Chrysostome Homélies 57100

HOMÉLIE SUR CE TEXTE: IL FAUT QU'IL Y AIT DES HÉRÉSIES PARMI VOUS, ETC.

Rm 7,20 1Co 11,17-34



AVERTISSEMENT et ANALYSE.

Nous ne pouvons rien dire, même par conjecture sur la date ni sur le lieu de cette homélie.

1. Le mot qu'il faut ne doit pas s'entendre dans le texte ci-dessus d'une nécessité quelconque; mais c'est simplement une prédiction que fait l'Apôtre. Le mot grec ina du texte n'indique pas la cause mais l'événement. - 2. Dans ce passage de saint Paul, il ne s'agit pas des hérésies proprement dites, mais des scissions que l'orgueil faisait naître entre les riches et les pauvres de Corinthe. - 3. Charmante description de l'agape chrétienne dans les premiers temps de l'Église. - 4. Saint Paul reprend les riches fortement et doucement. Continuation du commentaire. - 5. Exhortation.



57101 1. Une assez ardente émotion éclatait dernièrement dans ce théâtre spirituel, quand je vous montrais dans mon discours Jérusalem gémissant et annonçant ses propres malheurs: Alors je vis vos yeux se gonfler de larmes toutes prêtes à couler; je vis -les sentiments qui oppressaient mon âme, pénétrer dans les vôtres et les remplir de douleur et de trouble. Aussitôt je mis fin à cette tragédie; je dérobai mon sujet, et j'arrêtai les gémissements qui allaient s'échapper du fond de vos coeurs. Car l'esprit en proie à la douleur ne saurait proférer ni recevoir aucune parole salutaire. Mass pourquoi vous ai-je rappelé ce souvenir? Parce que le sujet que je dois traiter aujourd'hui tient de près à celui que je traitais en ce jour. Mes paroles d'alors réprimaient la mollesse de notre conduite et corrigeaient notre négligence du devoir. Ce que je vais dire maintenant vous donnera peut-être une connaissance plus sûre et plus exacte de nos dogmes. Il faut qu'en toutes choses nous soyons accomplis, que nous atteignions à la perfection de l'homme, à la mesure de l'âge (Ep 4,13), selon l'expression du divin Apôtre. C'était votre corps que je soignais alors en parlant de morale; c'est votre tête que je guéris aujourd'hui en traitant du dogme; alors avec les paroles de Jérémie, aujourd'hui avec celles de Paul.

Que signifient donc les paroles de Paul qui me servent de texte aujourd'hui? Il faut qu'il y ait, dit-il, des hérésies parmi vous, de sorce qu'on découvrira ceux d'entre vous qui ont une vertu éprouvée. (1Co 11,19) Importante question. Car si c'est un conseil que donne Paul, et s'il faut vraiment qu'il y ait des hérésies, les hérésiarques sont innocents. Mais il n'en est point ainsi; bien loin de là. Ce n'est pas un conseil, c'est une prédiction que contiennent ces paroles. Quand un médecin voit un malade se livrer à la boisson, à la débauche et violer ses défenses, il faut, dit-il, que ces excès engendrent la fièvre. Ce n'est point une loi qu'il impose, un conseil qu'il donne; c'est une prévision de l'avenir que lui inspire le présent. De même le laboureur ou le pilote voyant les nuages amoncelés et sillonnés de tonnerres et d'éclairs, dit: Il faut que ces nuages amènent la pluie et de violents orages. Ce n'est point l'expression d'un désir, c'est une prédiction. C'est dans ce (217) sens que Paul a employé le mot: il faut. Et nous-mêmes, quand nous voyons des gens se disputer et s'accabler mutuellement d'injures, nous disons: Il faut que ces gens en viennent aux coups; ils ont besoin d'être surveillés. Ce n'est ni un conseil ni une exhortation (comment cela serait-il?), c'est une conjecture que nous inspire ce que nous voyons. Ainsi Paul ne donne point un conseil quand il dit: Il faut qu'il y ait parmi vous des hérésies; il prédit et prophétise l'avenir. Une preuve qu'il ne conseille point l'hérésie, c'est que c'est lui qui a dit: Quand un ange vous annoncerait un autre Evangile que celui que nous vous avons annoncé, qu'il soit anathème. (Ga 1,8) C'est lui-même qui; voyant la loi de la circoncision intempestivement observée et la pureté de sa prédication exposée aux calomnies, rejette la circoncision et dit: Si vous vous faites circoncire, Jésus-Christ ne vous servira de rien. (Ga 5,2) Mais pourquoi, me direz-vous, a-t-il indiqué cette cause des hérésies, que par elles on découvrira ceux qui ont une vertu éprouvée? Mais le mot «Iv«, dans les Ecritures, est souvent employé, non pour indiquer une cause, mais la façon dont les choses arriveront. Par exemple le Christ vient et rend la vue à un aveugle: cet homme aussitôt l'adora; mais les Juifs; après cette guérison, tentèrent par tous les moyens d'ensevelir dans l'ombre ce miracle et chassèrent Jésus. Alors il dit: Je suis venu en-ce monde exercer un jugement, de sorte que ceux qui ne voyaient pas voient, et que ceux qui voyaient deviennent aveugles. (Jn 9,39) Etait-il donc venu pour ôter la vue à quelqu'un? Non, il n'était point venu pour cela, mais cela est arrivé; et, pour désigner l'événement, il emploie la même expression qui eût indiqué une cause. Autre exemple: il donne une loi pour arrêter les pécheurs qui couraient à leur perte et modérer les passions de ceux qui la recevraient. Mais le zèle leur manque, et le contraire arrive; les péchés se multiplient. Paul dit alors: La loi est survenue, de sorte qu'elle a donné lieu à l'abondance du péché. (Rm 5,20) Or, ce n'est point pour cela qu'elle était survenue, mais pour diminuer le nombre des péchés. Mais les choses sont arrivées ainsi par la désobéissance de ceux qui l'avaient reçue. Ici encore, le mot ‘Ina ne désigne point la cause, mais l'événement. - Voulez-vous vous convaincre que ces hérésies ont eu d'autres causes; que ce n'est pas pour faire connaître les hommes d'une vertu éprouvée qu'elles ont éclaté, mais que d'autres raisons les ont fait naître? écoutez le Christ: Le royaume des cieux, dit-il, est semblable à un homme qui avait semé de bon grain dans son champ. Tandis que les hommes dormaient, vint l'ennemi qui sema l'ivraie. (Mt 13,24-25) Voyez-vous que les hérésies ont éclaté parce que les hommes dormaient, parce qu'ils manquaient de zèle? Parce qu'ils ne s'attachaient pas exactement aux paroles de Dieu? Quelqu'un aurait pu dire: Mais pourquoi le Christ l'a-t-il permis? Paul a répondu d'avance: Il l'a permis, mais, quel mal cela vous fait-il? Si vous êtes un homme d'une vertu éprouvée, vous n'en serez que plus en lumière. Il n'y a point le même mérite, quand personne ne vous attaque, ne vous tend de piéges, à conserver sa foi, qu'à rester ferme et inébranlable quand éclatent mille tempêtes. De même que les arbres exposés à la furie de tous les vents deviennent plus solides quand ils ont poussé de bonnes racines; de même les âmes fortement enracinées dans le sol de la foi résistent à tous les assauts des hérésies et en reçoivent plus de fermeté. Que dirons-nous des faibles, qu'un souffle ébranle et renverse? Ce ne sont point les attaques des hérésies, mais leur propre faiblesse qu'ils doivent accuser. Et je ne parle point de leur faiblesse naturelle, mais de leur faiblesse volontaire, faiblesse coupable, qui mérite peines et châtiments, et qu'il est en notre pouvoir de corriger; d'où vient qu'en la corrigeant nous méritons des louanges, en ne la corrigeant point, nous encourons des punitions.

57102 2. A qui veille, rien ne peut nuire; j'essayerai de vous le démontrer autrement. Est-il un être plus malin, plus scélérat que le démon? Cependant cet être malin et scélérat, dont la force est si redoutable, dressa contre Job toutes ses batteries, épuisa sur la maison et sur la personne de ce juste tous les traits de son carquois, et non-seulement il ne l'abattit point, mais il donna un éclat nouveau à sa vertu. Le démon ne put faire aucun mal à Job; Judas, au contraire, qui était faible et sans zèle, ne gagna rien à son commerce avec le Christ; malgré ses exhortations et ses conseils, il ne fut qu'un traître. Pourquoi? c'est que Dieu ne fait violence à personne et ne lui fit point violence. Veillons donc, et le démon ne nous pourra point nuire; si nous ne veillons pas, si nous sommes lâches, nous ne tirerons (218) aucun fruit même des choses utiles, et nous nous exposerons aux plus sensibles dommages, tant la mollesse est dangereuse. C'est ainsi que les Juifs, non-seulement ne profitèrent point de la venue du Christ, mais en souffrirent. Toutefois ils ne peuvent point accuser le Christ, la faute est à leur faiblesse et à leur méchanceté. Jésus-Christ le dit lui-même: Si je ne fusse point venu et ne leur eusse pas parlé, ils n'auraient point de péché; mais maintenant ils n'ont pas d'excuse de leur péché. (Jn 15,22) Voyez! la venue de Jésus-Christ les a privés du pardon et leur a enlevé toute excuse, tant il y a de mal à ne pas veiller sur soi-même, à ne pas songer comme on doit à ses intérêts! La même chose arrive au corps: si quelqu'un a les yeux malades, le soleil l'offusque et l'aveugle, tandis que les ténèbres même ne peuvent nuire à des yeux sains. Ce n'est point sans motif que j'insiste sur ces pensées; tant d'hommes devraient accuser leur mollesse, corriger leur malice, secouer leur torpeur, qui s'en vont cherchant de vaines excuses et disant: s'il n'y avait point de démon nous ne péririons pas; si la loi n'existait pas, nous ne pécherions pas; s'il n'y avait point d'hérésies, nous n'y tomberions pas! Mensonges et vains prétextes que tout cela! Je le répète: à qui veille, rien ne peut nuire; à qui s'endort mollement et trahit son, salut, rien ne peut servir. C'est ce que Paul lui-même fait entendre quand il dit: On découvrira par là ceux d'entre vous qui ont une vertu éprouvée. C'est-à-dire ne vous troublez pas, ne craignez point; les hérésies ne peuvent vous nuire. Ainsi, quand même il parlerait des hérésies dogmatiques, le texte ne donnerait lieu à aucune question difficile puisqu'il renferme une prophétie et non un conseil, une prédiction et non une exhortation, et que le mot ‘Ina indique non une cause, mais l'événement. Mais ce n'est point du dogme qu'il veut parler; c'est des, pauvres et des riches, de la bonne chère et de l'abstinence, de la luxure et de la débauche des riches, du mépris qu'ils font des pauvres; permettez-moi, pour vous le prouver, de remonter un peu plus haut; je ne saurais sans cela vous le montrer clairement. Quand les apôtres commencèrent à semer la parole de foi, aussitôt se joignirent à eux trois mille hommes, plais cinq mille, et tous ces hommes n'avaient qu'un coeur et qu'une âme. Ce qui faisait leur concorde, les liait par l'amour et réunissait tant d'âmes en une seule, c'était le mépris des richesses. Personne, en effet, dit l'Apôtre, ne prétendait posséder en propre aucune chose; mais tout était commun entre eux. (Ac 4,33) L'avarice, source de tous les maux, étant supprimée, les biens étaient venus en foule, et ces hommes étaient liés les uns aux autres parce que rien ne les séparait. Le mien et le tien, funestes paroles qui ont causé mille guerres dans le monde, étaient bannis de cette sainte Église, et ils habitaient la terre comme les anges font le ciel; les pauvres n'enviaient point les riches, car il n'y avait point de riches;, les riches ne méprisaient pas les pauvres, car il n'y avait point de pauvres; c'était une vraie communauté. Personne ne prétendait posséder en propre aucune chose; ce n'était pont ce qu'on voit aujourd'hui. Maintenant ceux qui possèdent donnent aux pauvres. Alors il n'en était point de même; ils renonçaient à la propriété de leurs richesses, les mettaient en commun, et dès lors on ne distinguait plus parmi les autres le riche de la veille; de sorte que l'orgueil même qui pouvait naître du mépris des richesses était effacé dans cette communauté, dans ce mélange des fortunes. Et ce n'est point par là seulement, mais par la manière dont ils renonçaient à leurs richesses qu'on peut voir toute leur piété. Tous ceux qui avaient des terres ou des maisons les vendaient et en déposaient le prix aux pieds des apôtres. (Ac 4,34) Il ne dit point dans leurs mains, mais à leurs pieds, ce qui prouve le respect, la vénération, la crainte que leur inspiraient les apôtres; car ils ne. croyaient pas donner plus qu'ils ne recevaient. Et c'est là vraiment mépriser les richesses, c'est là nourrir le Christ, de le faire sans orgueil ni ostentation, de se montrer plus obligé que celui qui reçoit. Si telles ne sont point vos dispositions, ne donnez pas si vous ne croyez pas recevoir plus que vous ne donnez; gardez vos richesses; c'est ce que Paul vous témoigne dans d'autres paroles: Il faut, mes frères, que je vous fasse savoir la grâce que Dieu a faite aux Églises de Macédoine, qui est que leur profonde pauvreté a répandu avec abondance les richesses de leur charité sincère. Je leur rends ce témoignage qu'ils se sont portés d'eux-mêmes à donner autant qu'ils pouvaient, et même au delà de ce qu'ils pouvaient, nous conjurant avec beaucoup de prières de recevoir leurs aumônes et de souffrir qu'ils eussent (219) part à la charité qu'on fait aux saints de Jérusalem. (2Co 8,1-4) Voyez-vous qu'il les admire davantage, parce que ce fut avec reconnaissance, avec prières et supplications qu'ils firent paraître leur générosité?

57103 3. Et si nous admirons Abraham, ce n'est point seulement parce qu'il immola un veau let pétrit la farine, mais parce qu'il reçut ses hôtes avec une joie et une humilité profonde, courant au-devant d'eux, les servant, les appelant ses maîtres, persuadé qu'il avait trouvé un trésor inépuisable, quand il voyait un hôte chez lui. En effet, l'aumône est double quand nous donnons et que nous donnons avec empressement. Dieu aime ceux qui donnent avec joie (2Co 9,7), dit l'Apôtre. Vous donneriez dix mille talents, si c'est avec orgueil, jactance et vaine gloire, c'est autant de perdu: ainsi, le pharisien qui donnait la dîme de son bien, mais avec orgueil et vanité, avait perdu le fruit de ce don en sortant du temple. Il n'en était point ainsi du temps des apôtres: c'était avec joie, avec allégresse qu'on donnait ses richesses, et dans la pensée qu'on s'enrichissait ainsi; et l'on s'estimait heureux quand les apôtres daignaient les recevoir. Et de même que les hommes appelés aux plus hautes magistratures et obligés d'aller habiter les grandes villes du royaume, s'y transportent après avoir réalisé toute leur fortune; ainsi faisaient ces hommes appelés au ciel, à la patrie d'en-haut, au céleste royaume. lis savaient que c'était là leur vraie patrie; ils réalisaient tous leurs biens et les y envoyaient devant eux par les mains des apôtres. C'est en effet la dernière folie de laisser ici-bas la moindre de nos possessions, puisque nous devons sitôt partir nous-mêmes! Tout ce que nous y laissons après nous est perdu. Envoyons donc tous nos biens au lieu où nous devons habiter nous-mêmes. C'était dans, ces pensées qu'ils renonçaient à leur fortune, et faisaient ainsi deux fois le bien: car ils soulageaient la misère des pauvres, et s'assuraient une fortune plus grande et plus certaine en faisant passer au ciel leurs possessions.

De cette loi et de cette coutume naquit alors dans l'Eglise un usage admirable: les fidèles assemblés, après les instructions, les sermons et la participation aux mystères, quand finissait la sainte réunion, ne se retiraient point aussitôt chez eux; les plus riches et les plus opulents portaient de chez eux des aliments et des mets, et appelaient les pauvres. Ils s'asseyaient avec eux à table; c'étaient des repas et des festins communs dans l'Eglise même; 1a communauté de la table, la sainteté du lieu, tout enfin resserrait les liens de la charité, c'était pour tous un plaisir en même temps qu'un avantage. Les pauvres étaient efficacement consolés, les riches s'attiraient l'amour de ceux qu'ils nourrissaient, celui de Dieu pour qui ils le faisaient, et s'en retournaient pleins de grâces. De là découlaient mille biens, et d'abord l'amour croissant à chaque réunion entre les bienfaiteurs et les obligés; assis à la même table. Les Corinthiens, avec le temps, perdirent cette coutume: les riches mangeaient à part, ils dédaignaient- les pauvres, ils n'attendaient pas les retardataires, ceux que retenaient les nécessités où sont soumis les pauvres et qui n'arrivaient point à temps. Et quand ils venaient enfin, la table était levée, ils se retiraient tout honteux. Les uns s'étaient trop hâtés, les autres avaient trop tardé. Paul, voyant les maux qu'avait causés cette désunion et ceux qu'elle devait causer encore, car les riches méprisaient et dédaignaient les pauvres, les pauvres souffraient et détestaient les riches, et tous les maux enfin qui devaient sortir de cette source, essaya de corriger cette vicieuse et funeste coutume. Et voyez avec quelle prudence et quelle modération il entreprend cette correction: Voici ce que je vous dis d'abord: je ne puis vous louer de ce que, dans vos assemblées, vous vous conduisiez de manière qu'elles vous nuisent au lieu de vous servir. (1Co 11,17) Qu'est-ce à dire: au lieu de vous servir? Vos ancêtres, dit-il, et vos pères vendaient leurs biens, leurs domaines, leurs possessions, mettaient tout en commun et s'aimaient les uns les autres; et vous, qui devriez rivaliser avec eux, non-seulement vous ne les imitez point, mais vous avez perdu le seul bien que vous eussiez, la coutume des repas en commun après ces réunions. C'est pourquoi il dit: Vos assemblées vous nuisent au lieu de vous servir.

Ils abandonnaient toutes leurs richesses aux pauvres, et vous, vous les avez chassés de la talle qu'ils partageaient avec. vous. Car, premièrement, j'apprends que quand vous vous assemblez dans l'église, il y a des divisions entre vous, et je le crois en partie. (1Co 11,18)

57104 4. Remarquez de nouveau la prudence de cette correction. Il ne dit ni: Je le crois, ni: je ne le crois pas; il prend un. moyen terme: je (220) le crois en partie, c'est-à-dire je ne le crois pas entièrement, mais je ne refuse pas entièrement de le croire. Il dépend de vous que je le croie ou que je ne le croie point. Si vous vous corrigez je ne le crois point, si vous persistez je le crois. Ainsi, sans les accuser, il les accuse. Ce n'est point une accusation complète: il leur laisse l'espoir du retour et leur ouvre le chemin du repentir; mais ce n'est point une absolution, il craindrait de les voir persister dans le mal. Je ne l'ai pas définitivement cru, dit-il; car c'est là ce que signifie: je le crois en partie. Il les engageait ainsi à se corriger et à s'amender, à l'empêcher lui-même de croire semblable chose, même en partie. Car il faut, dit-il, qu'il y ait même des hérésies parmi vous, de sorce qu'on découvre par là ceux d'entre vous qui ont une vertu éprouvée. (1Co 11,19) Quelles hérésies? Soyez attentifs à cet endroit; ce n'est point des dogmes qu'il parle en disant: il faut qu'il y ait parmi vous des hérésies, mais de la désunion, qui avait aboli la table commune. Après avoir dit: il faut qu'il y ait des hérésies parmi vous, il fait connaître les hérésies dont il parle: Lorsque vous vous assemblez comme vous faites, ce n'est pas pour manger la cène du Seigneur. (1Co 11,20) Ce n'est pas, dit-il, pour manger la cène du Seigneur: il fait allusion à ce repas qu'institua le Christ dans sa nuit dernière, quand tous ses disciples étaient avec lui. A ce repas les serviteurs eurent place auprès du Maître, et vous, qui êtes tous des serviteurs de Dieu, vous êtes séparés et divisés1 Jésus n'éloigna pas même les traîtres, car Judas était là avec les autres, et- toi, tu chasses ton frère! Ce n'est point pour manger la cène du Seigneur, dit-il; il appelle cène du Seigneur ces repas où la concorde appelle tous les fidèles. En effet, chacun de vous prend son repas pour le manger en particulier, l'un souffre de la faim, tandis que l'autre est ivre. (1Co 11,21) Il ne dit point: l'un a faim tandis que l'autre mange; le mot d'ivresse les doit toucher. davantage: de part ni d'autre, dit-il, nulle mesure, tu te gorges de nourriture, tandis qu'un autre meurt de faim; tu manges plus qu'il ne faut, tandis qu'un autre n'a pas même le nécessaire, Ce double mal qu'engendre la ruine de l'égalité, voilà ce qu'il appelle hérésies, divisions et luttes entre des hommes dont l'un était ivre, tandis que l'autre mourait de faim. Et il a bien dit: Quand vous vous assemblez. Pourquoi mous assembler? A quoi sert cette réunion commune puisque vous n'avez pas de table commune? Nos biens nous viennent du Seigneur, et ceux qui le servent avec nous les doivent partager. N'avez-vous pas vos maisons pour y boire et pour y manger? ou méprisez-vous l'église de Dieu et voulez-vous faire honte à ceux qui sont pauvre? (1Co 11,22) Vous croyez, dit-il, que l'injure n'atteint que votre frère! Elle atteint aussi le lieu saint. C'est l'église entière que vous méprisez. Il dit l'église, parce que l'église reçoit en commun tous les fidèles. Pourquoi traitez-vous l'église avec aussi peu de respect que votre maison? Si vous méprisez votre frère, respectez du moins le lieu saint, car c'est l'église qui est insultée. Et il n'a pas dit: vous privez ceux qui sont pauvres, ou vous n'avez pas pitié des pauvres; il dit: vous faites honte à ceux qui sont pauvres. C'est la manière la plus sensible de leur reprocher leurs dérèglements. Le pauvre a moins de souci, dit-il, de sa nourriture, que des affronts qu'il reçoit. Voyez avec quelle gravité il défend la cause du pauvre et comme il redresse fortement les riches: Que vous dirai-je? vous donnerai-je des louanges? Non, je ne vous louerai point. Qu'est-ce à dire? Il leur démontre d'abord la folie de leur conduite et les blâme ensuite avec douceur. Il le fallait ainsi pour les empêcher de s'endurcir dans le mal. Avant de leur démontrer leur folie, il a énoncé toute sa pensée: D'abord je ne vous louerai point. Puis, quand il leur a montré combien ils sont répréhensibles, il adoucit l'expression de son blâme et laisse toute la force de l'accusation dans ses précédentes paroles et dans sa démonstration. Ensuite il parle de la table mystique pour leur inspirer plus de crainte: c'est du Seigneur que j'ai appris ce que je vous ai enseigné. Quelle est la suite logique de ce discours? Vous partiez des repas communs, et vous faites mention maintenant des plus redoutables mystères! Oui, certes, dit-il. Car si cette table spirituelle, où s'accomplit un redoutable mystère, est commune à tous, au riche et au pauvre, si le riche n'y est pas mieux traité que le pauvre, ni le pauvre moins bien traité que le riche, s'ils y sont tous également hongrés et y trouvent une place égale; si, jusqu'à ce que tous aient pris part au festin, se soient assis à cette table spirituelle et sacrée, elle demeure servie, si les prêtres sont là attendant le dernier des pauvres, à plus forte raison en doit-il être ainsi à la table (221) matérielle. Voilà pourquoi j'ai parlé de la cène du Seigneur. C'est du Seigneur que j'ai appris ce que le vous ai enseigné, que le Seigneur Jésus, la nuit même qu'il devait être livré, prit du pain, le bénit, le rompit, et dit à ses disciples: ceci est mon corps, qui Est rompu pour beaucoup, pour la rémission des péchés. Faites cela en mémoire de moi. Il prit de même le calice après le repas, et dit: le calice est la nouvelle alliance en mon sang. (1Co 11,23-25)

57105 5. Puis il parle longuement de ceux qui participent indignement aux mystères, il les saisit, les confond, et après avoir enseigné que ceux qui reçoivent le corps et le sang de Jésus-Christ sans réflexion ni conseil, subiront la même peine que les meurtriers de Jésus-Christ, il revient à son sujet, en disant: Ainsi, mes frères, lorsque vous vous assemblez pour manger, attendez-vous les uns les autres; et si quelqu'un est pressé de manger, qu'il mange chez lui, afin que vous ne vous assembliez pas pour votre condamnation. (1Co 11,33-34) Voyez comme il dissimule le reproche qu'il fait à leur intempérance. Il ne dit point: Si vous êtes pressés de manger, mais: si quelqu'un est, pressé de manger, afin que chacun, rougissant à la pensée d'être exposé à ce reproche, le devance et se corrige: C'est enfin sur la crainte du châtiment qu'il arrête son discours en disant: Afin que vous ne voue assembliez pas à un jugement, c'est-à-dire, à voire condamnation et à votre honte. Ce n'est point un repas ni une table, dit-il, si l'outrage fait à'un frère, le mépris de l'église, la gloutonnerie et l'intempérance y trouvent place. Ce n'est point une réjouissance, mais un châtiment et une peine. Vous vous attirez de redoutables vengeances en outrageant vos frères, en méprisant l'église, en faisant de ce lieu saint une maison ordinaire par les repas particuliers que vous y faites. Maintenant que vous avez aussi entendu ces leçons, mes frères, fermez la bouche à ceux qui font un usage irréfléchi des paroles et des enseignements de l'Apôtre. Redressez ceux. qui tournent les saintes Ecritures à leur perte et à la perte des autres. Car vous savez que ces paroles: Il faut qu'il y ait des hérésies parmi vous, ont été dites de la désunion qui s'était mise dans les repas communs, puisque l'Apôtre ajoute: L'un souffre de la faim, tandis que l'autre est ivre.

Avec une foi orthodoxe et une conduite en harmonie avec les dogmes; montrons un grand amour pour les pauvres, prenons le plus grand soin des indigents. Exerçons ce négoce spirituel, et ne cherchons rien au delà de nos besoins. Voilà la richesse, voilà le négoce, voilà l'inépuisable trésor, de faire passer tous ses biens dans le ciel et de se confier au gardien de ce dépôt. Nous retirons de l'aumône un double profit: d'abord nous ne craignons pas pour notre argent, ainsi mis en réserve, ni les voleurs, ni les brigands, ni les esclaves infidèles; de plus, il n'est pas. stérilement enfoui. Mais de même qu'un arbre planté dans un sol fertile porte chaque année des fruits en sa saison, de mêle l'argent semé dans les mains des pauvres nous rapporte, non point seulement chaque année, mais chaque jour, des fruits spirituels, la confiance en Dieu, le pardon des péchés, la compagnie des anges, la bonne conscience, la joie et le bonheur spirituel, une espérance légitime, et les biens admirables que Dieu réserve à ceux qui l'aiment, à ceux qui, dans le zèle et la ferveur de leur âme, implorent sa miséricorde et son règne. Puissions-nous tous, après avoir vécu selon sa loi, l'obtenir avec l'éternelle joie de ceux qui arrivent au salut, par la grâce et la miséricorde du vrai Dieu et de notre Sauveur Jésus-Christ, auquel appartiennent la gloire et la puissance, avec le père et-le Saint-Esprit, dans les siècles des siècles! Ainsi soit-il.




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HOMÉLIES SUR CE TEXTE: PARCE QUE NOUS AVONS UN MÊME ESPRIT DE FOI.

AVERTISSEMENT.

On a formé quelques doutes sur les trois homélies qui expliquent ces paroles de saint Paul aux Corinthiens: Parce que nous avons un même esprit de foi. La première raison de douter si ces trois homélies sont de saint Jean Chrysostome, c'est que dans la première, l'auteur, en parlant du commencement de la foi, s'exprime d'une manière qui semble favoriser le semi-pélagianisme. Ni Dieu, dit-il, ni la grâce du Saint-Esprit ne préviennent notre dessein, et quoique Dieu nous ait appelés, il attend néanmoins que nous approchions librement de notre propre volonté, et, lorsque nous nous sommes approchés, il nous donne tout son secours. La seconde raison, c'est qu'au commencement de la troisième homélie, l'auteur compte cinq cents ans depuis saint Paul ce qui marque un auteur plus récent que saint Chrysostome. Mais ne sait-on pas que ce Père ayant vécu avant les controverses sur la grâce, a moins ménagé les expressions que s'il eût vécu depuis? D'ailleurs, on trouve dans ses écrits les plus assurés divers endroits où le saint évêque déclare que le secours de la grâce est nécessaire pour le commencement de la foi. A l'égard de l'anachronisme qui se trouve dans la troisième homélie, outre que les chiffres ont pu être corrompus, on voit, par plusieurs autres endroits, en particulier par le cinquième discours centre les Juifs, que saint Chrysostome n'était point exact dans la chronologie, puisqu'il y compte quatre cents ans depuis la dernière ruine de Jérusalem fautes qui sont pardonnables dans un auteur qui discourait souvent sans préparation. Au reste, pour péri qu'on soit accoutumé à la lecture de ses écrits, on reconnaîtra aisément son style et toutes ses façons de parler dans ces trois homélies. Il les prononça à Antioche, comme on le voit par ce qu'il dit de la vie austère des moines qui se retiraient sur les montagnes. (Dom Remy Ceillier)


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Première homélie. Sur ces paroles de l'Apôtre: «Parce que nous avons un même esprit de foi, selon qu'il est écrit"

(2Co 4,13); et sur ces mots: J'ai cru; c'est pourquoi j'ai parlé (Ps 116,10); et sur l'aumône.»

ANALYSE.

1. Lorsque les médecins sont obligés d'employer le fer, ils ne le font pas sans compatir à la douleur quels causent à leurs malades; saint Paul, obligé de corriger les Corinthiens, éprouve de la peine en songeant à c Ile qu'il leur cause. - 2 Faiblesse naturelle à la raison raffermie par la fonte de la foi. - 3. Imbécillité de la philosophie séparée de la foi. - 4. Le mot foi a deux significations dans les Ecritures: il signifie cette vertu par laquelle les apôtres opéraient des miracles, il signifie encore ce qui conduit à la connaissance de Dieu. - 5. Dans ce chapitre, saint Chrysostome parle de la grâce d'une manière qui parait favoriser!e semi-pélagianisme. - 6. Les bonnes oeuvres font demeurer en nous l'Esprit-Saint. La virginité a besoin d'être unie à la charité. - 7. Dieu a particulièrement à coeur le précepte de la charité. - 8-10. Exhortation à la pratique de l'aumône.


58101 1. Quand les habiles médecins voient qu'une plaie a besoin du fer, ils pratiquent des incisions, mais ils ne le font point sans peine ni pitié. Ils souffrent et se réjouissent autant que leurs malades. Ils souffrent de la douleur qu'ils causent dans l'opération, et se réjouissent à la pensée qu'ils rendent ainsi la santé à ceux qui l'avaient perdue. C'est aussi ce que fit Paul, ce sage médecin des âmes. Les Corinthiens eurent un jour besoin d'un blâme sévère, il les (224) blâma, et se réjouit en s'affligeant. Il s'affligeait. de la peine qu'il leur causait, et se réjouissait du bien que produisaient ses paroles. Ce sont ces deux sentiments qu'il exprime en disant: Car encore que je vous aie attristés par ma lettre, je n'en suis plus fâché, quoique je l'aie été auparavant. (2Co 7,8) Pourquoi en avais-je été fâché, pourquoi n'en suis-je plus fâché? j'étais fâché de vous avoir si sévèrement blâmés: je n'en suis plus fâché parce que j'ai corrigé votre erreur. Et pour vous convaincre qu'il en était bien ainsi, écoutez la suite: C'est que je voyais qu'elle-vous avait attristés pour un peu de temps; mais maintenant j'ai de la joie, non de ce que vous avez été contristés, mais de ce que votre tristesse vous a portés à la pénitence. (2Co 7,9) Je vous ai attristés pour un moment, votre chagrin n'a point été de longue durée, et le bien que vous en avez retiré ne passera point. Permettez à l'amour que j'ai. pour vous d'employer les mêmes paroles. Si je vous ai attristés dans ma précédente instruction, je n'en suis point fâché, quoique j'en fusse fâché auparavant. Car je vois que cette instruction et mes conseils, en vous attristant pour un moment, m'ont causé une grande joie, non de ce que vous avez été contristés, mais de ce que votre tristesse vous a portés à la pénitence. Voyez! pour avoir été attristés selon Dieu; quel zèle en vous aujourd'hui! une assemblée plus belle, ce théâtre spirituel plus brillant, la réunion de nos frères plus nombreuse! Ce zèle est le fruit de votre tristesse.

C'est pourquoi, autant je souffrais alors, autant je me réjouis aujourd'hui, que je vois notre vigne spirituelle couverte de fruits. Si dans les festins matériels, il y a plus d'honneur et de plaisir pour l'hôte à mesure qu'il y a plus de convives, à plus forte raison en doit-il être ainsi dans ces festins spirituels. Dans les premiers, toutefois, un plus grand nombre d'invités consomme plus de mets; et cause plus de dépense; dans les autres, au contraire, un plus grand nombre d'invités, au lieu d'épuiser les tables, y amène l'abondance. Et, si dans les uns on trouve plaisir à dépenser, n'en trouvera-t-on pas davantage dans les autres à gagner, et à s'enrichir? Car telle est la nature des biens spirituels; plus on en distribue, plus ils s'augmentent. Et puisque je vois notre table pleine, j'espère que la grâce du Saint-Esprit aura un écho dans nos âmes. Car plus il y a de convives, plus la table est abondamment servie; ce n'est point que Dieu dédaigne le petit nombre, c'est qu'il désire le salut de beaucoup d'hommes. C'est pourquoi, tandis que Paul ne faisait que traverser les autres villes, le Christ lui apparut et lui ordonna de séjourner à Corinthe, disant: Ne crains point; parle sans te taire, car j'ai dans cette ville un grand peuple. (Ac 18,9 Ac 18,10) En effet, si pour une brebis le berger parcourt les montagnes, les bois, les lieux inaccessibles, comment ne prendrait-il pas plus de peine encore quand il faut arracher un grand nombre de brebis à l'indifférence et à l'erreur? Et pour vous assurer que Dieu ne méprise point le petit nombre, écoutez Jésus: Ce n'est point la volonté de mon Père qu'aucun de ces petits périsse, Ni le petit nombre, ni l'intimité ne peuvent faire qu'il néglige notre salut.

58102 2. Puisque la Providence prend tant de soin, des petits et du petit nombre, tant de soin du grand nombre, confions-nous entièrement à ce secours, et examinons les paroles de Paul que je viens de vous lire. Nous savons, dit-il, que si cette maison de terre où nous habitons vient à se dissoudre. (2Co 5,1) Mais remontons plus haut, au principe même de cette pensée. Comme ceux qui cherchent une source, s'ils trouvent un terrain humide, ne se contentent pas de remuer la terre à la surface, mais suivent la veine et pénètrent plus avant, jusqu'à ce qu'ils aient trouvé la source même des eaux, ainsi ferons-nous. Nous avons trouvé la fontaine spirituelle qui découle de la sagesse de Paul: suivons la veine et remontons à la source même de la pensée. Quelle est cette source? Mais parce que nous avons le même esprit de foi, selon qu'il est écrit: J'ai cru, c'est pourquoi j'ai parlé; et nous aussi, nous croyons, et c'est pourquoi nous parlons. Que dites-vous? si l'on ne croit, l'on ne parle point, on reste muet? Oui, répond l'Apôtre. Je ne puis sans la foi ouvrir la bouche, ni remuer la langue, ni desserrer les lèvres. Malgré la raison dont je suis doué, je reste muet si la foi ne me dicte mes paroles. De même que si l'arbre n'a point de racines, il ne porte point de fruit, de même sans le fondement de la foi, la parole, de la doctrine demeure stérile. C'est pourquoi il dit ailleurs: Il faut croire de coeur pour obtenir la justice et confesser la foi par ses paroles pour obtenir le salut. (Rm 10,10)

Qu'y a-t-il de préférable ou de comparable à (225) cet arbre dont la racine, aussi bien que les rameaux, porte son fruit? car de la racine vient la justice, des rameaux le salut. C'est pourquoi il dit: Nous croyons, et c'est pourquoi nous parlons. De même qu'un corps tremblant et affaibli par la vieillesse, s'il s'appuie sur un bâton qui affermisse ses pas, ne peut chanceler ni tomber; ainsi notre âme, chancelante et défaillante par la faiblesse de la raison, en s'étayant de la foi, le plus sûr de tous les appuis, acquiert assez de force pour ne jamais tomber, parce qu'il y a dans la foi une surabondance de force qui compense l'imbécillité de la raison. La foi dissipe les ténèbres dont l'âme est entourée, dans l'obscure demeure qu'elle habite au milieu des troubles de la raison, et l'éclaire de sa propre lumière. Aussi ceux qui en sont privés, semblables aux infortunés qui vivent dans les ténèbres, qui se heurtent aux murs et à tous les obstacles, se laissent choir dans les fossés et les précipices, et ne peuvent se servir de leurs yeux que la lumière n'éclaire point, ceux qui sont privés de la foi se heurtent les uns aux autres, se choquent aux murailles, et se précipitent enfin dans quelque gouffre où ils trouvent la mort.

58103 3. Témoins ceux qui s'enorgueillissent de la sagesse profane, qui se font gloire de leur longue barbe, de leurs haillons et de leur bâton. Après de longs et d'interminables raisonnements, ils ne voient point les pierres qui sont devant leurs pieds; car s'ils les voyaient,, ils ne les prendraient pas pour des dieux. Ils se heurtent les uns aux autres, se plongent dans le gouffre sans fond de l'impiété, uniquement parce qu'ils se confient tout entiers à leurs raisonnements. C'est ce que fait entendre Paul quand il dit: Ils se sont égarés dans leurs vains raisonnements, et leur coeur insensé a été rempli de ténèbres; ainsi ils sont devenus fous en s'attribuant le nom de sages. (Rm 1,21-22) Ensuite, pour faire voir leur aveuglement et leur folie, il ajoute: Ils ont transféré l'honneur qui n'est dû qu'au Dieu incorruptible à l'image d'un homme corruptible, à des figures d'oiseaux, de quadrupèdes et de serpents. (Rm 1,23) Toutes ces ténèbres, la foi les dissipe en pénétrant dans l'âme qui la reçoit. Ainsi qu'un vaisseau que ballottait la tempête et qu'inondaient les vagues, quand on jette l'ancre, reste ferme, et prend, pour ainsi dire, racine au milieu de la mer; notre âme, bouleversée parles pensées profanes, quand elle s'attache à la foi, la plus ferme de toutes les ancres, se sauve du naufrage et trouve un abri tranquille dans la certitude de sa conscience. C'est ce que nous fait entendre Paul par ces paroles: Dieu nous a donné des apôtres, afin qu'ils travaillent à la perfection des saints, jusqu'à ce que nous parvenions tous à l'unité d'une même foi et d'une même connaissance du Fils de Dieu, et que nous ne. soyons plies comme des insensés flottant à tous les vents des opinions. (Ep 4,11-14) Vous voyez la vertu de la foi; comme une ancre solide, elle nous affermit dans la tempête. C'est ce que Paul écrit encore aux Hébreux: C'est pour notre âme comme une ancre ferme et assurée, qui pénètre jusqu'au sanctuaire qui est ait dedans du voile. (He 6,19) Et ne croyez pas que cette ancre vous attache à la terre! l'Apôtre parle d'une ancre toute nouvelle, qui au lieu de vous retenir ici-bas, élève votre âme, la porte au ciel, et la fait entrer dans le sanctuaire que cache le voile; car c'est le ciel qu'il appelle de ce nom. Comment et pourquoi? c'est que de même que le voile se parait de l'extérieur du tabernacle le Saint des saints, ainsi le ciel, jeté comme un voile au milieu de la création, sépare de l'extérieur du tabernacle, c'est-à-dire du monde visible, le Saint des saints, le monde céleste placé au-dessus de lui, et où le Christ nous a précédés. pour nous en ouvrir les voies.

58104 4. Voici le sens de ses paroles: La foi, dit-il, élève notre âme au ciel, ne la laissant accabler par aucun des maux présents et soulageant ses misères par l'espérance de l'avenir. Car celui qui regarde l'avenir, qui vit dans l'espoir du ciel, et dirige là-haut les yeux de l'âme, ne sent même pas les maux présents, que Paul ne sentait point. Et il nous indique les causes de sa philosophie: Le moment si court et si léger des afflictions que nous souffrons en cette vie produit en nous le poids éternel d'une souveraine et incomparable gloire. Comment et de quelle manière? Si nous ne considérons pas les choses visibles, mais les invisibles. (2Co 4,17 2Co 4,18) Et cela, avec les yeux de la foi. Car, de même que les yeux du corps ne voient point ce qui est intelligible, de même les yeux de la foi ne voient point ce qui est sensible. Mais de quelle foi parle Paul? Car le mot foi a deux significations. Il appelle foi cette vertu par laquelle les apôtres opéraient des miracles, (226) et dont le Christ disait: Si vous aviez de la foi comme un grain de sénevé, vous diriez à cette montagne: transporte-toi, et elle se transporterait. (Mt 17,19) tin jour que les disciples ne pouvaient délivrer du démon un possédé, et qu'ils voulaient savoir la cause de leur impuissance, il leur fit entendre que la foi leur manquait: C'est à cause de votre incrédulité. C'est encore de cette foi que parlait Paul, quand il disait: Si j'ai la foi qui transporte les montagnes. (1Co 13,2) Et quand Pierre, marchant sur la mer, se crut en danger d'être englouti, le Christ lui adressa le même reproche: Homme de peu de foi, pourquoi as-tu douté? (Mt 14,31) On appelle donc foi cette vertu qui produit les miracles et les prodiges. On appelle encore foi ce qui nous conduit à la connaissance de Dieu et qui fait de chacun de nous des fidèles: c'est dans ce sens qu'il dit aux Romains: Je rends grâces à mon Dieu par Jésus-Christ de ce que votre foi est annoncée dans tout l'univers. (Rm 1,8) Et aux Thessaloniciens: Non-seulement vous êtes cause que la parole du Seigneur s'est répandue dans la Macédoine et dans l'Achaïe, mais même la foi que voies avez en Dieu est devenue célèbre partout. (1Th 1,8) De quelle foi parle-t-il en cet endroit? C'est évidemment de la foi de connaissance; la suite le prouve: Nous croyons, dit-il, et c'est pourquoi nous parlons. Que croyons-nous? Que celui qui a ressuscité le Christ, nous ressuscitera nous-mêmes par sa vertu. (2Co 4,14) Mais pourquoi l'appelle-t-il esprit de foi et la compte-t-il au nombre des grâces? En effet, si la foi est une grâce, un don du Saint-Esprit, si elle n'est point notre conquête, les incrédules ne seront as punis, ni les fidèles récompensés. Car, telle est la nature des grâces, qu'elles ne sont suivies, ni de récompenses, ni de punitions. Un don n'est point un mérite chez celui qui le reçoit, c'est un effet de la munificence de celui qui le donne. C'est pourquoi Jésus défendit à ses disciples de se réjouir du pouvoir qu'ils avaient dé chasser les démons, et beaucoup d'entre ceux qui avaient prophétisé en son nom et fait de grands miracles furent exclus par lui du royaume des cieux, parce qu'ils ne se sentaient aucun mérite propre et voulaient se sauver par les dons qu'ils avaient reçus.

58105 5. Mais si la nature de la foi est telle que nous n'en devions rien à nous-mêmes, que nous la tenions tout entière de la grâce du Saint-Esprit, si c'est d'elle-même qu'elle entre en nos âmes, si elle ne nous doit procurer aucune récompense, pourquoi l'Apôtre a-t-il dit: Il faut croire de coeur pour obtenir la justice et confesser la foi par ses paroles pour obtenir le salut? (Rm 10,10) C'est que chez l'homme qui croit, la foi devient un mérite de sa vertu. Paul le ferait-il entendre ailleurs par ces paroles: La foi d'un homme qui, sans faire des oeuvres, croit en celui qui justifie le pécheur, lui est imputée à justice (Rm 4,5), si tout dans la foi nous venait de la grâce du Saint-Esprit? Pourquoi, à cause de cette même foi, comblerait-il de louanges le patriarche Abraham, qui, méprisant le présent, eut la foi et espéra contre toute espérance? Pourquoi donc dit-il l'Esprit de foi? Pour marquer que notre premier pas dans la foi dépend de notre bonne volonté, de notre docilité à la voix de Dieu; mais que, quand la foi est entrée en nos, âmes, nous avons besoin du secours du Saint-Esprit pour la garder ferme et inébranlable. Car, ni Dieu, ni la grâce du Saint-Esprit ne préviennent notre volonté; Dieu, il est vrai, nous appelle, mais il attend que nous venions librement et de notre gré, et quand nous sommes. venus, il nous prête tout son secours (1). Comme, en effet, le démon, dès que nous nous sommes rendus à la foi, se glisse en nos âmes pour en arracher cette précieuse semence et y répandre l'ivraie afin d'étouffer le bon grain, nous avons alors besoin du secours du Saint-Esprit, qui, semblable à un laboureur actif s'établit en nos coeurs et par ses soins prévoyants, protège contre toutes les atteintes la Plante naissante de la foi. Aussi Paul écrivait-il aux Thessaloniciens: N'éteignez pas l'Esprit (1Th 5,19), leur montrant ainsi qu'avec la grâce de l'Esprit-Saint ils seraient désormais invincibles au démon et à l'abri de ses pièges. Car, si personne ne peut dire Seigneur Jésus si ce n'est en l'Esprit-Saint, à plus forte raison ne pourra-t-il avoir sans lui une foi ferme et assurée.

1. Voyez l'avertissement.

58106 6. Mais comment nous attirer le secours de l'Esprit-Saint et le persuader de rester en nous Par les bonnes oeuvres et l'honnêteté de notre vie. De même que la lumière de la lampe se conserve par l'huile, et que, l'huile épuisée, la lumière s'éteint, de même la grâce du Saint-Esprit, tant que nous faisons de bonnes oeuvres et que nous répandons sur nos 227 âmes la céleste rosée de l'aumône, reste en nous comme la flamme que conserve l'huile. Mais sans ces pratiques elle nous quitte et se retire de nous. C'est ce qui arriva aux cinq vierges. Après beaucoup de fatigues et de sueurs, privées du secours qu'assure à l'homme la charité, elles ne purent conserver la grâce de l'Esprit-Saint; elles furent chassées de la chambre nuptiale, et entendirent ces effrayantes paroles: Retirez-vous, je ne vous connais point (Mt 25,12), paroles plus terribles que la géhenne même. C'est encore pour cela que Jésus les nomme folles, et à juste titre. Elles avaient vaincu les plus tyranniques passions et elles cédèrent aux moins impérieuses. Voyez! elles avaient triomphé de la nature, comprimé la furie des sens et calmé les désirs charnels; sur la terre elles avaient mené une vie angélique; êtres corporels, elles avaient rivalisé avec les créatures célestes; et, parvenues à ce point, elles ne surent point vaincre l'amour de l'argent.; folles, insensées! C'est pourquoi elles furent jugées indignes de pardon. Leur faute, en effet, rie venait que de leur manque de zèle. Elles avaient pu éteindre la flamme ardente des désirs corporels, dépasser les limites des devoirs auxquels elles étaient soumises (car il n'y a pas de loi qui commande la virginité, la volonté des fidèles est la seule règle); et ensuite elles se laissèrent vaincre par l'amour des richesses, et pour un peu d'argent (est-il rien de plus misérable?) elles jetèrent la couronne de leur front! Je ne parle point ainsi pour décourager les vierges, ni pour détruire la virginité, mais pour qu'elles ne courent point inutilement, pour qu'elles ne se voient pas après bien des fatigues; privées de la couronne, couvertes de confusion et exclues de la lice. C'est une belle chose que la virginité, c'est un mérite surnaturel; mais ce mérite si beau, si grand, si surnaturel, ne saurait, sans la charité, donner l'accès du vestibule même de la chambre nuptiale. Et considérez la force de la charité et la vertu de l'aumône! La virginité sans la pratique de l'aumône ne peut donner l'accès du vestibule de la chambre nuptiale; et l'aumône sans la même virginité conduit ceux qui la pratiquent au sein du royaume glorieux qui leur était préparé avant la création du monde. Parce que ces vierges n'avaient pas donné une large aumône, elles entendirent ces mots: Retirez-vous, je ne vous connais pas! Et ceux qui ont donné à boire et à manger à Jésus, qui avait soif et qui avait faim, quoiqu'ils n'eussent point à se faire gloire de la virginité, ont entendu ces paroles: Venez, les élus de mon Père, dans le royaume qui vous est préparé depuis le commencement du monde. (Mt 25,34) Et c'est à juste raison, car quiconque jeûne et garde la virginité se sert lui-même, mais celui qui exerce la charité est comme un port pour les naufragés; car il soulage la pauvreté de son prochain et subvient aux besoins d'autrui. Et, parmi nos bonnes actions, les plus estimées de Dieu sont celles dont les autres retirent le fruit.

58107 7. Ce qui vous convaincra que Dieu a ce précepte plus à coeur que tous les autres, c'est que, lorsque Jésus parle du jeûne et de la virginité, il nous promet pour récompense le royaume du ciel; mais quand il parle de l'aumône et de la charité, quand il nous commande d'être miséricordieux, il nous propose un prix bien plus considérable que le royaume des cieux: Vous serez, dit-il, semblables à votre Père qui est dans les cieux. Car ce qui est le plus capable de rendre l'homme semblable à Dieu, autant que l'homme peut être semblable à Dieu, c'est l'observance des lois qui ont rapport au bien commun. C'est cela même que vous enseigne le Christ quand il dit: Il fait luire son soleil sur les bons et sur les méchants et tomber la pluie sur les justes et sur les injustes. (Mt 5,45) Et vous, travaillez selon vos forces à l'utilité commune et imitez Dieu qui fait de ses biens un égal partage à tous les hommes. Le mérite de la virginité est grand, et je veux qu'on lui prodigue les louanges. Car le mérite de la virginité ne consiste point seulement à s'abstenir du mariage, mais à faire paraître de la bonté, de la charité, de la miséricorde. Que sert la virginité avec la dureté du coeur? Que vaut la tempérance unie à l'inhumanité? Tu n'as point cédé aux passions charnelles, mais tu as cédé à la passion de l'argent. Tu as vaincu l'ennemi le plus redoutable pour te laisser dompter et terrasser par le plus faible, et ta défaite est d'autant plus honteuse. Aussi n'es-tu point digne de pardon, toi qui as vaincu le plus redoutable ennemi, qui as lutté contre la nature même et qui as succombé à l'amour de l'argent, que souvent des esclaves et des barbares ont surmonté sans peine.

58108 8. Ce que sachant, mes frères, et ceux qui contractent le mariage et ceux qui pratiquent (228) la virginité, montrons le plus grand zèle pour l'aumône, puisque ce n'est point autrement qu'on obtient le royaume des cieux. Car si la virginité sans l'aumône ne peut ouvrir l'entrée de ce royaume, quelle autre vertu le pourra, aura assez de force sans elle? Il n'en est aucune. Donc, de toute notre âme et de toutes nos forces, versons de l'huile dans nos lampes, qu'elle soit abondante, qu'elle coule toujours, afin que la lumière soit vive et bien nourrie. Et ne considérez pas le pauvre qui reçoit, mais Dieu qui rend; non celui à qui vous donnez l'argent, mais celui qui se fait caution de la dette. L'un la contracte et l'autre la paye, parce qu'il faut que le malheur et la misère du pauvre qui reçoit l'aumône vous poussent à la pitié et à la miséricorde, et que les richesses du Dieu qui promet de payer cette dette avec usure vous rassurent sur le principal et l'intérêt, et vous engagent à faire de plus larges aumônes. Car, je vous le demande, quel homme sachant qu'il recevra le centuple et entièrement sûr du paiement, ne donnerait tous ses biens?

Ainsi n'épargnons point nos richesses, ou plutôt épargnons-les; car celui-là épargne sa fortune qui la confie aux mains des pauvres; il en fait ainsi un inviolable dépôt que les voleurs, ni les esclaves infidèles, ni les traîtres, ni les malfaiteurs, ni les ruses des hommes ne peuvent atteindre. Que si, après ces paroles, vous hésitez à donner vos biens, si d'espoir de recevoir au centuple, ni les misères des pauvres, ni aucune autre considération ne vous peut fléchir, comptez vos péchés, entrez dans la conscience de vos fautes, examinez toute votre vie sans rien omettre, et connaissez vos erreurs. Seriez-vous le plus dur des hommes, tourmenté sans cesse par la crainte du châtiment, et n'ayant d'espoir de vous racheter que par l'aumône, vous donnerez non-seulement vos biens, mais votre corps même. Si nous avions des plaies ou des maladies corporelles, pour les guérir nous n'épargnerions rien, nous donnerions notre vêtement même pour nous en délivrer: les maladies de l'âme sont plus dangereuses et nous pouvons les guérir, nous pouvons fermer par l'aumône les blessures du péché. Faisons donc l'aumône de tout notre coeur. Et pour se délivrer des maladies du corps, il ne suffit pas de donner son argent sans hésiter; il faut souvent souffrir des incisions, des brûlures, boire d'amers breuvages; endurer la faim, la soif, se soumettre à des ordonnances plus dures encore. Mais il n'en est point ainsi des maux de l'âme. Il suffit de verser son argent entre les mains des pauvres pour être aussitôt lavé de toutes ses souillures sans douleur ni souffrance. Car le médecin des âmes n'a besoin ni de l'art ni des instruments, ni du fer, ni du feu. Il n'a qu'un signe à faire, et le péché sort de nos coeurs et s'évanouit dans le néant.

58109 9. Voyez ces moines qui embrassent la vie solitaire et se retirent sur le faîte des montagnes: quelle dure existence! Ils couchent sur la cendre, sont vêtus d'un sac, se chargent de chaînes, s'enferment dans le cloître, luttent sans trêve contre la faim, vivent dans les pleurs et dans d'intolérables veilles, pour se délivrer d'une petite partie de leurs péchés. Vous n'avez pas besoin de toutes ces rigueurs; la voie de la piété vous est plus aisée et plus douce. Car, est-ce une peine, dites-moi, de jouir de vos biens, et de donner aux pauvres le superflu? Ne vous proposerait-on point un prix si relevé, une récompense si belle, la nature de la chose suffirait à persuader aux coeurs les plus cruels d'user de leur superflu pour soulager les misères des pauvres. Mais alors, que l'aumône nous procure tant de couronnes, de récompenses, une complète rémission de nos fautes, quelle excuse, dites-moi, auront ceux, qui sont avares de leurs richesses et perdent leurs âmes dans le gouffre du péché? Si rien ne vous peut émouvoir, ni volts porter à la miséricorde, considérez du moins l'incertitude du terme de votre vie; songez que, quoique vous ne donniez pas votre argent aux pauvres, quand viendra la mort il faudra, bon gré mal gré, le laisser à d'autres, et devenez ainsi charitable dès à présent. Ce serait le comble de la démence de ne point partager volontairement avec d'autres ces biens dont nous devons nous séparer, et cela, sachant que nous devons retirer les plus grands fruits de notre charité. Que votre abondance, dit l'Apôtre, soulage leur détresse. (2Co 8,14) Que dit-il par ces paroles? Vous recevez plus que vous ne donnez; vous donnez des biens matériels et vous recevez des biens spirituels et célestes; vous donnez de l'argent, et vous recevez le pardon de vos fautes; vous délivrez le pauvre de la faim, et Dieu vous délivre de sa, colère. Dans cette affaire, le gain surpasse de beaucoup la dépense. Car vous ne dépensez que des (229) richesses et vous gagnez non point des richesses, mais la rémission de vos péchés, la paix devant Dieu, le royaume du ciel et des biens que les yeux mortels ne peuvent voir, ni les oreilles entendre, ni la pensée concevoir. N'estil pas absurde que les marchands n'épargnent pas leur avoir pour acquérir, non point des biens d'une nature supérieure, mais des biens semblables, et que nous, Pour échanger des biehs périssables et passagers contre des biens impérissables et éternels, nous ne sachions point comme eux dépenser nos richesses? Non, mes frères, ne soyons pas ennemis de notre salut: laissons-nous toucher à l'exemple des vierges folles et de ceux qui se précipitent dans le feu préparé pour le démon et ses anges rebelles, pour n'avoir pas donné à manger et à boire à Jésus-Christ; conservons le feu de l'Esprit-Saint par une abondante charité et de larges aumônes, afin que notre foi ne fasse point naufrage. Car la foi a besoin du secours et de la présence de l'Esprit-Saint, pour rester inébranlable; et ce qui nous assure le secours de l'Esprit-Saint, c'est la pureté de la vie et la bonne conduite. Si nous voulons que la foi jette en nous de profondes racines, nous devons mener, cette vie pure et sage qui conserve en nous la grâce et la vertu de l'Esprit-Saint. Car celui qui ne mène point une vie pure ne saurait garder sa foi à l'abri des orages.

58110 10. Les insensés qui parlent de la destinée et n'ont point la salutaire croyance de la résurrection sont poussés, par leur mauvaise conscience et leurs moeurs impures, dans cet abîme d'impiété. Et de même que les gens pris de fièvre, pour en apaiser l'ardeur, se jettent dans l'eau froide, et, après un léger soulagement, sentent s'aviver la flamme qui les dévore, de même ces hommes, en proie à leur mauvaise conscience, cherchant le repos, mais ne voulant pas le trouver dans le repentir, ont recours à l'aveugle tyrannie du destin et à l'incroyance en la résurrection. Ils se reposent un temps en de froids raisonnements, mais ils allument ainsi des flammes plus dévorantes; ils se plongent de plus en plus dans l'indifférence, et, quand ils descendront aux enfers, ils verront chacun expier ses fautes. Et pour vous convaincre que les actions mauvaises ébranlent la solidité de la foi, écoutez ce que Paul dit à Timothée: Acquittez-vous de tous ces devoirs de la milice sainte, conservant la foi et la bonne conscience. (Or, la bonne conscience est le fruit d'une vie pure et des bonnes oeuvres). Quelques-uns y ont renoncé, et leur foi a fait naufrage. (1Tm 1,18-19) Ailleurs il dit: L'amour des richesses est la cause de tous les maux; quelques-uns en étant possédés se sont égarés de la foi. (1Tm 6,10) Vous voyez que, pour une cause, les uns ont fait naufrage, les autres, pour une autre cause, se sont égarés; les premiers, pour avoir renoncé à la bonne conscience, les seconds, pour avoir succombé à l'amour des richesses. Ce que considérant avec soin, appliquons-nous à bien vivre pour nous assurer une double récompense, celle que nous procurera la rétribution de nos oeuvres, et celle qui nous viendra de la fermeté de notre foi. Car la bonne vie est à la foi ce que la nourriture est au corps, et de même que notre corps ne saurait vivre sans aliments, notre foi ne saurait vivre sans les oeuvres. La foi sans les oeuvres est une foi morte: (Jc 2,20) Il me reste une chose à dire. Que signifient ces mots: Le même esprit de foi? car l'Apôtre n'a pas dit simplement: l'esprit de foi: J'avais intention d'expliquer cette parole, mais je vois que les pensées jailliraient à flots de ce seul mot; je crains que le nombre des choses qu'il faudrait dire ne déborde de vos âmes et que l'instruction ne souffre de ces longueurs. C'est pourquoi je m'arrête, en vous priant et vous suppliant d'observer avec soin les préceptes que je vous ai donnés sur la pureté de la vie, sur la foi, la virginité, la charité et l'aumône, de les retenir exactement pour être prêts à entendre ce que je dois vous dire encore. Car l'édifice qu'élèvent mes paroles sera ferme et inébranlable si mes premiers enseignements, étant bien assis dans vos âmes, y donnent aux suivants de solides fondements. Et que Dieu, qui m'a fait la grâce de vous dire ces choses, et à vous de les écouter avec zèle, nous rende dignes de produire quelque fruit par nos oeuvres, par les mérites et la bonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ, à qui appartient la gloire dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.


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Deuxième homélie. Contre les Manichéens et tous ceux qui calomnient l'Ancien Testament et le séparent du Nouveau, et sur l'aumône.


Chrysostome Homélies 57100