Chrysostome commente Is 300

CHAPITRE TROISIÈME « VOICI QUE LE MAÎTRE, LE SEIGNEUR DES ARMÉES, VA ENLEVER DE LA JUDÉE ET DE JÉRUSALEM L'HOMME FORT ET LA FEMME FORTE. »

300 ANALYSE. Is 3

1. Le Prophète continue d'énumérer les châtiments qui éclateront en punition de la corruption et du luxe. Le Seigneur des armées va ôter de Jérusalem et de Juda le courage et la vigueur.
2. Il en ôtera aussi les prophètes et les sages.
3. Il leur donnera pour les conduire des jeunes gens sans prudence.
4. Il n'y aura plus de respect parmi le peuple. Les jeunes gens mépriseront les vieillards, et les hommes obscurs les plus hauts personnages.
5. Les méchants baissent la vertu, et ne supportent qu'avec peine sa présence.
6. Le Prophète nous représente Dieu sous la figure d'un juge assis sur son tribunal.
7 et 8. Le luxe des femmes de Jérusalem au temps d'Isaïe.
9. Dévergondage des femmes au temps de saint Chrysostome; ces chrétiennes sont plus coupables que les femmes qui vivaient avant l'Evangile.


301 L'orateur développe cette idée que plus on aura reçu de grâces, plus le compce qu'on rendra de ses péchés sera rigoureux.

1. De même qu'un habile médecin, soit en brûlant, soit en tranchant, soit en donnant des remèdes amers, ne cherche que la santé des malades qu'il soigne, de même notre Dieu, dans sa charité, relevant par des châtiments divers les juifs inconstants et pécheurs, tantôt effraye ces ingrats par l'invasion des barbares, tantôt avant cette invasion même les arrête par d'autres menaces, pour entretenir en eux une crainte toujours nouvelle en leur montrant toujours de nouvelles calamités qui allaient les frapper. Maintenant donc il les menace de l'infirmité de la famine, de la sécheresse, de la privation non des choses nécessaires, mais de celles qui sont néanmoins utiles pour la conservation de la vie. La famine n'est pas le seul mal à craindre, il n'est pas moins funeste de n'avoir personne à la tête des affaires : car alors l'abondance même des choses est plus triste que la famine. Que sert-il que tout coule comme de source, s'il s'élève des guerres civiles, si la mer s'agite et qu'au milieu de la furie des flots il n'y ait ni commandant ni pilote, personne enfin pour apaiser la tempête et rendre le calme? Lorsque la faim vient s'ajouter à cela, voyez l'excès du mal. Dieu menace de toutes ces calamités, et la première est aussi la plus grave. « Voici que le Maître, le Seigneur des armées. » Les prophètes se servent constamment du mot « voici » quand ils veulent pleinement certifier à l'auditeur la vérité de ce qu'ils disent. Ce n'est pas seulement ici, mais précédemment, et même dès le commencement qu'on a pu voir que l'infirmité du corps n'était souvent que la punition des fautes, par exemple pour Caïn; comme il fit de sa force un usage contraire à la raison, c'est avec raison qu'elle lui fut retirée. De même du paralytique de la piscine; que ses péchés aient été la cause de sa paralysie, le Christ l'affirme : « Voici que vous êtes guéri, ne péchez plus. » (
Jn 5,14) Et Paul dit : «Aussi y en a-t-il parmi vous beaucoup qui sont infirmes. » (1Co 11,30) Ils avaient en effet péché en apportant à la participation des mystères une conscience impure. Et il livre à l'infirmité du corps le fornicateur à qui il avait annoncé que ce serait là un châtiment de ses crimes. Cependant ce n'est pas partout le résultat du péché; c'est quelquefois une épreuve qui plus tard sera couronnée, comme il arriva à Lazare et à job. Ce n'est pas seulement l'infirmité, ce sont encore les autres maux du corps qui nous surviennent à cause de nos péchés, comme la lèpre d'Ozias à cause de son impudence, la paralysie de la main du roi Jéroboam à cause de son arrogance et de son orgueil. Et la langue de Zacharie, pourquoi fut-elle enchaînée, sinon pour le péché qu'il avait commis en son âme ? Comme donc la santé, la force, du corps et la prospérité devenaient pour les Juifs une occasion de s'enorgueillir, le Seigneur coupe le mal dans sa racine en les avertissant, les rendant meilleurs et leur donnant des biens plus grands que ceux qu'il leur enlève. Quel mal y a-t-il à ce que le corps souffre si l'âme en est portée à la vertu ? Et pour qu'ils ne pussent regarder cette infirmité comme une chose naturelle, le Prophète l'a prédite; et ce n'est pas aux hommes seulement que s'adresse cette menace : le châtiment s'étend jusqu'aux femmes, puisque l'un et l'autre sexe se sont souillés, et dans la suite il s'adresse aux femmes à cause de l'excès de leurs fautes, et il leur reproche des crimes qui ont renversé la ville de fond en comble. Aussi il les menace également de la peste, car c'est la peste qu'il me semble indiquer par ces mots: « Je vais enlever l'homme fort et la femme forte, » ou quelque autre infirmité du corps qui ne cédera point à l'art de la médecine. Car tels sont les fléaux envoyés par Dieu. « La force du pain et la force de l'eau. » C'est un bien terrible châtiment que de voir disparaître, non pas la substance, mais la force qu'elle contenait, de sorte que la vue même nous punit puisque notre faim ne peut se rassasier et nous montre que c'est bien là un effet de la colère divine. « Le géant et le puissant. » L'Ecriture appelle ordinairement géant tout homme fort ou qui surpasse les autres par la proportion de ses membres. En effet lorsqu'elle dit, dans le récit de la création : « C'étaient des hommes appelés géants (Gn 6,4), » ce n'est pas qu'elle nous fasse voir en eux une autre race, mais elle nous les montre forts, robustes et vigoureux. « L'homme de guerre et le juge. » C'est un châtiment insupportable, c'est la marque d'une ruine complète ; les murailles et les tours sont debout, et cependant la ville pourrait tomber avec ses habitants entre les mains des ennemis! Car la sûreté des villes ne réside pas dans les pierres, dans le bois, dans les murs d'enceinte, mais dans la sagesse de leurs habitants, et quand ils sont tels, ils seront, en présence des ennemis, le meilleur rempart de leur patrie ; quand au contraire ils sont dépourvus de sagesse, ils rendent, même en l'absence de tout ennemi, la cité plus malheureuse que si elle était assiégée.

302 2. Aussi, pour ces pécheurs et pour tous ceux qui l'entendront, c'est une grande leçon de sagesse que donne le Prophète, en enseignant qu'il ne faut pas mettre sa confiance dans la grandeur d'une ville, dans les fossés et les machines qui la défendent, mais dans la vertu des gens de bien. Il leur dit donc pour les effrayer que le Seigneur leur enlèvera cep qui les protégé, non-seulement les hommes qui savent combattre, mais même les juges (360) qui ne sont pas moins utiles aux Etats que les gens de guerre, puisqu'ils veillent à la conservation de la paix et que souvent ils détournent des guerres imminentes. Comme en effet les iniquités tendent continuellement à produire ces guerres, il est possible aux gardiens des lois, aux hommes qui connaissent parfaitement le droit, d'ôter toute cause de guerre en ré; rimant la plupart des péchés? Pourquoi donc Dieu les enlève-t-il aux Juifs? Parce que ceux-ci ne les ont pas écoutés. Ses enseignements sont très-utiles à ceux qui les écoutent, mais quand il s'adresse aux Juifs, il répand sur ses paroles une sorte d'obscurité, puisqu'ils ne les écoutaient pas avec attention : c'est ainsi que ces dons excellents et qui nous apportent le salut, ils les retirent souvent lorsque ceux à qui il les a départis n'en profitent point. « Le Prophète et le devin. » Ce n'est pas un faible indice de colère que de voir cesser les prophéties. Lorsque Dieu prit en haine le peuple juif à cause des péchés des enfants d’Hélie et de la perversité de la multitude, la prophétie cessa « La parole du Seigneur était précieuse ; on ne connaissait plus de vision. » (1R 3,1) Précieuse, c'est-à-dire rare. La même chose arriva sous Ozias; ils auraient pu, s'ils avaient voulu, retirer de cette circonstance de grands biens. En effet, apprendre à connaître les choses de Dieu, se prémunir contre les dangers futurs, s'instruire de ce qui est obscur, quand il faudra ou attaquer les ennemis ou se reposer, comment ils pourraient chasser les maux qui les accablaient, tout cela leur donnait, pour se procurer le salut, une grande facilité. Mais comme ils ne mettaient pas en pratique ce qu'ils avaient appris, il leur ôta les moyens de l'apprendre encore ; ceci montre bien la charité de Dieu, de ce Dieu qui connaît l'avenir et qui sachant comment les Juifs useraient de ses dons les leur accordait néanmoins. Avec le Prophète il dit qu'il leur enlèvera encore le devin.

Ici il me semble qu'il appelle devins ces hommes qui, par leur sagesse et leur expérience, pénètrent dans l'avenir. Autre chose est la parole du devin, autre chose celle du Prophète; l'un parle inspiré parle Saint-Esprit et ne profère rien de son propre fond ; l'autre, prenant pour point de départ les événements passés et n'ayant pour guide que son intelligence, prévoit bien des événements futurs, comme il est naturel qu'un homme intelligent les prévoie. Mais de l'un à l'autre il y a bien de la distance, toute la distance qui existe entre l'intelligence humaine et la grâce divine. Et afin de rendre ceci plus clair par un exemple, représentons-nous Salomon et Elisée : tous les deux firent connaître les choses cachées, tous les deux dévoilèrent des secrets, mais non par les mêmes moyens ; l'un ne se serait que de son intelligence et jugeait des courtisanes d'après ce qu'il connaissait de la nature; l'autre sans avoir recours au raisonnement (et quel raisonnement aurait pu lui révéler le vol de Giési? ), éclairé par la grâce voyait ce qui se passait loin de lui : — « Le vieillard et le chef de cinquante hommes. » Puis il ajoute qu'il enlèvera aussi les vieillards et les chefs de cinquante hommes. Par vieillards il n'entend pas simplement ceux qui sont parvenus à un âge avancé, mais ceux qui à des cheveux blancs unissent la sagesse qui convient aux cheveux blancs. Et en parlant, du chef de cinquante hommes, il ne désigne pas seulement les chefs de cinquante hommes, mais les chefs quels qu'ils soient. Il n'y a rien, rien de plus terrible que l'anarchie, comme il n'y a rien de plus dangereux qu'un navire sans pilote. Et sans s'arrêter, il les menace encore de leur enlever une dernière protection, les hommes de bon conseil, qui ne sont pas moins utiles aux États que les affinées. « J'enlèverai, dit-il, ces sages admirables qui donnent de bons conseils et les architectes experts, » non pas ceux qui construisent des maisons, mais ceux qui ont l'expérience des affaires, une science vaste et qui pourraient administrer l'État avec intelligence.

303 3. Et avec ceux-là, « Le sage auditeur. » Si cette seule chose manque, même au milieu de l'abondance de toutes les autres, les cités n'en retireront aucun avantage; qu'il y ait des prophètes, des conseillers, des puissants, s'il n'y a pas d'auditeurs, tout sera vain et inutile. Et ici ce mot j'enlèverai me semble signifier je laisserai, j'abandonnerai, comme saint Paul dit: «Il les a livrés à un sens réprouvé (Rm 1,28),» non qu'il les ait précipités dans la démence, mais il les a laissés et abandonnés dans la démence où ils étaient. « Je leur donnerai des « jeunes gens pour princes. » Voici qui est pire encore et plus fâcheux que l'anarchie. Celui qui n'a pas de chef est privé de conducteur ; mais celui qui en a un mauvais n'a qu'un conducteur qui le précipitera dans les abîmes. (361) S'il dit : « Jeunes gens, » ce n'est pas pour mépriser la jeunesse, mais pour mieux montrer la folie de ces chefs. Certes on voit des ' jeunes gens sages, comme aussi des vieillards insensés ; mais parce que cela n'a lieu que rarement et que le contraire arrive bien plus souvent, il se sert de ce nom pour désigner des insensés. Timothée, encore jeune, gouverna des églises avec plus de sagesse que ne l'eussent fait des milliers de vieillards; Salomon, âgé seulement de douze ans, parlait à Dieu, jouissait d'un grand crédit, fut proclamé et couronné roi, eut pour admirateurs de sa sagesse même des barbares qui vinrent le contempler, non-seulement des hommes, mais encore des femmes accourues de loin, dont le voyage n'avait eu que ce seul but, d'entendre et d'apprendre quelque chose de sa bouche; puis, devenu vieux, perdit beaucoup de sa vertu. Et son père, le bienheureux David, ne commit ce crime désastreux ni dans son enfance ni dans sa jeunesse; il avait dépassé cet âge lorsqu'il pécha. Il n'était encore qu'un petit enfant lorsqu'il remporta cette admirable victoire, qu'il terrassa le barbare, qu'il montra tant de sagesse, et sa jeunesse n'empêcha nullement ses belles actions. Et quand Jérémie voulut s'excuser à cause de son âge, Dieu n'admit point cette raison ; mais il l'envoya vers le peuple juif et lui dit que sa jeunesse ne lui serait pas un obstacle, pourvu qu'il fût doué de fermeté. C'est à cet âge ou plutôt à un âge bien plus tendre encore que Daniel jugea les vieillards. Josias n'avait pas encore douze ans accomplis lorsqu'il monta sur un trône royal ; et à cet âge il se montrait sage, mais par la suite une négligence qui s'aggravait continuellement corrompit dans son âme toute vertu. Que dire de Joseph? N'est-ce pas dans sa jeunesse, et encore, dans une extrême jeunesse qu'il eut à soutenir ce rude combat, non contre les hommes, mais contre la tyrannie de la nature, et qu'il sortit du milieu des flammes et d'une fournaise ardente plus terrible que la fournaise assyrienne, sans en avoir rien ressenti et aussi intact que les trois enfants. Le corps de ceux-ci n'avait pas été endommagé, pas même leurs cheveux, on aurait cru qu'ils sortaient de l'eau plutôt que du feu ; de même celui-là échappé aux mains ennemies de l'Égyptienne se retira sans que son innocence eût souffert ni de l'attouchement, ni des paroles, ni de la vue, ni des vêtements, ni des parfums qui allument l'incendie des passions, incendie plus terrible que celui des sarments et de la poix, ni enfin de son jeune âge, comme il arrive trop souvent aux hommes. Et -ces trois jeunes gens à la fleur de leur âge surent maîtriser la gourmandise, fouler aux pieds la crainte de la mort, mépriser une armée si nombreuse et un roi dont la colère était plus terrible que ces flammes, et sans s'en effrayer, ils gardèrent toujours une âme libre. Ce n'est donc pas pour mépriser la jeunesse qu'il parle ainsi, car saint Paul, quand il dit: « Non un néophyte, de peur qu'enflé d'orgueil il ne tombe. dans la condamnation du diable (1Tm 3,6), » n'entend pas désigner une personne jeune encore quant à l'âge, mais plantée, c'est-à-dire, instruite depuis peu de temps; car planter, dans son langage, c'est instruire et enseigner, comme lorsqu'il dit: « J'ai planté, Apollon a arrosé. » (1Co 3,6) Et le Christ appelle aussi cela planter: « Toute plante que n'a point plantée mon Père céleste, sera arrachée. » (Mt 15,13) Du reste si par ce mot « Néophyte » il eût entendu un jeune homme, il n'aurait pas élevé Timothée jeune encore et si jeune qu'il lui dit: « Que personne ne méprise ta jeunesse » (1Tm 4,12), » il ne l'aurait pas, dis-je, élevé à cette dignité et ne lui aurait pas confié le soin de tant d'églises.

« Et des moqueurs les domineront. » Vous le voyez, ce n'est pas le jeune âge qu'il méprise, mais la perversité. Ce seul mot ajouté rend sa pensée plus claire. Car par moqueurs il entend ici des trompeurs, des railleurs, des flatteurs, tous ceux enfin qui par leurs paroles se livrent au démon. « Tout le peuple se précipitera, homme contre homme, voisin contre voisin (Is 3,5). » Car de même que, quand les poutres qui soutiennent une construction sont pourries ou qu'on les a retirées, les murs s'écroulent nécessairement puisque rien ne les retient plus, de même après la disparition de tous ceux que le Prophète vient de rappeler, chefs, conseillers, juges, prophètes, il n'y aura plus rien qui empêche la nation de tomber en dissolution, d'être livrée à une immense ruine.

304 4. « L'enfant se lèvera audacieusement contre le vieillard et les derniers du peuple contre les nobles. » Le jeune homme, veut-il dire, se soulèvera contre le vieillard, le méprisera, le dédaignera. Voilà ce qui, même (362) avant l'arrivée des ennemis, est plus terrible que la guerre. Quand en effet la vieillesse est méprisée par la jeunesse, et que les hommes vils et abjects foulent aux pieds ceux qui étaient honorés de tous, la ville où se passent ces choses n'est pas dans de meilleures conditions que si elle était abandonnée aux augures. « Chacun ira trouver son frère ou celui qui habite tous le même toit que son père, et lui dira : tu as un vêtement; sois notre chef et que nous vivions sous ta domination (Is 3,6). » Il répondra alors, et dira : « Je ne serai pas votre chef, car il n'y a dans ma maison ni pain ni vêtement. Je ne serai pas le chef de ce peuple (Is 3,7). » Ici il me semble qu'Isaïe prophétise ou bien un siège terrible qui réduira les habitants aux dernières extrémités, ou, s'il n'y a pas de siège, une famine intolérable, et un manque presque absolu des choses nécessaires. II a eu recours au langage populaire : De même que beaucoup disent : Si on offrait de vendre toute la ville pour une obole, elle ne trouverait point d'acheteur, de même, pour montrer la misère extrême dans laquelle elle était tombée, le Prophète dit : Si on offrait de vendre les dignités pour un vêtement ou un pain, il n'y aurait pas d'acheteur, tant est grande la disette des choses nécessaires ! « Parce que Jérusalem tombe en dissolution (Is 3,8), », c'est-à-dire a été délaissée, désertée ; la providence de Dieu l'a abandonnée. « Et la Judée tombe; » elle est remplie de troubles, de tumulte, de confusion et de désordre. « Et leurs langues pécheresses refusent d'obéir aux ordres du Seigneur. » Ici il indique la cause de leurs maux, l'intempérance de leur langue. C'est aussi ce qu'Osée leur reproche en ces termes : « Ephraïm a été; anéanti au jour de son châtiment; j'ai fait voir dans les tribus d'Israël la vérité de mes menaces. » (Os 5,9) Malachie dit aussi la même chose : « Les prophètes blâment ceux qui par leurs paroles irritent Dieu. Et vous avez dit : En quoi l'avons-nous irrité? En ce que vous avez dit : Tous ceux qui font le mal passent pour bons aux yeux du Seigneur et il se complaît en eux. Où est donc le Dieu de la justice? » (Ml 2,17) Dans ce reproche, il leur adresse deux accusations; c'est qu'ils ne se contentent pas de désobéir et de transgresser la loi; ils devraient rougir de cela et en avoir honte, se cacher et s'humilier; loin de là, ils ajoutent à leurs premières fautes, et après avoir enfreint les préceptes, ils ajoutent à leur désobéissance des paroles impudentes, comme un méchant serviteur qui, laissant sans les accomplir les ordres de son maître, ajouterait à cela l'insolence. « Aussi dans sa gloire elle a été humiliée et la confusion de son visage a rendu témoignage contre eux (Is 3,9). »

Il parle du futur comme d'un passé, selon l'habitude des prophètes. Il appelle la captivité l'humiliation de sa gloire. Car ce n'est pas une faible humiliation pour ceux qui étaient comptés parmi les rois de la terre de se voir asservis à des hommes profanes et barbares. Il entend ici par confusion du visage celle que fait naître le péché. Telle était leur vie. Comme ils s'étaient les premiers couverts de honte par les actions, Dieu, pour les en punir, les privait de leur gloire, les livrant ainsi à un châtiment moindre que celui qu'ils s'étaient eux-mêmes infligé. Car ils n'étaient pas couverts de honte sur la terre étrangère comme lorsqu'habitant leur patrie ils multipliaient leurs iniquités. Là leur perversité était réprimée : ici elle s'augmentait sans cesse. Le Prophète leur donne donc une bien grande leçon quand il leur apprend à ne pas attendre le châtiment pour fuir le vice, à s'humilier et à rougir, non pas lorsque les barbares les emmènent captifs, mais lorsque la tyrannie du péché les retient esclaves. « Ils ont publié leur péché, comme dans Sodome, et ils ne l'ont point caché. » Ce que j'ai dit souvent, je le répète encore, c'est pour montrer la clémence divine que le Prophète annonce non ce qu'ils souffriront, mais la punition qu'ils méritaient. Leurs crimes ont égalé ceux de Sodome, mais leur châtiment a été bien plus faible. Le Seigneur ne les a pas détruits entièrement, n'a pas renversé leur ville de fond en comble, n'a pas fait disparaître les restes de leur nation. Ces mots : « Ils ont publié, ils n'ont point caché, » le Prophète s'en sert pour parler la langue des hommes. Dieu, en effet, n'attend pas que le crime se fasse pour le connaître (car ne connaît-il pas toutes choses, avant qu'elles se fassent?) ; mais Isaïe parle ainsi pour montrer la grandeur du mal.

305 5. De même que lorsque Moïse dit : « Le cri de leur iniquité est monté jusqu'à moi (GE 18,20), » ce n'est pas qu'il relègue Dieu loin des hommes ni qu'il l'enferme dans le ciel, mais c'est qu'il veut montrer la grandeur (363) leur péché; de même ici, ces mots: «Ils ont annoncé, » ont pour but de faire voir l'excès de leur malice. En effet les péchés légers peuvent échapper à la connaissance du prochain, tandis que les plus grands et les plus énormes sont connus et manifestes pour tous, quand même il n'y aurait personne pour en faire l'objet d'une accusation, d'un blâme. Ils s'annoncent, ils se découvrent eux-mêmes. Aussi comme le Prophète veut montrer ici la grandeur des fautes, il dit: « Ils ont publié, ils n'ont point caché, » comme s'il disait: c'est avec audace, avec insolence qu'ils ont péché, sans honte, sans rien déguiser, mais faisant du mal leur étude.

« Malheur à eux, parce qu'ils se sont nui à eux-mêmes, en disant : Enchaînons le juste parce qu'il nous incommode (Is 3,10) ! » C'est le comble du malheur de voir non pas des hommes qui non-seulement pèchent, qui pèchent avec audace, mais encore qui chassent ceux qui pourraient les reprendre. Ceux que la frénésie emporte, bien souvent frappent le médecin : de même si des pécheurs montrent qu'ils sont incorrigibles, c'est surtout en chassant les justes. Car telle est la vertu ; sa seule vue suffit à affliger le méchant. Telle est la méchanceté; sans même avoir été blâmée souvent, elle ne peut supporter la présence de ceux qui font le bien. Mais c'est un double crime que d'enchaîner le juste et de l'enchaîner comme incommode. Aussi le Prophète, voyant qu'ils ont porté l'iniquité à ses dernières limites, commence par les plaindre, non par les accuser ou les reprendre, et il dit: « Malheur à eux ! » et il ajoute habilement « parce qu'ils se sont nui à eux-mêmes. » Au premier abord, cette machination paraît tramée contre le juste; mais en considérant la chose avec plus de soin, nous verrons que ce n'est pas celui qui la subit qui en souffre, mais ceux qui la font. Apprenons de là que le juste, même en étant soumis à mille maux, ne souffre aucun dommage de la part de ceux qui l'attaquent; mais ceux-ci se transpercent eux-mêmes d'une épée, comme le faisaient les Juifs dont parle Isaïe. Ils n'ont pas nui au juste en l'enchaînant; mais ils se sont précipités eux-mêmes dans une plus grande obscurité, puisqu'ils ont rejeté la lumière. « Aussi ils mangeront le fruit de leurs oeuvres. » Car telle est la méchanceté ; elle trouve en elle-même son châtiment. Ce qu'il dit, le voici: Ils jouiront des fruits de leurs oeuvres, en se plaçant dans une solitude plus grande et se préparant plus de précipices. « Malheur à l'impie ! il lui arrivera des maux proportionnés aux oeuvres de ses mains (Is 3,11). » Voyez-vous que nous donnons nous-mêmes la mesure et que nous posons la cause de notre châtiment? Aussi le Prophète recommence-t-il ses plaintes, ses gémissements et ses larmes parce que les Juifs se nuisaient à eux-mêmes et compromettaient leur salut plus que n'auraient pu le faire leurs plus acharnés ennemis; et quoi de plus malheureux que cela? « Mon peuple, les exacteurs te dépouillent (Is 3,12). » Il est d'un bon maître d'apporter dans ses paroles de la variété, de ne pas toujours irriter, de ne pas non plus montrer toujours de l'indulgence, mais d'employer tantôt l'un, tantôt l'autre moyen pour que la variété amène mieux l'utilité. C'est pour cela que le Prophète n'accuse pas toujours, mais gémit quelquefois, manière d'accuser qui n'en est que mieux sentie, tout en causant moins de douleur, et ce qu'il y a d'étonnant, c'est qu'une blessure plus profonde cause moins de douleur. Et non-seulement il gémit, mais encore il guérit, autre manière non moins étonnante d'instruire. En quoi consiste-t-elle ? A ne pas blâmer tout le monde ensemble, mais à séparer le peuple de ses chefs et à accumuler les accusations sur la tête de ceux-ci. Ce moyen est si utile que Moïse l'a employé très-souvent. Bien que l'accusation dût retomber sur tous, cependant il ne la dirige que contre les chefs; en effet, Moïse voyant que le peuple surtout était coupable de la prévarication et qu'Aaron ne méritait pas tant de blâme, laisse de côté ceux qui étaient les plus coupables, et s'adresse à celui qui l'était moins, laissant à la conscience de ceux-là le soin de se juger eux-mêmes d'après les reproches faits à celui-ci, et de se condamner à un châtiment plus grand ; et c'est ce qui arriva. Il n'eut plus besoin de parler au peuple ; mais il suffit de ce peu de paroles qu'il avait adressées à Aaron pour contenir, comme un seul homme, une si grande multitude, et pour l'amener de tant d'audace à une humilité et à une crainte extrêmes. C'est ce que prévoyait Moïse, et c'est pourquoi, à peine descendu de la montagne, il jette les tables de la loi et crie à Aaron : « Que t'a donc fait ce peuple pour que tu en aies fait la joie de ses ennemis? » (Ex 32,21)

306 6. Le prophète Isaïe fait de même et imite (364) ce saint de deux manières. Moïse n'alla pas simplement accuser; il prit l'extérieur d'une personne affligée et c'est ainsi qu'il accusa. Isaïe l'imite en ces deux choses quand il dit: « Mon peuple, les exacteurs te dépouillent. » Il les accuse et c'est pour paraître témoigner au peuple de la compassion qu'il parle ainsi. Par collecteurs il. paraît désigner les usuriers ; pour moi, je croirais volontiers qu'il indique les voleurs et les avares, ou, si ce n'est pas ce sens, les receveurs des impôts. Remarquez ici sa prudence. Ce n'est pas qu'il blâme la chose, mais l'abus de la chose. Il ne dit pas en effet exigent ton bien, mais te dépouillent, c'est-à-dire te ravissent ce que tu as, te privent de tout sous prétexte d'impôts. C'est aux moissonneurs qu'il a emprunté cette métaphore. Dépouiller complètement un champ, c'est recueillir après la moisson les épis qui ont échappé aux ouvriers; c'est ne rien laisser sur ce champ. Or, c'est ce que faisaient alors les collecteurs d'impôts, puisqu'ils enlevaient tous les biens et renvoyaient les citoyens dépouillés. « Et les receveurs dominent sur vous. » Et ce qu'il y a de pis, c'est qu'ils ne se sont pas montrés seulement avides de biens, mais qu'ils out porté plus loin leur tyrannie en soumettant à la .servitude les hommes libres. « Mon peuple, ceux qui vous flattent vous trompent. » Ici Isaïe me semble indiquer les faux prophètes, ou ceux qui parlent pour se rendre agréables: ce qui devient la causé d'une corruption extrême. Aussi pour montrer combien cela est nuisible, il ajoute : « Ils rompent le chemin par où vous devez marcher; » c'est-à-dire, ils ne vous laissent pas marcher droit, parce qu'ils vous font dévier, vous découragent et vous ôtent la vigueur. « Mais le Seigneur est prêt à venir vous juger, et c'est son peuple qu'il appellera au jugement; le Seigneur entrera en jugement avec les anciens de son peuple et leurs princes (Is 3,13).»

Il continue d'employer la même espèce d'accusation, la dirigeant non contre le peuple, mais contre les anciens et les chefs et rendant sa parole plus effrayante. D'un autre côté c'est Dieu qu'il montre jugeant, condamnant, et accusant des maux qu'ils avaient faits au peuple ceux qui lui ont nui. C'est pour cela qu'il dit: «Mais le Seigneur est prêt à venir juger.» Comme il a parlé en vain pour accuser puisqu'il s'adressait à des gens qui regardent l'accusation comme chose peu grave et ne se laissent effrayer que par les peines, il dit qu'on ne se bornera pas à accuser, mais qu'un châtiment est réservé au péché ; celui qui condamnera, châtiera lui-même et jugera les prévaricateurs. Ceci nous montre combien Dieu est rempli de charité, puisqu'il consent à entrer en jugement avec eux et qu'il cherche à les confondre, ce qui doit certes causer une grande douleur aux hommes qui auraient conservé leur bon sens. Ce n'est pas seulement pour le motif dont j'ai parlé pins haut qu'il s'adresse aux princes et aux anciens, mais aussi pour apprendre à tous que le jugement des chefs sera plus sévère que celui des sujets. Ceux-ci ne répondront que pour eux-mêmes, ceux-là répondront et pour eux-mêmes et pour le peuple dont ils ont pris la direction ; et ce n'est pas sans raison que les anciens seront soumis à un jugement aussi rigoureux. Car ce que fait l'autorité chez les chefs, l'âge le fait chez les vieillards. Certes le jeune homme qui pèche gravement mérite un châtiment; mais celui à qui l'âge a apporté plus de came, qui m'est plus assiégé par des passions furieuses, mais pour qui il est facile de vivre en sage, et qui peut s'abstenir des choses du siècle, sera justement puni avec plus de sévérité s'il. montre dans un âge avancé la même licence que les jeunes gens. « Mais vous, pourquoi avez-vous incendié ma vigne, et pourquoi vos maisons sont-elles remplies de la dépouille du pauvre? » Partout Dieu montre le soin qu'il prend des opprimés, soin non moins grand que quand il s'agit de péchés commis contre lui ; bien plus il punit quelquefois plus gravement les fautes contre le prochain. Une femme est-elle adultère, il permet à son mari de la renvoyer: est-elle infidèle, il ne le permet pas, et cependant la faute d'infidélité est dirigée contre lui, tandis que l'autre n'est dirigée que contre un homme. Si votre sacrifice est prêt, il vous ordonne de le laisser là et de ne pas l'offrir avant que vous ne soyez réconcilié avec votre frère, si vous l'avez offensé. Et quand il juge celui qui devait dix mille talents, après avoir rappelé par combien de fautes il avait été offensé, il ne l'appelle pas même méchant, loin de là il se réconcilie aussitôt avec lui et lui remet toute sa dette; mais pour les cent deniers exigés de son compagnon, il l'appelle méchant serviteur, le livre aux bourreaux et, dit-il, il ne le relâchera que quand il aura payé toute la dette.

307 7. Et lorsque le Christ lui-même reçut un soufflet, loin de rien faire à l'esclave qui l'avait ainsi frappé, il se contenta de lui répondre avec douceur : « Si j'ai mal parlé, rendez témoignage du mal, mais si j'ai bien parlé, pourquoi me frappez-vous ? » (Jn 18,23) Et lorsque Jéroboam voulut saisir le prophète qui le réprimandait, le Seigneur lui paralyser la main, nous enseignant que nous devons lui rendre la pareille, c'est-à-dire supporter avec douceur les injures qui nous sont faites et punir avec force celles qu'on dirige contre Dieu. Aussi, bien que dans sa loi il ait mis en second lieu l'amour du prochain, il le déclare semblable au premier et s'il se montre sévère à exiger l'un, il ne l'est pas moins à exiger l'autre. De l'un il dit : « De tout votre coeur et de toute votre âme ; » de l'autre, « comme vous-même. » (Mt 22,37 Mt 22,39.) Et d'autre part vous pouvez voir en bien des endroits avec quel soin Dieu demande que nous rendions aux autres ce que nous leur devons. Voyez donc ici comme il presse avec force, comme il accuse avec véhémence, comme il recourt à des paroles tres-sévères. « Mais vous, dit-il, pourquoi avez-vous incendié ma vigne? » Ce qu'auraient fait quelques ennemis barbares et cruels, vous l'avez fait à vos propres concitoyens. Il appelle le peuple sa vigne, parce qu'il l'a beaucoup soigné et entouré de sa divine protection. Et, pour renforcer l'accusation, il ne dit pas : Pourquoi avez-vous ruiné vos compagnons d'esclavage, votre prochain, vos frères ; mais : pourquoi avez-vous ruiné mes biens et les avez-vous dissipés ? Ensuite pour montrer de quelle espèce d'incendie il est question, il ajoute : « Pourquoi vos maisons sont-elles remplies de la dépouille du pauvre ? » La grêle ne ravage pas les vignes, comme l'injustice fait l'âme du malheureux et du pauvre qu'elle remplit d'une douleur plus insupportable que la mort. Le vol est toujours un mal, mais surtout quand celui qui en est l'objet se trouve dans la dernière misère. Ce n'est pas seulement pour les blâmer qu'il parle ainsi, riais pour les corriger, en leur mettant sous les yeux le spectacle du vol. Car après ces paroles c'est la vue de la chose mise sous les yeux par une vive peinture qui est le plus propre à pénétrer de componction un pécheur qui n'aurait pas perdu tout sentiment. « Pourquoi opprimez-vous mon peuple (Is 3,15)? » Il persévère dans le même chef d'accusation, en disant plus haut ma vigne et ici mon peuple. « Pourquoi oeuvrez-vous de confusion la face des humbles? »

Ceux que vous deviez corriger, vous les repoussez; ceux que vous deviez relever, vous les brisez. Car tout en les volant, ils méprisaient les humbles et ils les traitaient plus indignement que des esclaves, joignant l'orgueil à l'avarice et perdant toute prudence par cela seul qu'ils avaient acquis des richesses injustes. A l'avarice vient se joindre la maladie de l'orgueil, et plus on amasse de richesses, plus cette maladie s'accroît. « Voilà ce que dit le Seigneur, le Seigneur, le Seigneur des armées. » De quelles armées est-il question ? Des anges, des archanges, des puissances, et ainsi il élève l'auditeur de la terre au ciel, le fait penser à sa grande puissance, afin que frappé de ce spectacle il produise des oeuvres de sagesse et qu'il voie bien que la patience divine est l'effet non de l'impuissance, mais de la longanimité. « Voici ce que dit le Seigneur : « Parce que les filles de Sion se sont enorgueillies, qu'elles ont marché la tête haute, faisant des signes des yeux et mesurant leurs pas, traînant leurs tuniques en même temps qu'elles frappaient du pied en cadence. Et Dieu humiliera les princesses de Sion et le Seigneur les démasquera en ce jour. Et le Seigneur fera disparaître la gloire de leurs vêtements, leurs parures, leurs tresses de cheveux et leurs rubans de tète, leurs croissants, leurs colliers, les ornements de leurs visages et l'arrangement d'un ornement de gloire, leurs bracelets, leurs anneaux, leurs réseaux, leurs bagues et leurs bracelets du bras droit, leurs pendants d'oreilles, leurs robes de pourpre, leurs manteaux pour la maison, leurs crêpes de Laconie, leurs tissus de lin, leurs étoffes de couleur de jacinthe ou d'écarlate parsemées d'or et de pierres précieuses et leurs vêtements d'été rehaussés d'or. Et au lieu d'un agréable parfum il n'y aura plus que de la poussière et tu te ceindras non d'une ceinture, mais de jonc, et tes cheveux frisés disparaissant ne laisseront qu'une tête chauve à cause de tes oeuvres et au lieu d'une tunique couleur de pourpre tu te couvriras d'un cilice. Telle sera la punition de ton luxe. Et le plus beau de tes fils, celui que tu aimes tombera par le glaive et les puissants d'entre vous tomberont parle glaive et seront humiliés. Et les vases où sont (366) renfermés les fards dont tu relèves ta beauté pleureront et on te laissera seule et tu seras étendue par terre (Is 3,16-26). » C’est une chose insolite que le Prophète a fait ici en s'adressant si longtemps aux femmes, ce que nous ne remarquons dans aucun autre endroit des Ecritures. Quelle en est donc la cause?

308 8. Il me semble qu'en ce temps-là la mollesse des femmes était grande et qu'elles n'ont pas peu contribué à la malice des hommes. C'est pour cela qu'il s'adresse à elles en particulier pour leur reprocher leurs grands crimes, et lorsqu'il commence à leur parler, c'est encore au nom de Dieu. « Voici ce que dit le Seigneur : Parce que les filles de Sion se sont enorgueillies, qu'elles ont marché la tête haute. » Le premier des vices dont il les reprenne, c'est l'orgueil et l'arrogance. Certes ce vice est bien grave partout où il se rencontre, mais surtout quand ce sont des femmes qui s'en rendent coupables. Une femme altière, par cela même qu'elle est plus légère et moins raisonnable, se laisse entraîner facilement, se submerge et fait naufrage, parce que, comme un vent violent, la fierté et l'arrogance la précipitent dans l'abîme. Le Prophète paraît s'adresser aux femmes de Jérusalem; aussi il dit: les filles de Sion. « Elles ont marché la tête haute. » Ici il les raille, en montrant l'orgueil des femmes qui, ne pouvant contenir ceste passion en elles-mêmes, la laissent échapper au dehors et la font paraître dans l'attitude de leur corps. Et cet orgueil ne les rend pas seulement fières, mais encore impures; ce qu'Isaïe va dire et montrer dans ce qui suit. Car il ajoute : « Faisant des signes des yeux; » c'est le propre des femmes qui veulent se faire rechercher de tourner les yeux çà et là, montrant ainsi leur mollesse et leur mauvaise passion : il n'y a pas d'indice plus grand de la mollesse et de l'impureté. « Mesurant leurs pas et traînant leurs tuniques. » Cette accusation est sérieuse bien que peut-être elle ne le paraisse pas; c'est en effet la marque d'une extrême corruption, de la mollesse, de l'impureté, de la dissolution que de traîner sa tunique. C'est ce qu'un écrivain profane reprochait à son adversaire en disant: « Laissant tomber ton manteau jusqu'à tes talons. »

« Frappant ensemble du pied en cadence. » C'est encore la même indécence qui se manifeste. Car il n'est rien, ni les yeux, ni les vêtements, ni les pieds, ni la démarche, rien, dis-je, qui ne puisse manifester soit la vertu, soit le vice. Car les sens sont comme les hérauts de l'âme qui habite en nous. Et de même que les peintres en mélangeant quelques couleurs dessinent toutes les images qu'ils veulent, de même les mouvements des membres de notre corps expriment au dehors et rendent sensibles aux regards les sentiments de l'âme. C'est pourquoi un autre sage dit: « Le vêtement de l'homme, le ris des dents et sa démarche me font connaître quel il est. » (
Qo 19,27) « Et Dieu humiliera les princesses de Sion et le Seigneur les démasquera en ce jour, et le Seigneur fera disparaître la gloire de leurs vêtements. » A ces deux passions, l'orgueil et l'impureté, il oppose les deux remèdes qui leur conviennent, à l'orgueil l'humiliation, à la recherche de la beauté des habits leur anéantissement. Une guerre arrivera, dit-il, et tout disparaîtra. Les femmes hautaines et orgueilleuses, tout à coup frappées par la crainte, se verront délivrées de leur maladie; quant à celles que la mollesse et le désordre corrompaient, quand elles seront tombées sous le joug de la servitude, elles se délivreront de leur impureté.

Pour donner à sa parole plus de gravité et frapper davantage l'esprit de ses auditeurs, il indique successivement tous ces ornements de femmes, ornements pour les yeux, ornements pour toutes les parties du corps. Il passe ensuite à l'ornementation de leurs maisons. Car non contentes d'orner leurs corps, elles portaient leur honteuse passion jusqu'à orner les murs, et employaient ainsi leurs richesses en dépenses inutiles, elles qui frisaient leurs cheveux, voulaient étendre partout les filets de leur coquetterie. C'est ce qu'il leur reproche en disant qu'il « fera disparaître la gloire de leurs vêtements, leurs parures, leurs tresses de cheveux et leurs grappes. » Leurs grappes, c'est ou bien un ornement de la tête ou bien la forme qu'affectait ce ruban qui retenait les cheveux. « Leurs croissants » :c'était un ornement ressemblant à la lune et qu'on plaçait autour du cou. « Et leurs colliers. » Peut-être désigne-t-il des ornements en forme de faucille. « Et les ornements de leurs visages. » Ici je crois qu'il veut indiquer le fard et les couleurs. « Et l'arrangement d'un ornement de gloire, » c'est-à-dire enchâssé dans l'or. « Et leurs bracelets, » les bijoux en or qui entouraient leurs bras. « Leurs anneaux, » placés (367) autour du poignet. « Leurs réseaux d'or, » autour de la tête. « Leurs bagues et leurs bracelets du bras droit, » ceux qu'on appelle dexiaria. « Leurs pendants d'oreilles, leurs robes de pourpre, leurs manteaux pour la maison, leurs crêpes de Laconie.» Telle était leur fureur de libertinage qu'elles ne se contentaient pas de ce que produisait leur pays, mais qu'elles allaient chercher des ornements étrangers et qu'elles les faisaient venir d'au-delà des mers. Car entre la Palestine et la Laconie il y a une grande distance, une mer immense.

309 9. Ce n'est pas sans raison qu'il a désigné le pays sans indiquer le nom des ornements pour faire voir combien leur luxe dépassait les bornes. « Leurs tissus de lin, leurs étoffes de couleur de jacinthe ou d'écarlate, leurs tissus de lin parsemés d'or et de pierres précieuses et leurs vêtements d'été rehaussés d'or. » Il n'y a rien, soit dans les vêtements, soit dans le reste de la toilette, qui leur ait échappé ; elles avaient épuisé tout luxe, emportées par cette passion tyrannique de l'impureté effrénée.

Mais si, avant les temps de la grâce et de notre religion si parfaite, ces choses étaient déjà blâmées, quel pardon obtiendront ces femmes qui appelées au ciel, à de plus longs combats, à l'imitation des anges, surpassent de beaucoup cette licence et celle même des courtisanes de théâtre? Et ce qu'il y a de plus triste, c'est qu'elles ne croient pas pécher. Ainsi il nous faut les combattre avec la parole du Prophète. Ce n'est pas seulement contre les juives, mais contre les femmes d'aujourd'hui que sera prononcée cette parole : « Au lieu d'un agréable parfum, il n'y aura plus que de la poussière. » Voyez-vous comment il condamne les parfums et comment il annonce que cette recherche sera punie ? La poussière dont il parle ici, c'est celle que soulevèrent le renversement de la ville et l'incursion des barbares. Ceux-ci détruisirent la ville par le fer et le feu, renversant certaines parties et brûlant les autres. C'est ce que le Prophète prédit en ces termes: « Au lieu d'un agréable parfum il n'y aura plus que de la poussière et tu te ceindras non d'une ceinture, mais de jonc; » leur mettant sous les yeux le spectacle de la captivité et leur transmigration dans pays des barbares. « Et tes cheveux frisés disparaissant ne laisseront qu'une tête chauve,» que leurs cheveux soient tombés par suite de cette catastrophe, ou que l'ennemi les ait fait couper, ou qu'elles se les soient coupés elles-mêmes. Car c'était autrefois la coutume dans le deuil et le malheur de se raser et de se couper les cheveux. Job, par exemple, se fit raser la tête en apprenant le malheur de ses enfants. Et plus loin le Prophète dit qu'elles se revêtiront d'un cilice, et qu'elles gémiront en se coupant les cheveux. Un autre dit aussi : « Arrachez-vous les cheveux, coupez-les entièrement pour pleurer vos enfants qui vivaient dans les délices. » — « Et au lieu d'une tunique de pourpre tu te couvriras d'un cilice.» Ne sont-ce pas là des choses terribles et insupportables? Mais pour nous le châtiment ne s'arrêtera pas là; le ver empoisonné, et les ténèbres sans fin nous atteindront. Ces juives endurèrent la captivité, la servitude et des maux extrêmes pour leur parure : car que ce fût là la cause de leur punition et le péché que Dieu poursuivait particulièrement, Isaïe nous l'apprend quand lui-même, après cette énumération, dit, en indiquant la cause: « Telle sera la punition de ton luxe. » Si, dis-je, les juives, pour s'être parées, subirent une telle punition qu'elles virent leur patrie renversée de fond en comble, et qu'après avoir connu de telles délices elles tombèrent dans l'esclavage, la servitude et l'exil, qu'elles furent emmenées sur une terre étrangère, qu'elles périrent par la famine, la peste et mille autres genres de mort, ne voyez-vous pas avec évidence que les mêmes fautes nous attireront des châtiments bien plus graves? Car si nous recevons des honneurs plus grands, nous recevrons aussi des supplices plus graves.

Que si votre toilette ne vous a pas encore attiré ces maux, n'en soyez pas plus fiers. Car voici ce que Dieu fait ordinairement: il châtie un ou deux prévaricateurs pour montrer aux autres quels fléaux les attendent. Et pour rendre plus clair ce que je dis, les habitants de Sodome commirent autrefois d'horribles péchés; ils subirent aussi un épouvantable châtiment quand le feu du ciel les frappa, que leurs villes, les habitants et la terre elle-même furent consumés avec leurs corps. Mais quoi? N'y en a-t-il pas encore après eux qui osèrent commettre les mêmes péchés? Oui, il y en a eu beaucoup et par toute la terre. Pourquoi donc ne furent-ils pas punis de même? Parce qu'ils sont réservés pour une autre punition plus sévère. Dieu n'a pas renouvelé ce châtiment afin que ceux qui auront la même (368) audace, quand même ils n'en subiraient pas la peine ici-bas, sachent bien qu'ils n'échapperont pas. Serait-il raisonnable en effet que ceux qui, avant le temps de la grâce, de la loi, des prophètes, ont péché, souffrissent tant de maux, tandis que les pécheurs qui les ont suivis, après avoir été l'objet d'un si vif amour sans qu'un tel exemple les ait rendus plus sages, ce qui certes aggrave leur péché, éviteraient le châtiment réservé à leurs fautes? Pourquoi donc n'ont-ils pas encore été punis? Pour vous apprendre qu'ils sont réservés à un châtiment bien plus terrible.,

310 10. Qu'il y ait des châtiments plus terribles que ceux de Sodome, le Christ nous l'apprend en ces termes : « Il y aura moins à souffrir pour Sodome et pour Gomorrhe au jour du jugement que pour cette ville. » Donc, que les femmes qui se parent aujourd'hui, si elles ne souffrent pas ce que souffrirent les femmes qui se paraient alors, n'en soient pas plus frères. La patience et la longanimité préparent un feu plus ardent et une flamme plus grande. C'est ce qui arriva à Ananie et à Saphire. C'est au commencement de cette époque où l'Evangile se répandit que, coupables de mensonges, ils moururent immédiatement, tandis que par la suite beaucoup qui commirent le même crime ne souffrirent rien. Pourrait-on donc expliquer comment un juge si juste et qui use envers tous de la même mesure punirait ceux qui sont moins coupables, tandis qu'il laisserait échapper ceux qui ont péché plus grièvement? N'est-il pas évident que, puisqu'il a fixé un jour où il doit juger l'univers, il ne retarde le châtiment de ces derniers qu'afin que tant de patience tes rende meilleurs ou que, s'ils persévèrent dans les mêmes fautes, ils n'en soient que plus terriblement châtiés? Lors donc qu'après nos péchés nous ne sommes pas punis comme ceux qui autrefois commirent les mêmes fautes et en subirent la peine, n'en soyons pas plus tranquilles, mais au contraire que notre crainte augmente. C'est pour ainsi dire la promulgation d'une loi de Dieu que leur supplice : il nous avertit tous st nous dit : J'ai puni celui qui a péché dès le principe afin que, si tu pèches après lui, tu saches ce qui t'attend, tu te convertisses et deviennes meilleur. Car aux mêmes fautes sont réservés les mêmes châtiments, bien qu'ils ne suivent pas immédiatement. Ce n'est pas sans motif que je me suis arrêté sur ce passage : car ce mal effrayant a pénétré dans nos maisons, grâce à la mollesse des femmes, je veux dire les raffinements de la toilette qui augmentent les dépenses, qui précipitent dans des prodigalités inopportunes, qui deviennent chaque jour l'occasion de luttes, de discordes, de procès, qui font mourir de faim les pauvres. Car lorsque l'épouse a forcé soir époux à dépenser tout son avoir et même plus pour la honte de son corps (car cet or qui brille sur elles, c'est leur honte), la main ne peut plus s'ouvrir pour l'aumône. Et de là bien d'autres espèces de péchés; mais laissons cela pour que l'expérience l'apprenne à ceux qui s'exposent à ces maux, et parlons de ce qui suit.

Après avoir dit quelle sera la captivité et avoir déclaré qu'elle ne venait que pour punir le luxe effréné ses femmes, il achève la peinture du malheur en disant : « Et le plus beau de tes fils, celui que tu aimes, tombera par le glaive, et les puissants d'entre vous tomberont par le glaive. » Voilà qui est plus effrayant que la captivité : car il est des cas où la vie est plus dure que la mort. Lorsque, outre la captivité, ils auront encore à gémir sur des morts prématurées, imaginez vous quel sera leur malheur, puisqu'une série non interrompue de maux vient ajouter souffrances sur souffrances. S'il n'y avait que la servitude, ce serait déjà un mal insupportable, et lorsqu'un tel malheur arrive à des hommes qui vivaient libres, c'est une vie plus cure que la mort. Mais voici, dit-il, que les deux choses seront réunies. Mais plutôt ne faut-il pas dire que c'est un double, un triple, un quadruple malheur quand c'est un fils, le plus beau d'entre tous, le plus chéri qui meurt, et cela de la main des barbares et non par la loi commune de la nature? Et ajoutez que tous ceux du même âge périront aussi; de sorte qu'ils n'ont plus d'espoir, quant à ce qui regarde du moins le secours et l'aide des hommes. « Et ils seront humiliés. Et les vases où sont renfermés les fards dont tu relèves ta beauté pleureront, et on te laissera seule et tu seras étendue par terre. » Autant de traits qui complètent ce lugubre tableau, inspire la crainte, et rendent plus vive l'anxiété. Le Prophète met sous les yeux les malheurs, il fait la peinture des fléaux, allant partout et recueillant les détails de cette calamité, et cela, à cause de l'insensibilité des auditeurs. Il eût été (369) désirable que, touchées de ces menaces, les filles de Sion se fussent relevées courageusement, pressentant les calamités qui allaient fondre sur elles. Aussi ajoute-t-il (ce qui certes doit faire comprendre leur malheur), qu'elles verront vicies les vases d'or, souvenir de leur ancienne prospérité, afin que cette vue vienne sans cesse leur rappeler leur malheur. Car les malheurs nous font sentir surtout leur aiguillon lorsque nous les mettons en parallèle avec notre félicité d'autrefois, et cette comparaison rend la blessure plus profonde. C'est ce qu'autrefois disait Job dans ses douleurs : « Qui me donnera d'être comme aux jours d'autrefois? » (
Jb 29,2) Et il fait l'énumération de toutes ses richesses, des biens qui affluaient vers lui de toutes parts, des honneurs, des revenus, de tout l'éclat dont il jouissait, afin que cette comparaison montre mieux la gravité des malheurs qui l'accablent. C'est ce que fait le Prophète, quand il parle de ces vases, et que non content d'en parler, il ajoute qu'ils pleurent. Rien de plus éloquent que jette manière de parler qui personnifie les objets inanimés. Déjà il fait voir les vignes et le vin gémissant, pour mieux toucher ses auditeurs et piquer leur insensibilité. Qu'est-ce à dire : « On te laissera seule? » Tu seras privée, veut-il dire, du secours de tes alliés et de la bienveillance de Dieu, dénuée de toute ta splendeur, entourée de tous côtés par tes ennemis, cernée au milieu des barbares. Ensuite, pour montrer l'excès de son humiliation, il dit : « Et tu seras étendue par terre. » Il ne dit pas, Tu tomberas, ni, Tu seras précipitée, mais c'est à un terme bien plus propre à montrer toute l'étendue de son humiliation qu'il a eu recours.



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