Chrysostome sur 1Co 3700

HOMÉLIE 37 (14,34) QUE VOS FEMMES SE TAISENT DANS LES ÉGLISES;

3700
IL NE LEUR EST POINT PERMIS DE PARLER, MAIS ELLES DOIVENT ÊTRE SOUMISES, AINSI QUE LE DIT LA LOI. (
1Co 14,34)

552 ANALYSE.

1 et 2. Réserve que les femmes doivent garder dans les assemblées de l'Eglise.
2-4. Que l'ordre doit partout régner. — Que l’avarice est une maladie. — Du trouble que les passions causent dans le monde.

3701 1. Après avoir réprimandé le tumulte qui naît des langues, et celui qui naît des prophéties, et porté la loi que ceux qui parlent le fassent tour à tour, et que ceux qui prophétisent se taisent quand un autre prend, la parole, il arrive enfin au trouble que causent les femmes, et gourmande leur bavardage importun : et il le fait à juste titre. Car si ceux qui ont les grâces ne doivent point parler au hasard, ni quand il leur plaît, quoiqu'ils soient inspirés du Saint-Esprit, que dire du bavardage vain et inconsidéré des. femmes. C'est pourquoi il leur ferme la bouche -avec une grande autorité, et il les fait taire, en s'armant de la loi. En effet, il ne donne pas seulement des conseils ou des exhortations, mais il commande avec force, citant à ce sujet. l'ancienne loi. Après avoir dit : « Que vos femmes se taisent dans les églises; il ne leur est point permis a de parler, mais elles doivent être soumises », il ajoute : « Comme la loi le dit ». Et où la loi dit-elle cela? « Tu te tourneras vers ton mari et il te commandera ». (Gn 3,16) Voyez-vous la sagesse de Paul, et le grand témoignage dont il se sert, ne leur ordonnant pas seulement de se taire, mais de se taire avec crainte, et une crainte aussi grande que celle d'une esclave. C'est pourquoi après avoir dit : « Il ne leur est point permis de parler », il n'ajoute point : Elles doivent se taire ; au lieu de « se taire », il a mis ce qui est plus fort: Etre soumises. Si elles doivent se tenir ainsi devant leurs maris, elles le doivent bien plus devant les docteurs et les Pères, et dans l'assemblée des fidèles. Mais si elles ne parlent point, direz-vous, et si elles n'interrogent point, pourquoi seront-elles présentes? Pour entendre ce qu'il faut, quant aux choses dont elles doutent, elles doivent l'apprendre chez eux de leurs maris. C'est pourquoi il a ajouté: « Si elles veulent apprendre quelque chose, qu'elles interrogent chez eux leurs maris « (35) ». Or, si elles ne doivent pas interroger, il leur est bien plus défendu encore de parler. Et pourquoi les a-t-il soumises à une si grande sujétion ? parce que la femme est faible, inconstante et légère. C'est pourquoi il leur a donné leurs maris pour docteurs, rendant ainsi service aux uns et aux autres. Il a rendu les femmes réservées et les hommes attentifs et soucieux de pouvoir répéter exactement devant leurs, femmes ce qu'ils ont entendu. Comme elles se faisaient une gloire de parler en public, il leur dit tout le contraire : « Il est honteux pour une femme de parler dans l'Eglise ». Il l'a prouvé d'abord par la loi de Dieu, ensuite par le sens commun et l'usage, comme il leur disait aussi, quant à leurs cheveux: « N’est-ce pas la nature même qui vous l'enseigne? » (1Co 11,14) Et partout chez lui vous trouverez cette habitude de leur inspirer la pudeur, en s'appuyant, non sur les (553) saintes Ecritures, mais sur l'usage. Ce sont les opinions communes et l'habitude dont il se sert, pour leur inculquer la modestie, lorsqu'il dit: « La parole de Dieu est-elle partie de vous, ou est-elle venue chez vous seuls (36) », et il cite en effet les autres. Eglises qui observent cette loi, et c'est en montrant qu'il est inusité qu'il,réprimande le tumulte, et c'est en s'appuyant sur les suffrages de la foule qu'il fait accepter son discours. C'est pourquoi il disait en un autre endroit : « Celui qui vous a rappelé à la mémoire mes voies dans le Christ, comme moi-même je les enseigne dans toutes les églises » ; (1Co 4,17) et encore : « Ce n'est point un Dieu de dissension, mais de paix, comme aussi dans toutes les assemblées de saints » ; (1Co 14,33) et ces paroles: « La parole de Dieu est-elle partie de vous, ouest-elle venue chez vous seuls. » C'est-à-dire, vous n'êtes pas les premiers, vous n'êtes pas les seuls fidèles, mais c'est toute la terre. C'est ce qu'il disait aussi, en écrivant aux habitants de Colosse : « Comme elle fructifie et croît dans le monde entier», (Col 1,6) en parlant de l'Evangile.

Quelquefois, pour exhorter ses auditeurs, il fait tout le contraire, comme quand il dit qu'ils ont agi les premiers, et que leurs actions brillent aux yeux de tous. Ainsi il écrivait aux habitants de Thessalonique : « C'est chez vous que la parole de Dieu a commencé à retentir », et en tout lieu votre foi est allée à Dieu. (1Th 1,8) Il écrit encore aux Romains : « Votre foi est annoncée au monde entier ». (Rm 1,8) Pour exciter et exhorter les hommes, c'est un moyen également efficace de les faire louer par d'autres, ou de leur montrer que d'autres pensent comme eux. Et c'est pour cela qu'il dit aussi : « La parole de Dieu est-elle partie de vous; ou est-elle venue chez vous seuls? » Vous ne pourrez point dire : Nous avons été les docteurs des autres, et il n'est point juste que nous allions à l'école des autres, ni : C'est ici seulement que la foi a demeuré, et nous n'avons pas à prendre exemple sur d'autres. Voyez-vous par combien de moyens l'apôtre leur inspire la pudeur, il cite la loi, il montre que l'action est honteuse, et il apporte pour exemple les autres Eglises.

3702 2. Enfin il dit en dernier lieu, et c'est ce qu'il y a de plus fort : c'est Dieu qui l'ordonne par moi : « Si quelqu'un paraît être prophète ou animé de l'Esprit divin, qu'il connaisse ce que je vous écris, que ce sont les ordres de Dieu (37); s'il l'ignore, qu'il l'ignore (38) ». Et pourquoi a-t-il ajouté cela? Pour montrer qu'il n'apporte ni violence, ni disputes, ce qui est le propre de ceux qui ne veulent pas imposer leurs volontés, mais qui considèrent ce qui est utile aux autres. C'est pourquoi il dit aussi en un autre endroit : « Si quelqu'un aime la dispute, nous n'avons point cette habitude ». (1Co 11,16) Cependant il n'agit pas ainsi partout, mais là seulement où ne se commettent pas de grands péchés, et c'est encore là qu'il cherche à inspirer la honte. Quand il parle des autres péchés, ce n'est pas ainsi qu'il dit, mais comment? « N'errez pas; ni les débauchés, ni les efféminés ne posséderont le royaume de Dieu ». (1Co 6,9) Et encore : «C'est moi Paul qui vous le dis, que si vous êtes circoncis, le Christ ne vous sera pas utile ». (Ga 5,2) Mais tomme ici il ne s'agit que du silence, ses réprimandes ne sont point si véhémentes, et par cela même il attire vers lui ses auditeurs. Il fait ensuite ce qu'il a coutume de faire: il revient à la première preuve dont il était parti pour dire tout cela : « C'est pourquoi, mes frères, recherchez la prophétie, et ne défendez pas de parler les langues (39) ». C'est son habitude de traiter non-seulement ce qu'il s'est proposé, mais de corriger tous les défauts qui lui paraissent tenir d'une certaine façon au sujet, puis d'y revenir, afin de ne point paraître s'écarter de ce qu'il voulait prouver. Ainsi, quand il parlait de la concorde dans les repas, après avoir fait une digression sur la communion dans les mystères, il revient à son premier sujet, disant : « C'est pourquoi quand « vous vous réunissez pour manger, attendez« vous les uns les autres ». (1Co 11,33) Ici de même, après avoir discuté sur l'ordre qu'il faut observer dans les dons, et montré qu'il ne faut point s'affliger des moindres, ni s'enorgueillir de ceux qui sont plus importants, il fait une digression sur la modestie qui convient aux femmes, il y apporte les preuves nécessaires, puis il revient à son sujet, disant: « C'est pourquoi, mes frères, recherchez la prophétie, et ne défendez point de parler les langues ». Voyez comme jusqu'à la fin il observe la différence entre ces deux dons, et comment il montre que l'un est tout à fait nécessaire, et que l'autre ne l'est point. C'est pourquoi il dit de l'un : « Recherchez », et de (554) l'autre : « Ne défendez pas ». Puis, se résumant en quelque sorte, il corrige tout, ajoutant: « Que tout se fasse honnêtement et suivant l'ordre (40) », ce qui s'applique encore à ceux qui par légèreté veulent agir avec indécence, acquérir la réputation de fous, et ne conservent pas l'ordre qui leur convient.

Rien n'est édifiant comme le bon ordre, la paix, la charité, de même que les vices contraires sont une cause de ruine. Cela n'est pas vrai seulement des choses spirituelles, c'est encore vrai en tout le reste. Dans un choeur, dans un navire, dans un char, dans un camp, si vous détruisez l'ordre, et si ôtant de leur place les choses les plus importantes vous y mettez les moins importantes, vous gâtez tout, vous mettez tout sens dessus dessous. Ce n'est point nous qui renverserions l'ordre, et qui mettrions la tête en bas, et les pieds en haut. Il arrive que, quand on renverse ainsi l'ordre naturel, on préfère à la raison la concupiscence, la colère, l'emportement et le plaisir : de là naissent de grandes fluctuations, un soulèvement profond et une horrible tempête, quand les ténèbres ont tout envahi. Et, si vous le voulez, dissipons d'abord la honte qui en résulte, et ensuite le dommage qui en sort. Comment ce mal sera-t-il connu et manifeste? Amenons sur la place publique un homme ainsi atteint, possédé de l'amour d'une courtisane, et consumé d'un désir infâme, et nous verrons alors combien il est ridicule. Que peut-il y avoir de plus honteux que de se tenir à la porte d'une courtisane et d'être repoussé par elle, de pleurer et de se lamenter, et de ruiner ainsi sa considération? Si vous voulez voir le dommage, repassez en votre esprit les prodigalités, les dangers mortels, la guerre contre les rivaux, les coups et les blessures que l'on reçoit en ces combats. Ainsi sont également ceux que possède l'amour de l'argent. Ce vice même est plus honteux et plus indécent. Car les débauchés sont occupés d'un seul corps, et lui prodiguent leurs soins et leur amour, mais les avares sont inquiets et tourmentés par les richesses de tous, des pauvres et des riches, et ils aiment ce qui n'existe point, ce qui est le propre d'une passion excessive. Ils ne disent pas : je voudrais avoir les richesses d'un tel ou d'un tel, mais ils veulent des maisons d'or, les maisons et tout ce qu'ils voient; ils se transportent dans un monde imaginaire ; et c'est ce qu'ils souffrent toujours, et jamais leurs désirs n'ont de fin. Qui pourrait exprimer par les mots cette agitation de leurs pensées, cette tempête, ces ténèbres ? Où sont des flots aussi orageux que ceux du plaisir? Il n'y en a point, c'est un tumulte, c'est un désordre, ce sont de sombres nuages, qui, au lieu d'eau, apportent le chagrin à l'âme, ce qui a coutume aussi d'arriver à ceux qui aiment la beauté d'autrui. C'est pourquoi ceux qui n'aiment d'aucune façon sont dans un état plus doux que les débauchés de cette sorte. C'est là une pensée que personne ne contredirait; pour moi, je vais jusqu'à dire que celui qui aime et réprime sa passion, éprouve plus de plaisir que celui qui jouit continuellement d'une courtisane. Quoiqu'il soit un peu difficile de le prouver, cependant j'aurai l’audace de l'entreprendre. Cela est difficile, non pas à cause de la nature des choses, mais parce que les auditeurs ne sont point dignes de cette philosophie.

3703 3. Répondez-moi, je vous prie: qu'est-ce qui est plus agréable à un amant, d'être méprisé de sa maîtresse, ou d'être honoré d'elle et de la mépriser? Il est clair que ce dernier cas est le plus agréable. Qui donc, je vous prie, la courtisane honorera-t-elle plus, ou l'homme qui s'asservit à elle et devient son esclave, ou celui qui s'est joué de ses filets et vole au-dessus des pièges qu'elle lui a tendus? Il est clair que c'est ce dernier. Sur qui portera-t-elle plus tôt son amour, sur celui qui a succombé, ou sur celui qui n'a pas encore succombé? sur celui, certes, qui n'a pas encore succombé. Quel est celui qui est le plus désirable, celui qui est déjà atteint de l'amour ou celui qui n'a pas encore été captivé ? C'est celui qui n'a pas encore été captivé. Si vous ne voulez point m'en croire, voyez ce qui vous arrive à vous-même. Quelle est la femme qu'on aimera plus, celle qui succombe facilement et se donne elle-même, ou celle qui refuse et combat longtemps? Il est hors de doute que c'est celle-ci, car c'est ainsi qu'elle allume un désir plus vif. La même chose arrive à la femme : elle honorera et admirera plus celui qui la méprise. S'il en est ainsi, que celui-là éprouve plus de plaisir qui est plus honoré et plus aimé. Le général d'armée qui a pris une fois une ville, l'abandonne, mais il met toute son ardeur à assiéger celle qui résiste et lutte ; le chasseur laisse cachée la bête qu'il (555) a prise, comme la courtisane fait de son amant, mais il poursuit celle qui se sauve devant lui. Mais l'amant, direz-vous, jouit de ses désirs, et l'autre n'en jouit point. Mais échapper à la honte et au déshonneur, ne pas être asservi à la tyrannie d'une maîtresse, ne pas être conduit et mené par elle comme un esclave, roué de coups, conspué, frappé à la tête, croyez-vous, dites-moi, que ce soit là un petit plaisir ? Si l'on voulait bien examiner tous ces tourments et rassembler toutes les hontes, les outrages, les incriminations, les colères, les inimitiés, et tous ces maux qui ne sont connus que de ceux qui les ont soufferts, il trouverait que toute guerre a plus de trêves que la vie misérable de ces hommes.

Quel est donc le plaisir dont vous me parlez, je vous le demande, est-ce celui qui résulte de l'union des sexes, et qui est bref et passager? mais la guerre lui succède tout à coup, et les agitations, et la rage, et la folie. Je vous parle comme je parlerais à des jeunes gens incontinents et impudiques, et qui n'entendraient pas volontiers ce qu'on leur dirait du paradis et de l'enfer. Mais, quand nous aurons produit tout cela au grand jour, nous ne pourrons dire combien grand est le plaisir des gens modérés et tempérants alors chacun pensera aux couronnes, aux récompenses, au commerce avec les anges, à la bonne réputation par la terre entière, à la confiance et à la franchise des paroles, à ces espérances de bonheur immortelles. Mais l'union des sexes nous procure du plaisir; voilà ce qu'ils nous opposent toujours, et encore, que l'homme tempérant ne peut pas toujours résister à la tyrannie de l'amour. C'est le contraire que vous trouverez ; le trouble et le désordre se trouvent plutôt chez celui qui se livre à la débauche, son corps est sans cesse agité ; son trouble est plus grand que celui de la mer houleuse ; jamais son désir ne s'arrête, il supporte continuellement ses assauts, semblable à ceux qui sont possédés par le démon et agités par les mauvais esprits. L'homme tempérant, au contraire, semblable à un vigoureux athlète, tient toujours la passion abattue, et trouve là un plaisir plus vif que tous les plaisirs des sens; cette victoire et sa bonne conscience lui servent de trophées éclatants et durables. Si le débauché se repose un peu après la lutte, il ne lui sert de rien; car de nouvelles agitations et de nouvelles tempêtes l'envahissent. Mais le sage ne permet pas dès le commencement que ce trouble pénètre en lui, que la mer se soulève, et que cette bête pousse des cris. S'il éprouve quelque peine à réprimer de si violents mouvements, il faut dire aussi que le débauché, toujours battu, percé de coups et ne pouvant supporter l'aiguillon du désir, est semblable à celui qui emploie en vain tout son art à retenir un cheval indocile au frein; s'il cesse un instant ses efforts, s'il recule devant la fatigue, il est emporté par lui. Si j'ai expliqué tout cela plus clairement qu'il ne faut, qu'on ne me reprenne point; je ne recherche point la majesté dans mon discours, je cherche à rendre mes auditeurs graves et honnêtes.

3704 4. Les prophètes aussi ne reculent devant aucune parole, quand ils veulent détruire l'intempérance et la corruption des Juifs, mais ils les réprimandent avec des paroles encore plus significatives que celles dont nous nous sommes servis. Le médecin qui veut guérir un abcès ne regarde pas à conserver ses mains propres, il ne songe qu'à guérir le malade de son abcès; celui qui veut relever l'humble se fait humble d'abord, et celui qui s'applique à tuer l'homme, qui dresse des embûches, se couvre de sang en même temps que son ennemi, et c'est cela même qui lui donne plus de gloire. Si vous voyez un soldat revenir de la guerre, souillé de sang et de cervelle, vous n'irez point le détester pour cela ni le, repousser, mais vous ne l'en admirerez que plus. Ainsi devons-nous faire quand nous voyons quelqu'un revenir tout ensanglanté, après avoir immolé la passion; nous devons l'en admirer davantage, nous associer et participer à ses combats et à ses victoires, et dire à ceux qui aiment : montrez-nous le plaisir que vous avez recueilli de vos passions.

L'homme tempérant et chaste trouve la volupté dans la victoire qu'il remporte sur lui-même : mais vous, quel est le plaisir que vous goûtez ? Vous me parlerez peut-être de celui que vous puisez dans un commerce charnel. Ah ! la volupté de la tempérance est plus franche et plus durable. Vos jouissances à vous sont courtes et vos plaisirs d'un moment ne laissent point de traces. Mais la chasteté puise dans sa conscience des joies plus vives et plus suaves qui ont de la durée. Le commerce des (556) sexes est incapable de calmer et d'élever notre âme comme la philosophie. L'homme chaste, je l'ai dit, montre une volupté franche. Vous, au contraire, qui êtes vaincu par vos passions, vous nous découvrez l'inquiétude de votre âme. Où sont vos plaisirs? je voudrais les voir; mais je ne les découvre pas. Quand goûtez-vous un moment de plaisir en effet? Est-ce avant de satisfaire vos sens? mais, en ce moment-là, le plaisir n'existe pas pour vous. C'est de la folie, de la démence, du trouble que vous éprouvez ; grincer des dents, être hors de soi, est-ce là du plaisir? si c'était là de la volupté, nous ne serions pas condamnés à donner, en un pareil état, tous les signes de la plus vive douleur. Les athlètes qui frappent ou qui sont frappés, grincent des dents. Les femmes déchirées par les douleurs de l'enfantement font de même. Ce n'est donc pas là un plaisir, c'est un trouble et un désordre excessif de l'âme. Et ensuite? Ah ! n'en parlez pas. La femme qui vient d'accoucher n'éprouve pas ce qu'on a le droit d'appeler un plaisir; elle est seulement délivrée de ses douleurs. Et franchement il n'y a pas là du plaisir; il y a un état de faiblesse et de prostration. Or, entre la volupté et la prostration, la différence est grande. Quel est donc le moment où vous goûtez quelque plaisir, dites-moi? Je n'en vois pas, ou si ce moment existe, c'est un éclair qu'on n'a pas le temps d'apercevoir. Ce moment, nous avons essayé mille fois de le saisir et de le retenir, nous ne l'avons pas pu; mais pour l'homme tempérant et modéré, il n'en est pas ainsi. Ses plaisirs sont apparents et durables; ou plutôt sa vie entière est une volupté : sa conscience lui tresse des couronnes; son âme est comme une onde tranquille qui ne connaît pas les orages et qui est assurée contre eux de toute part. A l'aspect de cette volupté pure, à la vue des inquiétudes et des troubles qui accompagnent la débauche, hâtons-nous de fuir ce vice, fuyons l'intempérance, pour faire voeu de tempérance et de chasteté, pour obtenir en outre dans l'autre vie le bonheur éternel, par la grâce et la faveur de Notre-Seigneur Jésus-Christ, en qui appartiennent au Père, en union avec le Saint-Esprit, la gloire, l'empire, l'honneur, maintenant et toujours, et dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.

Traduit par M. BAISSEY.


HOMÉLIE 38 (15,1) JE VAIS MAINTENANT, MES FRÈRES, VOUS REMETTRE DEVANT LES YEUX L'ÉVANGILE QUE JE VOUS AI PRÊCHÉ,

3800
QUE VOUS AVEZ REÇU, DANS LEQUEL VOUS DEMEUREZ FERMES, ET PAR LEQUEL VOUS SEREZ SAUVÉS, SI VOUS L'AVEZ RETENU, COMME JE VOUS L'AI ANNONCÉ. (
1Co 15,1)

(557) ANALYSE.

1 et 2. Explication littérale du texte de saint Paul. — Prudence de saint Paul, son habileté, dans les circonstances les plus délicates, à manier les âmes. — Importance capitale du dogme de la résurrection.
3 et 4 Discussion curieuse contre les Manichéens qui soutenaient que la mort de Jésus-Christ et la résurrection n'étaient que la mort du péché et la purification de l'âme.
5-7. De l'humilité de saint Paul ; exemple qu'il nous donne. — Contre le désespoir et la confiance exagérée, ces deux grandes causes de tous nos malheurs. — Sur ce qu'il y a d'insatiable dans l'âme humaine, et sur le bonheur de la pauvreté. — Opposition curieuse de ces deux derniers développements.


3801 1. Il vient d'en finir avec les dons spirituels, il passe maintenant à la vérité qui est, de toutes les vérités, la plus nécessaire, à la résurrection ; sur ce point, les fidèles étaient atteints d'une maladie grave. Et de même que pour le corps, si la fièvre en saisit les parties solides, les nerfs, les veines, les premiers éléments qui le constituent, il faut désespérer de la guérison, si l'on ne s'y applique avec le plus grand soin; de même, pour leur salut, les fidèles couraient le plus grand danger. C'était aux éléments mêmes de la piété que le mal s'attaquait. Aussi Paul apportait-il un grand zèle à les guérir. Il ne s'agissait plus de la conduite, des moeurs, du libertinage de l'un, de l'avarice de l'autre, de tel qui se montrait la tête couverte, mais de ce qui est le résumé de tous les biens; c'était sur la résurrection même qu'on était en dissentiment. Comme toute notre espérance est là, c'est le point que le démon attaquait avec le plus d'acharnement, et tantôt il la supprimait tout à fait, tantôt il disait qu'elle avait eu déjà lieu. Aussi Paul, écrivant à Timothée, appelle cette funeste doctrine, une gangrène, et flétrit ceux qui la propagent: « De ce nombre sont Hyménée et Philète qui se sont écartés de la vérite en disant que la résurrection est déjà arrivée, et qui ont ainsi renversé la foi de quelques-uns ». (2Tm 2,17-18) Quelquefois donc ils disaient cela, d'autres fois ils prétendaient qu'il n'y a pas de résurrection pour le corps, que la résurrection n'est que la purification de l'âme. Ce qui les portait à tenir de pareils discours, c'était la perversité du démon, jaloux, non-seulement de renverser la résurrection, mais de montrer que tout ce qui a été accompli pour nous n'est que fables. Si l'on avait pu persuader aux esprits qu'il n'y a pas de résurrection des corps, le démon aurait fini par persuader peu à peu que le Christ lui-même n'est pas ressuscité; de là, procédant méthodiquement, il aurait introduit la doctrine que le Christ n'a pas paru parmi nous, n'a pas fait ce qu'on lui attribue.

Telle est la malignité du démon, que Paul appelle un système « d'artifices » (Ep 6,11), parce que le démon ne fait pas paraître tout de suite ce qu'il veut qu'on approuve, il craint trop d'être convaincu de perfidie; il prend un masque, il a recours à des manoeuvres, comme un ennemi rusé qui veut entrer dans une ville, forcer les murailles, il a des conduits souterrains, cachés à tous les yeux, dont on ne peut se défier, afin de tromper la vigilance et d'assurer le succès de ses affreux (558) desseins. Aussi, trouvant toujours ses piéges ténébreux, toujours à la poursuite de ses criminelles embûches, cet admirable apôtre, ce grand homme disait : « Nous n'ignorons pas ses desseins ». (2Co 2,11). Ici, en effet, Paul découvre toute la ruse du démon, il montre toutes ses machinations ; tout ce que le pervers médite et prépare, l'apôtre l'étale, il fait voir le tout dans tous les détails avec le plus grand soin. Voilà pourquoi ce qu'il place en dernier lieu, c'est cette vérité capitale, la plus nécessaire de toutes, et qui renferme tous nos intérêts. Or voyez la prudence du Maître : ce n'est qu'après avoir fortifié ses disciples, qu'après avoir mis les siens en sûreté, qu'il va plus loin, qu'il attaque les étrangers, qu'il leur ferme la bouche avec toute espèce d'autorité. S'il fortifie les siens, s'il les met en sûreté, ce n'est pas par des raisonnements, mais il s'appuie sur des faits déjà accomplis, qu’eux-mêmes ont acceptés, auxquels ils ont ajouté foi: c'était un puissant moyen de les faire rentrer en eux-mêmes, et de les contenir. S'ils voulaient dorénavant refuser leur foi, ce n'était plus à Paul mais à eux-mêmes qu'ils la refusaient; ils devaient s'en prendre à ceux qui avaient, les premiers, admis la foi nouvelle, et qui s'étaient transformés. Aussi commence-t-il par dire qu'il n'a pas besoin d'autres témoins de la vérité de sa parole que ceux mêmes qui ont été trompés.

Mais voici qui rendra mon discours plus clair, écoutez les paroles mêmes. Quelles sont ces paroles? « Je vais maintenant, mes frères, vous remettre devant les yeux l'Evangile que je vous ai prêché » (1Co 15,1). Voyez-vous, dès le début, la parfaite convenance? Voyez-vous, dès le début, comme il leur montre qu'il ne leur apporte aucune étrangeté, aucune nouveauté? Remettre devant les yeux ce qui a déjà été mis devant les yeux et qui ensuite a été oublié, ce n'est que rafraîchir la mémoire. Il les appelle frères; et ce simple mot constitue une démonstration anticipée, une démonstration éloquente de la vérité qu'il soutient; car nous ne sommes frères que par l'incarnation de Jésus-Christ. S'il les appelle de ce nom, c'est pour les adoucir, pour les flatter, pour leur rappeler en même temps d'innombrables bienfaits. Et ce qui suit confirme sa pensée. Qu'est-ce qui vient après? L'Evangile. Le point de départ de l'Evangile, l'Evangile tout entier c'est Dieu fait homme, crucifié, ressuscité. C'est ce que Gabriel annonça à la Vierge, c'est ce que les prophètes annoncèrent à toute la terre, c'est ce qu'ont annoncé, à leur tour, tous les apôtres. « Que je vous ai prêché, que vous avez reçu, dans lequel vous demeurez fermes, et par lequel vous serez sauvés, si vous l'avez retenu, comme je vous l'ai annoncé, et si ce n'est pas en vain que vous avez embrassé la foi ((1Co 15,1-2) ». Voyez-vous comme il les prend pour témoins de ses paroles? Et il ne dit pas: Que vous avez entendu, mais, « que vous avez reçu »; il leur redemande, pour ainsi dire, un dépôt, et il leur montre que ce n'est pas seulement un discours entendu ; que des actions, des signes, des prodiges les ont décidés à le recevoir, de manière à le conserver fermement.

3802 2. Ensuite, après le rappel du passé, vient l'assertion relative au présent : « Dans lequel vous demeurez fermes» (1Co 15,1); l'apôtre se saisit des fidèles; il prévient leur résistance, ils auraient beau vouloir, impossible à eux d'opposer une négation: Voilà pourquoi il ne dit pas en commençant : Je viens vous apprendre, mais: « Je vais vous remettre devant les yeux » (1Co 15,1) ce que vous connaissez déjà. Mais comment peut-il dire, de ceux qui bronchent, qu'ils demeurent fermes? Il fait semblant de ne pas voir, et c'est de l'habileté : c'est une conduite analogue qu'il tient avec les Galates, seulement il y a une différence. Avec les Galates il ne peut pas feindre d'ignorer, il a recours à un autre langage : « J'ai confiance dans le Seigneur, que vous n'aurez point d'autres sentiments » (Ga 5,10); il ne dit pas : Que vous n'avez point eu d'autres sentiments; leur faute était avouée, manifeste, mais il garantit l'avenir; sans doute l'avenir est incertain, mais ce qu'il en dit, c'est pour entraîner les fidèles. Ici, avec les Corinthiens, il fait semblant de ne pas savoir: « Dans lequel vous demeurez fermes» (1Co 15,1). Suit la considération de l'utilité; « et par lequel vous serez sauvés, si vous l'avez retenu comme je vous l'ai annoncé » (1Co 15,2). C'est pourquoi l'enseignement d'aujourd'hui n'est qu'exposition et interprétation. En effet, c'est une doctrine que vous n'avez pas besoin d'apprendre, mais seulement de vous rappeler, afin de vous redresser. Ces paroles, c'est pour les rappeler à leur devoir. Mais que signifie : « comme je vous l'ai annoncé ? » (1Co 15,2) De la manière, dit-il, dont je vous ai annoncé la résurrection. Je ne prétends pas que vous doutiez (559) de la résurrection, mais peut-être voulez-vous savoir plus clairement ce qui a été dit. C'est une explication que je veux encore vous donner : car je sais que vous avez conservé le dogme. Ensuite, comme il leur avait dit : « Dans lequel vous demeurez fermes» (1Co 15,1), pour prévenir la négligence où cet éloge les porterait, il leur inspire un sentiment de crainte, en leur disant : « Si vous l'avez retenu, et si ce n'est pas en vain que vous avez embrassé la foi » (1Co 15,2) ; il leur montre par là que le coup serait mortel, qu'il ne s'agit pas de dogmes quelconques, mais de l'essence même de la foi.

En ce moment, il parle à mots couverts, mais à mesure qu'il avance, qu'il s'échauffe, il se découvre, il met à nu sa pensée, il parle à haute et intelligible voix, il crie: « Si Jésus-Christ n'est point ressuscité, notre prédication est vaine, et vaine aussi est votre foi ((1Co 15,14) », vous êtes encore dans vos péchés. Mais, au début, il ne s'exprime pas de cette manière; il était bon de commencer doucement et de ne s'avancer que pas à pas. « Car je vous ai transmis d'abord ce que j'ai reçu ((1Co 15,3) ». Ici même, il ne dit pas, je vous ai dit, ni je vous ai enseigné, mais il se sert encore de l'expression : « je vous ai transmis ce que j'ai reçu » (1Co 15,3). Et il ne dit pas qu'il a été instruit, mais, « ce que j'ai reçu » : cette manière de parler s'explique par une double intention; d'abord on ne doit rien introduire de son fonds particulier dans l'enseignement ; ensuite, la démonstration de la vérité se faisant par les oeuvres, c'est là ce qui a dû opérer en eux la certitude, et ils ne la doivent pas seulement des paroles; puis, peu à peu, rendant son discours de plus en plus digne de foi, il rapporte le tout au Christ, et il montre qu'il n'y a rien, dans ces dogmes, qui appartienne à l'homme. Mais que signifie, « car je vous ai transmis d'abord (1Co 15,3) ? » C'est-à-dire, dès le commencement, ce n'est pas seulement d'aujourd'hui. Il prend le temps à témoin, et ce serait le comble de la honte, après avoir cru si longtemps, de renoncer maintenant à la foi ; cette raison n'est pas la seule de plus, le dogme est nécessaire; voilà pourquoi il a été transmis dès le début, et tout de suite, et d'abord. — Et qu'avez-vous transmis? Répondez-moi. — L'apôtre ne le dit pas tout de suite, mais d'abord, « ce que j'ai reçu » (1Co 15,3). Et qu'avez-vous reçu? « Que Jésus-Christ est mort pour nos péchés» (1Co 15,3). Il ne dit pas tout de suite qu'il y a une résurrection de nos corps, mais c'est l'affirmation même qu'il prépare de loin, et par un moyen détourné, « que Jésus-Christ est mort» (1Co 15,3) ; il commence par jeter le grand et ferme et solide fondement de son discours sur la résurrection. Car il ne se contente pas de dire que Jésus-Christ est mort, quoique ces simples paroles eussent été suffisantes pour rendre manifeste la résurrection, mais il ajoute: «que Jésus-Christ est mort pour nos péchés » (1Co 15,3).

Avant tout, il est bon d'entendre sur ce sujet ces manichéens malades, ennemis de la vérité, ces adversaires armés contre leur propre salut. Donc que disent-ils? Par mort, à les en croire, Paul n'entend pas autre chose que l'état de péché, et la résurrection n'est que l'affranchissement du péché. Voyez-vous la faiblesse de l'erreur? comme elle fournit elle-même des armes contre elle? comme il est peu besoin de forces étrangères, comme elle se transperce elle-même? Voyez donc, considérez comme ils se transpercent eux-mêmes par les discours qu'ils tiennent. Si c'est là ce qu'il faut entendre par mort, si le Christ n'a pas revêtu de corps, comme vous le prétendez, s'il est mort, le Christ a été en état de péché, à vous entendre. Voici, moi, ce que je soutiens, à savoir, qu'il a pris un corps, et je dis que la mort est le fait de la chair : or vous le niez, il vous faut donc nécessairement dire qu'il était dans le péché. Or s'il était dans le péché, comment a-t-il pu dire : « Qui de vous me convaincra de péché?» (Jn 8,46) et encore : « Le prince de ce monde va venir, quoiqu'il n'ait rien en moi qui lui appartienne ». (Jn 14,30); et encore : « C'est ainsi que nous devons accomplir toute justice». (Mt 3,15) Or comment est-il mort pour les pécheurs, si lui-même était un pécheur? Celui qui meurt pour les pécheurs, ne doit être soumis à aucun péché : car s'il est lui-même un pécheur, comment pourra-t-il mourir pour les péchés des autres? Au contraire, s'il est mort pour les péchés des autres, il est mort, n'étant lui-même soumis à aucun péché; mais s'il est mort, étant sans péché, il n'est pas mort par le péché, (comment cela se pourrait-il, puisqu'il n'avait aucun péché?) mais il est mort par son corps. Aussi Paul ne dit pas seulement : « Est mort », mais il ajoute : « pour nos péchés » (1Co 15,3). Et après les avoir contraints, quelque dépit qu'ils en aient, de (560) reconnaître la mort corporelle, en montrant qu'avant la mort il était sans péché, (car mourir pour les péchés des autres entraîne nécessairement cette conséquence que l'on est sans péché,) l'apôtre n'est pas encore content, il ajoute : « Selon les Ecritures » (1Co 15,3) ; nouvelle preuve à l'appui de son discours, et qui marque de quelle mort il entend parler. Car les Ecritures parlent partout de la mort du corps : « Ils ont percé mes mains et mes pieds » (Ps 21,17) ; et: « Ils verront celui qu'ils ont percé». (Jn 19,37)

3803 3. On peut voir un grand nombre d'autres passages, pour ne pas les énumérer tous un à un, exprimant soit par des paroles, soit par des figures, et que c'est la chair qui a été meurtrie, et que le Christ est mort pour nos péchés. « C'est pour les péchés de mon peuple», dit le prophète, «qu'il est mort », et « le Seigneur l'a livré pour nos péchés », et « il a été percé de plaies pour nos péchés ». (Is 53,8) Si vous ne voulez pas de l'Ancien Testament, entendez la voix de Jean qui vous crie, qui vous montre les deux choses à la fois, et le corps meurtri, et la cause de la mort. « Voici », dit-il, « l'agneau de Dieu qui enlève les péchés du monde » (Jn 1,29) ; et Paul disant «Celui qui ne connaissait pas le péché, il l'a rendu pour nous le péché, afin que nous devenions la justice de Dieu en lui » (2Co 5,21) ; et encore : « Jésus-Christ nous a rachetés de la malédiction de la loi, s'étant rendu pour nous malédiction » (Ga 3,13) ; et encore : « Et avant désarmé les principautés et les puissances, il les a menées en triomphe » (Col 2,15) et combien d'autres, passages, qui montrent et que c'est le corps qui à été meurtri, et qu'il l'a été pour nos péchés: C'est le Seigneur lui-même qui dit : « Je me sanctifie moi-même pour vous » (Jn 17,19); et: « Le prince de ce monde est déjà condamné » (Jn 16,11), pour montrer que le Christ a été mis à, mort, quoique sans- péché. «Qu'il a été enseveli. ((1Co 15,4) ». Nouvelle preuve à l'appui de ce qui précède; car ce qu'on ensevelit, est nécessairement un corps. Ici, l'apôtre n'ajoute plus: Selon les Ecritures; il pouvait le faire assurément, mais il ne le fait pas. Pourquoi? ou bien par la raison que lé sépulcre de Jésus-Christ était alors, comme aujourd'hui, un monument public, manifeste, ou bien parce que l'observation : « Selon les Ecritures » s'applique à tout.

Pourquoi donc ajoute-t-il en cet endroit « Selon les Ecritures ? et qu'il est ressuscité, le troisième jour, selon les Ecritures? » pourquoi ne se contente-t-il pas de l'observation une fois pour toutes? C'est parce que la résurrection, au troisième jour;. était un fait incertain pour le grand nombre. Voilà pourquoi, ici encore, l'apôtre cite les Ecritures, et en cela il. est inspiré de la sagesse divine. Pourquoi en ce qui concerne la mort, ne les mentionne-t-il pas? C'est que le crucifiement état, pour tous; un fait avéré; la croix, tous l'avaient vue, tous ne voyaient pas de même là cause de la mise en croix. Que le Christ fût mort, tous le savaient, mais qu'il eût souffert pour les péchés de tous, c'est ce que la multitude ne savait pas également bien. Voilà pourquoi l'apôtre cite le témoignage des Ecritures: Mais c'est ce que nous avons déjà suffisamment démontré. Or; dans quels passages les Ecritures ont-elles annoncé la sépulture et la résurrection au troisième jour? par la figure de Jonas que le Christ lui-même rappelle en disant. « Comme Jonas fut trois jours et trois nuits dans le ventre de la baleine, ainsi le Fils de l'homme sera trois jours et trois nuits dans le coeur de la terre ». (Mt 12,40) Par le buisson ardent du désert (Ex 3) : de même que ce buisson brûlait sans se consumer, de même le corps du Sauveur subit la mort, mais ne fut pas retenu par la mort. Autre image encore: le dragon de Daniel (Da 14) : de même que ce dragon, après avoir pris la nourriture que lui donna le prophète, éclata par le milieu du corps; ainsi l'enfer, après avoir dévoré le corps, divin, fut déchiré; ce corps lui brisa le ventre, et ressuscita.

Si maintenant. vous tenez à entendre des paroles expresses après des figures, écoutez Isaïe : « Sa vie est arrachée à la terre, et le Seigneur veut le purifier de la plaie, pour lui montrer la lumière », (Is 53,8-10). Et David, avant Isaïe : « Vous ne laisserez point mon âme dans l'enfer, et ne souffrirez point, que votre saint éprouve la corruption ». (Ps 15,10). Et si Paul, à son tour, vous renvoie aux Ecritures, c'est pour vous faire savoir, que ces choses n'ont pas été faites au hasard ; et sans dessein. Pourrait-on le penser, après tant d'images des prophètes qui proclament que l'Ecriture n'entend nulle part la mort du péché, quand elle parle de la mort du Seigneur, mais qu'elle annonce la mort du corps, (561) la sépulture, la résurrection, telle qu'on vous l'a enseignée? « Qu'il s'est fait voir à Céphas ((1Co 15,5) ». L'apôtre nomme tout de suite celui qui est de tous le plus digne de foi. « Puis aux douze apôtres. Qu'après il a été vu en une seule fois de plus de cinq cents frères, dont il y en a plusieurs qui vivent encore aujourd'hui, et quelques-uns sont endormis ; qu'ensuite il s'est fait voir à Jacques, puis à tous les apôtres; et qu'enfin, après tous les autres, il s'est fait voir à moi-même, qui ne suis qu'un avorton ((1Co 15,6-8) ». Après la démonstration qui se fait par le moyen des Ecritures, il ajoute la démonstration par les faits, il cite comme témoins de la résurrection, après les prophètes, les apôtres et les autres fidèles. S'il eût pensé que cette résurrection ne fut que l'affranchissement du péché, il eût été inutile de dire que Jésus-Christ fût vu de celui-ci, de celui-là. Les yeux n'ont pu voir que le corps ressuscité, et non l'affranchissement du péché.

3804 4. Voilà pourquoi l'apôtre ne s'est pas contenté de dire une fois seulement : « Il a été vu », quoiqu'il eût pu se borner à le dire une fois pour toutes; mais ici Il répète deux et trois fois cette expression, autant de fois presque qu'il y a eu d'apparitions différentes. « Qu'il s'est fait voir », dit-il, « à Céphas ; il a été vu en une seule fais de plus de cinq cents frères ; il s'est fait voir à moi-même ». Cependant l'Evangile dit, au contraire, qu'il s'est fait voir d'abord à Marie. C'est qu'il n'est question ici que des hommes, et Jésus-Christ s'est montré d'abord à celui qui désirait le plus de le voir. Mais quels sont ces douze apôtres dont il parle ? Car ce ne fut qu'après l'ascension que Matthias fut mis au rang des apôtres, ce ne fut pas aussitôt après la résurrection. Mais il est vraisemblable que le Seigneur se fit voir même après l'ascension. Donc Matthias fut nommé apôtre après l'ascension, et vit Jésus, ressuscité. Voilà pourquoi Paul ne distingue pas les temps, et se borne à énumérer indistinctement les apparitions il est vraisemblable qu'il y en eut un grand nombre Voilà pourquoi Jean disait: Ce fut la troisième fois qu'il se manifesta. Qu'après il a été vu (1). Epano pentakoisis adelphois. Quelques interprètes expliquent cet epano, comme il suit : Jésus-Christ s'est fait voir, aux cinq cents frères, du

1. La phrase grecque présente, à cause de cet ‘Epano, un double sens que la traduction ne peut rendre.

haut des cieux, non plus marchant sur la terre, mais d'en haut, sur leurs têtes, c'est ainsi qu'on l'a vu. En effet, le Christ ne voulait pas faire croire à sa résurrection seulement mais aussi à son ascension. D'autres interprètes expliquent le même mot par « à plus » de cinq cents frères. « Dont il y en a plusieurs qui vivent encore aujourd'hui ». Quoique je vous raconte, dit-il, des faits anciens, j'ai pourtant des. témoins encore vivants. « Et quelques-uns sont endormis ». Il ne dit pas : Sont morts, mais : « Sont endormis » ; expression choisie pour confirmer la résurrection. «Qu'en« suite il s'est fait voir à Jacques », c'est-à-dire, je crois, à son propre cousin germain : c'est Jésus-Christ lui-même qu'on rapporte lui avoir imposé les mains, l'avoir ordonné, avoir fait de lui- le premier évêque de Jérusalem. «Ensuite à tous les apôtres ». Car; outre les douze, il y en avait d'autres; les apôtres étaient environ au nombre de soixante-dix. « Et qu'enfin, après tous les autres, il s'est fait voir à moi-même, qui ne suis qu'un avorton ». Parole pleine de modestie. Ce n'est pas parce que Paul était le moindre de tous, que le Sauveur ne se fit voir à lui qu'en dernier lieu. Bien qu'il ait été appelé le dernier, on l'a vu bien plus éclatant de gloire que le grand nombre de ceux qui l'ont précédé, ce n'est pas assez dire, plus illustre qu'eux tous. Les cinq cents frères n'étaient pas meilleurs que Jacques, bien qu'ils aient vu le Christ avant lui.

Et pourquoi ne s'est-il pas fait voir à tous en même temps? Il voulait jeter d'avance les semences de la foi. Celui qui vit Jésus le premier, et qui fut bien certain de l'avoir vu, en porta la nouvelle aux autres : à ce récit, les auditeurs étaient dans une grande attente du miracle, et la foi se préparait avant la réalité de l'apparition. Voilà pourquoi le Sauveur ne se montra pas à tous en même temps, ni d'abord au grand nombre, mais pour commencer, à un seul, à celui qui était le chef de tous, et le plus. fidèle. Car il fallait que ce fût l'âme la plus fidèle qui reçût la première cette vision, c'était tout à fait nécessaire. Ceux qui l'apercevaient après d'autres, et à qui d'autres l'avaient annoncée, ceux-là, préparés par le témoignage des autres, y trouvaient un grand secours pour leur foi, leur âme était prévenue, disposée : quant au premier jugé digne de recevoir cette vision, il avait grand besoin, je (562) l'ai déjà dit, d'une foi inébranlable pour n'être pas bouleversé d'une apparition si incroyable. Voilà pourquoi c'est à Pierre que le Sauveur apparaît en premier lieu. C'était lui qui le premier avait confessé le Christ, il était juste qu'il fût le premier témoin de sa résurrection. Mais ce n'est pas pour cette raison qu'il n'apparaît qu'à lui seul, en se montrant à lui le premier. Pierre l'avait renié ; pour lui ménager une consolation abondante, pour lui prouver qu'il n'est pas rejeté, le Sauveur l'honore avant tous les autres en se faisant voir à lui, et il est le premier à qui il remet ses brebis. Voilà aussi pourquoi les femmes furent les premières à qui il se montra. Ce sexe avait été abaissé, voilà pourquoi, dans la naissance et dans la résurrection du Sauveur, c'est la femme qui éprouve la première les effets de la grâce. Ensuite il se montre à Pierre, et séparément à chacun, et tantôt à un petit nombre, tantôt à de plus nombreux ; il veut qu'ils se servent réciproquement de témoins et de maîtres sur ce point, et il confirme la foi que méritent les paroles des apôtres.

« Et qu'enfin, après tous les autres, il s'est fait voir à moi-même, qui ne suis qu'un avorton ». Que signifient ces paroles pleines d'humilité, quel en est l'à-propos ? Car s'il veut se rendre digne de foi, se mettre au nombre des témoins de la résurrection, il fait le contraire de ce qu'il prétend; il devrait s'élever, montrer sa grandeur, ce qu'il fait souvent quand les circonstances l'exigent. S'il parlé ici avec modestie, c'est précisément parce qu'il va s'exalter; mais il ne se célébrera pas tout de suite, il y met la prudence convenable. Ce n'est qu'après des paroles modestes et beaucoup d'accusations entassées sur lui-même, qu'il prend un fier langage. Pourquoi? C'est qu'il faut, quand il aura dit de lui quelque chose de grand et de magnifique, comme: «J'ai travaillé plus que tous les autres », qu'on accepte ses paroles comme une conséquence nécessaire de son discours ; il ne faut pas qu'on voie un parti pris d'avance. C'est ainsi qu'en écrivant à Timothée, avant de parler de lui-même avec fierté, il s'accuse. (
1Tm 1,12) Quand on n'a qu'à louer les autres, on peut parler sans crainte en toute sécurité, quand il faut, au contraire, qu'on se loue soi-même, et surtout en appuyant ses éloges sur son propre témoignage, c'est alors qu'on doit avoir honte et rougir. Aussi le bienheureux Paul commence par exprimer sa misère avant de célébrer sa grandeur. Il a d'ailleurs une autre raison; l'éloge qu'on fait de soi, est odieux ; sa modestie corrige ce que l'éloge a d'insupportable, et rend tout son discours plus digne de foi. Car en rapportant avec véracité sa propre honte, en ne cachant rien, comme les persécutions qu'il a exercées contre l'Eglise, ses efforts pour renverser la foi, il met à l'abri de tout soupçon ce qu'il y a d'honorable pour lui dans les oeuvres qu'il rappelle.

3805 5. Et voyez l'excès d'humilité : après avoir dit : « Et qu'enfin, après tous les autres, il s'est fait voir à moi-même », il ne s'est pas contenté de ces paroles ; « car beaucoup », dit l'évangéliste, « qui avaient été les premiers seront les derniers, et beaucoup qui avaient été les derniers seront les premiers ». (Mt 19,30) Voilà pourquoi il ajoute : « Qui ne suis qu'un avorton ». Et il ne s'arrête pas là, mais il joint à ces réflexions le jugement personnel qu'il porte sur lui-même, et qu'il motive : « Car je suis le moindre des apôtres, et je ne suis pas digne d'être appelé apôtre, a parce que j'ai persécuté l'Eglise de Dieu ((1Co 15,9) ». Il ne dit pas le moindre des douze apôtres, mais même de tous les autres apôtres. Or, dans toutes ces paroles, il obéit à un sentiment de modestie, et, comme je l'ai déjà dit, à la nécessité de disposer son discours de manière à faire recevoir ce qu'il vent faire entendre. S'il avait dit d'emblée : « Vous devez m'en croire, le Christ est ressuscité ; je l'ai vu, et je suis de tous le plus digne de foi, parce que. c'est moi qui ai le plus travaillé, il aurait offensé ses auditeurs ; il parle au contraire avec humilité de son abjection, des actes pour lesquels il mérite d'être accusé ; il retranché ainsi de son discours ce qui peut choquer, et il prépare la confiance à son témoignage. Voilà pourquoi, comme je l'ai déjà dit, il ne déclare pas seulement qu'il est le dernier, qu'il est indigne du titre d'apôtre, mais il dit pourquoi : « Parce que j'ai persécuté l'Eglise ». Assurément tous ces péchés lui avaient été remis, toutefois il ne les a jamais oubliés; en les rappelant, il tient à montrer l'abondance de la grâce de Dieu. Aussi ajoute-t-il : «Mais c'est par la grâce de Dieu que je suis ce que je suis ((1Co 15,10) ». Voyez-vous encore cette preuve insigne d'humilité? Les fautes, il se les attribue; les bonnes oeuvres, il ne les regarde en rien comme siennes, c'est à Dieu qu'il rapporte (563) tout. Mais il ne faut pas que ses dernières paroles jettent l'auditeur dans le relâchement; aussi dit-il : « Et sa grâce n'a point été stérile en moi ». Il y a encore ici l'humilité; il ne dit point : J'ai montré un zèle ardent qui méritait la grâce, mais : « Elle n'a point été stérile, mais j'ai travaillé plus que tous les autres ».

Il ne dit pas : J'ai été honoré, mais : « J'ai travaillé » ; il pouvait dire les dangers et les morts qu'il avait su affronter; le mot de travail atténue son éloge. Ensuite, par l'humilité qui lui est habituelle, glissant vite sur ce point, il rapporte le tout à Dieu; il dit : « Non pas moi toutefois, mais la grâce de Dieu qui est avec moi », Où rencontrer une âme qui mérite plus d’admiration ? Entre tant de paroles pour se rabaisser, s'il en prononcé une seule qui l'élève, alors même il ne s'attribue pas le mérite, et tant par ce qui précède que par ce qui suit, il corrige l'orgueil de ce qu'il n'a dit pourtant qu'à cause que la nécessité le contraignait. Voyez l'abondance, les flots de paroles qui expriment l'humilité. En effet, « et qu'enfin, après tous les autres, il s'est fait voir à moi-même »; voilà pourquoi il ne nomme pas un autre apôtre avec lui; et, « qui « ne suis qu'un avorton », il se regarde comme le moindre des apôtres, comme indigne de ce titre. Ce n'est. pas tout : il ne veut pas afficher l'humilité en paroles, il donne des raisons, il démontre qu'il n'est qu'un avorton, puisqu'il a été le dernier à voir Jésus, qu'il est indigne du titre d'apôtre, puisqu'il a persécuté l’Eglise. Telle n'est pas la conduite de celui dont l'humilité n'est qu'une apparence ; mais celui qui explique ses motifs d'humilité, prouve la contrition de son coeur. Aussi voit-on ailleurs dans Paul l'expression des mêmes sentiments : « Je rends grâces à celui qui m'a fortifié, à Jésus-Christ, de ce qu'il m'a jugé fidèle, en m'établissant dans son ministère, moi qui étais auparavant un blasphémateur, un persécuteur, un ennemi outrageux ». (1Tm 1,12-13) Mais pourquoi cette fière parole : « J'ai travaillé plus que tous les autres? » La circonstance le contraignait. S'il ne l'eût pas dite, s'il n'eût fait que se rabaisser, comment. aurait-il pu trouver assez d'assurance pour produire son propre témoignage, pour se compter avec les autres apôtres, de manière à dire : « Ainsi, soit moi, soit ceux-là, quel que soit celui de nous qui parle, voilà ce que nous prêchons ((1Co 15,11) ? » Un témoin doit être digne de foi et avoir de la valeur. Maintenant, en ce qui concerne ce fait qu'il a travaillé plus que les autres, il l'a prouvé plus haut, en disant : « N'avons-nous pas le droit de manger et de boire comme les autres apôtres? » Et encore : « J'ai vécu avec ceux qui n'avaient pas de loi, comme si je n'eusse point eu de loi». (1Co 9,4) Fallait-il montrer la régularité, la perfection, il surpassait tous les autres; fallait-il savoir user de condescendance, il montrait, en ce sens, la même supériorité. Quelques auteurs entendent par ce plus grand nombre de fatigues, ses missions auprès des nations, ses voyages dans la plus grande partie de la terre. D'où il est manifeste qu'il avait reçu plus de grâces. Car s'il a plus travaillé, c'est que la grâce en lui était plus abondante; et s'il a reçu plus de grâces, c'est qu'il a montré un zèle plus ardent. Voyez-vous comme ses efforts pour se mettre à l'ombre, pour dissimuler sa valeur, ne vont qu'à montrer qu'il est le premier de tous?

3806 6. Apprenons par cet exemple, nous aussi, à confesser nos fautes, à passer nos bonnes oeuvres sous silence; si les circonstances nous mettent dans la nécessité de rappeler nos vertus, parlons-en avec modestie, et sachons tout rapporter à la grâce. C'est ce que fait Paul : sa vie passée, il la flétrit, il en confesse toutes les hontes ; les actions qu'il a faites depuis, il les attribue à la grâce, il montre par tous les moyens, la bonté, la clémence de Dieu qui, le voyant dans son premier état, l'a sauvé, et après l'avoir sauvé, a fait de lui ce qu'il est devenu. Donc il ne faut jamais, ni que le pécheur désespère, ni que l'homme vertueux s'abandonne à la confiance; celui-ci doit être timide, celui-là plein de bonne volonté. L'indolence ne suffit pas pour que l'on persévère dans la vertu, et la bonne volonté ne saurait être sans force pour fuir le mal. De ces deux vérités, le bienheureux David est pour nous un exemple; le voilà, pour s'être un peu endormi, tombé d'une chute grave; la componction le saisit, et vite il remonte à sa première hauteur. C'est que désespoir et indolence sont deux malheurs également déplorables : l'indolence vous fait bien vite tomber de la voûte du ciel, le désespoir ne laisse pas se relever celui qui est abattu et gisant. Voilà pourquoi Paul disait ces paroles à l'indolent (564) : « Que celui donc qui croit être ferme, prenne bien garde à ne pas tomber » (1Co 10,12) ; quant au désespéré, le psalmiste lui dit « Si vous entendez aujourd'hui sa voix, gardez-vous bien d'endurcir vos coeurs (Ps 94,8) » ; et Paul encore : « Relevez donc vos mains languissantes, et fortifiez vos genoux affaiblis ». (He 12,12)

Aussi, lorsque le fornicateur est touché de repentir, l'apôtre s'empresse de l'encourager, pour l'arracher à l'excès de sa morne tristesse: — D'où vous viennent donc vos angoisses pour les autres sujets, ô hommes ! La tristesse n'est utile qu'au pécheur ; si, même alors, l'excès en est funeste, à bien plus forte raison dans les autres sujets. D'où viennent vos chagrins? De ce que vous avez perdu de l'argent? Mais considérez donc ceux qui n'ont pas même assez de pain pour se rassasier,et vous recevrez la plus prompte des consolations de vos maux. Au lieu de déplorer chacun des accidents qui font votre peine, rendez des actions de grâces pour tous ceux qui ne vous arrivent pas. Vous avez eu de l'argent, et vous l'avez perdu? Ne versez pas de larmes sur votre perte, mais rendez grâces à Dieu pour le temps pendant lequel vous avez possédé. Dites avec Job : « Si nous avons reçu les biens de la main du Soigneur, pourquoi n'en recevrons-nous pas aussi les maux ? » (Jb 2,10) Faites encore la réflexion suivante : Vous avez perdu de l'argent, mais en attendant vous avez la santé; vous n'avez pas, pour vous lamenter, à joindre à votre pauvreté les infirmités de votre corps. Mais ce n'est pas tout : votre corps aussi a souffert? Mais ce n'est pas là le bas fond des douleurs humaines, vous flottez encore au milieu du tonneau. Il en est en grand nombre qui luttent contre la pauvreté, contre les mutilations, contre le démon, et qui sont errants dans des déserts; d'autres encore souffrent des douleurs plus cruelles. Loin de nous tous les malheurs que nous pouvons supporter ! Méditez ces pensées, considérez ceux qui souffrent plus que vous, et ne vous affligez pas de ce qui vous arrive; mais quand vous avez péché, gémissez alors seulement; oui, gémissez et pleurez, je ne vous en empêche pas, au contraire, je vous y exhorte; et alors, soyez encore modérés, pensez que le retour est possible, que la réconciliation est possible. Vous voyez les autres dans les délices, et vous êtes dans la pauvreté ; vous voyez les autres revêtus d'habits resplendissants, à eux la gloire? Ne bornez pas là vos contemplations; voyez aussi les inconvénients attachés à cet éclat. Dans la pauvreté, ne considérez pas seulement la main qui mendie, mais, avec la pauvreté, le plaisir qui en découle.

La richesse a un visage rayonnant; mais à l'intérieur tout est plein de ténèbres; pour la pauvreté, c'est le contraire, et si vous vous donnez la peine de déplier toutes les consciences, vous verrez dans l'âme du pauvre la sécurité et la liberté; dans l'âme du riche, les troubles, les tumultes, les flots. Ce riche, dont la vue vous attriste, ce même riche s'afflige plus que vous, à l'aspect d'un autre plus, riche que lui; et comme vous tremblez devant tel riche, ce riche tremble, à son tour, devant un autre riche, et en cela il n'a aucun avantage sur vous. La vue d'un magistrat vous attriste, parce que vous êtes un simple particulier, de ceux à qui l'on commande. Mais réfléchissez donc au jour où un autre succèdera à cet homme puissant, et en attendant qu'il vienne, ce jour, voyez les agitations, les. périls, les travaux, les flatteries, les veilles, toutes les calamités. Nos paroles s'adressent à ceux qui ne veulent pas comprendre la sagesse. Car si vous la comprenez, nous pouvons vous apporter des consolations d'un ordre supérieur ; jusqu'à présent nos raisons sont grossières, nous avons été forcé de vous les présenter. Eh bien donc, à la vue d'un riche, pensez à un plus riche, et vous verrez que lui, que vous, vous éprouvez les mêmes sentiments. Et après ce riche, représentez-vous l'homme qui est plus que vous dans la pauvreté : combien y en a-t-il qui se sont endormis ayant faim, qui ont perdu leur patrimoine, qui habitent dans une prison, qui chaque jour appellent la mort ! Et la pauvreté n'engendre pas la tristesse, et la richesse n'engendre pas le plaisir, tristesse et plaisir viennent également de nos pensées. Considérez maintenant, en commençant par ce qu'il y a de plus bas, l'acheteur de fumiers, triste, affligé de n'être pas affranchi de cette misérable et, selon lui, honteuse condition; mais affranchissez-le, qu'il soit libre, dans la sécurité, dans l'abondance dès choses nécessaires, il se reprendra à gémir encore de ne pas posséder au-delà de ce dont il a besoin; donnez-lui davantage, il voudra le double, et il ne se (565) plaindra pas moins qu'auparavant; doublez et triplez ses revenus, nouveaux chagrins pour lui, de ce qu'il n'a point de part aux affaires publiques; donnez-lui sa part, il se plaindra de n'avoir pas la première; accordez-lui cet honneur, il se plaindra de n'avoir pas le pouvoir. Arrivé au pouvoir, il souffrira de n'avoir pas de pouvoir sur le peuple entier; maître du peuple entier, de ce qu'il ne commande pas à des peuples nombreux; maître de peuples nombreux, de ce qu'il ne commande pas à tous les peuples du monde. Gouverneur ou préfet, il voudra être roi ; roi, il voudra être seul monarque; seul monarque, il voudra l'être et des nations barbares et de la terre tout entière ; souverain du monde entier, pourquoi ne le serait-il pas d'un autre monde encore? La pensée de cet homme, s'avançant toujours dans l'infini, ne lui permet pas de jamais rencontrer la douce joie.

3807 7. Voyez-vous comment alors même que, d'un être vil, d'un mendiant, vous feriez un roi, vous ne supprimerez pas le chagrin, là morne tristesse, si vous ne purgez pas la pensée que travaillent l'avarice et la cupidité? Eh bien, je veux vous montrer un spectacle tout contraire, je sage descendu du faîte suprême au degré le plus bas, et toujours exempt de tristesse et de chagrins. Descendons, si vous voulez, les mêmes échelons, c'est le préfet que nous renversons de son siège élevé; dépouillez-le en paroles de sa dignité. S'il veut faire les réflexions que nous avons dites, il n'en concevra lui-même aucun chagrin. Au lieu de considérer ce qu'on lui a enlevé, il réfléchira sur ce qu'il possède actuellement, la gloire qu'il tient de la magistrature qu'il a exercée. Enlevez-lui encore cette gloire, il pensera aux simples particuliers, à ceux qui ne se sont jamais élevés jusqu'à cette magistrature, il se consolera par ses richesses; dépouillez-le encore de ses richesses, il considèrera ceux dont la fortune est médiocre; enlevez-lui même cette médiocrité, ne lui laissez plus que les aliments nécessaires, il pourra considérer ceux qui ne possèdent même pas ce nécessaire, qui soutiennent contre la faim un combat continuel, qui habitent dans une prison. Jetez-le même dans ce triste séjour, il pensera aux malades travaillés de maux incurables; d'insupportables douleurs et verra que son sort est bien plus digne d'envie. Et de même que cet acheteur de fumiers, devenu roi, ne trouve pas même alors la tranquillité de l'âme, de même cet homme puissant, jusque dans les fers, ignore l'affliction chagrine et la tristesse. Donc, ce ne sont ni les richesses qui procurent le plaisir, ni la pauvreté qui cause la tristesse; tout vient de nos pensées, de l'impureté de notre âme dont les regards ne sauraient s'arrêter, se fixer nulle part, et se plongent pour se perdre dans l'infini. De même que les corps pleins de santé, n'eussent-ils à manger que du pain, y trouvent en abondance et la vie et la force; tandis que les corps malades, quelle que soit la délicatesse, la variété de la table, ne font que s'affaiblir de plus en plus, de même pour votre âme. Les âmes mesquines et basses ne trouvent ni avec un diadème, ni avec des honneurs d'un éclat inexprimable, le bonheur et la joie ; le sage, même dans les fers, prisonnier, au sein de la pauvreté, jouit du plaisir pur.

Pénétrés de ces pensées, sachons donc regarder toujours au-dessous de nous. Sans doute il y a encore une autre consolation, mais elle est d'une haute sagesse et dépasse la raison épaisse du grand nombre. Quelle est-elle cette consolation? C'est que la richesse n'est rien; la pauvreté, rien ; l'infamie, rien; là gloire, rien, affaires de quelques instants bien courts, pures distinctions dans les mots. A cette pensée vous en pouvez joindre une autre plus relevée encore, la pensée des biens et des maux à venir, des vrais maux et des vrais biens, et en tirer votre consolation. Mais je l'ai déjà dit : un grand nombre de personnes sont bien loin de comprendre un enseignement de ce genre, et voilà pourquoi nous nous sommes arrêtés nécessairement sur les réflexions que nous avons faites, dans la pensée que nous pourrons conduire ceux qui les auront accueillies vers cette autre doctrine plus relevée. Méditons donc toutes ces pensées, employons tous nos efforts à bien mettre en ordre nos sentiments, et il ne nous arrivera jamais de nous attrister des accidents imprévus. Vous verriez des images d'hommes riches, vous ne diriez pas qu'il faut célébrer leur bonheur, en être jaloux; vous verriez des images de mendiants, vous ne diriez pas qu'ils sont malheureux et qu'il les faut plaindre. Or assurément ces peintures ont plus de solidité, de stabilité que les riches que nous voyons près de nous : un riche en peinture a (566) plus de durée que dans la réalité même des choses humaines. Cette image d'un homme riche durera, cela se voit souvent, une centaine d'années; notre riche, au contraire, on le voit même en moins d'un an, tout à coup dépouillé de tous ses biens. Méditons donc toutes ces pensées, faisons tous nos efforts pour assurer à notre âme le repos et la tranquillité qui nous préservera d'une tristesse irréfléchie, afin de passer la vie présente avec joie, et d'obtenir les biens à venir, par la grâce et par la bonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ, à qui appartient comme au Père, comme au Saint-Esprit, la gloire, la puissance, l'honneur, maintenant et toujours, et dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.




Chrysostome sur 1Co 3700