Chrysostome Homélies 47200

Deuxième homélie. - A ceux qui blâmaient la longueur des instructions, et à ceux qui n'aimaient pas qu'elles fussent courtes;

sur les noms de Saul et de Paul; - pour le nom d'Adam donné au premier homme; - aux nouveaux baptisés.


ANALYSE.

1. Les uns aiment les longues instructions, les autres les courtes; comment contenter à la fois des goûts si différents? L'orateur se déclare esclave de son auditoire, et il est plus glorieux de sou esclavage que l'empereur de sa pourpre. - 2. Les changements de noms dans les Ecritures ont une importance et une signification sur lesquelles il ne faut pas passer légèrement. L'Apôtre s'est encore appelé Sau1 après sa conversion. - 3. La première fois que le nom de Paul parait dans les Actes, c'est à l'occasion de la conversion du proconsul Sergius Paulus. Sur ces changements de noms deux questions s'offrent à traiter, premièrement, pourquoi Dieu a-t-il nommé quelques saints; et pourquoi pas tous? deuxièmement, pourquoi, parmi ceux qu'il a daigné nommer, a-t-il nommé ceux-ci dans le cours de leur vie, ceux-là dès avant leur naissance? Dieu nomma le premier homme Adam, d'Éden, qui veut dire terre vierge. Cette terre vierge de laquelle sortit Adam était la figure de la Vierge Marie, mère du second Adam. - 4. Ce nom d'Adam terrestre avertissait sans cesse le premier homme d'être humble, et le prémunissait contre l'orgueilleuse pensée de se croire égal à Dieu. Le premier qui après Adam ait reçu de Dieu son nom est Isaac, et ce nom signifie vis. Enfant de la grâce, Isaac est la figure des chrétiens.



472011. Quel parti prendre aujourd'hui? En vous voyant si nombreux je crains de donner trop d'étendue à cet entretien. En effet, lorsque l'instruction se prolonge en ces conditions, je vous vois serrés, pressés, manquant de place, et la gêne que vous éprouvez vous empêche beaucoup d'écouter avec fruit; un auditeur qui n'est pas à l'aise ne saurait prêter une sérieuse attention à l'orateur. En voyant donc cette foule si nombreuse, je crains, je le répète, de donner à mon discours trop d'étendue; mais d'un autre côté, quand je considère votre désir de la parole sainte, je voudrais bien ne pas resserrer mon instruction. Celui que la soif consume, aime que la coupe qu'on lui présente soit pleine, autrement c'est sans plaisir qu'il l'approche de ses lèvres. Quand même il ne la pourrait boire tout entière, néanmoins il la veut voir entièrement pleine. Vous me voyez donc dans la perplexité. Je voudrais par ma brièveté prévenir de votre part toute fatigue, et par la plénitude de mon instruction remplir votre désir. Mais souvent j'ai fait ces deux choses, et jamais je n'ai évité la critique. Bien souvent, pour vous ménager, j'ai abrégé mon discours, et j'étais accusé par ceux dont l'âme n'était pas encore rassasiée, par ceux qui s'abreuvent continuellement aux sources sacrées, et n'en ont pourtant jamais assez, par ces bienheureux qui ont faim et soif de la justice: (Mt 5,6) aussi redoutant leurs reproches, j'ai cru pouvoir allonger mes homélies, et c'est (77) précisément pour cela que je me suis vu en butte à d'autres critiques. Ceux qui aiment la brièveté venaient me trouver et me priaient d'avoir pitié de leur faiblesse, et de resserrer des discours trop longs. Quand je vous vois pressés dans un étroit espace, j'ai envie de me taire: mais quand je vois que, malgré cette gêne, vous ne vous retirez pas; que toujours suspendus à nos lèvres vous êtes tous disposés à nous suivre encore plus loin, je me sens le désir de laisser courir ma parole. Je ne vois que difficultés de toutes parts. (Da 13,22) Que faire? Celui qui ne sert qu'un maître, qui n'obéit qu'à une seule volonté, peut facilement plaire à son maître et ne pas se tromper; mais moi j'ai bien des maîtres, et je suis forcé d'obéir à tout ce peuple, si partagé de sentiments. Si j'ai parlé ainsi, ce n'est pas que je supporte avec impatience mon esclavage, loin de là, ni que je veuille me soustraire à votre domination. Rien ne m'est plus honorable que cette servitude. Il n'y a pas de roi qui s'enorgueillisse de son diadème et de sa pourpre comme je me glorifie d'être l'esclave de votre charité. Cette première royauté périra par la mort; mais mon esclavage, s'il est bien supporté, sera couronné par la royauté des cieux. Bienheureux le serviteur fidèle et prudent que le maître a établi sur tous ses compagnons pour leur distribuer leur mesure de froment. Je vous dis en vérité qu'il l'établira sur toits les biens qu'il possède. (Lc 3,42) Voyez-vous quelle est la récompense de cet esclavage; quand il est bien supporté? Ce serviteur est établi sur tous les biens du maître. Je ne fuis pas cette servitude, car je la partage avec Paul. Il dit en effet que nous ne nous prêchons pas nous-mêmes, mais Jésus-Christ Notre-Seigneur, nous déclarant vos serviteurs à cause de Jésus. (2Co 4,5) Et que dis-je, Paul? si Celui qui était dans la forme de Dieu, s'est anéanti lui-même prenant la forme d'esclave dans l'intérêt des esclaves (Ph 2,6-7), qu'y a-t-il d'étonnant à ce que moi, esclave, je me fasse esclave de rues compagnons d'esclavage dans mon intérêt propre? Ce n'est donc pas pour fuir votre domination que j'ai parlé de la sorte, mais pour obtenir grâce si la table que je vais dresser ne convient pas à tous. Ou plutôt faites ce que je vais vous dire. Vous qui ne pouce? jamais vous rassasier, mais qui avez faim et soit de la justice, qui désirez de longues instructions, prenez pitié de la faiblesse de vos frères et souffrez que je retranche un peu à la mesure habituelle de mes discours. Et vous qui désirez la brièveté parce que vous êtes plus faibles, considérez le désir de vos frères qui demandent une nourriture plus abondante, et pour eux, endurez une fatigue légère, portant les fardeaux les uns des autres et accomplissant la loi du Christ.

Ne voyez-vous pas qu'aux jeux olympiques les athlètes restant au milieu de l'arène, en plein midi, comme dans une fournaise ardente, reçoivent sur leur corps nu les rayons du soleil, comme s'ils étaient des statues d'airain, et luttent contre le soleil, contre la poussière, contre la chaleur, pour ceindre de lauriers une tête qui aura tant souffert? Et pour vous, ce n'est pas une couronne de lauriers, mais une couronne de justice qui sera la récompense de votre docilité; et encore, loin de vous retenir jusqu'en plein midi, votre faiblesse nous forcera à vous renvoyer presque dès le commencement du jour, quand l'air est encore assez frais, que les rayons du soleil ne l'ont pas encore échauffé; et nous ne vous exposons pas tête nue aux ardeurs du soleil, mais nous vous rassemblons sous cette voûte admirable, nous vous prodiguons tous les secours imaginables, afin que vous puissiez écouter plus longtemps. Ne soyons pas plus délicats que nos enfants quand ils vont à l'école; ils n'oseraient rentrer à la maison avant midi; mais à peine sevrés, à peine séparés du sein de leur mère, avant même l'âge de cinq ans, ils supportent tout dans un corps tendre et jeune encore; quelque chaleur, quelque soif, quequ'incommodité qu'ils ressentent, ils restent assis dans l'école, supportant tout avec courage et patience. A défaut d'autres, imitons au moins nos enfants, nous hommes, nous parvenus à l'âge viril. Si nous n'avons pas le courage d'écouter parler de la vertu, qui pourra nous faire croire que nous supporterons au besoin les travaux qu'elle exige? Si nous éprouvons tant de peine quand il s'agit d'écouter, qui nous montrera que nous serons plus vaillants pour agir? Si nous abandonnons le devoir le plus facile, comment supporterons-nous le plus difficile? Mais le lieu est resserré! on y est gêné! Ecoutez: On n'emporte le royaume des cieux qu avec violence. (Mt 11,12) Elle est étroite et resserrée la voie qui conduit à la vie. (Mt 7,14) Comment éviter d'être serrés et à l'étroit, quand on doit marcher par une voie étroite et resserrée? Pour qui se met au large et à l'aise, une telle voix n'est pas (78) facile parcourir: on ne peut guère y passer qu'en se faisant petit, en se resserrant, en se gênant beaucoup.

472022. Ce n'est pas une chose oiseuse qui nous occupe, mais une question qui, commencée hier, n'a pu recevoir une solution définitive, tant sont nombreux les points à examiner! Quelle est-elle? C'est la question des noms que Dieu a donnés aux saints. Chose qu'on jugera bien simple, à n'écouter que cet exposé, mais bien féconde, si on l'étudie avec soin. Les terrains aurifères que l'on rencontre dans les mines ne présentent aux hommes inexpérimentés et inattentifs qu'une apparence tout ordinaire, et entièrement semblable à celle des autres terrains; mais ceux dont les regards sont exercés, reconnaissent la qualité de cette terre, et la faisant passer par le feu ils eu montrent tout le prix. Il en est de même pour les saintes Ecritures: si on ne fait qu'en parcourir les mots, on n'y verra que des mots ordinaires et semblables aux autres; mais si on les parcourt avec les regards de la foi, avec des yeux exercés, si on les fait passer par le feu du Saint-Esprit, on en découvrira facilement toute la richesse.

Quelle est l'origine première de cette question? car ce n'est pas sans motif que nous avons entrepris cet examen, et l'on ne saurait nous accuser de pure curiosité, Nous avions hâte de raconter les grandes actions de Paul; déjà nous touchions au commencement de son histoire, et nous trouvions que la narration commençait ainsi: Saul respirant encore la menace et le meurtre contre les disciples du Seigneur. (
Ac 9,1) Dès l'abord, nous fûmes troublés de ce changement de nom, car, dans toutes ses épitres et dans leurs formules initiales il s'appelle non Saul, mais Paul; et ce n'est pas à lui seul, mais à bien d'autres encore que la même chose est arrivée. Par exemple, Simon s'appelait d'abord Pierre; les fils. de Zébédée, Jacques et Jean, reçurent assez tard le nom de Fils du tonnerre; dans l'Ancien Testament, nous trouvons aussi les noms de quelques personnages changés: ainsi Abraham s'était d'abord nommé Abram, Sarra s'était d'abord nommée Sara, Jacob fut surnommé Israël. Or, il nous a semblé qu'il eût été contraire à la raison de parcourir un champ si fertile sans le creuser. Ne se passe-t-il pas quelque chose d'analogue pour les princes séculiers? Ceux-ci aussi prennent un double nom; voyez plutôt: Félix eut pour successeur Porcins Festus; et encore Quelqu'un se trouvait avec le proconsul Sergius Paulus, et celui qui livra Jésus aux Juifs s'appelait Ponce-Pilate. Mais outre les chefs, les soldats aussi et beaucoup de ceux qui sont restés dans la vie privée ont reçu, en certaines occasions, par suite de certains faits, un double nom. Pour eux, il ne nous sera pas utile de rechercher ce qui leur a fait donner ces noms; mais quand c'est Dieu qui les donne, il nous faut de tous nos efforts en rechercher la cause.

Car Dieu ne dit ni ne fait rien en vain et sans motif; il agit en tout avec la sagesse qui lui convient. Pourquoi donc saint Paul était-il appelé Saul, lorsqu'il était persécuteur, et fut-il appelé Paul, lorsqu'il eut reçu la foi? Quelques-uns disent que lorsqu'il troublait, agitait, bouleversait tout et persécutait l'Eglise; il était appelé Saul précisément parce qu'il persécutait l'Eglise, et que c'est de là qu'il tirait son nom. Quand, au contraire, cette fureur eut cessé, que ce trouble se fut apaisé, que cette guerre eut été terminée, que la persécution eut trouvé sa fin il fut appelé Paul du mot grec qui veut dire cesser (pauomai). Mais cette explication est frivole et fausse, et je ne l'ai rapportée qu'afin que vous ne vous laissiez pas prendre à ces dires qui ne sont fondés sur rien. D'ailleurs, s'il était appelé Sanl parce qu'il persécutait l'Eglise, il fallait qu'il changeât de nom aussitôt qu'il cessa de persécuter; or, nous voyons qu'il avait cessé de persécuter l'Eglise, sans qu'il eût pour cela changé son nom, puisqu'il continuait à s'appeler Saul. Et pour que vous ne croyez pas que ce soit pour vous embarrasser que je parle ainsi, je reprendrai la chose de plus haut: Ils entraînèrent Etienne, dit l'Ecriture, hors de la ville et ils le lapidèrent, et les témoins déposèrent leurs vêtements aux pieds d'un jeune homme nommé Saul (Ac 7,57); et encore: Saul consentait à sa mort; et ailleurs. Saul ravageait l'Église, entrant dans les maisons et entraînant les hommes et les femmes; et encore: Saul respirant encore la menace et le meurtre contre les disciples du Seigneur; et encore: Il entendit une voix qui lui disait: Saul! Saul pourquoi me persécutes-tu? Il aurait donc dû quitter ce nom de Saul, aussitôt qu'il eut cessé de persécuter. Et pourtant, l'a-t-il quitté de suite? Non; c'est ce que nous montre la suite; voyez plutôt: Saul se leva de terre, et les yeux ouverts, il ne voyait personne; et encore: Le Seigneur dît à Ananie: (79) Va dans la rue qu'on appelle Droite; tu trouveras dans la maison de Juda un nommé Saul; et encore: Ananie entra dans la maison et dit Saul, mon frère, le Seigneur qui t'a apparu air la route, m'a envoyé pour que tu voies. Ensuite il commença à enseigner et il confondait les Juifs, et il n'avait pas encore quitté son nom, il continuait de s'appeler Saul. Car les trames des Juifs, est-il dit, furent connues de Saul. Est-ce tout? Non; mais il y eut une famine, est-il dit encore, et les disciples résolurent d'envoyer à Jérusalem pour assister les saints; or ils envoyèrent leurs aumônes par les mains de Barnabé et de Saul. (Ac 11,29-30) Voyez: il assiste déjà les saints et il est encore appelé Saul. Puis Barnabé entre à Antioche et, voyant la grâce de Dieu et que la foule était grande, il va à Tarse chercher Saul. Déjà il convertit beaucoup de monde, et il continue d'être appelé Saul; et encore: Il y avait dans l'Église d’Antioche des prophètes et des docteurs, parmi lesquels Siméon qui s'appelait le Noir, Lucius de Cyrène, Manahen, frère de lait d'Hérode le tétrarque, et Saul. Le voilà docteur et prophète, et il est encore appelé Saul. Et encore: Pendant qu'ils offraient au Seigneur les saints mystères et qu'ils jeûnaient, l'Esprit-Saint leur dit: Séparez-moi Saul et Barnabé. (Ac 13,1-2) (1)

1. Traduit depuis le commencement du volume jusqu'ici par M. l'abbé Fanien. La fin de cette homélie et les deux suivantes ont été traduites par M. Jeannin.

472033. Voici que le Saint-Esprit le prend à part et il garde toujours son nom. Niais suivons-le à Salamine; il rencontre un magicien, alors écoutons saint Luc: Saul, aussi nommé Paul, étant rempli du Saint-Esprit, dit (Ac 13,9). C'est la première fois qu'il est question d'un changement de nom. Discutons, sans nous rebuter, la raison des noms. Connaître les noms a son importance même dans les affaires de ce monde. Que de reconnaissances opérées, que de parentés, longtemps ignorées, tout à coup mises au jour par la découverte d'un nom! Que de litiges jugés devant les tribunaux, que de querelles vidées, que de dissensions éteintes, que de réconciliations amenées par le même moyen! Grande dans les affaires de cette vie, la vérité des noms l'est encore davantage dans la sphère des choses spirituelles. Il est donc nécessaire que les questions qui s'élèvent soient résolues avec exactitude.

La première question que l'on fait est celle-ci: pourquoi parmi les saints, Dieu a-t-il nommé les uns et non pas les autres? Car il n'a pas donné leurs noms à tous les saints ni de l'Ancien, ni du Nouveau Testament. Observons déjà que cette parité de conduite et dans l'Ancien et dans le Nouveau Testament prouve que tes deux Testaments émanent d'un seul et même Seigneur. Dans le Nouveau Testament, le Christ a donné à Simon le nom de Pierre, et aux fils de Zébédée, Jacques et Jean, le surnom de fils du tonnerre. Voilà les seuls dont il ait changé lui-même les noms; pour ce qui est des autres, il leur a laissé les noms qu'ils avaient, dès le principe, reçu de leurs parents. Dans l'Ancien Testament, Dieu changea le nom d'Abraham et celui de Jacob; mais ceux de Joseph, de Samuel, de David, d'Elie, d'Elisée et des autres prophètes, il ne les changea pas, il laissa ces grands saints avec les noms qu'ils avaient toujours portés. Ainsi donc, première question: pourquoi, parmi les saints, les uns ont-ils changé de nom, et les autres non? Deuxième question: pourquoi le Seigneur nomme-t-il ceux-ci dans un âge avancé, ceux-là dès leur naissance et parfois même avant? Pierre, Jacques et Jean, c'est dans un âge avancé qu'ils reçoivent de Jésus-Christ un nouveau nom, et Jean-Baptiste est nommé avant qu'il ait vu le jour: Un ange dit Seigneur vint et dit: ne crains pas, Zacharie, voici que ta femme Élisabeth enfantera un fils à qui tu donneras le nom de Jean. (Lc 1,13) Vous le voyez, il n'est pas encore né, et déjà il est nommé. La même chose arrive dans l'Ancien Testament, la ressemblance est entière dans le Nouveau, Pierre, Jacques et Jean reçoivent leurs surnoms lorsqu'ils sont déjà dans l'âge viril, Jean-Baptiste reçoit son nom avant de naître: dans l'Ancien, Abraham et Jacob changent de nom au milieu de leur vie;:l'un s'appelait d'abord Abram, et il s'appela Abraham; l'autre se nommait d'abord Jacob et il se nomma Israël; Isaac, au contraire, reçoit son nom dès le sein de sa mère. Dans le Nouveau Testament, l'ange dit à Zacharie: Ta femme concevra dans son sein et enfantera un fils, et tu lui donneras le nom de Jean; et dans l'Ancien, Dieu dit à Abraham: Sara, ta femme, enfantera un fils, et tu lui donneras le nom d'Isaac.

Donc, encore une fois, première question Pourquoi des nones donnés à ceux-ci et pas à ceux-là? et deuxième question: Pourquoi ceux qui reçoivent de Dieu un nom, le reçoivent-ils (79) les uns. dans le cours de leur âge, les autres avant leur naissance, et cela dans l'un et l'autre Testament? La seconde question sera traitée tout d'abord; de la solution que nous en donnerons sortira une lumière qui éclairera la première. Voyons donc ceux qui ont reçu de Dieu leurs noms dès le principe; remontons jusqu'à l'homme qui, le premier, fut nommé de Dieu. Ainsi ramenées à leur origine, nos questions recevront une solution radicale.

Qui donc a, le premier, reçu de Dieu son nom? Quel autre, sinon celui qui fut le premier formé par la main divine? Il n'y avait pas d'homme en effet qui pût nommer le premier homme. Comment donc Dieu nomma-t-il le premier homme? Adam, nom hébreu, nom étranger à la langue hellénique, et qui signifie: de terre. Le mot Eden aussi veut dire terre vierge; tel était le lieu dans lequel Dieu planta le Paradis. Dieu, dit la Genèse, planta la Paradis dans l'Eden, vers l'Orient (Gn 2,8): ce qui nous montre que le Paradis n'était pas l'oeuvre de la main de. l'homme. C'était une terre vierge que, la charrue n'avait pas touchée, ni ouverte en sillon; une terre qui ne connaissait pas la main du laboureur, mais qui avait produit des arbres, fécondée uniquement par l'ordre de Dieu. De là le nom d'Eden, c'est-à-dire terre vierge, que Dieu,lui donna. Mais cette terre vierge était la figure de la Vierge par excellence. De même, en effet, que la terre d'Eden, sans recevoir aucun germe, vit sortir de son sein le Paradis, asile du premier homme, de même la Vierge Marie, sans recevoir la semence de l'homme, a enfanté le Christ, Sauveur du genre humain. Lors donc que le juif vous dira: Comment une vierge a-t-elle pu enfanter? répondez-lui Comment une terre vierge a-t-elle produit ces arbres miraculeux du Paradis? Car, je le répète, le mot Eden signifie en langue hébraïque terre vierge; si mon assertion laisse un doute à quelqu'un, qu'il interroge ceux qui savent la langue des Hébreux, et il s'assurera que j'interprète comme il faut le mot Eden. Je ne cherche pas à profiter de votre ignorance pour faire passer de faux raisonnements; non, je tiens à vous munir d'un argument sans réplique, et je raisonne aussi rigoureusement que je ferais en face d'adversaires instruits. L'homme ayant donc été formé de la terre d'Eden, c'est-à-dire vierge, s'appela Adam, du nom de sa mère. Ainsi font les hommes, ils donnent souvent aux enfants les noms de leurs mères. Dieu donc ayant tiré l'homme de la terre, le nomma Adam, du nom de sa mère. Elle se nommait Eden, lui se nomma Adam.

472044. Mais quelle utile conclusion tirer de là? Chez les hommes, lorsqu'on donne aux enfants les noms de leurs mères, c'est pour faire honneur à celles-ci. Mais Dieu, dans quelle vue donna-t-il au premier homme le nom de sa mère? quel était son dessein? Grand ou petit, il en avait un; car il ne fait rien sans motifs, rien au hasard: en tout il agit avec une raison et une sagesse profondes, puisque sa prudence est sans mesure.

Eden veut dire la terre, et Adam, le terrestre, créature sortie de la poussière, née du limon de la terre. Pourquoi donc ce nom-là? Pour rappeler à l'homme la bassesse de sa nature. Dieu, par cette appellation, avait comme gravé sur l'airain l'humilité de notre nature, afin que ce nom, qui est à lui seul toute une leçon d'humilité, apprît à l'homme à ne pas concevoir de lui-même une trop haute estime. Que nous soyons terre, nous le savons parfaitement, nous, à qui l'expérience l'enseigne tous les jours; mais Adam n'avait vu mourir personne, et jamais le spectacle d'un cadavre retombant en poussière n'avait frappé sa vue; son corps était d'une merveilleuse beauté; il brillait tel qu'une statue d'or sortant du moule. Craignant donc que, ébloui de tant d'éclat il ne s'enflât d'orgueil, il lui donna comme contre-poids à ses brillants avantages, un nom qui serait pour lui une leçon permanente d'humilité. D'ailleurs le diable ne devait pas tarder de l'exciter à l'orgueil, il allait bientôt lui dire: Vous serez comme des dieux. (
Gn 3,5) Ce nom, qui apprend au premier homme qu'il était terre, Dieu le lui imposait pour éloigner de son esprit l'idée qu'il fût semblable à Dieu; par ce nom, Dieu prémunissait la conscience de l'homme; au moyen de cette appellation, il le mettait en garde contre les futurs piéges de l'esprit malin. En effet, faire en sorte que l'homme se souvint de sa parenté avec la terre, lui donner ainsi la juste mesure de sa noblesse, c'était presque lui dire en propres termes: Si quelqu'un vient te dire: tu seras comme Dieu, souviens-toi seulement de ton nom, il t'avertira suffisamment de repousser une semblable pensée. Souviens-toi de ta mère, que ton origine te rappelle le peu que tu es. On ne veut pas t'humilier, mais (81) on redoute pour toi l'entraînement de l'orgueil.

Saint Paul dit aussi: Le premier homme fut Adam, tiré de la terre et terrestre; c'est comme interprétation du mot Adam qu'il ajoute: tiré de la terre et terrestre. Le second homme est le Seigneur descendu du ciel. O hérétique, tu entends l'Apôtre dire que le Seigneur est le second homme, et tu prétends qu'il n'a point pris de chair! Se peut-il une impudence semblable? Est-il homme celui qui n'a pas de chair? Si l'Apôtre appelle le Seigneur homme et même second homme, le définissant par la nature et par le nombre, c'est afin de te montrer doublement sa parenté avec nous. Quel est donc le second homme? Le Seigneur qui est du ciel. Mais, dit l'hérétique, voilà précisément ce qui me scandalise, c'est cette parole qui est du ciel. - Mais lorsque tu entends dire que le premier homme est terrestre, tirant son origine de la terre, est-ce que tu infères de là qu'il est tout entier terrestre, qu'il n'y a en lui nulle puissance incorporelle? nies-tu son âme et la spiritualité de son âme? Qui oserait le dire? Si donc, lorsqu'on te dit qu'Adam était terrestre, tu ne vas pas t'imaginer pour cela qu'il n'était que corps, qu'il n'avait pas d'âme; de même, en entendant ces paroles: Le Seigneur qui est du ciel, ne t'avises pas de supprimer le mystère de l'Incarnation à cause de ces mots qui est du ciel.

Voilà le premier nom suffisamment justifié. Adam fut ainsi appelé du nom de sa mère, pour qu'il ne portât point ses prétentions plus haut que son pouvoir, et qu'il ne donnât pas prise à son artificieux ennemi, qui viendrait le tenter en lui disant vous serez comme des dieux. Passons maintenant à quelqu'autre qui ait reçu de Dieu son nom avant sa naissance, et terminons ce discours. Quel est donc le premier après Adam qui ait reçu de Dieu son nom dès le sein de sa mère? C'est Isaac. Voici, dit le Seigneur à Abraham que Sarra ta femme concevra dans son sein et enfantera un fils, et tu le nommeras Isaac. Or, après qu'elle l'eut mis au monde, elle le nomma Isaac, en disant: Dieu m'a fait un sujet de ris. Pourquoi? Car qui croirait qu'on dût jamais dire à Abraham que sa femme allaiterait un fils? (Gn 18,19 Gn 21,3) Soyez attentifs, il y a ici un mystère. L'Ecriture ne dit pas: enfanterait, mais allaiterait; il ne fallait pas que l'on pût soupçonner le petit enfant d'être supposé. Or, le lait garantissait la vérité de l'enfantement, en sorte qu'Isaac, lui aussi, n'avait qu'à se souvenir de son nom, pour trouver dans le miracle de sa naissance une parfaite instruction. Elle dit: Dieu m'a fait un sujet de ris, parce que c'était une merveille de voir une femme dans un âge avancé et avec des cheveux blancs, allaiter et tenir un enfant à la mamelle. Mais le nom d'Isaac, c'est-à-dire ris, était un souvenir permanent de la grâce de Dieu, et l'allaitement confirmait le prodige de la naissance. La nature n'était pour rien dans cette naissance, la grâce avait tout fait. C'est pourquoi saint Paul dit: comme Isaac nous sommes des enfants de promission. (Ga 4,28) La naissance d'Isaac est la figure de celle du chrétien; d'un côté comme de l'autre, c'est la grâce qui opère; d'un côté comme de l'autre,?e nouveau-né sort d'un sein refroidi et stérile Isaac du sein d'une femme âgée, le chrétien du sein des eaux. L'analogie est visible entre l'une et l'autre naissance, entre l'une et l'autre grâce. Partout la nature est inerte, partout c'est la grâce de Dieu qui opère. Voilà le sens de cette parole: comme Isaac nous sommes des enfants de promission. Reste encore néanmoins un point à éclaircir pour que la comparaison soit complète.

Saint Jean dit (1,13) que les chrétiens ne naissent pas du sang, ni de la volonté de la chair: en est-il de même d'Isaac? Oui, car l'Ecriture dit: Ce qui arrive d'ordinaire aux femmes avait cessé chez Sarra (Gn 18,11) Les sources du sang étaient taries, la matière de la génération disparue, l'énergie de la nature anéantie, et c'est alors que Dieu fait paraître sa vertu. Voilà que nous avons tiré de ce nom d'Isaac toute l'instruction qu'il renferme. Il nous reste à parler d'Abraham, des fils de Zébédée et de Pierre; mais pour ne pas vous fatiguer par ma longueur, remettant ces objets à une autre entretien, je finirai ici mon discours, en vous exhortant, vous qui êtes nés à la manière d'Isaac, à imiter la douceur d'Isaac, sa modestie et toute sa conduite, afin que, aidés des prières de ce juste et de celles de ces prélats, vous puissiez tous parvenir dans le sein d'Abraham, par la grâce et la charité de Notre-Seigneur Jésus-Christ, par qui et avec qui, soient au Père, gloire, honneur et puissance, ainsi qu'à l'Esprit saint et vivifiant, maintenant et toujours, et dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.




Troisième homélie.

47300
A ceux qui critiquaient la longueur de ses exordes; - Qu'il est utile de supporter patiemment les réprimandes; - Pourquoi le nom de saint Paul ne fut pas changé tout de suite après sa conversion; - Que ce changement ne se fit pas de nécessité mais en conséquence d'une libre volonté, et sur ce mot; - Saul! Saul! pourquoi me persécutes-tu!»(
Ac 9,4)

ANALYSE.

1.-2. On avait reproché à saint Chrysostome, et non sans raison peut-être, de faire de trop longs exordes. Ce reproche devient ici l'occasion d'un exorde encore beaucoup plus long que les autres, dans lequel le facile et brillant orateur développe ces pensées: que les blessures que font les amis sont moins dangereuses que les baisers empressés des ennemis; que les remontrances sont avantageuses à ceux qui les reçoivent comme à ceux qui les font, et qu'il est beau de savoir les accueillir; chemin faisant et pour prouver ce qu'il avance, il nous donne un admirable, quoiqu'un peu verbeux commentaire de ce passage de l'exode où Moise, averti par Jéthro, son beau-père, choisit des hommes sages et éclairés pour l'aider à juger tous les différends du peuple d'Israël. - 3. L'orateur donne plusieurs raisons de la longueur de ses exordes. Il résume sa précédente instruction. Pourquoi le nom de l'apôtre saint Paul fut-il changé? pourquoi ne le fut-il pas sur-le-champ après sa conversion? - 4. Commentaire de ces paroles: Saul, Saul, pourquoi me persécutes-tu? etc., jusqu'à: Je suis Jésus que tu persécutes. - 5.-6. La conversion de saint Paul fut libre.



47301 1. Le reproche nous a été adressé, par quelques-uns de nos bien-aimés frères, d'être long dans nos exordes. Si ce reproche est mérité ou non, vous en déciderez après nous avoir entendu à notre tour; c'est à votre impartiale sentence que je remets le jugement de cette affaire. Avant que je me justifie, je dois dire à ceux qui font ces critiques que je leur en sais gré, car elles leur sont inspirées par un intérêt bienveillant, et nullement par la malignité. Et celui qui m'aime, ce n'est pas seulement lorsqu'il me loue, mais aussi lorsqu'il me critique pour me corriger, que je tiens à lui exprimer réciproquement mon amitié. Louer indistinctement et ce qui est bien et ce qui est mal, ce n'est pas le fait d'un ami, mais d'un trompeur et d'un moqueur; louer ce qui est convenable et blâmer ce qui ne l'est pas, c'est faire l'office d'un ami, d'un homme qui nous porte intérêt. Et, pour preuve que les louanges et les compliments prodigués à tort et à travers ne sont pas le signe d'une sincère amitié, mais bien de la fourberie, je vous citerai cette parole d'Isaïe: Mon peuple, ceux qui vous félicitent vous séduisent, et ils rompent le chemin par où vous devez marcher. (Is 3,12) Je repousse donc les louanges mêmes d'un ennemi; mais le blâme d'un ami, j'en ferai toujours le plus grand cas. Les baisers de l'un me sont déplaisants, les blessures de l'autre me font plaisir; je me défie de celui-là lorsqu'il me baise, et je sens l'intérêt que me porte celui-ci jusque dans les blessures qu'il me fait. Oui, dit le Sage, il y a plus à se fier aux blessures d'un ami qu'aux baisers empressés d'un ennemi. (Pr 27,6) Que dites-vous, homme sage? Des blessures meilleures que des baisers! Oui, dit-il, car je fais attention non à la nature des actes, mais à l'intention de ceux qui les font.

Voulez-vous que je vous montre que les blessures d'un ami sont moins à craindre que les baisers empressés d'un ennemi? Judas baisa le Seigneur, mais son baiser était plein de trahison: il y avait du venin dans sa bouche, sa langue était remplie de malice; Paul, au contraire, frappa l'incestueux de Corinthe, et il le guérit. Et comment le frappa-t-il? en le livrant à Satan: Livrez, dit-il, cet homme à Satan pour la mort de sa chair. Pourquoi? Afin que son esprit soit sauf au jour du Seigneur Jésus.

[83] Voilà des blessures qui sauvent et voilà des baisers qui trahissent. Ainsi, rien de plus vrai, il y a plus à se fier aux blessures d'un ami qu'aux baisers empressés d'un ennemi. Des hommes, passons à Dieu et au démon pour la vérification de cette même maxime. Dieu est notre ami, le démon notre ennemi; l'un est un sauveur et un protecteur, l'autre un fourbe qui s'acharne à nous perdre. Or, celui-ci nous a baisés autrefois, et celui-là nous a frappés. Comment celui-ci nous a-t-il baisés et celui-là frappés? Le voici: le démon a dit: Vous serez comme des dieux, et Dieu a dit: Tu es terre et tu retourneras en terre. (Gn 3,5 Gn 3,19) Lequel des deux nous a mieux servis, de celui qui a dit: Vous serez comme des dieux, ou de celui qui a dit: Tu es terre et tu retourneras en terre? Dieu menaça de mort nos premiers parents, le démon leur promit l'immortalité. Or, celui qui leur avait promis l'immortalité les fit chasser même du paradis, et celui qui les avait menacés de mort les a reçus dans le ciel, eux et leurs descendants. Nouvelle preuve qu'il y a plus à se fier aux blessures d'un ami qu'aux baisers empressés d'un ennemi. Donc, je le répète, je sais gré à ceux qui me blâment de leurs critiques; car, fondés ou non fondés, leurs reproches sont faits dans l'intention non d'injurier, mais de corriger; mais les blâmes même justes des ennemis tendent non pas à corriger, mais à décrier. Les uns, lorsqu'ils louent, encouragent à mieux faire; les louanges des autres sont des piéges où ils veulent faire tomber ceux qui en sont l'objet.

Au reste, de quelque manière que se présente le blâme, c'est toujours un grand bien de le supporter sans s'irriter. Celui, dit l'Écriture, qui hait la réprimande est un insensé. (Pr 12,1) L'auteur ne dit pas telle ou telle réprimande, il dit simplement la réprimande. Un ami vous fait un reproche juste, corrigez votre défaut; le blâme tombe-t-il à faux, louez du moins votre ami de sa bonne intention, voyez le but et reconnaissez un soin amical: la bienveillance a produit le blâme. Ne nous irritons pas lorsqu'on nous reprend. Quel avantage ce serait pour notre vie si, recevant des représentations de tous nos amis sans nous piquer, nous leur rendions nous-mêmes charitablement le service de les avertir de leurs défauts! Les représentations sont aux défauts ce que les remèdes sont aux plaies, et l'on n'est pas moins déraisonnable de repousser les unes que les autres. Mais, la plupart du temps, l'on s'indigne d'être repris, on se dit à soi-même: Quoi! avec ma capacité et mon savoir, je me laisserais faire la leçon par cet homme! On tient ce langage, sans songer qu'on donne ainsi une grande preuve de folie. Car, dit le Sage, espérez mieux de l'insensé que de l'homme qui se croit sage. (Pr 26,12) Saint Paul dit de même: Ne soyez pas sages à vos propres yeux (Rm 12,16)

Soit, votre sagesse, votre perspicacité est admirable; malgré tout vous êtes homme, et vous avez besoin de conseils. Dieu seul ne manque de rien; seul il n'a pas besoin qu'on le conseille, lui de qui il est écrit: Qui connaît la pensée du Seigneur, ou qui a été son conseiller? (Rm 11,34) Mais nous autres hommes, si sages que nous soyons, nous méritons souvent qu'on nous reprenne, et nous laissons souvent voir la faiblesse de notre nature. Car tout ne peut pas se trouver dans les hommes, dit l'Ecclésiastique (Si 17,29-30), par la raison, ajoute-t-il, que le fils de l'homme n'est pas immortel. Quoi de plus lumineux que le soleil? et néanmoins il s'éclipse. Or, de même que l'obscurité vient parfois surprendre, au milieu de ses plus vives splendeurs, cet astre si brillant et lui dérober tous ses rayons; ainsi, pendant que notre intelligence resplendit comme à son zénith, revêtue de toutes ses clartés, souvent il lui survient une défaillance de pensée qui la laisse tout à coup sans lumière. Alors le sage n'aperçoit plus le devoir, tandis que parfois un moins sage le distingue d'une vue beaucoup plus pénétrante et plus sûre. Et cela arrive afin que le sage ne s'exalte pas et que le simple ne se décourage pas.

C'est un grand avantage de savoir souffrir les remontrances; pouvoir en présenter est aussi un grand avantage en même temps qu'une marque certaine de l'intérêt qu'on porte au prochain. Voyons-nous quelqu'un porter de travers et mal liée sa tunique ou quelque autre partie de son vêtement, aussitôt nous l'avertissons; mais si c'est sa vie qui est dissolue, nous ne prenons pas la peine de lui adresser une parole. Nous voyons une vie qui n'est pas selon les convenances et nous passons. Et cependant les travers dans le vêtement, on en est quitte pour quelques rires essuyés; mais les fautes de l'âme, c'est aux plus graves périls qu'elles exposent, c'est par les plus sévères châtiments qu'on les expie. Quoi! vous voyez votre frère qui se jette [84] dans un précipice, qui ne fait nul effort pour sauver sa vie, qui ne voit pas le péril, et vous ne lui tendez pas la main, et vous ne le relevez pas de sa chute! et vous n'avez à lui offrir ni avertissement ni remontrance! Vous l'empêchez de tomber dans le ridicule, de manquer aux bienséances, et quand il y va de son salut, vous ne vous en inquiétez nullement! Quelle justification, quelle excuse aurez-vous à présenter au tribunal de Dieu? Ne savez-vous pas l'ordre donné de Dieu aux Israélites de ne pas négliger la bête égarée d'un ennemi, et lorsqu'elle tombe en un précipice de ne pas passer à côté sans la relever? (Ex 23,4 Ex 23,5 Dt 22,1) Voilà les Israélites à qui il est prescrit de ne pas négliger la bête de somme d'un ennemi, et nous, nous verrons avec indifférence l'âme de notre frère tomber chaque jour dans les piéges du démon! Quelle barbarie, quelle inhumanité de s'intéresser moins à des hommes qu'ils ne s'intéressent à des bêtes! Oui, ce qui perd tout, ce qui confond tout dans notre vie, c'est que nous ne souffrons pas qu'on nous reprenne, et que nous ne nous soucions pas de reprendre les autres. Nos remontrances ne sont trouvées désagréables que parce que nous repoussons avec colère celles qu'on nous présente. Si votre frère vous savait disposé à bien accueillir ses observations et à l'en remercier, lui-même, lorsque vous l'avertiriez, vous rendrait certainement la pareille.

47302 2. Voulez-vous vous convaincre que, même lorsque vous êtes un homme instruit, parfait, parvenu au faîte le plus élevé de la vertu, vous avez encore besoin de conseil, de correction, de remontrance? Ecoutez une antique histoire. Rien n'était égal à Moïse. Il était, dit l'Ecriture, le plus doux des hommes (Nom. 12,3), ami de Dieu, éclairé des lumières de l'Esprit; divin, il possédait en outre toute la sagesse humaine. Moïse, dit encore l'Ecriture, fut instruit de toute la sagesse des Egyptiens. Vous voyez bien que c'était un homme d'une science accomplie. Et il était puissant en parole et en vertu. Ecoutez encore un autre témoignage: Dieu a conversé avec beaucoup de prophètes, mais il n'a conversé avec aucun autre comme il l'a fait avec Moïse. (Dt 34,10) Quelle plus grande preuve de sa vertu voulez-vous que celle que Dieu donne en s'entretenant avec son serviteur comme avec un ami? Sagesse étrangère, sagesse domestique, il réunissait tout. Il était puissant en parole et en oeuvre. Il commandait à la création, ami qu'il était du Maître de la création. Il emmena d'Egypte tout un grand peuple. Il sépara les eaux de la mer et les réunit, et il parut alors un prodige que le soleil. voyait pour la première fois, une mer traversée non en vaisseau, mais à pied, battue non par la rame et l'aviron, mais parles pieds des chevaux. (Ex 33,11)

Eh bien! ce sage, ce puissant en parole et en oeuvre, cet ami de Dieu, cet homme qui commandait à la création, cet auteur de tant de prodiges, ne remarqua pas une chose si simple que tous les hommes,la pouvaient comprendre. Ce fut son beau-père, un barbare, un homme simple qui la remarqua et la proposa; et ce grand homme ne l'avait pas trouvée. Mais, quelle était cette chose? Ecoutez, et vous saurez que chacun a besoin de conseil, fût-ce un autre Moïse, et que ce qui échappe aux plus grands, aux plus intelligents des hommes, se découvre souvent aux petits et aux simples. Lorsque Moïse fut sorti de l'Egypte avec le peuple de Dieu, et qu'il était dans le désert, tous les Israélites, au nombre de six cent mille, venaient devant lui pour lui faire juger leurs différends. Témoin de ce fait, son beau-père, Jéthro, un homme simple, qui passait sa vie dans le désert, qui n'avait aucune habitude des lois et du gouvernement, et, ce qui prouve encore mieux son ignorance, qui adorait les faux dieux, quoi de plus grossier! toutefois ce barbare, ce gentil, cet ignorant s'aperçut, que Moïse s'y prenait mal, et il en reprit ce sage, cet esprit éclairé, cet ami de Dieu. Il lui demanda pourquoi tous ces hommes venaient à lui, et en ayant appris. le motif, il lui dit: Tu ne fais pas bien. (Ex 18,14 Ex 18,17) Et à la réprimande il joignit le conseil, et loin de s'en fâcher, Moïse accueillit l'une et l'autre; Moïse le sage, l'esprit éclairé, l'ami de Dieu, le chef d'un si grand peuple. Ce n'était cependant pas peu de chose de recevoir une leçon d'un barbare, d'un ignorant. Les étonnants miracles qu'il faisait, la grandeur du pouvoir qu'il exerçait ne l'enflèrent point, il ne rougit point d'être repris en présence de ses subordonnés. Il comprit que ses grands prodiges ne l'empêchaient pas d'être toujours homme, par conséquent d'ignorer beaucoup de choses, et il reçut avec douceur le conseil qu'on lui donnait. Or, combien n'en voit-on pas qui, pour ne pas paraître avoir besoin de conseil, aiment mieux trahir l'intérêt de la cause qu'ils servent que de corriger leur tort (85) en profitant d'un bon avis? Ils préfèrent ignorer plutôt que de s'instruire, ne sachant pas que l'on est blâmable non de s'instruire, mais d'ignorer; non d'apprendre, mais de persister dans son ignorance; non d'être repris, mais de s'opiniâtrer à mal faire.

Oui, je le répète, l'homme le plus ordinaire et le plus simple trouve souvent ce qui échappe aux grands génies. Moïse le comprit, et il écouta avec douceur le conseil que lui donna son beau-père, disant: Etablis des chefs de mille, de cent, de cinquante et de dix hommes, ils te rapporteront les causes difficiles, et jugeront eux-mêmes les plus faciles. (Ex 18,21-22) Oui, Moïse écouta ce conseil sans que son amour-propre en fût blessé, sans rougir, sans être embarrassé de la présence de ses subordonnés; il ne se dit pas à lui-même: Je vais me faire mépriser de ceux qui m'obéissent, si, étant chef, je me laisse enseigner mes devoirs par un autre. Il reçut l'avis et le mit en pratique, il n'eut honte ni des contemporains, ni de la postérité; bien plus, comme s'il eût voulu tirer vanité de la remontrance de son beau-père, il l'a, par ses écrits, portée à la connaissance des hommes, non-seulement de son temps, mais encore de tous ceux qui sont venus après jusqu'à ce jour, et de tous ceux qui fouleront encore la terre jusqu'à l'avènement du Fils de Dieu; il n'a pas craint de publier à la face du monde qu'il n'avait pas su voir par lui-même ce qu'il fallait, et qu'il avait été redressé par son beau-père. Et nous, pour un homme qui est témoin des réprimandes que l'on nous fait, on nous voit troublés, hors de nous-mêmes, doutant si nous pourrons survivre à notre humiliation. Tel n'était pas Moïse; les témoins sans nombre que son ceil apercevait devant lui aussi bien que dans la suite des âges ne le font pas rougir ni hésiter à confesser tous les jours dans son livre, à la face de l'univers, que son beau-père a découvert ce que lui-même n'avait pas -su découvrir. Pour quelle raison a-t-il transmis ce fait à la mémoire des hommes? Pour nous avertir de ne pas trop présumer de nous, quelque sages que nous soyons, de ne pas mépriser les conseils même des derniers de nos frères. Un bon conseil vous est offert, recevez-le, vînt-il d'un esclave; s'il est mauvais, rejetez-le, quelle que soit la dignité de celui qui le donne. Ce n'est pas la qualité du conseiller, mais la nature du conseil qu'il faut considérer. Moïse nous apprend donc à ne pas rougir d'une réprimande même en présence d'un peuple nombreux. C'est le fait d'une vertu qui n'a rien de vulgaire, et le propre de la sagesse la plus haute, que de supporter courageusement la réprimande. Nous n'admirons pas tant Jéthro de ce qu'il reprit Moïse que nous ne sommes étonnés de voir ce grand saint se laisser courageusement redresser en public par Jéthro, livrer le fait à la connaissance du genre humain, montrant ainsi, sans le savoir, combien grande était sa sagesse et petite l'importance qu'il attachait à l'opinion des hommes.

47303 3. Mais voilà qu'en nous excusant de la longueur de nos exordes, nous en avons fait un plus long que jamais, un toutefois qui contient autre chose que de vaines paroles, puisque, chose très-grave et très-nécessaire, nous vous exhortons à supporter courageusement les remontrances, comme aussi à reprendre avec zèle et à redresser ceux qui font mal. Force nous est cependant de nous expliquer au sujet de cette prolixité qu'on nous reproche, et de dire pourquoi nos exordes ont cette étendue. Quelles sont donc nos raisons? Nous parlons à une grande multitude composée d'hommes ayant des femmes et des enfants à nourrir, des maisons à régir, le poids d'un travail quotidien à soutenir, d'hommes sans cesse plongés dans les préoccupations de cette vie. Le difficile ne vient pas seulement de ce qu'ils n'ont pas de loisir, mais surtout de ce que nous ne pouvons les avoir ici qu'une fois la semaine; il faut les mettre à même de nous suivre et de nous comprendre. Or, c'est par le moyen des exordes que nous essayons d'éclaircir ce qu'il pourrait y avoir d'obscur dans nos instructions. Celui que ne distrait aucune occupation matérielle, qui est toujours cloué sur les livres saints, celui-là n'a pas besoin du secours de l'exorde; l'orateur n'a pas encore exprimé toute sa pensée, qu'un tel auditeur la comprend déjà tout entière. Mais un homme qui porte presque continuellement la chaîne des occupations de cette vie, qui ne fait que paraître ici un instant de loin en loin, si un exorde un peu étendu ne prépare point son esprit et ne l'amène comme pas à pas en lui frayant la voie jusqu'au sujet, il écoutera sans entendre et se retirera sans profit.

Autre raison non moins considérable. Entre tant d'auditeurs, les uns sont exacts, les autres ne le sont guère à venir ici; nécessité donc de (86) louer les uns et de réprimander les autres, afin que ceux-ci se corrigent de leur négligence et que ceux-là redoublent de zèle. Les exordes sont encore utiles pour une autre cause. Les sujets que nous traitons sont ordinairement trop vastes pour qu'il soit possible de les achever en une seule fois, nous sommes obligés de donner deux et trois, et même quatre discours à la même matière. De là encore, la nécessité de reprendre chaque fois les conclusions de l'instruction précédente; cet enchaînement est nécessaire à la clarté de l'exposition; sans lui nos auditeurs ne verraient rien à nos discours. Pour vous faire comprendre combien, sans la préparation de l'exorde, un discours serait peu compréhensible, écoutez, j'entame brusquement mon sujet; c'est une expérience que je veux faire. Jésus l'ayant regardé, lui dit: Tu es Simon, fils de Jonas, tu t'appelleras Céphas, c'est-à-dire Pierre. (
Jn 1,42) Voyez, comprenez-vous? Savez-vous ce qui précède et amène cette parole? En face de ce sujet brusquement entamé, vous voilà comme un homme que l'on introduirait au théâtre après l'avoir entouré de voiles épais. Eh bien! ces voiles, ôtons-les maintenant par le moyen d'un exorde. C'était sur saint Paul que roulait dernièrement notre discours, nous parlions des noms, et nous recherchions pourquoi cet apôtre s'appela d'abord Saul, puis Paul. De là, nous sommes passés à l'Ancien Testament, et nous avons passé en revue tous ceux à qui Dieu a donné des noms. Nous en sommes venus à Simon et à la parole que le Seigneur lui adresse: Tu es Simon, fils de Jonas, tu t'appelleras Céphas, c'est-à-dire Pierre. Voyez-vous comment ce qui semblait hérissé de difficultés est devenu facile et uni? De même qu'il faut une tête à un corps, une racine à un arbre, une source à un fleuve, de même il faut un exorde à un discours. Maintenant que nous vous avons amenés jusqu'à l'entrée de la voie et que vous voyez la suite des choses, entamons le commencement de l'histoire. Saul respirant encore la menace et le meurtre contre les disciples du Seigneur. (Ac 9,1)

Il s'appelle Paul dans les Epîtres. Pourquoi donc le Saint-Esprit lui a-t-il changé son nom? Quand un maître achète un esclave, il lui donne un autre nom pour lui faire mieux comprendre à qui il appartient; c'est aussi ce qu'a voulu le Saint-Esprit. Il avait fait saint Paul prisonnier de guerre, il n'y avait pas longtemps qu'il s'en était rendu maître, il lui changea donc son nom pour lui faire sentir qu'il avait un nouveau maître. Le pouvoir d'imposer des noms est une marque de domination; nous le voyons manifestement par la pratique journalière de la vie et, mieux encore, par la conduite de Dieu envers Adam. Voulant lui montrer qu'il l'établissait maître de la terre et de ses habitants, il amena devant lui tous les animaux, afin qu'il vît à leur donner des noms (Gn 2,19); ce qui montre bien que c'est une prise de possession que l'imposition d'un nom. On en use de même parmi les hommes, et c'est assez l'habitude de ceux qui font des prisonniers à la guerre de leur changer leurs noms. C'est ce que fit, par exemple, le roi des Babyloniens pour Ananias, Azarias et Misaël, ses prisonniers de guerre, auxquels il donna les noms de Sidrac, Misac et Abdénago.

Mais pourquoi le changement du nom n'eut il lieu que plus tard pour l'Apôtre, et non immédiatement? Parce qu'un changement si prompt n'eût pas assez laissé paraître la conversion de Paul, et que son passage à la foi eût été moins remarqué. Ce qui arrive pour les esclaves fugitifs, qui se rendent introuvables par un simple changement de nom, serait arrivé pour Paul; si; tout en passant de la synagogue à l'église, il avait pris un autre nom, il serait demeuré inaperçu, et personne n'aurait découvert le persécuteur dans l'Apôtre. Or, l'important, c'était précisément que l'on apprît que le persécuteur était devenu apôtre. Rien ne confondait les Juifs comme de voir que celui qui avait été leur maître fût devenu leur adversaire. Le Saint-Esprit a donc laissé quelque temps à l'Apôtre son premier nom, de peur qu'un prompt changement de nom ne cachât le changement du coeur. Il faut que tous sachent que celui qui d'abord persécutait l'Eglise en est devenu le défenseur; cette prodigieuse conversion une fois connue, le nom sera changé. Cette raison nous est indiquée par saint Paul lui-même, lorsqu'il dit: J'allai dans la Syrie et dans la Cilicie. Or, les Eglises de Judée ne me connaissaient point de visage. (Ga 1,21) S'il était inconnu dans la Palestine, où il demeurait, combien plus dans les pays éloignés! Son visage était inconnu, mais il ne dit pas que son nom le fût. Pourquoi les fidèles ne connaissaient-ils point son visage? C'est que nul d'entre eux n'osait le regarder en (87) face, lorsqu'il faisait la guerre à l'Église, tant il respirait le meurtre et la fureur. Tous s'éloignaient, tous fuyaient, quand ils le voyaient paraître quelque part; quant à le regarder en face, nul ne l'osait, tant il était déchaîné contre uni! Ils entendaient seulement dire que celui qui les persécutait naguère prêchait maintenant la foi qu'il avait voulu détruire. Puis donc qu'ils ne connaissaient pas les traits de son visage, s'il eût sur-le-champ pris un nouveau nom, ceux mêmes qui auraient entendu parler de sa conversion n'auraient point assez remarqué le persécuteur devenu prédicateur de l'Évangile. Tous savaient son premier nom de Saul, et s'il eût pris celui de Paul tout en embrassant la foi, ceux à qui l'on aurait dit: Paul, celui qui persécutait les fidèles, prêche maintenant la foi, n'auraient pas compris qu'on leur parlait du fameux persécuteur qu'ils connaissaient sous le nom de Saul, et non pas sous celui de Paul. Le Saint-Esprit laissa donc notre Apôtre assez longtemps avec son premier nom, afin d'attirer sur lui les regards et l'attention des fidèles, même de ceux qui étaient éloignés, même de ceux qui ne le connaissaient pas.

47304 4. Le délai apporté dans le changement du nom de l'Apôtre est suffisamment expliqué; il nous faut à présent reprendre notre texte: Saul respirant encore la menace et le meurtre contre les disciples du Seigneur. Qu'est-ce à dire, encore? Qu'avait-il donc déjà fait pour que l'on dise encore? Ce mot encore insinue qu'il s'agit d'un homme qui s'est déjà signalé par des exploits mauvais. Qu'avait-il donc fait? ou plutôt que n'avait-il pas fait? Il avait rempli Jérusalem du sang des fidèles, ravagé l'Église, poursuivi les apôtres, lapidé saint Etienne; il n'épargnait ni les hommes ni les femmes. Écoutez ce qu'en dit son disciple: Saul ravageait l'Église, entrant dans les maisons, entraînant hommes et femmes. (Ac 8,3) La place publique ne lui suffisait pas: il violait le secret des maisons, entrant dans les maisons, dit l'écrivain sacré, et il ajoute, non pas emmenant, ni tirant, mais traînant hommes et femmes. Il ne parlerait pas autrement d'un animal féroce entraînant hommes et femmes; entendez bien l'auteur ne dit pas seulement les hommes, mais encore les femmes. Il n'avait nul égard à la nature, il ne respectait point le sexe; il n'était point touché à l'aspect de la faiblesse. Le zèle l'enflammait, et non la colère. Ç'a été son excuse, et il a été trouvé digne de pardon après s'être rendu coupable des mêmes actes.:qui firent condamner les Juifs. Eux, c'était le désir de gagner l'estime des hommes et l'amour de la vaine gloire qui les faisaient agir. Lui, au contraire, était poussé par son zèle pour le service de Dieu, zèle, sincère, quoique aveugle. De là, vient que les autres juifs, sans s'occuper des femmes, faisaient la guerre aux hommes; parce qu'ils voyaient leur gloire, l'antique gloire du peuple juif, passer à ces hommes nouveaux. Pour lui, le zèle qui l'animait. ne lui permettait pas d'épargner personne. C'était à ce zèle encore inassouvi que saint Luc songeait, lorsqu'il écrivait ces paroles: Saul respirant encore la menace et le meurtre contre les disciples du Seigneur. Le meurtre de saint Etienne ne l'a pas rassasié; la persécution de l'Église n'a pas assouvi sa soif du sang chrétien; sa rage, loin d'être épuisée, courait toujours à de nouveaux excès. Le zèle en était le principe. Il est encore tout couvert du sang d'Étienne, et déjà il poursuit les Apôtres. Il est comme un loup féroce qui a déjà attaqué une bergerie, qui en a enlevé un agneau, qu'il a déchiré de sa gueule sanglante, et qui n'en est devenu que plus altéré dé carnage et plus hardi. Tel Saul se jetait sur le choeur apostolique; il avait déjà enlevé l'agneau Etienne, il l'avait dévoré : son âpreté au meurtre s'en était accrue. Voilà le sens de ce mot encore.

Quel autre cependant n'eût pas- été satisfait d'une telle victime, touché de tant de douceur, vaincu par la prière que le martyr, pendant qu'on le lapidait, adressait au ciel pour ses bourreaux: Seigneur, ne leur imputez pas ce péché? (Ac 7,59) Prière sublime qui d'un persécuteur fit un apôtre. Ce fut en effet:tout de suite après le martyre d'Étienne qu'eut lieu la conversion de Paul. Dieu avait entendu la voix de son serviteur. Etienne méritait d'être exaucé tant pour la future vertu de Paul, que pour sa propre confession: Seigneur, ne leur imputez pas ce péché. Ecoutez, vous qui avez des ennemis, vous qui êtes en hutte à l'injustice. Vous. avez peut-être beaucoup souffert, mais avez-vous été lapidés comme saint Etienne? Et voyez ce qui se passait! Par la mort d'Étienne, une source évangélique se fermait dans l'Église, mais déjà s'ouvrait une autre source de laquelle devaient couler des milliers de fleuves. La bouche d'Étienne se tait, et aussitôt éclate dans le monde (88) la trompette de Paul. C'est ainsi que jamais Dieu n'abandonne son Eglise, et qu'il répare les pertes dont l'ennemi l'afflige par des dons plus grands. Le Christ ne souffre pas le vide dans sa phalange: on lui enlève un soldat, et vite le poste est occupé par un plus grand. Et ceci nous met sur la voie d'un nouveau sens du mot encore. Il signifie que Saul était encore furieux, encore altéré de carnage, encore bouillant de rage, lorsque déjà le Christ l'attirait à lui. Car il n'attendit pas la cessation du mal, l'extinction du feu, l'apaisement de la fureur, pour amener à lui le persécuteur. Jésus-Christ se saisit de son ennemi lorsque celui-ci était au comble de l'irritation; quelle plus grande marque de sa puissance pouvait-il donner que de maîtriser, que de dompter ce coeur au milieu même de son délire et dans le transport de sa bouillante colère? Un médecin ne fait jamais plus admirer son art que lorsque, amené en présence d'un malade qu'une fièvre ardente dévore, il éteint et fait complètement disparaître cette flamme d'un mal arrivé à son paroxysme. Voilà ce qu'éprouva Paul. Sa fièvre était au paroxysme, et comme une douce rosée qui descendait du ciel, la voix du Seigneur le délivra complètement de son mal. Saul respirant encore la menace et le meurtre contre les disciples du Seigneur. Vous le voyez, il laissait de côté la foule pour s'attaquer aux disciples. Comme un homme qui veut abattre un arbre, va droit à la racine, sans s'occuper des branches, ainsi Paul attaquait les disciples du Seigneur pour couper en eux la racine dû la prédication évangélique.

Mais il se trompait; la racine de là prédication, ce n'étaient pas les disciples, c'était le Maître. Ecoutez:: Je suis la vigne, et vous les branches. (Jn 15,5) Or cette racine-là, nul ne peut la frapper. Aussi plus on coupait de branches, plus il en repoussait de nouvelles. Etienne retranché, à sa place repoussent saint Paul et ceux qui reçoivent la foi par saint Paul. Ecoutez la suite du récit: Or il arriva, comme il approchait de Damas, que tout à coup éclata autour de lui une lumière venant du ciel, et étant tombé à terre, il entendit une voix qui lui disait: Saul, Saul, pourquoi me persécutes-tu? Pourquoi la voix ne se fait-elle pas entendre la première?pourquoi est-ce la lumière qui éclate d'abord? C'est afin que Saul écoute la voix avec calmé. Quand un homme a l'esprit tendu vers un objet, qu'il est rempli d'ardeur, on a beau l'appeler, il n'entend pas, parce qu'il est tout entier à ce qui l'occupe. C'est ce qui aurait eu lieu pour Paul. L'espèce d'ivresse et de délire que lui causait la pensée des événements ne lui aurait pas permis d'écouter la voix, il n'en aurait pas même entendu les premières paroles, tant son esprit était attaché tout entier à l'oeuvre de destruction qu'il méditait; c'est pourquoi le Seigneur éblouit d'abord ses yeux par l'éclat de la lumière: il le force ainsi à se recueillir, il le calme, il l'apaise; et quand il n'y a plus de trouble dans son âme, que le calme y règne, c'est alors qu'il fait entendre la voix, afin que la tempête d'orgueil qui agitait son coeur étant enfin tombée, il écoute avec une raison sereine les divines paroles qui vont venir à son oreille.

Saul, Saul, pourquoi me persécutes-tu? Il accuse moins qu'il ne se défend. Pourquoi me persécutez-vous? qu'avez-vous à vous plaindre de moi? quel mal vous ai-je fait Est-ce parce que j'ai ressuscité vos morts? parce que j'ai purifié vos lépreux? parce que j'ai chassé les démons? Mais ces choses-là devraient me faire adorer et non persécuter. Pour vous faire comprendre que le Seigneur se défend plus qu'il n'accuse par cette parole Pourquoi me persécutes-tu? écoutez comment s'exprime son Père, parlant aux Juifs, et comparez: Saul, Saul, pourquoi me persécutes-tu? dit Jésus-Christ; et son Père dit Mon peuple, que l'ai-je fait, en quoi t'ai-je contristé? (Mi 6,3) Saul, Saul, pourquoi me persécutes-tu? Te voilà renversé, te voilà lié sans chaîne. Tel un maître, qui serait parvenu à s'emparer d'un esclave coupable d'évasion ainsi que de mille autres méfaits, qui le tiendrait dans les fers et qui lui dirait: que veux-tu que je te fasse maintenant? te voici dans mes mains; tel est Notre-Seigneur à l'égard de Paul; il l'a pris, il l'a renversé par terre, il le voit craintif et tremblant, sans pouvoir faire un mouvement, et il lui dit: Saul, Saul, pourquoi. me persécutes-tu? Qu'est devenue ta colère? Où sont maintenant ces emportements d'un zèle faux? Que fais-tu de ces fers destinés aux fidèles et que tu leur portais en courant par tout le pays? Je ne vois plus sur ton visage cet air féroce qui te signalait naguère. Tu es immobile à présent, et tu ne peux même regarder celui que tu persécutais. Tout-à-l'heure tu te hâtais, tu courais à la tête d'une troupe d'hommes armés, et (89) maintenant tu as besoin de quelqu'un qui te conduise par la main.

Pourquoi me persécutes-tu? En entendant cette parole, Paul comprend toute l'indulgence du Seigneur qui a souffert une persécution qu'il pouvait si facilement arrêter; bonté sans faiblesse dans le passé, providence sans cruauté dans le présent, voilà ce qu'il découvre dans la conduite de Dieu à son égard. Et que répond-il? Qui êtes-vous, Seigneur? L'indulgence lui a révélé le Seigneur de toutes choses, sa propre cécité lui fait voir le Tout-Puissant, et aussitôt il confesse sa souveraine autorité: Qui êtes-vous, Seigneur? Voyez quel coeur bien disposé, quelle âme remplie d'une généreuse liberté, quelle conscience sincère! Il ne résiste ni ne dispute, mais il reconnaît le Maître sur-le-champ. Les Juifs avaient vu des morts ressuscités, des aveugles recouvrer la vue, des lépreux purifiés, et non-seulement ils n'étaient pas accourus à l'Auteur de tant de merveilles, mais ils l'avaient insulté, appelé imposteur, ils lui avaient tendu toute espèce d'embûches. Saint Paul se conduit bien différemment, et sa conversion ne se fait pas attendre. Et la réponse du Christ, quelle est-elle? Je suis Jésus que tu persécutes. Et pourquoi ne dit-il pas: je suis Jésus ressuscité, je suis Jésus assis à la droite de Dieu, mais: je suis Jésus que tu persécutes? C'est pour émouvoir son coeur, pour faire pénétrer la componction dans son âme. Ecoutez comment, longtemps après, il soupire amèrement sur ce passé réparé cependant par tant de travaux: Je suis le moindre de tous les Apôtres, je ne suis pas même digne d'être nommé Apôtre, moi qui ai persécuté l'Eglise. (1Co 15,9) Si tels étaient ses sentiments après les oeuvres merveilleuses de son apostolat, que devait-il éprouver, alors qu'il n'avait encore rien fait pour Dieu, que la persécution dont il s'était rendu coupable était seule présente à sa pensée, et qu'il entendait cette voix divine?

47305 5. Mais ici se présente une objection. Ne vous lassez pas, quoique le jour baisse déjà: nous parlons en l'honneur de Paul, de Paul qui pendant trois ans enseigna les fidèles jour et nuit. On nous fait donc une objection et l'on nous dit: Quoi d'étonnant si saint Paul a embrassé la foi? pouvait-il résister à cette voix divine que je comparerais volontiers à une corde que Dieu lui fiait autour du cou pour l'attirer vers lui? Prêtez-moi, toute votre attention. Nous avons tous les jours à combattre sur ce point les Gentils et les Juifs qui s'efforcent, en rabaissant le mérite d'un homme juste, de déguiser le vice de leur propre incrédulité, sans s'apercevoir qu'ils pèchent doublement, d'abord en ne renonçant pas à leurs erreurs, puis en essayant de dénigrer le favori de Dieu. Avec la grâce de Dieu nous saurons rendre vaines toutes leurs attaques. Mais qu'osent-ils dire contre l'Apôtre? Que Dieu a usé de contrainte pour le convertir. Où voyez-vous la contrainte, mon ami? Dieu, dites-vous, l'a appelé d'en-haut. Tout de bon, le croyez-vous? Mais alors si vous croyez que Dieu a appelé Paul, la même voix vous appelle vous-même tous les jours, et toutefois vous n'obéissez pas. Vous voyez donc qu'il n'y a pas eu de contrainte pour Paul, puisque s'il y en avait eu pour lui il y en aurait aussi pour vous, et vous obéiriez; votre désobéissance est la preuve que son obéissance a été libre et volontaire. S'il est certain que la vocation a beaucoup contribué au salut de saint Paul, comme à celui des autres hommes, il ne l'est pas moins qu'elle ne l'a pas exempté des bonnes oeuvres, ni surtout du mérite d'une bonne volonté; qu'elle a laissé entier son libre arbitre, qu'il est venu à Dieu librement sans subir de contrainte. Un, autre exemple vous le démontrera jusqu'à l'évidence. Les Juifs, eux aussi, ont entendu une voix d'en-haut. voix non du Fils, mais du Père, laquelle fit retentir les bords du Jourdain de ces paroles Celui-ci est mon Fils bien-aimé, et cependant ils disent: Celui-ci est un séducteur. (Mt 3,17 Mt 27,63) Quelle opposition signalée! quelle lutte ouverte! Vous voyez qu'une bonne volonté, qu'une âme sincère, qu'un coeur dégagé de toute prévention fâcheuse sont partout nécessaires. Une voix se fait entendre aux Juifs, une voix à saint Paul: saint Paul obéit, les Juifs résistent. La voix qui parle aux Juifs n'est même pas. seule, mais en même temps se montre le Saint-Esprit sous la figure d'une colombe. Comme Jean baptisait, et que le Christ était baptisé, de peur que, ne voyant que la forme humaine, on n'estimât le baptisant plus grand que le baptisé, il vint une voix pour distinguer celui-ci de celui-là. Et comme l'on ne distinguait pas assez de qui la voix parlait, le Saint-Esprit vint, sous forme de colombe se poser sur la tête du Christ, afin qu'il n'y eût plus lieu à aucun doute. Tout ensemble la voix l'annonçait, le Saint-Esprit le (90) désignait, et Jean s'écriait: Je ne suis pas digne de dénouer les cordons de ses souliers. (Lc 3,16) Les Juifs virent encore éclater des milliers d'autres signes miraculeux soit en paroles soit en actes, et, nonobstant ces lumières, ils sont demeurés dans leur aveuglement. Leurs yeux voyaient, leurs oreilles entendaient, et leur raison restait plongée dans la nuit des préjugés. C'est ce que l'Evangéliste rapporte expressément lorsqu'il dit que beaucoup de Juifs crurent en Jésus, mais qu'ils ne le confessaient pas, de peur d'être chassés de la synagogue par les chefs du peuple. (Jn 7,42) Et Jésus-Christ lui-même disait: Comment pouvez-vous avoir la foi, vous qui recevez de la gloire les uns des autres et ne recherchez pas la gloire qui est de Dieu seul? (Jn 5,44)

Paul se conduit bien différemment: il n'entend qu'une, seule fois la voix de celui qu'il persécute, et aussitôt il accourt, aussitôt il obéit, sa conversion est soudaine et complète. Si vous n'êtes pas trop fatigués de la longueur de ce discours, je poursuivrai cette comparaison de la bonne volonté de saint Paul et de l'obstination des Juifs, et je vous citerai un autre exemple qui en fera mieux ressortir le contraste. -Les Juifs eux-mêmes entendirent la voix du Fils, ils l'entendirent comme Paul l'avait entendue, et presque dans les mêmes circonstances, et néanmoins ils ne crurent pas. Ce fut au fort de son délire et de sa colère, dans le feu de la guerre qu'il faisait aux disciples, que Paul entendit la voix: on en peut dire autant des Juifs. Quand et comment? Ils sortirent la nuit avec des torches et des lanternes. pour le prendre, car ils croyaient n'avoir à faire qu'à un pur homme. Mais lui, voulant les instruire de sa puissance, et, en dépit de leur obstination, leur montrer qu'il est Dieu, leur dit: Qui cherchez-vous? (Jn 18,4) Ils étaient devant lui et tout près, et ils ne le voyaient pas. Ils le cherchaient, et c'était lui qui guidait leurs pas afin qu'ils le trouvassent; Jésus voulait leur apprendre qu'il n'allait pas à la passion par contrainte, et que, s'il n'avait pas consenti à souffrir, aucune puissance humaine n'aurait pu l'y forcer. Comment auraient-ils pu le contraindre ceux qui ne savaient pas même le trouver? que dis-je, ceux qui ne pouvaient même pas le voir quoiqu'il fût présent? Non-seulement ils ne le voyaient pas, quoique présent, mais Jésus les interrogeait, ils lui répondaient, et ils ne savaient pas encore qui était celui qui leur parlait, tant ils étaient aveuglés! Jésus fit plus: il fit tomber ces hommes à la renverse. Lorsqu'il eut dit Qui cherchez-vous? tous s'en allèrent à la renverse comme poussés par cette voix. La voix les renversa par terre de la même manière que saint Paul fut lui-même terrassé par celle qu'il entendit. Saint Paul ne vit pas celui qu'il persécutait, les Juifs ne virent pas celui qu'ils cherchaient. La fureur de Paul l'empêcha de voir, la fureur des Juifs les empêcha de voir. Paul fut terrassé lorsqu'il était en route pour aller enchaîner les disciples, les Juifs le furent pendant qu'ils allaient pour enchaîner le Christ. Ici des chaînes, et là des chaînes; persécution ici, persécution là; cécité d'une part, cécité de l'autre; voix dans un cas, voix dans l'autre; dans les deux cas la puissance du Christ paraît avec le même éclat, les remèdes employés sont les mêmes, mais l'effet produit n'est pas. le même; c'est qu'aussi les malades étaient bien différents. Quoi de plus insensé, de plus stupidement dur que les Juifs? Il sont renversés, mais ils se relèvent et poursuivent leur criminelle entreprise. Des pierres seraient-elles plus insensibles! Afin qu'ils sachent quel est Celui qui les a jetés par terre par cette seule parole: Qui cherchez-vous? il réitère sa demande lorsqu'ils sont levés: Qui cherchez-vous? puis, quand ils ont répondu: Jésus, il reprend: Je vous l'ai déjà dit: C'est moi. (Jn 18,6) C'est comme s'il leur disait: sachez que je suis le même qui mous ai demandé: qui cherchez-vous? et qui vous ai terrassés. Mais cela ne produisit aucun effet, et ils demeurèrent dans leur aveuglement. Ce parallèle a dû vous convaincre que saint Paul ne s'est pas converti par nécessité, mais par l'heureuse disposition de son âme et par la sincérité de sa conscience.

47306 6. Si vous le permettez et si votre patience n'est pas épuisée, je vous citerai encore un exemple plus saisissant, et qui démontrera, sans qu'il reste rien à objecter, que ce ne, fut pas par nécessité, mais librement, que saint Paul s'est converti au Seigneur. Paul vint plus tard à Salamine, dans l'île de Chypre, et il trouva là un magicien qui le combattait en présence du proconsul Sergius. Alors Paul rempli du Saint-Esprit lui dit: O homme rempli de fraude et de malice, fils du diable, ne cesseras-tu pas de pervertir les voies du Seigneur? (Ac 13,10) C'est ainsi que parle (91) maintenant ce persécuteur. Glorifions Celui qui l'a si bien converti. Tout à l'heure vous entendiez dire qu'il dévastait l'Église, qu'il entrait dans les maisons pour en retirer les hommes et les femmes qu'il traînait en prison. Entendez maintenant les fiers accents de sa prédication: Ne cesseras-tu pas de pervertir les voies droites du Seigneur? Et voici que la main du Seigneur s'étend sur toi, et tu seras aveugle jusqu'à un temps. Le remède qui lui avait rendu la vue à lui-même, il l'imposa au magicien; mais celui-ci resta aveugle, ce qui vous montre que la vocation n'a pas toute seule amené saint Paul à la foi, et que sa bonne volonté y a contribué en même temps. Si la cécité seule avait fait ce miracle, elle l'eût également opéré sur le magicien. Il n'en fut pas ainsi. Le magicien demeura dans les ténèbres; et le proconsul témoin du prodige crut. Le remède est appliqué à celui-là et c'est sur celui-ci qu'il opère. Voyez ce que peut la bonne disposition du coeur, ce que peut l'obstination et l'endurcissement! Le magicien devint aveugle, il était opiniâtre, c'est pourquoi il ne profita pas du remède; mais le proconsul ouvrit les yeux à la lumière et connut le Christ.

Saint Paul s'est donc converti librement, je l'ai suffisamment démontré. Non, soyez-en convaincus, Dieu ne force pas les volontés rebelles, il attire seulement les volontés obéissantes. Personne, dit Notre-Seigneur, ne vient à moi, si mon Père ne l'attire. (Jn 6,44) Or, le Père n'attire que celui qui veut être attiré, et qui du fond de sa misère tend les bras au divin Libérateur. Encore une fois, Dieu ne fait pas violence aux volontés; il voudrait notre salut qu'il ne saurait l'opérer, si nous ne le voulions pas, non pas que sa volonté soit faible, mais il ne veut forcer personne. Je crois nécessaire d'insister sur cette proposition, à cause du grand nombre de ceux qui, pour colorer leur paresse, font valoir ce faux prétexte; les exhorte-t-on à la lumière du baptême, à un changement de vie, à la pratique des bonnes oeuvres: ils hésitent, ils reculent, et répondent qu'ils attendent que Dieu veuille bien les persuader et les convertir. Qu'ils s'en remettent à la volonté de Dieu, rien de mieux; mais il faut déjà qu'ils fassent ce qui dépend d'eux-mêmes, et je leur permettrai alors de dire quand Dieu voudra. Car si vous vous livrez au sommeil et à l'indifférence, vous aurez beau vous en référer à la volonté de Dieu, rien ne se fera jamais de ce qu'il faut, je vous le déclare. Je ne me lasse pas de vous répéter que jamais Dieu n'a usé de contrainte et de violence pour attirer à lui un seul homme. Il veut que tous soient sauvés, il ne sauve personne malgré sot, Saint Paul ne dit-il pas, lui qui veut-le salut de tous les hommes et leur arrivée à la connaissance de la vérité? (1Tm 2,4) Comment donc tous né sont-ils pas sauvés, si Dieu veut qu'ils le soient? c'est que la volonté de tous ne se conforme pas à sa volonté et qu'il ne contraint personne. N'a-t-il pas dit: Jérusalem, Jérusalem, que de fois j'ai voulu rassembler tes enfants, et tu ne l'as pas voulu? Et quel sera le sort de Jérusalem? écoutez: Voici que votre maison demeurera déserte. (Lc 13,34-35) Vous le voyez, Dieu a beau vouloir nous sauver, si nous n:y consentons pas, nous sommes maîtres de nous perdre. Encore une fois, Dieu ne sauve que celui qui veut bien être sauvé. Les hommes dominent leurs esclaves bon gré mal gré, parce qu'ils se proposent, dans leur domination, leur propre intérêt et nullement celui de leurs serviteurs. Mais Dieu, gui ne manque de rien, Dieu qui veut nous montrer que s'il désire nous avoir pour ses serviteurs ce n'est pasqu'il ait besoin de ce qui est à nous, mais parce qu'il recherche notre intérêt, Dieu qui fait tout pour notre utilité et rien pour son avantage, qui nous accorde notre salut quand nous l'acceptons avec empressement et reconnaissance, Dieu ne peut user de violence contre ceux qui lui résistent, et, en respectant leur liberté,. il -montre que nous lui devons de la reconnaissance pour sa domination, et qu'il ne nous en doit point pour notre soumission. Pénétrons-nous de ces pensées, réfléchissons à la charité de Dieu pour les hommes, et, autant que nous le pouvons, menons une vie qui soit digne de cette bonté, afin que nous méritions de posséder le royaume des cieux, que je vous souhaite à tous, par la grâce et la charité de Notre-Seigneur Jésus-Christ, à qui soient la gloire et l'empire, avec le Père, le Saint-Esprit, maintenant et toujours, et dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.




47400

Quatrième homélie - Réprimande aux absents, exhortation à ceux qui sont présents de s'occuper de leurs frères. - Sur le commencement de l'épître aux Corinthiens: «appelé» Paul, et de l'humilité.


Chrysostome Homélies 47200