Bernard sermons 7051

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CINQUANTE ET UNIÈME SERMON: La purification de Marie et la circoncision du Christ.


1. Qu'est-ce à dire quand nous disons que la bienheureuse Marie s'est purifiée? Qu'est-ce à dire encore quand nous disons que Jésus lui-même a été circoncis? Car Marie n'avait pas plus besoin d'être purifiée que Jésus d'être circoncis. C'est donc pour nous que l'un reçoit la circoncision et que l'autre se purifie, c'est pour donner un exemple aux pénitents, pour nous apprendre à nous tenir éloignés, à notas circoncire d'abord du vice par la continence, et à nous purifier ensuite des fautes que nous avons commises, par la pénitence. Qu'est-ce à dire encore que Marie porte Jésus dans ses flancs, Joseph sur ses épaules, quand il fuit en Egypte, et quand il en revient, et Siméon dans ses bras? Ils nous représentent les trois ordres d'élus: Marie les prédicateurs, Joseph les pénitents et Siméon ceux qui font des bonnes oeuvres. En effet, celui qui évangélise les autres porte en quelque sorte Jésus dans ses flancs pour l'enfanter aux hommes, ou plutôt pour enfanter les hommes à Jésus. Saint Paul, qui s'écriait: «Mes petits enfants pour qui je sens de nouveau les douleurs de l'enfantement, jusqu'à ce que Jésus-Christ soit formé en vous (Ga 4,19)» était de ce nombre. Quant à ceux qui se fatiguent pour Jésus-Christ, qui souffrent persécution, qui ne font de mal à personne, et endurent patiemment les injustices dont ils sont l'objet de la part des autres, on peut dire avec raison qu'ils portent le Christ sur leurs, épaules: c'est à eux que la Vérité même a dit: «Que celui qui veut venir après moi, se renonce lui-même, etc. (Lc 9,23).» Pour ce qui est de ceux qui donnent à manger à ceux qui ont faim, et à boire à ceux qui ont soif, et qui exercent envers ceux qui sont dans le besoin toutes les autres oeuvres de miséricorde, ne vous semble-t-il pas qu'ils le portent dans leurs bras? Or, c'est à eux que le Seigneur s'adressera au jour du jugement et dira: «Toutes les fois que vous avez fait cela au moindre des miens, c'est à moi que vous l'avez fait (Mt 25,40).»






CINQUANTE-DEUXIÈME SERMON - De la maison de la sagesse divine, c'est-à-dire de la Vierge Marie.

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1. «La Sagesse s'est bâtie une maison, etc. (
Pr 9,1).» Comme le mot sagesse se prend en plusieurs sens, il faut rechercher qu'elle est la sagesse qui s'est bâtie une maison. En effet, il y a la, sagesse de la chair qui est ennemie de Dieu. (Rm 8,7), et la sagesse de ce monde qui n'est que folie aux yeux de Dieu (1Co 3,19). L'une et l'autre, selon. l'apôtre saint Jacques, font la sagesse de la terre, la sagesse de la terre «la sagesse animale, diabolique (Jc 3,15).» C'est suivant cette sagesse que sont sages ceux qui ne le sont que pour faire le mal, et qui ne savent pas faire le bien; mais ils sont; accusés et condamnés dans leur sagesse, selon ce mot de l'Écriture: «Je saisirai les sages dans leurs ruses, je perdrai la sagesse des sages, et je rejetterai la science des savants (1Co 1,19).» Il me semble qu'on peut parfaitement et proprement appliquer à ces sages cette parole de Salomon: «Il est encore un mal que j'ai vu sous le soleil, c'est l'homme qui est sage à ses yeux.» Ni la sagesse de la chair, ni celle, du monde n'édifie, loin de là, elle détruit plutôt la maison, où elle habite. Il y a donc une autre sagesse qui vient d'en haut; elle est avant tout prodigue, puis elle est pacifique. Cette Sagesse c'est le Christ, la vertu de Dieu, la sagesse de Dieu, dont l'Apôtre a dit: «Il nous a été donné pour être notre sagesse, notre justice, notre sanctification et notre rédemption (1Co 1,30

2. Ainsi cette Sagesse qui était la sagesse de Dieu, et qui était Dieu, venant à nous du sein du Père, s'est édifié une demeure, je veux parler de la Vierge Marie sa mère, et dans cette demeure il a taillé sept colonnes. Qu'est-ce à dire, il a taillé dans cette maison sept colonnes, si ce n'est qu'il l'a préparée par la foi et par les oeuvres à être une demeure digne de lui? Le nombre trois est le nombre de la foi à cause de la sainte Trinité, et le nombre quatre est celui des moeurs à cause des quatre vertus principales. Je dis donc que la sainte Trinité s'est trouvée dans la bienheureuse Marie, et s'y est trouvée par la présence de sa majesté, bien qu'elle n'ait reçu que le Fils quand il s'est uni la nature, humaine: et j'en ai pour garant le témoignage même du messager céleste qui lui découvrit en ces termes le secret de ce mystère: «Je vous salue, pleine de grâce, le Seigneur est avec vous:» et un peu après: «Le Saint-Esprit surviendra en vous, et la vertu du Très-Haut vous couvrira de son ombre (Lc 1,28).» Ainsi vous avez le Seigneur, vous avez la vertu du Très-Haut et vous avez le Saint-Esprit: en d'autres termes, vous avez le Père, le Fils et le Saint. Esprit. D'ailleurs le Père ne va point sans le Fils, non plus que le Fils sans le Père, de même que le Saint-Esprit, qui procède des deux, ne va ni sans l'un ni sans l'autre, s'il faut en croire ces paroles du Fils: «Je suis dans le Père et le Père est en moi.» Et ailleurs: «Quant à mon Père qui demeure en moi, c'est lui qui fait tout (Jn 14,10).» Il est clair que la foi de la sainte Trinité se trouvait dans le coeur de la Vierge.

3. Mais eut-elle aussi les quatre autres colonnes, je veux dire les quatre vertus principales? Le sujet mérite que nous nous en assurions. Voyons donc d'abord si elle eut la vertu de force. Comment cette vertu lui aurait-elle fait défaut quand, rejetant les pompes du siècle et méprisant les voluptés de la chair, elle conçut le projet de vivre pour Dieu seul dans sa virginité? Si je ne me trompe, la Vierge est la femme dont Salomon parle en ces termes: «Qui trouvera une femme forte? Elle est plus précieuse que ce qu'on va chercher au bout du monde (Pr 31,10).» Telle fut sa force, en effet, qu'elle écrasa la tête du serpent à qui le Seigneur avait dit: «Je mettrai des inimitiés entre la femme et toi, entre sa race et la tienne; elle t'écrasera la tête (Gn 3,15).» Pour ce qui est de la tempérance, de la prudence et de la justice, on voit plus clair que le jour, au langage de l'Ange, et à sa réponse à elle, qu'elle possédait ces vertus. En effet, à ce salut si profond de l'Ange, «je vous salue, pleine de grâce, le Seigneur est avec vous,» au lieu de s'élever dans sa pensée, en s'entendant bénir pour ce, privilège unique de la grâce, elle garde le silence, et se demande intérieurement ce que pouvait être ce salut extraordinaire. N'est-ce point la tempérance qui la fait agir en cette circonstance? Puis, lorsque l'Ange l'instruit des mystères du ciel, elle s'informe de lui, avec soin, de la manière dont elle pourrait concevoir et enfanter un fils, puisqu'elle ne connaissait point d'homme; évidemment, dans ces questions, éclate sa prudence. Quant à sa justice, elle la prouve lorsqu'elle se déclare la servante du Seigneur. En effet, on trouve la preuve que la confession est le propre des justes dans ces paroles du Psalmiste: «Ainsi les justes confesseront votre nom, et ceux qui ont le coeur droit demeureront en votre présence (Ps 139,14).» Ailleurs, on lit encore, à propos des justes: «Et vous direz, en confessant ses louanges, les pauvres souverainement bonnes du Seigneur (Si 39,21).»

4. Ainsi la bienheureuse Vierge Marie s'est montrée forte dans ses desseins, tempérante dans son silence, prudente dans ses questions et juste dans sa confession. C'est sur ces quatre colonnes des moeurs et sur les trois de la foi dont j'ai parlé plus haut, que la sagesse céleste s'est élevée en elle une demeure; elle remplit si bien son coeur que, de la plénitude de son âme, sa chair fut fécondée et que toute Vierge qu'elle fût, elle enfanta, par une grâce singulière, cette même Sagesse qui s'était revêtue de notre chair, et qu'elle avait commencé par concevoir auparavant dans son âme pleine de pureté. Et nous aussi, si nous voulons devenir la demeure de cette même Sagesse, il faut que nous lui élevions également en nous une demeure qui repose sur les sept mêmes colonnes, c'est-à-dire que nous nous préparions à la recevoir par la foi et les moeurs. Or, dans les vertus morales je crois que la justice toute seule peut suffire, mais à condition qu'elle se trouve entourée et soutenue par les autres vertus. Aussi, pour ne point nous trouver induits en erreur par l'ignorance, il faut que la prudence marche devant ses pas, que la tempérance et la force marchent à ses côtés, la soutiennent et l'empêchent de tomber soit à droite, soit à gauche.


CINQUANTE-TROISIÈME SERMON - Les noms du Sauveur.

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1. «Et son nom sera l'Admirable, le Conseiller, le Dieu, le Fort, le Père du siècle à venir et le Prince de la paix (
Is 9,6). Il est Admirable» dans sa prédication; «Dieu» dans ses oeuvres; «Fort» dans sa passion; «le Père du siècle futur» dans sa résurrection; «le Prince de la paix» dans sa perpétuelle félicité. On peut aussi lui donner tous ces noms dans l'oeuvre de notre salut. En effet, «il est Admirable» dans la conversion de notre volonté, car ce changement est l'oeuvre de la droite du Très-Haut. Ensuite «il est Conseiller» dans la révélation de sa volonté, quand il fait connaître à ceux qu'il a convertis la voie qu'ils doivent suivre. C'est ce qui faisait dire à Saint Paul après sa conversion: «Seigneur, que voulez-vous que je fasse (Ac 9,7)?» Une fois convertis, nous devons ressentir de la componction à la pensée de nos fautes passées dans la rémission desquelles il se montre «Dieu» puisqu'il n'y a que Dieu qui puisse remettre les péchés, selon la remarque des Juifs qui disaient à notre Sauveur quand, étant encore sur la terre, il remettait les péchés à quelqu'un, qu'il prononçait un blasphème, parce qu'il s'attribuait un pouvoir qui n'appartient qu'à Dieu. En quatrième lieu, il est «Fort,» puisque, selon la remarque de l'Apôtre, il faut que «tous ceux qui veulent vivre avec piété en Jésus-Christ souffrent la persécution (2Tm 3,12).»

2. Qui pourrait en supporter les atteintes sans son aide? Aussi David dit-il «si Dieu ne m'eût assisté, il ne s'en serait pas fallu de beaucoup que mon âme ne tombât dans l'enfer (Ps 93,17).» Lorsqu'il nous protège dans la tribulation quand il écarte et éloigne de nous les puissances des airs, quel nom lui donner, si ce n'est celui de Fort? Aussi est-il dit, «le Seigneur fort et puissant, le Seigneur puissant dans les combats (Ps 23,8).» Mais comme notre conversion et notre vie doivent se passer en Jésus-Christ, non en vue des choses temporelles, mais dans l'espérance des biens futurs, on lui donne, en cinquième lieu, le nom de «Père du siècle à venir,» Père dans la régénération de nos corps. Et enfin puisque «si nous devons ressusciter tous, néanmoins nous ne serons point tous changés (1Co 15,51),» pour discerner le changement des justes de la résurrection des pécheurs, il est appelé, en sixième lieu, «le prince Prince de la paix.» Une fois qu'on a la paix, toute perfection est accomplie, et il ne reste plus rien à désirer. C'est dans la paix, en effet, que le Psalmiste se réjouit et s'écrie au milieu de ses chants: «Jérusalem loue le Seigneur, loue ton Dieu, ô Sion, parce qu'il a fortifié les serrures de tes portes, et qu'il a béni les enfants que tu renfermes dans ton enceinte. Il a établi la paix jusques aux confins de tes États (Ps 147,1).» L'Ange, en s'adressant à Joseph, renferme avec autant d'élégance que de brièveté, tous ces noms dans un seul «vous l'appellerez Jésus (Mt 1,21),» dit-il, et il donne le sens de ce dernier nom en ajoutant «car c'est lui qui sauvera son peuple de ses péchés (Mt 1,21).»


CINQUANTE-QUATRIÈME SERMON - De l'apparition du Christ.

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Le Fils de Dieu nous est apparu pour nous aider et pour nous instruire; ce qu'il peut bien faire, car il est la vertu du Père et sa sagesse. En tant que vertu du Père il assiste; en tant que sagesse il instruit et forme. La faiblesse a besoin d'être assistée, et les aveugles ont besoin de science et de doctrine. Aussi, la sagesse du Père nous a-t-elle instruits quand elle nous a fait renoncer à l'impiété et aux passions mondaines, pour que nous vivions dans le siècle présent avec tempérance avec justice et avec piété (
Tt 2,12). Notre impiété c'était notre manque de foi, car nous ne croyions point Dieu, et nous ne l'honorions point. Car, s'il y a piété à honorer Dieu, il y a impiété à le renier. Quant aux désirs mondains, c'est la concupiscence de la chair, la concupiscence des yeux et l'orgueil de la vie, qui nous portent et nous inclinent à l'amour du siècle. Quand il y a renonce; l' homme vit avec tempérance, car il met un frein à la concupiscence de la chair, à celle des yeux et l'orgueil de la vie. Quand on commence à être sobre on oppose deux sortes de sobriétés à une double ivresse. L'ivresse extérieure consiste dans l'effusion des voluptés, et l'intérieure dans l'occupation des curiosités. Par contre, la sobriété extérieure consiste à refréner les voluptés, à l'extérieur, à repousser les curiosités. Voilà comment l'homme vit avec sobriété quant à ce qui le regarde, et avec justice par rapport au prochain à qui il rend ce qui est juste. La justice consiste en deux choses, dans l'innocence et dans la bienfaisance. L'innocence en est la base et la bienfaisance le couronnement. Avec piété envers Dieu, ai-je dit: or, la piété aussi consiste en deux choses, à ne pas présumer de nous, et à mettre toute notre confiance en Dieu, pour triompher, par son secours, de tous les obstacles du monde. Il ne faut point cesser de se confier en Dieu, il faut au' contraire agir en lui avec confiance et sécurité. Tel qu'un charitable et louable médecin, il a bu le premier la potion qu'il préparait à ses malades, je veux parler de la passion et de la mort qu'il a endurées. C'est par ce moyen qu'il a recouvré la santé de l'immortalité et de l'impassibilité, et appris aux siens à boire avec confiance la potion qui produit la santé et la vie. Enfin celui qui après sa passion est entré dans la vie éternelle nous donne lieu d'espérer en toute sécurité, que nous obtiendrons la même chose de lui.



CINQUANTE-CINQUIÈME SERMON - Les six urnes spirituelles.

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1. «Il y avait là six urnes de pierres pour servir aux purifications en usage chez les Juifs (
Jn 2,6).» Voyons dans les six urnes placées là six observances proposées par Dieu à ses serviteurs, lesquelles doivent leur servir à se purifier, comme les urnes aux Juifs. Ce sont le silence (a), la psalmodie, les veilles, le jeûne, le travail manuel et la pureté de la chair. Dans l'urne du silence, nous nous purifions des péchés que la loquacité nous fait commettre. Or, il y a huit sortes de loquacité. En effet, s'il y a des paroles sottes, vaines, mensongères, et oiseuses, il y en a aussi de fourbes, de médisantes, d'impudiques et d'excusatoires. Or, toute cette peste naît de la loquacité, et il n'y a que le silence pour la faire périr dans sa racine, ou du moins pour l'empêcher de faire trop de ravages. Nous trouvons dans la psalmodie une double confession: en effet, en psalmodiant, le pécheur sent naître la componction au souvenir de ses péchés, en même temps il chante les louanges de Dieu à cause de ses justes jugements. Aussi est-ce dans cette urne tout Juif, si sa confession est droite, se purifie de l'esprit immonde du blasphème auquel il était sujet avant sa conversion. Quand il se louait lui-même et qu'il accusait Dieu, qu'était-il autre chose qu'un blasphémateur? Ne sont-ce point des blasphémateurs que creux qui disent: «La voie du Seigneur n'est pas juste (Ez 18,25)?» N'est-ce point un sot blasphémateur que celui qui- s'écriait: «Il n'y a point de Dieu (Ps 52,1)?» Mais une fois Converti, une fois qu'il a confessé les louanges de Dieu, et qu'il a été instruit par les divins cantiques, il a corrigé sa vie et ses discours; il s'est accusé lui-même et il a accepté ses péchés, et, en même temps qu'il loue Dieu, il attribue, non à lui-même, mais au Seigneur le bien qu'il trouve en lui. Tout cela se fait dans la psalmodie; or, par psalmodie, il faut entendre tout ce qui se chante en l'honneur de Dieu avec mélodie de coeur, que ce soient des psaumes, des hymnes ou tout autre cantique.

a On retrouve la même partie exprimée dans les mêmes termes dans le deuxième sermon pour l'octave de l'Epiphanie numéro 9. L'ordre seul en a été un peu changé.


2. La troisième urne, d'après ce que j'ai dit plus haut, est l'urne des veilles. Elles doivent toujours être accompagnées de la persévérance dans la prière. Ainsi, nous voyons dans l'Évangile que le Seigneur passait des nuits en prières, (Lc 6,12) et dans les exhortations qu'il fait entendre à ses disciples, il ne sépare point la prière de la vigilance: «Veillez et priez, dit-il, pour que vous n'entriez point en tentation (Mc 14,38 et Lc 22,46).» Ces veilles nous purifient de nos souillures que nous contractons dans le relâchement de la somnolence, alors que, dans une sorte d'oubli, nous nous ralentissons et nous nous engourdissons dans les voies du salut. La quatrième urne est le jeûne . il ne viendra, je crois, à la pensée de personne de douter que le jeûne aussi nous purifie. C'est une vérité reconnue, que les contraires se guérissent par les contraires. Si donc nous avons péché par excès de boire et de manger, qu'avons-nous de mieux à faire que de nous purifier par l'abstinence? D'ailleurs le jeûne ne nous purifie pas seulement de ce péché, il nous donne encore la force de chasser le démon, selon ce que dit le Seigneur même: «Cette sorte de démons ne peut-être chassée que par la prière et le jeûne (Mc 9,28).»

3. Vient ensuite la cinquième urne qui est le travail manuel. Il n'est pas difficile de trouver comment cette urne sert aux purifications; car, pour ne point parler de tout lé reste, qui pourra estimer à sa juste valeur le prix et la grâce du travail manuel qui nous permet de passer notre vie, avec le produit de nos mains et sans porter envie aux biens de qui que ce soit? Si on était tenté de voir dans mes paroles, non le langage de la vérité, mais une pure déclamation, il faudrait prêter l'oreille aux discours de notre maître dans la foi et la vérité, de l'apôtre saint. Paul dans sa lettre aux Thessaloniciens, où il leur enseigne et prescrit le travail. «Nous vous supplions, dit-il, et nous vous conjurons en Notre Seigneur Jésus-Christ, de vous étudier à vivre en paix, et de vous appliquer chacun à ce que vous avez à faire, de travailler de vos propres mains comme nous vous l'avons ordonné, et de vous conduire honnêtement envers ceux qui sont hors de l'Eglise, et de ne rien désirer de ce qui est aux autres (1Th 4,1 1Th 4,10-13).» Écoutez maintenant aussi comment il pratiquait lui-même ce qu'il enseignait aux autres: «Vous savez vous-mêmes ce qu'il faut faire pour nous imiter; or, il n'y a rien eu de turbulent dans la manière dont nous avons vécu chez vous; nous n'avons point non plus mangé votre pain sans le payer, car nous avons travaillé jour et nuit avec peine et fatigue peur n'être à charge à aucun de vous (2Th 3,7).» Écoutez-le aussi enseigner ce qu'il faisait: «quand nous étions avec vous, nous vous déclarions que celui qui ne veut pas travailler, ne doit point manger (2Th 3,10).» Vous voyez avec quelles instances le Docteur des nations recommande le travail manuel. Pourquoi l'eut-il tant à coeur, si ce n'est parce que ce bon et diligent pasteur vit que le travail manuel intéressait beaucoup le salut de ses brebis?

4. Reste la dernière urne qui est la pureté de la chair. Or, cette urne nous purifie de cinq souillures corporelles, qui nous viennent par la vue, par l'ouïe, par le goût, par l'odorat et par le toucher. On peut se purifier aux cinq autres urnes, je veux dire à l'urne du silence et à celle de la psalmodie, à l'urne des veilles, à celle du jeûne, et enfin à l'urne du travail manuel, sans se purifier à la sixième. Riais si nos flancs ne sont pas ceints, c'est-à-dire si la pureté de la chair nous fait défaut, à quoi nous servira-t-il d'avoir nos lampes allumées? Aussi, faut-il conclure de là qu'il est nécessaire de nous purifier dans cette sixième urne qui, ajoutée aux cinq autres, a le pouvoir d'assurer le salut. Il faut noter encore que, dans toutes ces observances, nous devons les quatre premières à nous, la cinquième au prochain et la sixième à Dieu. En effet, c'est pour nous, pour notre propre discipline, que nous devons observer le silence, pratiquer la psalmodie, les veilles et le jeûne, c'est pour le prochain que nous devons nous exercer au travail manuel, afin de n'être à charge à personne, et de nous procurer même de quoi subvenir aux besoins des pauvres, et c'est pour Dieu que nous cultivons la pureté du corps, c'est afin de lui plaire et de faire sa volonté. Aussi, est-il écrit: «La volonté de Dieu est que vous soyez saints, que vous vous absteniez de la fornication, que chacun de vous sache posséder le vase de son corps dans la sainteté et dans l'honnêteté (1Th 4,3).» Que si ces urnes sont de pierre, cela veut dire que ce qu'elles représentent ne peut se pratiquer sans quelque difficulté, et que la voie qui conduit à la vie est dure et pénible. Peut-être encore est-il dit qu'elles sont de pierre, pour signifier la force, car il n'est pas facile de les briser, ni de répandre la liqueur qu'elles contiennent, ce qui arriverait bien vite si elles étaient d'argile, de bois ou de toute autre matière fragile. Enfin, peut-être par cette pierre dont elles sont faites, veut-on dire qu'elles sont chrétiennes, c'est-à-dire faites avec la pierre qui est le Christ, pour qu'elles soient établies dans la foi du Christ.



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CINQUANTE-SIXIEME SERMON: Il faut emplir les six urnes d'un triple amour.


1. «Ces urnes contenaient chacune deux ou trois mesures (Jn 2,6).» Il faut savoir avant tout que ces urnes sont tantôt pleines et tantôt vides; tantôt pleines de venin, quelquefois pleines d'eau, et parfois aussi pleines de vin, elles sont vides et vaines quand on ne les a que pour servir de vain ornement, ou pour quelque usage temporel. Elles sont pleines de venin quand on les porte avec murmure et avec aigreur. On dit qu'elles sont pleines d'eau quand on les pratique avec la crainte de Dieu. Puisque par l'eau on entend la crainte de Dieu. Ainsi on lit dans Salomon: «La crainte du Seigneur est une source de vie (Pr 14,27).» Elles sont pleines de vin quand la crainte se change en amour, car l'amour chasse la crainte, attendu que ce qu'on faisait sous l'empire de- la crainte du châtiment se fait alors avec plaisir et amour de la justice. Le Seigneur ne veut pas qu'elles soient vides ou vaines, il donne l'ordre de les faire remplir d'eau, mais c'est pour qu'elle se change en vin qu'il les fait remplir d'eau. Mais à qui le Seigneur ordonne-t-il de les remplir d'eau? C'est aux serviteurs, c'est-à-dire à ceux qu'il a établis sur toute sa maison pour distribuer, en son temps, à tout le, monde une mesure de froment; mais auparavant Marie a préparé leur esprit en disant: «Faites ce qu'il vous dira (Jn 2,5).» Ce trait nous apprend que nous ne devons point nous ingérer dans l'office de prédicateur, si nous n'y sommes préparés d'abord par Marie, c'est-à-dire par la grâce qui est la mère de la prédication, autrement nous entendrions dire de nous: «Ils ont régné par eux-mêmes, non point par moi; ils ont été princes, et je ne l'ai point su (Os 7,4).» Ce sont donc les serviteurs qui emplissent d'eau les urnes; ils disent dans leurs prédications des choses merveilleuses de la douceur du royaume de Dieu, et font retentir des paroles terribles, eu parlant de l'horreur des supplices éternels; ceux qui les entendent parler conçoivent une double crainte, l'une d'être privés de la douceur du royaume de Dieu, l'autre d'être exposé aux supplices éternels. Voilà comment les urnes contiennent deux mesures? Mais que faut-il entendre par ces mots, ou trois mesures? Le voici, ajoutez une troisième crainte aux deux premières, et vous aurez trois mesures. Les deux premières craintes ont rapport à l'avenir, elles sont très utiles; mais il y a une troisième qui a rapport au présent, elle est bien préférable, c'est celle qui nous fait craindre et appréhender constamment que la grâce intérieure nous abandonne. Ainsi quiconque est rempli de cette crainte, a évidemment ajouté une troisième mesure aux deux premières.

2. Or, il faut remarquer que ce n'est que lorsque les urnes furent remplies d'eau jusqu'au haut, que l'eau fut changée en vin; la raison demande, en effet, que si la crainte est le principe de la sagesse, la plénitude de la dilection suive la perfection de la crainte. Aussi le maître d'hôtel dit-il à l'époux: «Tout homme commence par servir le bon vin, et quand on a bien bu il sert en de moindre qualité; pour vous, vous avez réservé le bon vin jusqu'à cette heure (Jn 2,10).» Les gens du monde, quand ils désirent s'élever aux honneurs, commencent par mettre les autres hommes dans leurs intérêts par l'amour. Mais à peine ont-il atteint leur but que, enflés par le pouvoir, ils font plier devant eux, par la crainte, ceux-là mêmes à qui ils témoignaient de l'amour quand ils n'étaient que de simples particuliers, bien loin de chercher à leur inspirer de la crainte. Ces gens-là commencent par servir le bon vin, je veux dire par témoigner de l'amour; et quand on est enivré de leur amour, alors ils servent quelque chose de moins bon, c'est-à-dire la crainte. Notre Époux fait tout le contraire. Il réserve toujours pour la fin, le bon vin, et il nous verse d'abord ce qui, au prix de son bon vin, est un vin de qualité inférieure, en nous disant: «Mon fils, quand vous vous présentez pour servir Dieu, tenez vous dans la crainte (Qo 2,1).» Si la crainte a fait de vous son serviteur, la charité lui fera de vous un ami, voilà comment l'eau se trouvera changée en vin. C'est pour cela que vous vous purifiez dans les six urnes de la crainte, et pour cela aussi que vous vous approchez de lui dans,la crainte, comme un serviteur de son maître, afin de passer de l'état de serviteur à la condition de fils.


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CINQUANTE-SEPTIÈME SERMON: Les sept sceaux rompus par le Christ.


1. «Voici le Lion de la tribu de Juda, le rejeton de David qui a obtenu par sa victoire le pouvoir d'ouvrir le livre, et d'en rompre les sept sceaux (Ap 5,5).» Ces sept sceaux ce sont sa naissance temporelle, sa circoncision légale, la purification de sa mère, sa fuite en Égypte, les besoins du corps, son baptême et sa passion. En effet, ce sont là autant de cachets de l'humanité dont la sagesse de Dieu incarnée a voulu être tenue et scellée. Elle est la seconde personne de la Trinité, et, bien que le Père, le Fils et le Saint-Esprit aient également contribué à l'incarnation, ce n'est toutefois ni le Père, ni le Saint-Esprit qui se sont incarnés, mais uniquement le Fils. Il est vrai que le Père et le Saint-Esprit, étant inséparables du Fils, remplissaient sa chair, mais ils ne l'emplissaient que par la présence de leur majesté, non point par la réception de leur personne. Voilà pourquoi, en même temps que le Fils fait éclater, dans sa chair, la puissance du Père par ses oeuvres, et la bonté du Saint-Esprit par la rémission des péchés, il cèle sous les sceaux dont j'ai parlé plus haut, ce qui le touche, ou plutôt ce qui est tout lui-même, je veux dire la Sagesse de Dieu. Il s'est produit ainsi une chose merveilleuse et surprenante, la force suprême s'est faite faible, et, s'il m'est permis de parler ainsi, ce que je ne ferai qu'avec le sentiment d'un profond respect, la sagesse s'est, en quelque sorte, faite insensée. Mais pourquoi hésiterai-je à répéter ce que le Docteur des nations ri a pas craint de nous enseigner. Or voici ce qu'il croyait, ce qu'il enseignait, ce qu'il écrivait même . «Pour nous, disait-il, nous prêchons Jésus crucifié, ce qui est un scandale pour les Juifs, et une folie aux yeux des gentils. Mais c'est la force même et la sagesse de Dieu pour ceux qui sont appelés, soit Juifs, soit Gentils. Parce que ce qui paraît en Dieu une folie est plus sage que la sagesse de tous les hommes, et que ce qui semble en Dieu une faiblesse est plus fort que la force de tous les hommes (1Co 1,23-25).»

2. Toutefois cette force était cachée et devait se parfaire dans l'humilité, pour accomplir tous les oracles des prophètes. Ainsi un Dieu impassible a souffert sur la croix, et celui qui est le Fils immortel de Dieu est mort et a été enseveli dans notre chair mortelle. Mais le troisième jour il est ressuscité d'entre les morts, et l'Agneau de la passion est devenu le lion de la résurrection. «Le Lion de la tribu de Juda s'est levé et il a vaincu;» car il a foulé aux pieds, en ressuscitant par sa propre vertu, la mort qu'il avait soufferte par suite de notre propre faiblesse, et maintenant «qu'il est ressuscité d'entre les morts, la mort n'aura plus jamais d'empire sur lui (Rm 6,9).» Mais c'est en ressuscitant et en montant au ciel qu'il a ouvert le livre, attendu que c'est alors, selon la sainte Écriture, que sa divinité devint manifeste à tous les regards. Aussi est-il écrit: «Élevez-vous plus haut que les cieux, Seigneur Dieu, et votre gloire éclatera sur toute la terre (Ps 107,4).» Il a aussi brisé les sept sceaux de ce livre, quand il a ouvert l'esprit des fidèles à l'intelligence des livres saints, et quand il a montré plus clair que le jour que tout ce que la Loi et les Prophètes avaient prédit de ses mystères sous le voile de l'allégorie, je veux dire tout ce qu'il a fait dans le temps par le ministère de l'homme, avait été prédit de lui et se trouvait accompli en lui.


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CINQUANTE-HUITIÈME SERMON: Les trois saintes femmes qui vont embaumer le corps de Jésus mort, sont l'esprit, la main et la langue qui travaillent au salut du prochain.

Lc 23,55 Lc 24,1
Mc 16,1

1. Que nous représentent ces trois saintes femmes qui s'en vont acheter des parfums après la mort de Jésus, pour embaumer son corps, déposé dans le tombeau? Quel exemple nous donnent-elles à suivre dans leur action 2 Car, selon saint Grégoire (S. Gregor. in homil. Paschae), tout ce qui s'est fait est un signe de ce qu'il faut faire dans la sainte,Église. Pour nous donc, si nous voyons que le Christ, c'est-à-dire la foi du Christ, a cessé de vivre dans le coeur de quelqu'un de nos frères, il faut employer tous nos soins pour venir embaumer son corps et nous approcher de lui, après avoir fait emplette de parfums. Les trois saintes femmes de l'Évangile nous représentent trois puissances qui se procurent chacune les parfums qui leur conviennent. Quelles sont-elles? Ce sont l'esprit, la main et la langue. En effet, quiconque achète, donne quelque chose et reçoit une autre chose; et ce qu'il donne, il le perd pour acquérir ce qu'il reçoit. L'esprit donne l'écu de sa volonté propre, et il fait emplette de sentiments de compassion, de zèle pour la justice, et de discernement dans le conseil. La main paie en monnaie d'obéissance, et reçoit, en échange, la patience dans les tribulations, la persévérance dans l'action, et la continence dans la Chair. Quant à la langue, elle donne le denier de la confession, et reçoit la mesure dans la correction, l'abondance dans l'exhortation, et l'efficacité dans la persuasion.

2. Après s'être approvisionnées de parfums, elles s'entretenaient entre elles le long du chemin et se disaient: «Qui nous ôtera la pierre qui ferme l'entrée du sépulcre (Ibidem)? Or, cette pierre, c'est la tristesse excessive, ou la paresse, ou la dureté. Car, tant qu'elles ferment l'entrée du coeur, il est inutile que l'esprit, la main et la langue s'approchent du mort avec leurs parfums pour l'embaumer. Mais parce que il est écrit: «Votre oreille, Seigneur, a entendu la préparation même de son coeur (Ps 9,17),» elles voient la pierre écartée et elles entrent dans le sépulcre, mais alors elles apprennent que le mort dont elles venaient embaumer le corps est ressuscité. Qui le leur fait connaître? Qui le leur annonce? C'est un ange qui avait été témoin de cette résurrection. Aussi voit-on le visage de celui en qui le Christ est ressuscité plus joyeux et son aspect plus beau; son langage est plus pur, sa démarche plus modeste et son esprit plus prompt à toute espèce de bonnes oeuvres. Or, qu'est-ce que tout cela, sinon autant de gais messagers de sa résurrection intérieure? On pourrait de même donner un sens figuré à tous les autres détails de la résurrection de Jésus-Christ, dans le linceul trouvé sur la pierre du sépulcre, dans l'annonce faite par l'ange que le Seigneur se fera voir en Galilée, et dans tous les autres traits du récit évangélique, en sorte que tout ce qu'on raconte comme s'étant passé dans le chef, se trouve reproduit au sens moral dans son corps.



Bernard sermons 7051