Sales - vie dévote 302

302

CHAPITRE II - SUITE DU MESME DISCOURS DU CHOIX DES VERTUS


Saint Augustin dit excellemment (17) que ceux qui commencent en la devotion commettent certaines fautes, lesquelles sont blasmables selon la rigueur des lois de la perfection, et sont neanmoins loüables, pour le bon presage qu'elles donnent d'une future excellence de pieté, a laquelle mesme elles servent de disposition. Cette basse et grossiere crainte qui engendre les scrupules excessifz es ames de ceux qui sortent nouvellement du train des pechés, est une vertu recommandable en ce commencement, et presage certain d'une future pureté de conscience; mais cette mesme crainte seroit blasmable en ceux qui sont fort avancés, dedans le coeur desquelz doit regner l'amour, qui petit a petit chasse cette sorte de crainte servile.

Saint Bernard en ses commencemens (18) estoit plein de rigueur et d'aspreté envers ceux qui se rangeoyent sous sa conduite, ausquelz il annonçoit d'abord qu'il falloit quitter le cors et venir a luy avec le seul esprit. Oyant leurs confessions, il detestoit avec une severité extraordinaire toutes sortes de defautz, pour petitz qu'ilz fussent, et sollicitoit tellement ces pauvres apprentifz a la perfection, qu'a force de les y pousser il les en retiroit; car ilz perdoyent coeur et haleyne de se voir si instamment pressés en une montee si droitte et relevee. Voyes vous, Philothee, c'estoit le zele tres ardent d'une parfaitte pureté qui provoquoit ce grand Saint a cette sorte de methode, et ce zele estoit une grande vertu, mais vertu neanmoins qui ne laissoit pas d'estre reprehensible. Aussi Dieu mesme, par une sacree apparition, l'en corrigea, respandant en son ame un esprit doux, suave, amiable et tendre, par le moyen duquel s' estant rendu tout autre, il s'accusa grandement d'avoir esté si exacte et severe, et devint tellement gracieux et condescendant avec un chacun qu'il se fit tout a tous pour les gaigner tous(19).


Saint Hierosme ayant raconté que sainte Paule, sa chere fille, estoit non seulement excessive, mais opiniastre en l'exercice des mortifications corporelles, jusques a ne vouloir point ceder a l'advis contraire que saint Epiphane son Evesque luy avoit donné pour ce regard, et qu'outre cela, elle se laissoit tellement emporter au regret de la mort des siens, que tous-jours elle en estoit en danger de mourir, en fin il conclud en cette sorte(20): " On dira qu'en lieu d'escrire des loüanges pour cette Sainte, j'en escris des blasmes et vituperes. J'atteste Jesus auquel elle a servi et auquel je desire servir, que je ne mens ni d'un costé ni d'autre, ains produis naifvement ce qui est d'elle, comme Chrestien d'une Chrestienne; c'est a dire, j'en escris l'histoire, non pas un panegyrique, et que ses vices sont les vertus des autres. " Il veut dire que les deschetz et defautz de sainte Paule eussent tenu lieu de vertu en une ame moins parfaitte, comme a la verité il y a des actions qui sont estimees imperfections en ceux qui sont parfaitz, lesquelles seroyent neanmoins tenues pour grandes perfections en ceux qui sont imparfaitz. C'est bon signe en un malade quand au sortir de sa maladie les jambes luy enflent, car cela denote que la nature des-ja renforcee rejette les humeurs superflues; mays ce mesme signe seroit mauvais en celuy qui ne seroit pas malade, car il feroit connoistre que la nature n'a pas asses de force pour dissiper et resouldre les humeurs. Ma Philothee, il faut avoir bonne opinion de ceux esquelz nous voyons la prattique des vertus, quoy qu'avec imperfection, puisque les Saintz mesmes les ont souvent prattiquees en cette sorte; mays quant a nous, il nous faut avoir soin de nous y exercer, non seulement fidellement, mais prudemment, et a cet effect observer estroittement l'advis du Sage*, de ne point nous appuyer sur nostre propre prudence, ains sur celle de ceux que Dieu nous a donnés pour conducteurs.

Il y a certaines choses que plusieurs estiment vertus et qui ne le sont aucunement, desquelles il faut que je vous die un mot: ce sont les extases ou ravissemens, les insensibilités, impassibilités, unions deifiques, eslevations, transformations, et autres telles perfections desquelles certains livres traittent, qui promettent d'eslever l'ame jusqu'a la contemplation purement intellectuelle, a l'application essentielle de l'esprit et vie supereminente. Voyés-vous, Philothee, ces perfections ne sont pas vertus; ce sont plustost des recompenses que Dieu donne pour les vertus, ou bien encor plustost des eschantillons des felicités de la vie future , qui quelquefois sont presentés aux hommes pour leur faire desirer les pieces toutes entieres qui sont la haut en Paradis. Mais pour tout cela, il ne faut pas pretendre a telles graces, puisqu'elles ne sont nullement necessaires pour bien servir et aymer Dieu, qui doit estre nostre unique pretention; aussi, bien souvent ne sont-ce pas des graces qui puissent estre acquises par le travail et industrie, puisque ce sont plustost des passions que des actions, lesquelles nous pouvons recevoir, mais non pas faire en nous. J'adjouste que nous n'avons pas entrepris de nous rendre sinon gens de bien, gens de devotion, hommes pieux, femmes pieuses, c'est pourquoy il nous faut bien employer a cela; que s'il plait a Dieu de nous eslever jusques a ces perfections angeliques, nous serons aussi des bons anges, mais en attendant exerçons-nous simplement, humblement et devotement aux petites vertus, la conqueste desquelles Nostre Seigneur a exposee a nostre soin et travail: comme la patience, la debonnaireté, la mortification du coeur, l'humilité, l'obeissance, la pauvreté, la chasteté, la tendreté envers le prochain, le support de ses imperfections, la diligence et sainte ferveur (21).


Laissons volontier les sureminences aux ames sureslevees: nous ne meritons pas un rang si haut au service de Dieu; trop heureux serons-nous de le servir en sa cuisine, en sa paneterie, d'estre des laquais, portefaix, garçons de chambre; c'est a luy par apres, si bon luy semble, de nous retirer en son cabinet et conseil privé. Ouy, Philothee, car ce Roy de gloire ne recompense pas ses serviteurs selon la dignité des offices qu' ilz exercent, mais selon l'amour et humilité avec laquelle ilz les exercent. Saül, cherchant les asnes de son pere, treuva le royaume d'Israël (22); Rebecca, abbreuvant les chameaux d'Abraham, devint espouse de son filz (23); Ruth, glanant apres les moissonneurs de Boos et se couchant a ses pieds, fut tiree a son costé et rendue son espouse (24). Certes, les pretentions si hautes et eslevees des choses extraordinaires sont grandement sujettes aux illusions, tromperies et fausetés; et arrive quelquefois que ceux qui pensent estre des anges ne sont pas seulement bons hommes, et qu'en leur fait il y a plus de grandeur es paroles et termes dont ilz usent, qu'au sentiment et en l'oeuvre. Il ne faut pourtant rien mespriser ni censurer temerairement; mais en benissant Dieu de la sureminence des autres, arrestons-nous humblement en nostre voye, plus basse mais plus asseuree, moins excellente mais plus sortable a nostre insuffisance et petitesse, en laquelle si nous conversons humblement et fidellement, Dieu nous eslevera a des grandeurs bien grandes.


17. - Sermo 20 in Ps 118,1

18. - Vita Ia S.Bern., I,4 et 6 (Patrologia latina tom. 185)

19. - 1Co 9,22

20. - Liv I ch 24

21. 21- Variante: Avec la leçon correspondante du texte, le Ms. donne l' ébauche suivante de l'alinéa qu'on vient de lire:]

En fin, si vous me croyes, Philothee, vous vous employeres fort aux simples et petites vertus: a l'humilité, au mespris du monde et de vous mesme, au service des pauvres, des malades, en la patience, la debonnaireté, la pauvreté, l'obeissance, et choisirés tous-jours les offices bas, vilz et abjectz autant que vostre condition vous le permettra. Car, quant a ces nudités de coeur purement pures, [a ces] insensibilités, deiformités, unions deifiques, eslevations transformantes, impassibilités de coeur et telles autres [grandes] vertus, il les faut laisser... ce sont des vertus de l'autre monde: que s'il s'en treuve quelque eschantillon en cestui ci, ce n'est justement que pour en faire monstre, affin d'inciter nos coeurs a l'amour du siecle futur ou les pieces sont toutes entieres.

22. - 1R 9,10

23. - Gn 24,44

24. - Rt 2,4


303

CHAPITRE III - DE LA PATIENCE


Vous aves besoin de patience, affin que faysant la volonté de Dieu, vous en rapporties la promesse, dit l'Apostre (He 10,36). Ouy; car, comme avoit prononcé le Sauveur (Lc 21,19), en vostre patience vous possederes vos ames. C'est le grand bonheur de l'homme, Philothee, que de posseder son ame; et a mesure que la patience est plus parfaitte, nous possedons plus parfaittement nos ames. (27) Resouvenés vous souvent que Nostre Seigneur nous a sauvés en souffrant et endurant, et que de mesme, nous devons faire nostre salut par les souffrances et afflictions, endurans les injures, contradictions et desplaysirs avec le plus de douceur qu'il nous sera possible.

Ne bornés point vostre patience a telle ou telle sorte d'injures et d'afflictions, mais estendes-la universellement a toutes celles que Dieu vous envoyera et permettra vous arriver. Il y en a qui ne veulent souffrir sinon les tribulations qui sont honnorables, comme par exemple, d'estre blessés a la guerre, d'estre prisonniers de guerre, d'estre mal traittés pour la religion, de s'estre appauvris par quelque querelle en laquell ilz soyent demeurés maistres; et ceux-ci n 'ayment pas la tribulation, mais l'honneur qu'elle apporte. Le vray patient et serviteur de Dieu supporte egalement les tribulations conjointes a l'ignominie et celles qui sont honnorables. D'estre mesprisé, reprins et accusé par les meschans, ce n'est que douceur a un homme de courage; mais d'estre reprins, accusé et mal traitté par les gens de bien, par les amis, par les parens, c'est la ou il y va du bon. J'estime plus la douceur avec laquelle le grand saint Charles (28) Borromee souffrit longuement les reprehensions publiques qu'un grand predicateur d'un Ordre extremement reformé faisoit contre luy en chaire, que toutes les attaques qu'il receut des autres. Car tout ainsy que les piqueures des abeilles sont plus cuisantes que celles des mouches, ainsy le mal que l'on reçoit des gens de bien et les contradictions qu'ilz font sont bien plus insupportables que les autres; et cela neanmoins arrive fort souvent, que deux hommes de bien, ayans tous deux bonne intention, sur la diversité de leurs opinions, se font des grandes persecutions et contradictions l'un a l'autre.

Soyes patiente, non seulement pour le gros et principal des afflictions qui vous surviendront, mais encores pour les accessoires et accidens qui en dependront. Plusieurs voudroyent bien avoir du mal, pourveu qu'ilz n'en fussent point incommodés. Je ne me fasche point, dit l'un, d'estre devenu pauvre, si ce n'estoit que cela m'empeschera de servir mes amis, eslever mes enfans et vivre honnorablement comme je desirerois. Et l'autre dira: je ne m'en soucierois point, si ce n'estoit que le monde pensera que cela me soit arrivé par ma faute. L'autre seroit tout ayse que l'on mesdist de luy, et le souffriroit fort patiemment, pourveu que personne ne creust le mesdisant. Il y en a d'autres qui veulent bien avoir quelque incommodité du mal, ce leur semble, mays non pas l'avoir toute: ilz ne s'impatientent pas, disent-ilz, d'estre malades, mais de ce qu'ilz n'ont pas de l'argent pour se faire panser, ou bien de ce que ceux qui sont autour d'eux en sont importunés. Or je dis, Philothee, qu'il faut avoir patience, non seulement d'estre malade, mais de l'estre de la maladie que Dieu veut, au lieu ou il veut, et entre les personnes qu'il veut, et avec les incommodités qu'il veut; et ainsy des autres tribulations.

Quand il vous arrivera du mal, opposés a iceluy les remedes qui seront possibles et selon Dieu, car de faire autrement, ce seroit tenter sa divine Majesté: mais aussi cela estant fait, attendes avec une entiere resignation l'effect que Dieu aggreera. S'il luy plaist que les remedes vainquent le mal, vous le remercieres avec humilité; mais s'il luy plaist que le mal surmonte les remedes, benisses-le avec patience.

Je suis l'advis de saint Gregoire: Quand vous seres accusee justement pour quelque faute que vous aures commise, humilies-vous bien fort, confesses que vous merités l'accusation qui est faitte contre vous (29) . Que si l'accusation est fause, excuses-vous doucement, niant d'estre coupable, car vous deves cette reverence a la verité et a l'edification du prochain; mais aussi, si apres vostre veritable et legitime excuse on continue a vous accuser, ne vous troubles nullement et ne tasches point a faire recevoir vostre excuse; car apres avoir rendu vostre devoir a la verité, vous deves le rendre aussi a l'humilité. Et en cette sorte, vous n'offenseres ni le soin que vous deves avoir de vostre renommee, ni l'affection que vous deves a la tranquillité, douceur de coeur et humilité.

Plaignes vous le moins que vous pourres des tortz qui vous seront faitz; car c'est chose certaine que pour l'ordinaire, qui se plaint peche, d'autant que l'amour propre nous fait tous-jours ressentir les injures plus grandes qu'elles ne sont: mais sur tout ne faites point vos plaintes a des personnes aysees a s'indigner et mal penser. Que s'il est expedient de vous plaindre a quelqu'un, ou pour remedier a l'offense, ou pour accoiser vostre esprit, il faut que ce soit a des ames tranquilles et qui ayment bien Dieu; car autrement au lieu d'alleger vostre coeur, elles le provoqueroyent a de plus grandes inquietudes; au lieu d'oster l'espine qui vous pique, elles la ficheront plus avant en vostre pied.

Plusieurs estans malades, affligés, et offensés de quelqu'un s'empeschent bien de se plaindre et monstrer de la delicatesse, car cela, a leur advis (et il est vray), tesmoigneroit evidemment une grande defaillance de force et de generosité; mais ilz desirent extremement, et par plusieurs artifices recherchent que chacun les plaigne, qu'on ait grande compassion d'eux , et qu'on les estime non seulement affligés, mais patiens et courageux. Or, cela est vrayment une patience, mais une patience fause qui, en effect, n'est autre chose qu'une tres delicate et tres fine ambition et vanité: Ilz ont de la gloire, dit l'Apostre (Rm 4,2), mais non pas envers Dieu. Le vray patient ne se plaint point de son mal ni ne desire qu'on le plaigne; il en parle naifvement, veritablement et simplement, sans se lamenter, sans se plaindre, sans l'aggrandir: que si on le plaint, il souffre patiemment qu'on le plaigne, sinon qu'on le plaigne de quelque mal qu'il n'a pas; car lhors il declare modestement qu'il n'a point ce mal la, et demeure en cette sorte paisible entre la verité et la patience, confessant son mal et ne s'en plaignant point.

Es contradictions qui vous arriveront en l'exercice de la devotion (car cela ne manquera pas), resouvenesvous de la parolle de Nostre Seigneur (Jn 16,21): La femme tandis qu'elle enfante a des grandes angoisses, mais voyant son enfant né elle les oublie, d'autant qu'un homme luy est né au monde; car vous aves conceu en vostre ame le plus digne enfant du monde, qui est Jesus Christ: avant qu'il soit produit et enfanté du tout, il ne se peut que vous ne vous ressenties du travail; mais ayés bon courage, car, ces douleurs passees, la joye eternelle vous demeurera d'avoir enfanté un tel homme au monde. Or, il sera entierement enfanté pour vous lhors que vous l'aures entierement formé en vostre coeur et en vos oeuvres par imitation de sa vie.

Quand vous seres malade, offres toutes vos douleurs, peynes et langueurs au service de Nostre Seigneur, et le supplies de les joindre aux tourmens qu'il a receuz pour vous. Obeisses au medecin, prenes les medecines, viandes et autres remedes pour l'amour de Dieu, vous resouvenant du fiel qu'il print pour l'amour de nous. Desires de guerir pour luy rendre service; ne refuses point de languir pour luy obeir, et disposes-vous a mourir, si ainsy il luy plaist, pour le loüer et jouir de luy. Resouvenes-vous que les abeilles au tems qu'elles font le miel, vivent et mangent d'une munition fort amere, et qu'ainsy nous ne pouvons jamais faire des actes de plus grande douceur et patience, ni mieux composer le miel des excellentes vertus, que tandis que nous mangeons le pain d'amertume et vivons parmi les angoisses. Et comme le miel qui est fait des fleurs de thim, herbe petite et amere, est le meilleur de tous, ainsy la vertu qui s'exerce en l'amertume des plus viles, basses et abjectes tribulations est la plus excellente de toutes.

Voyes souvent de vos yeux interieurs Jesus Christ crucifié, nud, blasphemé, calomnié, abandonné, et en fin accablé de toutes sortes d'ennuis, de tristesse et de travaux, et consideres que toutes vos souffrances, ni en qualité ni en quantité, ne sont aucunement comparables aux siennes, et que jamais vous ne souffrires rien pour luy, au prix de ce qu'il a souffert pour vous. Consideres les peynes que les Martyrs souffrirent jadis, et celles que tant de personnes endurent, plus griefves, sans aucune proportion, que celles esquelles vous estes, et dites: helas, mes travaux sont des consolations et mes espines (32) des roses, en comparayson de ceux qui, sans secours, sans assistence, sans allegement, vivent en une mort continuelle, accablés d'afflictions infiniment plus grandes.


27. - Variante: Il nous faut donq perfectionner en cette sainte vertu. (Ms.) - Il nous faut donq perfectionner en cette vertu. (A-B)
28. - Variante: bienheureux Cardinal (Ms A-B). [ Voir liv 2, ch 17]
29. - Moral. in Job, 22,30
32. - Le mot espines, qui se lit dans le Ma. et les éditions (A), (B), a paru préférable à celui de peines donné par les éditions suivantes.



304

CHAPITRE IV - DE L'HUMILITE POUR L'EXTERIEUR


(33) Empruntes, dit Helisee a une pauvre vefve, et prenes force vaysseaux vuides et verses l'huyle en iceux (34). Pour recevoir la grace de Dieu en nos coeurs, il les faut avoir vuides de nostre propre gloire. La cresserelle criant et regardant les oyseaux de proye, les espouvante par une proprieté et vertu secrette (35); c'est pourquoy les colombes l'ayment sur tous les autres oyseaux, et vivent en asseurance aupres d'icelle: ainsy l'humilité repousse Satan, et conserve en nous les graces et dons du Saint Esprit, et pour cela tous les Saintz, mais particulierement le Roy des Saintz et sa Mere, ont tous-jours honnoré et cheri cette digne vertu plus qu'aucune autre entre toutes les morales.

Nous appellons vaine la gloire qu'on se donne ou pour ce qui n'est pas en nous, ou pour ce qui est en nous mais non pas a nous, ou pour ce qui est en nous et a nous, mais qui ne merite pas qu'on s'en glorifie. La noblesse de la race, la faveur des grans, l'honneur populaire, ce sont choses qui ne sont pas en nous, mais ou en nos predecesseurs, ou en l'estime d'autruy. Il y en a qui se rendent fiers et morgans pour estre sur un bon cheval(36), pour avoir un pennache en leur chapeau, pour estre habillés somptueusement; mais qui ne void cette folie? car s'il y a de la gloire pour cela, elle est pour le cheval, pour l'oyseau et pour le tailleur; et quelle lascheté de courage est ce d'emprunter son estime d'un cheval, d'une plume, d'un goderon? Les autres se prisent et regardent pour des moustaches relevees, pour une barbe bien peignee, pour des cheveux crespés, pour des mains douillettes, pour sçavoir danser, joüer, chanter; mais ne sont ilz pas lasches de courage, de vouloir encherir leur valeur et donner du surcroist a leur reputation par des choses si frivoles et folastres? Les autres, pour un peu de science, veulent estre honnorés et respectés du monde, comme si chacun devoit aller a l'escole chez eux et les tenir pour maistres: c'est pour-quoy on les appelle pedans. Les autres se pavonnent sur la consideration de leur beauté, et croyent que tout le monde les muguette. Tout cela est extremement vain, sot et impertinent, et la gloire qu'on prend de si foibles sujetz s'appelle vaine, sotte et frivole.

On connoist le vray bien comme le vray baume: on fait l'essay du baume en le distillant dedans l'eau, car s'il va au fond et qu'il prenne le dessous, il est jugé pour estre du plus fin et pretieux. Ainsy, pour connoistre si un homme est vrayement sage, sçavant, genereux, noble, il faut voir si ses bieris tendent a l'humilité, modestie et sousmission, car alhors ce seront des vrays biens; mais s'ilz surnagent et qu'ilz veuillent paroistre, ce seront des biens d'autant moins veritables qu'ilz seront plus apparens. Les perles qui sont conceuës ou nourries au vent et au bruit des tonnerres n'ont que l'escorce de perle (37), et sont vuides de substance; et ainsy les vertus et belles qualités des hommes qui sont receuës et nourries en l'orgueil, en la vantance et en la vanité, n'ont qu'une simple apparence du bien, sans suc, sans moëlle et sans solidité.

Les honneurs, les rangs, les dignités sont comme le saffran, qui se porte mieux et vient plus abondamment d'estre foulé aux pieds. Ce n'est plus honneur d'estre beau, quand on s'en regarde: la beauté pour avoir bonne grace doit estre negligee; la science nous deshonnore quand elle nous enfle et qu'elle degenere en pedanterie. Si nous sommes pointilleux pour les rangs, pour les seances, pour les tiltres, outre que nous exposons nos qualités a l'examen, a l'enqueste et a la contradiction, nous les rendons viles et abjectes; car l'honneur qui est beau estant receu en don, devient vilain quand il est exigé, recherché et demandé. Quand le paon (38) fait sa roue pour se voir, en levant ses belles plumes il se herisse de tout le reste, et monstre de part et d'autre ce qu'il a d'infame; les fleurs qui sont belles plantees en terre, flestrissent estans maniees. Et comme ceux qui odorent la mandragore de loin et en passant reçoivent beaucoup de suavité, mais ceux qui la sentent de pres et longuement en deviennent assoupis et malades, ainsy les honneurs rendent une douce consolation a celuy qui les odore de loin et legerement, sans s'y amuser ou s'en empresser; mais a qui s'y affectionne et s'en repaist, ilz sont extremement blasmables et vituperables

La poursuite et amour de la vertu commence a nous rendre vertueux; mais la poursuite et amour des honneurs commence a nous rendre mesprisables et vituperables.

Les espritz bien nés ne s'amusent pas a ces menus fatras de rangs, d'honneurs, de salutations; ilz ont d'autres choses a faire: c'est le propre des espritz faineans. Qui peut avoir des perles ne se charge pas de coquilles; et ceux qui pretendent a la vertu ne s'empressent point pour les honneurs. Certes, chacun peut entrer en son rang et s'y tenir sans violer l'humilité, pourveu que cela se fasse negligemment et sans contention. Car, comme ceux qui viennent du Peru, outre l'or et l'argent qu'ilz en tirent, apportent encor des singes et perroquetz, parce qu'ilz ne leur coustent gueres et ne chargent pas aussi beaucoup leur navire ; ainsy ceux qui pretendent a la vertu ne laissent pas de prendre leurs rangs et les honneurs qui leur sont deus, pourveu toutefois que cela ne leur couste pas beaucoup de soin et d'attention, et que ce soit sans en estre chargés de trouble, d'inquietude, de disputes et contentions. Je ne parle neanmoins pas de ceux desquelz la dignité regarde le public, ni de certaines occasions particulieres qui tirent une grande consequence; car en cela, il faut que chacun conserve ce qui luy appartient, avec une prudence et discretion qui soit accompagnee de charité et courtoisie.




Prenes, dit Helises a la pauvre vefve, [force vases vuides] a force vaysseaux vuides et verses l'huyle dans tous ces vaysseaux. La premiere condition requise pour recevoir la grace de Dieu en nos coeurs c'est de les rendre vuides de nostre propre gloire par une sainte et vraye humilité; humilité sans laquelle toutes les autres vertus sont vaynes et ne peuvent durer, et avec laquelle toutes les autres vertus sont asseurees. Car, comme la cresserelle nichant aupres des pigeons les contregarde, espouvantant par une proprieté secrette les oyseaux de proye avec son regard et son cri, en suite dequoy les colombes et pigeons ayment cet oyseaux sur tout autre, ainsy la sainte humilité conserve merveilleusement toutes les graces que Dieu met en nous, et chasse bien loin de nos ames les espritz malins; et c'est pourquoy les saintes ames la loüent, honnorent et cherissent plus qu'aucune autre vertu morale. Aussi le St Esprit, duquel la colombe est le symbole, se plait infiniment avec les humbles, et voulant faire le nid sacré pour le Filz de Dieu ici bas en terre, il le fit en la creature la plus humble du monde, ains en l'humilité mesme; et ce Filz de Dieu qui s'est exalté en s'humiliant et nous a glorifiés par son humilité, ne veut que nous apprenions autre leçon de luy, sinon qu'il est débonnaire et humble de coeur.

Considerons, ma Philothee, les graces que Dieu a mises en nous, et les maux qui nous sont arrivés de nous mesmes: l'un et l'autre nous provoquera puissamment a l'humilité; car, qu'est ce qui nous peut tant humilier devant la misericorde de Dieu que la multitude de ses bienfaite, et qu'est ce qui nous doit tant humilier devant sa justice que la multitude de nos pechés? Nostre coeur ne peut avoir que deux sortes de sejour asseuré: son origine et sa fin; en tout le reste il n'y doit estre que par maniere de passage. Or il est extrait du neant, et Dieu est sa souveraine fin: il faut donq qu'en attendant d'arriver a la possession de Dieu la haut au Ciel, il demeure en son neant ici bas en terre. J'appelle vaine gloire, ma Philothee, non pas la connoissance que nous avons de ce qui est en nous, mais la folie avec laquelle nous nous en estimons davantage; comme si les asnes et muletz laissoyent d'estre des lourdes et puantes bestes pour estre chargés d'or, de pierres pretieuses et de baume. Au contraire, je desire que nous connoissions bien les graces que Dieu nous a faites et les qualités desquelles il nous a doués affin que nous les appliquions fidellement a son service et luy en rendions graces mais de nous en estimer davantage pour cela, c'est une vanité insupportable.


Grande est la vanité de ceux qui s'enflent du bien qui n'est pas a eux quoy qu'il soit en eux; mais plus grande et insupportable est la vanité de ceux qui se glorifient de ce qui n'est pas en eux. De la vient la vanité de ceux qui se vantent de la noblesse, des rangs, des faveurs des grans, de l'approbation du peuple et de semblables [folies] choses qui ne sont nullement en nous, mais ou en nos predecesseurs, ou en la volonté ou opinion des autres.


Mais quand la chose pour laquelle on se donne de la gloire n'en merite point, ou, si elle en merite, c'est si peu que cela ne doit point estre mis en conte, alhors la vanité est vrayement vayne, et tesmoigne autant de foiblesse d'entendement comme de manquement de courage. Penser estre quelque chose pour avoir les moustaches relevés et les cheveux crespés, pour avoir les mains douillettes et des pendans aux oreilles, ne sont ce pas des impertinences insupportables? car, qu'est ce que tout cela? Les habitz, le bien danser, le bien joüer, sont ce des choses dignes d'encherir et donner du surcroist en l'estat de nostre estime? C'est manquement de courage d'emprunter nostre gloire de choses si frivoles.


Les vrays biens qui sont en nous doivent estre estimés chacun selon sa valeur; quand nous les prisons davantage, nous nous tesmoignons des folz. Priser autant la belle taille comme le bel esprit, la beauté comme la santé, la grace comme la vertu, ce sont des grans defautz de rayson; et c'est en quoy gist la vanité, que chacun estime ce qu'il voit en soy demesurement plus qu'il n'est convenable.


Ma Philothee, les honneurs, les rangs, les dignités sont comme le cumin, lequel s'il n'est foulé aux pieds ne croist pas si aysement. Ce n'est plus honneur d'estre beau quand on s'en regarde: au contraire, [une beauté negligee est tous-jours estimee ] la beauté a bonne grace quand ell'est negligee; la science nous deshonnore quand elle nous enfle, [ si nous n'en faisons pas semblant ] si ell'est humble elle nous donne beaucoup de gloire. Si nous sommes pointilleux pour les rangs, pour les seances et pour les tiltres, nous faisons deux fautes: l'une, que nous exposons nos qualités a l'examen et a l'enqueste, l'autre, que nous les rendons viles et abjectes; car l'honneur qui est beau estant receu, devient laid quand il est exigé et recherché. Le paon est beau tandis qu'il ne morgue point et ne se veut pas voir; mais quand il se regarde, en levant ses belles plumes il s'herisse de tout le reste et monstre de part et d'autre ce qu'il a d'infame; les fleurs qui se conservent plantees en terre, ternissent estans maniees a la main. Les honneurs un peu mesprisés sont tous-jours plus prisés. On vend mieux les autres marchandises en les estimant... ] On aggrandit lestime des autres marchandises pour en avoir plus d'argent; mais qui prise le moins sa vertu, sa science, sa beauté, sa noblesse, il en retire plus d'honneur et de gloire. Et comme ceux qui odorent la mandragore de loin et en passant en reçoivent une grande et douce suavité, mais ceux qui la sentent de pres et longuement en deviennent [pesans et incommodés ] assoupis et malades, ainsy nos honneurs considerés de loin et legerement sans y appliquer le coeur et s'en empresser, ilz rendent une douce consolation a celuy qui les a; mais estans affectionnés et considerés de pres, quand on s'y amuse et qu'on s'en repaist, cela ressent et tient a la vilenie, bassesse de coeur et faute de cervelle.] on en devient blasmable: Ihonneur et la vertu ayant cela de contraire que comme la poursuite et amour de la vertu commence a nous rendre vertueux, lamour et la poursuite de lhonneur, de la gloire et de lestime commence a nous rendre vituperables.

La bonne renommes doit estre soigneusement conservee , car c'est un pretieux instrument pour la gloire de Dieu et le bien du prochain: elle vaut mieux que l'or; elle sert a l'homme pour la conservation des vertus, et particulierement aux femmes pour la conservation de la chasteté, comme la pelure aux pommes et aux poires, laquelle en soy mesme n'est pas grandement prisable, et ne laisse pas d'estre fort utile pour la conservation du suc; car ainsy la reputation n'est pas chose de soy mesme trop excellente, et neanmoins elle est extremement prouffitable pour contregarder les vertus. Vous aures, ma Philothee, si vous estes vrayement Philothee, grand soin de conserver les vertus pour le seul amour de Dieu, grand et unique protecteur de ce qui est de bon en vous; mais comme ceux qui veulent garder les fruitz ne les confisent pas seulement, mais les mettent dedans des vases qui servent encor a la conservation, ainsy, bien que l'amour de Dieu soit le principal conservatif des vertus, si est-ce que la bonne renommee n'y est pas inutile.

Il ne faut pourtant pas estre superstitieux a la conservation de cette renommee car la verité est, qui la veut avoir envers tous, la perd envers tous. C'est superstition de vouloir conserver sa renommee envers ceux qui sont deshonnorables, car cela ne se peut faire qu'en adherant a leurs vices; et delaisser a faire les choses bonnes pour les mauvaises opinions du vulgaire ou des meschans, ce n'est pas conserver sa renommee mais conserver sa vanité, d'autant que c'est vanité de vouloir estre estimé au prejudice de la vraye vertu et de la charité. On vous tiendra pour hypocrite si vous vivés devotement, mais faut il laisser pour cela? On dira que vous n'estes pas courageuse si vous pardonnes, ou quelques uns diront que la mauvaise parole qui vous avait offenses est veritable: c'est la ou il faut preferer le jugement de Dieu. La regle est que toutes fois et quantes que nous faisons chose inutile, ou chose qui n'est point meilleure que la renommee, il la faut laisser plustost que de perdre la renommee; mais les exercices des vertus, les choses prouffitables a 1'ame ou de soy ou du prochain doivent estre prattiquees au peril de la renommee. Et ne faut pas craindre que l'injuste infamie puisse longuement durer, car il prend de la reputation comme des cheveux et de la barbe: car si l'un ou l'autre tombe par l'infame maladie, elle demeure fort long tems sans recroistre parce qu'avec le poil la racine mesme a laquelle il se tient tombe; mais quand elle estt seulement coupee ou rasee, non seulement elle croist derechef bien tost, mais elle multiplie et se peuple bien fort. Ainsy quand la reputation se perd par la verité de nos vices, il est malaysé qu'elle renaisse, mais quand elle est coupee par les mauvaises langues [ des] censeurs, qui sont, comme dit David, comme un rasoir tranchant, . non seulement elle recroist bien tost, mais elle s'amplifie. Si que, comme par un juste soin nous devons estre jaloux de nostre renommes, aussi n'en devons-nous pas estre idolatres et affolés; et comme il ne faut pas contenter l'oeil des malins, aussi ne faut il pas offenser celuy des bons.

Une conversation qui est inutile doit estre quittee si elle incommode la reputation, car il faut preferer la reputation a son contentement; mais si au contraire ell'est utile et l'intention droitte, et qu'on n'y commette point de vraye indiscretion, il faut courageusement mespriser la mesdisance: que si pour cela elle coupe ta barbe, bien tost elle renaistra.

Mais vous voulés, Philothee, que je vous porte plus avant dedans l'humilité. Moques vous des rangs et de ces vains honneurs. Qui est ce qui reçoit le mieux le ballon en joüant? celuy, sans doute, qui le rejette plus loin; et qui est ce qui reçoit le mieux l'honneur? celuy, sans doute, qui le mesprise le plus. Quand on void un homme ou une femme a la guette pour voir si on luy presente le devant, si on l'appelle bien de ses tiltres, les grans s'en moquent, les esgaux s'en piquent et les moindres s'en scandalisent. Il n'appartient pas aux aigles de faire proye de mouches, cela n'appartient qu'aux petitz oysillons. Les espritz bien nés ne s'amusent pas a ces menus fatras de rangs, d'honneurs, de grades et de salutations, ilz ont d'autres choses a faire; c'est le propre des espritz faineans. On peut neanmoins entrer en son rang et s'y maintenir sans violer l'humilité pourveu que cela se fasse negligemment et nonchalamment.

Choisissés par tout les choses basses et abjectes, voyre mesme es exercices de vertu, esquelz bien souvent on ne regarde pas de prattiquer les plus utiles mais les plus honnorables. Disons, par cy par la, quelques exemples entre nous autres: prou de gens veulent prescher, peu de gens cathechiser; plusieurs s'asseoir en la chaire des offices ecclesiastiques, peu en la chaire des confessions. L'appareil exterieur qui sert a la bienseance de ceux qui sont es dignités est prattiqué par un chacun.......................



33. - Variante: Outre la leçon correspondante du texte insérée dans le Ms., il existe deux ébauches des chapitres sur l'Humilité. Elles sont reproduites intégralement la première, ici, la seconde, plus loin p.74.]

Empruntes, dit Helisee a une pauvre vefve(voir p.74) , et prenes force vaysseaux vuiles et verses l'huyle en iceux. Pour recevoir la grace de Dieu en nos coeurs il les faut avoir vuides de nostre propre gloire. La cresserelle £
contre-garde les colombes espouventant les oyseaux de proye par son cry et son regard, qui, a cet effeet, ont une proprieté secrette pour cela; et les colombes aussi ayment cet oyseau sur tous autres. ] a une secrette proprieté d'espouvanter les oyseaux de proye par son cri; c'est pourquoy les colombes l'ayment sur tous les autres oyseaux et vivent en asseurance aupres d'icelle. Ainsy l'humilité repousse [les malins espris] Satan et conserve [en nos ames toutes les autres vertus ] en nous les graces et dons du St Esprit; c'est pourquoy tous les Sains l'honnorent et cherissent plus qu'aucun'autre vertu moralle; c'est la vertu bienaymee du Sauveur et de sa Mere. ] mais particulierement le Saint des Sains et sa Mere, l'ont honnoree et cherie sur toutes les vertus morales. £
Le St Esprit, duquel la colombe est le symbole, voulant loger le Fils de Dieu en terre, il luy dressa son sejour en la plus humble creature du monde, et ce Sauveur, qui s'est exalté par son humilité, veut que sur tout nous apprenions de luy quil est debonhaire et humble de coeur. ]


Suite de la note 33 . Variantes des chapitres 4 et 7


Separons [ ce que nous sommes d'avec ] ce que Dieu a mis en nous de ce que nous y avons mis du nostre:: l'un et lautre nous humiliera puissamment; car, qu'est ce qui nous peut tant humilier devant la bonté de Dieu que ses bienfaits [ que nous avons receus ] desquels il nous a ornés? et qu'est ce qui nous peut tant humilier devant sa justice que nos mesfaitz par lesquels nons l'havons deshonnoré? [ J'appelle vaine gloyre cette... ] Folle est l'estime que nous faysons de nous mesme pour ce qui est en nous mais qui n'est pas a nous. Qu'as tu, dit l'Apostre, que tu n'ayes receu? et si tu l'as receu, pourquoy t'en glorifies tu comme si tu ne l'avois pas receu? Voyre! comme si les mulets layssoyent d'estre des lourdes et puantes bestes, pour estre chargés des meubles praetieux et parfumés des grans Princes. Considerons les graces que Dieu nous a faites; l'honneur et gloire en appartient a luy seul, quoy que le bonheur et l'utilité nous en revienne; £
mais de nous en estimer davantage, de nous en exalter, c'est une vanité insupportable. ] a nous la joye d'en jouir, a luy la gloire d'en estre l'uniqu'autheur.

Plus vayne est la gloire de ceux qui se prisent et glorifient... Plus grande est la vanité de ceux qui... ] Plusieurs se donnent de la gloire pour des choses inutiles, frivoles et impertinentes: se regarder et pavonner pour des moustaches relevés, pour des cheveux crespés, pour des mains douillettes, pour un pennache, pour des habits, pour des meubles, pour sçavoir danser, joüer, chanter, n'est ce pas une folie expresse? car tout cela, sont ce choses qui puissent encherir et donner du surcroist a nostre vraye valeur ? £
C'est manquement de courage d'emprunter de la gloire de choses si basses et viles, et c'est une grande foyblesse d'entendement de ne pas juger que ces choses ne nous peuvent pas rendre plus glorieux, honnorables... ]

£
Plus grande encor est la vanité de ceux qui se donnent de la gloire pour ce qui n'est pas en eux. ] Grande est la vanité tiree de lantiquité de la race, les faitz heroiques des praedecesseurs, la faveur des grans, la reputation populaire; car tout cela estant hors de nous, ne nous fait ni bons ni mauvais. Ceux qui sçavent le moins sont les plus enflés de science et crient perpetuellement comme cygales la seule chansonnette... et ceux qui ont plus d'imperfection se vantent plus que ordinairement de la perfection. La cygale pleyne de vent fait un bruit perpetuel, et ceux qui ont le moins de bien solide sont tous-jours sur la vantance. ] Vous en verres qui morgueront pour estre sur un beau cheval; mais sil y a de la vraye gloire en cela, ell'est pour le cheval qui est bon, et non pas au chevalier. L'autre s'estime d'estre vestu proprement; mais qui ne void que la gloire de cela, sil y en a, appartient au tailleur et cordonnier, et que d'emprunter son estime d'un cheval, d'un pennache, d'un moustache, c'est chose indigne d'un coeur genereux?

[ C'est encor vaine gloire quand on releve lestime du bien que l'on a, au dessus de sa vraye valeur. ] Priser la beauté comme la bonté, la science comme la vertu, c'est une grande vanité. [Le bien qui nous enfle est veneneux sans doute... ] On connoist le vray bien comme le vray baume: l'essay du baume se fait en le [rapprochant de ] distillant dedans l'eau, car sil prend le dessous, il est [parfait] du plus fin et pretieux. Ainsy le vray bien entrant dedans l'ame tend droit a l'humilité; sil surnage et quil veuille paroistre, ce n'est pas un vray bien. On partage les biens en deux especes les uns sont vrays, et les autres apparens, et les uns sont pour lordinaire opposés aux autres. Les vrays biens ne [sont] pas apparens, et s'ilz sont apparens ilz ne sont pas vrays. Ilz peuvent paroistre et n'estre pas apparens............


34. - 4 R 4,3

35. - Pline Hist.Nat. 10,37- voir p. 74,75

36. - voir p.75,76

37. - cf Préface.

38. - voir p.76




Sales - vie dévote 302