étonnement, quand un homme qui n'a que la nature commune aux mortels, et qui vit au sein de l'humanité, résiste comme le métal le plus dur aux, assauts des passions? Quand à travers le feu, le fer, les bêtes féroces, il se montre plus fort que l'acier et triomphe de tout par le langage de la piété? bénit quand on le maudit? répond par des paroles bienveillantes aux injures? prie pour ceux qui lui font tort? fait du bien à ses ennemis et à ceux qui lui tendent des embûches? Oui, ces choses et d'autres de ce genre glorifient Dieu plus que les cieux. Car, en voyant le ciel, les grecs ne rougirent pas; mais à l'aspect d'un homme saint, pratiquant la sagesse dans sa perfection, ils sont couverts de Confusion et se condamnent eux-mêmes. En effet, quand un homme qui n'est point d'une autre nature qu'eux l'emporte sur eux autant, et plus même que le ciel ne l'emporte sur la terre, ils sont bien forcés de croire que c'est là l'effet de quelque puissance divine. Aussi. le Christ dit-il : « Et qu'ils glorifient votre Père qui est dans les cieux ».

Voulez-vous savoir d'ailleurs comment Dieu est glorifié par la vie de ses serviteurs, et comment il l'est par ses prodiges? Un jour Nabuchodonosor jeta les trois enfants dans la fournaise. Ensuite, voyant que le feu ne les consumait point, il dit : « Béni soit Dieu qui a envoyé son ange et sauvé ses enfants de la fournaise, parce qu'ils ont eu confiance en lui et n'ont point obéi à la parole du roi ». (Da 3,95) Que dites-vous, ô roi? Vous avez été méprisé, et vous admirez ceux qui ont rejeté vos ordres? Oui : je les admire par cela même qu'ils m'ont méprisé. Il donne la raison même du prodige. Ainsi Dieu est glorifié, non-seulement par le miracle, mais par la résolution des trois enfants. Et si on veut y regarder de près, ce dernier point n'est pas au-dessous de l'autre. Au point de vue du prodige, délivrer ces jeunes gens,de la fournaise n'est pas plus que de les avoir décidés à y entrer. Comment, en effet, ne pas être frappé d'étonnement en voyant le roi du monde, environné de tant d'armes et d'armées, de généraux, de satrapes, de préfets, maître de la terre et de la mer, en le voyant, dis-je, méprisé par des enfants prisonniers ; en volant ces prisonniers vaincre celui qui les a mis aux fers et triompher de toutes ses troupes? Car le roi et sa cour n'ont pu ce qu'ils voulaient, eux qui avaient toutes ces ressources, et de plus celle de la fournaise ; mais des enfants dénués de tout, esclaves, étrangers, en petit nombre (trois ! que peut-on de moins?) et enchaînés, ont vaincu une immense armée. Car déjà la mort était méprisée, parce que le Christ devait venir; et comme, au lever du soleil, le jour brille avant que ses rayons aient paru, ainsi la mort reculait déjà à la seule approche du soleil de justice. Quoi de plus éclatant que ce spectacle ? quoi de plus glorieux que cette victoire ? quoi de plus insigne que ces trophées?

1804 4. Et cela se voit encore de nos jours. Il y a encore maintenant un roi de Babylone avec sa fournaise, et qui y allume un feu bien plus ardent; il est encore là pour faire adorer sa statue ; autour de lui sont encore des satrapes, des soldats, une musique enchanteresse; et beaucoup adorent cette image, aux aspects variés, de hauteur colossale. L'avarice est une statue de ce genre, ne dédaignant pas même (410) le fer, composée d'éléments dissemblables, obligeant à tout admirer, l'airain, le fer et des matières beaucoup plus viles encore. Mais si fout cela est, il y a aussi des imitateurs de ces enfants, qui disent : Nous ne servons pas les dieux, nous n'adorons pas ton image; mais nous supportons la fournaise de la pauvreté et toutes les autres misères, pour les lois de Dieu. Ceux qui possèdent beaucoup, l'adorent souvent cette image, comme ces courtisans du roi, et ils sont dévorés par les flammes; mais ceux qui n'ont rien, la méprisent, vivent dans la pauvreté et sont plus dans la rosée que ceux qui nagent au sein de l'abondance : absolument comme ceux qui avaient jeté les trois enfants dans la fournaise furent consumés, tandis que les enfants eux-mêmes étaient comme rafraîchis par la pluie et la rosée. Et le tyran lui-même souffrait plus qu'eux de la flamme : car la colère le brûlait intérieurement; le feu ne put pas même atteindre l'extrémité de leurs cheveux; tandis que son âme était dévorée par l'ardeur de son courroux. Songez un peu à ce que c'était que d'être méprisé devant tant de témoins par des enfants prisonniers. Il a fait voir, du reste, que s'il avait pris leur ville, ce n'était pas par sa vertu propre, mais à cause des péchés de ses habitants.

Si, en effet, il n'a pu vaincre trois enfants enchaînés et jetés dans une fournaise, comment serait-il venu à bout, par la loi de la guerre, de tant d'hommes, s'ils eussent tous été tels que ceux-ci? Il est donc évident que ce sont les péchés du peuple qui ont livré la ville. Mais voyez comme ces jeunes gens sont étrangers à la vaine gloire ! Ils ne s'élancèrent point dans la fournaise, mais ils pratiquèrent d'avance l'ordre du Christ qui dit: « Priez afin que vous n'entriez point en tentation ». (
Mt 26,41) Ils ne se sauvèrent point quand on les y conduisit; mais ils gardèrent courageusement le milieu ; ne s'empressant point quand on ne les appelait pas, ne montrant ni faiblesse ni lâcheté quand on les appelait, prêts à tout, intrépides et remplis de confiance. Et pour bien comprendre leur sagesse, écoutons ce qu'ils disent : « Il y a dans le ciel un Dieu qui peut nous délivrer ». (Da 3,17) Ils ne s'inquiètent point d'eux-mêmes ; au moment d'être brûlés, ils ne s'occupent que de la gloire de Dieu. Afin, disent-ils, que vous n'accusiez pas Dieu d'impuissance, quand nous serons consumés par le feu, nous vous ex primons nettement toute notre croyance: « Il y a un Dieu dans le ciel », non un Dieu semblable à cette statue terrestre, inanimée et muette, mais un Dieu qui peut nous tirer du milieu de cette fournaise ardente. Ne l'accusez donc pas de faiblesse, s'il nous y laisse jeter. Il est si puissant qu'il peut nous sauver de la flamme, même quand nous y serons : «Et s'il ne le fait pas, sachez néanmoins, ô roi; que nous ne servons pas vos dieux et que nous n'adorerons pas la statue d'or que vous avez fait dresser ». (Da 3,18) Vous voyez que, par un dessein providentiel, ils ignorent l'avenir. S'ils l'avaient connu, leur action serait moins admirable; quoi d'étonnant, en effet, à ce qu'ils eussent audacieusement affronté le danger s'ils avaient eu un gage certain de leur salut ?

Sans doute Dieu eût été également glorifié, puisqu'il aurait pu les sauver de la fournaise: mais ils eussent été moins dignes d'admiration, puisque au fait ils ne se seraient pas précipités, dans le danger. Dieu leur a donc laissé ignorer l'avenir, pour les glorifier davantage. Et comme ils assuraient au roi que Dieu ne devait pas être accusé d'impuissance, quand même le feu les consumerait; ainsi Dieu a tout à la fois montré sa puissance et mieux fait briller leur courage. Et pourquoi, dites-vous, ce doute de leur part, cette incertitude de leur délivrance? Parce qu'ils se croyaient trop peu de chose, trop indignes d'un si grand bienfait. Et la preuve que ce n'est pas ici une simple conjecture, ce sont les plaintes qu'ils font entendre dans la fournaise, quand ils disent : « Nous avons péché, nous avons commis l'iniquité; il ne nous est pas permis d'ouvrir la bouche ». (Da 3,29) Voilà pourquoi ils ont d'abord dit : « Et s'il ne le fait pas ». Ne soyez pas surpris qu'ils ne disent pas clairement : Dieu peut nous sauver, et s'il ne nous sauve pas, c'est à cause de nos péchés; car alors ils auraient eu l'air, aux yeux de barbares, de voiler l'impuissance de Dieu sous le prétexte de leurs propres péchés. Ne parlant donc que de soin pouvoir, ils n'ont rien dit de la cause. Ils étaient d'ailleurs parfaitement habitués à ne point scruter témérairement les jugements de Dieu. Après avoir prononcé ces paroles; ils sont entrés dans le feu, sans injurier le roi, sans renverser sa statue.

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Tel doit être l'homme courageux, modéré et doux, surtout dans les dangers, pour ne pas paraître aller à ces combats par colère et par vaine gloire, mais par courage et avec modération. C'est à celui qui commet l'injustice à supporter le soupçon de ces coupables motifs; quant à celui qui les subit, qui souffre violence et combat avec douceur, non-seulement on l'admire comme un homme de coeur, mais on ne le vante pas moins pour sa modération et sa douceur : ce que firent alors les trois enfants, en montrant tout le courage et toute la douceur possibles, et n'agissant point en vue d'un prix ou d'une récompense. Et quand même il ne voudrait pas nous sauver, ajoutent-ils, nous n'adorerons pas vos dieux; car nous sommes déjà récompensés par cela seul que nous sommes jugés dignes d'être délivrés de l'impiété et brûlés pour cette fin. Et nous aussi qui avons déjà notre récompense (et nous l'avons, puisque nous avons été jugés dignes de connaître le Christ et de devenir ses membres), n'en faisons pas les membres d'une prostituée. C'est par ce mot terrible qu'il faut finir ce discours; afin que, sous l'impression de la plus vive frayeur, nous devenions plus purs que l'or et persévérions dans cet état. C'est ainsi que délivrés de la fornication nous pourrons voir le Christ. Puissions-nous le voir tous avec confiance au dernier jour, par la grâce et la bonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ, en qui appartiennent au Père, en union avec le Saint-Esprit, la gloire, la force, l'honneur, maintenant et toujours, et dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.




Chrysostome sur 1Co 1700