Bernard sermons 7043

7043

QUARANTE-TROISIÈME SERMON. (a): La magnanimité, la longanimité, l'unanimité.



1. Au temps de la primitive Église, saint Luc nous recommande trois vertus en quelques mots, en nous montrant comment les apôtres persévéraient dans la prière après l'Ascension du Seigneur, dans l'attente des consolations du ciel dont ils avaient reçu la promesse. Par une louable magnanimité, le petit troupeau du Seigneur, privé des consolations de son pasteur, mais ne doutant point qu'il ne fût l'objet de ses soins, convaincu au contraire qu'il avait pour lui une sollicitude toute paternelle, frappait à la porte du ciel par ses dévotes supplications, car il était assuré que les prières des justes pénètrent les cieux, que le, Seigneur ne méprise pas les voeux des pauvres, et ne les laisse. point retomber sur eux sans une abondante bénédiction. Mais ils ne faisaient pas moins preuve d'une grande longanimité, quand ils persévéraient selon ce mot du Prophète: «S'il tarde à venir, attends-le, car il viendra sûrement et ne peut tarder davantage (Ha 2,3).» Quant à l'unanimité, elle n'est pas moins clairement exprimée dans le même passage, or elle est seule appelée du nom des meilleurs dons du Saint-Esprit (1Co 12,31). En effet, Dieu n'est pas un Dieu de dissensions, mais un Dieu de paix, qui fait habiter les hommes ensemble comme s'ils n'étaient qu'un (Ps 67,7).

2. C'est donc avec raison que l'oreille de Dieu a entendu la préparation de leur coeur, qu'il ne les a pas confondus dans leur espérance, et qu'il leur a fait la grâce d'être magnanimes, longanimes et unanimes. Ce sont les témoignages les plus certains de la foi, de l'espérance et de la charité. En effet, il est évident que si l'espérance enfante la longanimité, la charité produit l'unanimité. Est-ce que, la foi ne rend pas aussi magnanime? Il n'y a qu'elle qui puisse le faire. En effet, là où la foi manque, on ne saurait trouver une vraie et solide grandeur, d'âme, il n'y a qu'enflure vaine, que boursouflure et que vent. Voulez-vous entendre un homme magnanime? «Je puis tout, vous dit-il, dans celui qui me fortifie (Ph 4,13).» imitons, mes frères, cette triple préparation, si nous désirons obtenir le Saint-Esprit dans. une mesure qui déborde. En effet, tous les hommes, Jésus-Christ seul accepté, reçoivent le Saint-Esprit, avec mesure; mais il semble que le comble



a Dans les éditions précédentes ce sermon était le cinquième pour la fête de l'Ascension.



d'une mesure qui déborde, excède en quelque sorte la mesure. La magnanimité est évidente dans notre conversion, puissions-nous faire preuve d'une égale longanimité dans notre consommation, et d'une pareille unanimité dans notre genre de vie. Voilà par quelles âmes la Jérusalem céleste désire se voir reconnaître, il lui faut des âmes qui ne manquent, ni de grandeur dans la foi, pour recevoir le fardeau de Jésus-Christ, ni de longueur dans l'espérance pour persévérer, ni de liant dans la charité qui est le lien de la perfection.



7044

QUARANTE-QUATRIÈME SERMON (a): De ceux en qui les mystères de Jésus-Christ ne semblent pas encore accomplis.

a Dans les manuscrits, ce sermon est le troisième des sermons de Pâques.


1. Tout ce que nous lisons de notre Seigneur doit servir à la guérison de nos âmes; prenons donc garde qu'on ne dise un jour de nous «Nous avons prodigué nos soins à Babylone, et elle ne s'est point guérie (Jr 51,9).» Que chacun de nous réfléchisse sur les effets que produisent en nous des remèdes si salutaires. Il y en a en qui Jésus-Christ n'est pas encore né, il y en a en qui il n'a pas encore souffert, et enfin il s'en trouve en qui il n'est point encore ressuscité. Pour d'autres il n'est pas encore monté aux cieux et il n'a point encore envoyé le Saint-Esprit. Or, comment opère l'humilité de celui «qui, ayant la forme et la nature de Dieu, n'a point cru que ce fût pour lui une usurpation d'être égal à Dieu; mais qui s'est anéanti lui-même en prenant la forme et la nature de serviteur (Ph 2,6)?» Comment, dis-je, l'humilité d'un Dieu opère-t-elle dans un homme superbe? Comment retrouver lés vestiges de cette humilité dans ceux qui soupirent encore de toute la force de leurs désirs après les richesses et les honneurs de la terre? Est-ce que votre âme , mes frères, ne s'épanouissait point tout à l'heure à la joie, quand vous pouviez dire: «Un petit enfant nous est né (Is 9,6)?» Il en est pour qui le Christ n'a pas encore souffert, qui fuient le travail, et craignent la mort jusqu'à présent, comme s'il n'avait pas lui-même vaincu la peine en supportant la peine et la mort, en mourant.

2. Il y en a pour qui il n'est pas ressuscité; ce sont ceux qui se meurent toute la journée dans l'anxiété et dans l'affliction de la pénitence, et n'ont point encore reçu de consolation. Si ces jours d'épreuves n'avaient pas été abrégés, qui est-ce qui aurait pu les passer? Pour d'autres, le Christ est ressuscité, mais n'est pas encore monté au ciel, ou plutôt il en est avec qui, par une douce charité, il demeure encore sur la terre. Ce sont ceux qui tout le jour dans la dévotion, pleurent dans leurs prières, soupirent dans leurs méditations; tout est joie et fête pour eux, et tant que durent ces jours, ils ne cessent de chanter l'Alleluia. Mais il faut que le lait leur soit refusé et qu'ils apprennent à se nourrir d'un aliment plus fort. Il leur est avantageux que le Christ s'en aille, et que cette dévotion temporelle leur soit ravie. Mais quand pourront-ils le comprendre? Ils se plaignent d'être abandonnés du Seigneur, et privés de sa grâce. Mais qu'ils attendent un peu, qu'ils s'asseoientdans la cité, jusqu'à ce qu'ils soient revêtus d'en haut, d'une sorte de vertu plus solide, et qu'ils reçoivent les dons les plus précieux du Saint-Esprit, de même que les apôtres furent élevés à un degré plus haut, et s'engagèrent dans la voie suréminente de la charité, sans se mettre en peine dès lors du faible don des larmes, mais en ne songeant plus qu'à la manière de triompher comme par une grande victoire de l'ennemi commun et de fouler Satan sous leurs pieds.



FIN DU TROISIÈME VOLUME.





7045

QUARANTE-CINQUIÈME SERMON . (a): De la trinité de Dieu et dans l'homme.



La bienheureuse et sainte Trinité (b), Père, Fils et Saint-Esprit, Dieu unique, puissance, sagesse et bonté suprêmes, a créé une sorte de trinité à son image et à sa ressemblance, quand elle a fait l'âme raisonnable, où on trouve quelques vestiges de la suprême Trinité, en ce qu'elle est en même temps mémoire, raison et volonté. Or, Dieu l'a créée de telle sorte que, demeurant en lui, elle fût heureuse de soit union avec lui, et qu'elle ne pût se détourner de lui sans être malheureuse de quelque côté qu'elle aille. Mais cette trinité créée aima mieux, par un mouvement de sa propre volonté, tomber, que se tenir debout par un acte de son libre arbitre avec la grâce de son auteur. Elle est donc tombée par la suggestion, par la délectation et par le consentement, du rang aussi élevé que beau de sa trinité, je veux dire de la puissance, de la sagesse et de la pureté, dans une sorte de trinité contraire et souillée, c'est-à-dire dans la faiblesse, dans l'aveuglement et l'impureté. En effet, sa mémoire est devenue impuissante et infirme, sa raison imprudente et ténébreuse, et sa volonté impure. Or, si la mémoire qui, tant qu'elle était debout, rappelait la puissance de la divinité dans sa simplicité, en tombant de ses mains, vint se rompre sur les rochers, s'il est permis de parler ainsi, et se brisa en trois morceaux qui sont les pensées affectueuses, les onéreuses et les oiseuses. Par pensées affectueuses, j'entends celles où la mémoire se trouve affectée; telles sont les préoccupations des choses nécessaires à la vie, du boire et



a Les sermons suivants sont appelés les Petits sermons. Horstius les a comptés au nombre des Sermons divers, après en avoir reporté plusieurs an rang des Pensées. Peut-être sont-ce ces sermons que Jean de Salisbury demandait à Pierre de Celles de lui envoyer et qu'il appelait dans ses lettres XCVI, et XCVII, les Fleurs des paroles de saint Bernard.

b Ce sermon se trouve reproduit en grande partie dans le livre VIII des Pleurs de saint Bernard, chapitres I et 25, où il est parlé de la charité dans les termes nu il en est parlé plus bas au n. 5.



du manger et le reste; par onéreuses, j'entends les soucis des choses extérieures, et des occupations pénibles; et par pensées oiseuses, je veux dire celles qui ne l'affectent ni ne la chargent, mais qui pourtant la détournent de la contemplation des choses éternelles; telle est, par exemple, la pensée d'un cheval gui court, d'un oiseau qui vole.

2. La raison a fait aussi une triple chute. En effet, elle était capable de discerner entre le bien et le mal, entre le vrai et le faux, entre ce qui est avantageux et ce qui ne l'est point. Or, quand il lui faut discerner entre ces choses maintenant, elle est si aveugle qu'il lui arrive bien souvent de juger tout le contraire de ce qui est, de prendre le mal pour le bien, le faux pour le vrai, le nuisible pour l'utile, et réciproquement. Or, elle ne se tromperait jamais ainsi dans ces matières si elle n'était point privée de la lumière avec laquelle elle a été créée. Mais, comme elle est déchue aussi, il est hors de doute qu'elle ne trouve plus autre chose maintenant que les ténèbres de son aveuglement. De là vient qu'elle a perdu l'instrument qui lui était nécessaire pour administrer ces choses, je veux parler dit trivium de la sagesse, c'est-à-dire de l'éthique, de là logique et de la physique, autrement dites, science de la morale, science de l'observation et science de la nature, car l'éthique nous apprend à choisir le bien et à repousser le mal; la logique, à discerner le vrai du faux, et la physique, à reconnaître ce qui est utile ou nuisible, c'est-à-dire ce qui, dans la pratique, doit être pris ou laissé.

3. Vient ensuite la volonté dont la ruine est également triple. En effet, au lieu de demeurer attachée à la bonté et à la pureté souveraines et de n'aimer qu'elles, par un effet de sa propre iniquité, elle est tombée de ces hauteurs dans les bas-fonds où la concupiscence de la chair, celle des yeux et l'ambition du siècle lui font aimer les choses de la terre. Peut-il se concevoir une chute plus malheureuse que celle-là où, par la perte de la mémoire, de la raison et de la volonté, toute la substance de l'âme est atteinte d'un coup mortel.

4. Mais cette chute, si grave, si ténébreuse, si souillée de notre nature, elle a été réparée par la bienheureuse Trinité qui s'est souvenue de sa miséricorde et qui a oublié nos fautes. Ainsi, le Fils de Dieu, envoyé par son Père, est venu, et il nous a donné la foi; après le Fils, le Saint-Esprit fut envoyé à son tour et nous a appris et donné la charité. Avec ces deux biens, je veux dire avec la foi et la charité, nous est venue l'espérance de retourner vers le Père. Or, c'est par cette sorte de trinité, par la Foi, l'Espérance et la Charité, que, comme par une sorte de trident, la bienheureuse et immuable Trinité a ramené du fond de l'abîme, où elle était tombée, notre trinité muable, déchue et malheureuse. Ainsi, la Foi a éclairé sa raison, l'Espérance a relevé sa mémoire, et la Charité a purifié sa volonté. Lors donc que le Fils de Dieu est venu et s'est fait homme, comme je l'ai dit, lui qui était. Dieu, il a fait, comme un bon médecin, des ordonnances dont l'exécution devait nous rendre le salut que nous avions perdu. Pour nous les faire accepter avec confiance, il fit des miracles, et, pour nous convaincre de leur utilité, il nous promit la béatitude.

5. On distingue donc la Foi aux préceptes, la foi aux miracles, et la foi aux promesses, en d'autres termes, la foi par laquelle nous croyons en Dieu, et celle par laquelle nous croyons Dieu. Croire en Dieu, c'est mettre en lui notre espérance et notre amour. C'est par la foi aux miracles que nous croyons Dieu, qui peut en opérer et qui peut tout. Par la foi aux promesses, nous croyons à Dieu qui accomplit exactement tout ce qu'il promet. De même on distingue aussi trois sortes d'espérance qui découlent des trois sortes de foi dont je viens de parler. En effet, la foi aux préceptes enfante l'espérance du pardon; la foi aux miracles fait naître l'espérance de la grâce; et la foi aux promesses, l'espérance de la gloire. On trouve aussi trois sortes de charité, car il y a celle qui vient «d'un coeur pur, celle qui naît d'une conscience bonne, et celle qu'enfante une foi non feinte (1Tm 1,5).» La pureté se rapporte au prochain, la conscience à nous et la foi à Dieu. Or, la pureté exige de nous que tout ce que nous faisons tende au bien du prochain et à la gloire de Dieu. Mais il est de la plus grande importance que nous prouvions cette pureté au prochain, car, si, pour ce qui est de Dieu, il n'y a point de secret en nous, il n'en est de même pour le prochain, qu'autant que nous lui ouvrons notre coeur. Deux choses font la bonne conscience: c'est la pénitence et la continence; par l'une, en effet, nous expions les péchés que nous avons commis, et par la continence nous cessons d'en commettre d'autres qu'il faille expier ensuite; voilà le devoir que nous avons à remplir envers nous. Après cela, vient la foi non teinte que nous devons avoir à coeur de prouver à Dieu, et qui ne saurait nous permettre ni de l'offenser à cause de l'amour que nous avons pour le prochain, ni de nous montrer moins soumis à ses commandements à danse de notre conscience que nous voulons maintenir dans l'humilité par la pénitence et par la continence; voilà en quoi consiste la foi non feinte. La foi non feinte est mise ici par opposition avec la foi morte et la foi feinte. La foi morte est la foi sans les oeuvres; la foi feinte est celle qui ne croit que pour un temps, et qui s'évanouit à l'approche de la tentation; voilà même d'où lui vient son nom de feinte ou fragile.

6. Nous pouvons résumer tout ce que nous venons de dire en quelques mots seulement, pour le graver plus facilement dans la mémoire. Je dis donc qu'il y a la Trinité créatrice, Père, Fils et Saint-Esprit, des mains de laquelle est tombée la trinité créée, mémoire, raison et volonté. Il y a encore la trinité par laquelle la seconde est tombée, c'est la trinité suggestion, délectation et consentement: puis la trinité dans laquelle elle est tombée, la trinité impuissance, aveuglement et souillure, et enfin la trinité qui est tombée, c'est la trinité mémoire, raison et volonté. Chacun des termes de cette trinité a fait une trinité de chutes. La mémoire est tombée dans trois espèces de pensées qui sont les pensées affectueuses, les pensées onéreuses et les oiseuses. La raison est tombée aussi dans une triple ignorance; l'ignorance du bien et du mal, du vrai et du faux, de l'utile et du nuisible. De même la volonté est tombée dans la concupiscence de la chair, dans celle des yeux, et dans l'ambition du siècle. Il y a encore la trinité par laquelle celle qui est tombée se relève, c'est la Foi, l'Espérance et la Charité, qui se subdivisent chacune en trois branches. En effet, il y a la foi aux préceptes, celle aux miracles et celle aux promesses. De même, il y a l'espérance du pardon, celle de la grâce et celle de la gloire; et enfin la charité se divise en charité d'un coeur pur, d'une conscience bonne et douce, d'une foi non feinte.




7046

QUARANTE-SIXIÈME SERMON: De la connexion de la virginité et de l'humilité .


Je vous salue, Marie, pleine de grâce (Lc 1,28).» La plénitude de la grâce ne pouvait consister dans la seule virginité, attendu qu'il n'est pas donné à tout le monde de recevoir de cette plénitude-là. Heureux ceux qui n'ont point souillé leurs robes et qui se glorifient, avec notre Reine, du privilège de la virginité. Mais n'avez vous qu'une seule bénédiction, ô ma maîtresse? Je vous supplie de me bénir aussi. La vertu de pureté a péri en moi (a) et je n'ai plus même la force de soupirer après elle. J'ai pourri sur mon fumier, et je suis devenu semblable aux bêtes de somme, mais ne trouverai-je point quelque chose auprès de vous, et s'il ne m'est plus permis de vous suivre partout où vous allez, ne pourrai-je du moins demeurer quelque part avec vous? L'ange cherche une jeune fille que le Seigneur a préparée au fils du Seigneur. Il a bu à votre urne, car il était charmé d'une vertu parente de la sienne; mais ne donnerez-vous point ainsi à boire aux bêtes de somme (Gn 24,14)? L'ange n'a bu que parce, que vous ne connaissiez point d'homme, que les bêtes de somme boivent aussi puisque vous vous glorifiez par dessus tout de votre humilité. Vous dites, en effet . «Le Seigneur a jeté les yeux sur l'humilité de sa servante (Lc 1,48).» La virginité sans l'humilité est une gloire, sans doute, mais non aux yeux de Dieu. Le Très-Haut regarde toujours les choses basses et humbles, et ne voit qu'avec mépris les choses élevées (Ps 137,5). Il donne la grâce aux humbles et résiste aux superbes (Jc 4,16) Mais peut-être votre urne, ô Vierge, n'est-elle pas remplie seulement par deux mesures, elle est capable d'en recevoir une troisième; en sorte que, non-seulementl'ange et la bête de somme puissent s'abreuver à cette urne, mais que le maître-d'hôtel le puisse aussi. Voilà, en effet, le bon vin que nous avons conservé jusqu'à ce moment; l'ange est le serviteur qui en puise, mais il n'en puise que pour en porter au maître-d'hôtel, je veux dire au Père qui, étant le principe de la Trinité, peut, à bon droit, s'appeler maître-d'hôtel. Enfin, l'ange signale à notre attention la fécondité dé Marie qui est la troisième mesure quand il nous dit: «Le fruit saint qui naîtra de vous sera appelé le fils de Dieu (Lc 1,32).» C'est comme s'il avait dit: Il n'y a qu'avec lui que cette génération vous soit commune.



a Bellarmin se fonde sur ces paroles pour révoquer en doute que ce sermon soit de saint Bernard dont la pureté ne souffrit jamais la moindre atteinte. Mais qui empêche de voir dans ces mots le langage d'une âme pleine de modestie qui ne s'exprime ainsi qu'en songeant aux chutes des hommes en général? Peut-être bien aussi l'orateur. se confond-il, eu cette circonstance, avec ses auditeurs. C'est la remarque de Horstius dans ses notes. En tout cas, ce sermon se trouve attribué à saint Bernard dans les plus anciennes éditions.



NOTES DE HORSTIUS ET DE MABILLON SUR LE XLVI DES SERMONS DIVERS.

284. Cette vertu a péri chez moi. Saint Bernard parle ici de la virginité. Ces paroles font douter à Bellarmin que ce sermon soit bien de saint Bernard, qui, tout le monde le sait, a conservé sa virginité intacte jusqu'à la fin de ses jours. Et, en effet, il semble qu'on ne petit se dispenser de dire. d'après cela, ou que ce sermon n'est point de saint Bernard, on bien, s'il est de lui, que saint Bernard n'est pas demeuré vierge. Toutefois, je crois que rien n'empêche , malgré les paroles citées plus haut, de dire que ce sermon est de saint Bernard, et que notre saint est demeuré vierge. En effet, il est assez ordinaire aux saints et aux prédicateurs de la parole de Dieu de parler au nom de leurs auditeurs, et de s'attribuer le péché qu'ils ont en vue de reprendre et de châtier. Ainsi, pour en revenir à saint Bernard, je pense qu'il parlait en s'exprimant ainsi, s'il l'a fait, au nom de ses auditeurs, comme s'il s'était demandé ce qui reste auprès de la Vierge, mère de Dieu, à ceux qui ne peuvent plus se glorifier avec elle d'être vierges encore. Or, dans un si grand nombre de religieux, comment peut-on douter qu'il s'en soit trouvé quelques-uns dont la vertu avait fait naufrage dans le monde, avant qu'ils vinssent au monastère saisir la planche du salut que leur offrait la pénitence?

281. D'ailleurs saint Bernard s'exprime à peu près de la même manière cri parlant de lui dans son trentième sermon sur le Cantique des cantiques, II. 7, où il dit que, dans le siècle, sa foi était morte, puisqu'elle était dépourvue de bonnes oeuvres, et que si, depuis sa conversion, elle se trouve dans un état un peu moins mauvais, cependant il arrive. encore bien souvent que les boutons à fruits de ses bonnes oeuvres se trouvent étouffés par la colère, emportés par la jactance, souillés par la vaine gloire, qu'il n'est pas jusques aux péchés de gourmandise qui ne la compromettent quelque fois. Or, tout le monde sait que personne ne fut jamais plus doux, plus humble et plus sobre que saint Bernard.

On peut rapprocher de ce passage le langage que notre saint tient encore sur son propre compte, en ternies à peu prés pareils, dans son cinquante-quatrième sermon sur le Cantique des cantiques, n. 8. (Note de Horstius)





7047

QUARANTE-SEPTIÈME SERMON: Les quatre orgueils.


«Je vous salue, Marie, pleine de grâce,» oui vraiment pleine de grâce, car elle est pleine aux yeux de Dieu, des anges et des hommes; aux yeux de ces derniers par sa fécondité; aux yeux des anges sa pureté, et aux yeux de Dieu par son humilité. C'est dans cette troisième vertu qu'elle se dit l'objet des regards de celui qui abaisse ses yeux sur les choses humbles et les détourne avec mépris de celles qui sont élevées. Car, de même que les regards de Satan se portent sur tout ce qui est sublime, ainsi ceux du Seigneur ne s'abaissent que sur les humbles (Ps 137,5). Aussi, dit-il, dans le Cantique des cantiques: «Revenez, revenez, ô Sunamite, revenez, revenez que je vous considère (Ct 6,12).» S'il répète quatre fois de suite, revenez, c'est à cause des quatre sortes d'orgueil qui l'avaient détournée de Dieu et soustraite à ses regards. En effet, il y a l'orgueil du coeur a, celui de la bouche, celui des oeuvres, et enfin l'orgueil de l'habit. L'orgueil du coeur est celui qui fait que l'homme est grand à ses yeux. C'est de cet orgueil que le Sage demande à être délivré quand il dit «Ne me donnez point des yeux altiers (Si 23,4),» et ailleurs: «Malheur à vous qui êtes Sages à vos yeux (Is 5,21).» L'orgueil de la bouche ou de la langue s'appelle encore jactance, c'est quand un homme, non content d'avoir de hauts sentiments de sa personne, parle de lui en termes qui l'élèvent. Aussi, le Psalmiste dit-il: «Que le Seigneur perde entièrement toutes les lèvres trompeuses, et la langue qui parle avec jactance (Ps 11,4).» Quant à l'orgueil des oeuvres, c'est quand un homme fait tout ce qu'il peut pour paraître grand. Le Psalmiste en parle aussi en ces termes: «Celui qui agit avec orgueil ne demeurera point dans ma maison (Ps 100,9).» L'orgueil des habits est celui qui porte l'homme à se vêtir d'habits somptueux pour paraître glorieux. C'est cet orgueil qui inspire à saint Paul ce langage: «Ce n'est pas dans des habits précieux (1Tm 2,9),» et au Seigneur ces paroles: «Ceux qui s'habillent d'une manière délicate se trouvent dans la maison des


a L'auteur des Fleurs de saint Bernard rapporte ce passage dans son livre IX. chap. XIX.



rois (Mt 11,9),» où l'orgueil abonde. Or; le Seigneur a donné à l'âme raisonnable, cinq remèdes contre cette peste mortelle, le lieu, le corps; la tentation du diable, la prédication de Jésus-Christ, et l'exemple de sa vie. Le lieu, car nous sommes en exil; le corps, car il est pesant; la tentation, car elle inquiète; la prédication de Jésus-Christ, parce qu'elle édifie, et l'exemple de sa vie, parce qu'il forme. Car, de même que l'âme est la vie du corps, ainsi Dieu est la vie de l'âme, et de même que le corps est mort quand il cesse de sentir, dans ses cinq sens, l'action de l'âme, ainsi l'âme est morte quand, par ces moyens, elle ne se sent plus humiliée par le Seigneur.





7048

QUARANTE-HUITIEME SERMON: La pauvreté volontaire.


«Jésus entra dans une bourgade appelée Béthanie, et une femme nommée Marthe le reçut dans sa maison (Lc 10,38).» La bourgade où Jésus-Christ est entré, est la pauvreté volontaire, elle met ses habitants à couvert de la double attaque dont ils sont l'objet de 'la part des amateurs de ce mondé; je veux dire de leur propre envie à eux, et de l'envie des autres. En effet, la pauvreté, étant réputée misère, est à l'abri de l'envie des autres, et lorsqu'elle est volontaire elle ne porte elle-même envie à personne. Les deux saurs de Béthanie sont l'image des deux sortes de vie que mènent les amants de la pauvreté. Les uns, avec Marthe, se tourmentent et préparent deux plats au Seigneur Jésus, je veux dire le plat de la correction de leurs oeuvres avec assaisonnement de contrition, celui des oeuvres de piété avec le condiment de la dévotion. Quant à ceux qui, avec Marie, vaquent uniquement à Dieu, ils considèrent ce qu'est Dieu dans le monde, dans les hommes, dans les anges, en lui-même et dans les réprouvés. Dans leur contemplation Dieu leur apparaît comme le directeur et le gouverneur du monde, le libérateur des hommes et leur aide, le sauveur et la gloire des anges; en lui-même, le principe et la fin, la terreur et l'horreur des réprouvés. Dans ses créatures, il est admirable, il est aimable dans les hommes, il est désirable dans les anges, incompréhensible en lui-même et intolérable dans les réprouvés.


7049

QUARANTE-NEUVIÈME SERMON: Des trois sortes de paroles ou de vertus.

«Le jour exhale une parole, un verbe, au jour (Ps 18,2). Le jour qui s'adresse au jour, c'est l'ange qui parle à la Vierge. L'ange est appelé jour à cause de sa félicité, or, la Vierge reçoit le même nom, à raison de sa vertu de pureté» Et la nuit donne la science à la nuit.» La nuit c'est le serpent à cause de sa malice, c'est également la femme à cause de son ignorance. «Le jour profère un verbe au jour,» la divinité à la virginité, du sein de la majesté du Père, dans le sein de la virginité de la mère. Autrement encore: «Le jour profère un verbe, une parole au jour;» c'est Dieu le Père proférant son Verbe à l'âme raisonnable éclairée par la foi. «Et la nuit donne la science à la nuit;» la créature raisonnable à l'âme raisonnable que la foi n'éclaire point encore. Voilà ce qui fait dire à l'Apôtre,: «Ce qu'il y a d'invisible en Dieu, est devenu visible depuis la création du monde par la connaissance que ses créatures nous en donnent (Rm 1,20).» Voilà pourquoi aussi nous parlons du Verbe indiqué, du Verbe inspiré et (a) du Verbe proféré. Le premier fait la connaissance, le second, la conversion et le troisième, la vivification. Le premier a nui, le second n'a point servi, et le troisième a vivifié. Le premier a nui, «parce que, ayant connu Dieu, les hommes ne l'ont point glorifié comme Dieu, et ils ne lui ont point rendu grâces, mais ils se sont égarés dans leurs vains raisonnements, et leur coeur insensé s'est rempli de ténèbres (Rm 1,21).» Le second n'a point servi, parce qu'il n'a point donné une loi qui peut vivifier. Mais le troisième a vivifié parce qu'il nous a rachetés par la croix. Le premier est tout entier au dehors, le second est moitié au dehors et moitié au dedans, et le troisième est tout entier au dedans. Notez de plus que ce qui s'exhale ne s'échappe de notre bouche ait. emportant une certaine odeur de notre propre substance , et voilà pourquoi la sagesse incarnée est représentée comme ayant en soi toute plénitude, dans les miracles toute connaissance, dans la doctrine toute conversion, dans la passion toute vivification. Cet ce qui faisait dire au Prophète: «Venez et revenons, au Seigneur, parce que c'est lui-même qui nous a pris et qui nous guérira; lui qui nous frappera et prendra soin de nos blessures. Il nous rendra la vie dans deux jours (Os 6,1),» c'est-à-dire après les deux jours de la connaissance et de la conversion; «le troisième jour il nous ressuscitera,» à la voix du Verbe incarné par sa première résurrection: «et nous vivrons en sa présence,» vivifiés par sa passion, et éclairés d'une sereine lumière par la connaissance des miracles. «Puis nous marcherons sur ses pas, pour connaître le Seigneur,» instruits par la conversion de sa doctrine.

a L'auteur des Fleurs de saint Bernard, reproduit ce passage, dans son livre 8, chapitre II.



7050

CINQUANTIÈME SERMON: Il faut bien régler les affections de l'âme.

1. «Sortez, filles de Sion, et voyez votre Roi Salomon (Ct 3,11).» Si l'auteur sacré ne dit point, venez voir l'Écclésiaste ou Idida, car Salomon portait aussi ces deux noms, c'est qu'il veut parler de Jésus-Christ, notre vrai Salomon, qui est Salomon, c'est-à-dire, le pacifique dans l'exil; l'Ecclésiaste, c'est-à-dire l'orateur, dans le jugement; Idida, c'est-à-dire, le chéri du Seigneur, dans le royaume; mais qui partout est Roi. Dans l'exil il est la règle des moeurs; an jugement, il discerne les mérites, et dans le royaume, il les récompense (a). Dans l'exil il est doux, au jugement il est juste, et dans son royaume il est glorieux. Il est aimable dans l'exil, terrible sur son tribunal, et admirable dans son royaume. «Sous le diadème dont sa mère lui a ceint le front.«Or, ce diadème est une couronne de miséricorde, et sous elle il est un objet d'imitation. Sa marâtre lui a ceint le front d'une couronne de misère, mais avec cette couronne-là il est méprisable: je veux parler de la Synagogue qui a été pour lui non une mère, mais une marâtre. Sa famille le couronnera d'une couronne de justice, et sous elle il sera terrible. Son Père le couronne aussi, mais d'une couronne de gloire, et avec elle il est digne d'envie. Que les pécheurs le contemplent donc avec sa couronne de misère, c'est-à-dire, avec sa couronne d'épines, et qu'ils en soient saisis de componction. Que les filles de Sion, les âmes affectueuses le regardent avec sa couronne de miséricorde et l'imitent. Les méchants le verront aussi portant la couronne de justice, et ils périront. Les saints le verront paré de la couronne de gloire, et ils en seront pour toujours dans la joie.

2. «Sortez, filles de Sion,» âmes délicates, allez du sens de la chair à l'intelligence de l'esprit, de la servitude de la concupiscence charnelle à la liberté de l'intelligence spirituelle; «et voyez le roi Salomon sous le diadème dont sa mère l'a couronné.» Ceux qui marchent sur ses traces sont aussi couronnés, mais c'est à dessein, et ils sont en cela aidés de la grâce. Il n'y a que lui qui soit couronné par sa mère, parce qu'il n'y a que lui qui soit sorti du sein maternel comme un époux de son lit nuptial, avec des affections bien réglées. Or, ces affections bien connues, sont au nombre de quatre, (b) ce sont l'amour et la joie, la crainte et la tristesse. Il n'y a point d'âme humaine sans ces quatre affections-là; mais chez les uns elles sont pour la honte, et chez les autres pour la gloire. En effet, sont-elles purifiées et bien ordonnées, elles sont la gloire de l'âme sous la couronne des vertus: sont-elles déréglées, elles sont sa confusion, son abaissement et son ignominie. Or, voici comment on les purifie; c'est en aimant ce qu'on doit aimer, en aimant davantage ce qui doit être aimé davantage, et enfin en n'aimant pas ce qu'on ne doit point aimer. Voilà ce que c'est qu'un amour purifié. Et ainsi des autres affections. On les règle de cette manière; on place la crainte la première, puis vient la joie, en troisième lieu la tristesse, et enfin l'amour. Et voici comment elles se composent. De la crainte et de la joie naît la prudence, la crainte est la cause, et la joie le fruit. La joie et la tristesse donnent



a Le commencement de ce sermon n'est guère que la reproduction du second sermon pour le jour de l'Epiphanie, n. 2.

b Au sujet de ces affections de l'âme, on peut relire les notes dont nous avons accompagné le II Sermon, pour le mercredi des cendres numéro 3. Ce passage se trouve rapporté dans les Fleura de saint Bernard, livre 11, chapitre VIII.



naissance à la tempérance, car celle-ci a pour cause la tristesse et pour fruit, la joie. De la tristesse et de l'amour naît la force, la tristesse est la cause, et l'amour, le fruit. Il manque quelque chose à la couronne pour être parfaite; l'amour et la crainte vont produire la justice dont la cause est la crainte, et le fruit est l'amour.

3. Considérez donc comment ces affections de l'âme, bien réglées, sont des vertus, et comment déréglées elles ne sont que des perturbations. Si la tristesse vient après la crainte, elle engendre le désespoir; si la joie suit l'amour, c'est la dissolution; que la crainte soit donc suivie de la joie, car en même temps que la crainte met en garde pour l'avenir, la joie goûte le bonheur du présent et recueille le fruit d'une prudente précaution. Il faut donc que la joie éprouve la. crainte: la crainte ainsi éprouvée n'est autre chose que la prudence. La tristesse doit accompagner la joie, car celui qui n'a point perdu le souvenir des choses tristes, n'embrasse les joies qu'avec modération; il faut donc que la tristesse tempère la joie. La joie tempérée n'est autre chose que la tempérance même. Que l'amour s'ajoute à la tristesse, car, quiconque sous l'empire de l'amour désire ce qu'il doit aimer, a plus de force pour supporter les choses tristes. Il est donc nécessaire que l'amour fortifie la tristesse. Or, la tristesse fortifiée par l'amour n'est autre chose que la force. Joignez l'amour à la crainte, et celui qui tient compte de ce qu'il doit craindre s'attache d'autant plus fortement aux choses qu'il est dans l'ordre qu'il aime. Il faut donc que l'amour règle la crainte. Or, la crainte réglée par l'amour n'est autre chose que la justice. Il y a deux affections de l'âme, la joie et la tristesse qui sont ad intra; en effet, c'est en nous que nous nous réjouissons, et en nous que nous sentons la tristesse. L'amour et la Crainte au contraire sont ad extra. En effet, la crainte est une affection naturelle de l'âme qui nous unit par la partie inférieure à la partie supérieure, elle tend à Dieu seul. Quant à l'amour, c'est une affection de l'âme qui nous unit en même temps à la partie supérieure, à la à la partie égale: il se rapporte à Dieu et au prochain. Or, c'est dans ces deux points que consiste la parfaite justice, c'est dans la crainte de Dieu à cause de sa puissance, dans l'amour à cause de sa bonté, dans l'amour du prochain à cause de l'identité de sa nature et de la nôtre.



NOTES DE HORSTIUS ET DE MABILLON, POUR LE L ème DES SERMONS DIVERS.

282. Il ne dit point l'Ecclesiaste ou Idida. Salomon a été appelé par le prophète inspiré de Dieu, Nathan l'Aimable au Seigneur, en hébreu Fedideja, dont on a fait Idida. Il avait donc deux noms, bien que l'Écriture ne lui donne que ce dernier (2S 12,25). On peut même dire qu'il en eu trois, si on compte celui d'Ecclésiaste. (Note de Horstius).






Bernard sermons 7043