Chrysostome sur 2Co 500

HOMÉLIE V. ARRIVÉ DANS LA TROADE POUR Y PRÊCHER L'ÉVANGILE DU CHRIST;

500
LA PORTE DE CE PAYS M'AYANT ÉTÉ OUVERTE DANS LE SEIGNEUR, MON ESPRIT N'EUT POINT DE REPOS; PARCE QUE JE N'Y TROUVAI POINT MON FRÈRE TITE. (
2Co 2,12-17)

Analyse.

1 et 2. Après avoir développé le sens de quelques versets, saint Chrysostome insiste sur les avantages d'une bonne conscience.
3. Le témoignage d'une bonne conscience est la gloire de l'homme.
4 et 5. Il traite ensuite du pardon des injures, et recommande de faire au démon une guerre acharnée.

501 1. Voilà des paroles indignes, ce semble, du grand apôtre; l'absence d'un frère lui fait perdre l’occasion de convertir les âmes. On ne voit d'ailleurs aucun lien qui les unisse à ce qui précède. — Voulez-vous donc que je vous montre d'abord que saint Paul n'a riels dit qui fût indigne de lui? Ou bien voulez-vous que je vous fasse voir l'enchaînement de ses pensées? Il vaut mieux, je crois, commencer par ce second point ; il servira à nous faire comprendre le premier. Comment donc ces dernières paroles de l'apôtre se rattachent-elles aux précédentes? Pour le comprendre, reportons-nous à ce qu'il disait au commencement. — Que disait-il donc ? « Je ne veux pas que vous ignoriez les tribulations que nous avons a endurées en Asie, où nous avons été accablés outre mesure et au-dessus de nos forces ». Après avoir montré comment Dieu le délivra de ses maux, et ajouté ce que nous avons lu, il parle d'un nouveau genre d'affliction : il n'a point rencontré Tite dans la Troade. Pour accabler son âme, c'est bien assez sans doute de supporter tant de tribulations. Mais la souffrance n'est-elle pas encore plus vive quand on ne reçoit de consolations de personne, quand personne ne vient aider à supporter le poids du malheur. Or, Tite est ce même disciple dont Paul parle plus bas, disant qu'il est revenu de:Corinthe auprès de lui, à qui il donné de si grands éloges, et que dans la première épître, il dit avoir envoyé à Corinthe. C'est donc pour eux encore que saint Paul a supporté cette affliction, et tel est le sens de ses paroles. Tout cela, vous le voyez, se lie donc très-bien à ce qui précède.

J'essaierai maintenant de vous prouver crue ces paroles ne sont pas indignes de saint Paul. Il ne dit pas en effet que l'absence de Tite ait retardé le salut de ceux qui devaient se convertir; ni que pour cette raison il ait négligé ceux qui déjà avaient embrassé la foi de l'Evangile, mais simplement que son esprit n'eut point de repos, c'est-à-dire que l'absence de ce (36) frère chéri le plongea dans la douleur et l'affliction. Il veut montrer par là combien l'absence d'un frère peut être pénible ; et la douleur qu'il ressentit le força de quitter ce pays. Que signifient ces paroles : «Après être venu dans la Troade pour l'Évangile ? » Je ne suis pas allé sans motif dans ce pays, mais bien pour y annoncer la parole de Dieu. C'était là le motif qui m'y avait amené; mon zèle trouvait une ample matière. « La porte », dit-il, « m'avait été ouverte dans le Seigneur ; je n'eus point de repos » ; mais cependant mon travail n'en fut point entravé. Pourquoi dit-il donc : « Prenant congé d'eux, je m'en allai? ». C'est-à-dire : les angoisses et la douleur ne me permirent point d'y prolonger mon séjour. Peut-être même l'absence de Tite était-elle un obstacle aux travaux de l'apôtre ; c'est encore là un moyen de consoler les Corinthiens. Et en effet, la porte était ouverte à saint Paul, il était venu en Troade pour y prêcher l'Evangile; mais il n'y trouve point son frère, et aussitôt il quitte ce pays; à plus forte raison devez-vous nous pardonner en songeant à tant d'affaires pressantes, indispensables, qui nous mènent et nous ramènent, qui nous empêchent de nous rendre là où nous voudrions, et de prolonger notre séjour comme nous le souhaiterions.

Plus haut c'était déjà l'Esprit-Saint qui dirigeait ses voyages; maintenant c'est encore Dieu qui les détermine, car il, ajoute : « Or, je rends grâces à Dieu qui nous fait toujours triompher en Jésus-Christ, et qui répand en tout lieu par notre ministère, la bonne odeur de sa connaissance (14) ». Bien loin de verser des larmes et de se lamenter, l'apôtre rend grâces à Dieu. Or voici le sens de ses paroles. Partout l'affliction, partout les angoisses : je suis venu en Asie; les souffrances y dépassaient mes forces. Je suis venu en Troade, je n'y ai point trouvé mon frère ; je n'ai pu venir chez vous, et j'en ai ressenti une vive tristesse, d'abord parce que beaucoup d'entre vous sont tombés dans le péché, ensuite parce queutais prisé de vous voir : « Ç'a été pour vous ménager que je ne suis pas allé à Corinthe », dit-il. Pour ne point paraître désolé, il ajoute non-seulement nous ne nous plaignons point de ces tribulations, mais nous nous en réjouissons; oui, nous nous en réjouissons non-seulement à cause des biens futurs, mais encore à cause des biens présents : car tout cela donne un nouveau lustre à notre gloire. Bien loin de nous en désoler, nous triomphons au contraire, et nous nous glorifions de tout ce qui nous est arrivé. Et Lest pourquoi l'apôtre disait : « Nous rendons grâces à Dieu qui nous fait triompher » ; c'est-à-dire, qui fait briller notre gloire aux yeux de tous. Ces persécutions qui semblent être un déshonneur, nous nous regardons comme très-honorés de les subir. Aussi, ne dit-il pas seulement : Qui nous rouvre de gloire; mais, « qui nous donne le triomphe », voulant montrer que ces persécutions lui élèvent partout de nombreux trophées contre le démon. Puis, après avoir indique le triomphateur, il fait connaître la cause du triomphe, et par là encore il relève les courages. Non-seulement c'est Dieu qui nous fait triompher, dit-il, mais nous triomphons en Jésus-Christ, c'est-à-dire, à cause de Jésus-Christ et de la prédication de l'Évangile. Puisqu’il s'agit d'un triomphe, et que nous portons le trophée, nous devons être en évidence, et par là-même couverts d'une gloire éclatante : « Et il manifeste en tous lieux par notre ministère la bonne odeur de sa connaissance ».

502 2. Tout à l'heure l'apôtre disait : « Qui nous fait triompher toujours », maintenant il dit : « en tous lieux » pour montrer que tous les temps et tous les lieux sont remplis dès travaux apostoliques. Il emploie encore une autre métaphore, celle « d'un suave parfum » ; nous sommes aperçus de,tous, comme si nous portions des parfums : c'est la connaissance de Dieu qu'il compare à un parfum de grand prix. Il ne dit pas: la connaissance, mais le «parfum de la connaissance ». Telle est en effet la connaissance que nous avons de Dieu ici-bas, une connaissance qui est loin d'être claire et sans voiles. Et c'est pourquoi, dans sa première épître, l'apôtre disait : « Nous voyons maintenant comme dans un miroir et en énigme ». (1Co 13,12) Ici, c'est à une odeur qu'il compare la connaissance que nous avons de Dieu. Une substance odorante, cachée quelque part, se trahit par son odeur, mais la nature de cette substance, on ne peut. La connaître uniquement par son odeur; il faut avoir vu la substance elle-même. De même nous savons que Dieu existe, mais nous ne savons quelle est sa nature. Nous sommes donc, pour ainsi dire, un encensoir royal, et partout. où nous allons, nous portons en quelque sorte un parfum céleste, une odeur spirituelle. Voilà (37) ce que disait saint Paul, afin de montrer la puissance de la prédication évangélique. Dresser des embûches aux apôtres, c'est donner tan nouvel éclat à leur gloire; en les persécutant, on rend l'univers entier témoin de leurs victoires, et on répand partout la suavité de leurs parfums. Ce que se proposait encore l'apôtre, c'était d'encourager les Corinthiens à supporter généreusement toutes les afflictions, toutes les tribulations, en leur montrant la gloire ineffable dont ils seraient environnés, même avant de recevoir les récompenses célestes.

« Nous sommes la bonne odeur du Christ pour Dieu dans tous ceux qui sont sauvés et dans ceux qui périssent (45) ». — Oui, dit-il, qu'un homme soit sauvé, ou qu'il périsse, l'Evangile n’en manifeste pas moins cette énergie qui lui est propre : si les yeux sont malades, le soleil les offusque; en est-il pour cela moins lumineux? Le miel est amer pour les infirmes; mais cependant n'est-il pas doux de sa nature? Ainsi l'Evangile exhale le parfum le plus suave; bien que plusieurs refusent de croire et, périssent. Ce n'est pas l'Evangile qui 'est cause de leur perte, mais bien la perversité de leurs coeurs. Au contraire la perte des hommes méchants et corrompus fait ressortir la douceur de l'Evangile. Et de la sorte les méchants qui se damnent comme les bons qui se sauvent, révèlent sa vertu. N'est-ce point par son éclat même que le soleil blesse les yeux des malades? Le Sauveur n'est-il point venu pour la ruine et la résurrection d'un grand nombre? Il n'en demeure, pas moins le Sauveur, quel que soit le nombre de ceux qui se perdent.: il a été présent au milieu des hommes, et il a puni d'autant plus sévèrement ceux qui ont refusé d'obéir; mais sa présence dans le monde n'en a pas été moins salutaire. Aussi l'apôtre dit-il : « Nous sommes une bonne odeur pour Dieu». C'est-à-dire, bien que plusieurs périssent, nous demeurons néanmoins ce que nous étions. Il ne dit pas d'une manière absolue : « Nous sommes une bonne odeur » mais « pour Dieu». C'est vers Dieu que s'élève cette odeur; il l'a pour agréable. Qui pourrait donc soulever la moindre objection. Ces paroles : « Nous sommes la bonne odeur du Christ », me semblent pouvoir s'entendre de deux manières. Les apôtres, en mourant pour Jésus-Christ, s'offrent eux-mêmes comme victimes.; ou bien encore, ils sont la bonne odeur de Jésus-Christ immolé ; comme si l'on disait : Le parfum que les apôtres exhalent est la bonne odeur de cette victime sainte. Tel est peut-être le sens de ce passage, ou bien,comme je l'ai dit plus haut, il signifie que chaque jour ils sont immolés pour le Christ. Voyez-vous comme saint Paul exalte les tribulations, en les nommant un triomphe, une bonne odeur, un sacrifice offert à Dieu.

Puis, après avoir dit : « Nous sommes la bonne odeur de Jésus-Christ dans ceux qui périssent »; pour empêcher que vous ne regardez ceux-ci comme agréables à Dieu, il ajoute : « Aux uns nous sommes une odeur de mort pour la mort; aux autres une odeur de vie pour la vie (46) ». Cette odeur, les uns la respirent pour être sauvés; d'autres, pour périt. Il en est donc qui trouvent la mort dans cette odeur, mais c'est leur faute. Les parfums, dit-on, suffoquent les porcs, et l'éclat de la lumière, comme je l'ai dit, plonge dans les ténèbres les yeux malades. C'est ainsi que les Substances les meilleures non-seulement guérissent les substances auxquelles elles conviennent, mais aussi font périr celles à qui elles ne conviennent pas: c'est en cela surtout que se montre leur énergie. Voyez le feu ! Ce n'est pas seulement quand il éclaire, quand il purifie l'air qu'il manifeste sa force; mais encore lorsqu'il ravage les épines. De même le Christ fait éclater sa grandeur; quand de son souffle il terrasse l'antéchrist, et l'écrase par la splendeur de son visage. « Et qui est capable de ces choses? » L'apôtre vient de tenir un langage magnifique, en disant : Nous sommes immolés pour le Christ, nous sommes une bonne odeur, partout nous triomphons; maintenant pour tempérer cette magnificence, il renvoie à Dieu toute la gloire : « Et qui est capable de ces choses?» Tout cela appartient au Christ ; nous ne devons rien nous attribuer à nous-mêmes. Quelle différence entre ce langage et celui des faux apôtres ! Ceux-ci se glorifiaient en effet comme si, dans la prédication de l'Evangile, ils avaient eu quelque mérite propre; mats saint Paul ne se glorifie que d'une chose, c'est de ne rien avoir en propre « Notre gloire dit-il, c'est ce témoignage de notre conscience que nous avons vécu dans le monde non pas selon la sagesse de la chair, mais selon les mouvements de la grâce de Dieu ». (2Co 1,12) Cette sagesse extérieure que les faux apôtres se glorifiaient de (38) posséder, saint Paul se glorifie de ne pas l'avoir; et c'est pourquoi il dit : « Et qui est capable de ces choses ? » Si nous n'en sommes point capables, elles sont donc l'oeuvre de la grâce : « Car nous ne ressemblons pas à tant d'autres qui corrompent la parole de Dieu (17) ».

503 3. Oui, nous avons dit de grandes choses; mais nous avons protesté que tous ces succès ne nous appartiennent pas, qu'ils appartiennent à Jésus-Christ. Nous ne voulons pas imiter les faux apôtres qui revendiquent pour eux toute la gloire. N'est-ce pas un trafic honteux, que de mêler l'eau au vin, que de vendre à prix d'argent, ce que l'on doit donner gratuitement? Saint Paul se raille ici de leur amour pour les richesses ; il veut aussi faire comprendre qu'ils, mêlent leurs propres intérêts aux intérêts de Dieu. Isaïe adressait dé son temps le même reproche : « Tes cabaretiers mêlent l'eau avec le vin». Sans doute le prophète parle de vin; mais ce n'est point se tromper pourtant que d'entendre ces peuples de l'enseignement de la vérité. Pour nous, dit l'apôtre, nous n'agissons point de la sorte. Mais tout ce que l'on nous a confié, nous le distribuons, et nous offrons toujours une doctrine sans mélange. C'est pourquoi il ajoute : « Nous parlons avec sincérité, comme au nom de Dieu, en présence de Dieu et dans le Christ ». Ce n'est point pour vous tromper que nous prêchons, ni pour vous flatter, ni pour vous faire admettre nos propres idées mêlées à celles du Seigneur; mais nous vous prêchons au nom de Dieu, c'est-à-dire, nous ne vous disons point que nous vous enseignons notre propre doctrine, mais que tout nous vient de Dieu. Tel est le sens de cette parole : « Au nom de Dieu ». Nous ne nous glorifions point comme si nous avions quelque chose en propre; mais c'est à liai que nous renvoyons toute la gloire : « Nous parlons dans le Christ », inspirés non par notre propre sagesse, mais par sa puissance. Quand on se glorifie, parle-t-on de la sorte? Non, mais on s'attribue tout à soi-même. Ce sont encore les faux apôtres qu'il attaque ailleurs en ces termes: « Qu'avez-vous que vous n'ayez reçu? et si vous l'avez reçu, pourquoi vous en glorifier, comme si vous ne l'aviez pas reçu? »

La plus grande de toutes les vertus, c'est de tout attribuer à Dieu, de ne rien s'attribuer à soi-même, de ne rien faire en vue de la gloire humaine, mais de faire toutes choses pour se conformer à la volonté de Dieu. Car c'est lui qui nous demandera compte des actions de nôtre vie. Eh bien ! L'ordre n'est-il point renversé ? Celui qui sera assis sur son tribunal, qui nous demandera compte de notre vie, le craignons-nous? Et ne tremblons-nous pas au contraire devant ceux qui se tiendront devant lui pour être jugés avec nous? Quelle étrange maladie ! Comment se fait-il qu'elle ait envahi nos âmes? C'est que nous ne songeons pas assez à la vie future, et que nous demeurons trop attachés aux biens présents. Et c'est pourquoi nous tombons si facilement dans des actions coupables, et, si nous faisons quelque bien, c'est par ostentation que nous le faisons, en Sorte que. ce bien même nous devient funeste. Cet homme a jeté des regards immodestes sur une femme; celte-ci ne s'en est peint aperçue non plus que les autres; mais l'oeil vigilant du Seigneur l'a remarqué. Oui, cet oeil a pénétré, même avant que la faute eût été commise, cette âme impudique, cette passion intérieure, ces pensées qui s'agitaient comme une tempête furieuse. A-t-il besoin de témoins et de preuves, celui à qui toutes choses sont connues? Ne considérez donc point les compagnons de votre misère: l'homme aura beau vous louer, si Dieu ne vous accueille favorablement; et c'est en vain que l'homme vous condamnera ; vous ne souffrirez point de cette condamnation, si Dieu lui-même ne vous condamne point. Prenez garde, vous irriterez votre juge, si vous tenez compte de vos compagnons, si vous ne montrez ni crainte ni effroi devant son visage indigné.

Méprisons donc cette gloire qui vient des hommes. Jusques à quand travaillerons-nous à nous avilir et à nous dégrader? Dieu veut nous élever au ciel; jusques à quand persisterons-ous à ramper sur la terre? Si les frères de Joseph avaient eu la Crainte de Dieu devant les yeux, ils ne se seraient pas emparés de lui dans le désert pour le faire mourir. Et Caïn,.s'il eût redouté le jugement de Dieu, aurait-il dit à Abel : « Viens, et sortons dans la campagne ». Quoi donc, ô lâche, ô misérable, tu l'entraînes loin de son père et tu l'emmènes dans la campagne ! Mais au milieu des champs, Dieu ne verra-t-il point ton crime? Ce qui est arrivé à ton père n'a-t-il pu t'apprendre que Dieu sait tout et (39) qu'il assiste à toutes tes actions? Pourquoi, lorsque Caïn niait son crime, Dieu ne lui dit-il pas : Peux-tu m'échapper à moi qui suis présent partout et qui connais ce qu'il y a de plus secret? C'est que le coupable ne pouvait comprendre ce langage. Que lui dit-il donc? « La voix du sang de ton frère crie vers moi ». Ce n'est pas que le sang ait une voix, mais Dieu parle, comme nous parlons de toute chose évidente et manifeste : Cette choses crie, disons-nous. Il faut donc avoir sans cesse devant,les yeux le jugement de Dieu; et bientôt le mal aura disparu. Nous pouvons avoir la même attention dans nos prières, si nous songeons quel est celui auquel nous notes adressons,si nous nous rappelons que nous offrons un sacrifice, que nous portons dans nos mains le glaive, le feu, le bois; si par la pensée nous ouvrons les portes du ciel, si nous nous y transportons, si ce glaive de l'esprit nous l'enfonçons dans la gorge de la victime, si nous offrons à (Esprit-Saint notre vigilance, si nous répandons des larmes. Les larmes, voilà le sang de la victime : ce sont elles qu'il faut faire fouler sur l’autel du sacrifice. Ne souffrez pas qu'en ce moment aucune pensée humaine occupe votre âme.

504 4. Rappelez -vous qu'Abraham, lorsqu'il offrit son sacrifice, n'admit en sa présence ni. son épouse, ni son serviteur, ni personne autre. Vous non plus, ne souffrez pas qu'aucune passion servile, indigne des enfants de Dieu vienne occuper votre coeur ; allez tout seul sur la montagne que gravit Abraham, sans. permettre à personne de. la gravir avec lui. Que si des pensées humaines veulent monter avec vous, commandez-leur avec autorité; dites leur : Restez ici; mon fils et moi nous reviendrons, après avoir adoré. Laissez donc au pied de la montagne l'ânesse, les serviteurs, tout ce qui est dépourvu de siens et de pensées. Prenez avec vous ce qui est doué d’intelligence et montez, comme Abraham monta avec Isaac. Comme le patriarche, élevez un autel ; dépouillez-vous de toute humaine pensée, élevez-vous au-dessus de la nature. Eût-il immolé son fils, s'il ne se fût lui-même élevé au-dessus de la nature? Que rien ne vienne vous troubler dans votre oraison; élevez-vous au-dessus du ciel même; poussez d'amers gémissements; offrez à Dieu, comme un sacrifice, la confession de vos fautes : « Commencez par confesser, vos iniquités, afin d'être par là justifié ». Offrez-lui la contrition de votrecoeur. Voilà des victimes qui ne sont pas réduites en cendres, qui ne se dissipent pas en fume, pour lesquelles vous n'avez besoin ni de bois ni de feu, mais seulement d'une âme remplie de componction c'est le bois, c'est le feu qui brûle ces victimes, sans les consumer. Celui qui prie avec ferveur, est brûlé, mais il n'est point consumé ; son éclat redouble comme celui de l'or que le feu vient d'éprouver.

Gardez-vous encore de prononcer aucune parole capable d'irriter le Seigneur, et ne l'invoquez point non plus contre vos ennemis. Si c'est déjà une honte d'avoir des ennemis, songez quel mal ce serait de prier contre eux ! Loin de vous excuser d'avoir des ennemis, vous iriez encore les accuser devant Dieu Et comment obtiendrez-vous votre pardon, si vous les accusez au moment même où vous implorez miséricorde pour Vous? N'est-ce pas en effet le pardon de vos péchés que Nous sollicitez dans votre prière: ne vous souvenez donc, pas des péchés d'autrui; autrement vous réveilleriez. le souvenir des vôtres. Si vous dites: frappez mon ennemi; vous vous fermez la bouche, vous enlevez toute liberté à votre languie, N'excitez-vous pas en effet dès le commencement la colère du Seigneur; et ensuite ne demandez-vous pas précisément le contraire de ce qu'il faudrait demander? Si en effet vous priez pour obtenir la rémission de vos péchés, comment se fait-il qu'en même temps vous, sollicitiez-la punition des autres? C'est le contraire que vous deviez faire : il fallait prier polir vos ennemis, afin de pouvoir aussi prier avec confiance pour vous-mêmes. Vous prévenez la sentence du juge par votre propre sentence, puisque vous déclarez les pécheurs dignes d'une punition : comment seriez-vous encore excusables ? Priez pour eux, et alors vous n'avez pas même besoin de dire un mot de vos propres fautes : tout est fait. Rappelez-vous combien la Loi prescrivait de sacrifices : le sacrifice de louange, le sacrifice de la confession, le sacrifice dû salut, le sacrifice d'expiation et tant d'autres; mais je ne vois pas qu'elle en prescrive aucun contre les ennemis, tous au contraire ont pour objet nos propres péchés ou nos bonnes oeuvres.

Quel Dieu priez-vous donc? N'est-ce pas celui qui a dit : « Priez pour vos ennemis ? » (40) (
Mt 5,44) Comment osez-vous donc élever la voix contre eux ? Comment pouvez-vous prier Dieu d'enfreindre sa propre loi? Rien qui convienne moins au rôle de suppliant personne ne supplie pour qu'un autre périsse; mais on implore son propre salut. Pourquoi donc jouer le rôle de suppliant avec des paroles d'accusateur? Quand nous prions pour nous-mêmes, nous nous remuons, nous nous agitons, nous nous laissons aller à mille pensées étrangères ; mais quand nous prions contre nos ennemis, nous le faisons avec attention et avec ardeur. Le diable sait bien que nous nous enfonçons alors un glaive dans la poitrine; et c'est pourquoi il se garde bien de nous distraire, de détourner notre attention; il veut nous causer ainsi tout le mal. possible. — Mais, direz-vous, on m'a fait injure, on m'a blessé. — Eh bien, priez donc contre le démon, qui nous outragé plus que personne ne le fait. On vous prescrit de dire dans votre prière : « Délivrez-nous du malin ». (Mt 6,93) Voilà votre implacable ennemi mais l'homme, quoi qu'il vous fasse, est votre ami et votre frère. :Aussi lançons-nous tous contre lui, prions Dieu contre lui; et disons: Brisez Satan sous nos pieds. C'est lui qui nous suscite des ennemis. Si vous priez contre vos ennemis, vous accomplissez le plus ardent de ses voeux; mais en priant pour vos ennemis, c'est contre lui que vous priez. Pourquoi donc laisser de côté votre véritable ennemi, pour dévorer vos membres, vous montrant ainsi plus cruels que les bêtes. féroces? — Mais, dites-vous, on m'a outragé; on m'a enlevé mes biens. — Qui donc est le plus à plaindre, de celui qui supporte l'outrage ou d'e celui qui le fait? S'enrichir à vos dépens, c'est perdre l'amitié de Dieu, et le dommage l'emporte Sur le gain. Agir de la sorte; c'est se nuire à soi-même. Au lieu de prier contre votre ennemi, priez pour lui, pour que Dieu lui fasse miséricorde.

505 5. Que de souffrances n'endurèrent pas les trois jeunes Hébreux, sans avoir fait aucun mât. Emmenés loin de leur patrie, privés de toute liberté; captifs, esclaves sur une terre étrangère, dans un pays barbare, ils étaient menacés de mort, sans motif, sans raison, uniquement à cause d'ut1 songe qu'avait eu le roi. Quand ils furent réunis à Daniel quelle fut leur prière? Que dirent-ils? Brisez Nabuchodonosor, arrachez-lui son diadème, précipitez-le de son trône ? — Non, ils ne demandèrent rien de semblable ; au contraire ils imploraient sur lui la divine miséricorde. Dans la fournaise, ils firent de même. Et vous, que faites-vous? Vous avez moins souffert qu'eux, et la plupart du temps vos souffrances étaient bien méritées, et cependant vous ne cessez de charger vos ennemis d'imprécations. L'un s'écrie : Seigneur, renversez pion ennemi ; comme vous avez précipité dans les flots le char de Pharaon ; l'autre : frappez-le dans sa chair; un troisième, punissez-le dans ses enfants. Ne reconnaissez-vous point votre langage ?

Pourquoi riez-vous donc? voyez-vous combien tout cela devient ridicule, dès que la passion est absente? Retranchez la passion, et vous verrez aussitôt combien le péché renferme de honte. Il suffit dé rappeler à celui qui s'est irrité, les paroles qu'il a proférées dans sa colère pour qu'il ait honte de lui-même, et il aimerait mieux souffrir toutes sortes de maux plutôt que d'avoir prononcé de telles paroles. Mettez un impudique en présence de la femme qu'il a violée; il s'en détournera avec horreur. Maintenant que vous n'éprouvez point de passion contre vos ennemis, vous riez en entendant les paroles que je viens de prononcée: elles sont en effet ridicules, dianes d'une vieille femme en état d'ivresse qui se prend de querelle avec une autre.

Joseph avait été vendu, réduit en servitude, jeté en prison; néanmoins il ne lui échappa pas un seul mot d'amertume contre ceux qui l'avaient outragé. Que disait-il? « J'ai été enlevé furtivement de la terre des Hébreux ». (
Gn 40,15) Il ne dit point par qui Il rougit du crime de ses frères, plus qu'ils n'en rougissaient eux-mêmes. Telles doivent être nos dispositions : éprouvons pour ceux qui nous ont injuriés, une douleur plus vive qu'ils ne l'éprouvent eux-mêmes. Car tout le dommage est pour eux. Si vous voyez un homme lancer des coups de pied contre des clous, et s'enorgueillir de sa bravoure, vous vous prendriez de pitié, vous verseriez des larmes à la vue d'une telle démence. De même vous devez plaindre, et non maudire ceux qui vous outragent, sans que vous leur ayez fait aucun mal : car ils font une grave blessure à leur âme. Quoi de plus criminel qu'une âme qui fait des imprécations? Quoi de plus impure qu'une langue qui offre de tels sacrifices? Vous êtes (41) hommes; ne vomissez point le venin des aspics; vous êtes hommes; ne vous changez pas en bêtes féroces. La bouche vous a été donnée, non pour mordre, mais pour guérir les blessures du prochain. Souvenez-vous de mes commandements, dit le Seigneur; je vous ai prescrit de remettre et de pardonner. Et vous me demandez de me joindre à vous pour renverser mes préceptes; vous rongez votre frère, vous ensanglantez vos dents, vous ressemblez à ces furieux qui enfoncent leurs dents dans leurs propres chairs. Quelle joie doit ressentir le démon, quels éclats de rire il doit poisser, en entendant votre prière ! Mais aussi que le Seigneur doit être irrité contre vous, et qu'il doit vous haïr, quand vous le priez de la sorte. Rien de plus fâcheux qu'une telle conduite. On ne peut s'approcher des saints mystères avec du ressentiment contre ses ennemis; mais si, non contents de les haïr, vous faites des imprécations contre eux, on doit vous interdire jusqu'à l'entrée du temple. Pleins de ces pensées, nous rappelant l'objet de l'auguste sacrifice, dans lequel le Christ s'est immolé pour ses ennemis, mettons tous nos soins à n'avoir pas même un ennemi ; si nous en avons. un, prions pour lui ; afin d'obtenir nous-mêmes te pardon de nos fautes, et de pouvoir nous présenter avec confiance devant le tribunal du Christ, à qui soit gloire, empire, honneur, maintenant et toujours, et dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.




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HOMÉLIE VI. COMMENCERONS-NOUS A FAIRE ENCORE UNE FOIS NOTRE ÉLOGE ?

AVONS-NOUS BESOIN, COMME QUELQUES-UNS, DE RECOMMANDATIONS AUPRÈS DE VOUS, OU BIEN AVONS-NOUS BESOIN DE RECOMMANDATIONS DE VOTRE PART? (2Co 3,1-6).

Analyse.

1 et 2. Eloge des Corinthiens.
3. Parallèle entre la Loi ancienne et la Loi nouvelle ; développement de ces paroles : la lettre tue, mais l'esprit vivifie.
4. De l'âme plongée dans la mort.

601 1. On ne manquera pas de reprocher à l'apôtre qu'il se comble lui même d'éloges. C’est ce reproche qu'il veut prévenir. Sans doute il a expliqué le sens de ses paroles; il a dit : « Qui est capable de ces choses? » Et encore : « Nous parlons avec sincérité ». Mais cela ne suffit pas. Telle est la coutume de saint Paul. Il insiste : tant il craint d'avoir l'air de parler de lui-même avec orgueil, tant il met d'ardeur et de zèle à fuir même l'apparence de ce vice l'. Remarquez ici l'étendue de sa prudence. Ce qu'il y a de plus triste, ce semble, c'est-à-dire, les afflictions, il les relève à ce point, il en montre si bien la grandeur et l'éclat, que son langage peut sembler orgueilleux. Il en agit de même à la fin de l'épître. Après avoir passé en revue les innombrables périls qu'il a courus, les outrages qu'il a essuyés, ses besoins, ses angoisses, et le reste, il ajoute : « Nous ne prétendons point faire notre éloge, mais vous donner à vous-mêmes l'occasion de vous glorifier ». Il dit la même chose plus loin avec une certaine force, afin d'encourager de plus en plus les Corinthiens. Ici c'est le langage de l'affection: « Avons-nous besoin, comme plusieurs, de (42) lettres de recommandation ? » (2Co 3,1) Mais à la fin de cette épître, tout est plein de véhémence et de feu : il le fallait dans l'intérêt des fidèles de Corinthe : « Nous n'entreprenons point de faire notre éloge, mais nous vous donnons à vous-mêmes l'occasion de vous glorifier ». Et ensuite : « Pensez-vous que nous voulions nous excuser nous-mêmes ? C'est en présence de Dieu et dans le Christ que nous parlons. Je crains qu'arrivant parmi vous je ne vous trouve pas tels que je voudrais, et que vous ne me trouviez pas non plus tel que vous le voudriez ».

Il ne veut pas avoir l'air de les flatter en vue de se faire honorer lui-même, et c'est pourquoi il dit : « Je crains qu'arrivant parmi vous je ne vous trouve pas tels que je voudrais et que vous ne me trouviez pas non plus tel que vous le voudriez ». Ces paroles respirent le blâme ; au début de l'épître il s'exprime en termes moins durs. Que veut-il dire ? Il a parlé de ses épreuves, des dangers qu'il a courus; des triomphes que Dieu lui a fait remporter par Jésus-Christ et que tout l'univers connaît. C'est parce qu'il vient de rappeler toutes ces circonstances si glorieuses pour lui, qu'il se fait à lui-même cette objection : « Est-ce que j'entreprends de faire mon propre éloge?» (2Co 3,1) Voici le sens de ses paroles: Peut-être nous dira-t-on : Eh quoi ! Paul, est-ce ainsi que vous parlez de vous-même? Est-ce ainsi que vous vous glorifiez? C'est donc pour renverser cette objection qu'il dit : Nous ne voulons point nous enorgueillir ni nous glorifier. Bien loin d'avoir besoin auprès de vous de lettres de recommandation, nous vous regardons comme étant vous-mêmes notre lettre. « Car vous êtes notre lettre, dit-il » (2Co 3,2). Qu'est-ce à dire ? Si nous avions besoin de nous recommander auprès des autres, nous vous produirions vous-mêmes comme une lettre de recommandation. Il disait la même chose dans la première épître : « Vous êtes le sceau de mon apostolat ». Il emploie ici une autre forme; il fait usage de l'interrogation, pour donner plus de force à son discours. « Avons-nous besoin de lettres de recommandation ? » (2Co 3,1)

Puis faisant allusion aux faux apôtres, il ajoute : « Comme d'autres en ont besoin auprès de vous, ou de votre part » (2Co 3,1), auprès des autres. Ensuite il adoucit ce qu'il vient de dire, en ajoutant : « Vous êtes notre lettre, écrite dans nos coeurs, et cette lettre tous les hommes la connaissent (2Co 3,2). Tout le monde "sait que vous êtes la lettre du Christ » (2Co 3,3). Ici, il rend témoignage non-seulement de leur charité, mais encore de leurs bonnes actions, puisqu'il suffit de leurs vertus pour prouver la dignité du maître. C'est ce qu'il veut dire par ces paroles : « Vous êtes notre lettre » (2Co 3,2). Une lettre pourrait nous recommander et nous attirer le respect ; or on est plein d'estime pour nous, dès que l'on vous a vus et entendus. La vertu des disciples est pour le maître une meilleure recommandation, un plus bel ornement que n'importe quelle lettre. — « Inscrite dans nos coeurs » (2Co 3,2), c'est-à-dire, que tout le monde connaît. Vous êtes sans cesse dans notre coeur, et ainsi nous vous portons partout où nous allons. C'est comme si l'apôtre disait : Vous nous recommandez auprès des autres ; vous êtes sans cesse dans notre coeur, et partout nous publions vos bonnes oeuvres. Ainsi nous pouvons nous passer de vos lettres, puisque vous nous servez vous-mêmes de lettres de recommandation mais nous n'avons pas besoin non plus d'être recommandés auprès de vous, parce que nous vous aimons avec tendresse. C'est à des inconnus que l'on présente des lettres de recommandation ; mais vous, sans cesse vous êtes présents à notre pensée. Il ne dit pas simplement : « Vous êtes », mais « vous êtes inscrits» (2Co 3,2). C'est-à-dire, vous ne pouvez sortir de notre coeur. Tous ceux qui connaissent notre coeur, y lisent comme dans une lettre l'amour que nous vous portons.

602 2. Si par une lettre je reconnais que tel ou tel est mon ami, si en conséquence je traite avec lui familièrement, l'amour que vous me portez produit le même effet. Si donc nous nous rendons parmi vous, toute recommandation devient inutile, puisque votre affection nous en tient lieu; si nous nous dirigeons d'un autre côté, là encore nous pouvons nous passer de lettres : votre charité nous suffit bien; car nous portons une lettre dans nos coeurs. Il va plus loin, et les appelle une lettre du Christ : « Tout le monde sait », dit-il, « que vous êtes une lettre du Christ » (2Co 3,3). Il part de là pour examiner ce qui concerne la loi. — Ils sont, dit-il, d'une autre manière encore, la lettre de l'apôtre. Tout à l'heure ils lui servaient de lettre de recommandation; maintenant il les appelle la lettre du Christ, parce qu'ils ont la (43) loi de Dieu gravée dans leurs coeurs. Tout ce que Dieu a voulu vous faire connaître, à vous et aux autres, tout cela est gravé dans vos coeurs. Nous vous avons préparés à recevoir les lettres de cet enseignement divin. Moïse grava la Loi sur des tables de pierre; nous l'avons gravée dans vos âmes. C'est pourquoi l'apôtre dit : « Nous en avons été les secrétaires» (2Co 3,3). Jusque-là, point de différence : Les lois de Moïse avaient été écrites par Dieu lui-même; celle-ci est écrite par l'Esprit-Saint. En quoi diffèrent-elles donc? « Cette loi, ce n'est pas avec l'encre qu'elle a été écrite, mais par l'Esprit du Dieu vivant; il l'a écrite non sur des tables de pierre, mais sur des tables de chair qui sont vos coeurs (2Co 3,3) ». Autant il y a de différence entre l'Esprit-Saint et l'encre, entre des tables de pierre et des tables de chair, autant-il s'en trouve entre ces deux Lois elles-mêmes; et par conséquent entre les ministres de celle-ci et les ministres de celle-là.

Il vient encore de parler de lui-même avec éloge, et aussitôt il se reprend en ces termes: « Or nous avons confiance en Dieu par Jésus-Christ (2Co 3,4) ». C'est à Dieu qu'il renvoie toute la gloire : Le Christ, dit-il, est l'auteur de tous ces dons. — « Nous ne pouvons avoir aucune bonne pensée par nous-mêmes, comme venant de nous-mêmes (2Co 3,5) ». C'est une nouvelle précaution que prend l'apôtre. Car il possède au plus haut degré la vertu d'humilité: Aussi dès qu'il a rappelé quelqu'une de ses bonnes oeuvres, il s'empresse de s'en ôter le mérite. C'est ce qu'il fait ici. « Nous ne pouvons avoir aucune bonne pensée de nous-mêmes, comme venant de nous-mêmes ». Ce qu'il signifie par ces mots: « Nous avons confiance »; je n'ai pas voulu m'attribuer une chose, et une autre à Dieu; mais c'est à Dieu que j'attribue tout. « Toute notre puissance vient de Dieu qui a nous rendus capables d'être les ministres du Nouveau Testament (2Co 3,6) ». Que veulent dire ces paroles : « Qui nous a rendus capables? » c'est-à-dire, qui nous a donné la force et l'aptitude nécessaire pour remplir cette mission. N'est-ce pas une grande mission que celle d'apporter au monde des tables de lois, des lettres bien supérieures à la loi et aux lettres anciennes? Et c'est pourquoi l'apôtre ajoute: « Les ministres, non de la lettre, mais de l'Esprit » (2Co 3,6).

Voyez une autre différence. Et quoi donc? La Loi ancienne n'était-ce pas une Loi spirituelle? l'apôtre ne dit-il pas : « Nous savons que la Loi est spirituelle? » Oui, sans doute; mais elle ne donnait pas l'Esprit-Saint. Ce n'est pas l'Esprit que Moïse apporta aux Hébreux, mais la lettre de la Loi; pour nous, Dieu nous a chargés de donner l'Esprit-Saint. L'apôtre insiste sur ce point, et il ajoute : « La lettre tue, mais l'Esprit vivifie» (2Co 3,6). Ce n'est pas sans raison qu'il parle ainsi; il songe à ceux qui mettent leur orgueil dans les observances judaïques. Cette lettre dont il parle, c'est la loi de Moïse, qui châtie les pécheurs; l'Esprit, c'est la grâce du baptême qui rappelle à la vie ceux que le péché a fait mourir. Après avoir établi cette différence dans la nature des deux lois, il ne s'en tient pas là; il continue, et achève de la faire voir. Il compare les avantages et la facilité de l'une et de l'autre : c'est par là surtout qu'il s'emparera de ses auditeurs. La loi nouvelle, dit-il, n'offre aucune difficulté, et présente des avantages bien plus nombreux. Si en effet, quand il parle de Jésus-Christ, il rappelle plutôt ce qui est de nature à prouver sa miséricorde que ce qui montre notre propre mérite, bien que notre mérite se trouve joint à la miséricorde divine, à plus forte raison en agit-il de la sorte à propos de la Loi nouvelle. Que signifient donc ces paroles : « La lettre tue (2Co 3,6)? » Saint Paul avait parlé de tables de pierre et de coeurs de chair; mais la différence entre les deux Testaments n'était pas encore assez sensible. C'est pourquoi il ajoute que l'une est écrite avec de l'encre, l'autre par l'Esprit-Saint. Ce n'était pas encore assez pour encourager les Corinthiens. Ce qu'il ajoute est de nature à leur donner des ailes « La lettre tue », dit-il, « mais l'Esprit vivifie» (2Co 3,6).

603 3. Que veut-il dire encore? Sous la Loi, celui qui pèche, reçoit un châtiment; dans le Nouveau- Testament, le pécheur s'avance, reçoit le baptême, et il est justifié; une fois justifié, il vit : car il est soustrait à la mort du péché. La loi punit de mort celui qui est convaincu, d'homicide; la grâce au contraire l'éclaire et le vivifie. Que dis-je? un homicide? Ne suffisait-il pas de ramasser un peu de bois le jour du sabbat pour être lapidé? C'est pourquoi l'apôtre dit-: « La lettre tue » (2Co 3,6). Que d'homicides, que de voleurs la grâce n'a-t-elle pas accueillis ! une fois baptisés, ils ont été délivrés de leurs crimes. Ainsi donc : « l'Esprit vivifie » (2Co 3,6). La Loi surprend un homme dans le péché, elle le trouve vivant, elle lui donne la mort; la grâce vient trouver le coupable; il (44) est plongé dans la mort; elle lui rend la vie. « Venez, dit-elle, venez à moi; vous tous qui êtes fatigués et accablés sous le faix» ; et elle n'ajoute pas : je vous tourmenterai, mais, « je vous soulagerai ». (Mt 11,28) En effet le baptême ensevelit les péchés, fait disparaître le passé, donne la vie à l'homme, et imprime toute espèce de grâces dans son coeur, comme sur une table. Voyez donc, je vous prie, quelle est la dignité de l'Esprit-Saint; puisque les tables qu'il grave valent mieux que les anciennes, et puisqu'il produit une oeuvre meilleure que la résurrection. Car la mort dont il délivre est pire que la première; il y a entre ces deux morts la même différence qu'entre l'âme et le corps; car c'est la vie de l'âme que donne le Saint-Esprit. Or si l'Esprit-Saint peut donner une telle vie, à plus forte raison peut-il en donner une moindre. Les prophètes ont pu rendre la Vie du corps, mais ils n'ont pu rendre la vie à l'âme. Personne ne peut remettre les péchés, excepté Dieu: Et encore, cette vie temporelle, les prophètes ne pouvaient la rétablir sans le secours de l'Esprit-Saint.

Ce n'est pas seulement en ce qu'il vivifie, que l'Esprit-Saint est digne de notre admiration; mais aussi en ce qu'il communique à d'autres cette puissance. « Recevez le Saint-Esprit », dit le Sauveur. Pourquoi? Est-ce qu'il ne pouvait conférer ce pouvoir, sans nommer le Saint-Esprit? Assurément; mais Dieu se sert de ces paroles pour montrer que l'Esprit-Saint a en partage l'essence divine et la puissance suprême, et que sa dignité égale celle des autres personnes. Aussi Jésus-Christ ajoute-t-il : « Ceux dont vous remettrez les péchés, ils leur seront remis; ceux à qui vous les retiendrez, ils leur seront retenus ». (Jn 20,22) Puisque nous avons recouvré la vie, conservons-la toujours, et ne nous replongeons point dans la mort : « Car le Christ ne meurt plus » (Rm 6,10). Il est mort, mais une fois seulement, à cause de nos péchés, et il ne veut pas que nous soyons sans cesse ramenés au salut par la grâce. Autrement nous n'aurions aucun mérite; et c'est pourquoi il veut que nous fassions quelque chose de notre côté. Travaillons donc et efforçons-nous de maintenir notre âme dans la vie. Or qu'est-ce que la vie de l'âme? Vous pouvez en juger par celle du corps. On dit que le corps a de la vie, quand il s'avance d'un pas ferme et qui annonce la santé. Lorsqu'il tombe en défaillance; lorsqu'il se meut péniblement, mieux vaudrait pour lui la mort que ce reste de mouvement et de vie. Ou bien encore, s'il ne dit rien de sensé, si toutes ses paroles sont déraisonnables, si ses yeux le trompent, mieux vaudrait qu'il fût mort.

De même une âme qui se porte mal, a beau sembler vivante, elle est morte. Quand l'or lui paraît, non plus de l'or, mais quelque chose de grand et de précieux, quand elle ne se préoccupe plus de la vie future, quand elle rampe à terre, quand elle fait le contraire de ce qu'elle devra faire, elle est morte. Et d'où savons-nous que nous avons une âme? N'est-ce point par ses actes? Si donc elle cesse de remplir ses fonctions, elle est morte. Ainsi quand, loin de s'appliquer à la vertu, elle prend la bien d'autrui, elle se plonge dans le vice, comment pourrait-on dire qu'elle vit encore? Vous marchez, il est vrai; mais les animaux marchent aussi. Vous mangez et vous buvez; mais les animaux en font autant. Votre corps est debout, et il se soutient sur deux pieds. Cela me prouve que vous êtes un animal revêtu d'une forme humaine. En tout le reste vous ressemblez à l'animal; vous n'en différez qu'en ce que votre corps est droit; c'est là ce qui me trouble et m'épouvante : je crois avoir un monstre sous les yeux. Eh quoi! Si je voyais un animal qui parle à la manière des hommes, dirais-je que cet animal est homme? Non, je dirais que c'est un animal plus merveilleux que les autres. Comment croirais-je que vous avez une âme humaine, quand je vous vois lancer des ruades, comme les ânes; avoir de la rancune, comme les chameaux; vivre de rapines, comme les loups; mordre, comme les ours; voler, comme les renards; aussi fourbes et rusés que les serpents, aussi impudents que les chiens? Comment, dis-je, pourrais-je croire que vous avez une âme? Voulez-vous que je vous montre une âme plongée dans la mort, et une âme qui a la vie? Reportons-nous aux personnages de l'antiquité. Faisons paraître ce riche qui vivait au temps de Lazare, et nous comprendrons alors ce que c'est que la mort de l'âme. L'âme de ce riche était morte, et ses actions nous le montrent clairement. Elle ne faisait rien de ce que l'âme doit faire; elle mangeait, elle buvait, elle se livrait au plaisir.

604 4. Ils ressemblent a ce riche, ceux qui sont sans entrailles et sans pitié ; eux aussi, leur âme est plongée dans la mort. Elle a perdu (45) toute cette chaleur que produit l'amour du prochain; elle est plus morte qu'un cadavre. Voyez au contraire le pauvre Lazare ; il se retranche dans la citadelle de la Sagesse, et il brille de l'éclat le plus vif; la faim le dévore, il n'a pas même le nécessaire, et cependant, loin de blasphémer contre Dieu, il supporte ses maux avec courage. Voilà l'énergie de l'âme; voilà le signe de la force et de la santé. Quand cela manque, n'est-il pas évident que l'âme est morte? N'est-elle pas morte, cette âme que le diable envahit; qu'il frappe, qu'il perce, qu'il dévore, sans qu'elle sente aucune douleur, sans qu'elle se plaigne, lors même qu'on lui enlève ses forces? Le démon s'élance sur elle, elle demeure immobile, elle reste insensible comme un cadavre. Voilà ce qu'elle est nécessairement, dès qu'elle a perdu la crainte de Dieu, dès qu'elle s'est laissée aller à la négligence : son état est plus déplorable que celui des morts. Elle ne se corrompt point sans doute, elle ne tombe pas en poussière comme le corps, mais elle se plonge dans l'ivrognerie, dans l’avarice, dans de coupables amours, dans les passions les plus funestes. Quoi de plus horrible?

Si vous voulez voir tout ce qu'il y a d'affreux dans cet état, donnez-moi une âme pure, et alors vous pourrez voir clairement combien est hideuse une âme impure. Non, maintenant vous ne pouvez pas vous en faire une idée exacte; car, tant que nous sommes habitués à une mauvaise odeur, mous ne sentons pas tout ce qu'elle a de détestable. C'est après nous être nourris de paroles spirituelles, que nous reconnaissons toute l'étendue du mal, lors même que plusieurs le voient avec indifférence. Je ne parle pas encore de l'enfer. Mais, si vous le voulez, bornons-nous à la vie présente, ne parlons pas même de celui qui commet de honteuses actions, considérons seulement celui qui tient de honteux discours; voyez combien il est ridicule, comme il s'outrage lui-même, semblable à cet homme dont la bouche vomit l'ordure et qui ainsi souille ses propres vêtements. Si ce qui jaillit de sa bouche est impur, quelle n'est pas l'infection de la source elle-même? « La bouche parle de l'abondance du coeur ». (
Mt 12,34) Ce que je déplore, ce n'est pas seulement ce mot en lui-même, mais c'est l'indifférence de tant de chrétiens qui n'en aperçoivent point la turpitude. Voilà ce qui multiplie le mal outre mesure; c'est que l'on pèche, sans se douter que l'on souille sa conscience.

Voulez-vous donc savoir quel est le crime de ceux qui tiennent des discours honteux? Voyez rougir de vos propos obscènes ceux qui les entendent. Quoi de plus vil, quoi de plus méprisable qu'un homme tenant de mauvais discours? Il se met lui-même au rang des histrions et des femmes de mauvaise vie. Que dis-je ? Ils ont plus de pudeur que vous; comment pouvez-vous former votre épouse à la sagesse, quand par vos discours vous l'excitez à la débauche? Mieux vaudrait vomir du pus que prononcer un mot obscène. Si votre bouche sent mauvais, on ne vous admettra pas à un festin; et quand votre âme exhale une odeur si infecte, vous osez participer aux sacrés mystères ! Si quelqu'un venait placer sur votre table un vase infect, vous prendriez un bâton pour le chasser. Dieu est présent sur cette table qu'il a tonnée, (car sa table, c'est notre bouche toute remplie de grâces,) et vous proférez des paroles plus impures que le vase le plus infect, et vous ne craignez pas de l'irriter ! Comment ne s'indignerait-il pas? lui qui est la sainteté, la pureté même; rien ne l'irrite autant que de telles paroles. Rien non plus ne donne autant d'impudence et de témérité que ces paroles proférées ou entendues. Rien ne rompt les nerfs de la pudeur autant que la flamme allumée par ces discours. Dieu a déposé un parfum sur vos lèvres; vous lui substituez des paroles plus fétides qu'un cadavre; vous tuez votre âme, vous la frappez d'immobilité.

Quand vous injuriez quelqu'un, c'est le fait, non de votre âme, mais de la colère ; quand vous prononcez des mots obscènes, ce n'est point votre âme qui parle, c'est la passion ; si vous commettez des médisances, elles ont l'envie pour principe ; si vous dressez des embûches, ce n'est point votre âme qui agit, c'est l'ambition. Rien de tout cela n'est son oeuvre, c'est l'oeuvre des passions et des maladies qu'elle renferme. De même que la corruption n'est point l'oeuvre du corps, mais bien de la mort et de la souffrance qui agissent sur le corps, de même aussi ces désordres résultent des passions qui sont dans l'âme. Si vous voulez entendre la voix d'une âme vivante, écoutez saint Paul, quand il dit : « Pourvu que nous ayons des aliments et de quoi nous vêtir, nous sommes contents » ; et encore : « La piété est un gain considérable ». () (46) Et ensuite : « Le monde est crucifié pour moi, et moi, pour le monde ». (Ga 6,14) Ecoutez saint Pierre : « Je n'ai ni or ni argent; mais ce que j'ai, je te le donne ». (Ac 3,6) Ecoutez Job rendant grâces et disant : « Le Seigneur m'a donné, le Seigneur m'a ôté ». (Jb 1,21) Voilà le langage d'une âme pleine de vie, d'une âme qui déploie sa vigueur. Ainsi Jacob disait à son tour: « Je ne demande à Dieu que du pain pour me nourrir, et des habits pour me couvrir ». (Gn 28,20) Et Joseph : « Comment me rendrais-je à tes séductions et ferais-je le mal en présence du Seigneur ? » (Gn 39,9) Ce n'est pas ainsi que parlait l'Egyptienne; mais enivrée de passions, et comme au délire, elle disait: « Viens dormir avec moi ». Maintenant que nous sommes instruits, imitons les âmes vivantes, fuyons cette âme plongée dans la mort, afin d'obtenir un jour la vie éternelle. Puissions-nous tous y parvenir par la grâce et la miséricorde de Notre-Seigneur Jésus-Christ, avec qui soit au Père, en même temps qu'au Saint-Esprit, gloire, puissance, honneur, maintenant et toujours, et dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.



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HOMÉLIE VII. SI CETTE DISPENSATION DE LA MORT GRAVÉE AVEC DES LETTRES SUR DES TABLES DE PIERRE, SE FIT AVEC TANT D'ÉCLAT,


Chrysostome sur 2Co 500