Bernard aux Templiers 6009

CHAPITRE V. Le temple.

6009 9. Il y a à Jérusalem un temple où ils habitent en commun; s'il est bien loin d'égaler par son architecture l'ancien et fameux temple de Salomon, du moins il ne lui est pas inférieur en gloire. En effet toute la magnificence du premier consistait dans la richesse des matériaux corruptibles d'or et d'argent et dans l'assemblage des pierres et des bois de toutes sortes qui entrèrent dans sa construction; le second; au contraire, doit toute sa beauté, ses ornements les plus riches et les plus agréables, à la piété, à la religion de ses habitants et à leur vie parfaitement réglée; l'un charmait les regards par ses peintures; mais l'autre commande le respect par le spectacle varié des vertus qui s'y pratiquent et des actes de sainteté qui s'y accomplissent. La sainteté doit être l'ornement de la maison de Dieu (Ps 93,5), qui se complaît bien plus dans des moeurs régulières que dans les pierres les mieux polies, et préfère beaucoup des coeurs purs (a) à des murailles dorées. Ce n'est pourtant pas que tout ornement extérieur soit banni de ce temple, mais ceux qu'on y voit ne consistent pas en pierres précieuses, ce sont des armures, et au lieu d'antiques couronnes d'or les murs sont recouverts de boucliers; partout, dans cette demeure, les mors, les selles et les lances ont pris la place des candélabres, des encensoirs et des burettes; toutes preuves évidentes que ces soldats sont animés pour la maison de Dieu, du même zèle dont se sentit si violemment enflammé leur premier. Maître lui-même lorsque, armant jadis sa main sacrée, non d'un glaive, mais d'un fouet qu'il avait composé de petites cordes, il entra dans le temple, en chassa les marchands, y jeta à terre l'argent des changeurs et y renversa les sièges de ceux qui y vendaient des colombes, trouvant tout à fait indigne que la maison de prière fût souillée par la présence de tous ces trafiquants (Jn 2,15). A l'exemple de son chef, cette armée dévouée jugeant qu'il est bien plus indigne et bien plus intolérable encore de voir les saints lieux profanés par la présence des infidèles que par celle des marchands, a fixé sa propre demeure dans le lieu saint avec ses chevaux et ses armes, et, après avoir éloigné ainsi que de tous les autres lieux saints les infidèles dont la présence les souillait et la rage les tyrannisait, ils s'y livrent maintenant, le jour et la nuit, à des occupations aussi honnêtes qu'utiles. Ils honorent à l'envi le temple de Dieu par un culte plein de zèle et de vérité, et ils y immolent avec une inépuisable dévotion, non pas des victimes semblables à celles de la loi ancienne, mais de vraies victimes pacifiques, qui sont la charité fraternelle, une obéissance absolue et la pauvreté volontaire.
6010 10. Pendant que ces choses se passent à Jérusalem, l'univers entier sort de sa léthargie, les îles écoutent, les peuples les plus lointains prêtent l'oreille, l'Orient et l'Occident bouillonnent, la gloire des nations déborde comme un torrent, on dirait le fleuve au cours impétueux qui réjouit la cité de Dieu. Mais ce qu'il y a de plus consolant et de plus avantageux, c'est que la plupart de ceux qu'on voit, de tous les pays, accourir chez les Templiers, étaient auparavant des scélérats et des impies, des ravisseurs et des sacrilèges; des homicides, des parjures et des adultères, tous hommes dont la conversion produit un double bien et par conséquent cause une double joie; en effet pendant que, d'un côté, par leur départ, ils font la joie et le bonheur de leur propre pays, qu'ils

a Telle est la leçon du manuscrit de la Colbertine; les autres présentent en cet endroit une légère variante.

cessent d'opprimer; de l'autre, ils remplissent d'allégresse, par leur arrivée, ceux à qui ils courent se réunir, et les contrées qu'ils vont couvrir de leur protection. Ainsi en même temps que l'Egypte se réjouit de leur départ, la montagne de Sion est également dans le bonheur

et les filles de Juda se félicitent de leur protection: l'une est heureuse de ne plus se sentir sous leur bras oppressif et l'autre se félicite de voir son salut entre leurs mains. Tandis que la première voit avec satisfaction s'éloigner d'elle ceux qui la dévastaient cruellement, la seconde accueille en eux, avec empressement, ses plus fidèles défenseurs, de sorte que ce que l'une perd pour son plus grand bonheur tourne à la plus grande consolation de l'autre. Voilà comment le Christ sait se venger de ses ennemis; non-seulement il triomphe d'eux mais il se sert d'eux pour s'assurer un triomphe d'autant plus glorieux qu'il réclame une plus grande puissance. Quel plaisir et quel bonheur, de voir d'anciens oppresseurs se changer en protecteurs, et celui qui de Saul persécuteur sut faire un Paul prédicateur de l'Evangile (
Ac 10,15), changer ses ennemis en soldats de sa cause! Aussi ne suis-je point étonné que la cour céleste, comme l'affirme le Sauveur lui-même, ressente plus de joie de la conversion d'un pécheur qui fait pénitence que la persévérance de plusieurs justes qui n'ont pas besoin de pénitence, puisque la conversion d'un pécheur et d'un méchant est la source de biens plus grands que les maux dont son premier genre de vie avait été la cause.
6011 11. Salut donc, sainte Cité, dont le Très-Haut s'est fait à lui-même ns un tabernacle, toi, en qui et par qui une telle génération d'hommes fut sauvée. Salut, Cité du grand Roi, où depuis les temps les plus recalés, le monde n'a presque jamais cessé de voir se produire de nouvelles et consolantes merveilles. Salut, Maîtresse des nations, Princesse des provinces, Héritage des Patriarches, Mère des Prophètes et des Apôtres, Point de départ de notre foi, Gloire du peuple chrétien; Dieu a permis que dès le principe tu fusses presque constamment assaillie par tes ennemis, afin que les braves trouvassent, à te défendre, une occasion, non-seulement de montrer leur courage, mais encore de sauver leurs âmes. Salut, terre de la promesse, où jadis le lait et le miel ne coulaient que pour ceux-là seuls qui habitaient dans ton sein, qui maintenant encore prodigues des remèdes de salut et des aliments de vie à l'univers entier. Salut, dis-je, terre bonne, excellente, toi qui as reçu dans ton sein d'une extrême fécondité, une céleste semence de l'Arche du coeur du Père de famille; tu as donné d'abord une moisson de martyrs et tu n'as point laissé ensuite, du reste des fidèles, de faire produire à ton sol fertile jusqu'à trente, soixante et même cent pour un sur la face de la terre entière. Aussi tous ceux qui ont eu le bonheur de se rassasier de tes innombrables douceurs et de s'engraisser de ton opulence, s'en vont proclamant partout le souvenir de ton abondance et de tes délices, racontant jusqu'au bout du monde, à tous ceux qui ne t'ont pas vue, ta gloire, ta magnificence et toutes les merveilles que tu renfermes dans ton sein. On rapporte de toi, ô Cité de Dieu, des choses glorieuses (Ps 86,3). Mais il est temps que moi aussi je redise à ta louange et à la gloire de ton nom quelques-unes des délices dont tu es remplie.



CHAPITRE VI. Bethléem.

6012 12. Arrêtons-nous avant tout pour la réfection des âmes saintes à Bethléem, la maison du pain, où apparut pour la première fois, quand une vierge le mit au jour, le Pain vivant descendu du ciel. On y montre encore aux pieuses bêtes, la crèche et dans la crèche, le foin du pré virginal, que le boeuf et l'âne ne peuvent manger sans reconnaître, l'un de son maître, et l'antre son seigneur. «Toute chair n'est que de l'herbe F et toute sa gloire est comme la fleur de l'herbe des champs (Is 40,6). «Or parce que l'homme n'a pas compris le rang honorable où il a été créé, il s'est vu comparé aux bêtes qui n'ont point de raison, et leur est même devenu semblable; le Verbe qui est le pain des Anges, s'est fait le pain des bêtes, afin que l'homme qui avait perdu l'habitude de se nourrir du pain de la parole, eût le foin de la chair à ruminer, jusqu'à ce que, rendu par l'Homme-Dieu à sa première dignité, et, de bête redevenu homme, il pût dire avec saint Paul: «Si nous avons connu Jésus-Christ selon la chair, nous ne le connaissons plus maintenant de cette sorte (2Co 5,16).» Ce que nul, je crois, ne peut dire avec vérité, s'il n'a pas d'abord entendu avec Pierre ces mots sortis de la bouche de la Vérité même;» Les paroles que je vous ai dites sont esprit et vie, la chair ne sert de rien pour les entendre (Jn 6,64).» D'ailleurs celui qui trouve la vie dans les paroles du Christ ne cherche plus la chair; il est de ces bienheureux qui n'ont pas vu et qui ont cru(Jn 20,29). Le lait n'est nécessaire qu'aux enfants et le foin ne l'est qu'aux bêtes; mais celui qui ne pèche plus dans ses paroles est un homme parfait et peut supporter une nourriture tout à fait solide; si c'est encore à la sueur de son front qu'il mange le pain de la parole, du moins le mange-t-il sans pécher. Il ne parle de la sagesse de Dieu, en toute sécurité et sans crainte de donner du scandale, qu'en présence des parfaits, et ne propose les choses spirituelles qu'aux spirituels; mais se trouve-t-il parmi les enfants et les bêtes, il a soin de se proportionner à leur intelligence et ne leur propose que Jésus-Christ, mais Jésus-Christ crucifié. Ce n'en est pas moins le même aliment des célestes pâturages que la bête rumine avec; douceur et dont l'homme fait sa nourriture; il fortifie l'homme fait, et donne des forces à l'enfant.



CHAPITRE VII. Nazareth.

6013 13. Je vois aussi Nazareth, c'est-à-dire la fleur, Nazareth où l'enfant Dieu, qui naquit à Bethléem, fut nourri comme le fruit dans la fleur. Ainsi le parfum de la fleur a précédé le goût du fruit qui a humecté de sa sainte liqueur la bouche des apôtres, après avoir flatté, de son arôme, l'odorat des prophètes, et qui fournit aux chrétiens un aliment substantiel et fortifiant, après que les Juifs se furent contentés d'en respirer à peine l'odeur. Pourtant Nathanaël avait senti le parfum de cette fleur qui répand une odeur plus suave que tous les aromates, c'est ce qui lui faisait dire: «Peut-il sortir quelque chose de bon de Nazareth (Jn 1,46)?» Mais au lieu de se contenter de sentir cette délicieuse odeur, il suivit Philippe qui lui avait répondu: «Venez et voyez.» Bien plus comme enivré des suaves parfums dont il se sent pénétré, et, de plus en plus pressé du désir de goûter au fruit à mesure qu'il en aspire la bonne odeur, il se laisse guider par elle et se hâte d'arriver jusqu'au fruit qui l'exhale, car il brûle de sentir tout à fait ce qu'il n'a senti qu'à peine, et de savourer de près ce qui ne l'a embaumé que de loin. Mais rappelons-nous aussi ce que sentait Isaac; peut-être n'est-ce point sans rapport avec notre sujet, voici ce qu'en dit l'Écriture: «Dès qu'il eut senti la bonne odeur qui sortait de ses habits, - c'est-à-dire des habits de Jacob, - il s'écria: L'odeur qui sort des habits de mon fils est semblable à celle d'un champ que le Seigneur a comblé de bénédictions (Gn 27,27).» Il a senti la bonne odeur qui s'exhalait de ses vêtements, mais il n'a pas reconnu quel était celui qui les portait, tant il est vrai que le charme qu'il ressentait, ne venait que du dehors , c'est-à-dire du vêtement de Jacob comme d'une fleur, non pas de l'intérieur comme d'un fruit dont il aurait savouré la douceur, puisqu'il ignorait même lequel de ses deux enfants était élu et le sens de ce mystère. Qu'est-ce à dire? C'est que le vêtement n'est autre que l'esprit, tandis que la lettre est la chair même du Verbe. Mais aujourd'hui même le Juif ne reconnaît ni le Verbe dans la chair ni la divinité dans l'homme, ni même le sens spirituel caché sous la lettre. Ne touchant au dehors que la peau du chevreau qui était la figure d'un plus grand, c'est-à-dire du premier et antique pécheur, il ne peut arriver à la pure vérité. Si celui qui est venu, non pour faire le péché mais pour l'effacer, s'est manifesté sinon dans une chair de péché, du moins dans une chair semblable à celle qui est sujette au péché, il nous en a lui-même donné la raison en nous disant: «C'est afin que ceux qui ne voient point voient, et que ceux qui voient deviennent aveugles (Jn 9,39).» Trompé par cette ressemblance, le Prophète encore aveugle de nos jours, continue à bénir celui qu'il ne connaît pas, puisqu'il ne reconnaît point à ses miracles celui dont lui parlent ses livres, ni à sa résurrection celui qu'il a touché de ses propres mains quand il l'a chargé de liens, flagellé et souffleté; s'ils l'avaient connu, Jamais ils n'auraient crucifié le Seigneur de la gloire (1Co 2,8).» Disons quelques mots de la plupart des lieux saints ou du moins admirons-en les plus fameux si nous ne pouvons les citer tous.




CHAPITRE VIII. Le mont des Oliviers et la vallée de Josaphat.

6014 14. Montons sur le mont des Oliviers et descendons ensuite dans la vallée de Josaphat, afin de tempérer la pensée des trésors de la Miséricorde divine par la crainte du jugement dernier; car si Dieu est plein de miséricorde pour pardonner, ses jugements n'en sont pas moins un abîme de terreur pour les enfants des hommes. Si David parle de la montagne des Oliviers, quand il dit: «Seigneur, vous sauverez les hommes et les bêtes selon l'abondance de votre infinie miséricorde (Ps 35,7),» il fait allusion dans le même psaume à la vallée du jugement dernier, quand il dit: «Que le pied du superbe qui me poursuit ne vienne point jusqu'à moi, et que la main du pécheur ne réussisse point à m'ébranler (Ps 35,12).» Il nous fait assez connaître la terreur que lui inspire la pensée des gouffres de cette vallée, quand il s'écrie ailleurs, au milieu de sa prière: «Seigneur, pénétrez ma chair de votre crainte, vos jugements me remplissent de frayeur (Ps 118,120).» L'orgueilleux est précipité dans cette vallée et s'y brise; l'humble y descend et ne court aucun danger. L'orgueilleux excuse son péché, l'humble au contraire le confesse, parce qu'il sait bien que Dieu ne juge pas une seconde fois celui qui est jugé, et que si nous nous jugeons nous-mêmes, nous ne serons pas jugés (1Co 11,31).
6015 15. Mais l'orgueilleux, oubliant combien il est horrible de tomber entre les mains du Dieu vivant, se laisse facilement aller à des paroles de malice et ne songe qu'à chercher des excuses à ses péchés. C'est en effet une malice bien grande que de n'avoir pas même pitié de toi, ô orgueilleux, et de repousser loin de toi; après ta faute, ce qui peut seul en être le remède, c'est-à-dire la confession de ta faute; d'aimer mieux renfermer des tisons allumés dans ton sein que de les rejeter loin de toi et de ne tenir aucun compte de ce conseil du Sage: «Aie pitié de ton âme en te rendant agréable à Dieu ().» D'ailleurs pour qui est bon celui qui n'est pas bon pour lui-même? C'est maintenant que le monde est jugé et maintenant aussi que le prince de ce monde doit être chassé dehors, c'est-à-dire hors de ton coeur, pourvu que tu t'humilies et que tu te juges toi-même. Le jugement du Seigneur se fera quand le ciel lui-même sera appelé d'en haut par Dieu et la terre appelée d'en bas, pour faire en leur présence le discernement de son peuple. C'est alors que tu auras lieu de craindre d'être précipité avec Satan et ses anges, s'il se trouve que tu n'as pas encore été jugé. Quant à l'homme spirituel, comme il juge tout, il n'est lui-même jugé par personne (1Co 2,14). Voilà donc pourquoi le jugement commence à se faire dans la maison même de Dieu; de cette manière, le juge, quand il viendra, trouvera les siens, ceux qu'il tonnait pour lui appartenir, déjà jugés; il n'aura plus besoin de les juger puisqu'il ne doit juger que ceux qui ne participent point aux travaux ni aux fatigues des hommes, et n'éprouvent point les fléaux auxquels les autres hommes sont exposés (Ps 72,5).



CHAPITRE IX. Le Jourdain.

6016 16. Quelle joie pour le Jourdain qui se glorifie d'avoir été consacré par le baptême de Jésus-Christ, de recevoir les chrétiens dans ses eaux! Il avait bien tort ce Syrien frappé de la lèpre (2R 5,12), qui préférait aux fleures d'Israël, à qui il laissa un passage à pied sec (2R 2,8 et Jos 3). Après tout, où trouver un fleuve plus illustre que celui-là et comme lui consacré par une sorte de présence sensible de la Trinité? Car sur ses bords la voix du Père se fit entendre, le Saint-Esprit se fit apercevoir et le Fils fut baptisé? C'est donc avec raison que sur l'ordre même de Jésus-Christ, tout le peuple fidèle éprouve maintenant dans son âme, la vertu de ses eaux dont Naaman, sur le conseil du Prophète, fit l'expérience dans sa propre chair (2R 5).



CHAPITRE X. Le Calvaire.

6017 17. Allons aussi sur le Calvaire où le véritable Elisée, dont ont ri des enfants insensés (2R 2,17), donna un rire éternel à ceux dont il a dit: «Me Voici, moi et les enfants que le Seigneur m'a donnés (Is 8,18).» O vertueux enfants, tandis que les premiers ne savaient que bafouer le Prophète; le Psalmiste excite les seconds à chanter les louanges de Dieu en leur disant: «Louez le Seigneur, vous qui êtes ses enfants, louez le nom du Seigneur (Ps 112,1),» afin que dans la bouche de ces vertueux enfants se trouve la louange du Très-Haut qu'avaient cessé de faire entendre les odieux enfants dont il se plaint en ces termes: «J'ai nourri des enfants et les ai élevés, et après cela ils m'ont méprisé (Is 1,2).» Notre chauve est monté sur la croix et s'est exposé aux regards du inonde pour sauver le mondé; rien ne voilait sa face, rien ne couvrait son front pendant qu'il expiait nos péchés; il n'a P pas plus reculé devant l'ignominie que devant les supplices d'une mort honteuse et terrible, pour nous arracher à des supplices éternels et nous rendre à la gloire. Pourquoi nous en étonner, et pourquoi aurait-il éprouvé de la confusion, puisqu'il n'a pas lavé nos souillures comme l'eau qui les délaye et s'en charge elle-même, mais comme les rayons du soleil qui les dessèchent et demeurent toujours purs? car la sagesse de Dieu atteint partout, à cause de sa pureté.



CHAPITRE XI. Le Sépulcre.

6018 18. De tous les lieux saints, celui qui tient la première place en quelque sorte, qu'on désire le plus voir et où l'on ressent je ne sais quel redoublement de piété, c'est celui où le Christ reposa après sa mort plutôt que ceux où il vécut. La pensée de sa mort plus encore que celle de sa vie réveille notre piété. Je pense que cela vient de ce que l'une paraît plus austère et l'autre plus douce et que le repos et la sécurité de la mort sourient plus à la faiblesse humaine que les fatigues et la rectitude de la vie. La vie du Christ m'indique de quelle manière je dois vivre, sa mort, au contraire, me rachète de la mort; l'une règle ma vie, l'autre est le rachat de la mort. Sa vie fut laborieuse sans doute, mais sa mort est précieuse, sans que l'une toutefois ait été moins nécessaire que l'autre. En effet, à quoi aurait servi la mort du Christ à celui qui vit mal, et sa vie à celui qui meurt en damné? Est-ce que la mort du Sauveur peut, de nos jours, sauver de la mort éternelle ceux qui vivent dans le mal jusqu'à la mort, ou sa sainte vie a-t-elle pu sauver les saints Pères qui sont morts avant sa venue, selon ces paroles: «Quel homme pourra vivre sans mourir un jour et qui pourra soustraire son âme à la puissance de l'enfer (Ps 88,49)? Mais comme il nous est également nécessaire de vivre saintement et de mourir en pleine sécurité, il est venu par sa vie nous apprendre à vivre, et, par sa mort, rendre la sécurité à la nôtre; il est mort pour ressusciter et nous a ainsi donné l'espérance de ressusciter aussi après notre mort. A ces deux bienfaits il en ajouta même un troisième, sans lequel les deux autres ne pouvaient nous servir: il a effacé nos péchés. En effet, ne fussions-nous souillés que du seul péché originel, à quoi nous servirait, par rapport à la vraie et suprême félicité, la vie la plus sainte et la plus longue qui se puisse voir? Dès que le péché est entré dans notre âme il faut que la mort le suive; si l'homme ne l'avait point commis, il n'aurait jamais connu la mort.
6019 19. C'est donc par le péché qu'il a perdu la vie et mérité la mort Dieu le lui avait prédit, et il était juste par conséquent qu'il mourût s'il péchait; est-il, en effet, rien de plus juste que la peine du talion? De même que l'âme est la vie du corps, Dieu est la vie de l'âme; en péchant volontairement il a perdu volontairement la vie, mais c'est bien contre son gré qu'il a perdu en même temps le pouvoir d'entretenir même la vie. Il a spontanément repoussé la vie quand il n'a plus voulu vivre, il ne pourra plus désormais la donner à qui que ce soit quand même il le voudrait. L'âme n'a plus voulu être gouvernée par Dieu, elle ne pourra plus désormais gouverner elle-même son corps; si elle ne veut pas se soumettre à son supérieur, pourquoi son esclave lui obéirait-il? Le Créateur a trouvé la créature rebelle à ses volontés, n'est-il pas juste que la créature trouve sa servante révoltée contre elle? L'homme a transgressé la loi de Dieu, il doit trouver maintenant dans ses membres une loi qui se trouve en révolte ouverte contre celle de l'esprit et qui la captive elle-même sous la loi du péché. Or, il est dit (Is 59) que le péché élève une séparation entre Dieu et nous, il s'ensuit que la mort, à sou tour, met aussi une séparation entre notre corps et nous. C'est le péché qui a séparé notre âme de Dieu, de même la mort la sépare de son corps. En quoi donc la vengeance est-elle plus sévère que la faute, puisque l'âme ne souffre de son esclave que ce qu'elle s'est permis la première de faire souffrir à son auteur? Pour moi je ne trouve rien de plus juste que la mort engendre la mort, que la mort de l'esprit entraîne celle du corps, la mort du péché celle du châtiment, la mort qui est née de. notre volonté celle qui s'impose à notre volonté.
6020 20. L'homme donc se trouvant condamné à une double mort dans sa double nature, l'une spirituelle et volontaire, l'autre corporelle et forcée: l'Homme-Dieu a remédié à l'une et à l'autre avec autant de bonté s que d'efficacité par sa mort corporelle et volontaire, et, en mourant une fois, il a tué nos deux morts. Il ne pouvait en être autrement; car nos deux morts étant le fruit de notre péché et le payement de notre dette, le Christ, en prenant sur lui notre dette, sans participer à notre péché, nous a rendu en même temps, par sa mort volontaire et corporelle, la vie et la justice. S'il n'avait pas souffert corporellement, il n'aurait point acquitté notre dette; et si sa mort n'avait point été volontaire, elle n'aurait eu aucun mérite. D'où il suit, s'il est vrai, comme il est dit, que la mort est la dette en même temps que la peine du péché que le Christ, en effaçant le péché et en mourant pour les pécheurs, a acquitté notre dette et subi notre peine.
6021 21. Mais d'où vient au Christ le pouvoir de remettre les péchés? Sans doute de ce qu'il est Dieu et qu'il peut tout ce qu'il veut. Mais à quoi reconnaissons-nous sa divinité? C'est à ses miracles; car il are` fait des choses que nul autre que lui ne peut faire; sans parler des oracles des prophètes et du témoignage que son Père lui a rendu du haut e du ciel, au milieu de sa glorieuse transfiguration. Si nous avons Dieu pour nous, qui sera contre nous? Si Dieu même nous justifie qui est-ce qui nous condamnera? Si ce n'est qu'à lui que nous disons tous les jours: «J'ai péché contre vous, Seigneur (Ps 50,5),» qui mieux que lui ou plutôt quel autre que lui peut nous remettre le péché que nous avons fait contre lui? Ou bien comment ne le pourrait-il pas, lui qui peut tout? Après tout je puis, si bon me semble, pardonner les fautes qu'on a à se reprocher à mon égard, pourquoi Dieu ne pourrait-il en faire autant? Si donc le Tout-Puissant peut, mais peut seul remettre les péchés commis contre lui, on doit proclamer bien heureux celui à qui il n'impute point son péché. Quoi qu'il en soit, c'est donc en vertu de sa divinité que le Christ a pu nous remettre nos péchés.
6022 22. L'a-t-il voulu? qui peut en douter? Comment croire que celui qui a voulu se revêtir de notre chair et subir la mort pour nous, nous refusera sa justice? Après s'être incarné parce qu'il l'a voulu, avoir été ci crucifié parce qu'il l'a voulu, n'y a-t-il que sa justice qu'il ne voudra point nous communiquer? or il est certain qu'il a voulu en tant qu'homme ce qu'il a pu en tant que Dieu. Mais qui nous a dit qu'il a fait mourir la mort? Nous le savons par cela seul qu'il a voulu la souffrir bien qu'il ne l'eût pas méritée. En effet à quel titre réclamera-t-on de nous le payement d'une dette qu'il a acquittée pour nous? Celui qui a effacé la dette du péché en nous donnant sa justice, a acquitté en même temps la dette de la mort et nous a rendu la vie, car la vie reparaît à la mort de la mort, de même que la justice revit là ou le péché disparaît. Or la mort est mise en fuite par la mort du Christ, d'où il suit que sa justice nous est imputée. Mais comment un Dieu a-t-il pu mourir? parce qu'il était homme. Et comment la mort de cet homme peut-elle profiter aux autres hommes? c'est parce qu'il était juste. Il est bien certain qu'étant homme il a pu mourir, et qu'étant juste il est mort sans avoir mérité de mourir. Un pécheur ne saurait mourir pour un autre, puisqu'il est d'abord obligé de mourir pour lui-même; mais celui qui n'a point à mourir pour soi, mourra-t-il inutilement pour les autres? Non, et plus la mort de celui qui n'a point mérité de mourir est injuste, plus il est juste que celui pour lequel il meurt, vive.
6023 23. Mais, direz-vous, où est la justice quand un innocent meurt pour un coupable? Je vous répondrai: II n'y a pas là justice mais miséricorde; s'il y avait justice, c'est qu'il ne mourrait pas pour rien, mais pour acquitter sa dette; or s'il mourait parce qu'il doit mourir, il mourrait effectivement, et celui pour qui il mourrait n'en vivrait pas plus pour cela. Mais s'il n'y a pas justice, du moins il n'y a pas non plus injustice qu'il meure, autrement il ne pourrait jamais être en même temps juste et miséricordieux. Mais s'il n'y a rien d'injuste à ce qu'un innocent satisfasse pour un coupable, comment un seul pourra-t-il le faire pour plusieurs? Il semble que la justice exige que s'il n'y a qu'un seul qui meure il meure pour un seul. A cela l'Apôtre répond: «De même que c'est par le péché d'un seul que tous les hommes sont tombés dans la condamnation, ainsi c'est par la justice d'un seul que tous les hommes reçoivent la justification et la vie; car comme plusieurs sont devenus pécheurs par la désobéissance d'un seul, ainsi plusieurs seront rendus justes par l'obéissance d'un seul (Rm 5,19).» Mais si un seul a pu rendre la justice à plusieurs peut-être n'a-t-il pas pu leur rendre la vie. L'Apôtre répond: «Comme la mort est tenue par un homme, la résurrection des morts doit venir également par un homme, et si tous meurent en Adam, tous aussi revivront en Jésus-Christ (1Co 15,22).» En effet, quand un seul a péché, et que tous sont réputés pécheurs, pourquoi la justice d'un seul ne serait-elle imputée qu'à lui? Le péché d'un seul aurait causé la mort de tous, et la justice d'un seul ne rendrait la vie qu'à un? La justice de Dieu tendrait donc plus à condamner qu'à absoudre? Ou faut-il croire qu'Adam fut plus puissant pour le mal que le Christ pour le bien? Ou m'imputera la faute d'Adam et la justice du Christ ne me sera comptée pour rien? L'un aura pu me perdre par sa désobéissance et l'autre ne pourra me sauver par son obéissance?
6024 24. Vous me direz sans doute qu'il est juste que le péché d'Adam passe en nous tous, puisque nous avons tous péché en lui, attendu que, lorsqu'il a péché, nous étions tous en lui et que c'est de lui que nous descendons par la concupiscence de la chair. Mais nous descendons encore bien plus directement de Dieu selon l'esprit que d'Adam selon la chair; car selon l'esprit nous étions en Jésus-Christ bien avant que nous fassions en Adam parla chair, si pourtant nous pouvons nous flatter d'être de ceux dont l'Apôtre voulait parler quand il disait: «Il (c'est-à-dire Dieu le Père) nous a élus en lui, - en son Fils, - avant la création du monde (Ep 12).» Pour ce qui est d'être nés de Dieu même, l'Evangéliste saint Jean ne nous permet pas d'en douter quand il dit: «Ils ne sont pas nés du sang, ni de la volonté de la chair, ni de la volonté de l'homme, mais de Dieu même (Jn 1,12),» et ailleurs (1Jn 3,8): «Celui qui est né de Dieu ne pèche pas, parce que son origine céleste le conserve.» Mais, reprenez-vous, la concupiscence de la chair montre assez que nous sommes nés de la chair, et le péché o que nous sentons dans la chair prouve jusqu'à l'évidence que selon la chair nous descendons d'un pécheur. Cela n'empêche pas que leur génération spirituelle ne soit sentie, sinon dans la chair, du moins dans le coeur, par ceux qui peuvent dire avec saint Paul: «Pour nous, nous avons l'esprit de Jésus-Christ (1Co 2,16),» dans lequel ils ont fait tant de progrès qu'ils peuvent ajouter en toute confiance: «L'Esprit de Dieu même rend témoignage à notre esprit que nous sommes ses enfants (Rm 8,16),» et encore: «Nous n'avons point reçu l'esprit du monde, mais l'Esprit dé Dieu, afin que nous connaissions les dons que Dieu nous a faits (1Co 2,12).» L'Esprit de Dieu a donc répandu la charité dans nos coeurs, de même que notre origine charnelle d'Adam a fait couler la concupiscence dans nos membres, et de même que celle-ci, qui a sa source dans le père de nos corps, se retrouve en toute chair mortelle en cette vie; ainsi celle-là, qui vient du Père des esprits, n'est jamais absente du coeur des enfants parfaits de Dieu.
6025 25. Mais si nous sommes nés de Dieu et choisis en Jésus-Christ, où serait la justice que notre origine humaine et terrestre l'emportât sur notre origine céleste et divine, que notre héritage charnel prévalût sur l'élection de Dieu, et que la concupiscence de la,chair, qui nous vient d'une source temporelle, prescrivit contre ses éternels desseins? Ou plutôt, si la mort a pu venir jusqu'à nous par le fait d'un homme, pourquoi la vie n'y viendrait-elle pas à plus forte raison également par un homme, et surtout par un tel homme? Pourquoi enfin, si nous mourons tous en Adam, ne serions-nous pas plus sûrement vivifiés en Jésus-Christ? «Enfin, s'il n'en est pas de la grâce de Dieu comme du mal arrivé par un seul homme qui a péché, car nous avons été condamnés au jugement de Dieu pour un seul péché, au lieu que nous sommes justifiés, par la grâce de Jésus-Christ, après plusieurs péchés (Rm 5,15).» Le Christ a donc pu nous remettre nos péchés parce qu'il est Dieu; mourir, puisqu'il est homme, et payer, en mourant, notre dette à la mort, parce qu'il est juste. Et, d'un autre côté, la vie et la justice d'un seul out pu suffire à tout par la même raison que le péché et la mort ont pu passer d'un seul homme dans tous les hommes.
6026 26. Mais ce n'est pas sans nécessité que l'Homme-Dieu retarda sa mort et vécut pendant quelque temps parmi les hommes; c'était pour les exciter aux choses invisibles par de nombreux entretiens où il leur faisait entendre les paroles de la vérité, pour établir la foi dans leur âme par la vue de ses couvres merveilleuses et pour les former à la vertu, par l'exemple de sa conduite. L'Homme-Dieu a donc mené sous nos yeux une vie de tempérance, de justice et de piété, enseigné la vérité, opéré des merveilles, souffert des tourments qu'il n'avait pas mérités, aussi que nous a-t-il manqué pour le salut de ce côté? Si à cela s'ajoute la rémission de nos péchés, je veux dire une rémission gratuite, il est évident que l'oeuvre de notre salut est complète. Il n'y a pas à craindre que pour remettre ainsi nos péchés la puissance ou la volonté manquent à Dieu et surtout à un Dieu qui a souffert et tant souffert pour les pécheurs, pourvu qu'il nous trouve disposés à imiter, comme il est juste, les exemples qu'il nous a donnés, à respecter les miracles qu'il a faits, à croire à sa doctrine et à lui témoigner notre reconnaissance pour tout ce qu'il a souffert.
6027 27. Ainsi, en Jésus-Christ, tout nous a servi, tout a été salutaire pour ne nous, tout nous fut nécessaire, et sa faiblesse ne nous a pas été moins a utile que sa grandeur; car si la vertu de sa divinité a écarté le joug du péché qui pesait sur nos têtes, c'est la faiblesse de la chair qui lui permit, par sa mort, de rompre la puissance de la mort. C'est ce qui faisait dire avec tant de raison à l'Apôtre: «Ce qui paraît une faiblesse en Dieu est une force plus grande que celle de tous les hommes (1Co 1,25).» Et cette folie par laquelle il lui a plu de sauver le monde, afin de confondre en même temps la sagesse et les sages du monde, quand, par exemple, tout Dieu et tout égal à Dieu qu'il fût formellement, il s'asa baissa jusqu'à prendre la forme d'un esclave; tout riche, grand, élevé et puissant qu'il fût, il se fit pour nous, pauvre, petit, humble et faible; quand il eut faim et soif, quand il ressentit la fatigue des voyages et le reste, non parce qu'il y était contraint, mais parce qu'il l'a bien voulu, cette espèce de folie de sa part, ne fut-elle point pour nous la voie de la sagesse, la forme de la justice et l'exemple de la sainteté? Voilà pourquoi encore le même Apôtre a dit aussi: «Ce qui semble en Dieu de la folie, est plus sage que toute la sagesse des hommes (1Co 1,25).» C'est dont la mort qui nous a sauvés de la mort, c'est la vie qui nous a au tirés de l'erreur, c'est la grâce qui nous a délivrés du péché. Or c'est par sa justice que la mort a remporté la victoire; car en payant une et dette qu'il n'avait point contractée, le juste a acquis le droit de reprendre ce qu'il avait perdu. Quant à la vie, elle a accompli ce qui la du concerne, par la sagesse qui est pour nous le miroir et la leçon de la vie et de la morale; et pour ce qui est de la grâce, elle a effacé nos péchés, comme je l'ai déjà dit, par la vertu de cette puissance qui fait tout ce qu'il lui plaît. Ainsi la mort du Christ fut la mort de notre mort, puisqu'il n'est mort que pour nous assurer la vie. Comment en effet pourrait ne pas vivre celui pour qui la Vie même est morte? Qui pourra faire fausse route dans les voies de la morale, ou dans les sentiers de la foi, s'il est guidé par la Sagesse elle-même? Et enfin, qui pourra voir un coupable en celui que la justice par excellence a absous? Or Jésus-Christ lui-même, dans son Evangile, se présente comme étant la vie, en disant: «Je suis la vie (Jn 14,6).» Pour les deux autres titres, l'Apôtre les lui attribue en ces termes: «Il nous a été donné de Dieu le Père pour être notre sagesse et notre justice (1Co 1,30).»
6028 28. Mais si la loi de l'Esprit de vie nous a tous délivrés, en Jésus-Christ, de la loi de la mort et du péché, comment se fait-il que nous s sommes encore sujets à la mort au lieu d'être, dès maintenant, revêtus d'immortalité? Ce ne peut être que pour que la vérité de Dieu; soit accomplie, car Dieu n'aime pas moins la vérité que la miséricorde; il faut donc que l'homme meure, puisque Dieu a dit qu'il mourra, mais il ressuscitera afin qu'on voie que Dieu n'a point oublié la miséricorde. Ainsi quoique la mort n'ait plus sur nous un empire éternel, elle en exerce encore un dans le temps, afin que la parole de Dieu s'accomplisse. Il en est de même du péché; quoiqu'il ne règne plus en maître, dans notre corps mortel, cependant il n'en est pas entièrement banni; c'est ce qui fait que saint Paul, loin de se glorifier d'être complètement délivré de la loi du péché et de la mort, se plaint, au contraire, d'être encore, en quelque chose, sous leur empire, quand il s'écrie, en parlant du péché: «Je sens une autre loi dans mes membres, etc. (Rm 7,23),» et qu'il gémit du poids qui l'accable encore; certainement il veut parler de la loi de la mort quand il dit qu'il attend la rédemption de son corps (2Co 5,2).
6029 29. Ces pensées et beaucoup d'autres du même genre que chacun peut avoir en pareille matière, naissent tout naturellement dans les âmes chrétiennes au souvenir du sépulcre de Jésus-Christ; mais je me là figure que l'âme de celui qui le contemple de ses propres yeux doit être touchée d'une bien douce émotion, et qu'il n'est pas indifférent de voir des yeux du corps la place où le Seigneur a reposé ses membres car, si son corps n'y est plus maintenant, il n'en est pas moins, pour nous, rempli d'heureux mystères, pour nous, dis-je, si toutefois nous tenons pour vrai avec autant d'amour que de foi ce que l'Apôtre nous dit en ces termes: «Nous avons été ensevelis avec lui par le baptême, pour mourir au péché, afin que, comme Jésus-Christ est ressuscité d'entre les morts, par la gloire de son Père, nous marchions, nous aussi, dans les sentiers d'une vie nouvelle. Car si nous avons été entés sur lui par la ressemblance de sa mort, nous le serons également par la ressemblance de sa résurrection. (Rm 6,2).» Quel bonheur pour ces pèlerins quand, après les fatigues sans nombre d'un long voyage, et une foule de périls auxquels ils se sont vus exposés sur terre et sur mer, il leur est enfin permis de se reposer là même où ils savent qu'a reposé le corps du Seigneur! Il me semble que, dans l'excès de leur joie, ils ne sentent plus la fatigue et ne comptent plus pour rien les frais du voyage; mais, comme s'ils avaient enfin obtenu la récompense de leurs peines et remporté le prix de la course, pour me servir des expressions mêmes des saintes Écritures, ils sont inondés de bonheur d'être arrivés au tombeau du Sauveur. Il ne faut pas croire que c'est par hasard, subitement et comme par suite d'une sorte d'engouement populaire que ce sépulcre est devenu si fameux, car Isaïe longtemps d'avance en a parlé ainsi dans ses prophéties: «En ce temps-là, le rejeton de Jessé sera exposé aux yeux de tous les peuples comme un signe de ralliement, et les nations viendront lui offrir leurs prières; son tombeau sera glorieux (Is 11,10).» L'oracle prophétique se vérifie maintenant, il est nouveau pour nous dans son accomplissement mais il est ancien dans les saintes Écritures, et si nous sommes heureux de le voir s'accomplir sous nos yeux, nous n'en avons que plus de respect pour son antiquité. Mais en voilà assez sur le tombeau du Sauveur.





Bernard aux Templiers 6009