Chrysostome sur Actes 504


HOMÉLIE VI. HOMMES D'ISRAEL, ÉCOUTEZ CES PAROLES. (Ac 2,22, JUSQU'AU VERS. 36)

600 Ac 2,22-36
ANALYSE. 1. Saint Chrysostome développe habilement l'art et le tact exquis avec lesquels saint Pierre propose à ses auditeurs les grands mystères de la mort et de la résurrection de Jésus-Christ. Il glisse légèrement sur le premier, comme étant un fait public, et s'appuie pour prouver le second sur l'autorité de David, dont les prophéties étaient connues et respectées de tous.
2. Revenant ensuite sur l'explication des premiers versets de ce discours, l'orateur fait ressortir la force du témoignage qu'allègue l'apôtre en faveur de la résurrection de Jésus-Christ, et le montre assis dans les cieux sur un trône de gloire, régnant sur ses ennemis, et envoyant l'Esprit-Saint à ses apôtres. — Cependant, pour ne pas offusquer ses auditeurs, Pierre, comme l'observe saint Chrysostome, signale principalement ici l'action du Père, se contentant de faire entendre que le Fils étant Dieu comme lui, participe également à cet envoi.
3. Mais si Dieu le Père a établi dans les cieux le règne de son Fils, c'est afin de nous faire part de son royaume; et cependant les chrétiens méprisent ce royaume, et courent encenser le démon qui les conduit à l'enfer. — Ici l'orateur trace un éloquent parallèle entre la conduite du Seigneur et celle du démon; et entre l'homme doux et patient et celui qui habituellement se livre à tous les transports de la colère.
4. L'âme de l'un, calme et sereine, ressemble à ces montagnes qui jouissent d'une température toujours douce et toujours égale, et le coeur de l'autre rappelle le tumulte et les cris de la place publique. — Le choix d'un chrétien ne saurait donc être douteux.

601 1. Ces paroles ne sont point, dans la bouche de saint Pierre, un langage d'adulation ; mais parce qu'il avait vivement pressé ses auditeurs, il prend un ton plus modéré et cite, avec opportunité, un passage du Psalmiste. Il répète aussi le début de son discours, afin de prévenir en eux le trouble de l'esprit, car il va leur parler de Jésus-Christ. Précédemment ils ont entendu dans la paix et le calme la citation qu'il a faite du prophète. Joël; mais le nom de

Jésus les eût soudain offusqués; c'est pourquoi l'apôtre ne l'a pas prononcé. Observez encore qu'il ne dit pas : Obéissez à ma parole, mais Ecoutez ces paroles ; et certainement, il n'y avait là rien qui pût les offenser. Enfin, remarquons qu'il évite de toucher tout d'abord aux mystères les plus sublimes et qu'il commence par ce qu'il y a de plus humble: « Jésus de Nazareth », dit-il. Pierre nomme donc la patrie de Jésus ; et cette patrie n'était qu'une (2) obscure bourgade; et il ne révèle de lui rien de grand et d'élevé, pas même ce que tout autre prophète en eût annoncé. « Jésus de Nazareth, homme que Dieu a rendu célèbre parmi vous». Ces premiers mots annoncent déjà un grand mystère, et révèlent que Jésus a été envoyé de Dieu. Or, c'est ce que toujours et en toute circonstance le précurseur et les apôtres ont soin de prouver. Ecoutez la parole du précurseur: « Celui qui m'a envoyé baptiser dans l'eau, m'a dit : Celui sur qui tu verras l'Esprit descendre et se reposer, c'est celui-là». (
Jn 1,33) Tel est aussi le témoignage que Jésus-Christ lui-même se rend tout spécialement, lorsqu'il dit : « Je ne suis point venu de moi-même, mais le Père m'a envoyé ». (Jn 7,28) Et ce langage se retrouve à toutes les pages de l'Evangile.

C'est pourquoi Pierre, le prince du collège apostolique, l'ami du Christ et son ardent disciple, Pierre, à qui les clés du royaume des cieux ont été confiées, et qui a reçu les révélations de l'Esprit, a saisi d'abord ses auditeurs de crainte et d'effroi, et puis il a ranimé leur courage en leur montrant qu'ils n'étaient point exclus des grâces célestes. Enfin, après les avoir ainsi préparés à recevoir le don de la loi, il aborde la grande question de Jésus-Christ. Eh ! comment osera-t-il affirmer sa résurrection en face de ceux mêmes qui l'ont fait mourir? Aussi ne se hâte-t-il pas de dire qu'il est ressuscité, mais seulement que Dieu l'a envoyé vers eux. Et la preuve, ce sont les miracles qu'il a opérés. Encore ne dit-il pas que Jésus les a opérés lui-même, mais que Dieu les a opérés par lui, afin de mieux gagner ses auditeurs par ce langage si empreint de modération. Quant à la certitude de ces miracles, il s'en rapporte à leur propre témoignage. « Jésus », dit-il, « homme que Dieu a rendu célèbre parmi vous par les merveilles, les prodiges et les miracles qu'il a faits par lui au milieu de vous, comme vous le savez vous-mêmes». C'est alors seulement, et comme par incident, qu'il rappelle le crime affreux qu'ils avaient commis, et qu'il s'efforce de les excuser. Mais, en réalité; quoique ce déicide eût été arrêté dans les conseils divins, ils n'en étaient pas moins coupables.

« Ce Jésus », dit-il, « qui vous a été livré par le conseil et la prescience de Dieu, l'immolant par la main des méchants, vous l'avez mis à mort ». Nous retrouvons ici le même langage et presque les mêmes expressions dont Joseph avait usé à l'égard de ses frères: « Ne craignez point, car ce n'est pas vous qui m'avez livré, mais c'est Dieu qui m'a envoyé ici ». (Gn 15,5) Néanmoins, parce qu' il avait dit que la mort de Jésus était arrêtée dans les conseils divins, les Juifs eussent pu répliquer : Nous avons donc bien fait; c'est pourquoi il les convainc d'homicide par cette parole : « L'immolant par la main des méchants, vous l'avez mis à mort ». Il désigne ici Judas et montre que les Juifs n'eussent pu exécuter leur noir dessein, si Dieu ne le leur eût permis et si le traître ne leur eût livré Jésus. Car c'est ce que signifie ce mot « livré », et l'apôtre rejette ainsi tout l'odieux du crime sur Judas qui livra le Sauveur et le trahit par un baiser. Quant à ces mots: « Par la main des méchants », ils se rapportent à la trahison de Judas, ou aux soldats qui crucifièrent le Sauveur, en sorte que les Juifs l'ont,mis à mort, moins par eux-mêmes que « par la main des méchants ». Mais comme les apôtres ont toujours soin de prêcher d'abord la passion de Jésus-Christ, tandis que Pierre ne fait ici qu'indiquer sa résurrection; et quoiqu'elle soit le point fondamental de la religion, il se contente de l'affirmer. C'est que le crucifiement et la mort de Jésus étaient des fats publies; mais il. n'en était pas encore ainsi de sa résurrection. Aussi ajoute-t-il : «Dieu l’a ressuscité après l'avoir délivré des douleurs du tombeau, et il était impossible qu'il y fût retenu ».

Ici.l'apôtre nous révèle un grand et sublime mystère : car ce mot : « Il était impossible », signifie que Jésus-Christ lui-même a permis au tombeau de le renfermer, et que la mort, en voulant le retenir, a souffert des violences aussi extrêmes que les douleurs de l'enfantement. C'est en effet sous cette image que l'Ecriture se plaît à nous représenter les efforts de la mort, et elle nous indique en même temps que le Christ est ressuscité pour ne plus mourir. On peut aussi donner un autre sens à ces paroles : « Il était impossible qu'il fût retenu dans le tombeau », et dire qu'elles signifient que la résurrection de Jésus-Christ est différente de celle des autres hommes. Et aussitôt, avant que ses auditeurs aient eu le temps de s'arrêter à quelques pensées, Pierre cite le Psalmiste et coupe court à tout raisonnement humain : « Car David a dit de lui ». Mais observez combien cette façon de s'exprimer est (3) humble, et c'est la même modestie de langage que ci-dessus. Cependant il ne laisse pas que d'en tirer cette grande leçon, qu'il ne faut pas s'affliger de la mort. « J'ai toujours », dit-il, « le Seigneur en ma présence ; et il est à ma droite, afin que je ne sois pas ébranlé. C'est pourquoi vous ne laisserez point mon âme dans l'enfer ». (Ps 15,8)

Pierre voulant alors développer cette prophétie, commence ainsi.: « Mes frères ». C'est toujours ainsi qu'il s'exprime lorsqu'il veut annoncer quelques grandes vérités; et ce début est bien propre à rendre ses auditeurs attentifs et bienveillants. « Mes frères, qu'il soit permis de vous dire hardiment du patriarche David ». Quelle humilité ! et comme il parle modestement, dès qu'il peut le faire sans danger ! Il n'affirme donc pas que la prophétie concerne Jésus-Christ à l'exclusion de David; et il agit en cela très prudemment, afin qu'en honorant à leurs yeux cet illustre prophète, il les amène à mieux respecter son autorité. Bien plus, en s'excusant comme d'un trait de hardiesse, de rapporter un fait public, il les loue et les flatte habilement Aussi ne dit-il pas simplement David, mais le patriarche David. « Qu'il soit donc permis de dire hardiment du patriarche David qu'il est mort et enseveli ». Il n'ajoute point qu'il n'est pas ressuscité., mais il le fait assez entendre par ces mots : « Et son sépulcre est parmi nous jusqu'à ce jour ». Cette citation suffit à son dessein, et, au lien d'en venir immédiatement à Jésus-Christ, il loue de nouveau le saint roi. « Or, comme il était prophète et qu'il savait que Dieu lui avait promis avec serment ».
602 2. Pierre s'exprime ainsi afin que du moins; par honneur pour David et pour ses descendants, les Juifs accueillissent le dogme de la résurrection. Car si Jésus-Christ n'était réellement ressuscité, la prophétie ne serait pas accomplie, et eux-mêmes auraient à en rougir. « Et comme il savait que Dieu lui avait promis avec serment ». Ce n'était pas une simple promesse, mais un serment solennel. « Dieu lui avait donc promis avec serment que, selon la chair, le Christ sortirait de sa race, et qu'il serait assis sur son trône ». Admirez quels profonds mystères l'apôtre laisse soupçonner! et comme il cite avec assurance les paroles du prophète, dès qu'il a su s'insinuer dans l'esprit de ses auditeurs. Aussi proclame-t-il ouvertement la résurrection de Jésus-Christ. « C'est pourquoi son âme n'a point été laissée dans le tombeau, et sa chair n'a point vu la corruption ». Ce langage a droit de nous étonner. Et, en effet, il affirme que la résurrection de Jésus-Christ n'est point semblable à celle des autres hommes, et que la mort, qui l'a tenu quelques instants, n'a pu étendre sur lui son empire souverain.

Quant au péché des Juifs, Pierre l'a laissé entrevoir comme dans l'ombre, et sans parler du châtiment que ce péché méritait, il s'est borné à déclarer que les Juifs avaient mis à mort le Christ : puis il a exposé les preuves de sa divinité. Mais dès qu'il est démontré que celui qui a été mis à mort, est le Juste par excellence, et l'ami de Dieu, vous avez beau taire le châtiment de ce crime, les coupables se condamneront eux-mêmes plus sévèrement que vous ne pourriez le faire. C'est pourquoi, afin de mieux se concilier leur attention, il s'en réfère aux décrets du Père éternel, et tire cette conclusion de la prophétie, qu' « il était impossible » que le Christ restât dans le tombeau.

Mais revenons sur l'explication des premiers versets. « Jésus de Nazareth que Dieu a rendu célèbre parmi vous ». Ainsi, le doute n'est plus permis à son égard parce qu'il s'est fait connaître par ses oeuvres. Aussi, Nicodème disait-il à Jésus-Christ : « Personne ne peut faire « les miracles que vous faites ». (
Jn 3,2) Pierre dit également : « Dieu l'a rendu célèbre par les merveilles, les prodiges et les miracles qu'il a opérés par lui au milieu de vous ». Ce n'est donc point secrètement, puisqu'il a agi devant tout le peuple. C'est ainsi que l'apôtre conduit insensiblement ses auditeurs, des faits qu'ils connaissent à ceux qu'ils ignorent; et quand il dit que tout cela s'est fait « par suite des décrets divins », il semble dire que de leur part ce crime a été involontaire, puisqu'il avait été prévu et réglé dans la sagesse et les conseils du Seigneur. Il passe donc rapidement sur tout ce qui eût pu les contrister, et dirige tous ses efforts à leur prouver que le Christ a été mis à mort. C'était dire à ses auditeurs : Quand vous le nieriez, ceux-ci, à savoir, les apôtres, l'attesteraient. Or, celui qui triomphe de la mort ne pourra-t-il pas plus aisément encore se venger de ses bourreaux ? Certainement. Mais Pierre évite de le dire; et, sans leur annoncer que le Christ (4) exterminera la nation déicide, il se borne à le leur faire comprendre.

Nous apprenons également du discours de l'apôtre quelle est la signification de ce mot « être retenu ». Car celui qui retient une chose avec souffrance, cherche moins à en conserver la possession qu'à s'en décharger et à soulager ainsi sa douleur. C'est aussi avec une admirable justesse que saint Pierre dit : « David parlant au nom du Christ », de peur qu'on ne crût qu'il parlait en son nom. Voyez-vous maintenant avec quelle hardiesse il interprète la prophétie et en expose clairement le sens, en montrant le Christ assis sur son trône? Or, le royaume du Christ est un royaume spirituel qui n'existe qu'au ciel. C'est pourquoi le fait de la résurrection implique celui de la possession de ce royaume; et le prophète ne pouvait pas ne point en parler, puisque la prophétie concernait le Christ. Mais pourquoi le Psalmiste parle-t-il « de la résurrection du Christ », plutôt que de son royaume? C'est pour nous révéler un grand mystère. Et pourquoi dit-il qu'il est assis sur son trône ? Parce que du haut des cieux il étend son autorité sur tous les Juifs et principalement sur ceux qui l'ont crucifié.

« Et sa chair n'a point vu la corruption ». Cette parole n'exprime pas moins fortement le dogme de la résurrection que celle-ci : « Dieu a ressuscité ce Jésus ». Et voyez-vous comme maintenant il le désigne par son nom? « Et nous en sommes tous témoins. Après donc qu'il a été élevé, de la main de Dieu » ; Pierre en revient encore à Dieu le Père, quoique déjà il ait suffisamment, montré son action, parce qu'il sait combien cet argument est puissant. Il laisse également comprendre, sans le dire ouvertement, que ce même Jésus est monté au ciel, et qu'il y réside. « Et après qu'il a reçu la promesse du Saint-Esprit ». Observez ici que l'apôtre attribue l'envoi de cet Esprit divin au Père, et non au Christ. Mais, après avoir rappelé les miracles de celui-ci, l'attentat des Juifs contre sa personne, et le prodige de sa résurrection, il s'enhardit à en parler librement, et leur cite la déclaration de témoins qui ont tout vu et tout entendu. Cependant, s'il revient fréquemment sur la résurrection de Jésus-Christ, il ne parle qu'une seule fois du crime de ceux qui l'ont crucifié, pour éviter de leur être importun. « Après donc qu'il a reçu la promesse du Saint-Esprit ». Quel sublime mystère recèlent ces paroles! Et je pense qu'ici saint Pierre fait allusion à la promesse que Jésus-Christ fit à ses apôtres avant sa passion. Aussi remarquez comme en ceci il lui attribue l'action principale, et comme il obtient adroitement un immense résultat. Car si Jésus-Christ a répandu l'Esprit-Saint, c'est de lui que parlait le prophète, quand il disait : « Dans les derniers jours je répandrai de mon Esprit sur vos serviteurs et sur vos servantes, et je ferai paraître des prodiges dans le ciel ».

Quelle doctrine se cachait donc sous ces paroles? Mais à cause même de sa sublimité, l'apôtre la voile aux regards de ses auditeurs, et attribue au Père l'envoi du Saint-Esprit; c'est pourquoi il se borne à énumérer les biens que nous a procurés l'incarnation du Fils, les miracles que celui-ci a opérés, la royauté qu'il a fondée, le peuple au milieu duquel il a paru, et il ajoute comme incidemment que lui aussi donne l'Esprit-Saint. Toute parole qui ne tend pas à l'utilité de ceux qui l'écoutent, est une parole vaine et inutile. C'est ce que témoigne le saint précurseur quand il dit: « Le Christ vous baptisera lui-même en l'Esprit-Saint ». (Mt 3,11) Pierre montre également que Jésus-Christ, bien loin d'affaiblir la vertu de sa croix, l'a rendue plus brillante, puisqu'il accomplit en ce jour, à l'égard de ses disciples, la promesse qu'il avait précédemment reçue de son Père. C'était donc, dit l'apôtre, cette promesse qu'il nous avait faite, et qu'il se réservait d'accomplir dans toute son étendue, après le mystère de sa passion. « Je répandrai » ; cette expression marque la dignité du bienfaiteur, et l'abondance de ses dons. La suite de ce discours en est une preuve sensible, car c'est après avoir reçu l'Esprit-Saint, que Pierre annonce hardiment l'ascension de Jésus-Christ, et que, pour la prouver, il allègue, à l'exemple du Sauveur, le témoignage du Psalmiste. « Car David, » dit-il, « n'est point monté au ciel ».
603 3. Ici la parole de l'apôtre se relève noblement, et il parle avec fermeté. Il n'a donc plus recours à ces précautions oratoires : qu'il me soit permis de vous dire; mais il s'exprime en toute franchise. « Le Seigneur a dit à mon Seigneur : assieds-toi à ma droite, jusqu'à ce que je réduise tes ennemis à te servir de marche-pied ». Or, si le Christ est le Seigneur de David, à plus forte raison l'est-il des (5) Juifs. « Assieds-toi à ma droite ». Cette parole résume toutes choses. « Jusqu'à ce que je réduise tes ennemis à te servir de marche-pied ». Cette citation ne pouvait manquer de renouveler dans les esprits une salutaire terreur, car elle montrait quelle sera la conduite du Seigneur envers ses amis et ses ennemis. Mais, pour se mieux concilier ses auditeurs, Pierre se hâte d'attribuer au Père l'exercice de la souveraineté, et, après avoir proclamé ces sublimes mystères, il abaisse insensiblement son langage.

« Que toute la maison d'Israël sache donc ». Voyez comme il prévient le doute et l'hésitation, et comme il continue avec autorité. «Que Dieu a fait Seigneur et Christ ce Jésus ». Il cite les paroles du Psalmiste, et, au lieu de dire : Que toute la maison d'Israël sache donc certainement que le Christ est assis à la droite de Dieu le Père, ce qui marquait la gloire la plus élevée, il laisse ce privilège, et dit plus humblement que Dieu l'a « fait », c'est-à-dire, l'a établi Christ et Seigneur. Ainsi, il omet de parler de la personne même du Fils, et ne s'arrête qu'à l'action du Père. « Ce Jésus que vous avez crucifié». Que ce dernier membre de phrase est heureux ! et quels remords il devait exciter, dans l'âme de cette multitude. Car l'apôtre, qui lui a d'abord montré toute la grandeur du crime, en désigne ici les coupables, afin qu'ils en comprennent mieux l'énormité, et qu'ils en conçoivent une salutaire terreur. Et en effet, les bienfaits sont moins puissants pour attirer les hommes que la crainte pour les corriger. Mais il est des hommes admirables, de pieux amis du Seigneur, qui sont au-dessus de ce double motif; tel était Paul qui aimait Dieu sans s'inquiéter du ciel, ni de l'enfer.

C'est là véritablement aimer Jésus-Christ, et ne point se conduire en mercenaire, qui ne cherche que son profit et son avantage : c'est là être véritablement chrétien, et n'agir que par le principe de l'amour divin. Combien donc notre conduite est-elle digne de larmes, puisqu'appelés à cet héroïsme de vertu, nous ne savons pas même considérer le ciel comme le but d'un utile négoce. Jésus-Christ nous promet les plus riches trésors, et nous ne l'écoutons point. Ah ! quels châtiments ne mérite pas une telle indifférence ! L'homme qu'excite la tyrannique passion de l'or ne considère point s'il se trouve en rapport avec un étranger, ou un esclave; avec un ennemi, ou un rival implacable, pourvu qu'il espère en tirer quelqu'argent. Il n'est donc rien qu'il ne fasse volontiers, fallût-il les aduler, les servir, et les tenir pour les plus honnêtes gens du monde, dès qu'il est assuré d'en être grassement payé: tant la soif du Lcre éteint en lui toute autre pensée. Eh ! le royaume des cieux est moins puissant sur nous que la vue d'un vil métal ! Cette perspective ne peut émouvoir notre indifférence, et néanmoins celui qui nous promet ce royaume n'est pas un homme ordinaire; c'est le Roi des cieux.

Cependant, à ne considérer même que le royaume qui nous est promis, et le Dieu qui veut nous le donner, il est beau de recevoir un tel don, et de le recevoir de telles mains. Hélas ! nous agissons comme ces insensés à l'égard desquels un roi veut couronner mille bienfaits en les associant à l'héritage de son fils, et qui ne savent que mépriser ses offres généreuses. Mais, au contraire, que le prince des méchants, celui qui, plein de malice, a précipité nos premiers parents et toute leur postérité dans un abîme de maux, nous présente une obole, et soudain nous courons l'adorer. Dieu nous promet un royaume, et nous le méprisons; le démon nous entraîne vers l'enfer, et nous l'honorons. Ainsi, d'un côté le Seigneur, et de l'autre le démon. Mais quelle différence encore dans leurs commandements ! Oui, supposons qu'il n'existe ni Dieu, ni démon, ni ciel, ni enfer, cette différence seule suffirait à éclairer notre choix. Et, qu'ordonnent-ils donc l'un et l'autre ? Le démon, tout ce qui souille l'homme; et Dieu, tout ce qui fait sa gloire et on honneur. Le démon, tout ce qui nous rend malheureux et infâmes; et Dieu, tout ce qui nous apporte la paix et la tranquillité. Ecoutez en effet les paroles de l'un : « Apprenez de moi que je suis doux et humble de coeur, et vous trouverez le repos de vos âmes ». (
Mt 11,29) Quel est, au contraire, le langage de l'autre? Soyez dur et inhumain, furieux, et moins homme que bête féroce. Quant aux résultats de ces commandements, de quel côté est l'utilité et l'opportunité? Mais, à part toutes ces considérations, il suffit de savoir que l'un des deux est le démon; et, si nous en sommes bien persuadés, nous le vaincrons avec plus de gloire. Car l'utilité du précepte, et non sa facilité, nous doit faire connaître celui qui nous porte un (6) véritable intérêt. C'est ainsi que les pères donnent à leurs enfants des ordres sévères, et les maîtres à leurs esclaves; mais ils n'en sont pas moins pères et maîtres, tandis que les autres sont dépendants et serviteurs.

Et maintenant, voulez-vous examiner la question sous le rapport du bonheur? La solution en est facile et évidente. Et en effet, y a-t-il parité de satisfaction entre l'homme irascible et furieux et l'homme doux et patient ? L'esprit de ce dernier possède le calme d'une paisible solitude et l'âme du premier ressemble à ces places publiques où se presse une foule importune et où les gens qui conduisent des chameaux, des mulets et des ânes, crient à tue-tête pour avertir les passants de se garer. Oui, je comparerai le méchant à ces villes où l'on n'entend que le bruit de l'enclume et du marteau et où l'encombrement est si grand qu'à chaque pas on risque de heurter les autres ou d'en être soi-même heurté. Mais le juste est semblable à une montagne dont le sommet jouit de la douce haleine des zéphyrs et s'illumine des rayons d'une pure lumière. Des sources jaillissantes abreuvent mille fleurs qui en font un délicieux jardin ; l'on dirait une prairie que le printemps a émaillée de plantes et de fleurs et qu'il arrose de limpides ruisseaux. Ajoutez au plaisir des yeux celui de l'oreille que charment de suaves mélodies. Car, ou les oiseaux chantent sur les cimes élevées des grands arbres, ou la cigale, le rossignol et l'hirondelle harmonisent leurs voix et leurs concerts: D'autres fois c'est le zéphyr qui se joue dans les hautes branches des arbres et qui, agitant les pins et les mélèzes, imite les chants mélodieux du cygne; ou ce sont les lis et les roses de la vallée qui s'inclinent comme dans un fraternel embrassement et présentent l'image d'une.mer calme et tranquille. Les fleurs nous offrent d'autres emblèmes non moins gracieux. Ainsi la rose symbolise l'arc-en-ciel, la violette la mer azurée, et le lis le ciel.. Mais cet admirable spectacle de la nature qui réjouit l'oeil, récrée également le corps. On y respire en effet un tel bien-être qu'on se croit plutôt dans les cieux que sur la terre.
604 4. Dirai-je encore que le murmure des eaux qui se précipitent en cascade et frémissent sur un lit de cailloux, détend nos membres fatigués et provoque un doux sommeil? Cette description vous charme et vous ferait aimer la solitude ; mais combien plus délicieux est L'état d'une âme humble et patiente. Et ne croyez pas que ma parole se soit égayée dans cette description pour le seul plaisir de peindre la nature et d'en tracer un riant tableau ; non, non. J'ai voulu vous montrer quels sont les charmes de la patience, et vous faire comprendre qu'il est plus doux et plus utile de vivre avec un homme vraiment patient, que d'habiter ces lieux enchanteurs. Et en effet, jamais il ne déchaîne autour de lui le souffle violent de l'aquilon, et son langage doux et modéré ne rappelle que les brises légères d'un paisible zéphyr. Ses reproches eux-mêmes sont pleins de bienveillance et imitent le chant des oiseaux. Comment donc ne pas trouver auprès de lui le véritable bonheur? Si sa parole ne peut rien sur le corps, du moins elle calme et récrée l'âme; et les soins habiles d'un médecin coupent moins vite la fièvre que la parole d'un homme patient n'apaise un esprit furieux et emporté. Eh ! pourquoi parler du médecin, puisqu'un fer rouge qu'on plonge dans l'eau, perd sa chaleur moins promptement qu'un coeur courroucé ne se calme au contact d'un homme patient? Mais de même qu'on ne fait sur la place publique aucune attention au chant des oiseaux, ainsi mes paroles frappent inutilement l'oreille d'un esprit furieux et irascible. Combien donc la douceur est préférable à la colère et à l'emportement. D'ailleurs Dieu nous commande la première et le démon la seconde. Aussi, quand même il n'existerait ni Dieu, ni démon, n'oubliez point que nos propres intérêts nous prescriraient encore de cultiver cette vertu et de fuir ce vice.

Et en effet, l'homme doux et patient est débonnaire pour lui-même et utile aux autres, tandis que l'homme violent et irascible devient ennuyeux à lui-même et inutile aux autres. Eh 1 y a-t-il rien de moins aimable et de plus triste, de plus fatigant et de plus insupportable que de vivre avec un esprit de ce caractère, tandis que nos relations avec un esprit pacifique sont empreintes de charmes et de douceurs ! Il vaut mieux habiter avec une bête féroce qu'avec le premier; car celle-ci s'apprivoise et devient soumise, mais celui-là s'irrite des déMches mêmes que vous faites pour l'apaiser, tant la colère est son état habituel ! Les jours joyeux et sereins de l'été et les tristes frimas de l'hiver sont moins opposés que ces deux hommes.

7 Mais, avant d'exposer tous les maux dont la colère est le principe à l'égard du prochain, examinons ceux qu'elle nous attire. Sans doute c'est déjà un grand mal que de nuire à ses frères, et j'en parlerai plus tard. Pour le moment je vous demande quel bourreau déchire les côtés comme la colère et l'emportement, quel dard transperce le corps aussi cruellement, et quel accès de folie ébranle aussi complètement la raison? J'en ai connu plusieurs que la colère a rendus malades; et, de toutes les fièvres, celles-ci sont les plus dangereuses. Mais si tels sont les ravages que cette passion porte dans le corps, que seront ceux dont elle afflige l'âme? Eh ! ne dites point qu'on ne les voit pas au dehors, mais pensez que si l'homme furieux et emporté se nuit ainsi à lui-même, il ne peut amener pour les autres que de terribles malheurs. Plusieurs en effet ont perdu la vue par suite d'un accès de colère, et plusieurs autres sont tombés dans de graves maladies. Mais l'homme vraiment patient soutient sans fléchir le poids de l'adversité. Et cependant, malgré, toute la rigueur de ses commandements et en dépit des supplices de l'enfer où ils nous conduisent, le démon, cet ennemi juré de notre salut, se voit obéi avec plus d'empressement que le Sauveur Jésus, qui est notre bienfaiteur et qui ne nous intime que des préceptes faciles, salutaires, et non moins utiles à nous-mêmes qu'à nos frères.

Rien de plus dangereux, mon cher frère, que la colère et l'emportement. Si sa violence ne dure qu'un instant, les suites en sont bien graves. Car souvent toute la vie ne suffit pas pour réparer un mot prononcé dans la colère ; et un seul acte d'emportement brise souvent toute une carrière. Mais ce qui est plus déplorable encore, c'est que souvent un instant, une action et une parole nous font perdre les biens éternels et nous dévouent aux plus affreux supplices. Je vous en conjure donc, muselez cette bête féroce. Mais c'est assez parler de la douceur et de la colère, et si vous voulez poursuivre ce parallèle entre l'avarice et la générosité, l'impureté et la chasteté, la jalousie et la bienveillance, vous trouverez entre elles la même différence. Il me suffit de vous avoir montré à reconnaître par le seul énoncé du précepte quel en est l'auteur, Dieu ou le démon. Ah ! obéissons à Dieu et ne nous précipitons point dans l'enfer; et tandis que nous en avons le temps et la facilité, purifions notre âme de la tache du péché, afin que nous obtenions les biens éternels, par la grâce et la miséricorde de Notre-Seigneur Jésus-Christ, à qui soit, avec le Père et l'Esprit-Saint, la gloire, l'honneur et l'empire, maintenant et toujours, et dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.

HOMÉLIE VII. A CES PAROLES ILS FURENT TOUCHÉS AU FOND DE LEUR COEUR, ET ILS DIRENT A PIERRE ET AUX AUTRES APÔTRES : FRÈRES, QUE FERONS-NOUS ? (CHAP. 2, 37, JUSQU'A LA FIN)

700 Ac 2,37-47

ANALYSE. 1. L'Orateur montre, par les sentiments de componction que font paraître les Juifs, le succès de la méthode que saint Pierre a suivie, et développe la réponse de cet apôtre : Faites pénitence, et que chacun de vous soit baptisé. — Ici saint Chrysostome trace le tableau de cette vie si admirable des premiers fidèles, et nous les représente persévérant dans la prière, la fraction du pain et la communauté des biens.
2. A l'égard de ce merveilleux désintéressement, il observe qu'ils faisaient de leurs biens un sage et utile usage, et ne les dédaignaient point, comme quelques philosophes, par vanité et arrogance. — Il appuie également sur le tact avec lequel saint Pierre leur propose le baptême sans s'étendre sur la passion et la mort de Jésus-Christ, parce qu'il voulait ménager ici, comme précédemment, leur trop grande susceptibilité.
3. L'Orateur revient ensuite sur le spectacle qu'offraient les premiers fidèles, et exalte leur charité qui - 1 enfantait pour tous la joie pure de l'âme, et l'abondance des biens célestes. — 2 rehausse ensuite magnifiquement leur simplicité, et prouve que la prudence qui accompagne toujours cette vertu, ainsi que la confiance en Dieu, finissent par réussir.
4. Ces premiers fidèles étaient ardents à se mortifier, et les chrétiens de nos jours ne recherchent que les délices ; ils se dépouillaient de leurs biens, et nous prétendons conserver les nôtres avec affection ; ils descendaient nus dans l'arène, et nous nous présentons au combat pompeusement parés : la lutte ne peut donc être égale. — C'est pourquoi nous devons, à leur exemple, retrancher toute cupidité, et, par un désintéressement vrai et sincère, nous assurer la victoire sur le démon, et la possession des biens éternels.

701 1. Considérez ici les avantages inestimables de la douceur. Elle pénètre dans les coeurs plus avant que la violence, et les perce plus profondément. Le fer qui ouvre un abcès dur et compact ne produit qu'une légère douleur; mais si des émollients ont rendu cet abcès tendre et impressionnable, la douleur devient vive et forte. C'est ainsi que l'apôtre devait amollir d'abord les esprits, et puis les piquer. Or ce résultat s'obtient par la douceur, et non par la colère, les reproches violents et les injures. Car l'emportement augmente le mal, et la douceur le diminue. Aussi voulez-vous amener celui qui vous a insulté à reconnaître sa faute, reprenez-le avec une extrême douceur. Telle est la conduite de l'apôtre. Il rappelle à ses auditeurs le souvenir de leur crime; et sans y ajouter aucun reproche, il s'étend sur les dons de Dieu à l'égard des Juifs, et sur les preuves des faits qui se sont accomplis parmi eux.

C'est pourquoi ils surent gré à l'apôtre de sa douceur, parce qu'il ne faisait entendre à ceux qui avaient crucifié son Dieu, et qui voulaient la mort de ses disciples, que le langage d'un père et d'un maître affectionné. Mais bientôt ils joignirent à ces sentiments de reconnaissance les remords d'une conscience coupable, et ils comprirent toute l'énormité de leur crime. Car Pierre ne permit point qu'ils s'abandonnassent aux fureurs du désespoir, ni que leurs âmes fussent enveloppées de ténèbres. Il se hâta donc de dissiper, par l'humilité de sa parole, les nuages de l'indignation, et puis il leur représenta la grièveté de leur faute. Chaque jour l'expérience justifie une semblable conduite. Quand nous disons à un injuste agresseur qu'il nous a blessé, il s'efforce de nous prouver le contraire. Mais si nous lui soutenons que, loin d'avoir été atteint par ses traits, c'est nous qui l'avons percé, il se récrie et se déclare invulnérable. Aussi, voulez-vous fortement embarrasser votre ennemi, ne l'accusez pas, mais prenez sa défense, et il s'accusera lui-même. Car l'homme aime naturellement la contradiction. Pierre ne l'ignorait pas; (9) c'est pourquoi il évite de les reprendre avec aigreur, et s'efforce, autant qu'il peut, de les excuser tout doucement. Aussi parvint-il à toucher leurs esprits. Eh ! qui atteste ce succès ? Leurs propres paroles, car ils disent : « Frères, que ferons-nous? »

Voyez-vous comme ils appellent frères ces mêmes hommes qu'ils nommaient séducteurs? Ce n'est point qu'ils s'égalent à eux, et ils ne veulent que s'attirer leur bienveillance et leur amitié. Observez encore qu'après les avoir appelés frères, et avoir dit: « Que ferons-nous ? »
Ac 2,37 ils n'ajoutent pas : Nous ferons donc pénitence, mais qu'ils s'abandonnent à leur conduite. C'est ainsi que dans un naufrage imminent, ou dans une grave maladie, tous laissent agir le pilote ou le médecin, et lui obéissent docilement. Et de même ces Juifs reconnaissent hautement qu'ils sont en un péril extrême, et qu'il ne leur reste plus aucune espérance de salut. Aussi ne disent-ils point: Comment serons-nous sauvés? mais: « Que ferons-nous? » Ils s'adressaient à tous les apôtres; mais Pierre seul répond. Et que dit-il? « Faites pénitence, et que chacun de vous soit baptisé au nom de Jésus-Christ » Ac 2,38. Il ne dit pas encore: Croyez; mais : « Que chacun de vous soit baptisé », parce qu'ils devaient recevoir la foi avec le baptême; et pour leur en montrer les avantages il ajoute: « En rémission de vos péchés; et vous recevrez le don du Saint-Esprit » Ac 2,38. N'était-ce pas leur dire : Pourquoi différer ce baptême qui vous apportera la rémission de vos péchés et la plénitude des dons célestes ?

Bien plus, afin de rendre sa parole plus persuasive encore, il ajoute: « Car la promesse », celle dont il avait parlé précédemment, « est faite à vous, et à vos enfants » Ac 2,39. Ainsi le don de l'Esprit-Saint est d'autant plus excellent qu'ils pourront le laisser en héritage à leurs enfants. « Et à tous ceux qui sont éloignés » Ac 2,39 ; à plus forte raison à vous qui êtes proches « et à tous les hommes que le Seigneur notre Dieu appelle » Ac 2,39. Observez que l'apôtre ne parle de « ceux qui sont éloignés » que quand il voit ses auditeurs rentrer en eux-mêmes et se condamner eux-mêmes. Car de semblables dispositions empêchaient qu'ils ne fussent jaloux des gentils. « Et par plusieurs autres discours il rendait témoignage et les exhortait en ces termes » Ac 2,40. Voyez comme Pierre parle toujours brièvement, sans faste et sans ostentation - « Il rendait témoignage et les exhortait en ces termes ! » La doctrine parfaite sait également inspirer la crainte et l'amour. « Sauvez-vous de cette génération perverse » Ac 2,40. S'il parle du présent plutôt que de l'avenir, c'est que rien ne nous touche plus vivement. Aussi leur prouve-t-il que sa parole les délivrera des maux présents et futurs.

« Ceux donc qui reçurent sa parole furent baptisés, et il y eut en ce jour environ trois mille personnes qui se joignirent aux disciples » Ac 2,41. Ne pensez-vous pas que tout autre miracle eût moins réjoui les apôtres que ces nombreuses conversions ? « Or ils persévéraient dans la doctrine des apôtres et dans la communion » Ac 2,42. Ici l'écrivain sacré note spécialement deux vertus : la persévérance et l'union des esprits; et il nous fait ainsi entendre que les apôtres continuèrent longtemps encore à les instruire. « Ils persévéraient donc dans la communion, et dans la fraction du pain, et dans la prière ». En outre, dit saint Luc, tout était commun entre eux, et ils se soutenaient dans ces saintes dispositions. « Et la crainte était dans les âmes, et les apôtres opéraient beaucoup de merveilles et de miracles » Ac 2,43. Je ne m'en étonne pas. Car ce n'étaient pas des hommes ordinaires. Ils n'envisageaient plus les choses sous un aspect tout profane; et ils étaient tout embrasés des feux de l'Esprit-Saint. Mais parce que Pierre, dans son discours, avait entremêlé les promesses et les menaces, le présent et l'avenir, les esprits étaient d'autant plus frappés de crainte que les prodiges confirmaient les paroles. Ainsi aux jours de la Pentecôte comme en ceux du Sauveur, les prodiges précédaient la doctrine et les miracles l'accompagnaient.

« Or tous ceux qui croyaient vivaient ensemble, et ils avaient tout en commun » Ac 2,44. Voyez quels progrès rapides ! Car à l'union de la prière et de la doctrine, ils ajoutaient celle de la vertu. « Ils vendaient leurs terres et leurs biens et les distribuaient à tous selon que chacun en avait besoin » Ac 2,45. Voyez encore quelle crainte dominait les esprits ! « Et ils les distribuaient », c'est-à-dire, en faisaient un sage partage, « selon que chacun en avait besoin ». Ce n'était donc pas cette prodigalité de certains philosophes qui abandonnaient leur patrimoine ou jetaient leur or dans la mer, plutôt par folie et déraison que par un véritable mépris des richesses. Car toujours le (10) démon s'est étudié à corrompre l'usage des créatures que Dieu a faites, comme si l'on ne pouvait user sagement de l'or et de l'argent.

702 2. « Et tous les jours ils étaient ensemble dans le temple » Ac 2,46. Ces paroles nous apprennent quels fruits produisit immédiatement la prédication des apôtres; et admirez avec quel zèle ces Juifs oubliaient le soin de toute affaire temporelle et se rendaient assidûment au temple. Car leur respect pour ce lieu sacré croissait avec leur ferveur; et les apôtres ne les en éloignaient pas encore par bonté et par condescendance. « Et ils rompaient le pain dans leurs maisons, prenant leur nourriture avec joie et simplicité de coeur, louant Dieu et agréables à tout le peuple » Ac 2,46-47. Je crois que, par cette expression : Rompant le pain, l'écrivain sacré a voulu désigner les jeûnes et l'abstinence que pratiquaient ces premiers chrétiens, puisque leur nourriture était frugale et ennemie de toute recherche. Apprenez donc ici, mes frères, que le bonheur de la vie accompagne la frugalité bien plus que les délices de la table; et la pratique de la sobriété nous est une source de joie, tandis que l'intempérance du festin est un principe de tristesse. La parole de Pierre fit donc éclore la sobriété chrétienne qui produisit à son tour un pur et saint contentement.

Et comment ? me direz-vous. Parce que leurs aumônes « les rendaient agréables à tout le peuple » Ac 2,47. Car il faut faire moins attention aux prêtres qui s'élevaient contre eux par esprit d'une basse jalousie, qu'au peuple qui les accueillait avec faveur. « Or le Seigneur augmentait chaque jour ceux qui devaient être sauvés dans l'Eglise Ac 2,47 ; et tous ceux qui croyaient vivaient ensemble » Ac 2,44. Tant l'union et la concorde sont bonnes en toutes choses !

Cependant Pierre « rendait témoignage par d'autres discours » Ac 2,40. Cette remarque de saint Luc nous fait entendre que l'apôtre donna quelque développement à ses premières paroles, ou qu'après avoir amené ses auditeurs à croire en Jésus-Christ, il laissa aux autres apôtres le soin de leur expliquer la pratique de cette croyance. Il évite aussi de leur parler de la croix, et dit seulement : « Que chacun de vous soit baptisé au nom de Jésus-Christ» Ac 2,38. Pourquoi dont ne leur parle-t-il point fréquemment de la croix? Par ménagement et pour éviter tout reproche ; aussi se borne-t-il à dire : « Faites pénitence, et que chacun de vous soit baptisé au nom de Jésus-Christ ». Ainsi, au tribunal de la religion, les choses se passent tout autrement que dans celui de la justice humaine : car l'aveu de sa faute assure le salut du pécheur.

Observez encore avec quel tact Pierre insiste sur un point bien important. Après avoir signalé la grâce du baptême, il ajoute immédiatement : « Vous recevrez le don de l'Esprit-Saint » Ac 2,38 ; et en présence des prodiges qui s'opéraient sous leurs yeux, les Juifs ne pouvaient pas ne point croire à cette promesse. Au reste, l'apôtre se contente de leur révéler ce qu'il y avait de plus facile, et qui, par la communication des dons célestes, les pouvait conduire au salut. Car il savait bien qu'à l'occasion la saveur de ces premiers biens les enflammerait d'un nouveau zèle. Mais parce qu'il voyait en ses auditeurs le désir de connaître ce point capital de son discours, il leur apprit que cette connaissance était un don de l'Esprit-Saint. Aussi voyez avec quelle attention ils l'écoutent et comme ils louent une parole qui les remplit de crainte et de frayeur ! Bien plus, ils croient et demandent le baptême.

Mais reprenons l'explication des premiers versets de notre texte : « Ils persévéraient », dit saint Luc, « dans la doctrine » Ac 2,42. Nous pouvons évidemment conclure de ces paroles que les apôtres instruisirent ces néophytes non-seulement pendant un, deux ou trois jours, mais tout le temps que demandait leur conversion. « Et tous étaient dans une grande frayeur » Ac 2,43. « Tous », c'est-à-dire même ceux qui ne croyaient pas. Et il est vraisemblable que, dans ces derniers, cette frayeur venait ou du changement prodigieux qu'ils voyaient, ou peut-être des miracles qui s'opéraient sous leurs yeux. Saint Luc dit aussi qu'ils vivaient « dans une intime union » Ac 2,42, expression plus forte que l'adverbe « ensemble », parce qu'on peut vivre avec des personnes dont on ne partage pas les sentiments. Enfin il ajoute que Pierre les exhortait par ses discours, et sans en rien rapporter, il se borne à cette sommaire indication. Mais elle suffit pour nous apprendre que les apôtres présentèrent d'abord à ces néophytes, comme à de tendres enfants, le lait et le miel de la doctrine évangélique, et qu'en peu de temps ceux-ci atteignirent une perfection tout angélique.

« Et ils distribuaient à tous leurs biens, selon que chacun en avait besoin » Ac 2,45. Ces nouveaux (11) disciples voyaient qu'entre eux les dons spirituels étaient communs et que tous en étaient également favorisés ; aussi en vinrent-ils promptement à l'idée d'en faire autant pour les biens de la terre. « Or, tous ceux qui croyaient, vivaient ensemble » Ac 2,44. Mais ils n'habitaient pas la même maison, comme le prouvent ces autres paroles : « Et ils avaient tout en commun ». Ainsi l'égalité était parfaite sans que l'un eût plus, et l'autre moins, et ils formaient comme une société d'esprits célestes, puisque chacun ne possédait rien en propre. Cette pauvreté volontaire coupait donc jusque dans ses racines le principe de tous les maux, et ces nouveaux disciples prouvaient par là qu'ils avaient compris la doctrine évangélique.

Or, Pierre leur disait : « Sauvez-vous de cette génération perverse; et il y eut en ce jour environ, trois mille personnes qui se joignirent aux disciples» Ac 2,40-41. Parce qu'ils étaient trois mille, ils ne craignaient point de se produire au dehors, et chaque jour ils montaient au temple, où ils se rendaient assidûment. C'est aussi ce que firent peu après les apôtres Pierre et Jean, car tout d'abord ils ne changèrent rien à la loi de Moïse. Au reste l'honneur rendu au temple rejaillissait sur le Maître du temple. Voyez aussi quels rapides progrès faisait en eux l'esprit de piété ! Ils se dépouillaient avec joie de leurs biens terrestres, et ils s'en réjouissaient d'autant plus qu'ils estimaient davantage leurs richesses spirituelles. L'orgueil et la jalousie, le faste et le mépris étaient inconnus parmi eux, c'étaient des enfants qui ne voulaient qu'être instruits; et ils avaient la candeur d'un enfant nouveau-né.

Direz-vous que je trace un tableau d'imagination? mais rappelez-vous le dernier tremblement de terre dont le Seigneur a épouvanté cette ville. Quel n'était pas l'effroi et la consternation générale ! qui songeait alors à tromper son frère, ou à médire de lui ! ce que faisait parmi nous la terreur et l'effroi, la charité l'opérait parmi les premiers chrétiens : ils ne connaissaient point cette froide parole, « le mien » et « le tien » ; aussi s'asseyaient-ils pleins de joie à une table commune. L'un ne pensait point qu'il faisait les frais du festin, et l'autre qu'il était nourri gratuitement, quoique cela nous paraisse aujourd'hui une véritable énigme. Mais c'est que chacun se regardait comme propriétaire des biens de la communauté, en même temps qu'il les considérait comme appartenant à tous les frères. Ainsi le pauvre ne rougissait point de sa pauvreté, et le riche ne s'enorgueillissait point de ses richesses. De là naissait une joie vraie et sincère, parce que dans l'un le sentiment de la reconnaissance, et dans l'autre celui d'une bonne oeuvre resserrait entre tous les liens d'une fraternelle unanimité. Mais parce que, même dans l'aumône, il peut se glisser quelque orgueil, quelque vanité ou quelque hauteur, l'apôtre nous dit : « qu'il ne faut point la faire avec tristesse, et comme par force». Qu'il est donc beau le témoignage que saint Luc rend à ces premiers chrétiens! il atteste leur foi sincère, leur vie irréprochable, et leur persévérance dans la doctrine, la prière, la frugalité et la joie.

703 3. Deux choses cependant pouvaient les attrister : le jeûne et l'abandon de leurs biens. Mais ils y trouvaient un double sujet de joie; et à la vue de semblables dispositions, chacun les aimait comme son père. Nul ne songeait à molester son frère, et ils s'abandonnaient entièrement à la grâce divine. Aussi étaient-ils généreux et intrépides au milieu des dangers. Mais cette confiante simplicité attestait tout l'héroïsme de leur vertu, plus encore que le mépris des richesses, le jeûne et la persévérance dans la prière. Ils louaient donc le Seigneur en esprit et en vérité ; et ce sont là les seules louanges qu'il demande. Eh ! voyez comme ils en sont immédiatement récompensés ! car la faveur dont le peuple les entoure prouve combien ils étaient aimables et savaient se faire aimer. Et en effet, qui ne loue et qui n'admire un homme simple dans ses moeurs, et qui ne se lie volontiers avec un homme franc et sincère? Mais n'est-ce point à eux qu'appartiennent le salut et tous les dons du ciel?

Les bergers n'ont-ils pas été les premiers appelés à l'Evangile? et Joseph n'était-il pas admirable de simplicité, lui qui, même en soupçonnant une faute, ne s'arrête à aucune mesure rigoureuse. Est-ce que Dieu n'a point toujours choisi des hommes simples et francs? « Toute âme simple », dit l'auteur des Proverbes, « sera bénie » ; et encore : « Celui qui marche avec simplicité, marche avec sécurité». (
Pr 2,25 Pr 10,9) Je l'avoue, me direz-vous; mais il faut y joindre la prudence. Eh ! la (12) simplicité n'est-elle pas inséparable de la prudence? Vous ne soupçonnez pas le mal; vous ne le commettez donc point: vous ne vous offensez de rien; pourriez-vous donc conserver le souvenir d'une injure? on a cherché à vous humilier et vous n'en avez eu aucun ressentiment; on a parlé contre vous, et vous n'y avez fait aucune attention ; on vous jalouse, et vous restez calme et impassible. La simplicité nous conduit ainsi à la vraie sagesse; et l'âme n'est jamais plus belle que quand elle est simple. Et en effet le chagrin, l'accablement et le vague des pensées altèrent la beauté du visage, tandis que la joie et le sourire en augmentent les charmes; et de même un esprit fourbe et menteur corrompt toutes les bonnes qualités qu'il possède, au lieu qu'un esprit simple et franc les pare et les embellit. Avec un tel homme l'amitié est fidèle, et une réconciliation devient facile. Il ne faut pour cela ni chaînes, ni prison, et la plus grande sécurité règne entre lui et ses amis.

Mais qu'arrivera-t-il, direz-vous, si ce juste tombe entre les mains des méchants ? Le Seigneur, qui nous commande d'être simples, nous tend une main protectrice. Qui se montra plus simple que David et plus rusé que Saül? Et néanmoins qui fut vainqueur? Que n'eut pas à souffrir Joseph? Il agissait envers sa maîtresse en toute simplicité : et celle-ci usait de ruse à son égard : mais en devint-il la victime? Qui fut plus simple qu'Abel, et plus méchant que Caïn? Et pour en revenir à Joseph, ne se conduisit-il pas toujours envers ses frères avec une entière simplicité? et le rang élevé où il parvint, n'eut-il point pour principe la franchise de ses paroles et la malignité de ses frères? Il leur avait raconté ses deux songes, et sans aucune défiance de sa part, il leur apportait des vivres, se confiant pour toutes choses au Seigneur. C'est ainsi que plus ils le regardaient comme un ennemi, et plus il les traitait comme des frères. Sans doute Dieu pouvait empêcher qu'il ne tombât entre leurs mains; mais il le permit pour faire éclater la vertu de Joseph, et montrer qu'il triompherait de tous leurs mauvais desseins.

Concluons que si le juste est quelquefois éprouvé, le coup vient des autres et non de lui-même. Le méchant, au contraire, se blesse le premier et n'atteint point son adversaire, en en sorte qu'il est son propre ennemi. Son âme est toujours pleine d'un noir chagrin, et ses pensées troublées et confuses. Il ne saurait rien entendre, ni rien dire qu'il ne tourne tout en mal, et qu'il ne critique tout. Entre des hommes de ce caractère, l'amitié et l'union sont impossibles; ils ne savent que se disputer, se haïr et se contrarier; bien plus, ils se suspectent les uns les autres, ils ne connaissent ni les douceurs du sommeil, ni celles de la vie ; et s'ils sont mariés, hélas ! hélas ! ils n'aiment personne, et détestent tout le monde. Enfin mille jalousies les consument, et une crainte continuelle les agite. Aussi disons-nous que « mauvais » dérive de « mal » ; et en effet, l'Ecriture joint toujours ces deux mots : « Le mal et le travail», dit-elle, « résident sous la langue des mauvais » ; et encore : « Il ne reste aux mauvais que le mal et la douleur ». (Ps 9,7 Ps 89,10).

Et maintenant si l'on s'étonne que les chrétiens aient été si parfaits au commencement, lors qu'aujourd'hui on les voit si imparfaits, je répondrai que cette perfection reposait sur le principe de la pauvreté volontaire, et que cette pauvreté était pour eux l'oracle de la sagesse et la mère de la piété; car en se dépouillant de leurs biens, ils tarissaient la source de toute iniquité. Je l'avoue, me direz-vous ; mais, souffrez que je vous le demande: pourquoi tant de vices parmi nous? A la parole des apôtres, trois mille hommes d'abord, et puis cinq mille embrassèrent soudain la vertu, et devinrent véritablement philosophes, tandis qu'aujourd'hui à peine ces premiers chrétiens comptent-ils un imitateur. D'où vient encore, qu'ils étaient si unis ensemble? si prompts et si agiles au service de Dieu? et quel feu sacré les embrasait? C'est qu'ils se convertissaient sincèrement, qu'ils ne recherchaient pas les honneurs comme on le fait aujourd'hui, et que, dégagés de toute affection terrestre, ils élevaient leurs pensées vers les biens célestes. Le propre d'une âme ardente est de se plaire dans les souffrances, et c'est en cela que ces premiers fidèles faisaient consister le christianisme. Nous, au contraire, nous ne recherchons qu'une vie molle et délicate. Aussi dans l'occasion, combien nous sommes loin de les imiter ! Ils disaient, en s'accusant eux-mêmes : « Que ferons-nous » ? Ac 2,37 Nous disons également: que ferons-nous? mais dans un sens tout contraire, car nous nous vendons au monde, et nous nous estimons profondément sages. Ils (13) accomplissaient strictement leurs devoirs, et nous, nous négligeons les nôtres. Ils se condamnaient eux-mêmes, et craignaient pour leur salut ; aussi devinrent-ils des saints, et ils reconnurent toute l'excellence du don qu'ils avaient reçu.

704 4. Mais comment leur ressembleriez-vous, vous qui faites tout le contraire? Dès la première prédication, ils demandèrent le baptême, et n'alléguèrent point ces froides excuses qu'aujourd'hui nous mettons en avant. Ils ne cherchèrent ni retards, ni prétextes, quoiqu'ils ne connussent pas encore l'ensemble de la religion, et qu'ils n'eussent entendu que cette parole : « Sauvez-vous de cette génération perverse » Ac 2,40. Ils ne furent donc pas lâches et négligents, mais ils crurent à la parole des apôtres, et prouvèrent leur foi par leurs oeuvres. Ils se montrèrent donc tels qu'ils étaient, et à peine entrés dans la lice, ils se dépouillèrent de leurs vêtements. Nous, au contraire, nous les conservons, même en nous présentant au combat. Aussi notre adversaire nous renverse-t-il sans grands efforts, car, par tout ce vain attrait, nous lui facilitons notre chute.

Nous agissons comme l'athlète qui, voyant son antagoniste nu et couvert de poussière, noirci par le soleil, frotté d'huile et tout ruisselant de sueur, de boue et de sable, se hâterait de parfumer sa chevelure, de revêtir un vêtement de soie, de chausser des brodequins dorés, de relever une robe longue et traînante, et de ceindre une couronne d'or, et puis engagerait la lutte. Non-seulement cette superbe parure gênerait ses mouvements, mais le soin qu'il prendrait pour ne la point salir ou déchirer occasionnerait promptement sa défaite, et il tomberait bientôt blessé, comme il le craignait, dans les principales parties du corps. Or, voilà l'heure du combat, et vous vous couvrez d'un vêtement de soie ? Voilà le moment de la lutte et de la course, et vous vous parez avec une ridicule recherche? Pouvez-vous espérer la victoire? Il ne s'agit pas ici de combats extérieurs, mais d'une lutte intestine. Car lorsque l'âme est enchaînée par les soucis et les préoccupations des biens terrestres, elle ne nous permet ni de lever le bras, ni de frapper l'ennemi, tant elle nous rend mous et efféminés. Ah ! puissions-nous briser ces liens, et vaincre ce tyrannique ennemi !

C'est pourquoi, comme si ce n'était pas assez de renoncer à nos richesses, Jésus-Christ nous dit encore : « Vendez tout ce que vous possédez, et le donnez aux pauvres; et venez, et suivez-moi ». (Mc 10,21) Ainsi le renoncement aux biens de la terre ne suffit pas toujours pour nous établir dans une parfaite sûreté, et il faut y joindre mille précautions. - Mais, à plus forte raison, si nous retenons ces biens, deviendrons-nous incapables de tout héroïsme, et prêterons-nous à rire aux spectateurs et à notre cruel ennemi. Au reste, quand même le démon n'existerait point, et que nul ne nous attaquerait, l'amour des richesses multiplierait pour nous les chemins de l'enfer. Où sont donc aujourd'hui ceux qui disent : Pourquoi le démon a-t-il été créé? Car ici l'action du démon est nulle, et c'est nous qui faisons tout. Ce langage pourrait être permis à ces anachorètes qui vivent sur les montagnes, qui ont embrassé la sainte virginité, et qui ont méprisé l'argent et tous les biens de la terre, et qui ont quitté généreusement maison et champ, père, femme et enfants. Mais ils se taisent, et laissent ces blasphèmes à ceux qui ne devraient jamais les prononcer.

La passion de l'argent est comme une arène où le démon nous provoque, et il ne mérite pas que nous y descendions. Mais c'est lui, me direz-vous, qui allume en nous cette ardente cupidité. Fuyez donc, ô homme ! et éteignez ces feux dangereux. Si vous voyiez un homme secouer d'un lieu élevé un vêtement couvert de poussière, et un autre assis au-dessous recevoir tranquillement ces immondices; vous ne plaindriez point ce dernier, et même vous diriez dans votre indignation qu'il n'a que ce qu'il mérite. Tous les passants lui diraient également : Ne soyez donc pas si imbécile ! et ils blâmeraient plus celui qui reçoit l'outrage que celui qui en est l'auteur. Or, maintenant vous ne pouvez ignorer que le démon n'excite en nous la soif des richesses, et qu'il est à notre égard la cause d'épouvantables malheurs. Vous le voyez préparer, comme une fange immonde, les pensées les plus honteuses, et vous ne comprenez pas qu'il vous les jette au visage, quand il ne faudrait qu'un peu vous éloigner pour les éviter. L'imbécile dont je parlais tout à l'heure n'aurait qu'à changer de place, et il s'épargnerait tout désagrément; et vous aussi n'accueillez pas ces pensées, et vous éviterez le péché.

Réprimez donc en vous la cupidité. Eh ! comment y parviendrai-je, me direz-vous? (14) Si vous étiez païen, et si, comme tel, vous n'étiez touché que des biens de la terre, cela vous serait peut-être difficile, quoique des païens l'aient fait. Mais vous espérez le ciel et les biens éternels, et vous dites : Comment réprimer la cupidité? Si je vous tenais un langage tout contraire, le doute vous serait permis; et si je vous disais : Désirez les richesses, vous me répondriez avec raison Comment puis-je les désirer en voyant tout ce que je vois? Si je vous disais encore, en vous offrant de l'or et des pierres précieuses Donnez la préférence à une masse de plomb, hésiteriez-vous à me répondre : Eh ! puis-je le faire? S'il ne fallait, au contraire, que mépriser le plomb, rien ne vous serait plus facile. En vérité, j'admire moins qu'on méprise les richesses que je ne m'étonne qu'on les puisse rechercher. Car c'est le caractère d'une âme basse, qui n'a aucune élévation dans la pensée, et qui, semblable à un vil insecte, rampe à terre, et se complaît dans la boue et la fange. Etrange langage ! vous prétendez à l'héritage de la vie éternelle, et vous dites: Comment mépriserai-je la vie présente? Est-ce que ces deux vies peuvent être comparées? on vous offre la pourpre impériale, et vous dites Comment rejetterais-je ces sales haillons? on va vous introduire dans le palais du prince, et vous dites : Comment abandonnerais-je cette humble cabane? Certes, nous sommes toujours nous-mêmes la cause et le principe de tous nos malheurs, parce que nous ne secouons jamais une coupable indolence. Car tous ceux qui l'ont réellement voulu y sont parvenus avec ferveur et facilité. Ah ! puissent mes paroles convaincre vos esprits, en sorte que votre conduite soit vraiment chrétienne, et que vous deveniez les imitateurs de ces premiers héros du christianisme, par la grâce et la miséricorde du Fils unique de Dieu, à qui soit, avec le Père et l'Esprit-Saint, la gloire, l'honneur et l'empire, maintenant et toujours, et dans tous les siècles des siècles ! Ainsi soit-il.



Chrysostome sur Actes 504