Chrysostome sur 2Tm 300

HOMÉLIE 3: 2Tm 1,12-14 - JE RENDS GRACES A CELUI QUI M'A FORTIFIÉ, AU CHRIST JÉSUS NOTRE-SEIGNEUR,

300 DE CE QU'IL M'A ESTIMÉ FIDÈLE, ME PLAÇANT A SON SERVICE, MOI QUI AUPARAVANT ÉTAIS BLASPHÉMATEUR, PERSÉCUTEUR ET COUPABLE D'OUTRAGES ; MAIS IL M'A FAIT MISÉRICORDE, PARCE QUE J'AI AGI PAR IGNORANCE DANS L'INCRÉDULITÉ; ET LA GRACE DE NOTRE-SEIGNEUR A SURABONDÉ AVEC LA FOI ET LA CHARITÉ QUI EST EN JÉSUS-CHRIST. (2Tm 1,12-14)

Analyse.

1. Admirable humilité de saint Paul.
2. S'il avait persécuté l'Eglise naissante, il l'avait fait par ignorance et par zèle, et non par amour de la domination.
3 et 4. Que l'amour de Dieu dirige notre vie. — Rendons le bien pour le mal.

301 1. Nous savons que l'humilité procure de grands avantages, mais nulle part on n'y arrive aisément; nous trouvons bien et plus qu'il ne faut l'humilité des paroles, nulle part la vraie humilité. Mais le bienheureux Paul l'a pratiquée avec un grand zèle, et il se représentait toutes les raisons d'humilier son esprit. En effet, comme il est naturel que l'humilité soit difficile pour ceux qui ont conscience de leurs grands progrès dans le bien ; saint Paul devait souffrir une grande violence, car le bien dont il avait conscience produisait comme un gonflement dans son coeur. Considérez donc ce qu'il fait. Il vient de dire que l'Evangile de la gloire de Dieu lui a été confié, Evangile auquel ne peuvent avoir part ceux qui suivent encore la loi; car il y a incompatibilité, et l'intervalle est si grand que ceux qui se laissent entraîner par la loi, ne sont pas encore dignes d'avoir part à l'Evangile ; ainsi dirait-on que ceux à qui il faut des chaînes et des tribunaux ne peuvent être admis au nombre des philosophes. Après donc qu'il s'est exalté et a dit de lui-même cette grande parole, il se rabaisse aussitôt et engage les autres à faire de même. A peine a-t-il écrit que l'Evangile lui a été confié, qu'il se hâte d'ajouter un correctif, afin que vous ne pensiez point qu'il a parlé par orgueil. Voyez donc comme il corrige son discours en ajoutant ces mots : « Je rends grâces à celui qui m'a fortifié, au Christ Jésus Notre-Seigneur, de ce qu'il m'a estimé fidèle, me plaçant à son service ».

Voyez-vous comment il cache partout sa vertu et rapporte tout à Dieu, sachant toutefois réserver son libre arbitre? En effet, un infidèle dirait peut-être : Si tout est de Dieu, si nous ne contribuons à rien, s'il vous transporte comme du bois et des pierres, du vice à la sagesse, pourquoi en a-t-il agi ainsi envers Paul et non envers Judas? Voyez comment, pour détruire cette objection, il use de paroles prudentes : L'Evangile m'a été confié, dit-il, C'est là son avantage et sa dignité; mais elle ne lui appartient pas pleinement, car voyez ce qu'il dit : « Je rends grâces à celui qui m'a « fortifié, à Jésus-Christ n. Voilà ce qui appartient à Dieu; voici maintenant ce qui lui appartient à lui-même : « Parce qu'il m'a estimé fidèle » ; c'est-à-dire estimé devoir faire bon usage de ses propres facultés. « Me prenant », dit-il, « à son service, moi qui auparavant étais blasphémateur, persécuteur et coupable d'outrages ; mais il m'a fait miséricorde, parce que j'ai agi par ignorance dans l'incrédulité». Voyez comment il expose ce qui lui appartient et ce qui appartient à Dieu, attribuant la plus grande part à la Providence divine, et resserrant la sienne, mais toutefois, comme j'ai eu hâte de le dire, sans porter atteinte au libre arbitre. Et pourquoi ces mots : M'a fortifié? L'apôtre avait reçu un lourd fardeau et avait besoin d'une grande assistance d'en-haut. Songez en effet ce que c'était que d'avoir à soutenir chaque jour les outrages, les insultes, les embûches, les périls, les railleries, les injures, le danger de mort; et cela sans faiblir, sans glisser' dans la voie, sans retourner en arrière mais, en butte à mille traits chaque jour, conserver un regard fixe et intrépide, cela n'est point;?au pouvoir des forces humaines, et même ne demande pas l'assistance ordinaire de Dieu, mais une vocation spéciale. C'est parce que Dieu avait prévu ce que serait Paul, qu'il l'a choisi; écoutez ce qu'il dit avant que Paul commence à prêcher l'Evangile : « Celui-(284)ci est pour moi un vase d'élection, qui doit porter mon nom en présence des nations et des rois ». (
Ac 9,15) De même que ceux qui portent à la guerre le drapeau du souverain, le labarum, ont besoin de force et d'expérience, pour ne pas le laisser tomber aux mains de l'ennemi ; de même ceux qui portent le nom du Christ, non-seulement durant la guerre, mais aussi en pleine paix, ont besoin d'une grande force pour ne pas le trahir devant les bouches qui l'accusent, mais pour le soutenir noblement et porter la croix. Oui, il faut une grande force pour soutenir le nom du Christ. Celui qui se permet dans ses paroles, ses actions ou sa pensée quelque chose d'indigne, ne le soutient pas et n'a pas le Christ en lui. Celui qui en est chargé, doit le porter avec honneur, non à travers une place publique, mais à travers les cieux; et c'est avec tremblement que tous les anges l'escortent et l'admirent.

« Je rends grâces », dit l'apôtre, « à celui qui m'a fortifié, au Christ Jésus Notre-Seigneur». Vous le voyez, il témoigne sa reconnaissance. C'est de ce qu'il est un vase d'élection, qu'il témoigne sa reconnaissance envers Dieu. Ce titre vous appartient, ô bienheureux Paul, car Dieu ne fait point acception des personnes. C'est comme s'il disait : Je rends grâces de ce que Dieu m'a honoré de cette fonction, qui montre qu'il m'estime fidèle. Car de même que, dans une maison, l'intendant ne remercie pas seulement son maître d'avoir eu confiance en fui, mais voit dans sa charge un témoignage qu'il a en lui plus de confiance que dans les autres; de même en est-il du ministère apostolique.

Considérez ensuite comment il exalte la miséricorde et la bonté de Dieu, en parlant de sa vie antérieur: « Moi », dit-il, « qui auparavant étais blasphémateur, persécuteur et coupable d'outrages ». Lorsqu'il parle des juifs encore incrédules, son langage est fort réservé: « Je leur rends témoignage », dit-il, « qu'ils ont du zèle pour Dieu, mais un zèle qui n'est pas selon la science ». (Rm 10,2) S'il parle de lui-même, au contraire, il se donne les noms de blasphémateur et de persécuteur. Voyez comme il s'abaissé, comme il est éloigné de l'amour-propre, combien il tient sa pensée dans l'humilité. Il ne lui a pas suffi de dire « blasphémateur », il ajouté « persécuteur » ; il insiste. Il dit en effet qu'il ne se bornait pas à faire lui-même le mal, qu'il ne se contentait pas de blasphémer, mais qu'il persécutait ceux qui voulaient suivre la voie de la religion ; car la fureur du blasphème va bien loin. « Mais », ajoute-t-il, « Dieu m'a fait miséricorde, parce que j'ai agi « par ignorance dans l'incrédulité ».

302 2. Et pourquoi n'a-t-il pas fait miséricorde au reste des juifs? Parce qu'ils n'ont pas péché par ignorance, mais qu'ils avaient conscience et pleine connaissance du mal qu'ils taisaient. Et, pour le bien comprendre, écoutez l'évangéliste qui nous dit : « Plusieurs d'entre les principaux juifs croyaient en lui, mais n'en convenaient pas; car ils aimaient mieux la gloire qui vient des hommes, que celle qui vient de Dieu ». (Jn 12,42) Et le Christ; « Comment pouvez-vous croire, vous qui recherchez la gloire, que vous vous donnez les uns aux autres? » (Jn 5,44) Et encorde passage où il est dit que les parents de l'aveugle parlèrent ainsi à cause des juifs, dans la crainte d'être chassés de la synagogue. (Jn 9,22) Et les Juifs disaient : Voyez-vous que nous ne gagnons rien ? car tout le monde va après lui. Partout, en effet, la passion de dominer les troublait. Et eux-mêmes dirent que « personne n'a le pouvoir de remettre les péchés, si ce n'est Dieu seul ». (Lc 5,21) Et aussitôt Jésus fit ce qu'ils disaient être le signe de Dieu. Ce n'était donc pas chez eux cause d'ignorance. Où était alors Paul ? dira-t-on peut-être. Il était assis aux pieds de Gamaliel, n'ayant rien de commun avec cette foule séditieuse. Et où était Gamaliel ? C'était un homme qui ne faisait rien par amour de la domination. Comment donc, après cela, Paul se trouve-t-il avec la foule? Il voyait le nombre des croyants s'augmenter, prendre le dessus et tout le peuple se laisser gagner. Les uns s'étaient réunis au Christ pendant qu'il était sur la terre, d'autres à ses disciples; enfin il se faisait une grande division parmi les Juifs. Et ce qu'il fit alors, il le fit, non par amour de la domination, comme les autres, mais par zèle. Car pourquoi se rendait-il à Damas ? Il regardait ce qui se passait comme un mal, et craignait que la prédication ne se répandît partout. Mais il n'en était pas ainsi des autres. Ce n'était pas par un soin tutélaire pour la foule, mais par amour de la domination qu'ils agissaient. Voyez ce qu'ils disent : « Les Romains détruisent notre nation et notre ville ». (Jn 11,48) C'était donc une crainte humaine qui les agitait.

285

Mais il est important d'examiner comment Paul, disciple si exact de la loi, ne connaissait pas cet Evangile qu'il a dit avoir été annoncé d'avance parle ministère des prophètes. (Rm 1,2) Comment ne le savait-il pas, lui zélateur de la loi de ses pères, instruit aux pieds de Gamaliel? D'autres, vivant sur les lacs, sur les fleuves, dans les bureaux des publicains, accouraient à Jésus et accueillaient sa parole, et vous, savant dans la loi, vous la persécutiez. C'est pour cela qu'il se condamne en disant : « Je ne suis pas digne d'être appelé apôtre ». (1Co 15,9) Il reconnaît ainsi en lui une ignorance engendrée par l'incrédulité; c'est pour cela qu'il dit avoir été l'objet de la miséricorde. Que veut donc dire : « M'a estimé fidèle? » C'est qu'il n'a trahi aucun des commandements qu'il a reçus ; il a tout rapporté au souverain Maître, même ses actions, et ne s'est point approprié la gloire de Dieu. Ecoutez en effet ce qu'il dit ailleurs : « Que faites-vous a là? Nous sommes des hommes et dans la « même condition que vous » (Ac 14,14) ; c'est ainsi qu'il entend ces mots : Il m'a estimé fidèle. En effet il dit ailleurs : « J'ai enduré plus de fatigues qu'eux tous, non pas moi mais la grâce de Dieu avec moi ». (1Co 15,10) Et dans un autre endroit : « C'est Dieu qui opère en nous le vouloir et le faire ». (Ph 2,13) Il s'avoue digne de châtiment. Mais la miséricorde intervient en ces circonstances. Et ailleurs encore : « L'aveuglement s'est répandu sur une partie d'Israël ». (Rm 11,25)

« Mais», dit-il à Timothée, « la grâce de Dieu a surabondé avec la foi et la charité, qui est en Jésus-Christ ». (1, 14.) Pourquoi parle-t-il ainsi ? Afin que vous ne pensiez pas qu'il lui a seulement « été fait miséricorde ». J'étais, dit l'apôtre, blasphémateur, persécuteur, coupable d'outrages; et par conséquent digne de châtiment. Je n'ai pas été puni, car il m'a été fait miséricorde. Mais ne s'est-elle étendue qu'à le sauver du châtiment ? Non certes Dieu y a ajouté de nombreux et immenses bienfaits. Dieu ne nous a pas seulement sauvés du châtiment suspendu sur nos têtes, mais il nous a faits justes, ses enfants, ses frères, ses amis, ses héritiers, cohéritiers de Jésus-Christ. C'est pour cela que l'apôtre dit : La grâce a surabondé; car la mesure de ses bienfaits a dépassé le niveau de la simple miséricorde. Ce n'est plus l'acte de la miséricorde, mais de l'amour et d'une extrême tendresse. L'apôtre en exaltant la bonté de Dieu qui lui a fait miséricorde, à lui blasphémateur, persécuteur et coupable d'outrages, et qui ne s'en est pas tenu là, mais a daigné lui accorder de grands bienfaits, écarte encore l'objection des incrédules, en se gardant de laisser soupçonner la suppression du libre arbitre, car il ajoute : « Avec la foi et la charité eu Jésus-Christ ». Tout ce que nous avons apporté, dit-il, c'est que nous avons cru qu'il peut nous sauver.

303 3. Aimons donc Dieu par le Christ. Mais que veulent dire ces mots : « Par le Christ? » Ils veulent dire que c'est à lui-même et non à la loi que nous devons notre salut. Voyez-vous de quels biens le Christ a été pour nous l'auteur et ce que nous devons à la loi ? L'apôtre n'a pas dit seulement que la grâce a abondé, mais qu'elle a surabondé. Oui, elle a surabondé, quand d'hommes qui méritaient mille châtiments, elle a fait tout à coup des enfants d'adoption. Dans le Christ, c'est par le Christ. Voici encore une fois « dans » mis pour « par ». Il n'est pas seulement besoin de foi, mais d'amour. Car aujourd'hui encore il en est beaucoup qui croient que le Christ est Dieu, mais qui ne l'aiment pas et n'agissent point comme des personnes qui aiment; et comment l'aimeraient-ils, quand ils lui préfèrent toutes choses, les richesses, la naissance, le fatalisme, les superstitions, les présages, les augures? Quand nous ne vivons que pour outrager le Christ, dites-moi, comment l'aimerions-nous ? Si quelqu'un a un ami chaleureux et plein d'ardeur, qu'il ait au moins pour le Christ, le même amour; qu'il ait le même amour pour Dieu, qui a livré son Fils pour ses ennemis, pour nous qui n'avons rien fait pour le mériter. Que dis-je, qui n'avons rien fait? Je devrais dire pour nous qui avons commis des crimes d'une audace inconcevable, sans motif, après d'innombrables bienfaits, d'innombrables marques d'amour; et il ne nous a pas pour cela rejetés, mais c'est au moment où nous étions le plus avant dans l'iniquité, qu'il nous a donné son Fils. Et nous, après un bienfait si grand, après être devenus ses amis, après que, par le Christ, nous avons été comblés de biens si grands, nous ne l'aimons pas comme nous aimons un ami. Et quelle sera notre espérance ? Frémissez à cette parole, et plaise à Dieu que ce frémissement vous soit salutaire !

286

Et quoi, me dira-t-on, nous n'aimons pas même le Christ comme nos amis? Je vais essayer de vous le faire voir; je voudrais que mes paroles fussent des folies et non la vérité, mais je crains de rester encore au-dessous d'elle. Pour de véritables amis, souvent plusieurs ont volontairement souffert; pour le Christ, nul ne consent, je ne dis pas à souffrir, mais àse contenter de sa fortune présente. Pour un ami, souvent nous nous exposons à l'injure, nous acceptons des inimitiés; pour le Christ, nul n'en accepte; mais,. comme dit le proverbe Fais-toi aimer à l'aventure et non haïr à l'aventure. Nous ne voyons pas d'un ceil indifférent notre ami souffrir de la faim; chaque jour le Christ vient nous demander non de grands sacrifices, mais un morceau de pain et nous ne l'accueillons pas, tandis que nous remplissons et gonflons notre ventre jusqu'à un ignoble excès, que notre haleine est infectée de vin, que nous vivons dans la mollesse, que nous prodiguons nos biens les uns à des créatures sans pudeur, les autres à des parasites, ou à des flatteurs, ou encore à des monstres, à des fous, à des nains, car on se fait un amusement des disgrâces de la nature. Jamais nous ne portons envie à nos véritables amis, et nous ne souffrons point de leurs succès; mais envers le Christ, nous éprouvons ce sentiment; on voit donc que l'amitié a sur nous une plus grande puissance que la crainte de Dieu. L'homme perfide et envieux a moins de respect pour Dieu que pour les hommes. Comment cela? C'est que la pensée de Dieu voyant au fond des coeurs, ne le détourne pas de ses machinations, mais s'il est aperçu d'un de ses semblables, il est perdu, il est saisi de honte, il rougit. Que dirai-je encore ? Nous allons trouver un ami dans le malheur, et, si nous différons quelque peu, nous craignons d'être blâmés ; et quand, tant de fois, le Christ est mort dans la captivité, nous n'y avons pas pris garde. Nous allons vers nos amis qui sont au nombre des fidèles, non parce qu'ils sont fidèles, mais parce qu'ils sont nos amis.

304 4. Vous le voyez, nous ne faisons rien parla crainte de Dieu, ni par amour pour lui, mais nous agissons par amitié ou par coutume. Quand un ami est absent, nous pleurons, nous gémissons; si nous le voyons mort, nous nous lamentons, bien que nous sachions que ce n'est point une séparation éternelle; mais quand le Christ est éloigné de nous chaque jour, ou

plutôt quand chaque jour nous l'éloignons d nous, nous n'en éprouvons aucune douleur et nous ne pensons pas être malheureux quand nous commettons l'injustice, quand nous ! contristons, quand nous l'irritons, quand noue faisons ce qui lui déplaît. Mais nous ne non contentons point de ne pas le traiter en ami; je vais vous montrer que nous le traitons en ennemi. Comment cela? C'est que « la prudence de la chair, dit l'Écriture, est ennemie de Dieu ». (
Rm 8,7) Or nous nous tenons attachés à cette prudence, et nous persécutons le Christ qui veut accourir à nous; car tel est l'effet des actions mauvaises; nous nous rendons chaque jour coupables des outrages qu'il subit par notre cupidité et nos rapines. Un homme jouit d'une éclatante renommée, parce qu'il célèbre la gloire du Christ et qu'il sert les intérêts de l'Église; eh bien ! nous lui portons envie, parce qu'il fait l'oeuvre de Dieu; nous paraissons ne porter envie qu'à lui, mais elle remonte jusqu'à Dieu lui-même. Nous ne voulons pas que le bien se fasse par d'autres que par nous; qu'il se fasse pour le Christ, mais pour nous; car, si nous le désirions en vue du Christ, il nous serait indifférent qu'il s'opérât par d'autres mains ou par les nôtres.

Car, dites-moi : si un médecin a un enfant menacé de devenir aveugle, et qu'étant lui-même impuissant à le guérir il en trouve un autre capable de le faire, l'écartera-t-il d'auprès de son fils? Non certes, mais il sera prêt à lui dire : Par vous ou par moi, que mon enfant soit guéri. Pourquoi ? Parce que ce n'est pas son intérêt qu'il a en vue, mais celui de son fils. De même aussi nous dirions, si nous considérions la cause du Christ : Par nous ou par un autre, que ce qui est expédient s'opère ; et, comme dit l'apôtre, « par vérité ou par occasion, que le Christ soit annoncé ». (Ph 1,18) Écoutez ce que dit Moïse, quand on voulut exciter sa colère, parce que Eldad et Moad prophétisaient : « N'ayez point de jalousie à mon sujet; qui me donnera de voir tout le peuple du Seigneur devenir prophète ? » (Nb 11,29) Tout cela vient de l'amour de la renommée. N'est-ce pas là la conduite d'ennemis, d'ennemis déclarés? Quelqu'un vous a- t-il mal parlé? Faites-lui bon accueil. Est-ce possible ? Oui, si vous le voulez. Quel mérite avez-vous, si vous aimez celui qui n'a pour vous que de bonnes (287) paroles? Car vous ne le faites pas pour le Seigneur, mais pour votre renommée. Quelqu'un vous a-t-il fait tort? Faites-lui du bien; car si vous rendez service à ceux qui vous en rendent, vous n'avez rien fait de grand. Avez-vous subi une grande injustice, une grande offense ? Efforcez-vous de rendre le bien pour le mal. Oui, je vous en conjure, agissons ainsi de notre côté; cessons d'offenser et de haïr nos ennemis. Dieu nous ordonne d'aimer nos ennemis, et nous persécutons le Dieu d'amour. Qu'il n'en soit point ainsi. Nous en convenons tous de bouche, mais non tous par nos actions. Telles sont les ténèbres du péché, que ce que nous n'oserions dire, nous l'osons faire. Tirons notre salut de ceux qui nous font tort et outrage, afin d'obtenir ce qui appartient aux amis de Dieu. « Je veux », dit Jésus, « que là où je suis, là soient aussi mes disciples, afin qu'ils voient ma gloire » (Jn 17,24); gloire à laquelle je souhaite que nous arrivions tous en Jésus-Christ Notre-Seigneur, avec qui soit au Père et au Saint-Esprit, gloire, à présent et toujours, et aux siècles des siècles. Ainsi soit-il.



HOMÉLIE 4: 2Tm 2,1-7 - FORTIFIEZ-VOUS DONC, O MON FILS, PAR LA GRACE QUI EST EN JÉSUS-CHRIST ;

400 ET LES CHOSES QUE VOUS AVEZ APPRISES DE MOI, AVEC DE NOMBREUX TÉMOINS, CONFIEZ-LES AUX HOMMES FIDÈLES QUI SERONT CAPABLES D'EN INSTRUIRE D'AUTRES. POUR VOUS, SOUFFREZ COMME UN BON SOLDAT DE JÉSUS-CHRIST, CELUI- QUI EST ENROLÉ DANS LA MILICE NE S'EMBARRASSE POINT DANS LES AFFAIRES SÉCULIÈRES POUR NE S'OCCUPER QU'A PLAIRE A SON GÉNÉRAL. CELUI QUI COMBAT AUX JEUX, N'EST COURONNÉ QUE SIL COMBAT SUIVANT LA LOI. LE LABOUREUR QUI TRAVAILLE DOIT LE PREMIER AVOIR PART A LA RÉCOLTE DES FRUITS. COMPRENEZ BIEN CE QUE JE VOUS DIS, QUE LE SEIGNEUR VOUS DONNE L'INTELLIGENCE EN TOUTES CHOSES. (2Tm 2,1-7)

Analyse

1. Garder le dépôt précieux de la foi. — Comparaisons du soldat, de l'athlète, du laboureur.
2. La parole de Dieu n'est pas enchaînée.
3 et 4. Sur la terre ne se trouvent ni la vraie gloire ni les vrais biens. — Parallèle de saint Paul avec Néron.

401 1 Une chose qui donne beaucoup de Confiance dans la tempête à un disciple, c'est que son maître ait fait naufrage et se soit sauvé du péril. Il comprendra désormais que les orages n'arrivent point par le fait de son ignorance, mais par la nature même des choses;- ce qui est très-important pour savoir se conduire dans ces rencontres. A la guerre, l'officier d'un rang inférieur s'encourage aussi à la vue de son général qui, après avoir été blessé, reprend ses forces avec le commandement. De même c'était une consolation pour les fidèles de voir l'apôtre souffrir tant de maux sans en être aucunement ébranlé; autrement il n'aurait pas ainsi raconté ses souffrances. Timothée, en apprenant que celui qui avait tant de pouvoir et qui avait conquis le monde, était. dans les fers et dans la tribulation, et qu'il ne s'aigrissait ni ne s'indignait point même lorsque les siens l'abandonnaient, Timothée aurait beau souffrir lui-même des maux semblables, il ne pourrait plus les attribuer à la faiblesse humaine ni à son propre état de disciple, et à son infériorité à l'égard de saint Paul; puisque son maître y était lui-même sujet, il devait nécessairement croire qu'ils étaient inhérents à la nature des choses. D'ailleurs l'apôtre agissait de la sorte et racontait ses souffrances pour affermir son disciple et relever son courage. Aussi après avoir raconté ses tribulations et ses épreuves, il conclut en disant: «Vous donc, mon fils, fortifiez-vous dans la grâce de Notre-Seigneur Jésus-Christ ». Que dites-vous, saint apôtre? Vous nous avez fait trembler de crainte, vous nous avez dit que vous étiez dans les fers et dans la tribulation, et que tous se sont détournés de vous ; et comme si vous aviez dit au contraire que vous n'avez point souffert, que personne ne vous a délaissé, vous concluez : « Vous donc, mon fils, fortifiez-vous » ; est-ce conséquent? Certainement, car ces épreuves de l'apôtre sont de nature à fortifier son disciple plus encore que l'apôtre même. Si je souffre ces choses, pourrait dire saint Paul, à plus forte raison devez. vous les souffrir. Le maître les souffre, et le disciple en serait exempt ? Et cet encouragement, il le lui donne avec beaucoup de tendresse, en l'appelant fils et même «mon fils ». Si vous êtes mon fils, imitez donc votre père; (367) si vous êtes mon fils, laissez-vous fortifier par mes paroles, ou plutôt non pas tant par mes paroles que par la grâce de Dieu. « Fortifiez-vous dans la grâce qui est en Notre-Seigneur Jésus-Christ » ; c'est-à-dire par la grâce de Notre-Seigneur Jésus-Christ. C'est-à-dire encore, tenez ferme, vous savez quel combat vous êtes destiné à soutenir. Lorsqu'il dit ailleurs : « Nous n'avons pas à lutter contre la chair et le sang» (Ep 6,12), il ne parle pas de la sorte pour abattre, mais pour relever le courage des fidèles. Donc, soyez sobre, veut-il dire, veillez, ayez la grâce du Seigneur pour auxiliaire dans vos combats; avec beaucoup de zèle et de bonne volonté faites ce qui dépend de vous.

« Et ce que vous avez appris de moi avec de nombreux témoins, confiez-le à des hommes fidèles ». — « Fidèles » et non pas questionneurs et raisonneurs. Qu'est-ce à dire encore « fidèles? » C'est-à-dire à ceux qui ne trahiront pas la prédication. « Ce que vous avez appris, entendu, et non ce que vous avez trouvé par vos propres recherches ». — « Car la foi vient par l'audition, et l'audition par la parole de Dieu ». (Rm 10,17) Qu'est-ce à dire, avec de nombreux témoins? C'est comme s'il disait : Ces enseignements, vous ne les avez pas reçus secrètement ni en cachette, mais en présence de beaucoup de monde et par une franche prédication. Il ne dit pas: dites-le, mais « confiez-le » comme un trésor que l'on ne confie et dépose qu'avec soin. Voilà encore de quoi inspirer des craintes à Timothée. Ce n'est pas à des fidèles seulement qu'il recommande de confier l'enseignement. Que servirait en effet d'être fidèle si l'on ne pouvait transmettre la foi à d'autres, si, content de ne pas trahir la foi, on ne savait pas faire d'autres fidèles. Il faut donc deux conditions pour former un docteur : qu'il soit fidèle et capable d'enseigner. Voilà pourquoi saint Paul ajoute : « Qui seront capables d'en instruire d'autres ».

« Pour vous, souffrez comme un bon soldat de Jésus-Christ ». Quelle grande dignité que celle de soldat de Jésus-Christ ! Considérez les rois de la terre, et voyez quelle estime font d'eux-mêmes ceux qui les servent. Il est d'un soldat du grand Roi de souffrir ; qui ne souffre pas n'est point soldat. Donc, pas d'impatience si vous souffrez, un soldat doit souffrir sans se plaindre, il devrait même se plaindre de ne pas souffrir.

« Celui qui est enrôlé dans 1a milice, ne s'embarrasse point dans les affaires séculières pour ne s'occuper qu'à plaire à son général. Celui qui combat aux jeux n'est couronné que s'il a combattu suivant la loi ». Qu'est-ce à dire: « S'il n'a combattu suivant la loi? » Ce n'est pas assez d'entrer dans l'arène, de se frotter d'huile, d'en venir aux mains, il faut encore garder toute la loi des athlètes, le régime alimentaire, la tempérance et la continence, le règlement de la palestre, il faut en un mot observer tout ce qui est recommandé aux athlètes; la couronne est à ce prix. Et voyez la sagesse de saint Paul. Il a parlé d'athlètes et de soldats pour faire songer d'une part à la mort violente et au sang versé dans les persécutions, et d'autre part pour montrer la nécessite d'être fort, de tout supporter avec courage et de ne jamais cesser de s'exercer.

« Le laboureur qui travaille doit le premier avoir part à la récolte des fruits ». Il avait cité l'exemple du Seigneur, le sien propre; maintenant il tire ses comparaisons de l'ordre commun, des athlètes, des soldats; il indique pour récompense au soldat de plaire à son général, à l'athlète, d'être couronné. Voici encore un troisième exemple qui lui convient à lui surtout. Celui du soldat et celui de l'athlète convenaient aux simples fidèles, mais celui du laboureur convient particulièrement au docteur. Ne soyez pas seulement tel que le soldat, tel que l'athlète, mais encore tel que le laboureur. Le laboureur n'a pas soin seulement de lui-même, mais encore des fruits de la terre. Aussi reçoit-il une large récompense.

402 2. Par cet exemple tiré de la vie commune, il montre la souveraine indépendance de Dieu qui ne manque de rien, et la distribution libérale de l'enseignement qu'il fait porter à tous. De même, veut-il dire, que le laboureur ne travaille pas pour rien, mais qu'il jouit avant tous les autres de la peine qu'il a prise, ainsi doit-il en être du docteur. Tel est le sens, à moins qu'il ne veuille parler de l'honneur que l'on doit au docteur, mais cela n'est pas probable, car alors pourquoi n'a-t-il pas mis simplement: le laboureur, mais le laboureur qui travaille, qui fatigue? Il parle aussi de la sorte afin de prévenir l'impatience que pourrait causer le retard de la récompense, comme s'il disait : Vous récoltez déjà, et la récompense est déjà dans le travail lui-même. Après ces exemples du soldat, de l'athlète, du laboureur, après ces paroles (368) énigmatiques : « Personne n'est couronné, s'il n'a légitimement combattu », et: «Le laboureur qui travaille doit le premier avoir part à la récolte des fruits »; il ajoute: «Comprenez ce que je dis. Que le Seigneur vous donne, l'intelligence en toutes choses » Cette forme sentencieuse est amenée par les précédents exemples. Ensuite il témoigne sa tendresse à Timothée en ne cessant pas de faire des souhaits en sa faveur, comme s'il craignait pour, son cher fils; il dit donc : «Souvenez-vous: que Jésus-Christ est ressuscité, qu'il est de la race de David, selon mon Évangile, pour lequel je souffre jusqu'aux fers, comme un scélérat».

Pourquoi rappelle-t-il ici ces choses? C'est en même temps et pour lancer un trait aux hérétiques, et pour raffermir Timothée, et pour montrer l'avantage des souffrances; puisque notre maître, le Christ, a vaincu la mort parla souffrance. Souvenez-vous de cela, dit-il, et vous aurez une consolation suffisante. « Souvenez-vous que Jésus-Christ est ressuscité des morts, qu'il est de la race de David » (
2Tm 2,8). Quelques-uns avaient déjà commencé à rejeter l'Incarnation, parce qu'elle suppose en Dieu une grandeur de bonté qui les confondait: Tels étaient les bienfaits de Dieu envers nous, que ces hommes n'osaient les attribuer à Dieu, ni croire qu'il se fût si fort abaissé pour nous. « Selon mon Evangile » (2Tm 2,8). Il s'exprime souvent de la sorte dans ses épîtres : « Selon mon Evangile »; soit pour faire entendre qu'il fallait lui obéir, soit parce que d'autres, prêchaient autre chose. — « Pour lequel je souffre jusqu'aux fers, comme un scélérat » (2Tm 2,9). Voici que de nouveau il tire de sa propre personne une consolation et un encouragement. Le disciple apprend par là que son maître a souffert: et qu'il n'a pas souffert inutilement ; deux choses propres à lui donner du courage pour la lutte. Il gagnera à faire de même, comme il perdra à faire autrement. Que servirait-il de montrer les souffrances endurées par le maître, si elles n'étaient d'aucune utilité? L'important c'est qu'elles aient été supportées utilement et dans l'intérêt des disciples.

« Mais la parole de Dieu n'est point enchaînée» (2Tm 2,9). C'est-à-dire, si nous étions des soldats de ce monde, si la guerre que nous faisons était une guerre sensible, ces fers qui lient nos mains pourraient quelque chose : mais Dieu nous a faits de telle sorte que personne ne peut nous vaincre. Les mains sont enchaînées, mais la langue ne l’est pas. Rien ne peut lier la langue; excepté la timidité et le manque de foi. Tant que nous ne serons ni lâches ni chancelants dans la foi, liez tant qu'il vous plaira nos mains, la prédication restera libre. Par exemple, si vous liez un laboureur, vous empêchez la semence, car c'est avec la main qu'il sème. Mais quand même vous lieriez le docteur; vous n'arrêteriez pas la parole qui se sème non avec la main, mais avec la langue. Notre parole n'est donc pas susceptible d'être assujettie aux liens. Pendant que nous sommes enchaînés; elle court librement. Vous en avez la preuve puisqu'en ce moment nous prêchons, bien qu'enchaîné. C'est là un encouragement pour ceux qui sont libres. Si nous prêchons tout enchaîné, combien plus devez-vous le faire, vous qui êtes libres! Vous m'entendez dire que je souffre comme un malfaiteur, n'en soyez pas abattu. N'est-ce pas merveilleux qu'un homme enchaîné fasse l'oeuvre d'un homme libre, que tout lié qu'il est, il triomphe de tout; que tout lié qu'il est, il vainque ceux qui sont lié? C'est qu'il s'agit de la parole de Dieu, non de la nôtre; or des liens humains ne sauraient entraver la parole de Dieu.

« C'est pourquoi j'endure tout pour les élus, afin qu'ils acquièrent aussi le salut qui est en Jésus-Christ avec la gloire éternelle » (2Tm 2,10). Voici encore une autre exhortation. Ce n'est pas pour moi, dit l'apôtre, mais pour le salut des autres que je souffre ces choses. Je pourrais vivre exempt de danger, je pourrais me délivrer de tous ces maux, si je ne considérais que ma personne. Mais pourquoi enduré-je ces maux pour le bien des autres, pour que d'autres acquièrent la vie éternelle. Que promettez-vous ? Il n'a pas dit : Je souffre pour les hommes quels qu'ils soient, mais « pour les élus ». Si Dieu lui-même les a choisis, il convient que nous soutirions tout peureux, « afin qu'eux aussi acquièrent le salut ». Dire « eux aussi », c'est donner à entendre comme nous-mêmes. En effet; Dieu nous a aussi choisis. Et de même que Dieu a souffert pour nous, de même nous souffrons pour eux: c'est donc une dette que nous payons et non une grâce que nous faisons. De la part de Dieu c'était une grâce, puisque ses propres bienfaits n'avaient pas été précédés de bienfaits qu'il eût reçus. Mais de notre part ce n'est qu'une (369) rétribution. C'est parce que nous avons reçu de Dieu des bienfaits, qu'à notre tour nous souffrons pour ses élus afin qu'ils acquièrent le salut. Que dites-vous? de quel salut voulez-vous parler? vous qui ne vous êtes pas sauvé par vous-même, mais qui étiez perdu si un autre ne vous eût sauvé, vous seriez l'auteur du salut de quelqu'un? C'est pour prévenir cette objection qu'il ajoute : « Du salut qui est en Jésus-Christ, avec la gloire éternelle» (2Tm 2,10). Le présent est dur, mais il ne va pas plus loin que la terre; le présent est misérable, mais il est passager; il est plein d'amertume, mais il ne dure que jusqu'à demain.

403 3. Tels ne sont pas les vrais biens; ils sont éternels, ils sont dans le ciel. C'est là qu'est la vraie gloire, celle de ce monde n'est qu'un opprobre. Pénétrez-vous de cette vérité, mon cher auditeur, il n'y a pas de gloire sur la terre, la gloire véritable habite dans les cieux. Voulez-vous être glorifié, exposez-vous aux outrages; voulez-vous jouir du bonheur de la liberté, soyez écrasé par l'oppression. Voulez-vous nager dans la gloire et les délices, répudiez tout ce qui est du temps. Oui, l'opprobre est une gloire, et la gloire un opprobre; mettons cette vérité dans tout son jour, afin que nous voyions la face de la vraie gloire. Il n'est pas donné à l'homme de trouver la gloire sur la terre; si vous voulez la rencontrer, c'est par l'opprobre que vous devrez passer. Examinons cette question en considérant deux hommes, l'empereur Néron et l'apôtre saint Paul. Celui-là avait la gloire du monde en partage; celui-ci l'opprobre; celui-là était empereur, il avait fait beaucoup d'exploits et dressé de nombreux trophées. Il était inondé de richesses; des armées innombrables et la plus grande partie de la terre recevaient ses ordres. La capitale du monde était à ses pieds; tout le sénat s'inclinait devant lui; rien n'égalait la splendeur de ses palais. A la guerre, il portait des armes d'or et de pierres précieuses; en temps de paix, il trônait sous la pourpre. Il avait beaucoup de gardes et de doryphores. Il portait les noms de maître de la terre et de la mer; d'empereur; d'Auguste; de César, de prince et de beaucoup d'autres, inventés par l'adulation et la flatterie. Rien enfin ne lui manquait de ce qui fait la gloire de ce monde. Les sages, les potentats et les rois tremblaient devant lui. On savait qu'il était féroce et sans pudeur. Il voulait être dieu; il se mettait au-dessus de toutes les idoles des païens, au-dessus du vrai Dieu lui-même, et se faisait honorer comme un dieu. Quoi de plus grand qu'une telle gloire? Ou plutôt, quoi de pire qu'une telle infamie ? Je ne sais comment, par l'effet de la vérité, ma bouche a devancé ma pensée et prononcé la sentence avant le jugement. Mais continuons d'examiner la question au point de vue de la multitude, et selon les idées des païens et des flatteurs. Quoi de plus grand, sous le rapport de la gloire, que d'être regardé comme un dieu ? C'est en réalité une grande infamie qu'un homme ait une si folle prétention; mais nous continuons d'examiner la question selon les idées du grand nombre. Rien ne lui manquait donc de ce qui fait la gloire humaine : il était honoré comme un dieu.

Mais mettons en face de lui saint Paul, si vous voulez bien. C'était un homme de Cilicie; or, tout le monde sait la différence qu'il y a entre Rome et la Cilicie. Il était ouvrier en cuir, pauvre, peu instruit de la science profane, ne sachant que l'hébreu, langue méprisée de tous, surtout des Italiens. Ils ont, en effet, moins de mépris pour la langue des barbares, pour celle des Grecs, pour aucune autre que pour celle des Syriens qui ressemble beaucoup à l'hébreu. Il ne faut pas s'étonner s'ils méprisaient l'hébreu, puisqu'ils méprisent même la langue grecque, si belle, si admirable. C'était un homme qui connaissait la faim et la soif, qui allait plus d'une fois dormir sans être rassasié, un homme qui avait à peine de quoi se vêtir. « Dans le froid et la nudité », dit-il lui-même. (
2Co 12,27) Ce n'est pas tout, il était dans les fers, il y était avec des brigands, des imposteurs, des violateurs de tombeaux, des meurtriers, il y avait été mis par l'ordre de Néron et battu de verges comme un vil malfaiteur; c'est saint Paul lui-même qui le dit. Quel est cependant le plus illustre des deux ? N'est-il pas vrai que la multitude a oublié jusqu'au nom de l'empereur, tandis que Grecs, Barbares et Scythes, que les peuples les plus éloignés célèbrent chaque jour le nom de l'apôtre? Mais ne considérons pas encore ce qui a lieu maintenant, et voyons les choses telles qu'elles étaient alors: Encore un coup, quel était le plus illustre, quel était le plus glorieux de ces deux hommes, celui qui avait le corps enfermé dans une chaîne de fer, celui que l'on traînait hors de sa prison avec (370) la chaîne qui le liait, ou celui qui était vêtu de pourpre, et qui s'avançait avec pompe hors de son palais? Je réponds sans hésiter que c'est le captif. Pourquoi? C'est que le prince, avec toutes ses armées, avec tout son luxe, ne pouvait faire ce qu'il voulait, et que le captif, sous ses simples et pauvres vêtements, exerçait une plus grande autorité que lui. Comment et de quelle manière? Celui-là disait: Ne répands pas la semence de la parole évangélique. Celui-ci répondait : Je ne puis ne pas la répandre, car la parole de Dieu n'est point liée. Et le Cilicien, le captif, le faiseur de tentes, le pauvre, l'homme exposé à souffrir la faim, méprisait le Romain, le riche, le prince, le maître du monde, celui de qui dépendaient tant de vies, et ses nombreuses armées ne lui servaient de rien. Lequel des deux était illustre et glorieux? Celui qui était vaincu sous la pourpre, ou celui qui vainquait dans les fers? Celui qui se tenait en bas et qui lançait des traits, ou celui qui, assis en haut, était en butte aux coups? Celui qui donnait des ordres qui étaient méprisés, ou celui qui ne tenait pas compte des ordres qu'il recevait? Celui qui était vaincu au milieu d'armées innombrables, ou celui qui était vainqueur, quoique seul et sans secours humain ? L'empereur donc céda la victoire au captif. Dites-moi donc lequel des deux partis vous embrasseriez? Il ne s'agit pas encore de la vie future; nous ne considérons pas encore la question à ce point de vue. De quel parti voudriez-vous avoir été, de celui de saint Paul, ou de celui de Néron? Je ne dis pas au point de vue de la foi, ce serait trop évident, mais à celui de la gloire, de l'honneur, de l'éclat. Tout coeur généreux préférera le parti de saint Paul, parce qu'il est plus beau de vaincre que d'être vaincu. Et encore cette victoire est moins étonnante par elle-même que par les circonstances et par l'appareil du vainqueur et du vaincu. Car je veux le redire, et je ne me lasserai pas de le répéter : L'homme enchaîné terrassa l'homme couronné.

404 4. Telle est la vertu du Christ : une chaîne de fer triomphait de la couronne impériale; un captif, d'un César. Paul, comme un prisonnier, ne portait que des haillons; et ces haillons, avec les fers du prisonnier, attiraient plus les regards que la pourpre. Il était par terre et le front dans la poussière, et néanmoins les yeux des hommes se détournaient du char d'or de l'empereur pour s'arrêter sur lui, et c'était naturel. Car c'était une chose ordinaire de voir l'empereur conduit par un attelage blanc; mais ce qui était nouveau et étrange, c'était de voir un prisonnier parler à l'empereur avec autant de hardiesse et de liberté que l'empereur en mettrait à parler à un vil et misérable esclave. Une foule nombreuse était présente, toute composée des esclaves de Néron. Ils admiraient, non leur prince, mais son vainqueur. Celui que tous ensemble redoutaient, saint Paul seul le foulait aux pieds. Voyez quelle splendeur dans les fers. Que dirons-nous encore? Le tombeau du prince n'est pas même connu; et l'apôtre, effaçant en éclat tous les empereurs, repose dans la ville capitale du monde, là où il a remporté la victoire et dressé son trophée. On ne parle de celui-là que pour le mépriser, même parmi les païens, car c'était un impie; la mémoire de celui-ci est partout accompagnée de bénédictions, même chez nos ennemis. Lorsque la vérité brille, les ennemis mêmes n'ont pas l'impudence de la repousser. S'ils n'admirent pas la foi de saint Paul, ils admirent sa franchise et sa hardiesse. Celui-ci vole tous les jours de bouche en bouche, couronné d'une renommée glorieuse; celui-là ne reçoit partout qu'injures et mépris. De quel côté donc se trouve la gloire ?

Mais, à mon insu, je n'ai loué du lion que son ongle, au lieu de dire le plus important. Quel est le plus important? Le bonheur du ciel ; la splendeur dont Paul sera revêtu lorsqu'il viendra avec le Roi des cieux, et d'un autre côté l'abaissement de Néron, son état misérable. Si je vous semble dire des choses incroyables et ridicules, vous vous rendez ridicules vous-mêmes, vous qui riez de choses nullement risibles. Si vous ne croyez pas à la vie à venir, croyez-y du moins par la considération des choses passées. Le temps des couronnes n'est pas encore venu, et cependant voyez l'honneur dont jouit déjà le vaillant athlète du Christ ; de quel honneur donc jouira-t-il lorsque viendra l'Agonothète avec toutes ses couronnes. S'il est ainsi admiré, lui étranger parmi des étrangers, quel sera donc son bonheur quand il sera parmi les siens? « Maintenant notre vie est cachée avec Jésus-Christ en Dieu » (
Col 3,3), et cependant l'apôtre, quoique mort, est plus puissant que les vivants, plus honoré. Lors donc que le (371) grand jour de la vie sera venu, de quelle abondance de vie et de bonheur ne jouira-t-il pas? C'est pour cela que Dieu le fait jouir de tant d'honneurs qu'il ne demandait pas. S'il a méprisé la gloire du monde lorsqu'il était dans son corps, combien plus doit-il la mépriser maintenant qu'il en est délivré? Dieu l'a encore comblé de toute cette gloire afin que ceux qui n'ont pas foi dans l'avenir se laissent du moins conduire par le spectacle du présent. Je dis que saint Paul viendra avec le Roi des cieux au jour de la résurrection, et qu'il jouira de tous les biens de la vie glorieuse. Mais l'incrédule refuse de me croire, alors j'attire son attention sur le présent pour forcer sa croyance.

Le faiseur de tentes est plus glorieux, plus honoré que l'empereur. Jamais souverain de Rome n'a joui d'autant d'honneurs que l'ouvrier en cuirs. L'empereur Néron gît dans quelque lieu ignoré où il a été jeté au hasard, et l'apôtre Paul occupe le centre de Rome, il en est le maître et le roi. En voyant cela, croyez donc aussi à l'avenir. S'il reçoit maintenant tant d'honneurs là même où il fut maltraité, persécuté, que sera-ce lorsqu'il viendra avec Jésus-Christ? S'il a acquis tant de gloire, quoiqu'il ne fût qu'un simple faiseur de tentes, que sera-ce quand il viendra revêtu de toutes les splendeurs célestes? S'il est parvenu à tant de grandeur, parti de tant de bassesse, où ne montera-t-il point dans le séjour de la gloire? Peut-on éviter de voir les faits? Qui ne serait ému de voir un faiseur de tentes environné de plus d'honneurs que les plus grands monarques de la terre? Si dès ici-bas nous voyons des choses qui surpassent la nature, pourquoi n'en serait-il pas de même dans l'avenir? Crois donc le présent, ô homme, si tu ne veux pas croire l'avenir; crois les choses visibles, si tu refuses de croire les invisibles. Ajoute foi à ce que tu vois, et de la sorte tu ajouteras foi à ce que tu ne vois pas encore. Si tu t'obstines dans ton incrédulité, ce sera le cas de te dire le mot de l'apôtre: « Nous sommes purs du sang de vous tous ». (Ac 20,26) Nous avons rendu témoignage de toute manière, nous n'avons rien omis de ce que nous devions dire, et vous ne pourrez imputer qu'à vous-mêmes le supplice de l'enfer qui vous attend.

Pour nous, mes chers enfants, imitons saint Paul, non-seulement dans sa foi, mais encore dans sa vie. Pour obtenir la gloire du ciel, foulons aux pieds la gloire de ce monde. Qu'aucune des choses présentes ne nous attache. Méprisons les biens visibles pour obtenir les invisibles; ou plutôt obtenons-les tous en acquérant ces derniers, auxquels principalement nous devons tendre. Puissions-nous tous en être jugés dignes. Ainsi soit-il.





Chrysostome sur 2Tm 300