Chrysostome commente Is 600

CHAPITRE SIXIÈME - « ET IL ARRIVA L'ANNÉE QUE MOURUT OZIAS. » ANALYSE.

600 Is 6

1. Vocation et consécration d'Isaïe pour te ministère prophétique. Comment il faut entendre ces mots : je vis Dieu.
2. Office des puissances célestes.
3. Les séraphins ne peuvent supporter la vue de Dieu ; quelle n'est donc pas la démence des hérétiques anoméens qui se vantent de contempler Dieu à leur aise et de le connaître parfaitement!
4. Du grand, avantage qu'on retire de la confession.
5. Disposition excellente d'Isaïe pour le ministère prophétique : Me voici, Seigneur, envoyez-moi.
6. Message qu'Isaïe reçoit de Dieu pour les Juifs.

601 1. Pourquoi le Prophète qui désigne ordinairement les armées parla vie des rois, désigue-t-il celle-ci par la mort d'Ozias? Car il ne dit pas « Il arriva pendant la vie d'Ozias, » ni « sous le règne d'Ozias, » mais bien « Lorsqu'il mourut. » Pourquoi en agit-il ainsi en cet endroit? Ce n'est pas sans raison ni motif, mais par un dessein caché. Quel est-il? Cet Ozias que sa bonne fortune avait exalté, que sa prospérité avait enivré, était devenu trop orgueilleux. Parce qu'il était roi, il avait cru pouvoir sacrifier, il s'était jeté dans le temple, avait pénétré dans le saint des saints, et bien que le grand prêtre voulût l'en empêcher et lui défendre l'entrée du sanctuaire, il n'en avait pas tenu compte, et persistant dans sa folle entreprise, il avait rejeté les paroles du pontife. Pour le punir de cette impudence, Dieu l'avait frappé de lèpre sur le front. Pour avoir voulu usurper l'honneur d'autrui il avait perdu le sien. Car non-seulement il n'obtint pas le sacerdoce, mais devenu impur, il fut chassé du palais, et il passa le reste de sa vie, caché dans une maison, ne pouvant supporter sa honte. Le peuple tout. entier fut aussi puni, parce qu'il avait méprisé les lois du Seigneur et qu'il n’avait pas vengé l'honneur du sacerdoce outragé. Et comment fut-il puni? Par la cessation du ministère des Prophètes : Dieu dans sa colère ne leur répondit plus rien à quoi que ce fût. Il ne le fit cependant pas pour toujours, mais il assigna pour terme à cette punition le terme de la vie du roi. Quand celui-là fut sorti de la vie, Dieu sortit aussi de sa colère et ouvrit en quelque sorte de nouveau les portes de la prophétie. C'est pour nous faire souvenir de cela que le Prophète rappelle l'année de la mort du roi. Voici le commencement de sa prophétie : « Il arriva que, l'année de la mort du roi Ozias, je vis le Seigneur assis. » Et cependant le Christ dit : « Personne n'a jamais vu le Père; le Fils unique qui est dans le sein du Père est celui qui l'a fait connaître. » (Jn 2,18) Et encore : « Non que personne ait vu le Père, si ce n'est celui qui est de Dieu, car celui-là a vu le Père. » (Jn 7,46.) Et il dit lui-même à Moïse : « Personne ne pourra voir ma face et vivre encore. » Comment donc Isaïe peut-il dire qu'il a vu le Seigneur? « J'ai vu,» dit-il, « le Seigneur. » Il n'a rien dit de contraire aux paroles du Christ, rien qui ne leur fût conforme. Le Christ parle en effet d'une vue claire, telle que personne ne l'a eue; or nul autre que le Fils n'a vu cette nature divine à découvert et sans ombre, et le Prophète dit qu'il en a eu une vue conforme à sa propre nature. Il n'a pas vu ce que Dieu est, mais il l'a vu comme en figure, et Dieu avait bien voulu s'abaisser autant que le demandait la faiblesse du Voyant. Que ni lui ni les autres prophètes n'aient vu la divinité à découvert, leurs paroles le montrent clairement. « J'ai vu, e dit-il, « le Seigneur assis. » Priais Dieu ne s'assied point ; c'est une figure empruntée au corps. Et non-seulement « assis, » mais « sur un trône. » Or, rien ne peut contenir Dieu comment pourrait-il être contenu quelque part, Celui qui est présent partout, qui remplit tout, « dans la main duquel sont les limites de la terre? » (Ps 94,4) Ce qui montre que si cette vision avait lieu, c'est parce que Dieu s'abaissait. C'est ce qu'indique encore un autre prophète, parlant au nom de Dieu : « J'ai multiplié les visions (Os 12,10) ; » c'est-à-dire, je me suis laissé voir de diverses manières. Si c'était sa substance pure que l'on eût découverte, on ne l'eût pas vu de diverses manières. Mais pour marquer que c'était par condescendance qu'il se laissait voir aux prophètes, tantôt de cette manière, tantôt de cette autre, conformant ces visions aux diverses circonstances, il dit : « J'ai multiplié les visions, et les prophètes m'ont représenté à vous sous des images différentes. » Je n'ai pas paru comme j'étais, veut-il dire, mais je me suis conformé à la faiblesse de ceux qui me regardaient. Aussi vous le voyez, tantôt assis, tantôt armé, tantôt couvert de cheveux blancs, tantôt au grand air, tantôt dans le feu, tantôt st; détournant, tantôt sur les chérubins, tantôt enfin, plus éclatant que les métaux les plus brillants. Dire pourquoi il apparaît tantôt armé et couvert de sang, tantôt dans le feu, tantôt se détournant, tantôt dans le ciel, tantôt sur un trône, tantôt sur les chérubins, ce n'en est pas ici le lieu, de peur que le hors-d'oeuvre n'absorbe l'oeuvre. Cependant la vision présente demande que (381) nous l'examinions. Pourquoi donc apparaît-il assis sur un trône, et entouré de séraphins? Il emprunte les usages des hommes, parce qu'il s'adresse à des hommes. Comme il allait parler de grandes choses qui concernaient soit toute la terre, soit Jérusalem en particulier, il rend une double sentence, l'une par laquelle il annonce un grand châtiment à la capitale et à la nation tout entière, l'autre par laquelle il promet à la terre un grand bienfait, de grandes espérances et un honneur immortel.

602 2. Quand on rend une sentence, il est d'usage de ne pas le faire en secret, mais de s'asseoir sur une tribune élevée, de se faire entourer de tous et d'ouvrir les rideaux. C'est pour imiter ces juges de la terre que Dieu se fait entourer de séraphins, et qu'il s'assied sur un trône élevé pour prononcer son arrêt. Et pour vous montrer que ceci n'est pas une conjecture, mais que c'est la coutume du Seigneur d'agir ainsi, je veux vous faire voir la même chose dans un autre prophète. Quand, dans le prophète Daniel, il est sur le point de rendre une sentence importante au sujet des châtiments et des punitions, que se sont attirés les Juifs et des grands biens qui vont être donnés à la terre, nous voyons là aussi un trône éclatant et splendide, des légions d'anges qui l'entourent, des multitudes d'archanges, le Fils unique assis à côté du Père, des livres qui sont ouverts, des fleuves de feu qui roulent leurs ondes terribles, tout l'appareil enfin d'un redoutable tribunal. Et notre passage est tout à fait semblable à celui-là, ou plutôt celui-là est plus clair encore, les temps étant devenus plus proches et la prophétie étant arrivée à sa fin. Mais laissons aux hommes studieux le soin de comparer ces prophéties, d'en saisir la ressemblance, hâtons-nous de revenir à la première, et arrêtons-nous à chaque mot autant qu'il est possible. C'est ainsi que tout ce que nous avons dit deviendra plus clair et pour vous et pour nous. Que dit donc le Prophète ? « J'ai vu le Seigneur assis. » S'asseoir sur un trône, c'est toujours la marque d'un juge, selon cette parole de David : « Vous vous êtes assis sur un trône, vous qui jugez les justices; » et celle-ci de Daniel : « Les trônes furent apportés et les juges s'assirent.» Cet état seul d'être assis marque encore autre chose, selon le même prophète. Quoi donc? La fixité, ta fermeté, la solidité, l'éternité, la vie sans fin. C'est pourquoi il est dit : Vous êtes assis pour l'éternité, et nous, nous périssons (1). Vous, vous demeurez, vous êtes, vous vivez, vous restez toujours le même. Il ne parle pas du siège, le membre opposé le montre bien. Il ne dit pas en effet, nous sommes debout, mais bien nous périssons. S'asseoir sur un trône, c'est donc juger; c'est pourquoi le Prophète voit Dieu assis sur un trône haut et élevé; peut-être que la signification de ces deux mots n'est pas la même. Le trône était haut, c'est-à-dire grand, très-long; élevé, c'est-à-dire placé à une hauteur indicible. « Et la maison était « remplie de sa gloire. » Quelle maison? Dites-moi. Le temple. Comme de là provenait le sujet de sa colère, il était juste que ce fût là qu'il se montrât en cette admirable vision. Ce qu'il appelle sa gloire, c'est cette splendeur, cette lumière inaccessible que, désespérant de pouvoir rendre par la parole, il appelle gloire, et non-seulement gloire, mais gloire de Dieu. « Des séraphins se tenaient encerclé au« tour de lui. » Qu'appelle-t-il séraphins? Ces puissances incorporelles et célestes, dont le nom seul indique la vertu et le bonheur. Car ce mot de la langue hébraïque s'interprète par bouches de feu.

1 Ces paroles qui ont l'air d'une citation. ne se trouvent nulle part dans la sainte Ecriture.

Que nous apprend cette circonstance? La pureté de cette nature, sa vigilance, sa diligence, son agilité, sa force, sa simplicité. De même le prophète David, pour montrer combien le ministère des puissances d'en-haut est prompt, rapide, actif, dit : « Qui vous servez des vents pour en faire vos envoyés, et des flammes brûlantes pour en faire vos ministres (
Ps 103,4) ; » paroles par lesquelles il nous montre leur vélocité, leur légèreté, leur rapidité. Il en est de même de ces puissances qui, par des chants purs, louent le Seigneur, remplissent continuellement cet office, lui offrant sans cesse leurs louanges et leurs hommages. Ce qui montre leur dignité, c'est qu'elles sont placées près du trône. De même qu'au service des rois de la terre, ceux qui sont plus élevés en dignité, se tiennent près du trône ; ainsi ces puissances célestes, à cause de leur vertu supérieure, entourent le trône d'en-haut, jouissant sans cesse d'un bonheur indicible, et faisant éternellement leurs délices de ce sublime ministère. « L'un avait six ailes et l'autre six, de deux ils voilaient leurs pieds, de deux ils se voilaient la face, et des deux autres ils volaient. Ils criaient l'un à l'autre (382) et ils disaient: Saint, Saint, Saint est le Seigneur des armées. La terre est pleine de sa « gloire. » (Is 3.) Que nous indiquent, que signifient ces ailes? Ces puissances n'ont pas d'ailes puisqu'elles n'ont pas de corps; mais par ces figures sensibles, le Prophète veut nous faire comprendre des choses cachées, il condescend par là à la faiblesse de ceux qui l'écoutaient, et cependant, par cette condescendance il nous fait entendre excellemment des pensées qui surpassent toute intelligence.

603 3. Que signifient donc ces ailes? La nature élevée et sublime de ces puissances. Ainsi nous montre-t-on Gabriel volant et descendant des cieux, pour nous apprendre sa promptitude et sa légèreté. Et vous étonnerez-vous si le Prophète se sert de ces expressions en parlant des puissances qui servent Dieu, quand il n'a pas dédaigné de s'abaisser à ce moyen, en parlant de Dieu même, du Dieu de l'univers ? Car, voulant montrer soit son incorporéité, soit la rapidité avec laquelle il est présent partout, David dit : « Celui qui marche sur les ailes des vents (Ps 103,3) ; » les vents n'ont cependant pas d'ailes, et Dieu ne marche pas sur leurs ailes. Comment, en effet, cela se ferait-il, puisqu'il est présent partout? Mais, comme je l'ai déjà dit, le Prophète condescend à la faiblesse des auditeurs et se sert de choses qu'ils peuvent comprendre pour élever leur pensée. C'est encore ainsi que, pour montrer le secours qu'il reçoit et la sûreté que ce secours lui procure, il se sert des mêmes expressions, disant « Vous me protégerez à l'ombre de vos ailes. » (Ps 16,8) Ici le Prophète ne veut pas seulement, au moyen de ces ailes, nous faire comprendre l'élévation et la sublimité de ces puissances, mais encore une autre chose qui doit nous frapper de terreur. Il nous montre que, bien que, cette vision ne fût qu'une ombre, un acte de condescendance, cependant les puissances célestes elles-mêmes étaient incapables de s'élever jusqu'à cette hauteur de Dieu qui s'abaissait. Car si elles se cachaient les pieds et le dos, c'est qu'elles étaient effrayées, qu'elles redoutaient la splendeur, qu'elles ne pouvaient supporter l'éclat qui sortait du trône. Aussi se faisaient-elles comme un rempart de leurs ailes pour assombrir l'éclat de cette vision; elles éprouvaient ce que nous éprouvons quand le tonnerre gronde et que les éclairs brillent, et que nous nous inclinons vers la terre.

Or, si les séraphins, ces grandes et admirables puissances, ne pouvaient regarder qu'avec tremblement Dieu assis et assis sur un trône, s'ils se cachaient la face et les pieds, qui dira la folie de ceux qui se vantent de parfaitement connaître Dieu et qui font sur cette nature immortelle des recherches curieuses? « Des deux autres ils volaient, et ils criaient. » Qu'est-ce que ce vol et que veut-il signifier? Qu'ils sont sans cesse autour de Dieu, qu'ils ne s'éloignent pas de lui, que leur office est toujours le même, chanter sans cesse auprès de lui et louer continuellement leur Créateur. Car il n'a pas dit: « Ont crié, » mais «criaient, » c'est-à-dire qu'ils remplissent sans cesse ce devoir. « L'un à l'autre et ils draient : Saint, Saint, Saint. » Ceci marque que leur entente était parfaite et leur accord à louer Dieu complet. Ce chant n'est pas seulement une louange, mais une prophétie des biens que recevra la terre et une très juste expression du dogme. Mais pourquoi, après avoir dit « Saint » une fois, ne faisaient-ils pas silence? pourquoi ne s'arrêtaient-ils pas même après l'avoir dit deux fois? pourquoi le répétaient-ils trois fois de suite avant de faire une pause? N'est-il pas évident que c'est parce qu'ils chantaient un hymne à la Trinité? Aussi saint Jean applique-t-il cet hymne au Fils, saint Luc au Saint-Esprit, et le Prophète au l'ère. Et le reste exprime la même pensée. Car après ce chant ils ajoutent : « Toute la terre est remplie de sa gloire. » Ces paroles sont une prophétie exacte ; elles prédisent la connaissance future qui devait remplir toute la terre de la gloire de Dieu, tandis qu'au contraire, dans l'antiquité et au moment même où ces paroles étaient prononcées, toute la terre, et même la Judée, était remplie d'iniquité, et personne ne glorifiait Dieu. Et le Prophète en rend témoignage, lui qui dit : « A cause de vous, mon nom est blasphémé parmi les nations. » (Ps 52,5) Quand donc la terre a-t-elle été remplie de sa gloire? Quand cet hymne a été apporté sur la terre, quand les hommes ont chanté avec les puissances célestes, qu'ils n'ont plus fait entendre qu'un même chant, retentir qu'une même louange. Que si un juif impudent refuse de me croire, qu'il me montre quand la terre a été remplie de la gloire de Dieu, de cette gloire qui vient de la connaissance, mais jamais il ne pourrait me le montrer, quand il me démentirait mille fois. « Le dessus de la (383) porte fut ébranlé par le retentissement de ce grand cri. » Voyez-vous la clarté de la prophétie et comme les choses se suivent? Quand ce chant eut retenti et que la terre eut été remplie de la gloire de Dieu, la nation juive disparut, ce qu'indique le dessus de la porte ébranlé.

604 4. En effet, c'est un signe que le temple sera abandonné et renversé ; or le temple étant renversé, tout le reste disparaîtra. Et pour vous apprendre que le Nouveau Testament a abrogé l'Ancien, le Prophète dit : « Le dessus de la porte fut ébranlé par le retentissement de ce grand cri, » c'est-à-dire que quand cet hymne de louange se fit entendre, quand la grâce brilla, quand la gloire de Dieu se répandit sur toute la terre, les ombres s'évanouirent. « Et la maison fut remplie de fumée. » A mon sens, ceci prophétise la ruine qui l'atteindra, le feu que les étrangers y mettront, et l'incendie qui la dévorera. «Alors je dis: Malheureux que je suis ! mon affliction est grande, moi qui suis homme, qui ai des lèvres impures, qui habite au milieu d'un peuple dont les lèvres sont impures, et qui ai vu de mes yeux le Seigneur des armées (Is 6,5) ! » Cette vision a terrifié, stupéfié le Prophète ; elle lui a imprimé une vive crainte, elle lui fait faire des aveux, et grâce à elle, il connaît mieux là faiblesse de sa nature. « C'est ainsi que sont tous les saints; plus ils sont honorés et plus ils s'humilient; Abraham, quand il parle à Dieu, s'appelle terre et poussière,; Paul, après avoir été jugé digne de cette admirable vision, s'appelle avorton ; de même Isaïe déplore sa condition, d'abord à cause de sa nature : « Malheureux que je suis ! Mon affliction est grande, moi qui suis homme ; » puis à cause de ses dispositions: « Moi qui aides lèvres impures.» Il appelle ses lèvres impures relativement, me semble-t-il, aux langues enflammées de ces puissances excellentes, relativement aussi à leurs hommages si parfaits. Puis, sans s'arrêter là, il fait d'humiliants aveux au nom de tout le peuple, et ajoute : « Moi qui habite au milieu d'un peuple dont les lèvres sont impures. » Pourquoi accuse-t-il ici leurs lèvres? Pour marquer qu'il n'ose pas parler. Les trois enfants dans la fournaise se servirent presque des mêmes expressions : « Il ne nous est pas permis d'ouvrir la bouche. » Et lorsque le temps était venu de chanter et de louer, qu'il voyait les anges accomplir cet office, ce n'est pas sans raison qu'il parle des lèvres, puisque c'était à elles surtout de remplir ce ministère. Voilà pour quel motif il appelle ses lèvres impures; et s'il appelle aussi impures celles du peuple, ce n'est pas pour la même raison, mais parce que le peuple était adonné à l'iniquité. « Et j'ai vu de mes propres yeux le Roi, le Seigneur. » Voilà ce qui me fait gémir et pleurer; c'est que j'ai été jugé digne de cet honneur, moi qui en suis indigne, de cet honneur qui surpasse à la fois et mes mérites et ma nature. Et lorsqu'il dit : «J'ai vu, » il n'entend pas parler d'une vue complète, mais de celle qui lui était possible.

Et voyez comme ses aveux sont récompensés. Il s'est accusé et aussitôt il a été purifié ; car, quand il eut prononcé ces paroles, « un des séraphins, dit-il, fut envoyé vers moi ; il avait dans sa main un charbon qu'il avait pris avec des pincettes de dessus l'autel. Et m'en ayant touché la bouche, il me dit : Voilà que ce charbon a touché tes lèvres, qu'il a enlevé tes péchés et purifié tes iniquités (Is 6,6-7.) » Quelques-uns disent que c'étaient là des symboles des mystères futurs: l'autel, le feu qui y brûlait, les serviteurs, cette bouche purifiée par le feu, et ces péchés effacés; pour nous, attachons-nous au récit, et disons pourquoi cela est arrivé. Le Prophète va être envoyé au peuple juif pour lui annoncer des choses terribles et affreuses. Des séraphins lui sont envoyés pour le remplir de crainte et de franchise. Et afin qu'il n'aille pas prétexter, comme Moïse, qu'il avait une voix grêle, ou comme Jérémie qu'il était trop jeune et dire qu'il avait des lèvres impures, qu'il ne pouvait exécuter l'ordre qu'il avait reçu, les séraphins viennent effacer ses péchés, non par leur propre puissance (cela n'appartient qu'au Père, au Fils et au Saint-Esprit), mais par la mission qu'on leur avait donnée et les charbons qu'ils lui apportent. Car le séraphin ne dit pas « j'efface, » mais « voici que ce charbon efface tes péchés et purifie tes iniquités.» par le commandement de Celui qui m'a envoyé. Pourquoi le séraphin, pour prendre ce charbon, se sert-il d'une pincette? Une puissance incorporelle ne peut craindre de se brûler avec un charbon. Pourquoi cela arrive-t-il ? C'est encore une nouvelle condescendance. Aussi va-t-il le prendre sur l'autel là où on offrait des sacrifices d'adoration et d'expiation. Si vous demandez pourquoi la bouche du (384) Prophète n'a point été brûlée, je vous répondrai d'abord que ce feu n'était pas un feu sensible, bien qu'il en eût les apparences, ensuite que quand Dieu opère quelque chose, il ne faut pas faire sur son opération des recherches curieuses et difficiles.

605 5. Que dis-je, on a parfois vu un feu ardent et sensible reproduire l'effet qui lui est propre sur des corps qu'on lui livrait. Si donc dans cette fournaise remplie de sarments et de poix la flamme oublia sa propre nature, pourquoi vous étonner que dans une circonstance si extraordinaire, le feu, loin de consumer, n'ait servi qu'à purifier? « J'entendis la voix du Seigneur qui disait: Qui enverrai-je et qui ira vers ce peuple (Is 6,8) ? » Voyez-vous ce qu'a produit la vision, le bien que la crainte a opéré? La même chose est arrivée à Moïse. S'il ne vit ni les séraphins ni Dieu assis sur un trône, le spectacle qui lui apparut n'était pas moins étrange, il était même si étonnant que personne n'eût pu le contempler. Car « le buisson brûlait., sans se consumer. » (Ex 3,2) Et pourtant après ce grand prodige et bien que Dieu l'eût beaucoup encouragé, le grand Moïse hésitait, il imaginait mille prétextes pour se soustraire à sa mission: « J'ai, » dit-il, « la voix grêle et la langue embarrassée.» (Ex 4,10 Ex 4,13) Un autre prophète dit . « Choisissez-en un autre, Seigneur, pour l'envoyer. » C'est Jérémie qui parle ainsi en alléguant sa jeunesse (Jr 1,16) Ezéchiel, bien qu'il eût reçu un ordre précis, reste encore sept jours auprès du fleuve, rempli d'hésitation et ne se sentant point la force d'accomplir sa mission. Aussi Dieu lui dit-il encore : « Je t'ai établi pour surveiller la maison d'Israël ; » et encore : « Je te redemanderai leur âme » (Ez 3,17-18) Jonas fit plus que de refuser, il s'enfuit. Quoi donc ! Isaïe est-il plus hardi qu'eux tous, plus hardi que le grand Moïse? Qui oserait le dire? Pourquoi donc l'un hésite-t-il après avoir reçu l'ordre, tandis que l'autre, sans un commandement évident, embrasse avec ardeur cet office de prophète? Dieu ne lui dit pas: Va, mais il dit seulement: « Qui enverrai-je? » et Isaïe part aussitôt. Quelques-uns disent qu'après avoir péché en ne reprenant pas Ozias de son audace sacrilège, il voulut réparer sa faute, en acceptant avec empressement la mission que lui. donnait Dieu, afin de l'apaiser: c'est pour cela que ses lèvres, disait-il, étaient impures, parce qu'il n'avait pas parlé avec franchise. Mais je ne saurais me ranger à cet avis ; Paul est plus digne de foi, lui qui appelle Isaïe homme sans crainte : « Isaïe ne craint pas de dire. » (Rm 10,20) C'est peur cela qu'il ne termina pas sa vie par une mort naturelle, mais les Juifs lui infligèrent le dernier châtiment, parce qu'ils ne pouffaient supporter son tannage énergique. D'ailleurs l'Ecriture ne dit nulle part qu'il fût présent quand Ozias montra son audace, ni que le voyant il se soit tu : ceux qui l'affirment ne font qu'une conjecture sans fondement. Que dirons-nous donc ? Que le ministère de Moïse et celui – ci ne se ressemblent pas. L'un est envoyé clans un pays étranger et barbare, à un roi furieux et insensé, l'autre est envoyé vers ses compatriotes, qui avaient souvent entendu les prophètes et reçu longtemps leurs instructions l'obéissance de l'un n'exigeait pas le même courage que celle de l'autre. Quelques-uns disent encore que ce fut une autre cause qui lui donna cette hardiesse. Comme il avait fait des aveux en son nom et au nom du peuple, et qu'un séraphin avait été envoyé vers lui pour purifier ses lèvres, il espérait que la même faveur serait accordée au peuple et qu'il serait député pour le lui annoncer: telle serait la raison pour laquelle il aurait montré tarit d'empressement. Si les saints aiment Dieu, ils sont aussi ceux qui aiment le plus les hommes. Aussi comme Isaïe espérait qu'il aurait à annoncer au peuple le pardon de ses péchés, il s'empressa de s'écrier: « Me voici : envoyez-moi. »

D'ailleurs il avait une âme hardie contre le danger, c'est ce que nous montre tout son ministère. Comme, après sa promesse, il n'osait plus refuser, il reçut son triste message. Mais voyez avec quelle sagesse Dieu le manie ! Il ne lui dit pas dès l'abord : Va et dis, mais il le tient un instant en suspens avant de lui révéler quel ordre il va lui donner, quelle mission il doit lui confier. Puis, quand il le voit disposé à obéir, il lui déclare les maux qui vont foudre sur les Juifs. Quels sont-ils? « Va et dis à ce peuple: Vous entendrez et vous ne comprendrez pas; vous regarderez et vous ne verrez pas. Car le coeur de ce peuple est endurci, ses oreilles sont bouchées, et ses yeux fermés, de peur que leurs yeux ne voient, que leurs oreilles n'entendent, que leurs coeurs ne comprennent, qu'ils ne se convertissent (385) et que je ne les guérisse (Is 6,9-10).» Tout commentaire est inutile, puisque ce passage a eu des interprètes si éminents, je veux dire, Jean, le fils du tonnerre, et Paul,qui connaissait si bien l'Ancien et le Nouveau Testament. Celui-ci, s'adressant à Rome à des personnes qui l'avaient écouté, mais qui ne pouvant supporter sa doctrine s'étaient éloignées, leur disait : « Le Saint-Esprit a bien dit : Vous entendrez et ne comprendrez pas. » (Ac 28,23 Ac 28,26.) Quant au fils du tonnerre, comme les Juifs- voyaient des miracles et ne croyaient pas, entendaient la doctrine et ne l'embrassaient pas, ils avaient vu Lazare ressuscité et ils voulaient, tuer le Christ qui l'avait rendu à la vie; Jésus avait chassé les démons et ils l'appelaient possédé du démon; il les avait offerts à son Père et ils l'appelaient séducteur; ils adoptaient à son sujet des opinions contraires à la vérité. Jean leur rappelait cette prophétie dans les termes suivants: « Le prophète Isaïe l'a bien dit: Vous entendrez et ne comprendrez pas; vous verrez et ne discernerez pas. » (Jn 12,38-40.)

606 6. Comme en eux les yeux intérieurs de l'âme étaient aveuglés, il ne leur servait de rien d'avoir les yeux du corps ouverts, si leur jugement était corrompu. Voilà pourquoi ils entendaient sans comprendre et voyaient sans discerner; et le Prophète en indique la cause qui résidait non dans la corruption de leurs sens, ni dans la dépravation de leur nature, mais dans l'aveuglement de leur coeur. « Le coeur de ce peuple est endurci ; » or cet endurcissement est causé par les péchés et les passions. C'est de lui que saint Paul dit : « Je ne pouvais pas vous parler comme à des hommes spirituels; vous n'auriez pas pu supporter ce langage et vous ne le pouvez pas encore. » (1Co 3,1) Et il en indique la cause en ces termes: « Puisqu'il y a entre vous des procès, de la jalousie, des rivalités, « n'êtes-vous pas des hommes charnels ? » (1Co 3) Ceux-là aussi, aveuglés par la haine et l'envie, en proie à mille autres passion,-, avaient comme perdu l'oeil de leur intelligence et ne pouvaient plus avoir des choses une vue claire: aussi leurs pensées, au sujet des choses qu'ils voyaient, s'éloignaient-elles de la vérité et se contredisaient-elles. Le prophète, qui connaissait parfaitement leur état, découvrit par avance la cause du mal. Mais voyez à qui sont confiées les deux prophéties! ce sont les séraphins qui manifestent celle qui regarde l'Eglise et les biens promis à la terre, en disant : « Saint, saint., saint est le Seigneur des armées, toute la terre est remplie de sa gloire ; » quant à celle qui regarde la captivité et les châtiments des Juifs; ils la laissent au Prophète et nous apprennent ainsi la supériorité de l'Eglise.

« Et je dis : Jusques à quand, Seigneur ? » Voyez-vous que nos conjectures étaient bien fondées, quand nous disions que le Prophète avait montré beaucoup d'empressement à obéir? Après avoir appris des choses fort contraires à celles qu'il attendait, je veux dire des fléaux, des désastres, il veut savoir jusqu'oit ira la punition; car il n'ose pas entreprendre de détourner d'eux toute la colère du Seigneur, parce que Dieu lui avait montré d'abord que leurs péchés ne méritaient pas de pardon. Leur crime, en effet, ce n'était ni le vol ni l'esprit de rapine, mais une désobéissance affectée, un esprit de contradiction qui s'opposait par système et de parti pris à ce que Dieu faisait. C'est ce que le Prophète indique en ces termes : « De peur que leurs yeux ne voient, que leur coeur ne comprenne, qu'ils ne se convertissent et que je ne les guérisse. » Comme s'ils craignaient, veut-il dire, d'apprendre ce qu'il faudrait savoir, ils ont mis tous leurs soins à aveugler leur intelligence. Comme le crime était grave et la punition inévitable, le Prophète désire apprendre ce qu'il en ignore encore; mais tout en voulant s'en instruire il supplie. Comme il n'osait pas faire voir manifestement qu'il suppliait, il imagine d'interroger sous prétexte d'apprendre : « Jusques à quand, Seigneur?» et il dit : «Jusqu'à ce que les villes soient désertes et privées d'habitants, jusqu'à ce que les maisons n'aient plus personne qui y demeure; et la terre sera déserte. Et ensuite Dieu bannira les hommes loin de leur pays, et ceux qui auront été laissés sur la terre se multiplieront: car il en demeurera un dixième. Et cette partie même sera frappée, et elle deviendra comme le fruit du térébinthe ou comme le gland sorti de son enveloppe, et la race qui en naîtra sera sainte (Is 6,11-13). » Après cette prophétie, il revient de nouveau au récit, prédit la défaite des dix tribus, puis la patience dont Dieu, à cause de cette captivité, usera envers les deux tribus; puis comment ces dernières seront emmenées, à leur tour parce qu'elles n'auront (386) retiré de la patience céleste aucun profit, comment enfin leurs débris refleuriront. Lorsqu'il dit en effet « jusqu'à ce que leurs villes soient désertes et privées d'habitants, » il annonce la ruine des dix tribus. En effet tous, tous, je le répète, avaient disparu, et violemment enlevés, tous avaient été emmenés dans un pays étranger, de sorte que toutes les villes étaient désertes et que personne n'était plus là pour faire produire à la terre les fruits nécessaires à ceux qui étaient restés. En disant donc «jusqu'à ce que les villes soient désertes et privées d'habitants, jusqu'à ce que les maisons n'aient plus personne qui les habite, » il annonce la captivité. Et lorsqu'il dit: « Ensuite Dieu bannira tes hommes loin de leur pays,» il annonce ou un bonheur complet pour tous, ou la prospérité des deux tribus après le départ des dix autres. Et en effet, après avoir été délivrés de Sennachérib et de l'armée des barbares, après avoir obtenu cette victoire inespérée, ils virent leur nombre s'accroître prodigieusement, et leur vie se prolonger, parce qu'aucune guerre ne les troublait plus. Puis en disant « il s'éloigna, » il veut parler des hommes ou des armées. Et pour vous faire voir qu'il parle des deux tribus, il ajoute, « il en demeurera un dixième,» appelant dixième ce qui dépasse dix, ce qui est au-dessus de dix, c'est-à-dire les deux tribus. C'est ainsi que Paul dit « plus de cinq cents frères (1Co 15,10), » c'est-à-dire un nombre plus grand que cinq cents. « Et cette partie même sera frappée, et a elle deviendra comme le térébinthe, » c’est-à-dire les deux tribus. « Ou comme le gland sorti de son enveloppe. » De même que ce fruit, une fois sorti de son enveloppe, est désagréable à voir, de même ils seront un objet de raillerie et de moquerie, lorsqu'ils seront bannis de leur ville et privés de leur gloire. « Et la race qui en naîtra sera sainte. » Ces maux, veut-il dire, ne seront ni sans guérison ni sans terme; leur race sera sainte et elle demeurera, c'est-à-dire elle sera ferme, fixe, immobile, et elle pourra attendre que la face des événements change. Il est vrai qu'ils perdront leur prospérité ; mais ils n'auront pas à subir les maux extrêmes ; ils demeureront et resteront jusqu'à ce qu'ils reviennent à leur première manière de vivre et à leur première sainteté.


CHAPITRE SEPTIÈME - « ET IL ARRIVA PENDANT LES JOURS D'ACHAZ, FILS DE JOATHAN, FILS D'OZIAS, ROI DE JUDA. »

700
ANALYSE. (
Is 7)

1. Dieu se sert des prophéties déjà accomplies pour faire croire à celles qui ne recevront que dans un temps éloigné leur accomplissement. Quelquefois, comme dans le Nouveau Testament, il unit un miracle et une prophétie, afin que ceux qui voient le miracle ajoutent foi à la prophétie, et que ceux qui seront témoins de la réalisation de la prophétie croient aussi au miracle opéré en union avec la prophétie.
2 et 3. Prédiction de la ruine d'Ephraim et de la Syrie.
4-7. Promesse de l'Emmanuel : C'est pourquoi le Seigneur vous donnera lui-même un signe. Voici que la Vierge concevra dans son sein et enfantera un fils auquel on donnera le nom d'Emmanuel, etc. Commentaire très-intéressant de cet important passage.
8-9. Prédiction de l'invasion des Assyriens.

701 1. Je répéterai ici ce que j'ai déjà dit bien des fois, que le but des prophéties n'était pas seulement d'apprendre aux Juifs l'avenir, mais de faire en sorte que cette connaissance leur fût avantageuse, que la crainte causée par les menaces les rendît plus sages, que l'espoir des récompenses les rendît plus zélés pour la vertu et qu'ils connussent par là quelle est la puissance et quelle était la providence de Dieu sur eux. Telle est la raison de l'espèce de prologue qui ouvre cette prophétie ; c'était pour empêcher de croire que ces événements arrivaient (387) au hasard et sans règle, d'après le cours de la nature ou un certain ordre des choses, et apprendre aux Israélites qu'ils étaient dirigés d'en-haut et par la volonté de Dieu, ce qui devait singulièrement les aider à connaître Dieu. Mais comme, ce que du reste j'ai déjà dit plus haut, la prophétie n'avait pas sa preuve au moment même et que les paroles précédaient de beaucoup les événements, de sorte que, quand ils arrivaient, quelques-uns étaient déjà morts et ne pouvaient pas juger de la vérité de ce qu'ils avaient entendu, voyez ce que Dieu fait et quel moyen il prend. Il joint prophétie à prophétie, les plus rapprochées aux plus éloignées, montrant ainsi par celles dont la génération actuelle verra la réalisation, la foi qu'il faut accorder à celles qui n'arriveront que beaucoup plus tard. Dans l'Evangile, c'est par un autre moyen qu'il arrive au même but; là il lie les miracles aux prophéties et confirme les unes par les autres. Voici ce que je veux dire: un lépreux s'approche de Jésus et il est purifié; puis le serviteur du centurion est délivré de sa maladie; c'étaient là de grands miracles ; mais sans s'arrêter aux miracles, il y joint une prophétie. Car lorsque le centurion eut montré cette foi si vive, si admirable, par laquelle il mérita que son serviteur fût guéri, le Christ ajouta: « Beaucoup viendront de l'Orient et de l'Occident et auront place dans le royaume des cieux avec Abraham, Isaac et Jacob, tandis que les enfants du royaume en seront bannis. » (Mt 8,11) Par ces paroles, Jésus prophétise la vocation des Gentils et la réprobation des Juifs, événements qui maintenant sont des réalités et sont aux yeux de tous plus clairs que le soleil; mais alors ils étaient obscurs et les incrédules refusaient de les admettre ; aussi le Christ, par le miracle qu'il fit alors, amena ses auditeurs à croire fermement ce qu'il annonçait pour un temps plus éloigné, de même qu'en voyant aujourd'hui l'accomplissement de la prophétie, nous en croyons plus fermement le miracle qui eut lieu alors. Que pourrait répondre l'incrédule? Que le lépreux n'a pas été purifié ? Qu'il voie la vérité de la prophétie et que celle-ci le fasse croire au miracle. Qu'auraient pu répondre les Juifs contemporains ? Que ce qu'il annonçait n'était pas vrai? Mais ils n'avaient qu'à voir le lépreux purifié, et apprendre, d'après ce qui s'était opéré sur lui, à ne pas refuser de croire ce qu'ils ne voyaient pas; pour les assurer de la prophétie ils avaient le miracle, comme ceux d'aujourd'hui ont la prophétie pour les assurer du miracle. Voyez-vous comme une chose confirme l'autre?

La même conduite se voit dans l'Ancien Testament. Quand Jéroboam se laissa aller à ces excès de folie et qu'il eut élevé ces veaux d'or, un prophète vint pour lui annoncer l'avenir et en arrivant il fit un miracle, pour que personne ne refusât de croire à des choses qui ne devaient arriver qu'au bout de trois cents ans; il brisa l'autel, jeta la graisse des sacrifices et paralysa la main du roi, donnant ainsi, par les prodiges de ce moment, une preuve évidente de la réalité des choses qui devaient arriver longtemps après. Telle a été souvent la conduite de Dieu dans l'Ancien et le Nouveau Testament, de Dieu qui, par ces moyens divers, pourvoyait à notre salut. C'est ce qui arrive ici et même d'une manière plus extraordinaire; au lieu d'un miracle seulement, il fit et une prophétie et un miracle. Mais pour mieux interpréter ce récit, parcourons-le avec attention. « Il arriva au temps d'Achaz, fils de Joathan, fils d'Ozias, roi de Juda; il arriva, dis-je, que Basin, roi de Syrie, et Phacée, fils de Romélie, roi d'Israël, se portèrent sur Jérusalem pour l'attaquer et ils ne purent la prendre, et l'on vint dire à la maison de David qu'Aram s'était ligué avec Ephraïm (Is 7,1-2). » C'est un récit que ces paroles, une exposition de faits; mais pour celui qui a de l'intelligence, de la pénétration, il y a là beaucoup à recueillir; il verra la sagesse de Dieu et sa providence sur les Juifs. Il ne réprima pas cette guerre dès son origine, et il ne permit pas aux ennemis de s'emparer de la ville ; mais, tout en faisant des menaces, il en empêcha l'effet, car il voulait seulement réveiller les Juifs, les faire sortir de leur torpeur et montrer sa puissance, puisque, même quand le danger est devenu imminent, il peut en délivrer aussi facilement que si ce même danger était encore à naître, chose que vous pouvez remarquer en bien des circonstances, par exemple, dans la fournaise de Babylone, dans la fosse aux lions et en mille autres occasions. Ces rois vinrent, ils assiégèrent la ville, mais tous leurs efforts n'aboutirent qu'à attaquer des murailles et à effrayer les assiégés.

702 2. Et ceci nous fait voir que le crime des dix tribus ne fut pas seulement d'avoir allumé une guerre civile et d'avoir pris les armes (389) contre leurs frères, mais encore de s'être liées avec des peuples issus d'une autre famille, d'une autre race, d'avoir pris pour alliées des nations avec lesquelles toute communication leur était interdite, d'avoir placé leur camp à côté d'elles et d'avoir avec elles assiégé la ville. Car ils firent marcher Basin, un étranger, contre leur métropole. Et les forces des combattants étaient inégales. Chez les uns, une multitude innombrable, des villes, des nations, des peuples; chez les autres, rien de tout cela, mais une seule ville, la capitale, afin que la force de Dieu parût avec plus d'éclat. Personne, en effet, ne leva les armes contre ces ennemis, personne ne les attaqua, personne ne les inquiéta, et pourtant leurs efforts pervers n'aboutirent à rien. « Car, dit le Prophète, ils ne purent la prendre. » Et qu'est-ce donc qui les en empêchait? Rien que la main de Dieu, qui les repoussait invisiblement. Toutefois, comme je l'ai dit, il fit disparaître le mal sans faire disparaître aussitôt la crainte. « Et l'on vint dire à la maison de David, qu'Aram s'était ligué avec Ephraïm. Et le coeur du roi et le coeur de son peuple furent saisis. » (Is 7,2) Quand Dieu se prépare à faire quelque chose d'étonnant, il n'opère pas aussitôt le prodige, mais il laisse d'abord sentir à ceux qui doivent en recueillir le fruit, combien leurs maux sont graves, afin qu'après leur délivrance, ils se gardent bien de montrer la moindre ingratitude. Comme, en effet, la plupart des hommes, soit par orgueil, soit par négligence, oublient leurs maux quand ils en sont délivrés, ou, s'ils ne les oublient pas, s'attribuent à eux-mêmes toute la gloire, Dieu les laisse d'abord sentir leurs maux et les délivre ensuite de leurs ennemis, ce qu'il fit particulièrement en cette circonstance. Il laissa la crainte s'emparer des coeurs, il les livre en proie à un grand abattement, et ensuite il envoie la délivrance. C'est ce qui est arrivé au grand David. Le Seigneur devait le conduire au combat et élever par ses mains un brillant trophée; mais il ne le fit pas dès le commencement de la guerre; il laissa d'abord les Israélites en proie à la crainte pendant quarante jours, et lorsqu'ils regardèrent leur salut comme désespéré, que le barbare Goliath leur lançait mille injures sans que personne osât se lever et marcher contre lui; alors, dis-je, alors qu'ils avouaient eux-mêmes leur défaite et que leur impuissance était devenue évidente, il envoya à la guerre ce tout jeune homme et lui fit remporter cette étonnante victoire. Et si après tout cela, après une telle preuve d'impuissance, Saül, quand il fut délivré, se laissa aller à la haine et à la jalousie, et dressa des embûches à David ; s'il se laissa vaincre par sa passion et se montra ingrat envers son bienfaiteur, que n'aurait-il pas fait si lui, si son armée n'avaient pas avoué si hautement leur lâcheté ?

Vous verrez Dieu agir ainsi en beaucoup d'autres circonstances, et surtout en celle-ci. Il se proposait de délivrer les Israélites de cette guerre et d'éloigner d'eux tout danger; mais il les laisse d'abord sentir leurs maux. « Le coeur du roi et le coeur de son peuple furent saisis et tremblèrent, comme tremblent les arbres des forêts agités par le vent. » C'est le propre de la prophétie de révéler les choses cachées. Elle nous montre la disposition d'esprit de chacun et, pour plus de clarté, elle ajoute une image pour faire voir combien cette crainte était extrême. Leur coeur, dit-elle, était agité ; ils étaient dans une entière prostration, ils désespéraient de leur salut, ils pensaient être dans un danger extrême, ils n'attendaient plus rien de bon, tous étaient trahis par leurs propres pensées. Que fait Dieu? Il prédit leur délivrance, et aussitôt il l'opère, afin qu'ils ne puissent attribuer à aucun autre la levée du siège, et il envoie son prophète pour annoncer l'avenir. « Le Seigneur dit à Isaïe: Va au-devant d'Achaz, toi et Jasub ton fils qui t'est resté, à la piscine qui se trouve au haut du champ du Foulon, et tu lui diras : Ne sois ni dans l'agitation ni dans la terreur, et que ton âme ne tombe pas dans l'abattement et n'aie aucune crainte de ces deux bouts de tisons fumants; car lorsque ma colère sera montée, je vous sauverai encore (Is 7,3-4). » Qu'est-ce à dire : « Va au-devant? ». Le roi, agité pair la crainte et la frayeur, n'était pas tranquille, il ne pouvait rester dans son palais; mais, chose que les assiégés font ordinairement, il sortait continuellement pour visiter les remparts, les portes, courant de tous côtés, sens cesse dans l'agitation pour savoir où en étaient les ennemis; c'est pourquoi il lui dit : «Va au-devant. » Qu'est-ce à dire: « Toi et Jasub ton fils qui t'est resté?» Jasub, en langue hébraïque, veut dire conversation et manière de vivre. C'est ainsi que Jessé en envoyant David lui dit : « Tu connaîtras leur état, » c'est-à-dire tu (389) m'annonceras comment ils se portent et ce qu'ils font.

703 3. Et ici encore, me semble-t-il, le Prophète reçoit l'ordre de prendre un grand nombre de témoins, afin qu'après l'événement le roi ne puisse pas se montrer ingrat, comme si le prophète ne lui avait rien annoncé. Voici donc ce qu'il veut dire : Va au-devant, toi et ceux qui sont avec toi, ceux du peuple qui sont restés. Ne vous étonnez pas s'il appelle le peuple son fils; car il a dit auparavant: « Me voici, « moi et les enfants que Dieu m'a donnés » (Is 8,18) Et certes les saints se montraient vraiment pères et surpassaient, par leur charité et leur amour pour ce peuple, tous ceux à qui la nature fait donner le nom de père. Il dit : « qui sont restés, » parce que la guerre en avait enlevé beaucoup, « sur le chemin du champ du Foulon. » Ceci me paraît bien difficile à expliquer, que des assiégés enfermés dans leur ville et n'osant même regarder au delà des murs, se soient montrés hors des portes, car aujourd'hui ce chemin est situé hors des portes. Quelle est donc la solution de cette difficulté ? C'est qu'autrefois la ville avait un second mur; elle avait deux enceintes de fortifications, et vous le verrez facilement par les paroles d'un autre prophète, si vous voulez y faire attention. Ce prophète sort donc pour relever ces courages abattus et il tâche de leur rendre bon espoir pour l'avenir. Sois tranquille, dit le Seigneur, et ne crains pas; il appelle tisons ces deux rois; et ainsi il marque d'un seul trait et leur force et leur faiblesse. Car il ajoute « fumants, » c'est-à-dire près de s'éteindre. Ensuite, pour montrer que ce n'était pas par leur puissance, mais par la permission de Dieu qu'ils étaient venus attaquer la ville, il dit: « Lorsque ma colère sera montée, je vous sauverai encore. Le fils d'Aram et le fils de Romélie, unis dans un dessein funeste ainsi qu'Ephraïm ont dit contre toi : « Nous monterons vers la Judée et nous la ravagerons; agissant d'un commun accord, nous la ferons tomber dans nos piéges et nous y établirons pour roi le fils de Tabéel. Voici ce que dit le Seigneur des armées : Ces pensées ne subsisteront pas et n'auront pas d'effet. Damas demeurera la capitale de la Syrie et Basin régnera dans Damas, et dans soixante-cinq ans, Ephraïm cessera d'être au rang des peuples. Samarie sera la capitale d'Ephraïm, et le fils de Romélie règnera dans Samarie. Et si vous ne croyez pas, vous ne comprendrez pas (Is 7,5-9). »

Ici encore, le Prophète donne de sa prophétie une excellente confirmation. Après qu'il a excité la crainte, mis sous les yeux des maux imminents, fait espérer des biens encore fort éloignés et surpassant toute attente, comme les auditeurs n'étaient pas très-fermes dans leur foi, voici le moyen qu'il emploie : Il donne, de la réalité des événements futurs, la preuve la plus frappante, en faisant connaître les desseins mêmes des ennemis. Il fait connaître la pensée qu'ils avaient en marchant sur la ville, ce qu'ils se disaient les uns aux autres, le pacte qu'ils avaient fait avant de partir et il montre ou que c'était une trahison (agissant d'un commun accord, nous la ferons tomber dans nos piéges), ou qu'un orgueil insensé s'était emparé d'eux, puisqu'ils croyaient n'avoir besoin ni d'armes, ni de lutte, ni de combat pour prendre la ville. Il nous suffit de nous montrer, de parler; nous les prendrons tous et nous nous en irons. Puis, comme il arrive souvent aux fanfarons, enflés d'orgueil par cette espérance même, ils pensent à un roi, comme si déjà la ville était prise, et ils cherchent quel maître il faudra donner à cette capitale. Voilà, dit-il, ce qu'ils font; mais Dieu va confondre ces projets. C'est pourquoi il dit: « Voici ce que dit le Seigneur, » et sans s'arrêter là, il ajoute : « des armées. » Lorsqu'en effet il veut annoncer quelque chose de grand, il rappelle la puissance de Dieu, sa domination sur toutes choses, cette force étonnante et admirable. Que dit Dieu ? « Ces pensées ne subsisteront pas et n'auront pas d'effet : Damas demeurera capitale de la Syrie. » Sa puissance, veut-il dire, son autorité se bornera à Damas et n'ira pas plus loin. « Et Basin régnera dans « Damas, » et Basin continuera d'être le roi de Damas, c'est-à-dire il restera dans ses possessions actuelles, sans acquérir une puissance plus grande. « Et dans soixante ans Ephraïm cessera d'être au rang des peuples. »

704 4. C'est une bien grande preuve de la vérité que de voir les prophètes assigner d'avance l'époque précise, et donner ainsi à ceux qui le désirent le moyen de s'assurer de la valeur de la prophétie. Pour aujourd'hui, dit-il, ils ne feront que se retirer de devant la ville; mais dans soixante-cinq ans le royaume d'Israël périra; les ennemis les prendront et les emmèneront tous. Mais jusqu'à cette ruine ils ne (390) posséderont rien de plus que ce qu'ils ont actuellement. Ces paroles sont dites pour rassurer entièrement Achaz. En effet si le Prophète se fût contenté de dire : dans soixante-cinq ans vos ennemis périront, le roi peut-être se serait dit en lui-même : Mais quoi ! s'ils ne doivent périr qu'après nous avoir vaincus, quel avantage nous en reviendra-t-il ? Sois tranquille, dit Isaïe, même pour le moment présent; plus tard ils périront entièrement, et pour le moment actuel ils ne pourront s'agrandir. Mais Samarie sera la capitale d'Ephraïm, c'est-à-dire des dix tribus (là était leur gouvernement), et ils ne s'étendront point au delà ; et le roi d'Israël régnera dans Samarie : il répète ici ce qu'il a dit de Damas, pour montrer qu'ils ne posséderont rien de plus que ce qu'ils ont actuellement. Puis, comme les choses qu'il venait d'annoncer surpassaient toute intelligence humaine et toute espèce de raisonnement, il a raison d'ajouter. « Si vous ne croyez pas, vous ne comprendrez pas. » Ne cherche pas, veut-il dire, comment ni de quelle manière ces choses arriveront ; car c'est Dieu qui les fera, il ne faut que croire et penser à la puissance de celui qui agira : voilà toute la preuve de ce que j'ai annoncé. C'est aussi pour cela que le prophète David dit : «J'ai cru, c'est pourquoi j'ai parlé. » (Ps 115,10) Et Paul s'emparant, non sans raison, de cette parole, lui donne encore une plus grande signification, en disant : « Ayant le même esprit de foi, comme il est écrit : J'ai cru, c'est pourquoi j'ai parlé, et nous aussi nous croyons et c'est aussi pourquoi nous parlons. » (2Co 4,13) En effet, si la foi était nécessaire pour ces choses anciennes, aussi éloignées de celles du Nouveau Testament que la terre est éloignée du ciel, combien plus n'est-elle pas nécessaire pour ces vérités si élevées et qu'aucune intelligence n'a jamais comprises. C'est ce qu'indique l'Apôtre dans ce qui suit: « Ce que l'oeil n'a point vu, ce que l'oreille n'a point entendu, ce qui n'est point monté dans le coeur de l’homme, voilà ce que Dieu a préparé à ceux qui l'aiment. » (1Co 2,9)

« Et le Seigneur parla encore à Achaz et il dit : Demandez au Seigneur votre Dieu qu'il vous fasse voir un prodige ou au fond de la terre ou au plus haut des cieux. Et Achaz dit: Je n'en demanderai point et je ne tenterai point le Seigneur. Et Isaïe dit : Ecoutez donc, maison de David : Est-ce peu pour vous de lasser la patience des hommes, sans lasser celle de Dieu. Aussi le Seigneur vous donnera-t-il lui-même un signe. Voilà que la Vierge concevra et elle enfantera un fils qu'on appellera Emmanuel » (Is 7,10-14.) Grande est la condescendance de Dieu et grande aussi l'ingratitude du roi. Celui-ci devait, en entendant le Prophète, ne plus douter de ses paroles; que s'il conservait du doute, il aurait dû, à la vue d'un miracle, le chasser comme firent beaucoup de Juifs. Car Dieu, dans son amour pour les hommes, n'a pas refusé des prodiges à ces hommes grossiers, rampants et attachés à la terre; c'est ce qui arriva, par exemple, à Gédéon (1). Comme Achaz était très grossier, très incrédule, voyez combien Dieu montre de condescendance. Lui-même l'attire et l'excite à lui demander un miracle ; certes ce n'était pas déjà un petit prodige que d'avoir révélé ses secrets, d'avoir dévoilé toutes ses pensées, d'avoir manifesté toute son hypocrisie. Quand le Prophète lui eut dit : Demande un miracle, cet impie fit le croyant et dit: Je n'en demanderai pas et je ne tenterai pas le Seigneur; voyez avec quelle véhémence le Prophète le reprend ; et c'est à bon droit qu'après avoir montré son hypocrisie, il l'accuse avec plus de sévérité. C'est pourquoi il ne le juge même pas digne d'une réponse et s'adressant au peuple il dit : « Ecoutez donc, maison de David : Est-ce peu pour vous de lasser la patience des hommes, sans lasser celle de Dieu ? » Et comment lassez-vous celle de Dieu ? Cela est obscur; aussi faisons tous nos efforts pour éclaircir ce mot. Voici donc ce qu'il veut dire: sont-ce mes paroles? Sont-ce mes pensées? Si c'est une faute digne de blâme que de refuser sans aucun motif, sans aucune raison, de croire les hommes, combien plus de croire Dieu ! Lasser la patience, ce n'est donc pas autre chose qu'être incrédule. Est-ce là, dit-il, un faible crime ? Est-ce une légère faute que de refuser de croire les hommes ? Mais si cela est grave, combien plus de refuser de croire Dieu !

1. Il manque ici quelque chose très-probablement.

705 5. Le Prophète a parlé ainsi pour apprendre à tous qu'il n'avait pas été trompé, et qu'il jugeait non d'après les paroles qu'il avait entendues, mais d'après les pensées d'Achaz. C'est ce que le Christ a fait bien souvent aussi dans l'Evangile. Avant de se manifester par des miracles, il reproche aux Juifs leur méchanceté (391) bien qu'ils ne l'eussent pas encore montrée au dehors: c'est ce qui arriva par exemple lors de la guérison du paralytique. En effet, après lui avoir dit: « Mon fils, aie confiance; tes péchés te sont remis, » comme ils disaient en eux-mêmes: « Celui-ci blasphème », le Christ, avant de raffermir le paralytique, leur adresse ces paroles : « Pourquoi pensez-vous mal en vos coeurs? » (Mt 9,2-4) Il leur donne ainsi de sa divinité la preuve la plus grande en leur montrant qu'il connaît les pensées secrètes. « Car il est écrit, seul vous connaissez les coeurs. » (1R 8,39) Et David dit encore: « Dieu qui scrute les coeurs et les reins. » (Ps 7,10) Dieu donna souvent cette connaissance aux prophètes pour montrer que leurs paroles n'avaient rien d'humain, mais qu'elles leur venaient d'en-haut, du ciel. C'est pourquoi cet Isaïe à la grande voix, après avoir montré tant de douceur en parlant au roi, l'avoir retiré du danger, l'avoir rassuré pour le présent, et lui avoir donné pour gage de la vérité de sa prophétie la révélation des desseins formés par l'ennemi, la découverte d'une trahison, l'annonce d'une ruine entière et absolue pour Israël, la détermination précise de l'époque, Isaïe, dis-je, sans se contenter de cela, va plus loin encore, il n'attend pas que le roi lui demande un miracle, il l'y exhorte malgré son excessive incrédulité; bien plus, il le laisse maître du choix: il ne lui dit pas « tel ou tel miracle, » mais bien « celui que tu veux. » Le Maître est riche, son pouvoir infini, sa force indicible. Le veux-tu dans le ciel, rien ne s'y oppose ; sur la terre, aucun obstacle. C'est ce que signifient ces mots « ou au fond de la terre ou au plus haut des cieux. » (Is 7,11) Comme cela même ne le décidait pas, le Prophète, loin de se taire, ajoute un blâme sévère, et cela, pour convertir le roi, pour lui montrer qu'il n'avait pas réussi à tromper, à donner le change sur ses sentiments, et il annonce un événement ineffable, il prophétise le salut de la terre et la rénovation de toutes choses, et il dit que ce signe ne sera pas pour le seul Achaz, mais pour tout le peuple.

Au commencement il adressait la parole au roi; mais quand il eut dévoilé son indignité, il parla à tout le peuple: « Aussi, dit-il, il donnera un signe, non pas à toi, mais à vous. » (Is 7,14) A vous, à qui donc? A vous qui êtes dans la maison de David. C'est de là comme d'une tige que sortira ce signe. Et quel signe? « Voici que la Vierge concevra et enfantera un fils qui sera appelé Emmanuel. » Il faut observer, comme je l'ai dit plus haut, que ce n'est plus à Achaz qu'est donné ce signe. Ce n'est pas là une conjecture : car voyez les accusations et les blâmes du Prophète: « Est-ce peu pour vous que de lasser la patience des hommes?» (Is 7,13) et il ajoute : « C'est pourquoi le Seigneur vous donnera un signe. Voici que la vierge concevra. » Si elle n'eût pas été vierge, ce n'eût pas été un signe. Car un signe doit sortir de l'ordre habituel des choses, du cours ordinaire de la nature, avoir quelque chose d'insolite, d'étrange même, pour être remarqué par chacun de ceux qui le voient et l'entendent. C'est pour cela qu'on l'appelle signe, parce qu'il signifie. Or il ne signifierait pas, s'il restait caché dans l'ordre habituel des choses. Aussi si le Prophète avait parlé d'une femme enfantant selon le cours ordinaire de la nature, pourquoi appeler « signe » une chose qui arrive tous les jours ? Aussi il ne dit pas au commencement, voici qu'une vierge, mais « voici que la vierge », voulant marquer par l'addition de l'article que cette vierge était remarquable et seule entre toutes. Que cette addition ait bien la signification indiquée, nous pouvons le voir dans l'Evangile. Lorsqu'en effet les Juifs envoyèrent demander à Jean : « Qui es-tu ? » ils ne lui dirent pas: « Es-tu Christ, » mais bien: « Es-tu le Christ? » Ils ne dirent pas: « Tu es prophète, » mais: « Es-tu le Prophète ! » (Jn 1,19-25) C'est-à-dire le Christ, le Prophète par excellence. Saint Jean ne dit pas en commençant sors Evangile: «Au commencement était un Verbe,» mais: « Au commencement était le Verbe et le Verbe était en Dieu. » (Jn 1,1) De même ici, Isaïe ne dit pas: Voici qu'une vierge, mais « Voici que la vierge, » et il met en tête, comme il était digne d'un prophète de le faire, « Voici que. » Ces événements en effet, il les voyait presque, il se les représentait par l'imagination, ils étaient pour lui évidents. Les prophètes voyaient les événements futurs plus clairement que nous ne voyons ce qui se passe sous nos yeux. Nos sens peuvent se tromper; la grâce de l'Esprit-Saint les éloignait de toute erreur.

706 6. Et pourquoi ne pas ajouter que cette conception aurait lieu par la vertu de l'Esprit-Saint? C'était une prophétie et il fallait parler d'une manière obscure, comme je l'ai dit souvent, à cause de la grossièreté des auditeurs, de peur qu'une connaissance exacte des (392) choses ne les portât à brûler les Livres saints. S'ils n'ont pas épargné les prophètes, à plus forte raison n'eussent-ils pas épargné leurs livres. Ceci n'est pas une simple conjecture car un autre roi, du temps de Jérémie, déchire la Bible et la livre aux flammes (Jr 36,23) Voyez-vous cette folie intolérable, cette colère insensée? Il ne lui suffit pas de faire disparaître le livre, il le brûle pour satisfaire une passion délirante. Toutefois cet admirable prophète, même en restant obscur, a su tout indiquer. Une vierge, tout en restant vierge, comment peut-elle concevoir si ce n'est par la vertu de l'Esprit-Saint? Car enfreindre les lois de la nature ne saurait appartenir qu'à celui qui les a faites. Ainsi, en disant que la vierge enfantera, le Prophète a tout dévoilé. Après cet enfantement, il prédit le nom de l'enfant, non celui qui lui fut donné, mais celui qui lui convenait. De même qu'il appelle Jérusalem ville de la justice, non pas qu'elle ait jamais porté ce nom, mais parce que toutes les choses le lui donnaient, parce qu'elle devait se changer et devenir meilleure et accomplir toute justice, de même encore qu'il l'appelle prostituée, non qu'elle ait été ainsi désignée, mais parce que sa perversité lui méritait ce nom, comme sa vertu celui de ville de justice, de même, pour le Christ, il lui donne le nom que la nature des choses indiquait. Car c'est alors que Dieu fut avec nous, lorsqu'il parut sur la terre, conversant avec les hommes, et leur montrant la plus grande affection. Ce n'est pas un ange, ce n'est pas un archange qui se fait notre compagnon, mais c'est le Maître lui-même qui descend et vient tout redresser, qui parle aux courtisanes, qui mange avec les publicains, qui entre dans les maisons des pécheurs, qui permet aux larrons de lui parler avec confiance, qui attire à lui les mages, qui va partout et réforme tout, et s'unit notre nature. Or le Prophète annonce tout et cet enfantement et les biens ineffables, immenses, qui en découlent. En effet, lorsque Dieu est avec les hommes, il n'y a plus à craindre, à trembler, mais tout nous devient rassurant: c'est ce qui nous est arrivé. Ces maux anciens et inguérissables nous ont été enlevés, cette sentence portée contre tout le genre humain a été effacée, le péché a perdu toute force et le démon toute tyrannie; le paradis fermé à tous s'est ouvert pour la première fois à un meurtrier et à un brigand, les voûtes des cieux nous ont livré passage, l'homme s'est mêlé aux choeurs des anges, notre nature à été conduite jusqu'au trône du roi; la prison de l'enfer est devenue inutile; de la mort il n'est plus resté que le nom, la chose a disparu; les choeurs des martyrs, des femmes ont brisé l'aiguillon de l'enfer.

C'est dans la prévision de ces événements que le Prophète tressaillait de joie et d'allégresse, et d'une parole il nous indique tout, en nous annonçant l'Emmanuel. « Il mangera le beurre et le miel ; avant de connaître ou de choisir le mal, il choisira le bien. Car avant de distinguer le bien et le mal, l'enfant s'éloignera du mal, pour rechercher le bien (Is 7,15-16). » Comme cet enfant ne devait pas être simplement un homme, ni seulement un Dieu, mais un Dieu dans un homme, c'est avec raison que le Prophète présente la chose sous plusieurs faces, tantôt sous celle-ci, tantôt sous celle-là, et parle de choses étranges, de peur que la grandeur du miracle n'empêche d'y croire. Après avoir dit que la Vierge enfantera, ce qui déjà est au-dessus de la nature, que cet enfant sera appelé Emmanuel, ce qui est au-dessus de toute attente, il veut empêcher qu'en entendant ce mot Emmanuel, on n'aille embrasser sur l'Incarnation les erreurs de Marcion et de Valentin, et il donne de l'Incarnation la meilleure preuve, il la tire du besoin de nourriture auquel sera assujetti le Dieu homme. Que dit-il en effet? « Il mangera le beurre et le miel. » Cela ne convient pas à la divinité, mais bien à notre nature. C'est encore pour la même raison que le Verbe ne forma pas immédiatement un homme pour habiter en lui, mais qu'il se renferma dans le sein d'une femme, et cela pendant neuf mois, qu'il naquit, fut enveloppé de langes, fut nourri comme on l'est dans le premier âge, pour fermer la bouche à ceux qui essayeraient de nier l’Incarnation. Eclairé par la grâce divine, le Prophète voyait tout cela ; mais au lieu de parler seulement de cette naissance et de cet enfantement miraculeux, il parle de la nourriture que prendra l'homme-Dieu dans son premier âge, encore revêtu de ses langes, nourriture semblable à celle des autres hommes, et qui n'aura rien d'extraordinaire. En lui tout n'était pas différent de nous, mais tout n'y était pas semblable. Naître d'une femme, c'est notre condition; d'une vierge, c'est au-dessus de notre nature. Prendre de la nourriture (393) selon les lois ordinaires de la nature et la même nourriture que les autres hommes, c'est notre condition ; mais être étranger à tout vice, n'avoir jamais donné la moindre marque de perversité, voilà qui est extraordinaire, étonnant et qui ne convient qu'à lui. C'est pourquoi le Prophète mentionne l'une et l'autre chose. Ce n'est pas, dit-il, après avoir goûté le mal qu'il s'en éloigne, mais dès l'origine et par la vertu d'en-haut il a pratiqué toute vertu. C’est ce que le Christ a dit lui-même : « Qui de vous me convaincra de péché ? » et encore : « Le prince de ce monde vient et il n'a rien en moi. » (Jn 8,46 Jn 14,30)

707 7. Le Prophète même que nous expliquons n'a-t-il pas dit: « Il n'a point commis l’iniquité et le mensonge ne s'est point trouvé dans sa bouche? » (Is 59,9) C'est aussi ce qu'il dit dans le passage actuel qu'avant même de connaître ou de choisir le mal, lorsqu'il sera encore dans cet âge de l'innocence, au commencement de sa vie, il embrassera la vertu et n'aura rien de commun avec le vice. « Car, avant de distinguer le bien et le mal, l'enfant s'éloignera du mal pour rechercher le bien. » (Is 7,16) Il répète dans les mêmes termes la même pensée et insiste sur la même idée. Comme ses paroles annonçaient une chose sublime, il s'efforce, en la répétant, de la faire croire. Ce qu'il a dit plus haut : avant de connaître ou de choisir le mal, c'est ce qu'il redit en ces termes : « L'enfant, avant de distinguer. » Et il insiste encore en disant : « Le bien et le mal, s'éloignera du mal pour rechercher le bien. » Ce fut là le caractère distinctif de l'enfant-Dieu. C'est celui que saint Paul fait continuellement remarquer, et saint Jean, en voyant le Christ, élève la voix pour crier : « Voici l'Agneau de Dieu, celui qui ôte le péché du monde. » (Jn 1,29) Mais celui qui enlève le péché des autres est à plus forte raison sans péché lui-même. C'est aussi ce caractère sur lequel, comme je l'ai dit plus haut, saint Paul insiste continuellement. Comme le Christ devait mourir, l'Apôtre, de peur qu'on ne crût que cette mort était la punition de son péché, rappelle sans cesse son innocence, pour montrer que sa mort était la rançon de notre péché. Aussi il dit : « Le Christ, ressuscité d'entre les morts, ne meurt plus : car s'il est mort, c'est pour le péché qu'il est mort. » (Rm 6,9-10) Et cette mort, veut-il dire, il ne l'a pas endurée comme y étant soumis et à cause de son péché, mais à cause des péchés de tous. Si donc il n'était pas soumis à la première, il est plus que démontré qu'il ne mourra plus.

« Le pays pour lequel tu trembles devant ces deux rois sera abandonné. » (Is 7,16) Ce que le Prophète fait en toute circonstance, il le fait ici encore. Après avoir annoncé les événements futurs, il revient aux présents. J'ai longuement montré qu'il en avait agi, à propos des séraphins, comme il agit ici. Il prophétise d'abord les biens que la terre entière devait recevoir, et ensuite il s'adresse au roi. C'est pourquoi il dit : « Le pays sera abandonné. » Qu'est-ce à dire, « abandonné? » Il ne sera pas attaqué, il sera libre, il n'aura rien à craindre, rien à souffrir des maux de la guerre. « Le pays pour lequel tu trembles, » pour lequel tu es dans la terreur et les angoisses « devant ces deux rois » de Syrie et d'Israël. Mais pour que l'annonce d'événements heureux n'amollisse pas le roi, et que la paix ne le rende pas indolent, le Prophète jette dans son âme une nouvelle inquiétude partes paroles : « Mais le Seigneur fera venir sur toi, sur ton peuple, sur la maison de ton père des jours tels qu'il n'y en a pas eu de semblables depuis qu'Ephraïm a fait venir de Juda le roi d'Assyrie (Is 7,17). » Par là il indique cette invasion dans laquelle les barbares renversèrent la ville de fond en comble et enlevèrent tous les habitants captifs. Et il l'annonce, non pour qu'elle arrive, mais pour que la crainte les rendant meilleurs, ils éloignent ces maux de leur tête. Comme en effet rien n'avait pu les corriger, ni les biens qui leur avaient été départis sans aucun mérite de leur part (ce que montre la disposition d'esprit du roi et l'excès de son incrédulité), ni la menace de dangers effrayants, et qu'ils avaient résisté à ces deux remèdes salutaires, Isaïe annonce désormais un désastre plus profond, et cela pour retrancher toute corruption et guérir ces malades incurables. Que veulent dire ces mots, « depuis le jour où Ephraïm aura fait venir de Juda le roi d'Assyrie? » Les barbares vinrent dans le dessein d'enlever toute la nation; mais ils laissèrent Juda et ses deux tribus pour se jeter sur Israël. Voici donc ce que veut dire le Prophète : A partir du jour où les dix tribus attireront sur elles, par l'énormité de leurs fautes, l'armée des barbares qui sera venue d'abord contre vous, et où elles seront emmenées (394) captives, à partir de ce jour il vous faut craindre et trembler : car cette armée s'avancera et viendra contre vous, si vous ne changez. Et il dit : A partir de ce jour Dieu les amènera. Car ce ne fut pas en même temps que les Israélites que les deux tribus furent enlevées; mais l'intervalle ne fut pas long.

708 8. Voici donc ce qu'il dit : Ces jours étaient fixés; mais Dieu attendait, prenait patience bien que leurs fautes méritassent dès lors châtiment : souvent, quand le jour de la punition est fixé, Dieu attend, il temporise encore, preuve bien évidente de sa charité pour les hommes, signe bien manifeste contre ceux qui ne veulent pas profiter de sa longanimité. Déjà, dit le Prophète, la menace est faite, déjà la sentence est portée, déjà la colère de Dieu s'allume, il leur montre la vengeance, pour ainsi dire, à leurs portes, pour les exciter au repentir, les rendre meilleurs, leur imprimer une vive crainte par la ruine des autres, et pour empêcher qu'en se voyant épargnés par le châtiment qui en avait frappé d'autres ils ne devinssent encore plus négligents que par le passé.

« Et en ce jour-là, le Seigneur fera venir d'un coup de sifflet les mouches qui dominent sur l'extrémité du fleuve de l'Egypte (
Is 7,18). » Vous le voyez, j'avais raison en disant que c'est pour augmenter leur frayeur que Dieu leur fait dès ce jour ses menaces. Ce qui suit produit le même effet, il accroît par ses paroles leur terreur en leur montrant ces armées qu'ils redoutaient tant, cette invasion si facile (ce qui devait les épouvanter), le grand nombre de ces barbares, ce qui devait leur faire perdre toute assurance; toutes ces choses, il les indique dans ce qui va suivre. Voyez : « En ce jour-là le Seigneur fera venir d'un coup de sifflet les mouches. » Il appelle mouches les Egyptiens, à cause de leur impudeur et de leur effronterie, et aussi parce que repoussés continuellement ils revenaient continuellement à la charge, sans les laisser respirer, leur tendant mille piéges, les harcelant sans cesse dans l'infortune, comme les mouches s'attaquent aux blessures. Dieu, dit-il, les amènera. Mais au lieu de dire il les amènera, il dit : « Il les fera venir d'un coup de sifflet, » pour faire voir combien sera facile cette invasion, combien est invincible la puissance de Dieu, à qui il suffit de faire signe pour que tout le suive. Et c'est avec raison qu'il profite de cela pour les menacer des maux qu'ils ont éprouvés déjà. « Et l'abeille qui est au pays d'Assur. » Le syrien et l'hébreu lisent, diton, non pas les « abeilles, mais les guêpes. » Comme les Juifs ne connaissaient pas bien ces peuples, le Prophète leur imprime par cette figure une plus vive crainte, leur faisant voir par cet animal combien les ennemis seront terribles, effrayants, inévitables, combien leurs blessures seront profondes et leur présence soudaine.

« Ils viendront et se reposeront tous dans les gorges de ce pays, dans les creux des rochers, dans les cavernes, dans tous les trous, sur tous les arbres (Is 7,19). » Après avoir annoncé combien la présence des ennemis sera effrayante et leur marche rapide, il dit quelle sera leur multitude. Il ne dit pas, ils camperont, mais « ils se reposeront, » non comme s'ils étaient venus dans un pays ennemi, mais comme s'ils habitaient leurs propres demeures, non comme s'il leur fallait travailler et combattre, mais comme s'ils couraient au-devant d'une victoire certaine et d'un butin assuré. C'est pour cela qu'il dit: « Ils viendront et se re« poseront, » ce qui ne convient qu'à des vainqueurs, à des hommes qui ont remporté une victoire, et qui reposent après des luttes et des fatigues nombreuses. Et ce ne sera pas dans les plaines seulement qu'ils se reposeront; mais comme cette multitude est innombrable et que le pays ne suffit pas à la contenir, abîmes, rochers, montagnes, forêts, tout, en un mot, est un asile pour ces barbares. Quand même les ennemis ne seraient pas si terribles ni les Juifs si faibles, il suffirait de ce grand nombre pour les effrayer; mais quand ces deux choses se trouvent réunies, la multitude et la puissance, quand (chose plus redoutable encore) c'est la colère de Dieu qui les conduit, quel espoir de salut peut-on conserver? Ces mots « dans tous les trous, sur tous les arbres» renferment une hyperbole : car ils n'allaient pas se reposer sur des arbres; mais, comme je l'ai indiqué plus haut, il y a tout à la fois hyperbole et continuation de la métaphore tirée des guêpes.

« En ce jour-là le Seigneur se servira comme d'un rasoir enivré (Is 7,20). » Il vient d'imprimer une vive crainte de ces armées; il la renouvelle maintenant, en faisant agir le ciel même, en montrant que ce ne sont pas quelques barbares Egyptiens ou Perses, mais Dieu (395) lui-même qui combat contre les Juifs. Il appelle rasoir sa colère devant laquelle rien ne peut résister, que personne ne peut soutenir, qui s'avance et ruine tout sans éprouver la moindre difficulté. De même que les cheveux ne peuvent supporter le tranchant du rasoir, mais qu'ils cèdent et tombent aussitôt, de même les Juifs ne pourront nullement résister à la colère de Dieu.

709 9. Ce rasoir enivré désigne donc la colère d'un Dieu plein de fureur, prêt à se venger, une sentence qui va s'exécuter. « Au delà du fleuve du roi des Assyriens, » c'est-à-dire au delà de l'Euphrate, comme était la Judée et toute la Palestine par rapport à ceux qui viennent de la Perse. Tout cela, dit-il, sera détruit entièrement. Par ces mots tête, cheveux, barbe, pieds, il désigne tout le pays sous une métaphore empruntée du corps humain, et il embrasse dans ces paroles la contrée tout entière, comme il l'a fait au commencement lorsqu'il disait : « Toute tête est languissante et tout coeur abattu. Des pieds jusqu'à la tête, il n'y a rien d'intact en lui (Is 1,5-6); » là il parlait non d'un homme, mais de tout le pays qu'il comparait à un seul corps. C'est encore ce qu'il veut dire ici, savoir que toute la terre aura à subir un châtiment exemplaire. Il emprunte d'un côté ses images à un rasoir, de l'autre côté au corps humain, pour montrer que l'arrêt porté par Dieu produira un effet plus terrible que le rasoir, qu'il fera disparaître les hommes et tout ce que porte la terre, pour la laisser déserte et inhabitée. Il se sert encore d'une autre image pour exprimer cette désolation. Il le fait pour que la crainte grandisse toujours et reste, et pour éviter que la terreur ne diminue par suite d'un si long discours. Il semble à quelques-uns que ces paroles renferment la promesse de certains biens; mais un examen plus profond fait voir qu'il n'y a que la description d'une désolation extrême. Que dit-il en effet? « En ce temps-là un homme nourrira une vache et deux brebis, et à cause de l'abondance de leur lait, il se nourrira de beurre; car tous ceux qui auront été laissés sur la terre mangeront le beurre et le miel (Is 7,21-22). »
Cela indique, comme je l'ai dit plus haut, une grande solitude. En effet, la terre qui produit du blé et de l'orge, étant dépourvue d'habitants fournira aux animaux une nourriture abondante et si abondante que deux brebis et une vache s'en nourrissant donneront à leur possesseur des fontaines de lait. Ainsi l'abondance de vivres pour les animaux est une marque évidente que les hommes auront disparu. Et voici ce qu'indique le miel; les abeilles aiment ordinairement à habiter dans les lieux déserts parce qu'elles y trouvent une nourriture abondante et que personne ne les trouble. Et pour mieux vous convaincre que le Prophète parle d'une solitude extrême, voyez la suite : « Et en ce temps, dans les lieux où l'on avait vendu mille pieds de vigne mille sicles, il ne croîtra que des ronces et des épines. On n'entrera qu'avec l'arc et les flèches, parce que les ronces et les épines couvriront toute la terre (Is 7,23-24).» C'est la marque d'un grand malheur quand non-seulement les montagnes et les forêts, mais la terre arable elle-même et celle qui n'attend que la culture produit des ronces. Ce n'est pas sans raison qu'il a parlé du prix des vignes, c'est pour nous montrer la fertilité de la terre et les soins des cultivateurs. Eh bien ! dit-il, même ces lieux si fertiles, si dignes des soins des laboureurs seront tellement abandonnés qu'ils produiront au lieu de vignes des épines, et causeront à ceux qui les aborderont tant de terreur que nul n'osera y entrer sans défense et sans armes. Ces paroles marquent combien le lieu sera désert et comme les bêtes féroces y habiteront. Après avoir porté le trouble dans les âmes et jeté la crainte dans les coeurs, le Prophète s'adoucit un peu, pour annoncer aussi des événements heureux, la prospérité qui suivra, et faire comprendre par l'une comme par l'autre situation la puissance de Dieu. Mais il insiste suc les choses effrayantes et ne fait qu'effleurer les heureuses. Pourquoi cela ? Parce que c'était surtout par là réprimande que le peuple avait besoin d'être traité. à ce moment : aussi après avoir administré sans ménagement ce remède, voulant laisser respirer quelque peu les auditeurs et les exciter encore par là à la vertu, il annonce des événements heureux en disant: « Toute montagne sera cultivée par la charrue. » De même en effet que, pendant la colère de Dieu, même la terre arable a été abandonnée, de même quand il sera apaisé, la terre dure deviendra comme la terre meuble, et comme elle, sera labourée et ensemencée. Quand ces choses arriveront, leurs conséquences se produiront aussi, la paix, l'abondance, la confiance, la sécurité, en un mot, l'état d'autrefois, (396) « La crainte sera bannie. Cette terre infertile et couverte de ronces se changera en pâturages pour les brebis et sera foulée par les boeufs (Is 7,25). » Par ces détails le Prophète indique encore l'abondance, comme il dira plus loin: « Heureux qui ensemence toutes les eaux et qui envoie le boeuf et l'âne dans ses pâturages. » (Is 32,20) En effet, de même que pour dépeindre la solitude, il parle de sirènes et d'onocentaures, de même, pour dépeindre la paix et la tranquillité, il ne parle que d'animaux domestiques et apprivoisés, propres au travail des champs; il les montre remplissant tous les lieux, pour faire entendre par là la culture et ses conséquences.




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